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Sous-comité des anciens combattants

 

LE SOUS-COMITÉ DES ANCIENS COMBATTANTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 2 novembre 2022

Le Sous-comité des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 12 heures (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les questions relatives aux anciens combattants, y compris les services et les prestations dispensés, les activités commémoratives, et la poursuite de la mise en œuvre de la Loi sur le bien-être des vétérans, et en faire rapport.

Le sénateur David Richards (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à cette séance du Sous-comité sénatorial permanent des anciens combattants. Je m’appelle David Richards, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du sous-comité. Je suis accompagné aujourd’hui de mes collègues du sous-comité : la sénatrice Anderson des Territoires du Nord-Ouest et le sénateur Yussuff de l’Ontario. Aujourd’hui, la sénatrice Duncan du Yukon remplace la sénatrice Deacon de l’Ontario.

Nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur les traitements émergents pour les anciens combattants souffrant de traumatismes. Nous accueillons par vidéoconférence le colonel Rakesh Jetly, ancien psychiatre en chef des Forces armées canadiennes, et M. David Fascinato, directeur général de Projet Cœurs Héroïques Canada. Messieurs, merci de vous joindre à nous par vidéoconférence. Nous allons commencer par vous inviter à formuler vos observations liminaires, après quoi les membres du comité vous poseront des questions. J’espère que vous pourrez limiter vos observations à environ cinq minutes, car nous ne disposons que d’une heure.

J’aimerais rappeler aux participants dans la salle d’éviter de ne pas s’approcher trop près du microphone ou d’enlever leur oreillette en le faisant, afin d’éviter tout retour de son qui pourrait avoir des répercussions négatives pour le personnel du comité dans la salle.

Je vous demanderais de poser des questions concises et de mentionner à quel témoin elles s’adressent.

Monsieur Jetly, vous pouvez commencer.

Colonel (à la retraite) Rakesh Jetly, ancien psychiatre en chef, Forces armées canadiennes : Monsieur le président et membres du comité, je vous remercie de cette invitation. Avant de commencer, je tiens à vous dire que je n’ai pas chômé depuis ma retraite. Je suis notamment médecin-chef d’une petite entreprise de biotechnologie qui développe de nouveaux médicaments psychédéliques.

Après 31 ans de service, j’ai pris ma retraite des Forces armées canadiennes en 2021. Au cours de ma carrière, j’ai eu le privilège de servir en tant que médecin généraliste au Moyen-Orient et au Rwanda en 1993-1994. J’ai suivi une formation en psychiatrie et je suis allé en mission deux fois à Kandahar, en 2006 et en 2007. J’ai été témoin du genre de blessures psychologiques qui peuvent survenir dans tous les types de missions, qu’elles soient humanitaires, de maintien de la paix ou de guerre. Les effets à long terme sont évidents non seulement sur mes patients, mais aussi sur mes amis, mes collègues, les Canadiens, leurs alliés et leur famille.

J’ai commencé ma carrière en psychiatrie à Halifax en 2000. C’était au moment où nous construisions nos Centres de soutien pour trauma et stress opérationnel, ou CSTSO, et quelques années avant la création des cliniques TSO commanditées par Anciens Combattants Canada. Nous avons bénéficié d’un énorme financement et organisé toute la formation nécessaire pour offrir les meilleurs soins fondés sur des données probantes liés aux TSPT et aux blessures de stress opérationnel en général. C’était avant l’Afghanistan, et nous traitions de nombreuses missions des années 1990, y compris le Rwanda, la Somalie et l’ex-Yougoslavie. À l’époque, le modèle de TSPT était un paradigme fondé sur la peur, et le traitement comprenait des thérapies fondées sur l’exposition, qui sont difficiles autant pour le patient que pour le thérapeute.

Toutefois, en 2006-2007, je suis devenu expert régional. Presque à chaque jour, je constatais que j’étais confronté à des cas qui ne répondaient pas à l’approche fondée sur des données probantes de pointe. C’est à ce moment que j’ai commencé à réaliser que nous devions continuer d’explorer ces maladies et à trouver d’autres traitements sûrs et efficaces. Il existe un impératif scientifique et moral visant à découvrir et à prodiguer de nouveaux traitements à nos vétérans. Bien entendu, il faut agir de façon responsable en menant des études de grande qualité afin de démontrer l’innocuité et l’efficacité de ces approches.

