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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 5 juin 2024

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 45 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-269, Loi concernant un cadre national sur la publicité sur les paris sportifs.

La sénatrice Julie Miville-Dechêne (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Bonsoir. Je suis Julie Miville-Dechêne, la présidente suppléante de ce comité. J’invite maintenant mes collègues à se présenter.

La sénatrice M. Deacon : Merci et bienvenue à nos invités. Marty Deacon, une sénatrice de l’Ontario.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, une sénatrice de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.

Le sénateur Cuzner : Rodger Cuzner, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons, du territoire visé par le traité no 6, en Alberta.

La vice-présidente : Ce soir, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-269, Loi concernant un cadre national sur la publicité sur les paris sportifs.

Pour notre premier groupe de témoins de ce soir, j’ai le plaisir d’accueillir Bruce Kidd, membre de Campagne pour interdire la publicité pour les jeux de hasard, par vidéoconférence; Jean-François Crépault, analyste principal en politiques, Centre de toxicomanie et de santé mentale; Steve Joordens, professeur, Faculté de psychologie, Université de Toronto Scarborough, Société canadienne de psychologie, par vidéoconférence; et Stewart Madon, directeur, pratique professionnelle, Société canadienne de psychologie.

[Français]

Bienvenue et merci de vous être joints à nous.

[Traduction]

Nous commencerons par une déclaration liminaire de cinq minutes de M. Kidd pour commencer, suivi de M. Crépault, puis de M. Joordens. Je pense que vous partagerez cinq minutes. Nous répondrons ensuite aux questions. Monsieur Kidd, vous avez la parole.

Bruce Kidd, membre, Campagne pour interdire la publicité pour les jeux de hasard : Merci, sénateurs.

L’organisation Campagne pour interdire la publicité pour les jeux de hasard est un groupe de Canadiens passionnés de sport, profondément inquiets des dommages que causent les publicités sur les paris sportifs, en particulier chez les enfants et les jeunes. Nous sommes des athlètes olympiques, des dirigeants sportifs, des parents d’athlètes, des chercheurs et des enseignants.

Nous demandons au gouvernement du Canada d’interdire toutes les publicités sur les jeux de hasard de la même manière et pour les mêmes motifs de santé que le Canada interdit déjà la publicité sur le tabac et le cannabis. Nous demandons au Canada d’adopter une approche de santé publique face aux problèmes des paris sportifs plutôt que l’approche « blâmer la victime » et celle du « jeu responsable » actuellement adoptées par les provinces et l’industrie des jeux de hasard.

Notre campagne bénéficie d’un large soutien partout au Canada, des conseils scolaires et des universités aux organismes de santé, en passant par les organisations religieuses, les députés des cinq partis et le public. Un sondage réalisé par le Maru Group en février a révélé que 75 % des Canadiens estiment qu’il est nécessaire de protéger les enfants et les jeunes des publicités sur les paris sportifs, 66 % estiment que ces publicités ne devraient pas être autorisées pendant les retransmissions en direct et 59 % pensent qu’une interdiction nationale de ces publicités devrait être mise en œuvre immédiatement. Ce sont des majorités écrasantes sur toutes les questions.

Nous soutenons pleinement l’adoption du projet de loi S-269 et nous félicitons les sénateurs Deacon et Cotter de l’avoir présenté.

Lorsque le Parlement a modifié le Code criminel en 2021 pour approuver les paris sportifs, il n’y a pas eu de débat sur les conséquences de la publicité malgré les recherches bien documentées sur les effets néfastes, ainsi que les politiques publiques de réaction d’autres pays. Il s’agit là d’un échec cuisant de politique publique.

Depuis la légalisation, il y a un véritable tsunami de publicités sur les jeux de hasard pendant les émissions sportives, sur les médias sociaux, dans les installations sportives et même dans les cinémas. L’émission Marketplace de la CBC a récemment rapporté que 25 % du temps des retransmissions sportives est désormais consacré aux publicités sur les jeux de hasard et aux observations des commentateurs sur les possibilités de paris. Bien que la réglementation interdise les publicités destinées aux enfants, aux jeunes et aux personnes vulnérables, de nombreuses publicités ciblent explicitement ces populations.

Selon les recherches, la publicité augmente considérablement l’ampleur des jeux de hasard et exacerbe la dépendance et le jeu excessif. Statistique Canada estime que 1,6 % des joueurs adultes au Canada — soit environ 300 000 personnes — présentent un risque modéré ou élevé de troubles liés au jeu, y compris des problèmes de santé mentale. Ceux-ci peuvent conduire à la faillite, à la perte de revenus, à la perte du logement et même au suicide. En 2013, l’American Psychiatric Association a classé le jeu de hasard pathologique parmi les troubles de dépendance non liée à une substance. Le Conseil canadien de la sécurité considère la dépendance au jeu comme un problème sur le plan de la sécurité de la collectivité et de la prévention du crime.

Même si nous ne savons pas encore combien d’enfants et de jeunes Canadiens ont été entraînés à jouer, des parents, des grands-parents, des enseignants et des entraîneurs nous disent constamment que ces chiffres sont considérables. La division de la Saskatchewan de l’Association canadienne pour la santé mentale a réorienté ses programmes d’éducation sur les méfaits des paris sportifs de la neuvième à la première année. Aux États-Unis, le National Council on Problem Gambling rapporte qu’entre 60 et 80 % des élèves du secondaire ont parié pour de l’argent l’année dernière, et que 4 à 6 % d’entre eux sont considérés comme dépendants.

Le harcèlement croissant des athlètes dont les performances ne répondent pas aux attentes de ceux qui ont parié sur eux est une autre préoccupation sérieuse. C’est un problème pour la sécurité sportive.

Sur les revenus considérables dont bénéficie l’industrie des paris — quelque 588 millions de dollars rien qu’en Ontario l’année dernière, soit un total de 9,6 milliards de dollars —, très peu est consacré aux services de santé mentale, à l’éducation et à la recherche.

Le gouvernement fédéral doit assumer la responsabilité de cette situation qu’il a créée. La stratégie la plus efficace de diminution des risques pour la santé publique consiste à interdire la publicité. Le projet de loi S-269 entame le processus nécessaire pour contrôler la publicité sur les jeux de hasard. C’est pourquoi nous le soutenons et vous demandons de l’approuver et de le transmettre à la Chambre des communes pour qu’il devienne une loi.

Je vous remercie de votre attention.

[Français]

La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Kidd.

Je donne maintenant la parole à M. Jean-François Crépault. Vous avez cinq minutes également.

Jean-François Crépault, analyste principal en politiques, Centre de toxicomanie et de santé mentale : Merci beaucoup et bonsoir.

[Traduction]

C’est un véritable privilège d’être ici.

Je suis ici au nom du Centre de toxicomanie et de santé mentale, qui est le plus grand hôpital universitaire en santé mentale et en toxicomanie du Canada et l’un des principaux centres de recherche au monde dans ce domaine. Nous sommes heureux d’avoir l’occasion de formuler des observations sur le projet de loi S-269.

Le préambule du projet de loi identifie un problème : la prolifération et l’omniprésence de la publicité sur les paris sportifs et d’autres formes de jeux de hasard. Il y est noté, à juste titre, qu’une exposition accrue à la publicité sur les jeux de hasard mène à une augmentation de la participation à ceux-ci, particulièrement chez les personnes mineures et les personnes qui présentent un risque élevé de préjudices imputables au jeu pathologique. On y fait appel ensuite à des mesures visant à restreindre le nombre, la portée et l’emplacement des publicités sur les paris sportifs au Canada.

Nous aimerions soumettre à ce comité que le Canada doit créer un cadre national sur la publicité sur les jeux de hasard en général, et pas seulement sur les paris sportifs. La récente prolifération des publicités sur les paris sportifs a suscité des inquiétudes, et nous les partageons. D’autre part, du point de vue de la santé publique ou de la dépendance, il n’y a aucune raison de réglementer la publicité pour ce seul type de jeu.

Le mémoire, que j’ai soumis au comité, et que j’espère que vous aurez l’occasion d’examiner, décrit la prévalence du jeu pathologique, la nature des préjudices liés au jeu et les facteurs de risque de ces préjudices. Pour gagner du temps, je vais passer directement à la partie concernant les formes de jeu les plus risquées.

Un exemple classique d’une forme de jeu plus nocive est celui des machines de jeu électroniques, souvent appelées machines à sous. Les machines à sous se caractérisent généralement par une grande vitesse de jeu, la possibilité de miser des sommes importantes et des caractéristiques qui encouragent la fausse cognition. Ces caractéristiques se combinent pour faciliter le jeu rapide, immersif, continu et impulsif. En conséquence, de nombreux utilisateurs de machines à sous ont des problèmes de jeu, et l’on estime que plus d’un tiers des revenus des machines à sous provient de personnes ayant des problèmes de jeu. Pour toutes ces raisons, les machines à sous ont souvent été considérées comme la forme de jeu la plus nocive.

Une autre forme de jeu est le jeu en ligne, ou numérique, qui consiste à jouer à partir d’un ordinateur, d’un téléphone ou d’un autre appareil ayant accès à Internet. Le jeu en ligne est plus courant chez les personnes qui jouent fréquemment et, pour certaines, cette forme de jeu peut contribuer considérablement aux problèmes de jeu. En fait, le jeu en ligne pourrait être le facteur de risque le plus important pour le développement d’un trouble du jeu. Certaines caractéristiques des environnements en ligne peuvent expliquer ce phénomène, notamment la facilité d’accès et la possibilité de jouer pendant de longues périodes sans interruption, la possibilité de jouer seul, l’utilisation de cartes de crédit et d’autres formes de paiement numérique qui facilitent les dépenses, et les caractéristiques hautement interactives ou immersives qui facilitent la perte de la notion de temps ou d’argent.

La grande majorité des paris sportifs se déroulent en ligne. Les facteurs que je viens d’énumérer sont donc tous pertinents pour les paris sportifs, mais ils s’appliquent également aux jeux de casino en ligne, y compris les machines à sous en ligne, par exemple.

Il existe une forme de paris sportifs qui mérite une attention particulière : les paris en cours de jeu, connus également sous le nom de « pari de proposition » ou « pari prop ». Les paris en cours de jeu consistent à parier sur un élément d’un événement sportif pendant que celui-ci se déroule. Par exemple, on peut parier pendant un match de baseball que le prochain lancer est une balle ou une prise, ou placer un nouveau pari sur le résultat du match après qu’il a commencé, en fonction de lignes ou d’écarts actifs et changeants. Ce genre de pari n’est légalement permis que depuis peu de temps, de sorte que l’on sait peu de choses sur son adoption au Canada. Dans les pays où les paris sportifs sont légaux depuis plus longtemps, les paris en cours de jeu sont une forme de jeu de plus en plus populaire. Comme pour les machines à sous, les paris en cours de jeu facilitent le jeu rapide, immersif et impulsif. Des recherches ont montré que les personnes qui s’adonnent aux paris en cours de jeu sont trois fois plus susceptibles de souffrir d’un trouble du jeu que les autres personnes qui parient sur des sports en ligne, et que leurs problèmes de jeu sont plus graves.

Pour ce qui est de la publicité en particulier, son but est de pousser à la consommation, et les jeux de hasard ne font pas exception. Le préambule du projet de loi est tout à fait correct. Il existe une relation de cause à effet entre l’exposition à la publicité pour les jeux de hasard et une image plus positive des jeux de hasard, ainsi qu’entre l’intention de jouer et l’activité réelle de jeu. Les enfants et les jeunes, ainsi que ceux qui ont déjà des problèmes de jeu, sont particulièrement sensibles à ces effets.

Les Canadiens sont aujourd’hui plus exposés que jamais aux publicités sur les jeux de hasard. Le volume de ces publicités est souvent qualifié de problème, mais leur contenu est également préoccupant. De nombreuses publicités sur les paris sportifs apparues depuis 2022 semblent conçues pour atteindre les non‑joueurs et les encourager à s’adonner aux jeux de hasard, et certaines publicités laissent fortement entendre que le succès personnel peut être atteint ou amélioré par les paris sportifs. Les publicités sur l’alcool abordant de tels thèmes, par exemple, seraient interdites en vertu du Code du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes sur la publicité télédiffusée des boissons alcooliques, ou code du CRTC.

Bien entendu, au-delà de la publicité, la promotion des jeux de hasard prend d’autres formes. De nombreux médias canadiens ont établi des partenariats avec des sociétés de paris sportifs, donnant lieu à l’intégration de contenu sur les jeux de hasard dans les émissions et les applications sportives. On peut s’attendre à ce que toute cette exposition à la promotion des jeux de hasard soit préjudiciable. En fait, en Ontario, il y a déjà une augmentation marquée du nombre de personnes demandant de l’aide pour des problèmes liés aux paris sportifs en particulier.

En mars 2024, le Centre de toxicomanie et de santé mentale a publié un cadre stratégique sur les jeux de hasard intitulé « Gambling Policy Framework », un document contenant des recommandations fondées sur des données probantes pour une approche de santé publique sur la question des jeux de hasard. Le mémoire que vous avez entre les mains, je suppose, expose en détail nos recommandations en matière de publicité. Je ne vais pas les passer en revue maintenant, pour gagner du temps.

En conclusion, question de la publicité sur les paris sportifs devrait être réglée, et nous sommes encouragés par l’introduction du projet de loi S-269. Toutefois, nous demandons instamment au comité d’envisager d’élargir son champ d’action à la publicité sur toutes les formes de jeux de hasard.

Je vous remercie de votre attention.

[Français]

La vice-présidente : Merci beaucoup.

[Traduction]

Nous allons entendre M. Steve Joordens. Vous disposez de cinq minutes, monsieur.

