LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 1er mai 2024
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 49 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-273, Loi déclarant le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes comme étant des ouvrages à l’avantage général du Canada.
Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.
Le président : Honorables collègues, bienvenue. Aujourd’hui, nous étudions le projet de loi S-273, Loi déclarant le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes comme étant des ouvrages à l’avantage général du Canada.
Avant d’entrer dans les détails de notre étude, j’aimerais formuler, aux fins du compte rendu, quelques commentaires qu’on m’a demandé de vous communiquer aujourd’hui. Avant de commencer, j’aimerais rappeler à tous les sénateurs et aux autres participants à la réunion les importantes mesures de prévention suivantes : pour empêcher les rétroactions acoustiques perturbatrices et potentiellement dommageables qui pourraient causer des blessures pendant notre réunion, nous rappelons à tous les participants en personne de tenir leurs oreillettes loin de tous les microphones, en tout temps.
Comme l’indique le communiqué de la Présidente adressé à tous les sénateurs le lundi 29 avril, les mesures suivantes ont été prises pour aider à prévenir les rétroactions acoustiques : toutes les oreillettes ont été remplacées par un modèle qui permet de réduire grandement la probabilité de rétroaction acoustique. Les nouvelles oreillettes sont noires, alors que les anciennes étaient grises. Veuillez n’utiliser que les oreillettes noires approuvées. Par défaut, toutes les oreillettes inutilisées seront débranchées au début d’une réunion. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la face vers le bas au milieu de l’autocollant rond qui se trouve devant vous à la table, à l’endroit indiqué. Veuillez consulter la carte sur la table pour obtenir des conseils de prévention des rétroactions acoustiques. Veuillez vous asseoir de manière à augmenter la distance entre les microphones. Les participants doivent brancher leur oreillette à la console du microphone située directement devant eux. Ces mesures sont en place pour que nous puissions mener nos travaux sans interruption et protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris les interprètes.
Essayons de suivre ces directives, chers collègues. Nous savons que de très graves incidents ont causé de terribles dommages aux oreilles des interprètes, alors je vous prie d’en être conscients.
Encore une fois, merci à tout le monde d’être ici ce soir. Nous étudions le projet de loi S-273, Loi déclarant le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes comme étant des ouvrages à l’avantage général du Canada.
Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir de recevoir notre collègue, l’honorable sénateur Jim Quinn, parrain du projet de loi; il est accompagné de son fidèle conseiller politique, Lyle Skinner, directeur des affaires parlementaires. Bienvenue à vous deux.
Avant de passer aux déclarations liminaires, j’inviterai mes collègues à se présenter brièvement.
Le sénateur Richards : Sénateur Dave Richards, je viens du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Cuzner : Sénateur Cuzner, je viens de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
[Traduction]
La sénatrice Robinson : Mary Robinson, sénatrice de l’Île-du-Prince-Édouard.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, je viens de l’Ontario.
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
Le président : Merci, chers collègues.
Nous allons commencer par une déclaration liminaire de cinq minutes du sénateur Quinn avant de passer aux questions et aux réponses. Sénateur Quinn, la parole est à vous.
L’honorable Jim Quinn, parrain du projet de loi : Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs. Je suis honoré d’être ici aujourd’hui pour parrainer le projet de loi S-273, Loi déclarant le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes comme étant des ouvrages à l’avantage général du Canada.
Je tiens à exprimer ma reconnaissance aux sénateurs qui ont contribué au débat en deuxième lecture, ce qui illustre pourquoi l’isthme de Chignecto et les infrastructures qui le protègent — les digues et les aboiteaux qui visent à atténuer la montée du niveau de la mer — présentent un intérêt national pour le Canada. Ce débat souligne le rôle constitutionnel fondamental du Sénat : élever les questions qui peuvent sembler de nature locale ou régionale, mais qui sont effectivement d’importance nationale. Cela témoigne de l’importance de la présentation de projets de loi d’intérêt public du Sénat par les sénateurs.
Je remercie également mes collègues du comité d’avoir accepté d’étudier l’isthme de Chignecto dans le cadre de notre étude de l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et des communications. Les données probantes reçues pour cette étude ont montré à quel point les changements climatiques et la montée du niveau de la mer constituent une menace existentielle pour l’isthme de Chignecto.
Bien que mon nom soit rattaché au projet de loi, celui-ci représente les aspirations collectives de quatre provinces de l’Atlantique, qui exhortent le gouvernement fédéral à s’acquitter de ses fonctions constitutionnelles et à reconnaître ce que remarque quiconque voyage le long de la route Transcanadienne. Comme le sénateur Cotter l’a mentionné dans ses commentaires à la Chambre, l’isthme de Chignecto est une voie de commerce et de transport majeure d’importance nationale. Le projet de loi S-273 sert à défendre l’idée que la protection de l’isthme de Chignecto s’aligne sur l’intérêt général du Canada.
Les provinces maritimes, en raison de leur géographie, sont au premier rang de la menace existentielle la plus pressante que le Canada a connue au courant du siècle : le changement climatique et la montée du niveau de la mer. De fait, dans le cadre des travaux précédents du comité sur le changement climatique et ses effets sur les infrastructures essentielles, nous avons appris qu’une étude des Nations unies a désigné divers lieux de l’Amérique du Nord qui étaient les plus vulnérables aux effets du changement climatique. Les collègues se rappellent peut-être que le premier endroit est la Nouvelle-Orléans, et le deuxième, la région de l’isthme de Chignecto.
La protection de l’isthme de Chignecto contre l’élévation du niveau de la mer, déjà mentionnée, comme nous en avons parlé plus tôt, comporte de profondes répercussions. Le Port de Halifax sert de carrefour vital aux échanges et au commerce interprovinciaux et internationaux. Il agit essentiellement comme principal port pour de nombreuses voies commerciales, mais offre également une résilience supplémentaire en tant que port de rechange devant les perturbations qui peuvent se produire ailleurs au Canada ou dans l’Est des États-Unis, que celles-ci soient de cause naturelle ou humaine. Autrement dit, il sert de route commerciale de rechange.
Bien que le projet de loi invoque le pouvoir déclaratoire prévu à l’alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui transfère la compétence absolue au gouvernement fédéral, la légalité de ce pouvoir est claire. Il appartient uniquement au Parlement, et non pas aux tribunaux, de prendre la décision. Cependant, la question qui nous est soumise est celle de savoir si le Parlement devrait exercer son pouvoir dans ce cas-ci. Je crois fermement que la réponse est affirmative.
Je pense qu’il est important de souligner que les provinces dont la compétence pourrait être directement touchée sont favorables au projet de loi S-273 et à l’utilisation des pouvoirs déclaratoires. L’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse a adopté à l’unanimité une résolution pressant le Parlement du Canada d’adopter le projet de loi S-273, et l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick a présenté une motion similaire qui devrait être débattue en mai. Notre discussion avec les provinces de Terre-Neuve et de l’Île-du-Prince-Édouard a également démontré leur soutien du projet de loi. Compte tenu des échanges commerciaux entre l’Est du Canada et le reste de l’Amérique du Nord, je suis convaincu qu’il n’y a pas une seule province dans notre pays qui ne reconnaisse pas l’importance nationale de l’isthme de Chignecto.
De plus, il convient de souligner qu’un autre projet de loi au Parlement, le projet de loi C-33, Loi visant à renforcer le réseau portuaire et la sécurité ferroviaire au Canada, invoque également le pouvoir déclaratoire. Selon l’article 99 du projet de loi C-33, les terminaux situés dans un port sont déclarés être des ouvrages à l’avantage général du Canada. Cela sert d’exemple contemporain soulignant la pertinence continue du pouvoir déclaratoire dans la gouvernance fédérale moderne.
Chers collègues, il ne s’agit pas d’un projet de loi de finances. Le projet de loi propose que le Parlement envisage d’invoquer le pouvoir déclaratoire, comme je l’ai décrit précédemment. Cela confère au gouvernement fédéral une compétence sur un élément des infrastructures essentielles qui est dans l’intérêt général du Canada. Un autre élément à considérer est que la compétence fédérale impose également des exigences plus strictes en matière de consultation et d’environnement.
Chers collègues, en tant que sénateur du Canada atlantique et fonctionnaire de longue date, j’ai appris de mon expérience que, parfois, les questions d’intérêt national situées dans le Canada atlantique peuvent se perdre dans le contexte élargi du Canada. Si je le mentionne, c’est pour informer le Parlement de l’importance de cette question tout en insistant pour qu’elle soit traitée de la même manière que les autres dans notre fédération, notamment lorsqu’il s’agit de questions qui sont en fait à l’avantage général du Canada.
Honorables sénateurs et sénatrices, encore une fois, je vous remercie de votre attention. Mon directeur des affaires parlementaires, Lyle Skinner, qui est également un avocat en droit constitutionnel spécialiste du droit parlementaire et de la gestion des urgences, m’accompagne ici aujourd’hui pour aider à répondre à toute question technique ou juridique que vous pourriez avoir concernant le pouvoir déclaratoire du projet de loi S-273. Je tiens également à le remercier de l’excellent travail qu’il a fait pour aider les provinces à comprendre le rôle du Sénat en vue de faire avancer ce projet de loi.
Monsieur le président, j’ai laissé auprès du greffier deux documents que j’aimerais déposer en tant que pièces, qui sont les résolutions des assemblées législatives de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick.
Le président : Ils seront distribués.
Le sénateur Quinn : Merci.
Le président : Nous passons maintenant aux questions et réponses, en commençant par notre vice-présidente, la sénatrice Miville-Dechêne.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, sénateur Quinn, pour votre intérêt pour l’isthme de Chignecto, qui est presque devenu une obsession pour ce comité.
Ma question est précise. Vous avez dit que ce n’était pas un projet de loi de finances et vous avez été très clair à ce sujet. Or, à ce moment-là, quel est l’intérêt d’avoir ce projet de loi? En d’autres mots, ce projet de loi n’est-il pas une façon détournée ou indirecte de s’assurer que le gouvernement fédéral paie 100 % des dépenses pour remettre en ordre l’isthme de Chignecto, qui est dans un bien piètre état?
Le sénateur Quinn : Merci de votre question.
[Traduction]
En fait, le projet de loi considère cet article de la Constitution que j’ai mentionné comme outil dans la boîte à outils constitutionnelle, et il appartient au Parlement de décider si cet outil devrait être invoqué pour que la compétence soit cédée aux provinces. À l’heure actuelle, le gouvernement doit prendre une décision stratégique concernant les mesures à prendre, à savoir s’il en paie une partie, la totalité ou des pourcentages. À ce jour, le gouvernement a parlé de contributions d’environ 50 % aux projets dans les options étudiées. Le principal avantage, je pense, c’est que la compétence fédérale apporte une nouvelle dimension aux consultations, en particulier avec les collectivités autochtones, et impose des exigences environnementales plus strictes. Cet outil a été utilisé dans d’autres projets, comme le pont Champlain à Montréal, qui a suivi ce modèle, et dans d’autres exemples et projets au pays.
