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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 17 octobre 2023

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et des communications et les répercussions corrélatives sur leurs interdépendances.

Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, je m’appelle Leo Housakos, sénateur du Québec et président du comité. J’inviterais mes collègues à se présenter.

La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.

Le sénateur Richards : David Richards, sénateur du Nouveau-Brunswick.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, nous nous réunissons pour poursuivre notre étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans le secteur des transports, et pour entamer notre étude approfondie des enjeux concernant l’isthme de Chignecto. Nous sommes ravis d’accueillir aujourd’hui Ronald Rudin, professeur émérite distingué au Département d’histoire de l’Université Concordia.

Bienvenue et merci de vous joindre à nous, monsieur Rudin. Nous allons d’abord entendre votre exposé, puis nous passerons aux questions des membres du comité. Monsieur Rudin, vous avez la parole.

Ronald Rudin, professeur émérite distingué, Département d’histoire, Université Concordia, à titre personnel : Je vous remercie. Bonjour à vous tous. Je vous parle aujourd’hui depuis Montréal, où je vis sur les terres autochtones non cédées.

Je vous remercie de l’occasion qui m’est offerte de vous donner mon point de vue sur deux questions qui sont liées. Tout d’abord, je parlerai brièvement du rôle du gouvernement fédéral dans la protection des marais drainés, en particulier dans l’isthme de Chignecto après la Seconde Guerre mondiale. Ensuite, je parlerai des pièges à éviter, quel que soit l’ordre de gouvernement qui participe à la construction d’infrastructure, pour protéger ces milieux. Mes remarques découlent des recherches que j’ai effectuées dans les années 2010. Ces recherches ont mené à la publication de mon livre Against the Tides et à la production de notre film documentaire Des paysages remaniés. Ces deux projets portent sur l’Administration de l’assainissement des terrains marécageux des provinces maritimes. Les gens utilisent toujours l’acronyme anglais MMRA pour la désigner, pour des raisons évidentes.

Cet organisme fédéral a été créé en 1948 pour gérer la détérioration des digues qui avaient été construites — dans certains cas, par les colonisateurs acadiens des siècles plus tôt — pour protéger plus de 30 000 hectares de ce qui formait les marais de tête de la baie de Fundy, sur les territoires actuels de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick. Ces terrains marécageux ont été créés par les marées de la baie de Fundy — qui est la plus grande baie au monde, comme bon nombre d’entre vous le savent — qui s’avancent deux fois par jour dans les rivières se jetant dans la baie. À l’époque, avant l’arrivée des colonisateurs européens, ces marées remontaient sur les terres qui bordaient ces rivières.

Les marais qui en résultaient occupaient une place centrale dans la vie des premiers habitants de ces terres, la Première Nation des Mi’kmaqs, mais les colonisateurs qui ont suivi — des Acadiens et des anglophones — ont choisi de drainer les marais, de construire des digues retenant les marées, dans lesquelles ils ont construit des écluses, qu’on appelait des aboiteaux, permettant ainsi à l’eau sur les terres de se drainer et aux agriculteurs de cultiver les terres.

Pendant des siècles, ces terrains marécageux drainés étaient très productifs, à un point tel que le marais Tantramar, près de la frontière du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, était connu au début des années 1900 comme le plus grand champ de foin au monde. À partir des années 1930 — pour diverses raisons dont je pourrai parler en réponse à vos questions —, les agriculteurs n’arrivaient plus à maintenir les digues. Dans les années 1940, on disait souvent que la mer avait repris ses droits sur les terres, car les digues ne pouvaient plus retenir les marées. Des photos de l’époque montrent des terres inondées et rappellent les photos qu’on voit de nos jours à cause des changements climatiques.

En réponse à la crise, seul le gouvernement fédéral détenait les ressources nécessaires pour investir massivement et sécuriser les marais drainés. Ce n’était pas une mince affaire, car ces terres étaient essentielles pour l’agriculture et qu’en plus, une infrastructure cruciale y passait, soit le principal chemin de fer reliant la Nouvelle-Écosse au reste du Canada.