Steve Joordens, professeur, Faculté de psychologie, Université de Toronto Scarborough, Société canadienne de psychologie : Je remercie la présidence et les membres du comité d’avoir invité la Société canadienne de psychologie à comparaître aujourd’hui. Je m’appelle Steve Joordens. Je suis professeur de psychologie à l’Université de Toronto, où mes recherches portent principalement sur les influences conscientes et inconscientes, la mémoire et l’utilisation efficace de la technologie en éducation.

C’est un honneur et un privilège pour moi de témoigner devant vous aujourd’hui au nom de la Société canadienne de psychologie, ou SCP. Comptant plus de 7 000 membres et affiliés, la SCP est la plus grande association de psychologie au Canada et représente les psychologues en pratique publique et privée, dans le secteur privé, dans le milieu universitaire, dans la recherche, ainsi que les étudiants.

En ce qui concerne le soutien à la santé mentale, l’évêque Desmond Tutu a déclaré :

Il arrive un moment où nous devons cesser de simplement retirer les gens de la rivière. Nous devons aller en amont et découvrir pourquoi ils tombent.

Son analogie met en évidence la nécessité de se concentrer sur la prévention dans le domaine de la santé mentale, car les approches thérapeutiques sont tout simplement dépassées et nous préférerions que moins de personnes soient en difficulté dès le départ.

Commercialiser les jeux de hasard revient à pousser dans la rivière de Desmond Tutu des personnes qui s’en sortiraient autrement. C’est le contraire de la prévention. Si nous autorisons les jeux de hasard, nous devons en interdire la commercialisation, comme nous le faisons pour d’autres produits, comme les cigarettes et le cannabis. Notre société ne doit pousser personne, et surtout pas nos enfants, à s’engager dans un comportement pouvant mener à la dépendance.

Le marketing qui se fait à l’heure actuelle représente l’une des plus fortes poussées imaginables. Les sociétés de jeux de hasard utilisent des armes psychologiques pour convaincre tous ceux qui les regardent de parier. Elles normalisent et glorifient le jeu avec la pleine coopération des sociétés sportives et médiatiques, d’une manière qui a effectivement convaincu plus de 19 millions de Canadiens de parier, soit un taux de pénétration stupéfiant de plus de 65 %.

Le jeu est particulièrement toxicomanogène en raison de la nature aléatoire des gains. Lorsque les gains sont aléatoires, au fur et à mesure que les pertes s’accumulent, le joueur devient de plus en plus convaincu qu’un gain est à portée de main. C’est ce qu’on appelle l’erreur du joueur. Les maisons de jeu ont juste besoin que vous misiez suffisamment pour faire l’expérience d’un ou deux gains. Ensuite, vous pouvez devenir dépendant, courir après les gains alors que les dettes s’accumulent au-delà de votre capacité à les payer. Voilà pourquoi les sociétés de jeux de hasard offrent souvent jusqu’à 200 $ de mises gratuites aux joueurs débutants, ce qui est plus que suffisant pour leur permettre de remporter quelques victoires, plus que suffisant pour faire naître la dépendance.

L’estimation des problèmes de jeu varie entre 2 et 5 %, mais il convient de noter que ces chiffres se fondent sur l’autodéclaration et sont donc sous-estimés, car la plupart des dépendants nient tout problème avant de toucher le fond. Le taux de récidive est supérieur à 90 %. Une fois dépendant, il est presque impossible de s’arrêter.

De plus, on estime que chaque personne dépendante a un impact indirect sur 5 à 10 autres personnes, généralement des membres de sa famille. Les mariages se brisent, les familles se désagrègent et les personnes souffrant de cette dépendance se suicident, souvent parce qu’elles ont été poussées dans une rivière dont elles ne se seraient pas approchées autrement.

Bien entendu, tout enfant en âge de regarder ou de pratiquer un sport est dans la ligne de mire de ces efforts de marketing. Les enfants sont les futurs joueurs, et il est désormais presque impossible de faire participer ses enfants à un sport sans les endoctriner dans les jeux de hasard. Les publicités sur les jeux de hasard sont présentes dans nos stades, sur nos terrains de sport et même sur les uniformes des joueurs. Elles sont devenues incontournables, à moins d’éviter complètement le sport.

Lorsque la commercialisation d’une substance ou d’une activité est interdite, cela envoie un signal fort et clair que la substance ou l’activité est potentiellement toxicomanogène et ne devrait être utilisée qu’en toute connaissance de cause et avec prudence. Le fait d’inclure les jeux de hasard dans la catégorie du cannabis et des cigarettes serait une approche qui s’aligne sur la façon dont le Canada traite les substances et les activités susceptibles de créer la dépendance. Elle respecte les libertés civiles et le droit de choisir tout en signalant les dangers. Et surtout, elle met un terme à la pression.

En résumé, autoriser toute forme de commercialisation des jeux de hasard va totalement à l’encontre des efforts déployés par nos membres pour prévenir et traiter les problèmes de santé mentale des Canadiens. Elle pousse tous les Canadiens à envisager le jeu de hasard, avec un impact particulièrement fort sur nos enfants et nos collectivités marginalisées. Il n’est pas nécessaire de commercialiser les jeux de hasard. Les joueurs éventuels peuvent facilement trouver des jeux de hasard légaux sur les applications de leur téléphone, des applications qui peuvent être contrôlées. Le gouvernement canadien ne doit pas permettre aux entreprises de pousser notre population à la dépendance. Avec tout le respect que je vous dois, je vous demande à tous de nous aider à aider les Canadiens. Notre pays peut faire mieux. Nous devrions et devons interdire la commercialisation des jeux de hasard.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de parler ce soir. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Joordens. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

La sénatrice Simons : Le problème, c’est que les plus grands accros au jeu dans ce pays sont les gouvernements provinciaux. Il y a un an, le gouvernement de l’Alberta a levé le plafond qu’il imposait depuis longtemps aux terminaux de loterie vidéo pour pouvoir en installer à l’aéroport international d’Edmonton et à l’aéroport international de Calgary et aider ces aéroports à lutter contre leurs pertes de revenus à la suite de la COVID, et l’objectif était que l’aéroport d’Edmonton gagne à lui seul 1 million de dollars par année grâce aux terminaux de loterie vidéo. L’hypocrisie est immense. À un moment donné, lorsque le prix du pétrole était plus bas, l’Alberta gagnait plus d’argent sur les recettes venant des jeux que celles venant des redevances sur le pétrole et le gaz. Les gouvernements provinciaux n’ont pas beaucoup de raisons de ne pas commercialiser les jeux; en effet, leurs propres commissions des jeux de hasard commercialisent les billets de loterie. Lorsque j’étais chroniqueuse, j’avais pour principe de ne jamais écrire un article sur une personne qui a gagné à la loterie, car, à mon avis, ça revenait en quelque sorte à faire une publicité gratuite sur la loterie.

Comment diable serait-il possible de faire cela sans se heurter au fait que, pour les gouvernements, en particulier le gouvernement de l’Ontario, cela représente une nouvelle source extrêmement lucrative de recettes d’impôt volontaire?

La vice-présidente : À qui posez-vous cette question?

La sénatrice Simons : Je ne sais pas.

La vice-présidente : À tout le monde. Qui a la réponse ou la solution, la solution magique, ou qui veut parler de ce sujet?

M. Joordens : Je ne sais pas si j’ai une solution magique, mais je tiens à préciser que ne considérer que le gain de recettes ne représente qu’un côté du grand livre d’une entreprise. Le coût est ce que nous exposons, le coût sur le plan de la santé mentale, le besoin accru de soutien et tout le reste. Dans certains États américains, on a effectué des projections dans le cadre desquelles on s’est penché sur le bilan littéral. Combien cela coûte-t-il d’autoriser les jeux de hasard? Combien cela rapporte-t-il? Si vous vous souciez de la santé mentale et si vous essayez de la maintenir au même niveau qu’avant de les autoriser, le coût est supérieur aux recettes. Ne considérer que les recettes, c’est faire preuve d’une grande myopie, ou être très froid face à l’impact que cela a sur la santé mentale.

Je partage vraiment vos frustrations. Je vous félicite de ne pas avoir publié ces choses, et je comprends, oui.

La sénatrice Simons : Monsieur Crépault, il me semble que pour la jeune génération qui a grandi avec les jeux vidéo, l’idée des paris en cours de jeu serait beaucoup plus attrayante parce qu’elle est plus interactive et qu’elle donne l’impression de participer au sport. Il me vient à l’esprit que nous pourrions faire en sorte que davantage de personnes regardent les débats du Sénat si nous autorisions les paris sur le fait que la sénatrice Dasko posera une question au sénateur Gold durant la période de questions. Je plaisante, mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Étant donné que de moins en moins de gens regardent les sports télévisés, ces jeux sont mis en place non seulement pour augmenter les recettes produites par les jeux, mais aussi pour inciter un public plus jeune à regarder les matchs, car les enfants qui ont grandi dans un monde de médias interactifs ne veulent pas regarder passivement un match. Ils veulent avoir l’impression de participer en quelque sorte à la partie.

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ces aspects du pari en cours de jeu créent une telle dépendance?

M. Crépault : Oui, bien sûr.

Je peux vous renvoyer à la deuxième page de notre mémoire, où nous expliquons ce qui peut rendre certaines formes de jeu particulièrement toxicomanogènes. Un aspect est la vitesse de jeu. C’est le temps qui s’écoule entre le pari et le résultat.

La sénatrice Simons : Il n’est pas nécessaire d’attendre la fin du jeu.

M. Crépault : Précisément. Il y a aussi la fréquence des événements, le temps entre les paris.

Je sais que l’achat d’un billet de loterie peut poser certains problèmes, mais si vous pensez au moment où une personne achète un billet, celle-ci doit attendre que les numéros soient choisis. C’est un peu comme dans le cas des drogues et des substances psychoactives. Plus vite elles atteignent le cerveau, plus le potentiel d’accoutumance est élevé. Je simplifie à l’extrême, mais ce concept peut également s’appliquer aux jeux de hasard. Les paris sportifs en cours de jeu ont tout pour plaire. La personne reçoit des renforts constants. Elle peut rester à son téléphone et répéter sans fin le jeu.

Le revers de la médaille, c’est que la rapidité et la facilité des jeux de hasard sont de bons leviers stratégiques et des éléments à prendre en compte. En Australie, les paris sportifs en cours de jeu sont autorisés, mais ils ne peuvent être posés que par téléphone. Il faut prendre son téléphone, appeler et placer son pari, ce qui est une façon fascinante d’aborder la question. C’est un moyen de ralentir les choses. Du point de vue du secteur, on pourrait parler de frictions, en parler comme point négatif, car tout ce qui ralentit la consommation d’un produit est mauvais, mais du point de vue de la santé publique, c’est une façon fascinante d’aborder le problème.

Il y aurait place au débat sur la question de savoir si les paris sportifs en cours de jeu devraient être autorisés. Je ne fais que citer un exemple de pays qui a vraiment réfléchi à la question et qui a essayé de s’attaquer à la rapidité et à la facilité avec lesquelles les jeux de hasard peuvent se produire.

M. Kidd : J’ai une ou deux choses à dire, rapidement.

Tout d’abord, vous n’êtes pas sans défense. Il y a des choses que vous pouvez faire. Vous pouvez commencer par le CRTC et la publicité à la radio et à la télévision, dont la portée est encore très répandue pour de nombreuses personnes aujourd’hui.

Deuxièmement, le gouvernement fédéral pourrait entreprendre une éducation sur ce sujet afin d’en démontrer la nocivité. J’ai entendu hier vos questions et votre échange avec le sénateur Cotter et d’autres sur les complications et les frustrations que cause le fédéralisme au Canada et sur le fait qu’on ne peut pas, d’un seul coup, apporter les changements de politique publique que l’on souhaiterait. Mais vous n’êtes pas obligés de baisser les bras par passivité. Il existe des moyens, par l’intermédiaire de votre très puissant gouvernement, de commencer à atténuer ce problème. C’est d’une part par le truchement du CRTC, qui touche encore beaucoup de monde, et d’autre part, par le truchement de l’éducation. Si les associations canadiennes de santé mentale étaient soutenues dans leurs efforts d’éducation, dans les écoles et ailleurs, je crois que cela aiderait beaucoup.

Troisièmement, vous pourriez envisager — comme cela a été dit — de trouver un moyen d’interdire la publicité sur le pari en cours de jeu. Le sénateur Keenan, dans le Massachusetts, vient d’introduire une proposition dans cet État pour interdire les paris en cours de jeu en raison du préjudice qu’ils causent.

Le sénateur Quinn : Merci d’être ici ce soir et merci de vos observations. Je pense qu’il met bien en évidence le problème. J’ai quatre questions.

Premièrement, je n’ai entendu personne en parler, mais ai-je raison de penser qu’un grand nombre de ces dépendances au jeu se produisent dans la partie de la population qui n’a pas les moyens de jouer en premier lieu? Est-ce le cas? Je vous pose la question à tous, car vous avez tous des points de vue différents.

M. Joordens : Nous savons, d’après les statistiques, que la classe moyenne joue également beaucoup, mais, oui, le jeu problématique tend à être prédominant chez les personnes ayant un statut économique inférieur et les collectivités marginalisées. C’est là qu’il est le plus fort, mais le jeu est littéralement présent dans toutes les strates socioéconomiques.

Le sénateur Quinn : Y en a-t-il d’autres? Bon, c’est tout sur cet aspect.

Je vais passer à ma deuxième question. Hier soir, j’ai posé des questions sur l’article 6 portant sur le CRTC et la façon dont il doit évaluer la pertinence et l’efficacité de ses règlements pour réduire l’incidence des préjudices résultant de la prolifération de la publicité sur les paris sportifs. Ce qui me préoccupe, c’est que nous demandons au CRTC de faire beaucoup de choses. À l’article 3, nous parlons du travail horizontal auquel doivent participer plusieurs ministres, y compris le ministre de la Santé. Nous avons parlé du fait que le ministre du Patrimoine doit présenter un rapport sur tout cela cinq ans plus tard.

