LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 8 mai 2024
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 47 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-273, Loi déclarant le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes comme étant des ouvrages à l’avantage général du Canada.
Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonsoir à tous. Ce soir, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-273, Loi déclarant le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes comme étant des ouvrages à l’avantage général du Canada. Je suis le sénateur Leo Housakos, du Québec, et je demanderais à mes collègues de se présenter brièvement.
La sénatrice Simons : Je suis la sénatrice Paula Simons, de l’Alberta, et je viens du territoire visé par le Traité no 6.
Le sénateur Cuzner : Rodger Cuzner, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
[Traduction]
La sénatrice Robinson : Mary Robinson, de l’Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Je m’appelle Donna Dasko et je viens de l’Ontario.
Le président : Pour notre premier groupe de témoins de ce soir, j’ai le plaisir d’accueillir des représentants d’Infrastructure Canada, à savoir Annie Geoffroy, directrice générale, Opérations de programmes et de l’engagement régional, Direction générale des programmes des collectivités et des infrastructures, Shawn Hibbard, directeur général, Ponts majeurs et projets, Investissement, partenariats et innovation, et Me Rachel Heft, avocate.
Je suis également heureux d’accueillir des représentants de Services publics et Approvisionnement Canada, soit Stefan Dery, directeur général, Gestion des biens d’infrastructure, et Me Mani Taheri, conseiller juridique, qui se joindra à nous par vidéoconférence. Bienvenue à nos invités et à nos témoins.
Nos amis d’Infrastructure Canada ne feront pas de déclaration préliminaire ce soir, alors nous allons passer directement aux questions et réponses, en commençant par la vice-présidente, la sénatrice Miville-Dechêne.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation. J’imagine que vous avez pris connaissance du projet de loi dont nous discutons. Qu’en pensez-vous?
Ce projet de loi est-il nécessaire pour que le gouvernement fédéral fasse sa juste part dans les travaux de réfection de l’isthme de Chignecto?
Annie Geoffroy, directrice générale, Opérations de programmes et de l’engagement régional, Direction générale des programmes des collectivités et des infrastructures, Infrastructure Canada : Merci de votre question. Actuellement, le gouvernement du Canada est en train de décider de sa position sur ce projet de loi. En tant que fonctionnaire représentant Infrastructure Canada, je ne peux pas aller plus loin au sujet de notre position pour l’instant.
La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce que, selon ce que vous comprenez, cet ouvrage, l’isthme de Chignecto, est d’ores et déjà de compétence fédérale?
[Traduction]
Me Rachel Heft, avocate, Infrastructure Canada : C’est une question qui est actuellement devant les tribunaux de la Nouvelle-Écosse, alors nous n’avons pas de position à vous présenter à ce sujet aujourd’hui.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : D’accord. Allons-y avec des questions plus simples. Où en êtes-vous avec les discussions, les négociations? Avez-vous déjà décidé de ce qu’il faut faire? J’imagine que vous parlez avec les provinces, alors que faut-il faire? Combien cela coûte-t-il? Parlez-nous de ce dont vous pouvez nous parler.
Mme Geoffroy : Absolument. Ce que je peux dire pour l’instant... Je vais donner un peu de contexte, plus spécifiquement sur le Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes, qui est un programme livré par Infrastructure Canada qui a pour objectif de réduire les impacts des changements climatiques et d’assurer que les communautés canadiennes sont prêtes à faire face aux changements climatiques actuels, mais aussi futurs.
Nous avons travaillé avec les gouvernements de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick pour les aviser qu’il y avait un appel de projets l’an dernier qui s’est ouvert en janvier 2023. On les a appuyés lorsqu’ils ont fait leur demande, comme on a appuyé plusieurs demandeurs qui voulaient avoir accès aux fonds du programme.
La sénatrice Miville-Dechêne : Combien y a-t-il d’argent dans les fonds pour ces provinces?
Mme Geoffroy : C’est un programme national. Il n’y a pas d’allocations provinciales ou territoriales.
Les communautés, les provinces, les territoires, les municipalités et les communautés autochtones peuvent faire une demande directement à Infrastructure Canada, qui fait ensuite l’évaluation des projets. Le programme au complet a une enveloppe de plus de 3 milliards de dollars et il existe depuis 2018.
Pour en revenir à la question du projet de Chignecto, les provinces ont décidé de déposer une demande conjointe. Les demandes déposées lors du dernier appel de projets sont en évaluation en ce moment. En général, cela progresse bien. On doit prendre le temps de faire les vérifications nécessaires.
La sénatrice Miville-Dechêne : Quand allez-vous vous décider?
Mme Geoffroy : Je n’ai pas de date spécifique à donner maintenant, mais ce que je peux dire pour l’instant, c’est que cela progresse bien.
[Traduction]
La sénatrice Simons : Pour faire suite aux questions de la sénatrice Miville-Dechêne, j’ai entendu des juristes dire que, dans les faits, puisque cet ouvrage est interprovincial et qu’il relie deux provinces, le pouvoir déclaratoire n’a pas d’importance parce que l’ouvrage est déjà de compétence fédérale et que le pouvoir déclaratoire s’applique spécifiquement aux infrastructures et aux ouvrages situés dans une province seulement. Je me demande ce que vous pensez de cette analyse.
Me Heft : Je pense qu’il est juste de dire que si la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse ou les tribunaux en général jugent que l’ouvrage en question est de nature interprovinciale, les tribunaux pourraient déterminer qu’il relève de la compétence fédérale, c’est-à-dire que les lois et les règlements du Parlement s’y appliquent aussi. Si c’est le cas, le pouvoir déclaratoire ne serait pas nécessaire et aurait le même effet...
La sénatrice Simons : Le pouvoir déclaratoire est-il même une option? Si l’ouvrage ne se trouve pas dans une province seulement, peut-on utiliser le pouvoir déclaratoire?
Me Heft : Il a été utilisé pour plus de certitude dans d’autres dispositions législatives, en présence d’opinions divergentes quant à savoir si l’ouvrage en question était, en fait, de nature interprovinciale. Nous avons vu le pouvoir déclaratoire utilisé pour plus de certitude.
La sénatrice Simons : Pouvez-vous me donner un exemple d’un endroit où cela s’est produit?
Me Heft : Je pense qu’un bon exemple serait la Loi sur les ponts et tunnels internationaux. De par leur nature même, les ponts internationaux vont au-delà des limites d’une province et, aux termes de l’article 5 de cette loi, ces ponts sont déclarés être à l’avantage général du Canada.
La sénatrice Simons : Pour que ce soit bien clair, ce n’est pas parce que quelque chose est déclaré être à l’avantage général du Canada que le gouvernement fédéral doit assumer la totalité des coûts d’entretien, n’est-ce pas?
Me Heft : Lorsqu’un ouvrage est déclaré à l’avantage général du Canada, cette déclaration a pour effet que l’ouvrage en question relève de la compétence du Parlement aux fins des lois et des règlements. Si vous reprenez l’exemple de la Loi sur les ponts et tunnels internationaux, tous les ponts internationaux visés sont déclarés être à l’avantage général du Canada. Nous avons des exemples de cela dans la seule ville de Windsor. Il y a le pont Ambassadeur, qui est un pont privé pour lequel le Canada n’a aucune responsabilité financière, tandis qu’un peu plus loin sur la même rivière, il y a le projet du pont international Gordie-Howe, le gouvernement ayant déterminé dans ce cas que la construction d’un pont international supplémentaire était justifiée et ayant assumé la responsabilité financière de cette infrastructure fédérale.
La sénatrice Simons : Il s’agit donc d’une décision politique plutôt que d’une décision juridique?
Me Heft : C’est exact.
La sénatrice Simons : Le problème qui se pose, c’est que le Sénat ne peut pas présenter un projet de loi qui entraîne des coûts pour le gouvernement. Si nous sommes d’avis qu’il s’agit d’un projet de loi qui obligerait le gouvernement à assumer le coût total du défi que présente l’isthme, un projet de loi du Sénat serait inapproprié. Si nous croyons que ce n’est pas le but de ce projet de loi, alors quel est-il?
Me Heft : La déclaration qui se trouve dans le projet de loi aurait pour effet de faire en sorte que, s’il y a des dispositions législatives qui ciblent des digues ou d’autres infrastructures de cette nature, par exemple, ces dispositions législatives s’appliqueraient à cette infrastructure, à ces ouvrages.
La sénatrice Simons : Cela n’obligerait pas le gouvernement fédéral à payer plus que ce qu’il a déjà accepté de payer?
Me Heft : C’est exact.
La sénatrice Simons : Cela retirerait tout simplement aux gouvernements provinciaux de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick tout pouvoir concernant cette infrastructure, et c’est précisément ce pouvoir que le gouvernement leur a redonné à leur demande en 1970, n’est-ce pas?
Me Heft : Un pouvoir législatif, oui.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup.
Le sénateur Quinn : Merci d’être ici ce soir.
J’aimerais poursuivre dans la même veine que ma collègue, la sénatrice Simons. Si j’ai bien compris l’affaire qui est devant les tribunaux, on cherche à déterminer si, en fait, l’isthme de Chignecto est un corridor essentiel reliant des structures de transport et de communication qui pourraient être touchées par les changements. Il s’agit d’intégrer le tout dans une seule fonction au chapitre des compétences. Ma question est la suivante : étant donné qu’il y a eu une demande conjointe — j’y reviendrai dans un instant —, la compétence est-elle partagée entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick à l’heure actuelle? Est-ce que chaque secteur de compétence est responsable des zones qui lui appartiennent?
Me Heft : Si je comprends bien votre question, vous remettez en question la compétence sur les terres. Les questions de compétence énoncées aux articles 91 et 92 de la Constitution n’ont pas de lien avec l’emplacement géographique.
Le sénateur Quinn : [Difficultés techniques] se pencher sur la validité de ce projet de loi. Si je comprends bien, nous examinons l’alinéa 92(10)a) dans le contexte de l’affaire judiciaire. C’est un processus légitime. Il se peut que le gouvernement fédéral doive intervenir.
Mais je comprends aussi que l’alinéa 92(10)c) est un outil valide utilisé dans le cadre de différents projets au pays et selon lequel c’est le Parlement — pas le Sénat, mais le Parlement, pas la Chambre haute ou la Chambre basse — qui doit intervenir. Le Parlement décidera s’il s’agit d’un outil valide à utiliser par le gouvernement fédéral, comme il l’a fait dans d’autres cas. Cela donne simplement au gouvernement fédéral la prérogative de procéder de cette façon. D’après ce que je comprends, le financement n’a aucune influence sur la décision qui sera prise. À l’heure actuelle, dans le cadre du FAAC, le Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes, il est prévu de payer pour la moitié du projet. Êtes-vous d’accord avec ce que je viens de dire, à savoir que cela donne au gouvernement fédéral un autre outil en vertu de la Constitution, de l’alinéa 92(10)c)? Oui ou non?
Me Heft : Indépendamment de la décision rendue en vertu de l’alinéa 91(10)a) par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, l’alinéa 92(10)c) permettrait au Parlement de déterminer si les ouvrages en question relèvent de la compétence législative du Parlement.
Le sénateur Quinn : Ce sont des outils distincts, qui vont peut-être dans le même sens. En ce qui concerne l’alinéa 92(10)a), si j’ai bien compris, la poursuite judiciaire — je crois savoir qu’il y a eu des dépôts et des choses de ce genre — n’a pas encore commencé. La semaine dernière, des témoins nous ont dit cela. Peu importe le temps que cela prendra, un juge rendra une décision. Si j’ai bien compris, la différence avec le pouvoir déclaratoire, c’est que le gouvernement fédéral prendra la décision parce que le Parlement lui en a donné la capacité. Il y a donc deux options, c’est-à-dire rendre une décision plus rapidement par rapport à un processus judiciaire qui peut prendre plus de temps — je suppose — l’issue étant la même dans les deux cas. Il s’agit de deux outils qui ne sont pas liés, mais qui permettent d’aboutir au même point. Est-ce exact?
Me Heft : Oui, c’est une évaluation juste.
Le sénateur Quinn : En ce qui concerne le financement, je crois comprendre que les provinces ont présenté leur demande. Vous avez dit qu’il s’agissait d’une demande conjointe. Elles ont négocié, mais le premier ministre du Nouveau-Brunswick et la ministre des Travaux publics de la Nouvelle-Écosse nous ont dit la semaine dernière que les négociations ont en quelque sorte pris fin parce que, d’après ce que je comprends du programme, le FAAC ne peut assurer que 50 % du financement, sauf dans des circonstances exceptionnelles. Un projet autochtone, par exemple, pourrait être admissible à un financement à 100 %, mais dans ce cas, la limite est de 50 %.