Dans ce contexte, lorsque la MMRA a été créée en 1948, le gouvernement fédéral s’est engagé à reconstruire ou à remplacer toutes les digues et les aboiteaux endommagés. Pour leur part, les gouvernements provinciaux de Fredericton et de Halifax ont promis de travailler avec les fermiers pour entretenir les tranchées de drainage de l’eau du côté intérieur des structures de protection. Mais même avec cette participation, la très grande majorité de l’investissement est venue d’Ottawa, qui a remplacé ou réparé près de 400 kilomètres de digues et plus de 400 aboiteaux.

La majorité du travail a été fait dans les années 1950, mais la MMRA a continué d’exister jusqu’en 1970, où la responsabilité des digues a été restituée aux provinces. Durant les années 1960, l’administration s’est lancée dans un deuxième ensemble de projets d’ingénierie qui devrait servir de mise en garde à notre époque.

La MMRA avait estimé — à tort, je dirais — qu’elle pourrait protéger les marais drainés à moindre coût si elle construisait des barrages marémoteurs sur un certain nombre des principales rivières se jetant dans la baie de Fundy. Ainsi, les digues et les aboiteaux en aval ne seraient plus nécessaires, et des économies seraient réalisées à long terme. Suivant cette logique, la MMRA a construit cinq barrages marémoteurs, qui ont tous causé de nouveaux problèmes environnementaux que ses ingénieurs ont choisi d’ignorer. Ils étaient au courant de ces problèmes, mais ils en ont fait fi.

Le barrage le plus problématique était situé sur la rivière Petitcodiac, à Moncton. Avant même la fin de sa construction, en 1968, des sédiments entraînés par les marées se sont mis à se déposer du côté mer de ce qu’on appelait le pont-jetée de la Petitcodiac. Les sédiments ont vite détruit la rivière, la rendant plus étroite et moins profonde. Le barrage a tué les stocks de poissons incapables de surmonter cet obstacle. Comme si ce n’était pas assez, le pont-jetée a créé un grand réservoir en aval, qui causait toutes sortes de problèmes.

L’orgueil des gens de la MMRA ayant bâti le pont-jetée a mené à une lutte qui a duré des dizaines d’années pour que la rivière Petitcodiac retourne à quelque chose s’approchant de son état naturel — même si on ne parle pas d’un retour aux marais salés. Le processus ne s’est terminé qu’en 2021 — il y a deux ans seulement —, quand la structure de vannes du barrage a été remplacée par un pont pour que les marées puissent à nouveau circuler comme par le passé.

L’histoire de la MMRA montre ce que le gouvernement fédéral pourrait faire de nos jours pour résoudre les problèmes causés par les changements climatiques, mais elle doit aussi nous mettre en garde contre le fait de causer de nouveaux problèmes en essayant d’en régler un.

C’est ainsi que prend fin mon exposé. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Je vous remercie, monsieur Rudin. Je mentionne à ceux qui nous écoutent que le sénateur Cardozo s’est joint à nous. Il est un sénateur de l’Ontario.

Le sénateur Quinn : Je vous remercie, monsieur Rudin, de cet excellent aperçu de l’histoire de la région. Mes questions porteront bien sûr sur la région de l’isthme et sur son importance pour le commerce et le transport au Canada. J’ai deux ou trois questions à poser, si vous le permettez. Je m’en remets au président, qui m’arrêtera quand mon temps sera écoulé.

Si la structure des digues venait à mal fonctionner et empêchait le transport routier et ferroviaire, quelle en serait l’incidence sur le système de transport non seulement dans l’Est du Canada, mais partout au pays? Quelles seraient vos observations sur cette éventualité?

M. Rudin : Je présume que je dois précéder toutes mes réponses de « je suis historien », ce qui serait une solution facile pour me tirer d’affaire.

Nous tirons en partie nos connaissances de l’expérience du passé. Les photographies datant des années 1940 — que je ne vous ai pas montrées ce matin — montrent l’inondation majeure qui a eu lieu lorsque les digues ont cédé.