La sénatrice Miville-Dechêne : En même temps, la situation est un peu plus compliquée parce que toute cette question est soumise aux tribunaux. Évidemment, le Parlement est souverain, mais j’aimerais savoir si le moment est bien choisi. C’est un instrument de pression. J’aimerais savoir ce que vous pensez de l’idée d’attendre pendant que des litiges sont soumis aux tribunaux.
Lyle Skinner, directeur des affaires parlementaires, Bureau de l’honorable sénateur Jim Quinn : Merci beaucoup d’avoir posé la question, sénatrice Miville-Dechêne.
Il est important de mettre en contexte le fait que nous parlons de l’alinéa 92.10c) de la Constitution. La question de référence soumise à la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse porte sur une disposition différente de la Constitution, à savoir l’alinéa 92.10a), qui concerne les ouvrages et les travaux interprovinciaux.
Pour simplifier brièvement la loi constitutionnelle, différentes rubriques de compétence sont attribuées à des affaires différentes. Un bon exemple serait les pouvoirs déclaratoires utilisés pour régir les centrales nucléaires et les matières nucléaires, mais ils peuvent aussi relever du pouvoir de réserve de la paix, l’ordre et le bon gouvernement, le POPG, dans le cadre de l’importance nationale.
Mais il y a aussi un exemple lorsque la question est soumise aux tribunaux; ce pouvoir, je l’assimile presque à une exception exceptionnelle dans la manière dont nous examinons habituellement le dialogue entre le Parlement et le pouvoir judiciaire. Généralement, nous attendons une annonce sur une question liée à la Charte ou, dans le cas d’une affaire de fédéralisme, la décision des tribunaux, puis le Parlement réagit. Je note que, dans la loi d’exécution du budget à venir, il y a un point particulier concernant la Loi sur l’évaluation d’impact. Mais ce type de situation est différent. Il appartient au seul Parlement de prendre cette décision.
Une mise en contexte intéressante est celle d’une affaire qui remonte à 1990, l’arrêt Travailleurs unis des transports c. Central Western Railway Corp. La question était la suivante : ce chemin de fer sur un court tronçon relève-t-il de la compétence fédérale? Une drôle de chose s’est produite lorsque l’affaire est passée de la Cour d’appel fédérale à la Cour suprême du Canada. Le Parlement a abrogé le pouvoir déclaratoire dans cette affaire. Tout ce que la Cour suprême a dit, c’est qu’elle en prenait acte et retirait cela, puis elle a poursuivi l’analyse en vertu de l’alinéa 92.10a). Il n’y a donc rien de mal à établir des parallèles. Et, encore une fois, il appartient uniquement au Parlement de prendre la décision.
Si je peux également parler de votre question antérieure, il existe aussi un précédent historique. En 1886, on a effectivement utilisé le pouvoir déclaratoire pour créer une digue à Pointe-Saint-Charles, à Montréal. Ce qui est assez fascinant — évidemment, nous espérons un résultat différent —, c’est que le gouvernement, donc le Parlement, a invoqué le pouvoir déclaratoire. C’est simplement une question de compétence. Je rappelle que le Sénat ne peut pas présenter de projets de loi de finances. Ce serait inconstitutionnel. Toutefois, le ministère des Travaux publics de l’époque a refusé de financer le projet. Il ressort donc que la branche exécutive de l’État a toujours le pouvoir discrétionnaire de ne pas le faire. Le but de ce transfert de compétence est de dire que c’est différent de l’accord normal du dollar à 50 cents, qui est courant dans les domaines de compétence fédérale actuellement lorsqu’il s’agit de traiter avec les provinces et les territoires.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
Le président : Avant de passer au sénateur Cardozo, je souhaite la bienvenue au sénateur Prosper, qui s’est joint au comité. Bienvenue, sénateur.
Le sénateur Cardozo : Merci, sénateur Quinn et monsieur Skinner, de votre exposé jusqu’à présent.
Je veux revenir à la case départ et parler du problème que nous essayons de résoudre. Est-ce un problème grave? Quel est le pronostic quant à la route et au chemin de fer dans cette zone? Quels sont les dangers auxquels nous sommes confrontés? Pourquoi s’en occupe-t-on maintenant?
Le sénateur Quinn : Comme je l’ai souligné lors de mon exposé, les Nations unies ont désigné les sites d’Amérique du Nord les plus vulnérables aux changements climatiques, les sites critiques. La Nouvelle-Orléans figure au premier rang. La ville a connu un événement grave, l’ouragan Katrina, qui a causé des dégâts incommensurables. Chignecto est le deuxième site. Selon les prévisions, au cours des 10 prochaines années, avec l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des tempêtes, on peut s’attendre à ce qu’un tel événement provoque l’effondrement des digues, inondant ainsi tout le territoire, certaines parties d’Amherst et de Sackville en plus de compromettre et de faire disparaître, pour ainsi dire, la route et la ligne de chemin de fer.
Ce sont les digues dont nous parlons qui doivent être remplacées pour éviter que cela ne se produise, car si un tel événement se produit, nous fermons essentiellement le commerce dans une partie importante du pays; le commerce qui entre et sort du port de Halifax, par exemple, à destination du reste du Canada, et qui fournit des matériaux et des marchandises à la province de Terre-Neuve-et-Labrador, toujours via le port de Halifax, car une grande partie de ces marchandises transitent par la région de l’isthme de Chignecto. D’autres services uniques au Canada atlantique ne peuvent être disponibles qu’à Halifax, les services médicaux et ce genre de choses.
Le sénateur Cardozo : Nous ne cherchons donc pas à élever le niveau de la route et du chemin de fer. Parle-t-on de sécuriser les digues de manière plus solide?
Le sénateur Quinn : Les gouvernements de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont entrepris une étude des options permettant de préparer le terrain, pour ainsi dire. Ils ont pu examiner certaines options; je pense qu’il y en avait 10 ou 11, et ils en ont retenu trois. Cela ne signifie pas que l’une de ces options sera adoptée. Lors des réunions sur les changements climatiques et les infrastructures essentielles, nous avons entendu des témoignages portant sur l’utilisation d’approches naturelles combinées à des solutions techniques. Cela semble avoir attiré l’attention des personnes qui prendront les décisions en aval quant au processus à suivre. Donc, aucune décision n’a été prise quant à l’option qui serait nécessairement adoptée.
Vous avez demandé pourquoi maintenant? Nous savons que nous sommes dans une période d’environ 10 ans, et c’était une période de 10 ans il y a 3 ou 4 ans. Plus nous reportons ce qui doit être fait, plus cette région critique de notre pays est exposée à des risques.
M. Skinner : Juste pour votre information, sénateur, la façon dont le projet de loi est rédigé n’inclut pas nécessairement, comme l’a souligné le sénateur Quinn, une option précise. Peu importe ce qui est envisagé aujourd’hui ou dans l’avenir, la compétence sera exclusivement fédérale. Il ne s’agit pas d’un moment précis dans le temps. À mesure que les choses changent, s’il est nécessaire, par exemple, de construire des digues dans une autre partie du réseau hydrographique, ces ouvrages seront alors mis en œuvre et relèveront de la compétence fédérale.
Le sénateur Cardozo : Quelles sont les étapes entre l’adoption du projet de loi et l’obtention des fonds nécessaires? Les provinces sont-elles prêtes à investir de l’argent?
Le sénateur Quinn : Encore une fois, le but n’est pas d’examiner quelles pourraient être les options de financement. Du point de vue du projet de loi, il s’agit simplement de demander au Parlement d’utiliser l’alinéa 92.10c) pour décider d’invoquer le pouvoir déclaratoire. Lorsque le Parlement prendra cette décision, c’est le gouvernement qui décidera de la façon de procéder en ce qui concerne le financement, la collaboration avec les provinces, la consultation des collectivités et des communautés autochtones, et cetera. Ce serait alors un point central pour le gouvernement fédéral, mais en collaboration avec les provinces. Les parties négocieront sans aucun doute ce qu’elles pourraient vouloir faire.
Le sénateur Cardozo : Je me souviens que lorsque nous avons entendu plus tôt les provinces du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, celles-ci pensaient pouvoir fournir 50 % du financement, mais toute cette question n’est toujours pas réglée?
Le sénateur Quinn : Je pense qu’elles sont toujours en négociations, mais je ne suis pas en mesure de le confirmer. Plus tard, lorsque les représentants des provinces seront ici, ils pourront faire des commentaires à ce sujet.
Le sénateur Cardozo : Merci.
Le sénateur Richards : Je vous remercie de votre exposé et de votre présence.
Je suppose que cette question est plutôt théorique parce que vous ne parlez pas de finances, mais j’aimerais demander à M. Skinner si nous ferions face, d’une manière ou d’une autre, au même problème que celui que nous avons rencontré avec l’île Campobello au cours des dernières années, en essayant d’obtenir de l’argent fédéral et provincial et une sorte de compétence afin d’avoir un traversier allant de Campobello à St. Stephen.
M. Skinner : Merci beaucoup de la question, sénateur Richards.
Pour le bénéfice des sénateurs qui ne viennent pas du Nouveau-Brunswick, l’île Campobello est située dans la baie de Fundy. Le problème, c’est qu’il y a un passage terrestre vers l’État du Maine. Mais il existe un service de traversier intra — à l’intérieur —, donc, intraprovincial. Ce service de traversier relève de la compétence provinciale. Si on utilise le pouvoir déclaratoire, le réseau de digues de l’isthme de Chignecto relèverait de la compétence fédérale.
Je suppose qu’une question complémentaire pour vous serait la suivante : le pouvoir déclaratoire pourrait-il être utilisé concernant l’île Campobello? Il pourrait l’être dans le concept d’un ouvrage, par exemple s’il y avait un pont vers l’île Deer, mais dans une entreprise comme un service de traversier, il ne pourrait pas être utilisé.
Le sénateur Richards : L’isthme de Chignecto et le service de traversier sont des pommes et des oranges. Ce sont deux problèmes différents avec deux solutions différentes.
M. Skinner : Encore une fois, c’est une question de compétence, mais le gouvernement fédéral est responsable du service de traversier interprovincial, entre deux provinces. Il existe toutefois un accord de financement discrétionnaire distinct pour les services de traversier intraprovinciaux en Colombie-Britannique. Ce serait une possibilité si le gouvernement, encore une fois, pouvait utiliser son propre pouvoir discrétionnaire, distinct de sa compétence, pour apporter son aide aux insulaires de Campobello. Cela pourrait être une piste de solution.
Le sénateur Quinn : Si vous me le permettez, sénateur, je dirais que ce pouvoir est dans l’intérêt général du Canada. Je pense qu’il y aurait tout un débat. Je connais ce traversier, comme vous le savez. Il serait discutable d’invoquer le pouvoir déclaratoire pour ce service de traversier.
Le sénateur Richards : Oui. Je suis tout à fait d’accord. J’ai simplement pensé que cela pourrait relever des mêmes paramètres. C’est tout. Je voulais des éclaircissements. Pauvre Campobello. On parle d’insurrection. Nous ne voulons pas de cela. Les gens ont un long trajet à parcourir pour se rendre au Nouveau-Brunswick et faire leurs courses. Ils doivent passer par le Maine. Merci beaucoup. Je me demandais simplement de quelle façon ils étaient reliés ou non en ce qui concerne la compétence.