Ma collègue, la sénatrice Clement, a parlé de l’importance des négociations la semaine dernière. Le pouvoir déclaratoire utilisé actuellement permettrait au gouvernement fédéral de décider s’il s’agira de 30 ou de 50 %, ou s’il poussera un peu plus la négociation si c’est ainsi qu’il choisit de procéder, mais cela lui donnerait la souplesse nécessaire pour négocier davantage. Est-ce exact?
Mme Geoffroy : Ce que je peux dire au sujet du FAAC, c’est que, dans le cadre des paramètres et des politiques que nous avons pour les projets des provinces, nous sommes plafonnés à 50 % pour ce qui est de la contribution du gouvernement fédéral. Je ne pourrais pas dire si cela a des répercussions sur le pouvoir déclaratoire, mais nous travaillons beaucoup dans le cadre des pouvoirs stratégiques que nous donne le programme. Vous avez raison de dire que, pour les projets autochtones, nous pouvons fournir 100 %.
Le sénateur Quinn : L’idée est d’agir plus rapidement, parce que nous avons étudié les effets des changements climatiques sur les infrastructures dans plusieurs petites régions au pays. Nous savons que les événements sont de plus en plus fréquents, intenses et ainsi de suite. Nous devons commencer à faire quelque chose.
L’une de mes préoccupations et la raison pour laquelle le pouvoir déclaratoire est sur la table, c’est qu’il permet de prendre une décision plus tôt et donne cette souplesse, si le Parlement décide de donner son approbation, le gouvernement fédéral pouvant agir en conséquence. Il exige également, dans le cadre de la compétence fédérale, qu’il y ait une consultation beaucoup plus exhaustive des Autochtones, dans le contexte de la réglementation fédérale, sans parler des pêches et de l’environnement et de toutes les choses qui pourraient entrer en jeu. Du côté autochtone, des processus de consultation fédéraux sont nécessaires. C’est l’une de nos préoccupations en ce qui concerne les relations avec les collectivités autochtones de l’une ou l’autre province par rapport à la relation des Autochtones avec la Couronne et aux consultations qui sont requises. Pensez-vous que ce serait utile pour amorcer ce processus le plus tôt possible?
Mme Geoffroy : Infrastructure Canada est responsable de veiller à ce que les exigences fédérales en matière d’évaluation environnementale et l’obligation de consulter soient respectées, de sorte que l’exigence de consultation des Autochtones soit prise en compte pour les projets pour lesquels nous fournissons des fonds du ministère.
Le sénateur Quinn : Nous avons utilisé le pouvoir déclaratoire récemment dans le cas du pont Samuel-De Champlain, qui a été déclaré dans l’intérêt du Canada. Je suis d’accord avec cela en raison de la nature de la circulation sur ce pont. Le gouvernement fédéral a payé la totalité des coûts en vertu du pouvoir déclaratoire. Il a également absorbé la perte de revenus provenant des péages, soit au total environ 7 milliards de dollars. Le pont international Gordie-Howe relie le Canada aux États-Unis. En vertu du pouvoir déclaratoire, le Canada paie pour la totalité de ce projet. D’autres projets ont eu lieu. Vous avez parlé des tunnels et des lois sur les chemins de fer. Pourquoi ce lien ne serait-il pas considéré comme admissible en vertu du pouvoir déclaratoire?
Me Heft : Le pouvoir déclaratoire est en fait une détermination des lois applicables ou de la sphère de compétence dont les lois s’appliqueront, autrement dit des lois applicables de telle ou telle législature.
Pour ce qui est de l’alinéa 92(10)c), si un ouvrage est déclaré à l’avantage général du Canada, cela signifie simplement que les lois du Canada, dont la Loi sur l’évaluation d’impact, par exemple, y seront applicables, mais cela n’en détermine pas le financement. Le financement n’est pas lié à la déclaration de l’avantage général du Canada.
Le sénateur Quinn : Je vois. À vrai dire, cela permet au Cabinet de décider s’il veut participer à d’autres négociations et de faire monter les enchères. Cela ne permet-il pas également au gouvernement fédéral de reconnaître que c’est dans l’intérêt général du Canada? Si le pont Samuel-De Champlain est dans l’intérêt général du Canada, la seule voie de raccordement, si je peux l’appeler ainsi, est évidemment aussi à l’avantage général du Canada compte tenu du volume des échanges commerciaux, du nombre de personnes qui se rendent à Halifax pour obtenir des services, et des échanges commerciaux avec Terre-Neuve et l’Île-du-Prince-Édouard. Est-ce que ce ne serait pas aussi dans l’intérêt général du Canada?
Me Heft : Une déclaration en vertu de l’alinéa 92(10)c) au sujet de l’avantage général du Canada est une décision du Parlement par laquelle les lois fédérales s’appliqueront à un ouvrage. On ne l’a jamais interprétée comme étant liée à l’intérêt national comme tel. Les tribunaux n’ont jamais interprété le libellé pour conclure qu’un ouvrage qui serait dans l’intérêt national devrait être déclaré à l’avantage général du Canada.
La sénatrice Dasko : Je vais poursuivre dans le même sens que mes collègues. Au sujet du fonds d’aide en cas de catastrophe dont vous avez parlé tout à l’heure — je veux simplement préciser les choses —, les deux provinces ont présenté une proposition. Je crois savoir que cette proposition a été acceptée. N’est-ce pas? Et le gouvernement fédéral a-t-il dit qu’il allait y participer à raison de 50 % et que les autres provinces allaient se charger de l’autre moitié? Où en est cette proposition? C’est ce que je voudrais savoir, en fait.
Mme Geoffroy : Le FAAC a été ouvert aux demandes en janvier 2023. Il a été fermé en juillet 2023. À vrai dire, nous avons reçu quelques centaines de demandes. Nous sommes en train de les évaluer. Toutes les demandes sont évaluées en fonction de critères d’admissibilité et de bien-fondé. Le processus est très avancé. Voilà où nous en sommes des demandes, dont celles de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick pour Chignecto.
La sénatrice Dasko : Est-ce que la proposition a été négociée avec les deux provinces? Est-ce qu’il y a eu des négociations?
Mme Geoffroy : Nous ne négocions pas. Pendant le processus d’admission, tant qu’il est ouvert, nous aidons les demandeurs en répondant à leurs questions sur le processus ou sur les documents à fournir. Nous offrons ce soutien à tous ceux qui le demandent.
La sénatrice Dasko : Concernant la répartition du financement de ces projets, est-ce que c’est toujours pour moitié? Est-ce que c’est une norme du programme? C’est 50 %? Ce n’est pas 20 ou 30 %? C’est toujours 50? Si vous approuvez la proposition, c’est 50 %?
Mme Geoffroy : Cela dépend du demandeur. Pour les provinces, la part du financement fédéral peut aller jusqu’à 50 %. En l’occurrence, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick ont demandé la totalité des 50 %. Pour les municipalités, on peut aller jusqu’à 40 %. Dans les communautés autochtones, comme je l’ai dit tout à l’heure, cela peut aller jusqu’à 100 %.
La sénatrice Dasko : Donc, elles comptent obtenir 50 %?
Mme Geoffroy : C’est un programme axé sur le bien-fondé. Il n’est donc pas certain qu’un demandeur obtiendra ce qu’il veut, puisque, comme on le sait, la fréquence des catastrophes naturelles augmente au pays. Le programme est très populaire. Mais nous évaluons toutes les demandes en fonction des mêmes critères et nous tenons compte de la répartition régionale dans nos conseils.
La sénatrice Dasko : J’aimerais apporter quelques précisions au sujet du pouvoir déclaratoire. On nous a donné des exemples de cette disposition pour d’autres projets. Je veux simplement confirmer que le pont international Gordie-Howe en est un. Le pont Samuel-De Champlain en était un autre. Pouvez-vous nommer d’autres projets ayant fait l’objet d’une déclaration?
Me Heft : En général, ce ne sont pas les projets qui sont déclarés, mais leur objet. Cependant, vous avez raison pour le pont Champlain : il a effectivement été déclaré à l’avantage général du Canada. Il appartenait au gouvernement fédéral au moment où il a été déclaré tel. À l’époque, on s’est rendu compte qu’il fallait le reconstruire. La déclaration a eu pour effet de préciser les lois et les règlements applicables. En fait, c’était inclus dans un projet de loi que je n’ai pas ici, mais c’était dans la Loi d’exécution du budget de l’époque.
La sénatrice Dasko : J’allais justement poser la question au sujet de ce que j’appelle des projets. Je ne sais pas quel autre mot utiliser. Pour moi, un pont est un projet. Ces projets découlaient-ils en fait de mesures législatives comme celle-ci?
Me Heft : Non.
La sénatrice Dasko : Non? Mais vous avez dit que le pont Champlain figurait dans le projet de loi d’exécution du budget.
Me Heft : La Loi visant le nouveau pont pour le Saint‑Laurent a été incluse dans la Loi d’exécution du budget, après l’annonce que le pont serait financé par le gouvernement fédéral, donc en même temps que son financement. Mais le pont appartenait déjà au gouvernement fédéral. Celui-ci en assumait déjà la responsabilité financière.
La sénatrice Dasko : Comment est né le projet du pont international Gordie-Howe? Était-ce une loi fédérale comparable à celle dont nous parlons? J’essaie de comprendre.
Shawn Hibbard, directeur général (ponts majeurs et projets), Investissement, partenariats et innovation, Infrastructure Canada : Je peux peut-être répondre à une partie de ces questions.
Ma collègue a déjà expliqué que le pont Gordie-Howe relève de l’article 5 de la Loi sur les ponts et tunnels internationaux, aux termes duquel les ponts et tunnels internationaux sont déclarés à l’avantage général du Canada. D’autres lois ont été adoptées pour faciliter le projet. La Loi concernant un pont destiné à favoriser le commerce a été mise en œuvre pour le pont international Gordie-Howe. C’est ce qui a permis à la ministre de conclure des ententes pour faciliter le projet.
Pourquoi ce projet était-il important pour le gouvernement? Comme vous le savez probablement, le passage frontalier Windsor-Detroit est un corridor essentiel.
La sénatrice Dasko : Je viens de l’Ontario. J’en sais quelque chose. C’est un excellent endroit où placer son argent.
Pouvez-vous nommer d’autres projets — je vais les appeler ainsi, bien qu’il puisse y avoir d’autres termes — qui auraient découlé de ce mécanisme?
Me Heft : Je me ferai un plaisir de vous donner d’autres exemples où le pouvoir déclaratoire a été utilisé, mais je souligne que ce n’est pas lié au financement du gouvernement fédéral.
À titre d’exemple, en 1995, quand la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada a été privatisée, la Loi sur la commercialisation du CN comportait une déclaration au paragraphe 16(1). La voici :
Sont déclarés être à l’avantage général du Canada les ouvrages de chemins de fer ou autres ouvrages de transport, au Canada, du CN, de ses filiales et de chaque compagnie formée par la réunion ou la fusion de deux ou plusieurs de ces compagnies.
Il s’en est suivi que toutes les lignes ferroviaires du CN, qu’elles soient intraprovinciales ou interprovinciales, ont été assujetties aux lois fédérales réglementant les chemins de fer, comme la Loi sur les transports au Canada et la Loi sur la sécurité ferroviaire, mais, en fait, c’est arrivé à une époque où le CN était privatisé et où le gouvernement n’en était plus financièrement responsable.
La sénatrice Dasko : Le premier ministre du Nouveau-Brunswick est venu témoigner ici. Il s’attend à ce que le gouvernement fédéral finance l’ensemble du projet dans le cadre de cette initiative. Il l’a dit très clairement dans les 30 premières secondes de sa comparution devant le comité. C’est ce qu’il suppose. Mais vous dites qu’il y a beaucoup de variations dans la façon dont cet outil, ce mécanisme, est perçu du point de vue du financement. Est-ce que j’ai bien compris?
Me Heft : Effectivement. Le pouvoir déclaratoire, la responsabilité financière et le financement ne sont généralement pas liés.