Nous savons aussi que durant certains orages, récemment, si la lune avait été dans une certaine configuration, les marées auraient été bien plus grandes, et il aurait pu y avoir une catastrophe majeure dans la région. Il n’est pas nécessaire d’avoir des connaissances approfondies pour savoir que l’autoroute transcanadienne et le principal chemin de fer qui relient la Nouvelle-Écosse au reste du Canada traversent l’isthme, tout comme d’autres infrastructures.

On peut dire que ce serait une véritable catastrophe si les structures protectrices actuelles flanchaient complètement et que l’on connaissait les plus hautes marées possibles. Nous savons que les marées varient en fonction du moment dans le mois. Certains disent que la Nouvelle-Écosse pourrait devenir une île.

Le sénateur Quinn : Je vous remercie de cette réponse. Il y a une autre chose sur laquelle j’aimerais connaître votre opinion. En 1948, le gouvernement a réalisé un projet pour corriger la faiblesse des structures, si l’on veut. Comme vous l’avez mentionné dans votre exposé, cette décision visait en partie à protéger les terres agricoles. Ces terres sont toujours là de nos jours, et la sécurité alimentaire est un enjeu pour nous, les Canadiens, ainsi que pour tout le monde sur la planète. Je présume que les digues sont aussi essentielles pour protéger les fermes de nos jours, ainsi que les corridors de transport. Ai-je raison de penser cela?

M. Rudin : Oui, tout à fait. Les fermiers, que j’ai appris à très bien connaître durant mes recherches, dépendent du bon fonctionnement de tout ce système.

Le sénateur Quinn : J’ai participé à bien des discussions concernant l’importance des structures pour le système de transport, non seulement pour la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, mais aussi pour Terre-Neuve et, dans une certaine mesure, l’Île-du-Prince-Édouard. Le commerce avec Terre-Neuve passe par l’océan. Il y a deux services : Marine Atlantique et Oceanex, qui passent par Halifax, où les navires sont chargés, puis ceux-ci déchargent leur cargaison à Terre-Neuve. Le transport des marchandises vers Terre-Neuve serait fortement perturbé si le système faisait défaut, n’est-ce pas?

M. Rudin : C’est une hypothèse raisonnable.

Le sénateur Quinn : C’est ma dernière question avant que je donne mon nom pour la deuxième série de questions. Êtes-vous d’accord pour dire que les digues présentent un intérêt pour le Canada en général? Ces digues sont-elles avantageuses pour la Confédération?

M. Rudin : En effet, c’est l’argument qui a été avancé en 1948 quand la MMRA a été mise sur pied. J’ai du mal à voir exactement ce qui a changé depuis 75 ans.

Le sénateur Quinn : Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Bienvenue à cette rencontre.

Je m’intéresse aux solutions plus naturelles. En faisant des lectures, nous avons appris qu’une experte, Sabine Dietz, a dit qu’il faudrait d’abord regarder les solutions naturelles avant de penser à des solutions structurelles au problème de l’isthme. Notamment, elle parlait de l’importance des milieux humides et du fait qu’on pourrait restaurer les milieux humides qui ont été drainés à des fins agricoles. Cela permettrait de limiter la montée des eaux de façon naturelle sans modifier, sans rebâtir des digues un peu partout. Qu’en pensez-vous?

M. Rudin : Je suis totalement en accord avec cette position. Dans les travaux que j’ai faits, nous avons fait des entrevues avec la professeure Danika van Proosdij de l’Université Saint Mary’s, à Halifax, qui est une championne de cette approche.

Selon mon expérience des MMRA — l’Administration de l’assainissement des terrains marécageux des provinces maritimes —, le problème était qu’on était totalement dépendant des technologies. On a ignoré la possibilité d’utiliser les milieux humides. Par exemple, nous avons eu des problèmes sur la rivière Petitcodiac, parce qu’on a construit de grandes structures sans la possibilité d’utiliser les solutions plus naturelles. La recherche existe pour nous permettre d’utiliser les milieux humides. Je suis en accord avec cette approche.