Est-il logique que nous demandions au CRTC d’évaluer l’efficacité de la loi en ce qui concerne les problèmes de santé mentale ou la réduction de ces problèmes? Cela ne devrait-il pas se faire davantage en collaboration et horizontalement? Je crains que le CRTC ne soit très occupé. Je ne suis pas un expert du CRTC, mais j’ai beaucoup appris grâce aux projets de loi C-11 et C-16, et il semble qu’il soit très occupé.

La vice-présidente : Avez-vous une question?

Le sénateur Quinn : J’y viendrai. Monsieur Kidd, je crains que nous demandions au CRTC de faire des choses pour lesquelles n’a ni la capacité ni les compétences. La question risque de se perdre dans les méandres du système et nous n’obtiendrons pas les résultats que le gouvernement cherche à obtenir des rapports. Je commencerai par demander à M. Kidd, puis à M. Joordens et à toute autre personne présente dans la salle.

M. Kidd : Merci, sénateur.

Selon ce que nous lisons dans les études internationales, les personnes qui se sont penchées sur la question pendant des années ont conclu qu’interdire la publicité est un moyen efficace de réduire les dommages. L’interdiction des publicités par le truchement de la radiodiffusion est un moyen d’y parvenir. Si j’ai bien compris, sept pays européens ont totalement interdit la publicité sur les paris sportifs et d’autres formes de jeux de hasard, et il existe d’autres restrictions. Nombre de ces restrictions sont mises en œuvre par le truchement du radiodiffuseur national. C’est le premier point.

Deuxièmement, je crois comprendre — et vous en savez plus que moi sur le sujet — que le ministère du Patrimoine canadien mène une approche pangouvernementale sur cette question parce qu’il comprend parfaitement qu’il ne s’agit pas seulement de la radiodiffusion, mais que cela touche à la santé, au sport et à d’autres aspects. Il faut espérer que le soutien positif apporté à ce projet de loi accélérera l’adoption d’une approche pangouvernementale pour la réduction des méfaits dans ce domaine manifestement problématique.

Le sénateur Quinn : Je suis d’accord avec vous en ce qui concerne la première partie de votre réponse, en ce sens que l’organisme de réglementation, le CRTC, est le mieux placé pour adopter des règlements visant à réglementer la publicité, mais je suis préoccupé par l’évaluation de leur pertinence et de leur efficacité. Quand je vois ces mots, je pense aux questions de santé qui ont été clairement exposées par d’autres témoins, et je crains qu’elles ne se perdent dans la masse.

M. Kidd : Un autre témoin viendra plus tard aujourd’hui du Royaume-Uni et pourra vous parler des recherches qui y sont menées. Nous ne sommes pas des chercheurs...

Le sénateur Quinn : Merci. Je vais passer à autre chose, si vous le permettez, car ma présidente est très stricte en ce qui concerne le temps.

Monsieur Joordens, puis-je vous demander votre avis sur la question?

M. Joordens : Je ne comprends pas aussi bien que vous la politique canadienne, mais je tiens à souligner la distinction entre permettre les jeux de hasard, donc les recettes et tout ce genre de choses, et ne pas les encourager. Cela se rapporte également à la question précédente. Je pense à la vieille chanson de Steppenwolf, « The Pusher ». Si vous ne l’avez pas entendue depuis longtemps, retournez l’écouter, car c’est la distinction essentielle ici. Tous les ordres de gouvernement du Canada devraient s’entendre sur le fait que nous ne voulons pas pousser nos enfants et nos petits-enfants à la dépendance. Il s’agit là d’un point d’accord général, à mon avis. Les recherches sont très claires quant à l’impact de la dépendance sur la santé mentale. Nous n’avons pas besoin de procéder à une évaluation plus poussée. C’est mon point de vue.

Le sénateur Quinn : Je vais passer à ma dernière question. Elle est très brève. Elle s’adresse aux témoins qui sont dans la salle. Vous avez mentionné que le projet de loi devrait s’appliquer à toutes les publicités. Y a-t-il d’autres éléments dans ce projet de loi qui, selon vous, devraient être ajoutés ou des endroits où nous devrions être plus minutieux? Je suis un partisan de ce projet de loi, mais comment pouvons-nous le rendre plus complet en dehors de ce que vous venez de mentionner? Y a-t-il d’autres endroits?

M. Crépault : Je n’ai pas de réponse précise à cette question. En examinant le projet de loi, j’ai surtout cherché à en favoriser l’élargissement. Le projet de loi que j’imagine pourrait être différent. Je ne veux pas vous manquer de respect. Il suffirait de remplacer « paris sportifs » par « toutes les formes de jeux de hasard » pour en élargir la portée. Je n’ai pas de meilleure réponse que celle-là.

Le sénateur Quinn : Merci.

Le sénateur Cardozo : Ma question s’adresse à tous les témoins. Vous parlez tous d’interdire complètement la publicité sur les paris sportifs, mais ce projet de loi ne fait pas cela. Il porte plutôt sur une restriction. Bien que l’alinéa 2a) pourrait s’interpréter — et la sénatrice Deacon voudra peut-être me corriger — comme une interdiction. Il dit : « [...] en vue d’en restreindre l’utilisation, de limiter les annonces [...] », puis il poursuit en disant : « [...] de limiter ou interdire la participation de célébrités [...] », mais pas interdire la publicité.

Pensez-vous que ce projet de loi fait quelque chose d’utile? D’après ce que j’entends, vous ne pensez pas qu’une restriction suffise. Vous parlez de l’interdiction totale de la publicité. Je vais demander à M. Crépault de répondre en premier.

M. Crépault : Bien sûr. J’ai eu d’excellentes conversations avec M. Joordens et M. Kidd à ce sujet. Le Centre de toxicomanie et de santé mentale n’a pas recommandé d’interdire les jeux de hasard; il recommande de les réglementer. Nous ne sommes pas nécessairement contre l’idée d’interdire les jeux de hasard, mais c’est une question de tactique. Nous avons estimé qu’il était peu probable à court terme que le gouvernement de l’Ontario, à qui nous adressions bon nombre de nos recommandations, veuille interdire complètement les jeux de hasard. Nous avons formulé des recommandations sur des moyens précis de les réglementer, par exemple en appliquant aux jeux de hasard certaines parties du code du CRTC qui portent sur l’alcool. C’est le genre de chose que les gouvernements pourraient trouver plus acceptable. Nous recommandions que le gouvernement fédéral présente... je crois que lorsque nous élaborions ce rapport, le projet de loi S-269 n’avait pas encore été déposé. Ce que j’essaie de dire, c’est que nous ne sommes pas opposés à l’interdiction des publicités sur les jeux de hasard, mais nous avons estimé qu’il était important de formuler des recommandations sur la façon de les réglementer. En ce sens, je pense que le projet de loi S-269 est un bon début.

M. Joordens : Toute réglementation serait bien meilleure que la situation actuelle. J’ai lu le rapport du Centre de toxicomanie et de santé mentale et il contient beaucoup de bonnes idées.

Cependant, je dirais également que si nous parlons d’extrêmes, l’un consisterait à rendre les jeux de hasard illégaux et l’autre à les déréglementer complètement. Pour moi, l’interdiction de la publicité est la solution intermédiaire appropriée et raisonnable. Je l’étendrais à toutes les formes de jeux de hasard, et peut-être même à l’alcool, et je dirais que s’il s’agit d’une activité qui crée une dépendance, le gouvernement canadien n’en fera pas la promotion. Peut-être que cela va au-delà du projet de loi actuel, mais en ce qui concerne le soutien de la santé mentale des Canadiens, cela semble être la position appropriée et raisonnable.

Le sénateur Cardozo : Monsieur Kidd, votre groupe s’appelle Campagne pour interdire la publicité pour les jeux de hasard, alors il semble que vous faites plus que la restreindre.

M. Kidd : Oui, nous sommes pour l’interdiction totale, mais nous soutenons également les considérations juridiques, constitutionnelles et tactiques dont vous et d’autres devez tenir compte. Nous ferons pression, mais nous comprenons que vous, en tant que sénateurs, et les fonctionnaires fédéraux au CRTC et dans d’autres ministères, allez devoir piloter, naviguer et négocier entre tous les écueils. Dans le meilleur des mondes, une interdiction totale, comme l’ont fait sept pays européens, serait la stratégie la plus efficace pour la réduction des risques.

La vice-présidente : Merci, monsieur Kidd. Nous allons maintenant entendre les questions de la sénatrice Deacon, qui a parrainé ce projet de loi.

La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup. Je vais voir ce que je peux faire aujourd’hui.

Une observation qui pourrait nous aider, en réponse au sénateur Cardozo et à ce que vous avez dit au sujet des renseignements, si le gouvernement veut imposer une interdiction totale, moi et de nombreuses autres personnes l’aimerions. Nous ne pensions pas que le projet de loi survivrait à une contestation constitutionnelle de l’interdiction totale, et nous ne voulions pas que le mieux soit l’ennemi du bien. Je suis tout à fait ouverte à cette proposition.

Monsieur Crépault, vous parliez de votre rapport, que nous avons reçu, mais j’aimerais que vous nous donniez un aperçu de ses recommandations pour que cela figure dans le compte rendu.

M. Crépault : Je serais heureux de le faire.

Voici ce que nous recommandons au sujet de la publicité en particulier. Premièrement, le gouvernement fédéral devrait élaborer et mettre en œuvre des règles nationales régissant la publicité et la promotion des jeux de hasard, soit au moyen d’un projet de loi comme pour le cannabis et le tabac, soit au moyen d’un règlement comme pour l’alcool. Ces règles devraient, au minimum, inclure les principes suivants : le parrainage de jeux de hasard par des célébrités, des personnalités sportives influentes, etc., devrait être totalement interdit, ce qui inclut la promotion du jeu responsable.

Dans le cas des retransmissions d’événements sportifs, la promotion des jeux de hasard devrait être interdite d’un coup de sifflet à l’autre, le contenu sur les jeux de hasard étant interdit cinq minutes avant le début d’un match jusqu’à cinq minutes après la fin de celui-ci.

La protection des jeunes serait renforcée. La publicité pour les jeux de hasard devrait être jugée en fonction de l’attrait qu’elle exerce sur les jeunes, quel que soit l’attrait qu’elle exerce sur les adultes — ceci afin de contrer certaines formulations précises de la réglementation de l’Ontario. La publicité sur les jeux de hasard ne devrait pas paraître dans les médias et les lieux où l’on peut s’attendre à ce que les mineurs représentent plus de 25 % de l’auditoire.

Enfin, les normes d’interdiction suivantes du code du CRTC — encore une fois, celles sur l’alcool — devraient être appliquées à la publicité sur les jeux de hasard. Elles figurent dans le code du CRTC, mais nous les avons adaptées aux jeux de hasard. Le message publicitaire pour les jeux de hasard ne doit pas tenter d’influencer les non-joueurs de tout âge à jouer; ne doit pas laisser entendre directement ou indirectement que le jeu peut améliorer ou renforcer l’acceptation sociale, le statut social, le succès personnel ou la réussite commerciale ou sportive; ne doit pas laisser entendre directement ou indirectement que le jeu est essentiel au plaisir d’une activité ou d’un événement; et ne doit pas parler de la sensation ou de l’effet du jeu.

Je mentionnerai que toutes les recommandations précédant celles inspirées par le CRTC sont toutes des choses que d’autres États ou pays ont mises en œuvre. Je vous remercie de votre attention.

La sénatrice M. Deacon : Je suis contente que cela figure au procès-verbal.

Monsieur Kidd, je vous remercie d’être ici. Votre réputation vous précède. Vous avez parlé aux Canadiens, aux conseils scolaires, aux universités et à d’autres organisations. Les paris avec ces sociétés privées ne sont légaux qu’en Ontario et, par conséquent, on ne devrait voir ces annonces qu’en Ontario.

Les Canadiens qui vous ont parlé se limitent-ils aux Ontariens, ou avez-vous parlé à d’autres personnes ou groupes d’autres régions du pays et entendu ce qu’ils en pensent?

M. Kidd : Nous avons parlé à des Canadiens, à des dirigeants d’organisations religieuses, à des conseils scolaires et à des associations de santé mentale d’autres régions du pays, qui voient des enfants, des jeunes, des personnes vulnérables et des adultes s’adonner au jeu à cause des publicités venant de Toronto et de l’Ontario qu’ils voient sur les ondes. Je crois savoir qu’ils peuvent également parier, que ce soit légal ou non, avec des sociétés qui ne font affaire qu’en Ontario.

Je ne peux pas vous donner plus de détails à ce sujet, mais lorsque nous tendons la main ou répondons aux appels téléphoniques dans d’autres régions du pays, il est clair que les préoccupations que nous avons ici à Toronto, où je vis, sont partagées dans de nombreuses régions du pays.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie de votre travail auprès du Toronto District School Board.

J’ai une question pour le Centre de toxicomanie et de santé mentale et la Société canadienne de psychologie. En ce qui concerne les paris sportifs, y a-t-il une interprétation différente de la prédiction du résultat d’un événement sportif? Je regarde ces matchs. Certains segments vous donnent les cotes de pari et les probabilités que quelque chose se produise. Ils parlent de joueurs individuels et font des pronostics. Y a-t-il une illusion quelconque de contrôle dans les paris sportifs, ou est-ce la même chose que ce dont vous avez parlé plus tôt, monsieur Joordens, en ce qui concerne les machines à sous ou les tables de roulette?