Le président : Comme président, je vais prendre la liberté de poser une simple question. Je vais revenir sur l’échange avec mes collègues, notamment avec la sénatrice Dasko. Dans quelle mesure des considérations politiques entrent-elles en ligne de compte dans la décision d’accorder tel ou tel pourcentage de financement à ces projets d’infrastructure? J’ai bien entendu ce que vous disiez sur le calcul des 50, 40 ou 100 %, mais dans quelle mesure ne s’agit-il pas, en fait, d’une volonté politique plutôt que d’une série de critères appliqués par le ministère?
Mme Geoffroy : Nous communiquons les tenants et aboutissants d’ordre stratégique à nos ministres quand nous lançons de nouveaux programmes. Le partage des coûts dont j’ai parlé au sujet du FAAC est très semblable à ce que l’on trouve dans d’autres programmes de contribution.
Le président : Je comprends bien, mais je vous demande dans quelle mesure ces décisions ont à voir avec des considérations politiques. Il est évident que vous observez ces décisions.
J’ai déjà fait partie, au Sénat, d’un gouvernement qui a contribué à la construction du pont Champlain. J’ai vu se dérouler l’exercice entre mon gouvernement provincial et le gouvernement fédéral de l’époque, ce dernier essayant d’équilibrer un budget et le gouvernement provincial déclarant qu’il ne pouvait pas se permettre de dépenser 10 milliards de dollars pour une infrastructure de cette envergure. Au final, c’est le bon sens qui l’a emporté, et Ottawa a compris que, en dehors même des difficultés financières, nous sommes un pays et que certains projets d’infrastructure ne peuvent malheureusement pas être assumés même par une province aussi importante que le Québec, et encore moins par de petites provinces comme la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. Le gouvernement fédéral a clairement démontré que cette infrastructure était très importante pour lui.
Écoutez, je ne vais pas vous mettre dans l’embarras plus que de raison. Je voulais simplement exprimer ce point de vue. Je n’ai pas de cheval de bataille comme j’en avais pour le pont Champlain. J’étais tiraillé entre deux rôles parce que, comme sénateur, je faisais partie du gouvernement au pouvoir de l’époque et que, par ailleurs, je m’intéressais à la question comme sénateur de Montréal. Je sais bien que, au final, tout est politique et que tout est local dans ce genre d’enjeu.
La sénatrice Clement : Bonjour. Merci de votre présence parmi nous.
Je vais reprendre là où la sénatrice Dasko s’est arrêtée et là où vous, maître Heft, lui avez répondu qu’il y a une différence entre le pouvoir déclaratoire et le financement. Sauf que j’ai l’impression qu’ils sont liés. Je crois que c’est ce qui me trouble.
D’après mon expérience d’avocate, quand on se retrouve devant les tribunaux, et une bonne partie de cette affaire est devant les tribunaux en Nouvelle-Écosse, c’est qu’il y a eu un échec quelque part dans les négociations et le règlement des différends. On s’adresse aux tribunaux quand plus rien ne fonctionne. Je comprends donc que vous ne puissiez pas faire de commentaires. Je voulais le préciser.
Je me demande si ce projet, qui est indéniablement crucial et important, n’est qu’un signe des temps. Non? L’infrastructure est devenue si coûteuse et difficile à gérer sur le plan logistique pour les municipalités et les provinces que, pour les projets d’envergure, on va agiter les mains en disant : « Nous avons besoin d’un pouvoir déclaratoire parce que nous avons besoin de l’intervention du gouvernement fédéral parce que c’est trop gros pour nous. » La crise climatique est trop importante pour les petites entités administratives. Qu’en pensez-vous?
Pouvez-vous aller plus loin? Si nous laissons ce processus suivre son cours, qu’arrivera-t-il aux municipalités et aux provinces qui veulent encore participer à un projet parce qu’elles représentent les collectivités en difficulté qui relèvent maintenant de l’administration fédérale? Je me demande si ce n’est là que la pointe de l’iceberg, parce que la crise climatique dépasse la capacité de gestion des petites entités. Une fois cela fait, que feront les petites entités pour participer à un tel processus?
Me Heft : En ce qui concerne le processus — pour revenir à la déclaration qui porte sur les lois pertinentes et donc sur la question de savoir quelles lois et quels processus vont s’appliquer —, le pouvoir déclaratoire jouera un rôle. Par exemple, la Loi sur l’évaluation d’impact s’appliquerait. Quant à savoir si le projet serait examiné en vertu de cette loi, ce serait une autre affaire. La loi pourrait s’appliquer si le projet était considéré comme tel en fonction de certains critères, ce qui reviendrait à dire que le processus d’évaluation, l’agence d’évaluation des impacts et les différentes consultations nécessaires pour respecter l’obligation de la Couronne envers les peuples autochtones seraient effectivement mis en œuvre à la suite de la déclaration. Reste à savoir qui dirigerait le projet et qui présenterait les demandes? Cette décision incombe essentiellement au maître d’œuvre ou à l’autorité responsable de la région.
La sénatrice Clement : Donc, le gouvernement fédéral?
Me Heft : Le gouvernement fédéral n’est pas forcément propriétaire aux termes de la déclaration d’ouvrages à l’avantage général du Canada. Il n’y a pas de caractère systématique.
La sénatrice Clement : Toutefois, le gouvernement fédéral piloterait-il le projet ne serait ce que parce qu’il comprend la loi fédérale et la façon dont elle s’applique?
Me Heft : L’agence d’évaluation d’impact serait appelée à intervenir, mais la déclaration elle-même ne contraindrait pas le gouvernement fédéral à soutenir le projet. Cela dépendrait encore de l’entité à l’origine de la proposition, sur la base de la propriété du terrain, de la propriété de l’ouvrage ou d’autres facteurs. La déclaration elle-même n’a pas pour effet de désigner les ouvrages comme propriétés fédérales.
La sénatrice Clement : Merci.
Du point de vue des infrastructures, pouvez-vous nous parler de la gestion de la taille des projets et de ce à quoi cela ressemblera à l’avenir?
M. Hibbard : Si vous le souhaitez, je peux vous parler de l’expérience du corridor du pont Samuel-De Champlain en tant que projet réalisé par le gouvernement fédéral, pour voir ce qu’il a signifié en termes de participation des municipalités et de la province, et ainsi de suite.
Donc, dans ce cas, même si le gouvernement fédéral a été le responsable du projet de reconstruction, comme nous l’avons vu tout à l’heure, le pont Champlain original lui avait appartenu et le pont avait été administré par le fédéral pendant 30 ans. Le nouveau pont n’a fait que remplacer le précédent. Il demeure que la Loi visant le nouveau pont pour le Saint-Laurent a notamment donné au ministre le pouvoir de conclure des ententes. Le gouvernement s’est engagé à respecter la volonté des municipalités et de la province. Nous avons conclu des ententes de collaboration qui énonçaient le rôle et les responsabilités des parties prenantes et qui garantissaient la tenue de consultations avec les collectivités et les différents organismes concernés. Ce projet en particulier a fait l’objet d’une vaste collaboration, même si la loi fédérale s’appliquait.
La sénatrice Clement : J’aimerais revenir sur l’aspect monétaire. Quand j’étais maire de Cornwall, je trouvais ahurissant que les projets d’infrastructures puissent coûter autant pour une petite ville de l’Ontario. Pensez-vous qu’il y a suffisamment d’argent pour financer ce genre d’entreprise, en dehors du gouvernement fédéral? Même la dotation du Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes ne semble pas suffire pour financer tous ces projets. L’argent n’est tout simplement pas au rendez-vous. Encore une fois, on a l’impression que tout est lié : l’argent, la taille des projets et l’ampleur de la gestion par deux provinces.
Mme Geoffroy : Il m’est difficile de parler du coût des infrastructures en général. Nous avons effectivement assisté à une augmentation des coûts ces dernières années, ce qui n’a fait qu’accroître les pressions sur tous les ordres de gouvernement.
À Infrastructure Canada, nous cherchons à investir dans des infrastructures aptes à résister aux effets des changements climatiques à court et à long terme. Nous avons eu la chance de disposer du Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes qui est solidement doté, ainsi que de la Stratégie nationale d’adaptation du gouvernement du Canada, grâce à laquelle Infrastructure Canada sera en mesure d’offrir des trousses d’outils climatiques aux municipalités et d’autres ressources que les municipalités et les provinces pourront utiliser pour prendre de meilleures décisions relativement à la réalisation de leurs infrastructures.
Je pense que, dans le cas des programmes d’infrastructure, la demande a presque toujours dépassé l’offre.
Le sénateur Cuzner : Beaucoup de questions qui se posent à propos du domaine maritime semblent graviter autour des notions de laisse de haute mer et de ligne des hautes eaux. Je pense à la réouverture de la mine sous-marine Donkin. Normalement, la santé et la sécurité au travail sont de responsabilité fédérale dès que la ligne des hautes eaux est atteinte, et nous avons dû adopter un projet de loi à la Chambre pour que cette responsabilité soit transférée à la Nouvelle-Écosse. Si la carcasse d’une baleine ou un bateau est abandonné dans un chenal de navigation, il incombe au gouvernement fédéral de s’en occuper. Si la carcasse de la baleine s’échoue sur une berge quelque part, il appartient au fédéral de la nettoyer. Ce sont la ligne des hautes eaux et la laisse de mer qui en décident.
Avant, il existait une digue à Gabarus — une petite collectivité côtière — et cela nous ramène à ce que disait la sénatrice Clement lors de notre dernière réunion. Dans les années 1960, le gouvernement fédéral a investi dans cette digue. Nous ne savons pas à quoi ressemblaient les programmes à l’époque, mais c’est alors qu’a été construit un mur de protection. Au fil du temps, le mur s’est dégradé et l’on s’est mis en quête de fonds pour le remettre en état. En 2013-2014, le gouvernement fédéral estimait qu’il se situait dans une zone côtière située en amont de la ligne des hautes eaux relevant de la responsabilité de la province. Les deux paliers de gouvernement se sont disputés sur cette question de responsabilité. Finalement, la municipalité côtière a déclaré son intention de sauver sa communauté d’en faire une question de développement économique. C’est dans le cadre de ce dernier projet de développement économique que le ministère a conclu un partenariat de type 30-30-30.
J’ai pris des détours pour vous poser ma question consistant à savoir si la responsabilité des parties prenantes est définie par la ligne des hautes eaux?
Me Heft : Je n’ai pas suivi tous les exemples que vous avez donnés, mais je dirais que les questions visées aux articles 91 et 92 de la Constitution qui traitent de la répartition des pouvoirs, qu’il s’agisse d’une question de compétence fédérale en vertu de l’article 91 ou de compétence provinciale en vertu de l’article 92, ne sont pas principalement des questions territoriales. Elles ne sont pas fondées sur la géographie, mais sur des définitions légales, sur des descriptions juridiques et, dans ce cas-ci, sur les types d’ouvrages et de projets en question. Dans certains cas, il peut même s’agir de droit pénal. Bien sûr, tout cela m’échappe maintenant.
En ce qui concerne la compétence relative à un ouvrage ou à une entreprise et au fait qu’il s’agisse d’un ouvrage ou d’un projet intraprovincial ou interprovincial, la ligne des hautes eaux n’a pas été interprétée comme étant déterminante dans l’établissement du caractère interprovincial ou intraprovincial d’un ouvrage ou d’un projet.
Le sénateur Cuzner : Y a-t-il beaucoup d’autres exemples de protection côtière qui auraient été appuyés par le programme d’infrastructure?
Mme Geoffroy : Plus précisément par le Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes, le FAAC?
Le sénateur Cuzner : Oui.
Mme Geoffroy : Oui, mais pas de l’ampleur des travaux de l’isthme de Chignecto. Nous finançons quelques autres projets, comme un projet d’adaptation côtière à Surrey, en Colombie-Britannique. C’est celui qui me vient à l’esprit. Encore une fois, on ne parle pas de projets d’une ampleur comparable à celui de l’isthme de Chignecto.
Le sénateur Cuzner : À quoi ressemble la formule de financement?
Mme Geoffroy : C’est un peu complexe dans ce cas, parce qu’il y avait des actifs provinciaux et des actifs municipaux, mais la grande majorité du projet a été financée à hauteur de 40 % environ.
La sénatrice Robinson : Je m’intéresse au moment où l’on considère qu’un projet va dans l’intérêt général du Canada. Je viens de l’Île-du-Prince-Édouard et j’ai probablement un point de vue très différent de celui des gens de l’Ontario ou peut-être d’autres régions du Canada qui pèsent davantage sur le plan politique.