La sénatrice Dasko : Merci, sénateur Quinn et monsieur Skinner, d’être ici.
Nous avons des documents de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, mais nous n’avons rien du gouvernement du Canada.
Le sénateur Quinn : M. Skinner apportera des précisions à ce sujet, mais au Sénat, le sénateur Cormier a soulevé l’interprétation juridique de quelques experts, Andrée Lajoie et Peter Hogg. Il a expliqué une partie de la justification. Poursuivant sur ce paragraphe, il a dit qu’il était préférable d’avoir l’accord des provinces directement touchées si le pouvoir déclaratoire devait être invoqué. Cet intérêt s’est désormais exprimé dans le cadre de leurs processus législatifs.
J’ai mentionné Terre-Neuve et l’Île-du-Prince-Édouard. Le premier ministre de Terre-Neuve voulait être ici ce soir, mais il est en Europe. J’étais en discussion avec les responsables pour les aider à comprendre ce que nous essayions de faire parce que cela touche l’Île-du-Prince-Édouard. Ils ont déclaré qu’ils appuieraient cette mesure, tout comme la province de Terre-Neuve.
La sénatrice Dasko : Oui, mais ma question concerne le gouvernement du Canada, dont le nom est invoqué ici dans le projet de loi. Je demande juste des éclaircissements. Quelle est sa position à ce sujet? Êtes-vous en train de dire que M. Hogg a une opinion négative?
M. Skinner : Pour aider à mettre ce pouvoir en contexte — oserais-je dire un pouvoir impressionnant et exceptionnel — et la façon dont nous envisageons le fédéralisme de nos jours, les gens ont peut-être entendu parler du pouvoir de report et du droit de révocation. Ceux-ci sont généralement considérés comme des pouvoirs qui sont tombés en désuétude. Le pouvoir déclaratoire ne l’est pas, car le projet de loi C-33, comme le comité l’entendra peut-être dire à un moment donné, l’invoque également.
Encore une fois, nous devons faire la distinction entre le pouvoir exécutif de la Couronne et le Parlement. C’est aux parlementaires de prendre la décision. Les tribunaux ont statué que cela relevait du Parlement, pas d’un ministre. Le pouvoir déclaratoire a été utilisé environ 500 fois. Il l’a souvent été dans le cadre d’un projet de loi privé. Pour l’exemple de 1886, il s’agissait d’un pouvoir déclaratoire utilisé pour donner compétence à une entreprise privée de construire une digue et un chemin de fer.
Le consentement provincial n’est pas exigé en vertu du texte de la Constitution à l’heure actuelle, mais il est important, car il attribue une compétence fédérale à des ouvrages qui seraient normalement de compétence provinciale. Il s’agit-là d’un pouvoir considérable que le Parlement du Canada peut exercer, et il devrait être utilisé dans des domaines exceptionnels, par exemple en matière de sûreté nucléaire; dans le cas des gens des provinces des Prairies, pour des céréales; ou pour les ponts et tunnels internationaux.
Pour revenir à l’Accord de Charlottetown, l’une des réformes constitutionnelles consistait à exiger le consentement des provinces. À l’heure actuelle, il n’existe aucune exigence constitutionnelle selon laquelle il faut obtenir le consentement des provinces concernées. Toutefois, dans le cas présent, les provinces sont convaincues que c’est dans l’intérêt national. Si l’Accord de Charlottetown avait été adopté... elles démontrent qu’elles consentiraient à cette compétence fédérale exclusive.
La sénatrice Dasko : Permettez-moi d’aborder différemment cela. Pardonnez-moi, je vois certains de mes collègues sourire. Je ne voulais pas le dire ainsi.
Je comprends qu’il y a là un énorme problème environnemental, un risque réel, mais qu’y a-t-il de mal à ce que l’on maintienne le statu quo? Vous avez dit que le gouvernement fédéral avait accepté de couvrir 50 % des coûts. S’agit-il de faire monter un peu les enchères pour obtenir plus de 50 %? Qu’est-ce qui n’allait pas, dans tout cela? Vous voulez que le gouvernement fédéral contribue davantage?
Le sénateur Quinn : Je pense qu’il y a une part de vérité dans ce que vous venez de dire. En fait, cela peut faire monter la barre, mais le Parlement tranchera au sujet du pouvoir déclaratoire — les chambres haute et basse prendront ces décisions — et le gouvernement décidera ensuite de la façon de procéder.
Faire en sorte que cela relève de la compétence fédérale augmente également les processus de consultation que j’ai mentionnés précédemment en ce qui concerne les Premières Nations. Vous allez entendre pendant nos travaux que les Premières Nations ont un intérêt direct dans cette région, plus particulièrement l’une d’elles, qui possède des terres là où se trouvaient des tours de transmission de la SRC, dans les marais de Tantramar. C’est l’une des raisons.
L’autre raison est que, pour les projets au niveau fédéral — je le sais, car j’ai travaillé au Port de Saint John —, les exigences environnementales sont plus rigoureuses. Les provinces participent, mais c’est le processus fédéral qui établit la tendance.
La sénatrice Dasko : Vous vous attendez à plus de progrès en matière d’environnement sous le nouveau...
Le sénateur Quinn : Dans le cadre des consultations et des questions environnementales.
La sénatrice Dasko : Dans le cadre de ce changement?
Le sénateur Quinn : Oui.
La sénatrice Dasko : Le statu quo ne résoudra tout simplement pas le problème? C’est bien cela?
Le sénateur Quinn : Je dois faire attention à la façon dont je réponds à cette question. Les provinces n’ont pas toutes les mêmes relations avec les Premières Nations. Faire du gouvernement fédéral le détenteur de ce pouvoir permettra de s’assurer que les processus de consultation obligatoire seront respectés avec rigueur.
La sénatrice Dasko : Merci. Aviez-vous une autre réponse, monsieur Skinner?
M. Skinner : En guise de réponse supplémentaire, afin d’ajouter un peu de contexte, je dirais que ce projet contribue grandement à assurer la coordination parce qu’il touche deux provinces. Si le gouvernement le souhaite, il a la possibilité de suivre l’exemple du pont Champlain, qui a été présenté à notre comité il y a 10 ans. Il s’agit d’un pont intraprovincial reliant uniquement l’île de Montréal et Brossard. Il s’agit d’un exemple où le gouvernement du Canada a choisi la politique d’exception parce qu’il n’était plus soumis à la perspective FPT traditionnelle.
Cette question concerne davantage les provinces, mais les dispositions actuelles en matière de financement posent un problème. Le Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes est sursollicité. Les projets d’envergure commencent à 20 millions de dollars. Par exemple, un autre projet qui a été financé par ce fonds n’est pas aussi ambitieux que celui de l’isthme. Il s’agit de l’amélioration des mesures d’atténuation pour les ponceaux de la route 11, au Nouveau-Brunswick, un projet qui a coûté 13,5 millions de dollars. Qu’est-ce que cela signifie, encore une fois, pour les gens qui n’habitent pas au Nouveau-Brunswick? Cela signifie que, même avec le dollar à 50 ¢, il ne reste que 80 millions de dollars dans l’enveloppe globale de financement et cela empêche d’autres projets qui le méritent d’obtenir un financement. L’ampleur de ce projet pour contextualiser, son coût est estimé à plus de 650 millions de dollars. Encore une fois, il vaut mieux laisser ces questions aux provinces.
La sénatrice Clement : Je vous remercie de votre présence.
Je voudrais poursuivre sur la lancée de la sénatrice Dasko, ou du moins où je suppose qu’elle allait. J’ai quelques questions sur la façon dont nous sommes arrivés ici. J’ai été mairesse de Cornwall. Je ne compare pas Cornwall à votre situation. Cornwall est une petite ville, mais nous avions les infrastructures à gérer. Certaines étaient locales, mais d’autres avaient des répercussions provinciales et fédérales puisqu’il s’agissait du fleuve Saint-Laurent et d’une usine de traitement des eaux usées. Il s’agissait non seulement d’une composante locale, mais aussi d’une question d’intendance touchant le fleuve Saint-Laurent et toutes les villes et villages situés le long du fleuve. Nous avons utilisé une approche politique fondée sur l’attraction et l’impulsion pour obtenir l’argent. Nous avons travaillé avec la province et le gouvernement fédéral. Cela a pris du temps, mais nous nous sommes entendus sur une formule de financement.
Que s’est-il passé ici? Comment en sommes-nous arrivés à ce que la seule option semble être de demander au gouvernement fédéral d’intervenir pour régler correctement les problèmes? Qu’est-ce que cela signifie pour les autres projets dans tout le pays, pas seulement dans l’Atlantique, mais ailleurs, là où les changements climatiques ont des effets dévastateurs? Sommes-nous en train de dire que le gouvernement fédéral devrait s’occuper de tout cela parce qu’il n’y a pas assez d’argent?
Il s’agit plutôt de savoir comment nous en sommes arrivés là et où cela va nous mener. Nous légiférons au sujet d’un cas plutôt que de négocier et d’apporter... Je m’intéresse aux municipalités, j’ai donc apprécié la tension qu’il y a lorsque les trois ordres de gouvernement se réunissent et se disputent en présentant leurs problèmes particuliers. Ici, c’est comme si nous abandonnions parce qu’il n’y a pas d’argent. Je comprends l’argument de M. Skinner selon lequel il y a deux provinces et donc, une complexité. Je ne veux pas dire que Cornwall est une bonne comparaison, mais c’est là où je veux en venir avec ma question.
Le sénateur Quinn : Merci de cette question. C’est aussi une bonne question.
Comment en sommes-nous arrivés là? Tout d’abord, je tiens à dire, et je dois sans cesse y revenir, que je m’attends à ce que ce soient nos collègues, et non pas nous, qui décident si cette question sera soumise à la Chambre basse. C’est toute notre équipe. Si c’est le cas, la Chambre basse tiendra ses audiences et ses débats, fera tout ce qu’il faut, et elle décidera si elle est d’accord. Si elle est d’accord, cela ira au gouvernement fédéral. Si le gouvernement fédéral décide d’aller de l’avant, je m’attends à ce qu’il y ait des négociations. Je pense qu’il s’agira d’une négociation plus ciblée.
Pourquoi sommes-nous ici? Parce que je suis un sénateur et que je fais partie du Sénat. Je connais bien la région. J’ai écouté les discussions et les échanges et — grâce au travail de ce comité —, j’ai pris conscience de la nécessité de nous attaquer au problème le plus tôt possible.
Je connais également un certain nombre de cas où ce pouvoir a été utilisé dans d’autres régions du pays. Pendant mon discours, j’ai dit que j’aimerais que le Canada atlantique, en tant que membre de la fédération, soit traité de manière équitable en ce qui concerne ces questions importantes.
Encore une fois, je tiens à souligner que cela n’enlève rien à ce qui pourrait se produire si les deux chambres se mettent d’accord et que le gouvernement fédéral passe ensuite à des négociations plus ciblées. Cependant, jusqu’à présent, j’ai remarqué que les négociations n’ont fait que des allers-retours. En tant que sénateur, j’ai décidé d’avoir recours à un projet de loi d’initiative parlementaire, qui, je crois, sert à cela, pour prendre une question régionale et la présenter au niveau national. C’est comme ça que nous sommes arrivés ici.