M. Joordens : Merci, sénatrice Deacon, et merci d’avoir parrainé ce projet de loi.

Il est certain que les gens ont l’impression d’être des experts. Ils regardent beaucoup de sports, ils ont vu beaucoup de choses, ils ont le sentiment qu’ils en savent plus que d’autres sur certains athlètes ou certaines équipes et qu’ils peuvent tirer parti de ce savoir pour augmenter leur taux de réussite. Il a été démontré que ce n’est pas vrai dans tous les cas, mais cela leur donne certainement du pouvoir et leur donne l’illusion de contrôle à laquelle vous faites allusion.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

[Français]

La vice-présidente : J’avise mes collègues que nous avons reçu le mémoire de M. Crépault. Étant donné que les documents doivent être bilingues, il sera traduit et distribué à tous les membres du comité.

[Traduction]

Le sénateur Cuzner : Merci beaucoup. Merci, sénatrice Deacon, d’avoir introduit ce projet de loi.

En 2015, nous avons fait quelques recherches sur les taux de participation au sport entre 2000 et 2015. D’une année à l’autre, le taux augmentait d’environ 2,5 %, 3,5 % ou 4 % en général. Nous avons mené ces recherches parce qu’en 2008 une déduction fiscale a été mise en place pour l’inscription des enfants à un sport. Même si elle a entraîné un manque à gagner de plusieurs millions de dollars dans les coffres de l’État, cette mesure n’a pas amené une hausse perceptible de la participation sportive, qui était sa raison d’être.

La seule année où nous avons observé une hausse assez marquée de la participation sportive a été 2003, en raison de la tenue à Salt Lake City en 2002 des Olympiques, et notamment des matchs de hockey féminin. Le succès remporté par le Canada dans cette discipline a fait de Jennifer Botterill et Hayley Wickenheiser des modèles d’identification pour les jeunes filles canadiennes, qui pouvaient maintenant se projeter dans ces sports, et la pratique sportive a fortement augmenté.

Le même phénomène s’est produit au basket-ball avec l’arrivée au Canada des Raptors. La NBA comptait à l’époque environ deux joueurs canadiens, et il y en a aujourd’hui près de 35.

Les modèles d’identification jouent un rôle important. Il est très troublant de voir des athlètes qui dominent leur discipline respective se vendre pour des jeux de hasard.

Monsieur Joordens, au sujet de ce projet de loi, j’ai beaucoup aimé votre analogie avec ce qui s’est passé dans le cas du cannabis. Si j’ai appuyé le projet de loi présenté aux Communes par M. Brian Masse, c’est parce qu’on disait qu’il jetterait de la lumière sur cet enjeu, qu’il éloignerait les bookmakers, les requins et autre racaille en légalisant la substance. La légalisation générerait des recettes, et tout ça. Nous n’avions alors pas prévu la publicité, et nous n’en avons pas parlé.

On voulait retirer le cannabis des mains des Hell’s Angels, et maintenant on l’achète d’un bureaucrate plutôt que d’un bandit ou d’un voyou. Les gouvernements touchent des recettes dont ils sont dépendants, mais il n’y a pas de publicité.

Je sais qu’il existe des données sur le cannabis qui nous indiquent que les choses vont plutôt bien, et que la loi fonctionne assez bien jusqu’à maintenant.

Monsieur Kidd, vous avez mentionné certaines études et recherches internationales. Est-ce que nous obtenons les données dont nous avons besoin au sujet des impacts actuels au Canada? Qui recueille ces données?

Les casinos et les organismes qui gèrent les paris ont ces données, je vous le garantis. A-t-on les références? Est-ce qu’elles suffisent? Faut-il en ajouter d’autres?

J’aimerais savoir ce que vous pensez des données relatives à cet enjeu depuis la hausse.

M. Kidd : Si la question m’est adressée, alors les données dont nous disposons sont essentiellement internationales, parce que d’autres pays recueillent et analysent depuis longtemps des données sur l’incidence de tous ces facteurs. Nous regardons vers le Royaume-Uni, l’Europe et l’Australie, qui s’inquiètent de ces enjeux depuis bien plus longtemps que nous.

Depuis 2018, année où la Cour suprême des États-Unis a légalisé les paris sportifs, nous nous tournons vers les États-Unis, qui ont deux ou trois ans d’avance sur nous dans la collecte de données. Les Canadiens s’efforcent de recueillir et d’analyser ces données dès que c’est possible, et les choses avancent.

Dans certaines provinces, comme l’Ontario, la légalisation a entraîné une forte baisse du financement de la recherche et des traitements. C’est très décourageant.

Oui, nous avons besoin de recherches pancanadiennes plus approfondies sur la popularisation des paris sportifs dans le cadre des régimes actuels et sur les préjudices qu’ils causent, pour soutenir les organismes tels que le Centre de toxicomanie et de santé mentale, qui accomplit un excellent travail.

M. Joordens : Je me permettrai d’intervenir à titre de scientifique : on n’a jamais trop de données, et c’est pourquoi nous aimerions en avoir davantage. En même temps, lorsqu’il s’agit de déterminer s’il faudrait interdire le marketing, je me pose toujours la même question : pourquoi pas? C’est des sites illégaux dont on semble s’inquiéter, un peu comme ce à quoi vous faisiez allusion au sujet des Hell’s Angels et des bureaucrates.

Mais dans le cas des paris, on utilise des applications pour parier. Les applications proviennent de magasins d’applications, sur lesquels nous avons autorité. Les Hell’s Angels ne peuvent pas mettre leur application sur l’App Store si nous ne le voulons pas, alors pour ce qui est de la notion voulant qu’il faut faire un quelconque marketing pour s’assurer que les revenus continuent de cheminer dans la bonne direction, nous n’avons pas besoin de données pour le faire. Le cadre actuel nous permet de contrôler les choses. Nous pouvons nous assurer que les revenus aboutissent là où il se doit. C’est bien d’avoir des données, mais n’oublions pas que les données peuvent nous embrouiller quand la logique est plus limpide que les données.

La sénatrice Dasko : J’ai reçu une réponse partielle à la question que je voulais poser, mais j’aimerais approfondir un peu les options réglementaires qui ont été présentées, en particulier par vous, monsieur Crépault.

La discussion d’hier soir avec le sénateur Cotter et la sénatrice Deacon nous a appris que les paris et la publicité contre les paris ne sont pas placés dans la même catégorie que, disons, un risque ou un enjeu de santé comme le tabac. On nous a dit hier soir qu’un cadre interdisant tout marketing serait vraisemblablement inapplicable. C’est du moins l’argument qu’on nous a avancé, alors examinons-le pendant un moment.

Vous avez mentionné d’autres options de réglementation. J’aimerais en discuter davantage pour connaître laquelle vous semble la meilleure.

Si nous partons de la prémisse qu’il est impossible de mettre fin complètement aux paris, comme vous l’avez tous dit, je crois, alors il faudrait interdire tout marketing et toute publicité. À défaut de le faire, de le faire complètement, nous devrons envisager d’autres cadres réglementaires et d’autres moyens de réglementer la publicité.

Par exemple, pouvons-nous efficacement interdire la publicité destinée aux enfants? Pouvons-nous réellement le faire? Y a-t-il un moyen de le faire, considérant la technologie à notre disposition, considérant l’accessibilité d’Internet aux enfants, etc. Est-ce possible? Est-ce efficace?

J’aimerais que vous expliquiez un peu plus les autres méthodes que vous avez mentionnées au sujet du modèle de l’alcool. En quoi consistent-elles concrètement?

Voilà mes questions.

La vice-présidente : C’était aussi ma question : comment séparer les enfants des adultes? Peut-on vraiment cibler les enfants pour interdire la publicité à leur endroit? Comment peut‑on le faire?

La sénatrice Dasko : Comment le faire efficacement? Est-ce que cela fonctionne? Comment procéder? Souvent, on se concentre sur les enfants. Il existe actuellement un projet de loi qui, s’il est adopté, interdira la publicité destinée aux enfants concernant la malbouffe. Ce projet de loi s’appliquerait hors Québec; le Québec a déjà légiféré à ce sujet.

La vice-présidente : Écoutons nos témoins. Il reste peu de temps.

M. Crépault : Puis-je commencer? Merci de votre question.

Tout d’abord, je ne suis absolument pas d’accord avec l’argument voulant qu’on ne peut pas mettre les jeux de hasard sur le même plan que l’alcool, le tabac ou le cannabis. On peut le faire et on doit le faire. Comme l’a dit M. Joordensens, je crois, ce sont des substances et des activités potentiellement addictives. Elles sont cliniquement très similaires et, sur le plan des politiques publiques, on peut les traiter de manière très similaire.

Pour moi, la Loi sur le cannabis est vraiment la norme de référence. Dans le cas du cannabis, notre organisation s’est prononcée très tôt en faveur d’une approche de santé publique, consistant à légaliser le cannabis et à le réglementer strictement. Si je pouvais remonter le temps d’un coup de baguette magique, je préférerais peut-être qu’on ne laisse pas autant de responsabilités aux provinces, car certaines s’en tirent mieux que d’autres. Quoi qu’il en soit, le fait est que la Loi sur le cannabis n’autorise les promotions de quelque sorte qu’au point de vente, c’est-à-dire à l’intérieur d’un magasin, dont la clientèle doit par définition être âgée d’au moins 18 ou 19 ans, selon la province ou le territoire.

Ce qui est difficile dans ce dossier, avec les paris sportifs en particulier — et encore une fois, c’est un sujet dont j’ai beaucoup discuté avec M. Joordens —, c’est de savoir ce qu’il en est pour un produit ou un service qui, essentiellement, est entièrement virtuel. Dans le cas du cannabis, nous avions la conviction qu’effectivement, il fallait donner une chance au marché légal. Les gens verront apparaître dans leur quartier des magasins où ils pourront s’approvisionner. Ils pourront y entrer s’ils ont l’âge requis. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’infractions. Les médias sociaux sont encore un Far West. Il est évident qu’il y a encore des acteurs illégaux sur la scène du cannabis.

En tant que personne qui intervient dans la politique du cannabis depuis bien plus longtemps que dans celle des jeux de hasard, je dirais que le Canada a vraiment bien piloté le dossier du cannabis. Il est difficile d’imaginer un monde où l’alcool serait vendu dans des emballages neutres, par exemple, mais si nous partons du principe que l’alcool est aussi grandement préjudiciable et qu’il faut l’envisager dans une optique de santé publique, alors oui, nous prônerions probablement ce que l’Organisation mondiale de la santé appelle les « meilleurs achats », c’est-à-dire les trois politiques qui combinent ce qui est le plus efficace et le plus facile à mettre en œuvre, à condition qu’il y ait une volonté politique, et ces politiques concernent le prix — cela s’applique à l’alcool en particulier, mais aussi au cannabis et, je dirais, aux jeux de hasard. Le prix, peut-être pas; pour l’alcool cependant, c’est le prix, la disponibilité et, surtout, la promotion.

Encore une fois, le concept de disponibilité est difficile à appliquer aux jeux de hasard, à quelque chose de virtuel. Mais l’Organisation mondiale de la santé vous dit qu’il faudrait interdire toute publicité pour l’alcool. Ce modèle, ou cette grille de politique si vous voulez, existe.

La sénatrice Dasko : [Difficultés techniques] Pouvez-vous nous en parler?

M. Crépault : Je laisserai peut-être MM. Joordens et Kidd en parler.

M. Joordens : C’est très délicat, pour les mêmes raisons : nous regardons le sport à la télévision avec nos enfants. S’il y a de la publicité à la télévision, alors les enfants y seront exposés dès qu’ils s’intéresseront à la publicité. C’est une des raisons pour lesquelles nous prônons une interdiction totale. C’est une façon efficace d’assurer la sécurité des enfants. Et pas seulement des enfants. Quand on sait que les taux de récidive atteignent 90 %, c’est comme placer une bouteille de bière ouverte devant un alcoolique. C’est ce que nous infligeons actuellement aux personnes qui essaient de se rétablir d’une dépendance au jeu. On les incite continuellement à récidiver.

Pour ce qui est des bonnes idées sur la façon d’empêcher les enfants d’être exposés à cette publicité; ma question est la suivante : pourquoi quiconque devrait y être exposé? Les adultes qui souhaitent parier savent où trouver ces jeux. Alors ne les imposons pas aux gens. Ceux qui les cherchent sauront les trouver, et les enfants devraient être mis à l’abri. C’est la meilleure solution pour moi.

La vice-présidente : Merci beaucoup. Sénatrice Clement, vous pouvez poser une très brève question pour terminer ce tour de questions.

La sénatrice Clement : Merci pour votre travail. Savez-vous si les enfants sont plus ou moins réceptifs aux traitements concernant les jeux de hasard?

M. Joordens : Il est très difficile de traiter les gens dans ce domaine; M. Crépault pourra également vous en parler. Avec un taux de récidive de 90 %, il est difficile de se sevrer de cette dépendance. Vous voulez courir après ces gains. Mais il est clair que les enfants sont plus vulnérables à l’endoctrinement, à cause de cette normalisation, de cette glorification des jeux de hasard qui commence à un jeune âge. Surtout si un parent ou si une sœur ou un frère plus âgé joue, le pouvoir d’apprentissage par l’observation est très fort. Les enfants vont très vite penser que c’est normal, que c’est cool, que c’est dans l’ordre des choses, et le seuil à franchir sera donc extrêmement bas. Avant de se demander comment les sortir de l’eau, empêchons-les au départ de se mouiller.

La sénatrice Clement : Merci.

La vice-présidente : Ces témoignages étaient très intéressants et, je dois dire, très préoccupants à bien des égards. Voilà qui met un terme à notre groupe de témoins. Merci beaucoup de votre générosité et de votre contribution. J’invite mes collègues à se joindre à moi pour remercier nos témoins de leur présence et du temps qu’ils ont consacré à nous faire part de leur expertise et de leur expérience aujourd’hui.