Je veux prendre un moment pour souligner que, dans le Canada atlantique, on a en fait affaire à un système panatlantique. En tant que Prince-Édouardienne, je songe au port de Halifax d’où sont expédiées vers l’Indonésie des pommes de terre originaires de l’Île-du-Prince-Édouard. C’est aussi du port de Halifax que nous expédions du soja et des céréales et où nous recevons de l’engrais. Il nous faut aller en Nouvelle-Écosse pour acheter des produits d’amendement du sol. Si nous devions nous approvisionner plus loin, cela nous coûterait une fortune. Pensons aussi au centre hospitalier IWK et à d’autres établissements de soins majeurs dont dépendent les insulaires. Et puis, il y a le tourisme et l’université. Je suis moi-même allée à l’Université de la Nouvelle-Écosse et ma fille ira aussi. Mon fils va à l’université à Sackville qui, je l’espère, ne se retrouvera pas trop vite sous les eaux.
Je voulais prendre un moment pour essayer de vous faire comprendre... je suppose qu’aucun d’entre vous ne vient du Canada atlantique. Non. C’est certainement dans l’intérêt des Canadiens qui vivent, je dirais, à l’est de l’Ontario, parce que beaucoup de produits venant du Québec transitent également par le port de Halifax. Je songe à la santé des sols, et il se trouve que la seule usine de transformation du bœuf inspectée par le gouvernement fédéral se situe sur l’Île-du-Prince-Édouard. Si le lien terrestre avec la Nouvelle-Écosse devait disparaître, la capacité de cette province à envoyer les animaux à l’abattoir en serait réduite. C’est une infrastructure extrêmement importante pour nous.
Je vais maintenant adopter une position égoïste, celle d’une résidante de l’Île-du-Prince-Édouard. Vous avez parlé de l’engouement que pourrait susciter le FAAC. Combien de demandes disiez-vous avoir reçues de janvier à juillet?
Mme Geoffroy : Je dirais environ 300.
La sénatrice Robinson : Vous nous avez dit au début que l’enveloppe budgétaire était de 3 milliards de dollars.
Mme Geoffroy : L’enveloppe initiale était de 2 milliards de dollars et elle a été augmentée depuis. Certains projets ont été approuvés et nous avons puisé dans cette enveloppe pour les financer. Il nous reste un peu moins de 1 milliard pour les projets soumis dans le cadre de cette récente demande.
La sénatrice Robinson : Que pensez-vous des 300 demandes que vous avez reçues, en plus de ce projet assez important de l’isthme de Chignecto? Qu’arrivera-t-il à l’Île-du-Prince-Édouard quand une autre tempête Fiona frappera? Sur mon exploitation, nous avons perdu sept bâtiments et des dizaines de milliers d’arbres. Des ponts ont été détruits. Quelqu’un a parlé de la fréquence et de l’intensité de tels événements météorologiques, et nous ne saurions trop insister là-dessus. Qu’arrivera-t-il si cet argent va à l’isthme de Chignecto? Serons-nous en mesure de financer tous les autres projets probablement assez prioritaires parmi les 300 demandes que vous avez reçues?
Mme Geoffroy : Dans le cadre de notre examen et des conseils que nous prodiguons, surtout en regard de l’évaluation des projets et des conseils relatifs aux résultats, nous tenons compte de la répartition régionale. C’est un élément important. Il faudra voir quel sera le résultat des décisions sur ce dernier appel, mais la répartition régionale est un point important.
La sénatrice Robinson : Quand vous parlez de « répartition régionale », voulez-vous dire que vous allez essayer de la répartir également entre toutes les régions?
Mme Geoffroy : Je peux dire que, dans les conseils que nous prodiguerons aux promoteurs et aux collectivités des provinces et des territoires, nous veillerons à parler de financement. Nous tiendrons également compte des projets qui ont été approuvés et qui sont à jour en vertu du programme.
La sénatrice Robinson : Votre réponse me laisse perplexe et je ne suis pas sûre d’y voir plus clair.
Quand la tempête Fiona a balayé le Canada atlantique et qu’on songe aussi aux ravages engendrés par Dorian, force est de constater que toute la région du Canada atlantique a subi des dégâts majeurs. Êtes-vous en train de dire que le financement sera de 20 % pour telle région et de 50 % pour telle autre, et que vous allez essayer de répartir les sommes équitablement, au prorata de la population, ou serez-vous en mesure de prioriser les régions qui sont plus à risque, qui sont plus fragiles et plus vulnérables?
Mme Geoffroy : Dans notre évaluation des mérites, nous tenons compte des répercussions de chaque projet sur la population exposée, de la façon dont notre investissement peut contribuer à accroître la résilience dans la région et du rendement de l’investissement, puisque le FAAC est fondé sur le mérite, sur les critères de mérite sur lesquels nous appuyons nos conseils. De plus, comme je l’ai dit, la répartition régionale est également prise en compte, mais nous n’appliquons pas de pourcentage par province ou par territoire.
La sénatrice Robinson : Comment déterminez-vous le rendement du capital investi?
Mme Geoffroy : Je pourrais vous fournir cette information, mais je ne l’ai pas sous la main. Nous appliquons une formule que nous communiquons aux demandeurs dans un guide auquel ils peuvent accéder sur notre site Web, mais je me ferai un plaisir de vous le fournir après la séance.
La sénatrice Robinson : Merci.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai besoin de plus de précisions. Au début, madame Heft, vous avez parlé de clarté. Si je comprends bien, le pont Samuel-De Champlain a été déclaré d’intérêt général pour le Canada parce qu’il n’était pas a priori évident que tel fut le cas, étant donné qu’il ne traverse pas une frontière interprovinciale. Est-ce que je me trompe?
Me Heft : Je ne peux pas spéculer sur les motifs de la déclaration, mais en tant que structure appartenant au gouvernement fédéral qui était en train d’être reconstruite — c’était donc la deuxième construction de ce pont — l’effet de la déclaration était d’établir clairement quelles lois s’appliqueraient au projet.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je sais que ma prochaine question déjà été posée, mais en déclarant que l’isthme est un ouvrage d’intérêt général pour le Canada, qu’obtient-on? À part dire que les lois fédérales s’appliquent, y a-t-il un autre effet?
Me Heft : C’est tout. Cela attribue la compétence relativement à l’ouvrage. C’est une question de compétence législative.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je suis un peu confuse, parce que, quand je vous ai posé ma première question — peut-être en français —, vous avez indiqué être dans l’impossibilité de dire si l’isthme était de compétence fédérale parce que l’affaire était devant le tribunal. Mais il me semble que cet isthme, et corrigez-moi si je me trompe, relève clairement de la compétence fédérale.
Me Heft : L’isthme lui-même est une bande de terre.
La sénatrice Miville-Dechêne : Pas l’isthme, l’infrastructure.
Me Heft : L’ouvrage, l’infrastructure.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je n’ai peut-être pas bien formuler ma question.
Me Heft : Vous interprétez peut-être la situation comme revenant à dire que l’ouvrage lui-même étant interprovincial, c’est la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse qui devrait juger s’il est de compétence fédérale. Si j’ai bien compris, c’est effectivement la position de la Nouvelle-Écosse devant la cour, mais la décision n’a pas encore été rendue.
La sénatrice Miville-Dechêne : Le gouvernement fédéral n’admet pas que cet ouvrage est de compétence fédérale parce qu’il n’est pas tenu de financer les travaux. Comme c’est interprovincial, n’est-il pas clair que c’est de compétence fédérale?
Me Heft : Pour le moment, je crois que le Canada n’a pas présenté sa position devant la cour.
La sénatrice Miville-Dechêne : Mais la cour n’est-elle pas également censée décider si c’est le gouvernement fédéral qui doit payer? Je pensais qu’il était aussi question de cela. On ne parle que de compétence?
Me Heft : C’est exact.
La sénatrice Miville-Dechêne : D’accord. Désolée.
Le président : Je rappelle à tout le monde que les délibérations du Sénat sont souvent citées dans les affaires judiciaires et que vos opinions sont donc très importantes. Ce pourrait être encore plus le cas cette fois.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup, madame Heft. Je suis un peu lente.
Le président : Le président essaie de faire preuve de bienveillance envers ses collègues. Pouvez-vous vous partager les quatre dernières minutes du deuxième tour, sénateur Quinn et sénatrice Simons?
Le sénateur Quinn : Je serai bref. Je veux savoir si l’avantage général du Canada, conformément à l’alinéa 92(10)c), serait un outil valable advenant que le Parlement s’appuie sur la Constitution? Est-ce un outil à la disposition du Parlement?
Me Heft : C’est effectivement un outil dont dispose le Parlement pour déterminer la compétence législative.
Le sénateur Quinn : C’est donc une décision stratégique. C’est le Parlement qui va décider, et ce sera une décision d’orientation. Pour le gouvernement fédéral, ce sera peut-être une décision d’orientation ou une décision politique, pour revenir à l’allusion du président. Mais c’est un outil valable?
Me Heft : Exact.
Le sénateur Quinn : Le pont Champlain était déjà de compétence fédérale et je souligne que le vieux pont existe toujours. La construction du nouveau pont n’est pas terminée et il est tôt pour déterminer s’il appartiendra ou pas au gouvernement fédéral. Pourquoi avoir invoqué le pouvoir déclaratoire si vous dites qu’il appartenait au gouvernement fédéral? Pourquoi s’être donné la peine d’utiliser le pouvoir déclaratoire? Avant que vous ne répondiez, je vais vous dire une chose. Pendant un certain nombre d’années, j’ai administré un port qui appartenait au gouvernement fédéral et quand j’ai réalisé un projet dans ce port, dans l’environnement fédéral avec des consultations à la clé, j’ai vu que toutes les lois fédérales s’appliquaient comme dans le cas du pont Champlain. Cela étant, pourquoi aurait-on besoin d’un pouvoir déclaratoire?
M. Hibbard : Merci. Je vais revenir sur ce qui a été dit plus tôt. C’était par souci de clarté. Ce pouvoir est invoqué pour préciser les choses sur le plan législatif. Nous savons que ce sont les lois fédérales qui s’appliqueraient. Ce pouvoir apporte des précisions à toutes les parties prenantes et comme, dans ce cas-ci, il s’agit d’un PPP — un projet public-privé —, il fournit également des précisions pour le marché.
La sénatrice Simons : J’aimerais poser une question au sujet de l’article 7. J’ai travaillé en étroite collaboration sur le projet de loi C-69 quand il a été renvoyé au comité de l’énergie et de l’environnement. Madame Heft, vous avez mentionné à quelques reprises que si ce projet de loi entrait en vigueur, l’ouvrage de l’isthme serait assujetti à la Loi sur l’évaluation d’impact.
J’ai deux questions. Premièrement, l’ouvrage ne serait-il pas déjà assujetti à la Loi sur l’évaluation d’impact parce qu’il est interprovincial? Deuxièmement, l’article 7 du projet de loi permettrait au gouverneur en conseil d’exempter tous les travaux sur la digue de toute évaluation environnementale ou de la nécessité d’obtenir approbation ou une autorisation environnementale. Je me demande où cela rejoint votre analyse selon laquelle la Loi sur l’évaluation d’impact s’appliquerait. Si un futur gouvernement fédéral devait lever l’obligation de soumettre l’ouvrage de l’isthme à une évaluation environnementale, les Néo-Écossais et les Néo-Brunswickois seraient-ils touchés d’une façon inattendue qu’ils n’apprécieraient pas forcément?
Me Heft : Si les digues visées par cette mesure étaient désignées comme relevant du fédéral, et si la mesure était adoptée, la loi fédérale s’appliquerait alors à l’infrastructure, à l’ouvrage, de même que le cortège des lois fédérales, y compris la Loi sur l’évaluation d’impact. Bien sûr, la Loi sur l’évaluation d’impact ne s’applique pas à tous les projets. La loi énonce certains paramètres permettant de déterminer si elle s’applique à un projet donné.
La sénatrice Simons : Les ouvrages provinciaux qui ont un impact sur les cours d’eau sont assujettis à la Loi sur l’évaluation d’impact.
Me Heft : C’est tout à fait possible.