Soyez patients avec moi. Je viens de Saint John, au Nouveau-Brunswick. J’ai été le PDG du Port de Saint John, au Nouveau-Brunswick. Si j’étais au Port de Saint John et que je proposais cela, je n’y serais probablement plus demain. Cependant, je suis sénateur du Sénat du Canada et je dois englober dans ma vision l’ensemble du Canada, mais aussi ma région. Y a-t-il des enjeux dans ma région qui doivent recevoir une attention nationale? Comme je l’ai dit, j’ai 32 ans d’expérience dans la fonction publique. Les problèmes du Canada atlantique ont souvent été les derniers sur la scène nationale. C’est un fait. Je m’en suis servi en tant que sénateur parce que je crois que c’est l’une de mes responsabilités et de mes fonctions en tant que sénateur.
La sénatrice Clement : Merci. Je comprends. Autrement dit, les négociations ont échoué? Car maintenant, nous légiférons, potentiellement. Le gouvernement fédéral ou les gouvernements n’ont pas réussi à trouver de solution à cette question très urgente, et nous voilà ici. Nous n’avons pas planifié correctement. Nous n’avons pas planifié en tenant compte des changements climatiques. J’essaie de comprendre où nous avons échoué et ce qui a fait en sorte que nous devons maintenant simplement nous en remettre au gouvernement fédéral.
Le sénateur Quinn : Avec tout le respect que je vous dois, madame la sénatrice, je ne dirais pas que nous avons échoué. Je dirais que nous utilisons un mécanisme de notre Constitution pour attirer l’attention sur une question d’intérêt national. C’est dans l’intérêt du Canada. Je peux dire cela avec une certitude absolue parce que je connais très bien les échanges et le commerce et leurs liens avec les industries portuaires, ferroviaires et du transport routier du Canada. Je suis également très conscient des autres facteurs en jeu dans cette région qui seront touchés si les digues lâchent ou quand elles lâcheront et qu’il y a des inondations surviennent. Deux villes et les zones environnantes seront inondées. Nous perdrons beaucoup de terres agricoles, et les dommages seront incalculables et probablement irréparables. J’ai voulu que l’on accorde plus rapidement de l’attention à cette discussion. Je pense qu’il est erroné de dire qu’il y a eu un échec.
La sénatrice Clement : Je ne devrais pas utiliser le mot « échec », car cela suscite sans aucun doute une attitude défensive. C’est ma faute.
Quelles autres solutions a-t-on essayées avant d’en arriver là? C’est pour le moment une meilleure façon de le dire, car je comprends votre réponse.
M. Skinner : Vous soulevez une question intéressante, madame la sénatrice. Quelle est la solution?
J’attire votre attention sur le préambule du projet de loi. Il renvoie à la Loi sur l’utilisation des terrains marécageux des provinces maritimes. Ce qui est ironique ici, c’est que la propriété des digues d’aujourd’hui, où le dollar à 50 ¢ a entièrement été couvert par le gouvernement fédéral, qui en avait également la propriété, a été transférée aux deux provinces maritimes en 1970.
Quel est le défi? Je pense que c’est actuellement une décision politique. Si nous retenons le dollar à 50 ¢, tout doit respecter ce cadre. Nous disons que, ici, c’est quelque chose de différent. Encore une fois, vous avec admis que cela concerne deux provinces. Une grande partie des actifs se trouvera physiquement au Nouveau-Brunswick, mais c’est la Nouvelle-Écosse qui jouira de l’avantage, simplement en raison de la géographie. Historiquement, le gouvernement fédéral avait une solution de rechange. Encore une fois, il ne s’agit que d’un mécanisme qui n’oblige aucun financement, mais qui permet d’aller au-delà du dollar à 50 ¢ parce que cette question est très importante pour le Canada atlantique et, j’ose même dire, pour l’ensemble du Canada.
La sénatrice Clement : Merci à vous deux.
Le sénateur Quinn : Merci.
La sénatrice Robinson : Je vous remercie tous deux d’être venus nous parler de l’isthme de Chignecto.
Comme je l’ai dit plus tôt, je suis une sénatrice de l’Île-du-Prince-Édouard. L’agriculture est notre industrie la plus importante, et l’exportation de nos produits agricoles est essentielle. Nous voyons certainement passer beaucoup de conteneurs maritimes allant vers Halifax pour être exportés à partir de ce port. Je sais que beaucoup de personnes sont évacuées par ambulance jusqu’à Halifax. C’est certainement le plus grand hôpital régional, et il possède les plus grandes ressources, localement. Je pense au tourisme et à la valeur de la Nouvelle-Écosse pour le PIB, sur laquelle compte le Canada, et à ce qui se passerait si la Nouvelle-Écosse était coupée de nous ou si nous n’étions coupés d’elle, selon le point de vue.
Si nous regardons ce qui s’est passé en 2021 en Colombie-Britannique, dans la vallée du Fraser, la perte des terres agricoles à la suite des inondations, et vous l’avez dit que cela se passera de la même manière lorsque les digues céderont à Chignecto. Nous savons qu’il y a eu une contamination importante de l’eau. Nous avons parlé de l’environnement. Nous avons vu la perte des infrastructures routières, ferroviaires et des communications. Je peux y voir de nombreux parallèles.
Dans une vie antérieure, quand je travaillais à la Fédération canadienne de l’agriculture, j’ai bien entendu des producteurs de la région de la vallée du Fraser, en Colombie-Britannique, sonner l’alarme et essayer d’attirer l’attention du gouvernement fédéral et de leur gouvernement provincial, afin qu’ils investissent dans des mesures proactives, avant que cela n’arrive. Malheureusement, rien n’a été fait, et nous avons maintenant une facture de 9 milliards de dollars à régler, en plus du nettoyage et du rétablissement après l’inondation.
Avez-vous examiné ce qui s’est passé avec l’inondation en Colombie-Britannique? Avez-vous tiré des leçons de cela? Quelle mesure avez-vous appliquée, avec cette connaissance?
Le sénateur Quinn : Merci de vos questions, madame la sénatrice.
Nous avons justement discuté de cela, entre autres choses, durant le travail que nous avons fait précédemment sur les infrastructures essentielles et les changements climatiques. Cela a certainement mis en relief l’importance d’agir plutôt tôt que tard. Vous avez raison. Malheureusement, il semble qu’on a depuis toujours tendance à ne pas agir, même le problème est bien défini et bien connu. On attend, on attend, jusqu’à ce que l’événement se produise. Les coûts associés à l’événement sont encore plus grands que ce qui était prévu. C’est l’un des problèmes dont mes collègues ont parlé ce soir. Je pense que les parallèles sont valables.
Une chose que j’ai apprise en tant que sénateur pour cette partie du pays et en tant que sénateur s’intéressant au secteur des transports, c’est qu’il s’agit d’un domaine essentiel pour le bien-être économique de notre pays. Nous devons mettre davantage l’accent là-dessus afin que les négociations soient plus rigoureuses et plus ciblées et que des mesures puissent être prises.
Je pense que vous avez fait une bonne et juste observation.
Le sénateur Cuzner : Merci beaucoup de vos déclarations.
Les problèmes ne concernent pas seulement la Nouvelle-Écosse, qui est la principale bénéficiaire, mais aussi les producteurs du Québec, de l’Ontario et de l’Ouest, qui veulent acheminer leurs produits aux marchés de la Nouvelle-Écosse, de Terre-Neuve et, par le port d’Halifax, à l’étranger aussi. Cela va avoir des répercussions plus larges. Je comprends cela.
Pouvez-vous m’aider à comprendre le pouvoir déclaratoire? Quel est le déclencheur? Vous avez parlé de la fois où il a été utilisé en 1886. Avez-vous deux ou trois exemples plus récents, disons depuis l’époque des Backstreet Boys?
M. Skinner : Merci beaucoup, sénateur Cuzner.
Relativement au mécanisme du pouvoir déclaratoire, vous pouvez déclarer qu’un ouvrage sert l’intérêt général du Canada ou de deux provinces ou plus. Cela est prévu à l’alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867. La déclaration doit être inscrite dans une loi fédérale. Contrairement à une décision juridique, si l’on juge que le pouvoir déclaratoire n’est pas utile, il peut être abrogé, comme cela a été le cas dans l’exemple que j’ai donné à la sénatrice Miville-Dechêne. Le Parlement seul prend la décision.
Je vais y aller en commençant par la fin. Pour être tout à fait honnête, je ne me souviens pas de l’année où sont arrivés les Backstreet Boys.
Le sénateur Quinn : Vous n’étiez pas encore né.
M. Skinner : Vous êtes trop gentil.
Le pouvoir déclaratoire peut être utilisé pour tous les ponts et tunnels internationaux. Le pont Gordie Howe est un autre bon exemple, et aussi le pont Champlain. Normalement, le gouvernement du Canada assumerait 50 % des coûts, mais il assume la totalité des coûts pour le pont Gordie Howe, parce que ce pont est considéré comme ayant une très grande importance pour l’économie.
Un autre exemple, qui date d’avant les Backstreet Boys, est la loi qui a créé la Société de développement du Cap-Breton, la SDCB. On a utilisé le pouvoir déclaratoire parce que le gouvernement estimait qu’aider le Cap-Breton — je sais que vous êtes un Capbretonnais; comme nous en avons discuté, je suis moi aussi né au Cap-Breton — était important et que les préoccupations régionales devaient être prises en considération par le fédéral. Ce sont d’autres exemples.
Comme je l’ai dit, tout ce qui touche l’énergie nucléaire est aussi lié au pouvoir déclaratoire. Je crois que la Loi sur la capitale nationale invoque aussi le pouvoir déclaratoire. J’ai d’autres exemples, mais ce serait probablement mieux de les garder pour plus tard. Il y a aussi le projet de loi C-33, à venir.
Le sénateur Quinn : Le pouvoir déclaratoire dans le projet de loi C-33, qui est devant la Chambre basse présentement, vise les terminaux et les ports, considérés comme servant l’intérêt national.
Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, vous vous partagerez 10 minutes au deuxième tour.
La sénatrice Miville-Dechêne : À qui appartient la terre dont il est question ici, dans l’isthme de Chignecto?
M. Skinner : Vous demandez qui détient le titre, ou qui en prendrait possession si le pouvoir déclaratoire était utilisé?
La sénatrice Miville-Dechêne : Les deux.
M. Skinner : Les deux. C’est une bonne question.
Ce serait préférable de laisser cette question aux provinces. Je sais qu’il y a une étude de faisabilité, parce qu’il y a beaucoup de titulaires de droits et de détenteurs de titres, dont des Canadiens autochtones. Il est important de souligner que l’utilisation du pouvoir déclaratoire n’entraîne aucun transfert de propriété. De futurs Parlements pourraient décider qu’il en soit ainsi, mais c’est une question secondaire. Un bon exemple serait la province du Nouveau-Brunswick, où se trouve le plus grand nombre de ponts internationaux au Canada, mais...