[Français]

Merci beaucoup. Chers collègues, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-269.

[Traduction]

Pour notre deuxième groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir par vidéoconférence M. Raffaello Rossi, chargé de cours et professeur adjoint en marketing à l’École de commerce de l’Université de Bristol, et M. Will Hill, directeur exécutif de la Canadian Lottery Coalition.

[Français]

Nous avons également M. Martin Sampson, directeur principal, Association canadienne des parcs et loisirs, à titre personnel, par vidéoconférence.

Vous n’êtes pas par vidéoconférence du tout, excusez-moi. Bienvenue et merci de vous trouver parmi nous.

[Traduction]

Nous entendrons d’abord MM. Rossi, Hill et Sampson, pour cinq minutes chacun, après quoi aura lieu la période de questions. Monsieur Rossi, vous avez la parole.

Raffaello Rossi, chargé de projet (professeur adjoint) en marketing, École de commerce, Université de Bristol, à titre personnel : Merci beaucoup de votre invitation. Je m’appelle Raffaello Rossi et je suis chargé de cours en marketing à l’Université de Bristol, ici au Royaume-Uni. Aujourd’hui, je vous ferai part de quelques-unes des conclusions de nos recherches en ce qui a trait à l’explosion de la publicité pour les jeux de hasard au Royaume-Uni, à son impact disproportionné sur les enfants et à la manière dont d’autres pays ont réagi.

Le Royaume-Uni a fortement déréglementé les jeux de hasard et leur marketing depuis 2007, et aujourd’hui, 17 ans plus tard, les consommateurs sont bombardés de publicité à ce sujet à la télévision, dans les médias sociaux, à la radio, dans les transports publics et, bien sûr, lorsqu’ils regardent du sport.

Notre récente étude a porté sur la prévalence du marketing des jeux de hasard pendant le week-end d’ouverture de la Premier League anglaise. Nous avons recensé un total de 11 000 messages sur les jeux de hasard qui ont été diffusés à la télévision, à la radio et sur les médias sociaux durant un seul week-end, ce qui les rend presque incontournables. Durant le match le plus prolifique, nous avons comptabilisé près de 3 000 messages.

Dans une autre étude réalisée en 2021 et centrée sur Twitter, nous avons constaté qu’au cours d’une seule année environ un million de publicités sur les jeux de hasard avaient été publiées à partir de comptes Twitter du Royaume-Uni. La moitié des jeunes de 11 à 17 ans déclarent voir au moins une fois par semaine des publicités sur les jeux de hasard sur leur fil d’actualité des médias sociaux.

En réponse à cette commercialisation excessive des jeux de hasard, plusieurs pays européens ont récemment interdit presque totalement le marketing, dont la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, l’Espagne, la Pologne et, depuis la semaine dernière, l’Ukraine. Cependant, les mêmes multinationales qui ont amené ces pays à imposer ces interdictions, comme Bet365, Betway ou FanDuel, s’installent maintenant dans les nouveaux territoires qui ont récemment ouvert la porte aux jeux de hasard, comme le Canada ou les États-Unis, instaurant ainsi un cycle similaire de marketing constant et virulent qui conduit à une normalisation, à une participation accrue et, en bout de piste, à une hausse des taux de préjudices imputables au jeu.

En début d’année, en collaboration avec CBC Marketplace , nous avons reproduit notre étude sur la prévalence de la publicité pour les jeux de hasard en Ontario. Nous avons examiné les retransmissions en direct de sept matchs de la LNH et de la NBA et avons recensé un total de 3 537 messages sur les jeux de hasard, soit environ trois messages par minute. C’est là évidemment une situation très problématique, puisqu’elle normalise les jeux de hasard comme étant un volet normal de la consommation de sport, tout en pouvant avoir des effets néfastes sur les téléspectateurs, voire même sur les enfants, qui composent environ 10 % des téléspectateurs.

Ce qui m’amène à mon deuxième point, concernant mes inquiétudes au sujet de la publicité pour les jeux de hasard en ligne et de ses effets sur les jeunes. Dans notre étude portant sur l’Ontario, nous avons déjà observé diverses similitudes avec le Royaume-Uni pour ce qui est du volume et du contenu des publicités sur les jeux de hasard dans les médias sociaux. En cinq jours, nous avons dénombré sur les médias sociaux près de 600 publicités publiées par 9 comptes de paris en Ontario, qui ont été visionnées par plus de 5,6 millions de personnes, vraisemblablement surtout des jeunes.

En 2021, dans le cadre d’une expérience en ligne menée auprès de 650 participants âgés de 11 à 78 ans, nous avons constaté que les publicités pour les jeux de hasard exercent une forte attirance sur les enfants et les jeunes de 11 à 24 ans, mais pas sur les adultes. En fait, pour chaque catégorie examinée, y compris les paris sportifs, les casinos en ligne mais aussi différentes formes de publicité, nous avons observé les mêmes tendances : les publicités pour les jeux de hasard déclenchent beaucoup plus d’émotions positives chez les enfants et les jeunes que chez les adultes. Une des raisons peut être que les enfants n’ont pas encore la connaissance et l’expérience nécessaires pour comprendre à quel point les jeux de hasard peuvent être préjudiciables et addictifs.

Ce problème est amplifié par les techniques sournoises de publicité en ligne déployées par l’industrie, en particulier ce qu’on appelle le marketing de contenu. Le marketing de contenu évite toute référence à la marque, au produit ou au service publicisé; il vise simplement à susciter des émotions positives et à être partagé en ligne. J’ai inclus quatre exemples dans les remarques écrites qui, je pense, ont été distribuées aux membres du comité. Même si elles peuvent sembler amusantes, innocentes et inoffensives, ces publicités font la promotion d’un produit qui crée une forte dépendance, et nos plus récentes recherches révèlent que les enfants et les jeunes n’ont pas la capacité de déterminer que ce marketing de contenu est en fait de la publicité, ce qui les laisse sans protection. C’est inquiétant, car environ 50 % de toutes les publicités sur les médias sociaux que nous avons trouvées au Canada et au Royaume-Uni sont en fait du marketing de contenu.

Pour conclure, j’espère que le comité prendra en considération les conséquences à long terme d’une poursuite de ce marketing virulent et sophistiqué. Je vous remercie, et je répondrai avec plaisir à vos questions.

La vice-présidente : Merci beaucoup de toutes ces recherches.

Will Hill, directeur exécutif, Canadian Lottery Coalition : Madame la présidente, distingués membres du comité, je vous remercie de me donner l’occasion de parler ce soir des jeux de hasard et de leur publicité. J’ai l’honneur de m’adresser à vous au nom de la Canadian Lottery Coalition, qui regroupe cinq membres, soit la British Columbia Lottery Corporation, Lotteries and Gaming Saskatchewan, Manitoba Liquor & Lotteries, Loto-Québec et la Société des loteries de l’Atlantique.

Ces sociétés de loterie provinciales ont été mises sur pied pour offrir des jeux sociaux responsables et reverser aux gouvernements provinciaux la totalité de leurs recettes nettes annuelles. Cet argent sert généralement à financer des priorités comme les soins de santé, l’éducation, les Premières Nations et toute une série de précieux programmes et services communautaires. Ces sociétés font beaucoup plus que garnir les coffres de l’État. Elles contribuent également de multiples façons au bien public, que ce soit en employant des milliers de Canadiens, en versant des centaines de millions de dollars en commissions de vente aux détaillants de loterie ou en remportant des certifications et des prix internationaux pour l’élaboration et la mise en place de programmes de jeu responsable qui figurent parmi les meilleurs de l’industrie.

Le Code criminel canadien et les lois provinciales sur les jeux de hasard font de nos membres les seules entités autorisées à exploiter certaines activités de jeux de hasard dans leur province, y compris, pour ce qui nous concerne aujourd’hui, les jeux de hasard en ligne et les paris sportifs numériques. Malgré cela, les membres de notre coalition, et par extension les citoyens de leurs provinces respectives, doivent quotidiennement faire face à des centaines d’exploitants illégaux de jeux de hasard en ligne, à leurs sites Web non réglementés et à leur publicité trompeuse. Ces sites violent incontestablement le Code criminel canadien. Aucune des exceptions énoncées à l’article 207 du code n’autorise leur exploitation, alors qu’ils ciblent ouvertement la population canadienne.

Les membres du comité seront intéressés d’apprendre que ces sites font du marketing et de la publicité auprès des Canadiens d’une manière très vigoureuse et efficace. Selon une étude commandée par notre coalition à une des principales entreprises mondiales de collecte de renseignements sur les jeux de hasard, au cours d’une année récente les exploitants illégaux de jeux en ligne ont siphonné du Canada près de deux milliards de dollars de recettes brutes provenant des jeux de hasard. L’étude révélait également que le taux composé de croissance annuelle du marché canadien des jeux en ligne illégaux avait atteint 15 % sur une récente période de cinq ans.

Je tiens à préciser qu’il existe un groupe d’exploitants privés de jeux en ligne qui ont été autorisés à faire affaire légalement en Ontario — et en Ontario seulement — par la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario, l’organe provincial de réglementation des jeux. Cependant, la majorité de ces exploitants font de la publicité et de la sollicitation auprès de la population canadienne qui habite ailleurs qu’en Ontario, alors qu’ils ne sont pas légalement habilités à le faire. Il semble que les grandes entreprises médiatiques vendent des forfaits publicitaires nationaux, si des mesures de blocage régionales sont en place. Jusqu’à présent, la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario a refusé de sanctionner ces exploitants pour leurs activités extraprovinciales.

Le groupe que je représente aujourd’hui, la Canadian Lottery Coalition, s’est constitué au cours des deux dernières années avec comme principal motif d’offrir aux Canadiens un environnement plus sûr de jeux de hasard en ligne. Nous voulons aider à trouver des solutions aux problèmes créés par les jeux de hasard en ligne illégaux au Canada, notamment un manque à gagner annuel récurrent en recettes fiscales, les risques accrus de préjudice pour les joueurs et peut-être même la criminalité financière. Les exploitants illégaux ne sont pas tenus d’offrir des jeux d’une manière socialement responsable ou d’appliquer des mesures typiques de jeu responsable comme des vérifications d’âge efficaces, et en l’absence de toute déclaration de données financières aux organismes de réglementation ou de surveillance tels que le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, il y a une hausse marquée des risques de fraude, de blanchiment d’argent, d’évasion fiscale et de détournement de fonds.

En revanche, chacun des membres de notre coalition propose aux joueurs un site Web en lequel ils peuvent avoir confiance. Ces sites sont conformes à toutes les lois fédérales et provinciales, ils respectent des normes rigoureuses d’intégrité technique et ils offrent de solides garanties pour la santé des joueurs en leur proposant des soutiens et des ressources. Fait important, ils respectent également la réglementation provinciale en matière de publicité, qui vise à garantir que les efforts de marketing encouragent l’adoption de comportements sains et positifs chez les joueurs. Ils ne doivent pas inciter les gens à jouer au-dessus de leurs moyens, ils ne doivent pas présenter le jeu comme une option de rechange à l’emploi, ils ne doivent pas s’adresser aux mineurs et ils ne doivent pas laisser entendre que l’habileté et l’expérience peuvent garantir un résultat positif.

Nous proposons au comité que tout cadre réglementaire résultant de ce projet de loi considère et délimite soigneusement ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Après tout, si un exploitant donné n’est pas légalement autorisé à accepter les paris dans une certaine province, pourquoi pourrait-il être autorisé à y faire de la publicité? Dans certains cas, ils font de la publicité dans différentes provinces pour favoriser des activités illicites. J’attire tout particulièrement votre attention sur le fait que de nombreux exploitants font de la publicité pour des sites .NET ou « à jeu gratuit » qui ne servent qu’à tromper les Canadiens pour les rediriger vers des affiliés internationaux. Notre coalition souhaite que cette échappatoire soit comblée.

Nous espérons également éviter les conséquences involontaires qu’aurait la mise en place d’un cadre et de lignes directrices que les exploitants pourraient tout simplement ignorer. Cela ne ferait qu’exacerber l’inégalité des règles du jeu entre les sites réglementés et non réglementés, en amenuisant la possibilité d’améliorer la sécurité pour tous les Canadiens.

Je vous remercie de votre attention.

[Français]

La vice-présidente : Merci, monsieur Hill. Nous passons maintenant à M. Martin Sampson.

[Traduction]

Martin Sampson, directeur principal, Association canadienne des parcs et loisirs, à titre personnel : Distingués membres du comité, c’est un honneur pour moi d’être ici ce soir. Je vous remercie de me donner l’occasion de participer à notre processus démocratique et de présenter mon point de vue sur cet enjeu.

La prévalence et l’omniprésence de la publicité pour les jeux de hasard pendant les retransmissions sportives sont profondément troublantes et devraient inquiéter tous les citoyens en raison du risque grave qu’elles représentent pour notre société, mais en particulier pour nos jeunes. La situation actuelle est intenable et nos grands décideurs doivent intervenir rapidement.

Je vous souligne que je ne suis pas ici à titre d’expert en la matière ni comme représentant d’une quelconque organisation. Je me présente aujourd’hui à titre personnel, comme citoyen intéressé et comme père de deux adolescents qui sont plongés dans le monde du hockey en tant que joueurs, bénévoles et partisans.

Je soutiens ce projet de loi qui, selon moi, contribuera grandement à protéger les jeunes qui sont particulièrement exposés au risque d’exploitation et de préjudice lié à ce type de publicité, en particulier à l’ère numérique. Les articles du projet de loi prévoyant un resserrement de la réglementation peuvent contribuer à assurer un environnement plus sûr à nos jeunes qui, souvent, naviguent dans ces espaces sans être pleinement conscients de leurs dangers potentiels.