La sénatrice Simons : J’ai cette loi dans la peau. Je m’interroge sur les pouvoirs d’exemption prévus aux paragraphes 7(1) et 7(3), qui sont rétroactifs. Ai-je raison de croire que cela revient à dire que le gouvernement pourrait exempter tout ouvrage de l’isthme de l’évaluation et de l’approbation environnementales habituelles, même si ce n’est pas ce que les provinces souhaitent?
Me Heft : Il est exact que l’article 7 du projet de loi confère au gouverneur en conseil le pouvoir de soustraire un projet à l’application de diverses lois fédérales en ce qui a trait aux exigences relatives aux permis et aux approbations.
La sénatrice Simons : C’est extraordinaire, car il s’agit d’une bande de terre écosensible. Un pont sur l’eau, c’est une chose, mais on parle de marais, de milieux humides, de lieux où nichent les oiseaux et d’une terre écosensible. Il me semble donc extraordinaire que ce projet de loi donne à un gouvernement le pouvoir de se soustraire à tout processus d’évaluation environnementale.
Le président : Sur ce, chers collègues, nous allons conclure.
Au nom du comité, je tiens à remercier les fonctionnaires d’avoir été si généreux de leur temps et de nous avoir donné des réponses complètes. Nous vous en sommes reconnaissants.
Chers collègues, pour notre deuxième groupe de témoins, nous sommes heureux d’accueillir des experts en droit constitutionnel qui se joignent à nous par vidéoconférence pour nous faire part de leurs réflexions et de leurs points de vue. Nous accueillons donc Nicole O’Byrne, professeure agrégée, Faculté de droit, Université du Nouveau-Brunswick; Andrew Leach, professeur, Faculté des arts (science économique) et Faculté de droit, Université de l’Alberta; et Emmett Macfarlane, professeur, Département des sciences politiques, Université de Waterloo.
Bienvenue et merci de vous joindre à nous ce soir. Nous entendrons d’abord les déclarations liminaires de cinq minutes de la professeure O’Byrne, puis celles de M. Leach et de M. Macfarlane, avant de passer aux questions de mes collègues.
Nicole O’Byrne, professeure agrégée, Faculté de droit, Université du Nouveau-Brunswick, à titre personnel : Bonsoir à tous. Je vous parle depuis le territoire des Wabanaki, où l’isthme de Chignecto constitue un corridor de transport pour les Autochtones et les Allochtones depuis des temps immémoriaux. Je suppose qu’il convient que nous ayons cette conversation ce soir.
J’ai fait parvenir des documents d’information par écrit dont je vais souligner certains points dans le temps dont je dispose pour cette déclaration liminaire. Je vais vous parler en ma qualité d’historienne de la Constitution qui, croyez-le ou non, étudie les ententes fédérales-provinciales de partage des coûts depuis plus de 20 ans. La plupart des gens me trouvent très ennuyeuse. Je suis ravie d’être ici ce soir.
Je commencerai par dire que l’article 145 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 établit clairement que la construction d’un chemin de fer reliant Halifax à Québec était une condition à l’entrée des provinces de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick dans la Confédération. Il ne faut pas perdre cela de vue. Voilà la toile de fond. C’était important dans les années 1860, et l’importance de ce corridor de transport n’a pas diminué en plus de 150 ans. Les défis auxquels la région est confrontée se sont sans doute intensifiés au fil du temps à cause des changements climatiques et autres, que vous connaissez très bien. Je souligne que le gouvernement fédéral a assumé le fardeau de la construction de ce chemin de fer au XIXe siècle pour honorer ce pacte de la Confédération.
Deuxièmement, dans les années 1940, le gouvernement fédéral a assumé la principale responsabilité financière découlant de la Loi sur l’utilisation des terrains marécageux des provinces maritimes, ainsi que des dispositions de la loi sur le rétablissement de l’agriculture des Prairies dans les provinces des Prairies. Dans le contexte de l’époque, on pensait que les provinces ne pouvaient pas assumer ce fardeau financier. Face à ces grands défis — qu’il s’agisse des crises environnementales, des sécheresses successives dans les Prairies dans les années 1930 ou des travaux gigantesques que nécessitaient alors les marécages et les digues —, le gouvernement fédéral est intervenu et a payé l’essentiel de la facture. On jugeait que les provinces n’avaient pas la capacité financière de le faire.
Troisièmement je précise que l’alinéa 92(10)c) concernant la déclaration à l’avantage général du Canada, a été invoqué près de 500 fois depuis la Confédération, principalement pour des projets ferroviaires et de grands projets d’infrastructure, le plus récent en date, le pont Samuel-De Champlain, ayant été entièrement financé par le gouvernement fédéral.
En quatrième lieu, je dirai qu’il revient au Parlement seul de faire une déclaration en vertu de l’alinéa 92(10)c). C’est une décision entièrement politique. Les tribunaux ne peuvent pas en être saisis. Nous nous sommes habitués à la Charte depuis 1982 et à ce modèle de dialogue, mais ici, il est question d’un autre article, d’une autre partie de la Constitution, ce qui est différent. Ces décisions ne peuvent pas faire l’objet d’un examen juridique. Le renvoi devant la cour par la Nouvelle-Écosse au sujet de l’alinéa 92(10)a) est une question tout à fait distincte de celle dont nous discutons ce soir, c’est-à-dire l’alinéa 92(10)c).
Cinquièmement, la formule de partage des coûts d’un projet est tout à fait distincte de la décision de déclarer l’avantage. Je vais vous donner deux exemples de la variabilité de ces ententes de partage des coûts.
Premièrement, c’est à coûts partagés qu’a été mis en œuvre le programme d’assurance-maladie dans les provinces canadiennes. Le gouvernement fédéral a commencé par offrir 50 cents du dollar. Beaucoup de provinces, surtout dans le Canada atlantique, ont dit : « C’est un programme d’intérêt public tellement ambitieux que nous ne pouvons pas en assumer le fardeau financier. » Au Nouveau-Brunswick — et j’ai écrit un article à ce sujet —, le gouvernement fédéral a payé près de 90 % pour lancer le programme. Il a payé 92 % de la note à Terre-Neuve et près de 90 % en Nouvelle-Écosse. On sait donc que le gouvernement fédéral s’écarte de la formule initiale de 50-50 quand il doit le faire pour s’assurer que les programmes sont réalisés à l’avantage général du Canada.
Deuxièmement, il y a le cas de l’Administration de l’assainissement des terrains marécageux des provinces maritimes. Les gouvernements provinciaux du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse responsables de ce programme n’étaient chargés que de regrouper les propriétaires fonciers pour assurer un drainage adéquat et encourager une utilisation appropriée des terres. C’était loin d’être du 50-50. À l’époque, il y avait beaucoup d’autres programmes. Le Northern Conservation Board de la Saskatchewan, par exemple, a été mis en place selon du 50-50. On a dressé des tableaux et fait bien d’autres choses. Je pourrais vous montrer si cela vous intéresse. Mais il y a beaucoup de variations dans la façon dont fonctionne le financement.
Je terminerai sur une question que je pose à mes étudiants : L’histoire est-elle importante en matière de droit constitutionnel? Je me plais bien sûr à penser que tel est le cas. Je suis une historienne de la Constitution. La Constitution n’est pas une loi ordinaire. Il faut l’interpréter de manière large et téléologique, en tenant compte du contexte historique. Cette promesse de l’article 145 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 et la façon dont le Canada est né reposaient sur la réalisation du corridor de transport de Halifax à Québec. Nous ne devons pas perdre cela de vue.
Sur ce, je cède la parole à mes estimés collègues. J’ai hâte d’entendre ce qu’ils ont à dire.
Andrew Leach, professeur à la faculté des arts (science économique) et à la faculté de droit de l’Université de l’Alberta, à titre personnel : Je vous remercie, honorables sénateurs, de m’avoir invité à témoigner devant votre comité.
[Français]
C’est un plaisir d’être avec vous par téléconférence à partir d’Edmonton, territoire visé par le Traité no 6.
[Traduction]
Le projet de loi dont vous êtes saisis aujourd’hui — le projet de loi S-273 — déclare que le réseau de digues de l’isthme de Chignecto constitue un avantage général pour le Canada. A priori, ces mots peuvent sembler anodins, mais comme Mme O’Byrne et d’autres l’ont mentionné, quand on les inclut dans la législation fédérale, ils évoquent l’un des pouvoirs les plus vastes du Parlement, soit le pouvoir déclaratoire. J’ai trois choses à dire à ce sujet.
Premièrement, le réseau de digues est interconnecté et traverse la frontière entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Je suis donc d’avis que cela relève déjà de la compétence fédérale. Ainsi, la déclaration contenue dans le projet de loi S-273 n’aurait aucun effet juridique.
Deuxièmement, même s’il existe une incertitude juridictionnelle et que celle-ci est résolue par la déclaration, cela n’impose aucune obligation de maintenir le réseau ou de respecter l’histoire, comme Mme O’Byrne vient de l’expliquer de façon très convaincante. Cela ne fait pas partie de la déclaration.
Enfin, rien dans ce qui suit ne devrait être perçu comme minimisant la crise que l’isthme de Chignecto doit affronter sous l’effet des changements climatiques.
Dans un texte de 1929, l’ancien juge en chef Lyman Duff a qualifié le pouvoir déclaratoire de « pouvoir de nature très inhabituelle » parce qu’il permet au gouvernement fédéral, à sa pleine et entière discrétion, d’exercer sa compétence sur ce qui relèverait autrement du contrôle exclusif des provinces. Quand j’en parle dans mes cours, je dis que c’est un super pouvoir fédéral. On ne l’utilise pas très souvent, mais c’est tout à fait cela. Comme l’a dit Mme O’Byrne, nous avons à ce sujet une jurisprudence moderne limitée, mais les tribunaux n’ont jamais montré qu’ils étaient disposés à limiter son fonctionnement. Comme le sénateur Quinn l’a dit à la fin du dernier tour de table, ces décisions sont considérées comme des décisions stratégiques qui ne seront normalement pas soumises à l’examen des tribunaux.
L’utilisation du pouvoir déclaratoire par le Parlement n’est limitée que de deux façons. Elle ne peut viser que des ouvrages ou des entreprises, ce qui est très large, et ces ouvrages ou entreprises doivent, pour citer le texte, être « entièrement situés dans une province ». Le réseau de digues ne répond tout simplement pas à ce critère. Même un examen superficiel d’une carte du réseau intégré permet d’arriver à cette conclusion — je cite le rapport du Nouveau-Brunswick dans mon mémoire, auquel vous aurez accès sous peu. Le réseau demeure intégré par-delà la frontière provinciale.
Donc, quand on pense à la façon dont les tribunaux traitent cette question, on voit que les ouvrages — les aspects matériels — et les entreprises — les modalités d’utilisation des aspects matériels — peuvent relever de la compétence des provinces dans une seule circonstance, ce qu’établit l’article 92. Ce sont des compétences provinciales si les ouvrages se situent sur le territoire de la province, sinon, les provinces ne peuvent pas avoir compétence.
Comme je l’ai dit, le réseau de digues constitué d’aboiteaux, de ponceaux et autres s’étend des deux côtés de la frontière, et l’ouvrage régulateur de la rivière Mistaouac chevauche la frontière, de sorte qu’on peut affirmer que le réseau de digues répond à la définition « … d’ouvrage ou d’entreprise s’étendant au-delà des limites d’une province… », pour reprendre encore une fois le texte de la Constitution. Le réseau de digues est « intégré sur le plan fonctionnel » — pour citer ici l’arrêt Westcoast Energy de la Cour suprême relativement à la définition de la compétence aux termes de l’alinéa 92(10)a). Les deux réseaux ne peuvent absolument pas fonctionner efficacement ou être mis à niveau indépendamment l’un de l’autre. Ils doivent être administrés conjointement, ce qui, à mon avis, incombe au palier fédéral.
Maintenant, il y a un précédent pour l’utilisation du pouvoir déclaratoire. Nous avons entendu parler des endroits où il y a des ouvrages qui s’étendent au-delà des frontières d’une province. Bell Canada en est un excellent exemple. La Loi sur les ponts et tunnels internationaux en est une autre. Voici ce que l’ancien juge en chef Lamer a écrit dans un arrêt à propos d’une déclaration par Bell Canada : « … à supposer qu’elle ne soit pas complètement redondante, pour parfaire le contrôle du Parlement sur l’entreprise. » Nous en sommes peut-être là avec ce projet de loi aujourd’hui. Comme Lord Macnaghten l’a écrit dans une décision en 1905 — j’ai l’impression d’être en train de reprendre le prix de grosse tête en histoire de Mme O’Byrne : « ... dans la mesure où les ouvrages et l’entreprise… n’étaient pas confinés aux limites de la province, cette partie de la déclaration semble dénuée de sens. »
C’est ce que je pense aujourd’hui, c’est-à-dire que les mots prendront leur sens simple et n’auront aucune valeur juridique en termes de compétence.