Je crois qu’avec le cannabis, nous avons commis des erreurs que nous pourrons, espérons-le, corriger. Je crois que l’usage médical du cannabis a permis de déterminer que cette substance peut être bénéfique pour l’anxiété, la douleur, le sommeil, et cetera, mais la légalisation de l’usage récréatif semble avoir provoqué une perte d’intérêt pour l’étude de l’usage médical de cette substance. Nous devons comprendre qui le cannabis permet ou ne permet pas d’aider. Nous devons aussi mieux comprendre les formes de cannabis utilisées. Il faudrait notamment comprendre les effets à long terme associés au fait d’en fumer.

L’usage des psychédéliques revient à la mode, mais cette pratique est loin d’être nouvelle. On utilise dans le monde des substances à effet psychodysleptique depuis de nombreuses années, souvent à l’occasion de cérémonies culturelles et spirituelles. Il s’est produit une sorte de renaissance médicale ou scientifique dans la deuxième moitié du siècle dernier. Principalement dans le domaine des TSPT, Jan Bastiaans, aux Pays-Bas, a utilisé du LSD pour traiter des survivants de l’Holocauste de la Deuxième Guerre mondiale qui éprouvaient de terribles souffrances. Plus récemment, différents centres universitaires traitant des conditions comme l’alcoolisme, le tabagisme, les dépressions résistantes aux traitements et l’anxiété liée à la fin de vie ont démontré l’efficacité et l’innocuité de la psychothérapie assistée par les psychédéliques. C’est là où on en est en ce moment avec la psilocybine.

Même s’il ne s’agit pas d’un psychédélique classique, la MDMA a une histoire très particulière, surtout en ce qui concerne les TSPT. En mai dernier, la Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies Canada, ou MAPS, a publié les résultats de ses études sur la phase 3 concernant la psychothérapie assistée par la MDMA pour les TSPT. Plus de 80 % des sujets avaient une réponse significative et plus de 50 % ne correspondaient plus aux critères associés aux TSPT. Le prochain essai lié à la phase 3 est en cours et fera probablement en sorte que la FDA approuvera l’usage de la MDMA pour les TSPT l’an prochain ou l’année suivante.

Il est important de comprendre que tous ces essais visent à démontrer l’innocuité et l’efficacité de ces substances en psychothérapie. Il semble qu’elles modifient le cerveau en permettant de voir différemment sa propre personne, le monde et le passé. Cette fenêtre permet des thérapies qui ont des effets profonds sur les personnes et qui modifient le comportement de la maladie.

Bon nombre de ces approches remettent aussi en question le paradigme traditionnel fondé sur la peur des TSPT, ce qui ouvre la porte à d’autres éléments importants tels que la culpabilité, la honte et la colère que de nombreuses personnes ressentent après un traumatisme. On utilise souvent l’expression « traumatisme moral » pour décrire ce phénomène.

Je crois que le Canada devrait s’engager à se joindre à nos alliés, dont les départements américains de la Défense et des Anciens combattants, afin d’étudier ces nouveaux traitements prometteurs au sein de nos propres populations au lieu de s’en remettre aux autres pour faire le travail en espérant que le transfert des connaissances requis fasse en sorte que les études s’appliquent à nos vétérans canadiens.

Même si je suis enthousiasmé par les résultats des recherches jusqu’à présent, je suis aussi conscient qu’il n’y aura pas de solution universelle aux divers types de blessures psychologiques qui comprennent souvent des traumatismes, des pertes et des deuils. Je crois qu’il existe de nombreuses approches possibles qui valent la peine d’être explorées au sein de ce qu’on appelle la psychiatrie d’intervention, y compris la réalité virtuelle, la kétamine et diverses approches de neuromodulation.

Je serai heureux de répondre à vos questions. Merci.

Le président : Merci, colonel. Nous passons maintenant à M. Fascinato. La parole est à vous.

David Fascinato, directeur général, Projet Cœurs Héroïques Canada : Merci, monsieur le président et membres du comité. Aujourd’hui, je parlerai des lacunes du système actuel d’accès aux psychédéliques, des normes de soins actuelles pour le traitement des vétérans, et des besoins non comblés que cela crée parmi les vétérans.