La sénatrice Miville-Dechêne : Savez-vous si cette approche est maintenant considérée par les différents paliers de gouvernement? Si on veut restaurer des milieux humides, j’imagine qu’il faut confisquer, racheter beaucoup de terres. Est‑ce envisageable?

M. Rudin : Encore une fois, je suis historien. Je ne suis pas un expert des détails. À ma connaissance, il y avait des tests effectués dans la région. Ce n’est pas évident pour moi qu’il faut exproprier de grandes sections de terres. Je crois que c’est possible, grâce à la volonté de toutes les personnes concernées, de trouver des solutions plus naturelles.

[Traduction]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je sais que vous êtes historien, mais puisque vous avez étudié cet enjeu de fond en comble, savez-vous s’il y a une ouverture à l’heure actuelle — de la part des deux gouvernements — pour essayer de régler le problème au moyen de solutions plus naturelles?

M. Rudin : Encore une fois, je ne participe pas de près à ce genre de discussions, mais je retiens de ma conversation avec mes collègues que ces connaissances, et cette recherche, ont été largement ignorées.

Je crois comprendre que lorsque diverses options ont été présentées au public, en Nouvelle-Écosse, les solutions les plus naturelles ont été écartées. Voilà pourquoi je pense que mes recherches sur la MMRA sont pertinentes, car c’est précisément le genre de point de vue qu’avaient les ingénieurs de la MMRA : il fallait construire plus haut et plus solide sans examiner d’autres possibilités, ce qui nous a menés au gâchis qu’on a connu dans le cas de la rivière Petitcodiac.

Voyons cela comme une mise en garde : nous devrions prendre plus au sérieux la recherche qui a été faite et les experts qui sont sur le terrain. Ce ne sont pas des historiens, mais des gens qui travaillent sur le terrain.

J’ai l’impression que la question n’est pas prise au sérieux autant qu’elle le devrait. Les gens pensent qu’on les laisse en situation vulnérable si on ne construit pas une structure haute et solide. On ignore ainsi les possibilités de recourir à des solutions plus naturelles.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup.

La sénatrice Simons : Monsieur Rudin, je suis consciente que vous n’êtes ni ingénieur ni météorologue. Bien entendu, notre étude porte sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures de transport. Il n’est pas question de compétences et de savoir qui doit payer, mais de déterminer si les changements climatiques mettent nos infrastructures en danger.

Dans ce contexte — gardant à l’esprit votre formation d’historien —, j’aimerais vous poser la question suivante : les décisions prises à l’origine pour déterminer le tracé de la Transcanadienne et les lignes ferroviaires sur ces terres vulnérables auraient-elles été possibles sans les travaux d’endiguement initiaux? Si la Transcanadienne n’avait pas été construite à cet endroit, quelles auraient été les autres options pour relier la Nouvelle-Écosse au reste du Canada continental?

M. Rudin : Pour répondre à la première partie de cette question, il aurait été difficile pour les constructeurs de la Transcanadienne ou des lignes de chemin de fer d’imaginer l’endroit sans les digues. Dans mes recherches, j’ai notamment appris que les gens tiennent les changements que nous apportons à la nature pour acquis lorsqu’ils sont en place depuis un certain temps.

Au XIXe siècle, on a d’abord construit les voies ferrées, puis la Transcanadienne le long du même tracé, en considérant que les digues étaient des éléments permanents du paysage. C’est comme si elles avaient toujours été là. Je suis certain que personne n’a imaginé un paysage sans les digues, le paysage naturel d’origine, évidemment, soit des terres marécageuses qui se retrouvaient sous l’eau deux fois par jour. J’ai la certitude qu’ils n’ont jamais pensé qu’il y avait autre chose que ce paysage, avec ces digues, et je pense qu’ils supposaient que les digues seraient là pour toujours.