Permettez-moi de vous exposer comment j’en suis arrivé à m’intéresser à cet enjeu.

Dans ma famille, le hockey n’est pas seulement un intérêt, c’est le centre d’intérêt. Neuf mois par année, voire plus, je suis à la patinoire cinq ou six jours par semaine. La participation de mes fils au hockey mineur m’a permis de me constituer un vaste réseau d’amis, et j’en suis extrêmement reconnaissant. J’y reviendrai dans un instant. Malgré ma profonde implication dans le hockey local, je m’étais désintéressé de la Ligue nationale de hockey, en partie à cause de la saturation de sport dans mon quotidien et en partie parce que les Sénateurs — les autres sénateurs — n’ont pas prétendu à la Coupe Stanley depuis un bon moment. Quoi qu’il en soit, je n’avais pas prêté attention à la LNH depuis un certain temps.

À peu près à cette date l’année dernière, j’écoutais d’une oreille distraite un match de la LNH que mes fils de 14 et 16 ans regardaient dans l’autre pièce. J’ai entendu une publicité sur les jeux de hasard. Je n’y ai pas prêté attention, jusqu’à ce que j’en entende une autre 30 secondes plus tard. Cela a piqué ma curiosité, et je me suis assis pour regarder plus attentivement. À peine quelques minutes plus tard, une autre publicité mettait en vedette les superstars de la LNH Connor McDavid et Wayne Gretzky. Je dois vous dire que tout cela m’a dégoûté, et que j’ai trouvé l’expérience vraiment déplaisante. Ensuite, j’ai remarqué que les analystes incluaient dans leurs commentaires des histoires de paris sportifs, et que le produit présenté sur la glace était lui aussi complètement saturé d’annonces pour les jeux de hasard.

Tout cela était nouveau pour moi et m’a vraiment désarçonné. J’étais horrifié de voir l’esprit de mes fils complètement bombardé de publicités sophistiquées sur les paris sportifs, qui étaient totalement intégrées à la télédiffusion et clairement conçues pour les convaincre de placer un pari et de se croire cools en le faisant. Je me suis demandé si j’assistais à la plantation des graines toxiques d’une dépendance au jeu dans l’esprit impressionnable de mes adolescents. La situation me semblait absurde. Ce dont j’étais témoin était si manifestement mal. Je me suis demandé « Comment en sommes-nous arrivés là? Aucune personne sensée ne peut trouver cette situation rationnelle ».

J’ai donc adressé une lettre ouverte à la LNH, à Sportsnet, à la CBC, à Rogers, aux joueurs de la LNH et au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Je n’ai pas entendu un mot de leur part, mais j’ai eu une réponse énorme de mon réseau. Je peux vous dire que dans mon réseau, tout le monde — vraiment tout le monde — est aussi horrifié que moi. Ce sont des parents d’enfants aux âges variés, et ils sont très en colère.

L’avalanche de publicités pour les jeux de hasard durant une émission sportive destinée à la famille illustre de manière frappante une lacune flagrante de notre approche actuelle. Même si ces entreprises exercent leur droit de commercialiser un service légal, la méthode et l’ampleur avec lesquelles elles exercent ce droit semblent radicalement contredire les valeurs sociétales fondamentales que nous chérissons au Canada et, certainement, celles que nous nous efforçons d’inculquer à nos jeunes.

Soyons clairs : les jeux de hasard sont légaux et les adultes devraient pouvoir jouer de manière responsable et faire ce qu’ils veulent, mais il est tout aussi clair que l’approche que nous avons adoptée depuis 2021 est manifestement et de toute évidence erronée. Il n’est pas nécessaire d’être un expert pour s’en rendre compte. Nous devons la corriger.

À mon avis, on ne saurait trop insister sur l’urgence d’adopter ce projet de loi. Il vise à mettre en place un cadre indispensable pour limiter la portée et la présence des publicités pour les jeux de hasard, en particulier durant les émissions accessibles aux mineurs. Il prévoit une norme nationale qui non seulement réglemente ces publicités mais aussi souligne la prévalence des préjudices liés aux jeux de hasard. Je pense que c’est un pas dans la bonne direction. Je pense qu’il facilitera la tenue de discussions essentielles et la prise de mesures critiques visant à protéger nos jeunes. Je pense qu’il contribuera à la formulation de mesures préventives. Si j’avais une critique à formuler à l’égard du projet de loi, c’est qu’il ne va pas assez loin et ne chemine pas assez vite.

Je demande instamment au comité et à tous les intervenants d’écouter les parents. Nous devons mettre nos enfants à l’abri des virulentes stratégies de marketing mises en place par des entreprises de jeux de hasard uniquement motivées par le profit. Ce projet de loi représente un pas important vers la sauvegarde du bien-être mental et émotionnel de nos jeunes. En tant que père, et en accord avec les nombreux autres parents à qui je parle, je vous implore d’agir rapidement et de manière décisive. Nous devons à nos enfants de leur assurer, dans leur visionnement d’activités sportives, une expérience sûre, agréable et exempte d’influences commerciales abusives qui pourraient les mener sur la voie de la dépendance.

Je vous remercie à nouveau de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer sur cet enjeu crucial. Je suis impatient de voir les changements positifs promis par le projet de loi S-269, qui fera émerger, je l’espère, un environnement sportif plus sain pour les générations futures.

En conclusion, je voudrais remercier la sénatrice Deacon, le sénateur Cotter et tous les autres témoins qui ont comparu aujourd’hui, comme MM. Kidd et Luke. Je souhaite également remercier les fonctionnaires et les représentants, présents ou non aujourd’hui, qui sont intervenus dans ce dossier. Vous jouez un rôle de plus en plus difficile en ces temps complexes. La société a plus que jamais besoin de votre sagesse, de votre engagement et de votre leadership pour contrer les problèmes urgents auxquels elle fait face. Merci de votre constant service et des sacrifices que vous effectuez dans la quête d’un Canada meilleur, plus sûr et plus équitable pour tous.

La vice-présidente : Merci beaucoup pour ce témoignage qui vient du fond du cœur, et merci à tous nos témoins.

Monsieur Rossi, j’aimerais savoir ce que fait la Grande-Bretagne au sujet de ces préjudices. Vous vivez à Bristol, vous devez connaître la situation. Je pense que les autorités y sont intervenues pour empêcher les enfants de parier, mais qu’en est‑il des publicités? Pouvez-vous nous en dire un peu plus?

M. Rossi : Merci de votre question.

Pour être honnête, nous n’en faisons pas assez, et de loin, au Royaume-Uni. Le Royaume-Uni, tout comme l’Australie, a été un des premiers territoires à ouvrir le marché, à déréglementer le marketing, à légaliser les paris sportifs et la publicité, etc. Depuis 10 à 15 ans, on discute énormément de ce qu’il faut faire pour sécuriser et réduire l’environnement de pari. Une vaste consultation a été organisée à ce sujet, mais les mesures prises au Royaume-Uni ne sont pas efficaces, loin s’en faut. Elles ne suffisent pas. Le public, les chercheurs et les décideurs sont de plus en plus frustrés par l’inaction gouvernementale. Oui, on a en quelque sorte introduit une nouvelle mesure de protection des enfants en disant que les paris ne doivent pas être très attirants pour eux, mais cela ne fonctionne pas du tout. D’après ce que je comprends, cette mesure est totalement inefficace.

La vice-présidente : Il s’agit d’une mesure qu’un organisme de réglementation impose aux annonceurs et qui consiste à ne pas cibler les enfants, mais elle ne fonctionne pas?

M. Rossi : C’est exact. Essentiellement, ils ont établi ce qu’ils appellent un test d’attractivité, une sorte de ligne directrice dans différentes catégories. En agissant d’une telle manière, on détermine ce qui attirera vraisemblablement beaucoup les enfants, ou moins, ou ce qui pose un risque plus faible, plus élevé, etc. La lacune fondamentale de ce document d’orientation et de ce mode de réglementation, c’est qu’on n’a jamais consulté les enfants. Ce sont les adultes qui pensent que les dessins animés sont attrayants pour les enfants, mais en fait, dans notre recherche menée auprès de 210 enfants, nous avons constaté qu’ils ne sont pas vraiment attirés par les dessins animés. Ils ne les aiment pas. C’est autre chose. C’est le sentiment de faire partie d’un cercle d’initiés. Vous avez tous des enfants. Vous savez qu’ils ont leur propre sens de l’humour, un sens très sophistiqué. Si nous voulons faire quelque chose pour protéger les enfants, nous devons les faire participer à l’élaboration des politiques, et aussi quand nous statuons sur les possibles infractions.

La vice-présidente : Merci.

La sénatrice Simons : Je m’adresserai maintenant à M. Rossi. Tout d’abord, je vous remercie de votre présence au milieu de la nuit.

La vice-présidente : Oui, merci.

La sénatrice Simons : Vous avez dit que d’autres pays européens avaient interdit la publicité. Je sais que l’approche européenne concernant la réglementation du discours commercial est très différente de l’approche nord-américaine. Pouvez-vous me dire s’ils se contentent d’interdire la publicité dans les émissions traditionnelles? Comment pourraient-ils tenter d’interdire la publicité en ligne et dans les médias sociaux, par exemple sur X, sur Facebook ou les autres plateformes du genre?

M. Rossi : Merci beaucoup.

Les pays que j’ai mentionnés — par exemple la Belgique — ont presque entièrement interdit toute forme de marketing des jeux de hasard, tout comme l’Italie ou l’Espagne. Cette mesure ne vise pas seulement la radiotélédiffusion. Elle vise toute forme de commercialisation des jeux de hasard, à quelques petites exceptions près.

À cette fin, ils se sont servi des conditions de délivrance des permis. Si les autorités constatent qu’un exploitant de jeux de hasard titulaire d’un permis a fait de la publicité quelque part, que ce soit en ligne ou ailleurs, il perd son permis et n’a plus le droit d’exploiter son activité.

La sénatrice Simons : C’est très habile. C’est beaucoup mieux que d’essayer de réglementer la publicité sur YouTube, sur X ou sur les baladodiffusions. Les entreprises de jeux de hasard qui font de la publicité… je pense que nous avons terminé. Pourquoi la Grande-Bretagne n’a-t-elle pas adopté le même modèle?

M. Rossi : Je l’ignore totalement. Le lobby des jeux de hasard est très puissant chez nous, et nous avons un gouvernement très conservateur qui n’a pas accordé à cette question la priorité qu’elle mérite. Je ne sais pas. Nous ressentons tous une frustration croissante, parce que nous sommes l’exception. C’est nous qui avons le plus de données probantes, mais nous n’agissons pas en conséquence.

En ce qui concerne ces pays, il est fascinant de constater qu’on observe toujours les mêmes similitudes une fois qu’on commence à regarder de plus près. L’argument du marché noir, dont l’un des témoins vient de nous parler, est le même qui a été invoqué en Allemagne. Même chose aux Pays-Bas. Les problèmes sont les mêmes. Fait intéressant, les Pays-Bas pensent que pour s’attaquer au problème du marché noir, il faut autoriser tout le marketing des jeux de hasard, parce que les gens sauraient ainsi quelles sont les marques de paris légales. C’est ce que ce pays a fait en 2021. Deux ans plus tard, le marché avait explosé et les Pays-Bas interdisaient presque tout marketing, parce que ça n’avait pas fonctionné.

La sénatrice Simons : Je suis désolée de vous paraître si abasourdie. En tant qu’ancienne journaliste, je suis très sensible aux questions de réglementation du discours, mais vous venez de renverser l’équation. Si vous réglementez les entreprises de jeu légales en leur interdisant de faire de la publicité comme condition du permis d’exploitation sur votre territoire, cela pourrait résoudre beaucoup de problèmes. Cela ne ferait pas le bonheur de M. Hill.

La vice-présidente : Est-ce que c’est la solution?

M. Hill : Je vous ferai remarquer que lorsqu’il y a une interdiction généralisée du marketing, on assiste souvent à une migration vers le marché noir. C’est le phénomène de la renaissance du phénix : les exploitants qui perdent leur permis s’éloigneront de l’image de marque et de la commercialisation d’une marque particulière pour ressusciter leurs activités sur la même plateforme de jeu mais sous des marques totalement différentes. Tel le phénix, ils renaissent de leurs cendres, parfois en quelques jours, parfois en quelques semaines, et ils continuent de rejoindre leurs clients par le biais de sites de jeu non réglementés.

La sénatrice Simons : Je suppose que dans notre cas, si l’Ontario réglementait les jeux de hasard, le gouvernement fédéral n’aurait aucun pouvoir pour contrôler la publicité.

Merci, messieurs Hill et Rossi. Vous nous avez donné une abondante matière à réflexion. Merci également, monsieur Sampson, pour votre passion.

La vice-présidente : Monsieur Hill, vous avez dénoncé avec force la publicité illégale et le jeu illégal, mais à vrai dire, je m’intéresse davantage aux activités légales, car c’est sur elles que nous avons une certaine influence. Il est assez difficile de réglementer les choses illégales.

Que faites-vous? Faites-vous de la publicité pour les jeux de hasard sur les sites de Loto-Québec ou d’autres sites? Si c’est le cas, nous venons d’apprendre que la Grande-Bretagne n’a pas été en mesure de protéger les enfants. Que faites-vous pour protéger les enfants? Avez-vous des études qui montrent que cela fonctionne? Quel est votre pourcentage de publicité? Est-ce qu’il y a des lois vraiment très strictes à ce sujet?

M. Hill : Tout à fait. Les lois varient d’un territoire à l’autre. Le paysage canadien des jeux de hasard prend racine dans la législation fédérale. Le Code criminel canadien autorise les provinces, ou plusieurs provinces travaillant conjointement, à organiser et à gérer des loteries, c’est-à-dire les activités commerciales de jeux de hasard.