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais vous arrêter, parce que je n’ai pas beaucoup de temps.
Ma dernière question fait suite à ce que demandait la sénatrice Clement. La répartition des coûts cause beaucoup de problèmes entre les gouvernements fédéral et provinciaux, par exemple en ce qui concerne les soins de santé et tout le reste, mais cela ne se retrouve pas dans un projet de loi d’initiative parlementaire; on trouve une solution en négociant. Je crois savoir que le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse négocient présentement avec le gouvernement fédéral. Les négociations s’étaient interrompues à un certain moment, mais elles ont repris. Je sais que c’est plutôt une question d’ordre philosophique, mais d’une certaine façon, on s’aventure en terrain politique. Je sais que ce n’est pas facile, et le Québec se plaint toujours de la répartition des coûts, mais notre rôle est-il de légiférer sur la différence entre les montants que nous allons payer pour cela?
Le sénateur Quinn : Merci de la question.
Encore une fois, le pouvoir déclaratoire a été utilisé à différents endroits au Canada, comme l’a expliqué M. Skinner avec certains exemples plus récents et actuels, concernant la loi qui est proposée. Mais le pouvoir déclaratoire a aussi été utilisé à d’autres endroits du Canada lorsque le gouvernement fédéral a jugé que cela était dans l’intérêt général du Canada. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de négociations. Dans le cas du pont Champlain à Montréal, le gouvernement fédéral a acquitté toute la facture. C’était juste, parce que le gouvernement fédéral a pris la décision après que le Parlement a invoqué le pouvoir déclaratoire. Le pont Gordie Howe — les deux côtés — a été payé par le gouvernement fédéral, parce qu’il avait pris une décision stratégique après que le pouvoir déclaratoire a été invoqué.
Ce bout de terre, qui relie la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, est tout aussi important et sert tout aussi bien l’intérêt national que les autres exemples dont j’ai parlé. Encore une fois, je veux faire valoir qu’il est nécessaire pour le Canada atlantique que cela soit vu, sur la scène nationale, comme servant l’intérêt national du Canada. Il y a environ 35 milliards de dollars de marchandises qui traversent la région chaque année.
Le sénateur Richards : Cela a pris tellement de temps, c’est de la pure négligence. Voilà ce que c’est. Je ne veux pas m’étendre sur le sujet, mais c’est généralement ce qui arrive dans les Maritimes. Cela arrivait quand j’étais petit, et cela arrive encore. Je mettrais ma main au feu que, s’il s’agissait d’un endroit plus avantageux, en Ontario ou au Québec, on s’en serait occupé bien mieux et il y a longtemps. J’aimerais vous féliciter d’avoir soulevé le sujet. À mon avis, c’est absolument essentiel pour le Canada, pas seulement pour les Maritimes, mais bien pour tout le Canada. Comme le sénateur Cuzner l’a dit, c’est aussi à l’avantage du Québec et de l’Ontario. Voilà ce que j’avais à dire.
M. Skinner : Si vous me le permettez, j’aimerais mettre mon chapeau d’avocat spécialisé en gestion des mesures d’urgence et proposer une piste de réflexion. Pour situer le contexte : nous parlons ici d’adaptation et d’atténuation, donc la première ligne, avant une catastrophe. C’est la règle du dollar à 50 cents. Nous parlons d’un fonds dans lequel il reste 800 millions de dollars, si je me souviens bien. Donc, à l’autre bout, celui des interventions et du rétablissement après une catastrophe, c’est là que le gouvernement fédéral, par l’intermédiaire de la Loi sur la gestion des urgences ou du programme d’aide fédérale en cas de catastrophe, intervient. Encore une fois, il y a un accord sur le partage des coûts, mais il y a aussi un financement par habitant. Une fois qu’un certain seuil est atteint — et j’ai fait des calculs rapides, ici —, il y a environ 20 ou 25 millions de dollars pour le Nouveau-Brunswick. Le gouvernement fédéral paye 90 % des coûts, jusqu’à une responsabilité illimitée, n’est-ce pas? Comme l’a dit le sénateur Quinn, et comme vous le diront les provinces, les conséquences du côté du rétablissement seront absolument catastrophiques, financièrement parlant. Le montant dont nous parlons, du côté de l’adaptation et de l’atténuation, pour les travaux préventifs, qui ont été faits en 1940 et payés à 100 %, sera beaucoup moins élevé que pour un rétablisssement après une catastrophe.
Le président : Sénateur Quinn, merci d’avoir répondu à toutes nos questions et d’avoir comparu devant le comité en tant que témoin, cette fois. Nous avons hâte que vous repreniez la place qui vous revient, à nos côtés. Monsieur Skinner, nous vous remercions également de vos lumières dans ce dossier.
Chers collègues, vous allons accueillir notre deuxième groupe de témoins. Nous avons le plaisir d’accueillir l’honorable Blaine Higgs, premier ministre du Nouveau-Brunswick, ainsi que l’honorable Kim Masland, ministre des Travaux publics du gouvernement de la Nouvelle-Écosse. Merci beaucoup d’être des nôtres. Nous allons commencer par la déclaration préliminaire du premier ministre Higgs, qui aura cinq minutes, puis ce sera au tour de la ministre Masland, et enfin mes collègues auront des questions à vous poser.
[Français]
L’honorable Blaine Higgs, premier ministre du Nouveau-Brunswick : Bonsoir, honorables sénateurs. En tant que premier ministre du Nouveau-Brunswick, je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à votre comité.
Vous assumez ainsi l’une de vos responsabilités constitutionnelles, en donnant une voix aux intérêts régionaux sur une question d’une importance vitale pour les Néo-Brunswickois et pour tous les Canadiens en raison de sa portée nationale.
[Traduction]
Les digues de l’isthme de Chignecto ont été construites dans l’intérêt général, et pas seulement dans l’intérêt des provinces maritimes; elles servent tout le Canada. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick croit donc fermement que, en vertu de la Constitution du Canada, le gouvernement fédéral doit assumer l’entière responsabilité de ces ouvrages, car les digues soutiennent un lien pour le commerce, le transport et les communications.
Le Nouveau-Brunswick demande au gouvernement du Canada d’accepter son point de vue, et travaille à cette fin sur deux approches. La première est l’approche législative, le projet de loi S-273 proposé par le sénateur Jim Quinn du Nouveau-Brunswick et dont nous discuterons aujourd’hui. La deuxième approche est d’ordre juridique, à titre de partie à l’affaire de la province de la Nouvelle-Écosse qui a été renvoyée à l’arbitrage. Cette affaire sera entendue par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, à une date qui reste à déterminer. Comme cette affaire est encore devant les tribunaux, je n’en dirai pas plus sur les questions qui seront examinées, sauf pour dire que l’objectif recherché dans cette affaire est le même dont nous discutons ici aujourd’hui : une déclaration du gouvernement fédéral assumant la responsabilité exclusive de l’entretien des liens économiques vitaux entre les provinces, y compris l’isthme de Chignecto.
En vertu du projet de loi S-273, le gouvernement du Canada utiliserait le pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867 et déclarerait que l’entretien de l’isthme de Chignecto est à l’avantage général du Canada; en d’autres mots, qu’il sert l’intérêt national et qu’il doit donc relever de la compétence du gouvernement du Canada.
Honorables sénateurs et sénatrices, je pourrais comprendre que certains d’entre vous se demandent s’il est justifié d’utiliser le pouvoir déclaratoire prévu dans le projet de loi S-273, compte tenu des répercussions perçues sur les droits des provinces. Honorables sénateurs et sénatrices, le Nouveau-Brunswick soutient l’utilisation du pouvoir déclaratoire prévu dans le projet de loi S-273.
Le risque pour l’isthme, en raison des tempêtes plus fréquentes et plus sévères ainsi que des changements climatiques, est d’une grande importance, non seulement pour le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, mais aussi pour la santé et le bien-être de nos concitoyens du Canada atlantique, de Terre-Neuve et de l’Île-du-Prince-Édouard.
Le système de digues, dont les premières ont été construites dès les années 1600, nous a permis d’utiliser les terrains marécageux, d’abord pour l’agriculture, et plus récemment pour le transport. Chaque jour, 1 million de dollars en marchandises traversent l’isthme dans les deux sens. En 2015, on estimait que le volume de marchandises transportées par la route et par train dans cette région représentait 35 milliards de dollars annuellement, et ce chiffre a sans doute considérablement augmenté au cours des 10 dernières années.
L’isthme de Chegnecto est le seul pont terrestre qui relie le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. La Transcanadienne traverse ce terrain marécageux, tout comme la ligne de chemin de fer du CN qui dessert la région. Il y a aussi dans cette région des relais de télécommunications et des infrastructures électriques qui relient nos deux provinces. L’isthme fait partie intégrante de nos échanges nationaux et internationaux.
Une série de digues protège ces 19 kilomètres de routes et de chemins de fer, en retenant la mer et en régulant les niveaux d’eau. Puisque les changements climatiques causent des tempêtes de plus en plus sévères, le risque d’une défaillance du système de digues augmente année après année. Nous travaillons avec la Nouvelle-Écosse pour atténuer cette menace. Nous avons élaboré conjointement un plan pluriannuel visant à améliorer et à sécuriser le système de digues, au coût global de 650 millions de dollars.
Nous croyons que le gouvernement du Canada devrait assumer le coût entier du projet, conformément à sa responsabilité constitutionnelle. Certains de nos collègues à Ottawa ne sont pas d’accord, mais nous cherchons un terrain d’entente. Certes, le principe constitutionnel est important, mais la protection de l’isthme et des gens et des biens qui circulent ne peut pas attendre. Nous allons de l’avant avec cet ouvrage, parce que cela doit être fait. Nous ne pouvons pas nous permettre, pour quelque raison que ce soit, de perdre ce lien crucial pour le transport et les télécommunications. Ce serait une catastrophe pour notre région et pour le pays. Je maintiens cependant que la responsabilité ultime de sécuriser l’isthme incombe au gouvernement du Canada, comme pour les routes et les chemins de fer qu’il a construits ces 150 dernières années pour relier tout le pays d’un océan à l’autre.
L’utilisation du pouvoir déclaratoire n’est pas sans précédent récent. Il y a une dizaine d’années, le Parlement a utilisé le pouvoir déclaratoire pour que le gouvernement fédéral assume l’entière responsabilité administrative et prenne la décision stratégique de construire et d’entretenir le pont Champlain sur le fleuve Saint-Laurent, à Montréal. Ce projet était entièrement situé dans la province de Québec. Dans l’intérêt de l’équité et du respect pour la région, je demande aux sénateurs et aux sénatrices de traiter de la même manière la demande des provinces atlantiques.
Honorables sénateurs et sénatrices, le Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes d’Infrastructure Canada ne convient pas à un projet d’importance nationale comme la protection de l’isthme de Chignecto. Ce fonds est déjà surutilisé: les autres provinces et territoires ont aussi des demandes et se font concurrence pour les 800 millions de dollars restants dans le fonds. Même avec un dollar à 50 cents, le coût total estimé de 650 millions de dollars pour le projet de l’isthme de Chignecto limitera l’accès de tous les gouvernements provinciaux et territoriaux aux restes des fonds. Le projet de l’isthme de Chignecto doit donc clairement être traité différemment.