Cela dit, je suis persuadé qu’ils n’ont jamais envisagé d’autre solution. En fait, dans un certain nombre de cas, les barrages qui ont été construits sous l’égide de la MMRA ont été construits pour servir de ponts pour la Transcanadienne. Dans ce cas précis, en raison des efforts de la MMRA pour renforcer l’endiguement, les terres endiguées sont essentiellement devenues partie intégrante de l’assise territoriale avant même la construction de la Transcanadienne. Tout cela pour dire que tout est inextricablement lié : l’infrastructure n’aurait jamais pu être construite sans les digues, et les digues, puis les barrages anti‑marée — malgré tous leurs défauts — sont devenus une partie de cette infrastructure. J’espère avoir répondu à votre question.

La sénatrice Simons : C’est une excellente réponse. La question devient donc la suivante : le climat change; le niveau de la mer augmente; les tempêtes hivernales s’intensifient. Comme je l’ai dit, vous n’êtes pas météorologue, alors je suppose que vous n’avez pas étudié l’incidence de ces conditions climatiques changeantes sur ces infrastructures, mais vous avez mentionné des incidents historiques survenus dans le passé au cours desquels elles ont été inondées.

Permettez-moi de poser une question. Selon vous, de votre point de vue d’historien, votre travail d’une vie, dans quelle mesure cet élément essentiel de l’infrastructure est-il vulnérable aux changements climatiques et à leur accélération?

M. Rudin : Si j’avais apporté des photos et que je partageais mon écran, ou si vous consultiez mon livre, vous pourriez le voir, car nous avons des photos qui montrent à quoi cela ressemblait dans les années 1940. Lorsque cette infrastructure a cédé — notamment à certains endroits comme Grand-Pré, en Nouvelle-Écosse, ou le marais de Tantramar, au Nouveau-Brunswick, où l’on trouve des terres que nous considérons aujourd’hui comme étant purement des terres agricoles traversées par des routes —, tout était sous l’eau.

Dans les années 1940, la défaillance des infrastructures était attribuable à divers facteurs économiques qui ont empêché les agriculteurs d’entretenir les digues. Le point à retenir, c’est que nous avons déjà vu cela auparavant, et ce n’était pas dans un contexte aussi dramatique que les changements climatiques. On n’a pas besoin d’être historien pour savoir que le niveau de la mer augmente et qu’il faut renforcer le système pour composer avec des défis sans précédent. De mon point de vue, lorsqu’ils ont reconstruit les digues et les aboiteaux, dans les années 1940, à l’aide de machinerie lourde au lieu du travail manuel, la situation était relativement mineure comparativement à celle que nous vivons aujourd’hui.

Il est clair que nous avons un problème qui ne disparaîtra pas. Pour revenir à ma réponse à la question précédente de la sénatrice, nous devons utiliser tous les outils de notre arsenal pour composer avec ce problème, pas seulement en construisant des murs plus hauts et plus solides, mais en envisageant l’aménagement de marais le long du rivage pour aider à amortir l’impact des changements climatiques, ainsi que les marées plus hautes et plus fortes attendues à l’avenir.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

Le sénateur Richards : La sénatrice Simons a posé ma question. Je viens de la région de Miramichi. J’ai donc connu des gens de Sackville et d’Amherst toute ma vie, et cet enjeu a toujours été une préoccupation assez majeure pour la plupart des gens que je connais. À mon avis, peu de gens banalisent le problème. J’ai une question pour M. Rudin, que je remercie d’être ici. Dans quelle mesure les conditions météorologiques ont-elles plus d’incidence sur les marais aujourd’hui comparativement aux années 1940, 1950 et 1960? Je me souviens toujours de l’effervescence qui régnait là-bas et des préoccupations que suscitaient les digues à l’époque, dans ma jeunesse, vers l’âge de 20 à 24 ans. À quel point la situation est‑elle plus grave aujourd’hui comparativement à l’époque où j’étais un jeune homme?

M. Rudin : Cela a toujours été un défi. Les digues ont justement été construites parce que ces eaux étaient potentiellement dangereuses.