En règle générale, ces sociétés de loterie provinciales sont constituées par une loi provinciale qui vise plusieurs objectifs : enrichir le trésor public, créer des emplois, stimuler l’économie, mais surtout agir dans l’intérêt de la population de la province concernée en maintenant des niveaux optimaux de jeu responsable.

À cette fin, plusieurs de nos membres ont reçu la certification la plus élevée d’une organisation mondiale appelée World Lottery Association, basée en Italie.

La vice-présidente : Explicitement sur notre sujet, les jeux de hasard?

M. Hill : Oui.

La vice-présidente : Quel type de publicité faites-vous?

M. Hill : Nos membres font de la publicité à la télévision, à la radio, sur des supports numériques et des panneaux d’affichage, mais ils le font souvent sous le régime d’une réglementation provinciale qui garantit qu’ils ne font pas de publicité destinée aux mineurs ou qu’ils ne présentent pas les jeux de hasard comme une panacée ou même comme un avantage majeur. Ils sont très soucieux...

La vice-présidente : Par définition, la publicité essaie d’attirer les gens.

M. Hill : C’est exact.

La vice-présidente : Alors, comment peut-on faire de la publicité sans attirer des clients?

M. Hill : Eh bien, la publicité dans ces provinces ou ces territoires vise le segment de la population qui est légalement autorisé à parier, soit la population adulte. Nous évitons scrupuleusement de donner même l’impression que nous nous adressons à des mineurs.

La vice-présidente : Très bien. Je suis curieuse de savoir comment vous procédez. Nous devrions probablement voir quelques publicités. À mon avis, c’est difficile. Je ne sais pas comment vous vous y prenez, car par définition, la publicité attire les gens vers les jeux de hasard. C’est ce dont nous discutons.

La sénatrice Dasko : Comment faire pour ne pas viser les enfants? Par exemple, M. Sampson nous a parlé des matchs de hockey. La famille regarde un match de hockey. Les parents et les enfants sont devant la télévision, on s’adresse donc aux enfants. Vous ne voulez pas exclure ce genre de représentations.

M. Hill : Ce que nous disons, c’est qu’il s’agit à la fois d’une question de contenu et de placement. Quand je dis « contenu », l’esprit de la publicité est orienté vers une population adulte. Il n’y a pas d’éléments visant à attirer les mineurs. C’est tout à fait délibéré. En ce qui concerne le placement, il s’agit de travailler avec des agences pour garantir que les achats de médias par les sociétés de loteries provinciales ne se retrouvent pas dans les émissions populaires auprès des enfants. Par exemple, il s’agit souvent d’émissions diffusées plus tard le soir, hors des heures de grande écoute.

Je vous suggérerais sans équivoque de comparer les efforts des membres de ma coalition et leur publicité à ceux des exploitants privés et illégaux qui se sont installés au Canada surtout au cours des deux dernières années, mais qui font de la publicité ici et créent un problème depuis près de vingt ans.

La vice-présidente : Monsieur Rossi, avez-vous quelque chose à ajouter? Est-ce possible?

M. Rossi : J’ai une question à poser à Will Hill, à savoir s’il s’est déjà entretenu avec des enfants. Vous avez affirmé assez catégoriquement que « nos publicités n’attirent pas les enfants », mais en tant qu’adulte, il est vraiment difficile de l’affirmer ou d’en juger. Avez-vous réellement échangé avec des jeunes et leur avez-vous dit : « Regardez ça, est-ce que c’est quelque chose que vous aimeriez? »

M. Hill : Concrètement, si vous me posez la question, je ne me suis pas entretenu avec des enfants. Au cours des 15 années et plus que j’ai passées dans le secteur des jeux d’argent au Canada, dont 11 à l’Ontario Lottery and Gaming, l’exploitant de l’Ontario, je ne me suis jamais vraiment occupé du marketing. J’ai épaulé pendant plusieurs années un président de conseil d’administration et j’ai été le bras droit d’un PDG. J’ai ensuite travaillé à des partenariats stratégiques avec différentes entités commerciales avec lesquelles nous pouvions établir des relations complémentaires sur le marché. Donc, non, je ne suis pas un expert. Même si j’ai une connaissance approfondie du secteur des jeux d’argent, je n’ai pas d’expertise en marketing. Pour répondre à votre question, je dois avouer que non, je ne me suis pas entretenu moi-même avec des enfants.

Le sénateur Cardozo : J’ai une question à poser à M. Hill sur la publicité. Je ne peux pas l’affirmer avec certitude, mais il me semble avoir vu depuis toujours des publicités pour la loterie dans les patinoires de hockey et ailleurs. Je rêve peut-être, mais j’ai l’impression d’avoir vu les mentions « financé par » ou « soutenu par » différentes sociétés de loteries dans différents lieux sportifs. On ne dit pas « venez acheter des billets de loterie », mais on dit « soutenu par ». Est-ce exact?

M. Hill : Cela remonte à la genèse des sociétés de loteries provinciales. Nombre d’entre elles ont été créées pour contribuer à l’intérêt public, et les recettes des loteries étaient reversées à des projets communautaires.

J’ai un bon ami qui a déjà été directeur général d’OLG, et il a été embauché après avoir vu certaines des affiches que vous mentionnez : « Cette installation communautaire a été construite grâce aux recettes des loteries de l’Ontario ». C’est ce qui l’a convaincu de travailler pour OLG. Il voulait faire partie d’une entreprise qui redonnait ainsi à la communauté et qui finançait la construction d’infrastructures communautaires.

Le sénateur Cardozo : Je peux comprendre pourquoi on le fait. On veut dire aux gens d’où vient l’argent. On veut être ouvert et transparent. Je dis simplement qu’il y a un certain niveau de promotion.

J’aimerais que vous m’informiez sur les entités que vous avez appelées les « entreprises de paris illégaux » qui sont entrées au Canada récemment, par opposition à vos membres, y compris ceux de l’Ontario, les loteries nationales, etc. Quelle est la différence entre eux?

M. Hill : Le marché illégal au Canada est considérable, et il existe en fait depuis assez longtemps. J’ai dit que le problème remonte à une vingtaine d’années et il n’est pas propre au Canada : le jeu en ligne illégal est pratiqué dans de nombreux pays à travers le monde, comme M. Rossi vous le dira certainement.

Le sénateur Cardozo : C’est aussi un problème mondial.

M. Hill : Tout à fait. Certains exploitants viennent de loin, comme Antigua, Barbuda, Curaçao, Malte, etc. Ils utilisent l’omniprésence d’Internet pour joindre des clients ailleurs dans le monde où la loi n’est pas toujours claire, à savoir s’ils sont autorisés à le faire.

Ici, au Canada, nous sommes assez clairs. Le Code criminel canadien interdit toutes les formes de jeux d’argent, mais il prévoit certaines exceptions très circonscrites. La plus notable de ces exceptions concerne les cas où une province ou plusieurs provinces exploitent et gèrent conjointement un système de loteries. Cela signifie essentiellement que dans chacune des provinces où notre coalition est présente, la seule plateforme de jeux en ligne sûre, sécurisée et légale est celle gérée par la société de loteries provinciale. Et pourtant, monsieur le sénateur, au quotidien, ces sociétés font face à des concurrents qui se comptent par centaines et qui sont certainement beaucoup moins scrupuleux et moins soucieux du jeu responsable que nos membres le sont. Nous sommes conçus d’une certaine manière pour contribuer au Trésor public, mais aussi à l’intérêt public. Notre objectif est de rapporter le plus possible aux provinces que nous servons plutôt que de servir les intérêts, disons, d’un petit groupe d’investisseurs ou d’actionnaires.

Le sénateur Cardozo : Vos membres sont donc des sociétés d’État, qui appartiennent aux provinces?

M. Hill : C’est correct.

Le sénateur Cardozo : En ce qui concerne ces autres exploitants qui se pointent, existe-t-il une quelconque réglementation, ou est-ce que n’importe qui peut entrer sur le marché canadien pour exploiter des jeux d’argent? Où s’inscrivent-ils dans ce contexte?

M. Hill : Les casinos relèvent de la même loi, de l’article 207. Dans certains cas, comme au Québec, Loto-Québec exploite elle‑même une série de casinos et de salles de jeux. Dans d’autres provinces, comme en Colombie-Britannique, la société de loteries provinciale de la Couronne supervise un portefeuille de fournisseurs de services privés qui suivent de près leurs obligations contractuelles afin de garantir que le gouvernement reste le maître d’œuvre des jeux d’argent, même si ces activités sont exécutées en son nom par d’autres entreprises commerciales.

En ce qui concerne les jeux en ligne, plusieurs entreprises ont réussi à pénétrer différents marchés. Souvent, dans le cas de Loto-Québec, lorsqu’elle a mis en place sa plateforme de jeux numériques, des exploitants bien établis opéraient déjà illégalement dans la province et s’étaient emparés de la plupart des clients, de sorte que Loto-Québec a dû passer de 0 à 10, puis à 20. Elle détient aujourd’hui une faible majorité du marché au Québec. Elle est toujours confrontée à une concurrence illégale importante dans cette province.

La vice-présidente : Nous allons maintenant entendre les questions de Marty Deacon, qui est la marraine de ce projet de loi.

La sénatrice M. Deacon : Merci à nos invités d’être ici malgré les différents fuseaux horaires. J’ai trois questions pour nos invités. Je vais faire aussi vite que possible.

Ma première question s’adresse à M. Sampson. Je vous remercie de votre déclaration très passionnée. J’aimerais savoir ce que cette combinaison des sports et des paris pourrait signifier à long terme, selon vous. C’est assez nouveau pour nous, comme vous l’avez dit avec l’expérience que vous avez vécue chez vous, de nous voir bombardés par des publicités et des promotions diffusées pour des sociétés de paris alors que nous regardons les sports que nous aimons ou même quand nous y participons, par rapport aux valeurs auxquelles nous croyons et aux possibilités qu’offre le sport. Des personnalités, des athlètes et des réseaux sportifs nous disent de parier, comment le faire, avec qui et quand pour tous les Canadiens, mais surtout pour nos jeunes. Selon vous, quel est l’effet à long terme et comment vous sentez-vous dans votre rôle de personnes qui inspirent les autres à profiter du plein air dans un cadre de parcs et de loisirs d’un bout à l’autre du pays?

M. Sampson : Je ne vois aucune issue positive. Nous avons créé une situation terrible. Dans 20 ans, nous analyserons les données et nous nous demanderons pourquoi tant de gens sont aux prises avec une dépendance au jeu. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose. L’omniprésence du jeu, la façon dont il est présenté et intégré dans les émissions sont, à première vue, mauvaises et néfastes. J’ai regardé mes enfants consommer ces émissions et je me suis dit qu’il était évident que ce n’était pas une bonne chose. C’était simplement un feu roulant, à répétition, et cela continue. Vous regardez la diffusion d’un match de la LNH, et c’est incessant.

Un autre élément qui me préoccupe vraiment est que l’un de mes fils est un joueur de hockey de premier plan. Il vient d’être repêché dans la CCHL, il pourrait donc avoir un avenir dans le hockey. Je ne veux pas dire qu’il va se rendre à la LNH, mais s’il en vient à jouer dans la NCAA, subira-t-il des pressions pour participer à des paris sportifs?

La saturation à cet égard est profondément troublante. Je ne vois pas comment cela pourrait donner du bon. Je pense vraiment qu’il est problématique que des grandes vedettes de la LNH prêtent leur nom à ces entreprises. Je trouve cela dégoûtant et c’est certainement une faille que nous pouvons combler. Si nous réduisions simplement l’omniprésence, je pense que nous serions dans une meilleure posture, mais comme je l’ai déjà dit, je préférerais qu’il n’y ait pas de publicité pour les paris sportifs pendant les émissions de sport.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie.

Pour continuer peut-être sur cette lancée et en gardant cela à l’esprit, monsieur Rossi, je vous remercie pour vos données et pour avoir rejoint le Canada avec Marketplace et rassemblé des données que nous pouvons utiliser en tant que Canadiens, cet échantillon de l’automne avec l’enquête sur la LNH et la NBA. Pour mes collègues, le tableau dont j’ai parlé hier donne un portrait de la situation en Allemagne, aux Pays-Bas et dans d’autres pays où les interdictions sont plus sévères.

Lorsque vous avez participé à l’émission The Current à la CBC, une citation m’a vraiment frappée. Elle m’est venue à l’esprit aujourd’hui. Vous avez dit :

« Nous avons comparé des enfants à des adultes et à des jeunes et nous avons constaté à travers toutes les formes de publicité pour les jeux d’argent que les enfants avaient des émotions et des réactions beaucoup plus positives à ces publicités que les adultes. En fait, les adultes les détestaient même en moyenne.

Faut-il en conclure que ces publicités, selon l’industrie, ne sont pas conçues pour plaire aux enfants, ou qu’en fin de compte, elles ne plaisent qu’aux enfants? Comment pouvons-nous y mettre fin?

M. Rossi : Merci pour cette question, sénatrice, elle est brillante.

Tout d’abord, oui, c’est exactement ce que j’ai dit et c’est ce que les résultats montrent. Auprès de 210 enfants de 11 à 17 ans, de 220 jeunes adultes de 18 à 24 ans et de 220 adultes de plus de 25 ans, dans différentes catégories, nous avons constaté la même chose, en mesurant essentiellement les émotions que les gens ressentent lorsqu’ils voient des publicités pour des jeux d’argent sur les médias sociaux.