Je vais clarifier deux autres points pour conclure.
Le fait que la compétence puisse être confirmée par une déclaration ne contraint en rien le gouvernement fédéral à maintenir le financement ou à financer de quelque manière que ce soit le réseau de digues ou l’isthme lui-même. Le financement peut venir d’ailleurs. Dans leurs interventions plus tôt ce soir, les sénateurs Quinn et MacDonald ont parlé de la coïncidence entre la déclaration de compétence fédérale relativement au pont Champlain et le financement de sa construction par le palier fédéral ainsi que la propriété fédérale. Il ne s’agit de rien d’autre. Légalement, ce sont des coïncidences. Les deux ne vont pas forcément de pair.
Je conclurai rapidement en vous rappelant que l’isthme est l’une des régions du Canada confrontées à des menaces graves en raison des changements climatiques. J’estime que nous devrions faire mieux que de nous en remettre à des travaux de renforcement d’un réseau de digues vieux de plus d’un siècle pour nous protéger contre les marées de la baie de Fundy. Cependant cette responsabilité incombe à la fois au gouvernement fédéral et aux provinces et elle existe peu importe l’assemblée législative qui a compétence sur le réseau de digues de l’isthme.
Merci.
Emmett Macfarlane, professeur au département des sciences politiques de l’Université de Waterloo, à titre personnel : Merci de m’avoir invité. Je vais essayer d’être bref. J’aimerais me limiter à quatre points principaux.
Premièrement, je crois que le projet de loi S-273 est un exercice valide du pouvoir déclaratoire fédéral en vertu de l’alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867. Le réseau de digues de l’isthme de Chignecto appartient bien à la catégorie reconnue d’« ouvrages » traditionnellement visée par le pouvoir déclaratoire. Comme M. Leach vient de le dire, la question juridique qui se pose toujours revient à savoir si les digues relèvent déjà de la compétence fédérale. Cela peut dépendre en grande partie de la décision des tribunaux de considérer qu’il s’agit d’un réseau transfrontalier unique et cohérent ou, subsidiairement, de réseaux distincts qui se rencontrent à la frontière. Selon la façon dont on répondra à la question juridique, le recours au pouvoir déclaratoire fédéral pourrait être considéré comme redondant dans un certain sens, mais, à mon avis, cela n’en compromettrait pas la validité ou la constitutionnalité.
Deuxièmement, le recours au pouvoir déclaratoire n’oblige pas le gouvernement fédéral à entreprendre une quelconque activité ou à financer entièrement l’amélioration du réseau de digues. Ce pouvoir permet au Parlement de placer sous compétence fédérale un ouvrage qui pourrait autrement être considéré comme étant un ouvrage local dans une province. Il s’agit toutefois de la définition même d’une autorité compétente : le pouvoir d’adopter des lois ou de prendre des décisions stratégiques sur une question à l’étude. L’autorité compétente continuerait d’avoir le choix de financer ou non l’entièreté du projet et d’entreprendre des négociations avec la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick sur la question des coûts avant le lancement du projet.
Troisièmement — et pour faire suite à ce point —, il convient de prendre note du contexte général, notamment de la question du pourvoi devant la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse. Les membres du comité se demandent peut-être si le projet de loi a une incidence sur cette procédure ou si le projet de loi lui-même peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Il est important de comprendre que les réponses des tribunaux sur les questions de compétence ne donnent pas lieu à des obligations financières. De nos jours, le principal courant jurisprudentiel insiste sur le caractère souple et coopératif du fédéralisme. La répartition des pouvoirs est vue comme un code exhaustif pour déterminer la souveraineté au Canada, mais de nombreux domaines se chevauchent. Le fédéralisme coopératif est devenu un élément robuste de la pratique politique dans les relations gouvernementales, et les tribunaux n’interviennent généralement pas pour faire respecter des accords de financement implicites, voire établis. Autrement dit, la répartition des pouvoirs concerne les compétences et non les dépenses. Si le Parlement adopte le projet de loi S-273, il n’y aura probablement pas d’incidences juridiques sur les dépenses du gouvernement.
Enfin, il a été question de l’importance de consulter les communautés autochtones touchées. Il convient de préciser de manière explicite que le respect des droits des peuples autochtones aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 constitue une obligation pour les gouvernements fédéral et provinciaux. Ces deux ordres de gouvernement doivent respecter les « droits ancestraux et issus de traités » des peuples autochtones. Par conséquent, l’ordre de gouvernement qui a compétence dans un projet a le devoir constitutionnel de consulter les Premières Nations dont les terres ou les droits peuvent être touchés et de prendre en compte leurs intérêts. Je ne suis pas en mesure de dire si un gouvernement donné affiche un meilleur bilan qu’un autre lorsqu’il s’agit de respecter ces obligations, mais je peux affirmer que, sur le plan constitutionnel, leur nature ne change pas selon le gouvernement qui a compétence.
Je vais en rester là pour l’instant. Merci.
Le président : Merci, monsieur.
La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Macfarlane, vous êtes expert en constitution, mais aussi en matière de politique, et il me semble que ce projet de loi se situe en quelque sorte à la jonction de ces deux domaines. J’aimerais avoir votre opinion. Vous avez dit que c’était un bon projet de loi et que ce pouvoir pouvait être invoqué. Cela étant posé, ce projet de loi va-t-il changer quoi que ce soit sur le plan... Les projets de loi ont généralement pour objet de changer ou de faire des choses de façon plutôt concrète. Je me demande si vous avez une opinion à ce sujet. Comme ce projet de loi ne fait rien sur le plan du financement, mais qu’il peut être adopté sans problème, il ne serait pas inconstitutionnel. Que pensez-vous, sur les plans politique et constitutionnel, de ce projet de loi?
M. Macfarlane : Merci.
Vous avez, je pense, entendu ce que vos trois invités ont dit tout à l’heure au sujet de l’aspect juridique du débat. Je pense qu’il y a aussi plusieurs aspects politiques au projet de loi, l’un d’eux consistant à attirer davantage l’attention sur le réseau de digues et sur l’urgence d’agir. Je ne crois pas que le projet de loi puisse en aucune façon créer des obligations financières légales, mais, s’il est adopté, il a la capacité d’exercer des pressions politiques additionnelles sur le gouvernement pour qu’il apporte des améliorations et peut-être pour qu’il soit plus généreux sur le plan du financement. Je ne tenterai pas de prédictions quant à la façon dont le gouvernement pourrait réagir à cette pression, mais je peux certainement voir à quel point des pressions politiques supplémentaires pourraient être exercées si le projet de loi était adopté.
La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce le rôle de la loi de le faire?
M. Macfarlane : Il n’y a pas...
La sénatrice Miville-Dechêne : Je lui pose simplement la question.
M. Macfarlane : Il n’y a pas de limites distinctes quant aux divers objectifs visés dans une mesure législative. Le Parlement est libre d’utiliser la loi pour obliger le gouvernement à rendre des comptes, pour lui imposer des obligations directes, et je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas utiliser la loi pour imposer un élément d’obligations symboliques ou politiques par le biais d’instruments juridiques.
La sénatrice Simons : Monsieur Leach, je vais commencer par vous. Vous avez fait valoir de façon assez convaincante que c’est déjà le cas, en raison de l’interdépendance — non seulement du fait que l’ouvrage franchit une frontière, mais aussi parce que l’infrastructure elle-même est interreliée — et qu’il y a lieu de parler de compétence fédérale. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur l’importance juridique que pourrait avoir l’adoption de ce projet de loi.
J’aimerais aussi connaître votre avis sur la réglementation environnementale, parce que je sais que vous êtes également économiste de l’environnement et que vous connaissez peut-être le projet de loi C-69 encore mieux que moi. À la façon dont j’interprète les choses, j’aurais pensé que ce dossier était déjà assujetti à la Loi sur l’évaluation d’impact.
J’aimerais que vous nous parliez d’abord de la force et de l’effet de cette loi, puis de l’article 7 du projet de loi, qui permettrait une exemption par rapport à la réglementation environnementale.
M. Leach : Merci, sénatrice.
J’estime que le rapport du Nouveau-Brunswick m’aide vraiment à comprendre ce qu’il en est. Je l’ai cité dans le mémoire que vous recevrez sous peu. Dans le rapport du Nouveau-Brunswick, il est question de renforcer tout le réseau. Le faire d’un seul côté de la frontière serait foncièrement inutile. Si nous augmentons la hauteur des digues pour contenir les marées sur plus de la moitié des basses terres de l’isthme, nous ne contiendrons pas les effets qui nous préoccupent tant, soit ceux que la professeure O’Byrne a soulignés à propos des infrastructures de transport. Nous avons affaire à un réseau intégré. C’est comme avec les pipelines. On peut toujours considérer que l’oléoduc va d’abord jusqu’à la frontière de la Colombie-Britannique, puis qu’il continue jusqu’à Burnaby, mais il difficile d’imaginer qu’une de ces deux moitiés puisse fonctionner indépendamment de l’autre. Voilà où se situe l’impact ici.
J’ai écouté ce qui s’est dit avec le premier groupe de témoins, et je pense qu’ils avaient tout à fait raison d’affirmer que le projet de loi vise à créer une exemption. Mes collègues me corrigeront si je me trompe, mais étant donné que le particulier prend le pas sur le général, il s’agirait d’une exemption fédérale à une loi fédérale plus générale traitant d’évaluation environnementale. Ainsi, même si la Loi sur l’évaluation d’impact devait jouer un rôle sans ce cas, la réponse est oui. Ce pourrait être quelque chose de souhaitable non seulement pour des changements, mais aussi aux fins d’évaluations régionales et stratégiques du secteur en vertu de cette loi. Il y a là un conflit intéressant, et je ne suis pas certain de la raison pour laquelle cela figure à l’article 7.
La sénatrice Simons : Madame O’Byrne, j’ai bien aimé le parallèle que vous avez établi avec la construction du chemin de fer vers l’Ouest qui a contribué à faire entrer la Colombie-Britannique dans la Confédération. J’ignorais que cela faisait partie de l’accord sur la Confédération.
Il me semble que nous pourrions tous convenir que les digues sont à l’avantage général du Canada en ce sens qu’elles sont bonnes pour le pays tout entier. Pouvez-vous m’expliquer si l’adoption de ce projet de loi pourrait faire plus que simplement affirmer que la digue est une bonne chose?
Mme O’Byrne : Voilà qui est intéressant. J’ai écouté les réponses de mes collègues à ce sujet qui se demandaient ce à quoi pouvait mener une déclaration.
À mon avis, elle permet d’éliminer les obstacles à l’imposition d’une formule de partage des coûts. Tout le monde, on le constate, convient que cela fait partie du projet national, n’est-ce pas? C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à tout le monde de réfléchir à la question générale de la Confédération, de réunir les différents éléments. Il y avait des conditions. Ces conditions continuent d’exister.
Si l’isthme de Chignecto était submergé et que nous étions coupés de la Nouvelle-Écosse, ce serait terrible. Peut-être qu’on n’avait pas envisagé ce scénario en 1867, mais à l’époque, on s’est certainement dit à propos de certaines parties de la Constitution que les problèmes pourraient atteindre une telle envergure que... c’est pourquoi il fut décidé de constituer une grande unité politique, la Confédération, pour gérer les ressources à déplacer d’un coin à l’autre afin de s’attaquer à des problèmes localisés. Il va dans l’intérêt de la nation de faire ce genre de choses.