Je suis un vétéran des Forces armées canadiennes et le directeur général du Projet Cœurs Héroïques Canada, un organisme de bienfaisance canadien enregistré qui aide les vétérans à avoir accès à des thérapies assistées par les psychédéliques. En ce moment, nous lançons notre organisation et nous développons des programmes visant à mettre à profit les voies médicales réglementées existantes qui aident les vétérans cherchant un accès légal à des thérapies assistées par les psychédéliques sûres et efficaces. Cela comprend faciliter l’accès, pour les vétérans admissibles, à des cliniques approuvées qui offrent des services de soins de santé intégrés, ainsi que soutenir la recherche innovatrice qui contribue aux données probantes de plus en plus nombreuses sur les effets des thérapies assistées par les psychédéliques sur la santé et le bien-être des vétérans. Ce que nous tentons d’accomplir au Canada est fondé sur un modèle éprouvé aux États-Unis et au Royaume-Uni qui, jusqu’à présent, a aidé des centaines de vétérans à accélérer leur guérison grâce aux psychédéliques.

Nous existons pour deux raisons. Premièrement, nous vivons collectivement une crise permanente de santé mentale qui affecte de nombreux Canadiens, mais les vétérans d’une manière disproportionnée. Je n’ai pas besoin de vous citer les statistiques; disons simplement que les vétérans souffrent de taux élevés de suicide, de stress post-traumatique, de traumatismes cérébraux, de toxicomanie, de dépression et d’anxiété résistant aux traitements, de douleurs chroniques, et cetera, sans parler de la surutilisation et de la dépendance liées aux produits pharmacologiques en l’absence de soutiens thérapeutiques adéquats. Deuxièmement, les normes de soins actuelles laissent tomber les vétérans. Les approches traditionnelles, comme la thérapie par la parole, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et les antidépresseurs sont inefficaces pour bien des anciens combattants. Ils constituent des solutions temporaires à des problèmes complexes de santé mentale et ne font pas grand-chose pour aider les vétérans à guérir et à mener une vie bien remplie. Les normes actuelles de soins d’Anciens Combattants Canada ne permettent pas de combler adéquatement les besoins psychologiques de nombreux vétérans. Tout cela a des effets négatifs sur nous. En tant que communauté, nous avons souvent de la difficulté à nous trouver une raison d’être, à guérir de nos blessures physiques, mentales et émotionnelles, et à retrouver une estime de soi qui nous permet de voir la vie avec un sentiment de détermination, d’équilibre et de joie.

C’est ici que Projet Cœurs Héroïques Canada entre en jeu. Même si nous sommes déterminés à travailler avec les voies médicales réglementées, en vérité, ce sera difficile — pas impossible, mais difficile —, car dans leur forme actuelle, elles sont mal adaptées aux besoins urgents de nombreux vétérans. En ce moment, l’accès se fait de trois façons : les essais cliniques, qui sont coûteux, lourds et inaccessibles à la plupart des vétérans; une exemption au titre de l’article 56, chose presque impossible à obtenir; et le Programme d’accès spécial, actuellement la voie d’accès la plus viable, mais qui comporte des obstacles importants qui limitent l’accès à des psychédéliques.

Nous sommes aussi fermement déterminés à travailler avec Anciens Combattants Canada. Même si nous constatons que les normes de soins actuelles laissent tomber les vétérans, nous voyons un potentiel de collaboration avec le ministère concernant la promotion et le soutien à l’accès à des thérapies assistées par des psychédéliques fondées sur des données probantes. Nous croyons fermement dans les promesses de ce type de traitement émergent et dans ses effets sur la guérison individuelle et collective, et nous voulons aider à générer les données qui soutiendront des discussions à Anciens Combattants Canada relativement à un accès sûr et équitable.