Pour revenir aux années 1940, lorsqu’une bonne partie des terres a été inondée parce que les digues avaient cédé, nous savons que les inondations qui ont eu lieu depuis sont liées à des circonstances exceptionnelles. En même temps, nous savons aussi que les « tempêtes du siècle », comme on a l’habitude de les appeler, se produisent maintenant assez régulièrement, et qu’il est donc impossible qu’elles ne surviennent qu’une fois tous les 100 ans. Nous savons aussi que la « plus grosse » reste à venir, pour emprunter l’expression utilisée en sismologie.

De toute évidence, les tempêtes sont plus fréquentes. Nous savons que le niveau de la mer a déjà augmenté. Ce n’est pas vraiment matière à débat. Dans le contexte de l’effet combiné de l’augmentation du niveau de la mer et de tempêtes de plus en plus fortes, il y a des raisons de croire — et les gens qui œuvrent à la protection de ces terres le croient aussi — que les risques seront encore plus grands à l’avenir. Par conséquent, attendre de voir ce qui pourrait arriver n’est probablement pas une bonne idée.

Le sénateur Richards : Je suis d’accord avec cela.

Quelles méthodes pourrait-on utiliser pour obtenir de meilleurs résultats que les méthodes qui ont déjà été utilisées?

M. Rudin : Je vous remercie de me donner l’occasion, encore une fois, d’essayer de mettre en évidence les recherches de mes collègues sur l’aménagement de marais salants à divers endroits le long des berges pour renforcer les digues.

Si nous investissons dans ces solutions plus naturelles, nous savons que les marais salants le long des berges peuvent, comme ils l’ont fait, absorber une bonne partie du choc initial, pour ainsi dire, lors de marées plus fortes et plus hautes. S’il est possible d’absorber ce choc par des moyens plus naturels, cela signifie que les infrastructures à construire n’ont pas à être aussi spectaculaires, avec les conséquences que cela entraîne, comme pour toute intervention humaine.

La solution facile sera toujours de construire des structures plus hautes et plus solides. L’expérience de la MMRA — que je considère comme pertinente — a été de passer de la simple reconstruction des digues à la construction de barrages à marée, ce qui a été désastreux dans bien des cas. Il s’agit d’une importante mise en garde, et nous avons des recherches — certainement pas de moi, mais de scientifiques sur le terrain — qui démontrent qu’une approche hybride est possible. Nous pouvons renforcer les structures de digues existantes tout en utilisant des solutions plus naturelles, comme complément. J’espère sincèrement que votre comité consulte de tels spécialistes.

Le sénateur Richards : Je vous remercie.

Le sénateur Quinn : Je remercie mes collègues, qui ont posé d’excellentes questions. Je tenais à le souligner. Cela permet vraiment d’alimenter la discussion.

J’ai une question à deux volets. Je crois comprendre, étant donné votre compréhension et votre connaissance de l’histoire de la région et les diverses mesures qui ont été prises au fil des décennies, que cet enjeu est probablement plus urgent que les gens le pensent. D’après ce que je comprends, peu importe qui s’attaquera à ce dossier, il faudra des années pour franchir toutes les étapes liées à l’évaluation environnementale, l’ingénierie, et cetera. Êtes-vous d’accord pour dire qu’il y a une certaine urgence? C’est ce que je comprends de votre propos, mais vous ne l’avez pas dit explicitement.

M. Rudin : Je pensais que c’était évident — oui, absolument.

Le sénateur Quinn : Je tiens à ce que cela figure au compte rendu, car cela fait partie intégrante du travail de notre comité, qui est d’étudier l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles du Canada. Parallèlement, de nombreuses discussions ont eu lieu entre les deux provinces les plus touchées, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. Plus tôt, j’ai mentionné les autres effets qui ont touché l’Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve, et d’autres provinces, et qui sont liés au commerce international, qui représente 35 milliards de dollars par année, 15 000 véhicules par jour, et cetera. Il s’agit d’une voie critique, pour ainsi dire, qui est assurément dans l’intérêt général du Canada.