Il arrive donc parfois que le fait de déclarer qu’un projet est à l’avantage général du Canada fasse tomber un obstacle et revienne à dire au gouvernement fédéral qu’il ne s’agit pas simplement d’un point de départ implicite à un partage des coûts à parts égales. Ce n’est pas un programme comme les autres. C’est quelque chose de très important. J’en reviens à mon exemple du programme d’assurance-maladie. Ce programme était incroyablement ambitieux, énorme, et il devait être adopté le 1er juillet 1967 pour marquer le centenaire de la Confédération. Ce devait être notre prochain grand projet. Eh bien, les petites provinces ont dit : « Pas question; nous ne pouvons pas nous permettre de partager les coûts moitié-moitié, car nous allons devoir mettre en place toute la bureaucratie, toute l’administration de ce vaste programme, payer les médecins et assumer tous les coûts qui y sont associés. Nous ne pouvons pas le faire. » C’est ainsi que le gouvernement fédéral s’est dit disposé à aller jusqu’à 90 % pour faire bouger les choses. Une telle action permet d’éliminer les obstacles, ce qui est une façon un peu différente de voir les choses, mais je pense que cela pourrait être utile.
La sénatrice Simons : Les obstacles sont en quelque sorte imaginaires.
Je terminerai par une question à M. Macfarlane. J’ai été frustrée d’entendre les fonctionnaires nous dire que les règles prévoient un financement à 50 %. Or, il n’y a pas de règles absolues, mais c’est ainsi que les choses se passent dans un administration. Il n’existe pas de formule magique disant qu’il faut que ce soit du 50-50. Si le gouvernement fédéral veut se présenter à la table avec plus d’argent, il peut le faire. Il peut créer un nouveau programme ou mettre moins d’argent. Excusez-moi. Qu’en pensez-vous? L’adoption de cet amendement n’oblige pas le gouvernement fédéral à dépenser plus d’argent.
Le président : Pourriez-vous répondre brièvement, s’il vous plaît?
M. Macfarlane : La déclaration peut exercer des pressions additionnelles en attirant l’attention sur un projet considéré comme un enjeu national, mais il ne contraint en rien le gouvernement fédéral à en faire davantage. Le gouvernement fédéral a le pouvoir discrétionnaire absolu de tout financer ou de ne pas mettre un sou.
Le sénateur Quinn : Tout d’abord, monsieur Leach, on m’a demandé de vous remercier d’avoir comparu devant Sénateurs pour des solutions climatiques. La sénatrice Coyle m’a demandé de vous remercier de votre comparution. Malheureusement, je n’ai pas pu être là.
J’aimerais revenir sur le dernier point concernant la bureaucratie qui invente des explications. Seriez-vous d’accord pour dire que, lorsque des programmes sont mis sur pied, des autorisations sont accordées et des plafonds de dépenses sont fixés? Dans le cas du FAAC, le Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes, la limite de dépenses est de 50 %, à l’exception des programmes autochtones et d’un autre qui est de 75 %. Êtes-vous d’accord pour dire qu’il existe des pouvoirs liés aux programmes de financement?
M. Leach : Je suis d’accord avec la sénatrice Simons. Ce sont des règles que nous avons créées de toutes pièces pour le gouvernement et pour la bureaucratie. Ce ne sont pas des règles au sens de l’attribution des compétences dont nous traitons aujourd’hui.
Le sénateur Quinn : Je vais poursuivre avec vous, monsieur Leach, si vous le voulez bien. Tout comme vous, je sais que des autorisations de dépenser sont établies pour les divers programmes. Le programme du FAAC. le Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes, pour ce type de projet est de 50 %. Bien sûr, ces règles peuvent être contournées par le Cabinet, surtout s’il est investi d’un pouvoir juridictionnel sur un projet donné. Le pouvoir déclaratoire n’est-il pas un outil légitime prévu dans la Constitution? Ne légitimise-t-il pas la décision politique que doit prendre le Parlement, avant que le gouvernement ne décide de la marche à suivre, soit d’intervenir ou pas, de financer ou pas?
M. Leach : Cela ne change rien au pouvoir de dépenser du gouvernement. Celui-ci peut financer des projets qui ne relèvent pas du tout de sa compétence. Il a le pouvoir de les financer jusqu’à 100 % s’il le souhaite. D’un autre côté, il peut avoir compétence sur des choses qu’il choisira de ne pas financer, de ne pas prioriser, qu’il décidera de ne pas posséder et de ne pas construire. Toutes ces activités relèvent de la compétence fédérale. Je ne pense pas que l’une suive nécessairement une autre de quelque façon que ce soit.
Le sénateur Quinn : Comme j’ai été directeur financier, j’adorerais discuter avec vous plus tard au sujet des pouvoirs de dépenser et de la façon dont cela fonctionne.
M. Leach : Bien sûr, quand vous voulez.
Le sénateur Quinn : Ma question s’adresse à tous les témoins. À votre avis, quelles seraient les répercussions de l’adoption par l’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse d’une résolution disant que nous appuyons le projet de loi S-273? Le Nouveau-Brunswick a déposé une résolution. J’ai cru comprendre que, la semaine prochaine, cette résolution sera débattue une dernière fois avant d’être adoptée. Cela aura-t-il une incidence sur la progression de ce projet de loi en ce qui a trait aux relations fédérales-provinciales, à la Constitution et à la réalisation de projets? Je vais commencer par Mme O’Byrne, si vous me le permettez.
Mme O’Byrne : Habituellement, quand le gouvernement fédéral s’ingère dans un domaine de compétence provinciale, les provinces crient au scandale en disant, par exemple : « Sortez-vous de nos pattes. Nous ne voulons pas d’incursions fédérales dans notre espace. » Avec le consentement de la province de la Nouvelle-Écosse, et le consentement prochain du Nouveau-Brunswick, cette situation disparaît. Les provinces sont partantes. Encore une fois, il s’agit d’éliminer les obstacles.
J’essaie de croire en un fédéralisme concurrentiel... voilà, je viens de commettre un lapsus, car je voulais dire « fédéralisme coopératif ». Quoi qu’il en soit — et je vois M. Leach sourire —, dans le meilleur des cas, nous assistons toujours à un certain tiraillement, ce qui disparaît sous l’effet du consentement des deux provinces concernées. Encore une fois, un autre obstacle a été éliminé. Je juge cela important.
M. Leach : Je pense à ce que Mme O’Byrne vient de dire, à savoir que les provinces du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse comprennent que ce projet doit être cogéré. J’ai lu le rapport du Nouveau-Brunswick qui a précédé ce projet de loi. On y parle — d’une façon qu’on ne verrait jamais dans aucun autre rapport provincial — de la gestion de terres situées dans une autre province. Bien sûr, le Nouveau-Brunswick n’a pas le pouvoir d’adopter de lois pour influer sur les décisions de la Nouvelle-Écosse, et l’inverse est également vrai. Les provinces ont besoin du gouvernement fédéral, mais je ne pense pas que le pouvoir déclaratoire change cette réalité.
Le sénateur Quinn : Monsieur Macfarlane, avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
M. Macfarlane : Je suis peut-être plus cynique que mes collègues. Je pense, personnellement, que les provinces exercent des pressions à cause de la dimension financière. Les questions d’argent sont omniprésentes dans les relations intergouvernementales au Canada. Les provinces veulent le moins d’ingérence possible dans leurs champs de compétences et réclament le plus d’argent possible du fédéral. Telle est la réalité politique de nos relations intergouvernementales.
Le sénateur Quinn : Merci.
La sénatrice Dasko : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui. C’est tellement intéressant.
Je suis frappée par le commentaire de M. Leach selon lequel cela donnerait un pouvoir énorme au gouvernement fédéral et par d’autres commentaires selon lesquels cela ne veut rien dire et n’aboutira à rien. Nous sommes face à deux théories qui s’opposent. Vous pourrez en parler plus tard.
Je m’intéresse au lien qui existe entre le renvoi devant la cour et le pouvoir déclaratoire. Par exemple, si la cour devait dire que le palier fédéral n’a pas de compétence en la matière, ce projet de loi pourrait-il faire son bout de chemin? Serait-il valide? On pourrait se dire que, si les tribunaux déclaraient que le fédéral n’ a pas compétence, il ne servirait à rien de présenter un projet de loi comme celui-ci, n’est-ce pas? À moins que?
M. Leach : Dans le contexte d’une décision ou d’une opinion contraignante de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, ces mots revêtent clairement tout leur sens. S’il s’agit d’une infrastructure interprovinciale, le fait de dire qu’elle est à l’avantage général du Canada ne change rien. Elle ne relèverait pas plus de la compétence du gouvernement fédéral. Rien ne changerait et cela équivaudrait peut-être à une motion dans ce contexte.
Pour revenir à ce que disait M. Macfarlane, il n’est pas question d’invalidité. Il n’est pas question d’essayer d’agir en dehors des pouvoirs du gouvernement fédéral. Il s’agit simplement d’invoquer un pouvoir à propos d’une infrastructure interprovinciale. C’était vrai quand le premier ministre de l’époque, M. Kenney, a parlé de le faire pour le pipeline Trans Mountain. Il est inutile de dire que nous le déclarerons pour l’avantage général du Canada, car ce pipeline relevait déjà du palier fédéral.
Quant à ce que vous disiez tout à l’heure, il n’était certainement pas inutile que le gouvernement fédéral l’invoque, par exemple dans la Loi sur les grains du Canada, pour assujettir tous les élévateurs à grains de l’Ouest canadien à la compétence fédérale, ce qui n’était pas le cas auparavant. Il s’agit d’un pouvoir très vaste permettant de faire tomber dans l’escarcelle du fédéral une chose ne relevant normalement pas de ce palier.
Dans ce contexte, je soutiens que cela ne changerait rien parce que ce projet relève déjà presque certainement du fédéral. L’ouvrage est déjà interprovincial par nature.
La sénatrice Dasko : D’accord. Vous dites que vous vous attendez à ce que la cour déclare que l’ouvrage est de compétence fédérale. C’est ce que vous dites, n’est-ce pas? C’est ce à quoi vous vous attendez? Si oui, quel est le but de ce pouvoir déclaratoire? Est-ce que cela ne fait que s’accumuler? Il y a ceci, il y a le jugement du tribunal, puis il y a le pouvoir déclaratoire. C’est un cumul des deux, n’est-ce pas? Ou non?
M. Leach : Dans le cas des ponts et des tunnels internationaux, où se termine un pont international? Nous ne savons pas vraiment où s’arrêtent et où commencent les routes provinciales, et il est donc possible que le pouvoir déclaratoire entre en ligne de compte et jette un peu de clarté sur les parties d’infrastructures qui relèvent de la compétence fédérale. Dans ce cas, nous savons où commence et où se termine le réseau de digues. On peut le voir sur une carte. C’est très clair. Je ne crois pas que l’utilisation du pouvoir déclaratoire prêterait à plus d’incertitude. Si la Cour d’appel était d’accord avec moi — et je l’invite à l’être —, alors je pense que les choses seraient très claires. C’est important — peut-être, pour reprendre les mots de la professeure O’Byrne — et ce projet s’inscrit dans une vision nationale, mais ce n’est pas un mot codé pour désigner un superpouvoir, comme je l’ai indiqué plus tôt.
La sénatrice Dasko : Les autres témoins ont-ils quelque chose à ajouter? Madame O’Byrne, allez-y je vous prie.
Mme O’Byrne : Merci beaucoup.
J’aimerais rappeler aux gens que le pouvoir déclaratoire général en vertu de l’alinéa 92(10)c) est tout à fait particulier et différent de ce dont il est question dans ce pourvoi devant la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse qui, lui, correspond à l’alinéa 92(10)a). Je ne souhaite pas me lancer dans une discussion trop juridique à ce sujet, mais ce sont des choses radicalement différentes les unes des autres. Ce sont des considérations distinctes, et c’est pourquoi, quand j’ai rédigé le document d’information, je me suis limité à l’alinéa 92(10)c), parce que c’est là l’objet du projet de loi S-273. Ces autres considérations sont complètement distinctes, et il peut être très déroutant d’essayer de les regrouper. Ne pensez plus à l’alinéa 92(10)a).
Nous verrons si Emmett Macfarlane peut mieux vous expliquer la situation.
La sénatrice Dasko : Ce serait une nouvelle strate, n’est-ce pas? Si, dans sa décision, la cour dit que c’est un pouvoir fédéral, et que vous adoptez ensuite ce projet de loi reconnaissant la compétence fédérale, même s’il s’agit de choses distinctes, c’est toujours...
Mme O’Byrne : Certes. Je vais m’en tenir à ma métaphore des obstacles et de l’abattage continu des obstacles. Ce serait un autre exemple, mais sur le plan conceptuel, et d’après les différents articles de la Constitution, deux choses très différentes se produisent en même temps.
La sénatrice Dasko : Merci.