Les psychédéliques ne conviennent pas à tout le monde, mais, jusqu’à présent, les recherches considérables qui ont été menées pointent vers un potentiel thérapeutique qu’on ne peut ignorer compte tenu du grand nombre de vétérans qui souffrent inutilement à cause d’un manque d’options de traitements efficaces. D’ici là, de nombreux vétérans qui ont l’impression que le système d’accès et les normes de soins les ont laissé tomber continueront de s’occuper eux-mêmes de leur traitement, risquant ainsi d’avoir recours à des pratiques non réglementées, illicites et potentiellement dangereuses avec des psychédéliques. S’il est plus facile de considérer les psychédéliques comme un moyen de réduire les méfaits, alors poursuivons sous cet angle afin de favoriser un accès accru à des thérapies sûres et efficaces assistées par des psychédéliques aux personnes qui en ont le plus besoin.

Je comprends qu’il faut débattre de la question et étudier les données avec soin, mais allons au-delà des simples paroles et décidons d’aller de l’avant. Les vétérans veulent avoir leur mot à dire dans leur cheminement vers la guérison. Même si les normes de soins actuelles laissent tomber les vétérans, il y a de l’espoir et de plus en plus de données de grande qualité sur l’innocuité et l’efficacité des thérapies assistées par des psychédéliques. Saisissons une fois pour toutes cette occasion et faisons correspondre les ressources à la détermination d’étendre l’accès afin de nous aider à fournir les données probantes nécessaires à l’avancement des discussions concernant la guérison à l’aide de thérapies assistées par des psychédéliques.

Merci.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je m’excuse d’arriver avec quatre ou cinq minutes de retard.

J’aimerais remercier les témoins de leur présence. C’est très apprécié. Effectivement, c’est un problème majeur lié à nos anciens combattants, qui méritent toute notre attention.

Pourriez-vous expliquer la différence entre la psychothérapie assistée par les substances psychédéliques et la psychothérapie telle qu’elle est actuellement utilisée pour traiter les syndromes de stress post-traumatique?

[Traduction]

Col Jetly : C’est une excellente question.

La psychothérapie traditionnellement utilisée pour les TSPT est habituellement fondée sur un paradigme basé sur la peur. Il se produit un événement traumatisant. Habituellement, vous y êtes exposé et vous revivez l’événement dans la salle de thérapie. Il s’agit d’une thérapie très difficile. Vous en parlez encore et encore jusqu’à ce que vous soyez désensibilisé et habitué. C’est la thérapie d’exposition traditionnelle. Il en existe quelques autres. Le problème, avec cette thérapie, c’est que le taux d’abandon est extrêmement élevé. Si on est chanceux, elle permet d’aider la moitié des gens, mais environ la moitié abandonne. C’est extrêmement difficile. Psychologiquement, les militaires, hommes et femmes, sont vraiment sur la défensive et il est très difficile de connaître leurs véritables sentiments. Ils vont jouer le jeu et se présenter aux rendez-vous, mais souvent ils ne guérissent pas, car il leur est difficile d’exprimer des sentiments comme la honte, la culpabilité, la peur et d’autres émotions du genre.

Ces médicaments, comme la MDMA, qui est de l’ecstasy, permettent de créer ce qu’on appelle une plus grande empathie. Si on y songe, cette empathie envers les autres s’applique aussi à soi-même. Elle permet donc aux gens d’abaisser leurs défenses, leur garde et de parler vraiment de ce qui les préoccupe. C’est une chose. Avec cette thérapie, il n’est pas nécessaire de revivre le traumatisme. Elle permet d’accéder à des souvenirs plus profonds.

D’autre part, avec des psychédéliques comme le LSD ou la psilocybine, l’expérience est beaucoup plus rude. Elle est vraie. Elle provoque des changements dans le cerveau qui permettent à de nouvelles idées ou de nouvelles pensées d’émerger. Parfois la thérapie n’est pas si différente, mais les changements au cerveau permettent aux nouvelles idées, aux nouvelles observations, de se produire.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je comprends que c’est une façon de faciliter une forme d’inhibition chez le patient qui fait qu’il va se libérer plus facilement des images de son passé traumatique. Je le comprends bien.

Le ministère des Anciens Combattants semble s’opposer à ce type de traitements avec des substances psychédéliques par rapport aux traitements conventionnels. En connaissez-vous la raison, colonel Jetly?