Honorables sénateurs et sénatrices, voilà pourquoi je vous demande d’adopter ce projet de loi, pour déclarer que le projet de l’isthme de Chignecto sert l’intérêt national, et le soumettre à la Chambre des communes. Je crois qu’il s’agit d’un enjeu très pressant pour ma province et pour tout le Canada, et je vous demande de faire votre part pour veiller à ce que le gouvernement du Canada agisse dans l’intérêt supérieur du pays.
[Français]
Je vous remercie de votre attention. Je serai maintenant heureux de répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président : Merci, monsieur le premier ministre.
L’honorable Kim Masland, ministre des Travaux publics, gouvernement de la Nouvelle-Écosse : Bonsoir, honorables sénateurs et sénatrices. Merci de me donner l’occasion de vous parler ce soir de cet enjeu très important au nom du premier ministre Tim Houston et des Néo-Écossais.
L’isthme de Chignecto est un corridor de transport essentiel pour les gens et les biens qui se déplacent entre la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve-et-le-Labrador et le reste du Canada. Un réseau de digues et d’aboiteaux a été construit sur l’isthme à la fin des années 1600, et il protège aujourd’hui les collectivités, l’infrastructure, les terres privées et les ressources naturelles contre la hausse du niveau de la mer. Compte tenu de l’augmentation de la fréquence des tempêtes violentes et de la hausse du niveau de la mer dues aux changements climatiques, une brèche risque de se former dans le système de digues.
La Transcanadienne qui relie la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve au Nouveau-Brunswick et au reste du Canada emprunte le corridor de l’isthme de Chignecto. On y retrouve aussi la seule voie ferrée qui relie la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, et qui relie le port de Halifax au reste du Canada et aux marchés du Midwest américain. Des lignes électriques et de télécommunications parcourent aussi cette région. On estime que 100 millions de dollars de marchandises circulent sur l’isthme de Chignecto chaque jour et des milliards de dollars de marchandises chaque année.
La Nouvelle-Écosse est aussi un carrefour pour les services de santé et d’éducation postsecondaire pour les gens des provinces maritimes. Beaucoup de personnes se déplacent d’une province à l’autre tous les jours pour se rendre à des rendez-vous médicaux importants.
L’isthme n’est pas seulement important pour les gens qui veulent se rendre en Nouvelle-Écosse — il est aussi important pour ceux qui dépendent des biens produits dans la province ou qui traversent notre province en provenance d’ailleurs dans le monde. La protection de l’isthme de Chignecto devrait être une question d’intérêt national, puisque, si l’on ne pouvait plus y passer, cela aurait des répercussions majeures dans le reste du pays. Bien des gens ne réalisent sans doute pas à quel point ils dépendent des biens qui proviennent de la Nouvelle-Écosse ou qui la traversent.
Si les digues de l’isthme de Chignecto se rompaient, cela entraînerait de gros problèmes pour la chaîne d’approvisionnement partout au Canada. Un grand nombre de nos producteurs agricoles envoient leurs produits vers le reste du pays par ce corridor, aidant ainsi à nourrir les Canadiens et les Canadiennes. Les aliments pour le bétail, essentiels pour les éleveurs, surtout ceux des secteurs de la volaille, des produits laitiers et du bœuf, arrivent souvent de l’extérieur de notre province. Nos agriculteurs et nos collectivités comptent aussi sur l’isthme pour le transport de la nourriture transformée à l’extérieur de notre province. Les restaurants et les épiceries ne pourraient plus offrir du homard frais, des pétoncles et d’autres fruits de mer de la Nouvelle-Écosse qui sont devenus des produits favoris. On ne dira jamais assez que, sans l’isthme, la chaîne d’approvisionnement alimentaire aurait de gros problèmes. Les marchandises qui traversent la région nous permettent littéralement de mettre de la nourriture sur les tablettes et de nourrir les gens.
L’énorme quantité de voitures qui arrivent dans nos ports en provenance du monde entier ne pourraient pas être livrées aux concessionnaires automobiles. S’il n’était plus possible de faire du transport sur l’isthme, les produits de la foresterie que nous exportons, comme le papier et le bois d’œuvre, ne pourraient pas être livrés dans les autres régions du Canada. Les marchandises qui sont envoyées par conteneur dans nos ports, puis transportés par train partout au pays n’atteindraient pas leur destination. Cela comprend les fournitures essentielles dont des entreprises situées ailleurs dans le pays ont besoin pour leurs processus de production.
Les gens de l’Île-du-Prince-Édouard et de Terre-Neuve-et-Labrador se servent aussi de l’isthme de Chignecto pour accéder à des services de santé et faire le commerce de biens essentiels.
Sans ce corridor, des obstacles importants empêcheraient la circulation de ces biens et de beaucoup d’autres qui passent par l’isthme. Cela aurait des conséquences économiques énormes, non seulement pour la Nouvelle-Écosse, mais aussi pour de nombreuses autres régions du Canada. La question n’est pas seulement de s’assurer que la Nouvelle-Écosse demeure reliée au reste du Canada — il faut aussi s’assurer que le Canada reste relié à d’importantes routes commerciales de la Nouvelle-Écosse, du Canada atlantique et du reste du monde. C’est pour cette raison que je presse le gouvernement fédéral de protéger ce corridor commercial national. C’est un projet gigantesque, mais c’est dans l’intérêt de tous les Canadiens, et nous devons agir rapidement.
Notre gouvernement et le gouvernement du Nouveau-Brunswick ont fait clairement connaître leur position à cet égard. Nos deux Chambres d’assemblée soutiennent cette position, et, le 17 mars, la Chambre d’assemblée de la Nouvelle-Écosse a adopté à l’unanimité une résolution pressant le Parlement du Canada à adopter le projet de loi S-273.
Nous croyons que le gouvernement fédéral devrait payer pour ce projet puisqu’il s’agit d’un corridor commercial national; si le corridor de l’isthme ne pouvait plus servir, cela aurait des conséquences majeures pour le Canada tout entier. Nous sommes prêts à travailler avec le gouvernement fédéral et avec nos homologues provinciaux pour faire avancer ce projet et protéger cette route essentielle.
Les changements climatiques se font de plus en plus ressentir en Nouvelle-Écosse, et les tempêtes sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus puissantes. Nous devons agir maintenant pour nous assurer que nos routes commerciales demeurent ouvertes et que les gens puissent continuer d’accéder aux services médicaux et aux autres services dont ils ont besoin et pour que les Canadiens puissent voyager dans les provinces maritimes. Vous devez adopter ce projet de loi.
Merci de votre temps, et merci au sénateur Quinn d’avoir présenté ce projet de loi très important.
Le sénateur Quinn : Merci d’être présents ce soir.
Vous avez sans doute entendu ce qui s’est dit plus tôt pendant la séance de ce soir. J’aimerais que vous nous parliez tous les deux de l’état des négociations qui ont eu lieu jusqu’à présent; j’aimerais savoir où elles en sont aujourd’hui, juste pour mieux comprendre ce qui se passe. Madame la ministre, vous pouvez commencer, puis, ce sera au tour du premier ministre, M. Higgs.
Mme Masland : Certainement.
Les négociations entre les provinces et le gouvernement fédéral se poursuivent. Nous savons que le gouvernement fédéral est revenu en proposant d’appliquer, par l’intermédiaire du FAAC, la règle du dollar à 50 cents. Nous l’avons fait, mais nous savons aussi qu’il y a trop de demandes. Nous avons déposé 15 autres demandes, donc, malheureusement, notre province finit par devoir choisir quels projets importants elle doit prioriser.
Nous croyons que le gouvernement fédéral est et devrait être à 100 % responsable de l’isthme. C’est une question d’intérêt national, et nous demandons bien entendu d’être traités de la même façon et avec autant de respect que par le passé.
Le sénateur Quinn : Merci. Monsieur le premier ministre, allez-y.
M. Higgs : Merci, monsieur le sénateur.
Nous avons déposé une demande il y a environ un an, au mois de juillet. Depuis, nous faisons un suivi tous les mois, mais les choses n’ont pas tellement avancé. Nous n’avons pas vraiment réglé quoi que ce soit. Nous avons déposé une offre sans préjudice pour lancer le projet, évidemment. La demande que nous avons présentée au gouvernement fédéral était fondée sur une stratégie de négociation dont l’objectif était de passer par les différents niveaux de financement et de ne pas mettre en péril, comme l’a expliqué la ministre, le financement d’autres projets environnementaux qui seraient accordés comme il se doit à différentes provinces.
Le gouvernement fédéral avait en fait demandé que la dernière réunion se tienne le 6 mai, et elle a été retardée à sa demande. Nous sommes dans une sorte d’impasse présentement et je ne sais pas si nous sommes disposés à attendre que les choses se règlent au Sénat. Régler la question ici serait déjà un bon pas dans la bonne direction et il faudrait évidemment que la décision respecte l’importance de ces échanges entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, mais qui permettent aussi de nourrir le reste du Canada grâce à la côte Est.
C’est réellement pertinent. C’est important que ce soit fait rapidement. Nous avons pris l’initiative d’aller de l’avant avec le projet parce que nous croyons que c’est important et que nous jugeons pressant : nous ne voulons pas être pris au dépourvu, comme cela a été souligné plus tôt, devant une catastrophe à laquelle nous devrons réagir après le fait. Nous croyons que c’est nécessaire et qu’il est prudent d’aller de l’avant avec ce projet.
Nos équipes de conception travaillent pour trouver la meilleure approche. Présentement, on envisage trois options possibles, mais ce serait bien de pouvoir mettre ça derrière nous. Il conviendrait de reconnaître qu’il s’agit d’un projet d’intérêt national, ce qui est clairement le cas. Il est évident que l’on parle d’un corridor clé qui relie les provinces et, comme nous l’avons dit, qui permet au reste du pays de se nourrir et qui offre également un point d’exportation majeur.
Le sénateur Quinn : Merci, monsieur le premier ministre.
En ce qui concerne le pouvoir déclaratoire dont nous avons parlé en lien avec l’article 92 de la Constitution, croyez-vous que le pouvoir déclaratoire et l’examen par le Parlement font partie des responsabilités du Sénat et de la Chambre des communes, qui doivent alors offrir au gouvernement la possibilité de prendre la décision stratégique qui est convenable selon lui à ce moment-là? Ma question s’adresse aux deux témoins.
Mme Masland : Certainement, à 100 %. Nous avons besoin de vous. Je ne sais pas s’il y en a beaucoup parmi vous qui ont traversé l’isthme en voiture, mais je vous inviterais à venir nous voir. Il me ferait plaisir de vous accueillir. Lorsque vous arrivez sur l’isthme, vous savez que vous y êtes. Vous pouvez sentir la descente lorsque vous la traversez. Nous avons besoin de votre appui. Nous sonnons l’alarme. La question n’est pas si; la question est plutôt quand. Quelque chose va arriver. Je ne peux tout simplement pas vous dire à quel point nous avons besoin de vous, et nous soutenons totalement le pouvoir déclaratoire.