La sénatrice Simons : Professeure O’Byrne, vous avez dit que la déclaration éliminait les obstacles, mais il n’y en a pas d’obstacles. L’exemple que le professeur Leach a donné de la nationalisation des silos à grains — je ne sais pas si c’est le bon terme, mais je veux parler du fait que le gouvernement a déclaré que les silos à grains étaient d’intérêt national... Je ne connais pas l’histoire, mais j’imagine que des gens ont été en colère en Saskatchewan, en Alberta et au Manitoba quand cela s’est produit. Finalement, plus ça change... Cela étant, quels sont les obstacles que nous devons surmonter dans cette situation inhabituelle où les provinces supplient le gouvernement fédéral d’assumer sa compétence en la matière?
Mme O’Byrne : Merci.
Bien sûr, il y a les deux questions auxquelles le professeur Macfarlane a très bien répondu. La compétence est très différente de l’obligation de base. Dans ce cas-ci, nous constatons cependant que le gouvernement fédéral est prêt à contribuer, mais uniquement à hauteur de 50 %, dit ceci : « La seule façon dont nous allons aider, c’est avec un partage des coûts moitié-moitié », ce qui n’a rien à voir avec une formule du genre 90-10 ou n’importe quelle autre configuration sur laquelle les gouvernements pourraient s’entendre après coup.
L’obstacle à abattre consisterait à dire que le projet revêt une importance nationale primordiale à un point tel que le Parlement a décidé de rendre une décision politique ne pouvant faire l’objet d’un examen judiciaire. Ce serait aussi de dire que le projet traduit notre raison d’être de nation, en ce sens que les petites entités ont souvent besoin d’aide pour faire face aux grands défis sur le plan des infrastructures.
Donc, si ces deux choses sont distinctes, où sont les obstacles? Eh bien, je vois dans la presse — et c’est probablement la raison pour laquelle vous êtes saisis de ce projet de loi et pour laquelle nous sommes ici ce soir — que le gouvernement fédéral refuse de renoncer au principe de partage des coûts moitié-moitié. Une façon de l’amener à changer de position consisterait à évoquer le fait que certaines parties prenantes n’ont pas les moyens financiers de se payer des programmes comme l’assurance-maladie par le passé, ou comme d’autres programmes très ambitieux. Déclarer que tel ou tel projet est à l’avantage général du Canada va tout à fait dans le sens de ce que recherchaient les rédacteurs de la Constitution en 1867, c’est-à-dire que certains projets peuvent être si importants qu’ils s’insèrent différemment dans le système fédéral. Partant de là, la mécanique de partage des coûts et le reste peuvent être mis de côté.
Je viens de la Saskatchewan, et si vous voulez connaître l’histoire des silos à grains, je pourrai vous en parler parce que j’ai fait mes études de droit à l’Université de la Saskatchewan. Nous pourrions peut-être réserver cela pour une autre occasion.
La sénatrice Simons : Vous pourrez aller prendre un verre ensemble avec M. Leach. Ce sera parfait.
J’aimerais savoir s’il y aurait des conséquences à encourager le gouvernement fédéral à faire quelque chose de ce genre? Je pourrais peut-être commencer par M. Leach. Vous avez parlé du premier ministre Jason Kenney, qui avait demandé au fédéral de déclarer que le pipeline était à l’avantage général du Canada. Y a-t-il un danger à permettre au gouvernement d’exercer ce pouvoir déclaratoire dans une situation où, comme celle-là, les provinces le demandent? La déclaration normaliserait-elle ce genre de choses dans des situations où les provinces ne sont pas demandeuses?
M. Leach : Il est bien, je pense que le gouvernement fédéral mette son pied dans la porte et affirme son désir d’avoir une compétence législative à cet égard pour s’intéresser globalement et véritablement à un projet et en assumer la propriété, ou alors advenant que les provinces souhaitent que le gouvernement fédéral agisse de la sorte. Je ne vois pas nécessairement de problème à cela.
En revanche, je vois un problème dans le libellé. Il faut être prudents dans la rédaction des lois. Le pouvoir ne peut être invoqué que dans des situations et des circonstances très précises. Je ne pense pas que nous voulions faire ce que le premier ministre Kenney a fait à l’époque — la professeure O’Byrne l’a souligné — c’est-à-dire d’associer la compétence fédérale à un outil d’application de la loi fédérale plus puissant pour la construction d’un pipeline, cela à coup de strates successives jusqu’à aboutissement du projet. Dans ce cas, il s’agissait d’un projet relevant de l’alinéa 92(10)a). La déclaration faite à cette fin en vertu de l’alinéa 92(10)c) n’aurait rien donné. Nous devons être prudents dans la rédaction et n’invoquer que les pouvoirs définis dans la Constitution. Par exemple, nous n’utiliserions pas à la légère le mot « nonobstant » dans une loi où il n’aurait pas sa place. Je ne pense pas que nous voulions l’utiliser ici dans un contexte si nous ne sommes pas certains qu’il s’applique.
La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à Nicole O’Byrne. Nous avons entendu Rachel Heft plus tôt. Elle est l’avocate du gouvernement, et elle nous a essentiellement dit que, pour pouvoir déclarer qu’une infrastructure est à l’avantage général du Canada, il faut simplement savoir quelles lois fédérales s’appliquent à l’infrastructure, et sans plus. À l’évidence, comme vous êtes une passionnée, vous allez plus loin. Vous parlez d’intérêt général et d’intérêt du Canada. Qui a raison? Pourquoi dites-vous cela au sujet de ce pouvoir déclaratoire, contrairement aux fonctionnaires qui, plus terre à terre, disent que cette disposition a pour seul effet de confirmer que les lois fédérales s’appliquent à ce dont nous parlons. Comment expliquez-vous cette différence?
Mme O’Byrne : Eh bien, je suppose que je vais pouvoir retourner à la faculté de droit et dire que j’ai gagné le prix en droit constitutionnel pour avoir répondu à une question au sujet de l’alinéa 92(10)c) lors d’un examen final, mais c’était il y a 25 ans.
J’étudie ces ententes de partage de coûts depuis des lustres, et elles ne se limitent pas à une question de mécanique; elles vont au-delà des questions monétaires. Le droit constitutionnel peut uniquement concerner les questions d’argent ou peut concerner notre vision politique de nation et la raison pour laquelle nous existons. Le droit constitutionnel — et j’espère que le professeur Macfarlane sera d’accord avec moi à ce sujet — est du droit de plein titre, mais c’est aussi de la politique. C’est un mélange des deux.
Souvent, les avocats prennent la Constitution au pied de la lettre, et ils y voient un point de vue très réducteur. Je n’ai pas entendu le témoignage de Me Heft, et je suis probablement un peu dure dans mes propos, mais les avocats ont tendance à lire la Constitution de la façon la plus étroite qui soit.
Il faut élargir son interprétation de la Constitution parce que ce n’est pas une loi. Il y a différentes constructions et différents mécanismes d’interprétation. On parle ici d’un arbre vivant. C’est pourquoi il est impératif, dans notre examen des dispositions constitutionnelles, de tenir compte de l’histoire, de la politique et des problèmes qu’elles sont censées résoudre. Il ne faut pas se contenter de dire : « Eh bien, elles ne s’appliquent que dans des circonstances très limitées. » Parce que ce n’est pas ce que font les constitutions qui vont bien au-delà.
La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Macfarlane, c’est à vous pour une minute peut-être?
M. Macfarlane : Si je peux ajouter quelque chose, je dirais que c’est là un excellent exemple de la façon dont le Sénat joue son rôle de représentation régionale, puisqu’il propose un projet de loi d’initiative parlementaire qui soulève la question de l’intérêt national à propos d’une de nos grandes régions. Il ne s’agit pas seulement d’effets juridiques, mais aussi d’effets politiques et symboliques, d’après ce que je comprends.
Le sénateur Quinn : Merci pour ce dernier commentaire, professeur, parce que c’est exactement l’un de mes principaux objectifs ici, en tant que représentant d’une région : soulever une question d’importance nationale.
Nous avons entendu des témoignages selon lesquels l’alinéa 92(10)a) et l’alinéa 92(10)c) sont tous deux des instruments de la Constitution. Et puis, la professeure O’Byrne nous a dit que ces alinéas sont en fait distincts. Je le conçois, mais je crois comprendre qu’ils aboutissent à la même chose d’après ce que nous a dit un témoin du groupe précédent, soit l’avocate du ministère de la Justice. Elle nous a dit qu’ils aboutissent au même point pour ce qui est de la compétence et du droit fédéral.
Voici ma question : les tribunaux ont été saisis de cette affaire et une cour d’appel rendra une décision à ce sujet tôt ou tard. Je ne sais pas quand. Je ne sais pas combien de temps cela prendra. Si la cour estime dans sa décision qu’il s’agit d’une compétence fédérale, je crois comprendre que nous aurons alors le droit d’interjeter appel auprès de la Cour suprême pour obtenir une interprétation de sa part, ce qui, encore une fois, ferait traîner les choses en longueur. Tout cela prendrait un certain temps.
Le pouvoir déclaratoire est un outil qui permet au Parlement de proposer une décision stratégique qui aboutirait au même point, mais je dirais qu’il serait plus rapide de permettre que le travail de base se fasse, que le travail préparatoire soit entamé. Si la Cour suprême se prononce en faveur de cette décision, tant mieux. Sera-t-il possible d’abroger le pouvoir déclaratoire? Ce que je veux dire, c’est que nous n’aurons pas perdu de temps. Ce serait possible? Allez-y, professeure O’Byrne, je vous en prie.
Mme O’Byrne : Oui, il serait possible de l’abroger. Je vais dire ceci brièvement pour laisser la parole à d’autres. Une déclaration établissant l’avantage général du Canada ne peut pas être révisée par les tribunaux, mais elle pourrait être abrogée le lendemain. Après l’adoption de la Charte en 1982, nous avons cessé de croire dans la suprématie de la souveraineté du Parlement. Nous en avons ici un exemple.
Pour ce qui est du renvoi devant la Cour d’appel, ce n’est pas exécutoire. Même s’il s’agissait de la Cour suprême du Canada, ce ne serait toujours pas exécutoire. Encore une fois, c’est un monde très différent. Nous devons revenir à ce qui existait avant la Charte. Toutefois, nous ne parlons pas ici de la Charte. Nous ne parlons pas de dialogue. Nous parlons ici d’un exercice de suprématie et de souveraineté parlementaires.
Le sénateur Quinn : Merci. Quelqu’un d’autre?
M. Leach : J’aimerais dire quelques mots au sujet du pouvoir déclaratoire.
Dès que cette loi sera promulguée, toutes les lois provinciales relatives à ce réseau de digues seront invalidées. Vous risquez de vous retrouver face à un vide législatif. Je ne sais pas si des lois fédérales sont prévues dans ce domaine. Je pense que c’est une chose à prendre en considération, soit que les lois provinciales relatives au réseau de digues seraient invalidées par l’adoption de ce projet de loi.
Vous pourriez vous prévaloir de l’article 7, comme l’a indiqué la sénatrice Simons, et vouloir exercer des pressions sur le gouvernement par l’entremise, par exemple, d’une évaluation environnementale stratégique en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact. En outre, les gouvernements provinciaux pourraient réclamer une évaluation pour braquer les projecteurs sur certaines crises. À la façon dont je comprends les choses, tout cela serait exempté aux termes de la loi.
Le sénateur Quinn : Je suis désolé de vous interrompre. Vous avez parlé de l’article 7 et d’exemptions. Cela n’existe-t-il pas dans d’autres lois?
M. Leach : Je ne dis pas que c’est invalide. C’est possible.
Le sénateur Quinn : Est-ce qu’on trouve cela dans d’autres lois?
M. Leach : Oui.
Le sénateur Quinn : C’est un oui ou un non, monsieur? Il nous reste 10 secondes.
M. Leach : La question est de savoir si vous voulez que ce soit exempté...
Le sénateur Quinn : Là n’est pas la question. Est-ce que cela existe dans d’autres lois? Oui ou non?
M. Leach : Oui.
Le sénateur Quinn : D’accord. Merci.
Le président : Professeurs O’Byrne, Leach et Macfarlane, votre temps a été très apprécié par le comité dans le cadre de son étude du projet de loi S-273. Nous vous sommes vraiment reconnaissants de vos contributions.
Merci beaucoup, chers collègues. La séance est levée.
(La séance est levée.)