L’élément intéressant, c’est que cela dépend surtout de la forme de la publicité. J’ai mentionné le marketing par contenu et je ne sais pas si vous avez eu l’occasion d’en prendre connaissance dans les rapports, mais c’est quelque chose qui déclenche des émotions positives très fortes. Lorsque nous avons reproduit l’étude récemment, en personne, les enfants se sont mis à rire en voyant ces publicités pour les jeux d’argent. C’était horrible. Pour leur part, les adultes ne riaient pas. Pour eux, c’était légèrement positif, mais beaucoup plus négatif que pour les enfants. Si l’on prend la publicité conventionnelle, c’est‑à‑dire les offres du genre « obtenez 10 $ » ou la plus grande marque de paris, les enfants et les jeunes adultes ressentent des émotions positives, alors que les adultes ressentent de fortes émotions négatives. Ils détestaient ces publicités. C’était très fascinant. Différents éléments se conjuguaient. Cela dépendait de la connaissance de la publicité, par exemple : « À quel point est‑ce que je comprends cette publicité? Ils veulent me vendre quelque chose ». Cela dépend de l’expérience de vie.

Bien sûr, il ne faut pas oublier que les moins de 25 ans sont tout simplement plus vulnérables. Leur cerveau fonctionne différemment, ce qui les rend plus impulsifs et plus émotifs. Ils y réagissent simplement plus fortement.

Lorsque nous avons reproduit l’étude, nous avons aussi mesuré les réactions physiques et nous avons constaté la même chose. Ils réagissent très positivement à ces publicités, ce qui me laisse croire que la publicité pour les jeux d’argent dans les médias sociaux cible essentiellement les enfants par la bande. C’est pourquoi j’étais intéressé de connaître l’opinion de M. Hill à savoir s’ils s’étaient entretenus avec des enfants. Je ne pense pas que l’industrie le fasse exprès. Je ne le crois pas. Ce n’est peut-être qu’un accident, mais c’est un problème énorme qu’il faut régler.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie.

Monsieur Hill, je serai aussi brève que possible. Nous parlons actuellement des Canadiens, mais j’essaie aussi de faire quelque chose d’autre pour aider les provinces. C’est injuste qu’elles n’aient pas suivi la voie de l’Ontario que nous voyons peut-être dans tout le Canada, mais les habitants des autres provinces voient les publicités. Ils les voient dans tout le pays, avec les inconvénients que cela comporte. En Colombie-Britannique, c’est 27 %, à Atlanta, 42 %; nous disposons de différentes données. Des réseaux comme Rogers et la CBC ont déclaré que tant que les publicités précisent « seulement en Ontario », ils peuvent continuer à faire leur travail et diffuser légalement dans tout le pays. Quelles autres mesures pouvons-nous prendre pour mettre en place un cadre qui restreindrait ces publicités à l’Ontario?

M. Hill : C’est aux radiodiffuseurs et aux fournisseurs d’accès Internet de veiller à ce que ces exploitants restent entièrement et uniquement sur le territoire où ils sont légalement autorisés à prendre des paris.

Je peux vous dire que leur publicité qui dépasse les frontières de l’Ontario contribue à l’un des plus graves problèmes liés aux paris en ligne illégaux au Canada, à savoir la confusion des joueurs. Lorsqu’un joueur d’une autre province que l’Ontario voit l’une de ces publicités à la Soirée du hockey pendant un entracte, qu’il se connecte à son ordinateur et que, sur le site Web d’actualités sportives de son choix, il trouve une bannière numérique d’un exploitant, il a l’impression que le jeu doit être légal. Si je l’ai vu à la télévision et je le vois sur mon ordinateur alors que je suis assis ici au Manitoba, en Saskatchewan ou ailleurs, si cela m’est présenté, c’est qu’il doit y avoir une certaine légitimité. Il y a un vernis de légalité et d’authenticité dans la publicité qui dépasse les frontières de l’Ontario.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie.

La vice-présidente : Êtes-vous en train de dire que des radiodiffuseurs acceptent des publicités illégales?

M. Hill : Je dis qu’il semble que des exploitants achètent des bouquets publicitaires nationaux, mais qu’ils apposent sur toutes leurs publicités, en raison de la réglementation en vigueur en Ontario, la mention « disponible en Ontario seulement » ou « doit être présent en Ontario seulement ». Il y a généralement une étiquette, souvent dans les trois ou cinq dernières secondes de l’annonce si vous prenez une annonce télévisée de 30 secondes, avec de touts petits caractères en bas qui indiquent que l’annonce est destinée à un public ontarien uniquement, mais elle touche sans équivoque un auditoire national.

La sénatrice Simons : Monsieur Hill, avant d’entrer au Sénat, j’étais chroniqueuse à Edmonton. L’Alberta Gaming, Liquor and Cannabis Commission ne fait pas partie de votre coalition, mais je me souviens très bien à l’époque où ils ont commencé à faire de la publicité pour les loteries explicitement destinée aux jeunes adultes parce qu’ils s’inquiétaient du fait que ces jeunes n’achetaient pas de billets de loterie. Ils ont conçu leurs publicités pour les loteries de manière à ce qu’elles attirent les jeunes de 18 à 24 ans. Lorsque je leur ai demandé si une publicité destinée à un jeune de 18 ans n’attirait pas également à un jeune de 16 ou 17 ans, ils m’ont répondu que le problème était que les jeunes n’achetaient pas de billets de loterie et qu’il fallait donc s’adresser aux jeunes, sinon nous allions perdre notre part de marché. Cette histoire est restée gravée dans ma mémoire.

Je ne peux m’empêcher de me demander dans quelle mesure vous craignez vous aussi de perdre des parts de marché parce que les jeunes adultes n’achètent pas de billets de loterie statiques alors qu’ils peuvent faire des paris en ligne plus interactifs, qui leur procurent plus de poussées d’adrénaline par seconde que d’acheter un billet et d’attendre un mois pour connaître le résultat.

M. Hill : Merci pour votre question.

Permettez-moi de répondre en décrivant un phénomène global, à savoir que si une tendance se dessine dans l’industrie des jeux d’argent en général, c’est que les jeunes joueurs — et j’entends par là les personnes âgées de 20 à 35 ans — ne semblent pas enclins à acheter des billets de loterie ou à jouer aux machines à sous ou aux jeux de table avec la même fréquence et le même enthousiasme que leurs parents et leurs grands-parents avant eux. Dans l’ensemble du secteur, on observe des efforts pour s’orienter davantage vers le divertissement. C’est d’ailleurs ce que l’on constate dans les dénominations sociales de certaines de ces entreprises.

La sénatrice Simons : Oui, c’est interactif, ce n’est pas passif.

M. Hill : C’est combiné à une sortie au restaurant et à des spectacles. Il s’agit de diversifier les options.

Le sport a souvent été considéré comme un moyen d’attirer de nouveaux jeunes clients, car vous rencontrez les personnes dans la vingtaine et la trentaine à deux endroits clés : d’une part, sur leur téléphone, où ils passent le plus clair de leur temps, et d’autre part, dans les palais des sports, où ils s’intéressent de près à l’équipe locale. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un secteur de jeux d’argent particulièrement lucratif ou rentable, les paris sportifs sont attrayants pour l’acquisition de clients.

L’attraction de la clientèle permet de régler le problème que j’ai décrit plus tôt, à savoir que les clients n’arrivent pas avec le même enthousiasme qu’au cours des décennies passées.

La sénatrice Simons : Tout est là. Je peux le dire au Sénat parce que c’est notre démographie. Les personnes âgées achètent des billets de loterie; les jeunes n’en achètent pas. Les jeunes sont beaucoup moins intéressés par les sports télévisés que leurs parents, c’est donc le mariage parfait entre un moyen d’augmenter les revenus des jeux d’argent et un moyen d’augmenter l’intérêt pour les sports. J’ai blagué tout à l’heure en disant que si nous avions des paris au Sénat, plus de gens regarderaient nos interventions.

Il me semble que si vous essayez d’attirer un marché de jeunes, il est difficile de créer une publicité qui attire les jeunes de 19 et 20 ans sans forcément attirer les jeunes de 16 et 17 ans.

M. Hill : Je comprends parfaitement votre point de vue. J’ai été assez explicite en disant qu’il s’agit d’attirer davantage un public de 20 ans et plus. La tranche des 20 à 35 ans est le segment qui est largement ciblé dans les différentes publicités.

La sénatrice Simons : Ils ont plus d’argent que les jeunes de 16 ans.

Le sénateur Cardozo : Je tiens à revenir à la question de savoir à qui nous avons affaire. Une partie du projet de loi porte sur la réglementation de ce qui sera diffusé à la télévision et à la radio, mais il y a l’autre partie, la publicité en ligne, qui n’est réglementée par personne et ne peut vraisemblablement pas l’être. Qui sont les entreprises, les personnes ou les individus qui gèrent les exploitations de paris sportifs? Ce ne sont pas vos membres. Qui sont-ils? Ce sont des sociétés locales et internationales, n’est-ce pas?

M. Hill : Oui, c’est exact.

Je vous dirais qu’il y a actuellement 47 exploitants inscrits dans la province de l’Ontario hormis l’Ontario Lottery and Gaming Corporation, ou OLG, la société d’État de la province. Ils exploitent près de 80 marques différentes de jeux en ligne dans cette province. On estime qu’un peu plus de la moitié ont des activités de paris dans les autres provinces du pays. Vous avez une brochette d’exploitants de l’Ontario qui, bien que légalement autorisés à n’opérer que dans cette province, mènent des activités ailleurs au pays.

En outre, il y a ce que l’on appelle une « couche d’extra légaux ». Il s’agit de sociétés qui, comme je l’ai dit, viennent de destinations lointaines, parfois des Caraïbes, de l’Europe de l’Est ou de la Méditerranée, qui se défilent de la délivrance de licences et de la réglementation presque partout et en tout lieu. Grâce à Internet, ils peuvent pénétrer dans les foyers et les téléphones et attirer de nouveaux clients. Ils ne seraient pas présents en Ontario, mais je peux vous assurer, monsieur le sénateur, qu’ils sont présents au Canada.

Le sénateur Cardozo : Ces 47 exploitants ne sont pas réglementés?

M. Hill : Au contraire, ils sont réglementés. Ils opèrent dans le cadre d’un contrat commercial avec une agence appelée iGaming Ontario, et sous la réglementation de la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario, la CAJO qui a établi les Normes du registrateur pour les jeux sur Internet qui traitent d’éléments comme le jeu responsable, l’intégrité technique, mais aussi le marketing et la publicité. Ces normes sont incluses dans la réglementation fondée sur des normes appliquées par la CAJO qu’ils doivent respecter. C’est là que vous avez des publicités tenues d’inclure la mention « en Ontario seulement » ou « doit être physiquement présent en Ontario » comme étiquette pour toute publicité télévisée de 30 secondes.

Le sénateur Cardozo : Vous avez parlé de 47 entreprises en Ontario. Y a-t-il d’autres sociétés dans d’autres provinces, ou ces gens sont-ils présents dans d’autres provinces?

M. Hill : D’après ce que je comprends, on trouve souvent une société distincte qui exerce ses activités dans les neuf autres provinces et les trois territoires du Canada, mais l’image de marque et l’identité commerciale sont pratiquement identiques. Souvent, la distinction est insererlamarqueici.ca au lieu de insererlamarqueici.com ou .net comme on le voit depuis de nombreuses années.

Le sénateur Cardozo : Et toutes ces entreprises sont réglementées par une autorité provinciale ou territoriale dans l’ensemble du pays?

M. Hill : Non. Dans toutes les autres provinces, sauf l’Ontario, le seul site Web légal et réglementé est celui de la société des loteries de la province. Tous les autres types échappent au Code criminel canadien et à la réglementation.

M. Rossi : Je pense qu’il est vraiment important que je mentionne ici quelque chose à propos du marketing en ligne. Si vous voulez élargir le marché et attirer des joueurs plus jeunes, vous pouvez modifier votre produit ou vous pouvez modifier votre marketing. Je pense qu’à l’échelle mondiale, nous avons vu une tendance massive du secteur des jeux d’argent à investir dans des efforts en ligne. Au Royaume-Uni, c’est maintenant plus de la moitié. Plus de la moitié du budget marketing du secteur, un budget démesurément grand au Royaume-Uni, est consacré à la publicité en ligne.

Le grand problème de la publicité en ligne, et je pense qu’il est très important de le souligner, c’est tout d’abord qu’elle est très ciblée. Si je vois quelque chose, cela ne veut pas dire que n’importe lequel d’entre vous le verra. Comme chercheur, et comme régulateur, comment pourrez-vous jamais contrôler cela? Le deuxième élément important est qu’elle n’est pas permanente. Elle disparaît. Je la vois cinq minutes, et elle disparaît.

Ce que nous demandons ici — nous avons publié un document à ce sujet aujourd’hui, que je peux transmettre au comité — c’est d’avoir une base de données sur le marketing pour toutes les marques de jeux d’argent qui ont une licence, où elles stockent toutes leurs publicités pour leurs jeux d’argent. Sinon, nous n’avons aucun contrôle sur les personnes qu’elles ciblent, sur la manière dont elles le font, et sur ce qu’elles utilisent dans leurs publicités. Je pense que c’est très important pour l’avenir.

La vice-présidente : Merci beaucoup. Cela rend le problème encore plus complexe.

L’heure a été passionnante. Merci infiniment. Monsieur Sampson, je tiens à vous souhaiter bonne chance avec vos enfants. Les miens sont plus âgés et nous n’avons pas vécu cela. Je suis très heureuse que vous ayez pu venir nous expliquer comment vous vous êtes engagé. Monsieur Hill, merci beaucoup. Monsieur Rossi, vous êtes probablement très fatigué. Retournez vous coucher, je vous en prie. Merci d’avoir été indulgent avec nous. Vous avez été très brillants et très vifs, même en plein milieu de la nuit. Merci à tous.

(La séance est levée.)

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