M. Higgs : Je serais tout à fait d’accord avec la ministre. Je suis en fait très surpris que cela soit même devenu un débat national, qu’il faille examiner le dossier et imposer le pouvoir déclaratoire qu’ont les sénateurs afin de faire comprendre à la Chambre des communes qu’il s’agit d’une question constitutionnelle. Cela semble tellement évident. Les provinces et le Canada ne peuvent pas nier l’importance de cet isthme pour eux, même si l’on remonte dans le temps à l’époque où la côte Est était un endroit si stratégique pour la fourniture des biens et des services au reste du Canada, ainsi que ce débouché, surtout par nos ports.
Nous en avons besoin, c’est évident. Cette entité doit prendre une décision afin d’attirer l’attention sur le problème et pour que le gouvernement fédéral adopte l’approche qui s’impose pour répondre aux besoins de cette infrastructure essentielle, qui joue un rôle constitutionnel fondamental en assurant que nos provinces restent connectées et que nous affichons notre unité nationale d’un océan à l’autre.
Le sénateur Quinn : Merci.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais revenir sur cette question du pouvoir déclaratoire. Je comprends, d’après le témoignage du sénateur Quinn lui-même et d’autres experts que j’ai consultés, que même si le projet de loi C-273 est adopté, rien n’oblige le gouvernement fédéral à être plus généreux monétairement. Si je comprends bien, en ce moment, le gouvernement fédéral a promis de payer 50 % du travail. Donc, pourquoi avez-vous espoir en ce projet de loi, même si vous n’avez pas de certitude quant à une somme plus élevée qui serait assumée par le gouvernement fédéral?
[Traduction]
M. Higgs : Eh bien, il est certain que, à cet égard, le gouvernement fédéral a jugé qu’il s’agissait d’un modèle relevant du fonds de secours aux victimes de catastrophes, et qu’il y aurait une contribution égale des deux parties. Il ne croyait pas qu’il s’agissait d’une exigence constitutionnelle. C’est la raison même pour laquelle nous sommes ici et c’est pourquoi je suis très confiant de ce qui en ressortira, dans le sens où il est très difficile d’affirmer que ce n’est pas une infrastructure stratégique nécessaire pour notre pays.
Je remercie le sénateur Quinn d’avoir présenté ce projet de loi, et je vous remercie tous également d’en débattre comme s’il s’agissait d’une question d’unité et d’importance nationales, et non pas en fonction de qui finira par financer le projet. Sinon, il est impossible de dire quelle exigence fondamentale le gouvernement fédéral doit respecter pour s’assurer que nous avons des corridors commerciaux stratégiques partout au pays. Je pense que c’est ce que nous disons ici aujourd’hui, et je pense que c’est ce qui a été soutenu précédemment. Oui, cela ne dit pas quel sera le niveau de financement, mais cela montre l’importance de cette infrastructure pour le Canada. C’est important pour le Canada atlantique. Nous parlons ce soir au nom des quatre provinces du Canada atlantique, mais, ce qu’il faut retenir, c’est que nous sommes tous d’accord pour dire que nous sommes une région stratégique d’intérêt national. Nous estimons faire plus que notre part, et nous voulons que cela soit reconnu. Pour nous, il s’agit d’un lien important, non seulement pour le Canada atlantique, mais aussi pour toute notre nation. C’est la question que je vous soumet, en tant que sénateurs et sénatrices, ce soir. Je crois qu’il faut régler ce problème d’abord. Si nous nous entendons là-dessus, nous pourrons alors négocier avec le gouvernement fédéral pour trouver le modèle de financement le plus approprié.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci pour cette réponse. Je comprends très bien l’importance de l’enjeu pour le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, croyez-moi.
Vous êtes sans doute conscient que les projets de loi d’initiative parlementaire ne sont pas prioritaires au Parlement, c’est-à-dire qu’il n’est pas rare que ces projets de loi prennent un an, sinon deux avant d’être adoptés. Dans mon cas, cela a déjà pris trois ans. Il y a quand même un certain délai. Entre-temps, sur quoi comptez-vous pour vous venir en aide? Est-ce que les tribunaux vont vous permettre d’obtenir l’argent nécessaire? Allez-vous essayer de relancer les négociations?
[Traduction]
M. Higgs : Eh bien, tout d’abord, la question de savoir si nous nous retrouverons devant les tribunaux dépend de l’issue des négociations et de la réunion d’aujourd’hui. Il était essentiel pour nous de travailler ensemble avec nos collègues de la Nouvelle-Écosse pour concevoir un programme, comprendre quelles infrastructures étaient nécessaires, quelles modifications et améliorations il faut apporter et aller de l’avant, ne pas attendre une décision. C’est pour cette raison que nous avons commencé. C’est pour cette raison que nous continuons.
Vous dites qu’un projet de loi d’initiative parlementaire peut prendre de deux à trois ans, oui, c’est inquiétant, mais nous ne pouvons pas nous permettre de retarder le projet. Nous devons continuer de trouver des solutions aux problèmes qui nous ont pris de court, ici, il y a environ un an, c’est-à-dire de violentes pluies et des niveaux de la mer très élevés. Nous sommes très préoccupés par cela et nous ne voulons pas attendre que le problème se présente pour le régler. Nous voulons travailler avant cela. Même si cela peut prendre deux ou trois ans, cette importante décision et le soutien de la Chambre nous seraient précieux en nous permettant d’entamer des négociations et d’avoir des discussions sérieuses sur le bon modèle de financement.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Cardozo : Bienvenue au premier ministre Higgs et à la ministre Masland. Merci beaucoup de vous être joints à nous et merci au sénateur Quinn d’avoir présenté ce projet de loi.
Je suis d’accord pour dire que nous avons un vrai problème ici et que nous devons le régler. Madame la ministre Masland, vous avez parlé en long et en large des échanges commerciaux, qui profitent aux habitants de vos provinces, mais aussi au reste du pays. Je dirais que cela va même plus loin que le simple désir d’avoir du homard de votre province; nous voulons exporter des biens et en importer de partout dans le monde en passant par votre province. L’isthme de Chignecto est très important pour les gens de partout.
Un enjeu que je mentionne à bien des gens qui comparaissent devant nous et qui nous parlent de différentes choses, c’est qu’il n’y a pour ainsi dire aucun secteur qui estime que le gouvernement fédéral lui verse suffisamment d’argent. Je présume que vous faites face au même dilemme lorsque les gens s’adressent à votre province. Personne ne vient vous dire : « Ne nous versez pas plus de fonds. Vous nous financez suffisamment. » Tout le monde croit que le gouvernement fédéral les sous-finance terriblement, que l’on parle des dépenses pour la Défense — vous savez que le ministre de la Défense nationale a annoncé que son nouveau programme n’atteignait pas la cible de 2 %, et il y a eu beaucoup de critiques à ce sujet — ou pour le logement, ou encore au financement pour l’autisme ou les services de santé. Comment pouvons-nous expliquer que votre enjeu est aussi important que tout le reste?
Ce que j’aimerais aussi vous signaler, c’est que nous avons reçu des représentants de vos deux provinces il y a quelques mois, et ils disaient que les deux provinces devraient verser 50 % de la somme nécessaire et que le gouvernement fédéral devrait verser l’autre 50 % de cette somme. C’est toujours votre position?
M. Higgs : Merci, sénateur.
Je ne crois certainement pas que notre position a changé; il fallait aller de l’avant, et un engagement financier de 50 % était mieux que rien. Étant donné que, en tant que provinces, nous avons été laissés à nous-mêmes, cela n’allait pas être un projet que nous pourrions facilement gérer, au contraire, et il fallait donc commencer au moins par comprendre les bases.
Je comprends ce que vous dites, et oui, nous en voulons toujours plus. Je dirais ceci : nous croyons que de nombreuses dépenses fédérales destinées aux provinces ne sont pas des dépenses prioritaires pour les provinces. Si on nous donnait vraiment la possibilité de déterminer à quoi nous voulons consacrer les dépenses que nous jugeons nécessaires, ce serait très bien. Établissons l’ordre des priorités et laissons les choses évoluer jusqu’à ce que nous trouvions un projet auquel nous jugeons nécessaire d’accorder la priorité. Mais, souvent, les projets mis en œuvre dans notre province ne sont pas la priorité de l’heure, mais sont considérés comme une priorité par le gouvernement fédéral. Même si certains diront que personne ne pense avoir suffisamment d’argent, je pense en fait que le gouvernement fédéral dépense beaucoup trop et qu’il ne suit pas l’ordre des priorités des provinces.
Le sénateur Cardozo : Madame la ministre Masland?
Mme Masland : Certainement. Merci beaucoup de poser la question.
Absolument. Nous savons, en tant que ministres, qu’il est toujours difficile de trouver suffisamment d’argent pour financer ce qui doit être financé.
Ce que je dirais, c’est qu’il s’agit d’un projet important. C’est un grand projet qui est coûteux et dont la réalisation prendra 10 ans. Nous ne pouvons plus attendre. Nous sonnons maintenant l’alarme. Notre position n’a pas changé. Nous croyons toujours que le gouvernement fédéral devrait en être responsable. Il s’agit d’un projet d’intérêt national. Mais nous avons fait ce que les représentants fédéraux nous ont demandé de faire et nous avons présenté une demande. Une fois de plus, vous avez entendu le témoignage de mon collègue, le premier ministre Higgs, un peu plus tôt. Nous avons présenté cette demande en juillet dernier. Nous n’avons toujours pas reçu de réponse à ce sujet.
C’est un projet qui exigeait notre intervention. Nous devions commencer à faire quelque chose parce que nous ne pouvons pas attendre. Comme je l’ai dit plus tôt, il ne s’agit pas de savoir si, mais quand quelque chose se produira. Les coûts de réparation après le fait seront incalculables. Ne parlons même pas de la perte de la collectivité, de la possibilité de pertes de vie. Je peux vous dire que les gens qui vivent dans la région ont peur. Ils retiennent leur souffle à chaque tempête.
Notre position n’a pas changé. Nous croyons que le gouvernement fédéral est entièrement responsable, mais, bien sûr, nous avons fait ce que le gouvernement fédéral nous a demandé de faire. Nous avons présenté une demande. Mais nous ne pouvions pas attendre, nous ne pouvons pas attendre indéfiniment.
Le sénateur Cardozo : Je veux être sûr de bien comprendre; vous demandez un financement à 100 % ou à 50 %? Que vous offrait le processus de demande?
Mme Masland : Nous croyons que le gouvernement fédéral devrait être entièrement responsable du coût du projet, qui s’élève à environ 690 millions de dollars. Nous avons demandé le dollar à 50 cents par l’intermédiaire du FAAC, mais nous savons que le FAAC reçoit trop de demandes par rapport à la capacité de son enveloppe. Cela nous place vraiment, nous et d’autres provinces, dans une situation où nous attendons les fonds. Il ne reste que, quoi, 800 millions de dollars dans l’enveloppe. Bien sûr, nous croyons toujours que le gouvernement fédéral devrait assumer 100 % des coûts, mais nous avons fait ce qu’il nous a demandé de faire, et avons demandé le dollar à 50 cents, par l’intermédiaire du FAAC.