Qu’on opte pour une approche naturelle, une approche d’ingénierie ou, comme vous le proposez, une approche hybride — compte tenu de tout cela et de vos connaissances de l’histoire relativement au rôle du gouvernement à l’époque —, quel rôle le gouvernement fédéral devrait-il jouer aujourd’hui, selon vous?

M. Rudin : Il y a évidemment des questions de compétence, mais l’expérience de 1948 a montré que seul le gouvernement fédéral avait les ressources nécessaires pour régler le problème. Il aurait pu considérer que le problème relevait des provinces, mais les provinces, de leur propre aveu, n’avaient pas les ressources nécessaires pour entreprendre la reconstruction des digues et des aboiteaux. Étant le seul ordre de gouvernement à avoir des ressources suffisantes, le fédéral a accepté cette responsabilité.

Dans ce contexte particulier, le fédéral a assumé à lui seul les coûts de la reconstruction des digues et des aboiteaux. Les provinces ont travaillé avec les agriculteurs pour l’entretien des fossés de drainage du côté intérieur des digues, car sans cela, l’eau ne pouvait pas sortir, rendant inutile l’ensemble du système.

Sans trop m’attarder aux questions de compétence — ce qui m’est possible, mais peut-être pas de votre côté —, il me semble que le gouvernement fédéral a davantage de ressources que les provinces, et que si nous attendons que les provinces trouvent les ressources nécessaires pour s’attaquer à un problème majeur de ce genre, nous risquons d’être incapables de trouver la meilleure solution. Comme en 1948, les provinces et le gouvernement fédéral auraient pu tenir de longues discussions sur la façon de répartir les coûts. Une décision a été prise, en fin de compte, car il y avait un précédent. L’Administration du rétablissement agricole des Prairies avait été créée dans les années 1930 pour sauver les terres dans les Prairies. Ce n’était pas la première fois que le gouvernement fédéral jugeait qu’il avait la responsabilité d’appuyer des projets trop importants pour la capacité des provinces. À mon avis, le gouvernement fédéral devrait jouer un rôle de premier plan dans tout cela.

Le sénateur Quinn : Merci.

Le président : S’il n’y a pas d’autres questions, chers collègues, je vais demander à M. Rudin s’il aimerait faire quelques commentaires en guise de conclusion.

M. Rudin : Je suis reconnaissant de l’occasion de revenir brièvement sur mes recherches antérieures. Quant à la question récurrente au sujet du recours à des solutions plus naturelles, le professeur Jeff Ollerhead, de l’Université Mount Allison, et la professeure Danika Van Proosdij, de l’Université Saint Mary’s, ont mené des recherches approfondies sur l’utilisation de solutions plus naturelles. Je peux promouvoir leurs travaux, mais si vous aviez l’occasion de les entendre aussi, cela vous serait utile. Je vous remercie de votre temps.

Le président : Je vous remercie de votre temps.

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Rudin, vous avez mentionné que vous aviez de bonnes cartes. Évidemment, sur Internet, nous avons trouvé des cartes très imprécises. Pouvez-vous nous envoyer vos cartes? Est-ce possible?

M. Rudin : J’ai dit que nous avions des photographies.

La sénatrice Miville-Dechêne : Des photographies, ou tout ce qui pourrait nous aider à visualiser cet isthme.

M. Rudin : Le plus simple, c’est que toutes ces photographies sont publiées dans mon livre, intitulé Against the Tides. Si quelqu’un peut mettre la main dessus, cela reviendrait au même, en quelque sorte. Si vous voulez les photos, et si quelqu’un communique avec moi, je peux vous les envoyer sans problème. Elles sont assez spectaculaires.

Le président : Monsieur Rudin, merci d’avoir été parmi nous ce matin et d’avoir répondu à nos questions. Au nom de tous mes collègues, je vous remercie de votre contribution à cette étude.

M. Rudin : Il n’y a pas de quoi. Je vous remercie.

(La séance est levée.)

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