Le sénateur Cardozo : J’ai fait quelques fois le tour de la région en voiture au fil des ans. Je devrais y retourner, ceci dit. Il y a bien longtemps que je n’y suis pas allé.
Je présume que vous avez parlé aux députés de vos provinces?
Mme Masland : Oui, en effet.
Le sénateur Cardozo : Recevez-vous des commentaires positifs de leur part?
Mme Masland : Non. Je n’ai reçu aucun commentaire positif. Il semble que nous soyons dans une impasse.
Je reprends ce que le premier ministre Higgs a dit plus tôt. Nous avons fait notre demande. Nous n’avons reçu aucune réponse. Nous avons dû prendre ce projet en main. Nous avons effectué l’étude de faisabilité. Nous sommes allés de l’avant en déterminant les mesures et les approches à adopter pour le projet, mais nous croyons que le gouvernement fédéral doit y participer. Pour ce qui est des autorisations environnementales, des consultations auprès des Premières Nations et auprès d’archéologues qui seront nécessaires et de Pêches et Océans Canada, tous les permis à obtenir relèvent de la compétence fédérale. Je crois sincèrement que le projet doit être financé et géré par le gouvernement fédéral.
Le sénateur Cardozo : Merci à vous deux de vous être joints à nous aujourd’hui.
Le sénateur Richards : Merci de votre présence.
Madame la ministre, j’ai traversé très souvent l’isthme de Chignecto, parfois en voiture, parfois en motocyclette. Cet endroit est d’une beauté stupéfiante. Il inspire et nourrit l’imagination des écrivains, des poètes et des peintres depuis cinq générations, de Charles G.D. Roberts à Alex Colville en passant par tous les autres. C’est presque un crime d’envisager de le négliger.
Monsieur le premier ministre Higgs, si l’on s’entend sur le financement et sur la conception, combien de temps cela prendrait-il avant que les travaux commencent et que le projet soit achevé? Ce serait une entreprise de très grande envergure, n’est-ce pas, monsieur?
M. Higgs : En effet, sénateur, ce le serait. Le projet s’étalerait probablement sur 10 ans. Comme la ministre le souligne, après la période des consultations et la phase de conception, lesquelles prendraient probablement de deux à trois ans, les travaux sur le terrain dureraient de trois ans à sept ans au moins. Cela dépend évidemment du nombre d’éléments différents que l’on peut construire en même temps. Bien entendu, certains diront que nous pouvons unir nos efforts et trouver un terrain d’entente. Bien des travaux peuvent être accélérés, mais tout cela coûte beaucoup d’argent.
Comme l’a souligné la ministre, nous avons jugé nécessaire d’entamer le processus et d’accepter ce qui nous était alors offert, sans préjudice — la lettre était très claire —, du Fonds d’atténuation en matière de catastrophes pour faire avancer le projet, parce que le temps pressait.
Le sénateur Richards : Rien ne garantit que, durant la construction et la reconstruction du réseau de digues de Chignecto, il n’y aura aucune catastrophe majeure. Bon, le temps presse, n’est-ce pas, monsieur?
M. Higgs : Absolument. Le temps presse.
Le sénateur Richards : Merci beaucoup.
La sénatrice Dasko : Merci à nos témoins d’aujourd’hui. Vous avez apporté beaucoup de clarté, du moins, à mon sens. Je comprends maintenant tout à fait qu’il est question d’argent, et c’est compréhensible compte tenu des coûts et ainsi de suite.
Ma question concerne votre renvoi à la Cour suprême du Canada. D’abord, j’aimerais préciser quelque chose. Est-il question des deux provinces? Madame la ministre Masland, votre gouvernement est-il partie au renvoi à la Cour suprême?
Mme Masland : Oui.
La sénatrice Dasko : Quelle est la raison de ce renvoi? Quel est le but de ce renvoi, s’il vous plaît?
Mme Masland : Je dirais, sénatrice, que nous croyons que l’isthme de Chignecto est un important corridor national et que la protection de ce corridor ne sert pas seulement à la protection de la Nouvelle-Écosse et de ses intérêts. Il s’agit de protéger un corridor dont dépendent les Canadiens pour recevoir les biens dont ils ont besoin.
La sénatrice Dasko : Le but est le même que pour cette initiative, le projet de loi que nous examinons, c’est-à-dire que nous espérons que la cour rendra un jugement qui sera très similaire à ce qui est demandé dans le projet de loi, n’est-ce pas?
Mme Masland : C’est exact.
La sénatrice Dasko : Quand avez-vous entamé le processus de renvoi?
Mme Masland : C’était en juillet 2023.
La sénatrice Dasko : En juillet de l’an dernier. En gros, vous devez donc courir deux lièvres à la fois. Voyez-vous les choses ainsi?
Mme Masland : Tout à fait.
La sénatrice Dasko : Vous vous occupez du projet de loi, du renvoi, et vous cherchez à obtenir du financement pour l’initiative.
Mme Masland : C’est exact.
La sénatrice Dasko : Avez-vous une idée du moment où vous allez recevoir une réponse de la cour au sujet du renvoi?
Mme Masland : Non, je n’ai aucune idée.
La sénatrice Dasko : Avez-vous déjà comparu devant la cour pour témoigner?
Mme Masland : Je n’ai pas personnellement comparu, non. Les comparutions se tiennent au sein de notre ministère de la Justice. Je ne crois pas que les représentants ont déjà comparu.
La sénatrice Dasko : Merci beaucoup.
La sénatrice Clement : Bienvenue aux deux témoins. Merci des carrières que vous menez et des postes d’élus que vous occupez. La politique électorale n’a jamais été facile — vous hochez tous deux la tête —, mais c’est de plus en plus difficile. Je tiens à vous remercier d’être ici et d’assumer ces responsabilités.
Vous avez tous présenté de bons arguments. Le sénateur Quinn également. En tant que comité, nous avons examiné l’isthme dans le cadre de notre étude sur les infrastructures et nous comprenons à quel point la situation est impérieuse et urgente.
Il est question ici de trouver un modèle de financement qui fonctionnera. Si le gouvernement fédéral prend le projet en charge et que tout se déroule comme prévu, cela veut dire que le gouvernement fédéral prendra le contrôle et assumera les coûts. Quelle est votre opinion à ce sujet? Croyez-vous que vous resterez en mesure d’assurer les communications avec les municipalités et les provinces? Madame la ministre, vous en avez parlé. Cela peut-il encore être intégré au processus si le gouvernement fédéral prend le projet en charge? Selon mon expérience, les représentants fédéraux ne sont pas toujours doués pour communiquer avec les provinces et les municipalités.
Mme Masland : Merci, sénatrice.
J’ai travaillé en politique fédérale. J’ai travaillé durant 18 ans pour un député fédéral, et j’ai donc une certaine expérience au fédéral. On remet souvent en question ce que le gouvernement fédéral tente de... Je ne dirais pas qu’il « interfère », mais il prend en charge des projets dans la province et devient un peu territorial.
Pour ce qui est du projet qui nous intéresse, je crois sincèrement que nous pouvons y travailler tous ensemble. Je dis cela parce que je sais à quel point ce projet est important pour la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve et l’ensemble de notre pays. Je sais à quel point il est important pour leurs municipalités. Mon personnel y est allé et les a rencontrés. Lorsque je vous dis que les gens qui vivent dans ces collectivités ont peur, ils ont peur et retiennent leur souffle à chaque tempête, car chaque tempête est encore plus puissante que la précédente. C’est ce qui se passe. J’ai parlé aux gens. Je crois que nous sonnons tous l’alarme haut et fort. Nous avons besoin de votre aide. Nous avons besoin de l’aide du gouvernement fédéral. Je crois que nous pouvons faire avancer ce projet ensemble pour les bonnes raisons.
M. Higgs : Je partage l’avis de la ministre, dans le sens où ce projet est tout à fait essentiel pour la connectivité de notre province et pour les gens qui font face à ce problème là-bas, sur les lieux. Je suis tout à fait enthousiaste à l’idée qu’une entente fédérale-provinciale soit conclue pour faire avancer ce projet le plus rapidement possible. Comme je l’ai dit, nous avons entamé le processus et une bonne partie du travail de conception, qui seront bien avancés, afin de pouvoir présenter les meilleures options à partir de là. Nous ne serons pas à la case départ. Je crois que d’importants efforts de coopération seront consacrés à un projet prioritaire, qui est important pour la région et pour nos provinces respectives et, nous voudrions le croire, qui est très important pour le gouvernement fédéral également.
La sénatrice Clement : Merci.
Le sénateur Quinn : Merci des réponses que vous avez données à d’excellentes questions.
J’aimerais revenir un peu sur la question du pouvoir déclaratoire. L’invocation du pouvoir déclaratoire, une fois de plus, avec l’accord de la Chambre des communes et du Sénat, met le gouvernement en position de prendre des décisions stratégiques sur les prochaines étapes à suivre. Nous vous avons entendu dire que vous aimeriez que les coûts soient assumés à 100 %. Ce pourrait être le cas, mais, si le Parlement décide d’invoquer cette disposition, croyez-vous que cela apportera une plus grande souplesse aux négociations sur les coûts, si les coûts étaient partagés? Cela apporterait-il une plus grande souplesse, car le FAAC applique la règle du dollar à 50 cents et que c’est la politique du gouvernement à l’heure actuelle? Cela ne permet-il pas aux décideurs de contourner une politique existante sur le financement des infrastructures? Une fois de plus, cela n’apporterait-il pas une plus grande flexibilité au processus de négociation?
M. Higgs : Oui. Absolument. Ce serait le cas, sans aucun doute. Faire adopter et accepter ce projet de loi par le Sénat nous permettrait, en effet, de mieux négocier et d’avancer rapidement. D’une certaine manière, il semble que le projet soit un peu... Je ne dirais pas qu’il est au point mort, mais les négociations sont au point mort, probablement, en quelque sorte, alors que nous attendons de savoir ce que sera le ton général, même si une décision tarde encore un peu à être prise. Il ne fait aucun doute que cela nous permettra de tenir des négociations plus sérieuses avec le gouvernement fédéral, étant donné que l’on a décidé qu’il s’agissait, en effet, d’une obligation constitutionnelle et que c’est pourquoi un tel projet de loi déclaratoire doit être adopté.
Mme Masland : Je suis certainement d’accord avec ce que le premier ministre a dit. Bien sûr, cela nous donnera une plus grande souplesse. Les gens veulent du leadership. Ils voient que le Nouveau-Brunswick fait preuve de leadership. Ils voient que la Nouvelle-Écosse fait preuve de leadership dans ce dossier. Nous avons également vraiment besoin du leadership — et les gens veulent voir qu’il y a un leadership — du gouvernement fédéral.
Le sénateur Quinn : Merci.
Le président : Merci beaucoup, madame la ministre et monsieur le premier ministre, de vous être joints à nous et de nous avoir fait part de vos points de vue sur cette question importante.
Chers collègues, merci de votre présence ce soir.
(La séance est levée.)