[Traduction]

Col Jetly : Je ne crois pas avoir eu de discussions me permettant de croire qu’Anciens Combattants Canada s’y oppose. Ce ministère et les Forces armées canadiennes sont des organisations conservatrices et elles ont tendance à attendre. J’en ai fait autant. Elles ont tendance à attendre jusqu’à ce qu’il y ait des données probantes. Lorsque cela se produit, une province paie pour le traitement et Santé Canada l’approuve. En ce moment, ces psychédéliques en sont à la phase expérimentale et les résultats sont très convaincants. Je dis que nous devons aller de l’avant avec des essais. Des personnes sont malades et ne sont pas sur le point de guérir. Finançons certains essais sous les auspices de Santé Canada. En ce moment, tous ceux qui le souhaitent ne peuvent recevoir un traitement psychédélique de façon légale. Il y a l’accès spécial. Je dirais qu’Anciens Combattants est conservateur de nature, mais pendant qu’on attend une approbation, vous pourriez faire partie de la solution en permettant à des gens de se porter volontaires pour des essais si les traitements conventionnels n’ont pas fonctionné. Nous pourrions ensuite contribuer aux publications internationales et faire le travail nécessaire.

Le président : Monsieur Fascinato, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

M. Fascinato : Je crois qu’il importe de faire fond sur ce qu’a dit le colonel Jetly en soulignant qu’entretemps, les vétérans prendront l’initiative de se guérir eux-mêmes. Certes, à ce jour, nous n’avons pas de données probantes sur l’utilisation que font les vétérans des drogues psychédéliques dans un cadre thérapeutique — c’est une chose sur laquelle nous axerons nos efforts au cours de la prochaine année, afin de comprendre —, et bien qu’il y ait de la résistance de la part d’Anciens Combattants Canada, comme vous le dites, nous voulons faire partie de la solution. Nous voulons bâtir le corpus de données et générer des approches fondées sur des données probantes ainsi que les discussions qui seront nécessaires, comme le souligne le colonel Jetly, pour ouvrir l’accès. L’accès et les approches fondées sur des données probantes peuvent aller de pair avec l’accès et la guérison.

La sénatrice Anderson : Je vous remercie tous les deux de vos exposés.

Colonel Jetly, vous parlez de l’erreur commise avec le cannabis et de la distinction entre la consommation du cannabis à des fins récréatives et à des fins médicales. À l’avenir, avec les drogues psychédéliques, comment peut-on s’assurer de commettre les mêmes erreurs et d’appliquer les leçons apprises de la consommation de marijuana et de cannabis?

Col Jetly : À mon avis, il faut tout simplement s’investir dans la recherche. Nous avons mené des études sur le cannabis pour les TSPT, des protocoles ont été rédigés et, lorsque la légalisation a eu lieu, le financement a disparu. C’était incroyable. Nous avions une étude financée à hauteur de 5 milliards de dollars.

Je crois que nous sommes tous les deux d’accord pour dire qu’il ne s’agit pas d’une panacée. Ce ne sera pas une solution pour tout le monde. Au bout du compte, il y aura des options et divers types de traitement. Nous devons mener des études pour démontrer l’innocuité et l’efficacité de ces approches dans notre population.

L’autre aspect du cannabis médicinal est que les médecins, pour la plupart, n’y ont pas recours, parce que le cannabis n’a pas de numéro d’identification du médicament, ou DIN, et que le cannabis n’est pas un vrai médicament aux yeux de la plupart des médecins et des pharmaciens. On ne rédige pas une ordonnance, on donne une approbation. D’une certaine manière, on a marginalisé la majeure partie du système médical par rapport à l’usage médicinal du cannabis. Je pense que nous devons aller jusqu’au bout, travailler avec la FDA et Santé Canada, faire de ces remèdes de vrais médicaments offerts dans les pharmacies, auxquels on a attribué un DIN, pour ensuite inclure la communauté médicale au sens large pour aider les gens quand ils souffrent.

À l’heure actuelle, en ce qui concerne le cannabis, les médecins de famille disent: « Je n’y connais rien. Allez voir le gars au bout de la rue. » Ce n’est pas ainsi que la médecine devrait être pratiquée.

La sénatrice Anderson : Merci.

Le président : M. Fascinato a-t-il quelque chose à ajouter?

M. Fascinato : J’ai un bref commentaire. Selon moi, tout le monde est parfaitement conscient des leçons tirées du cannabis. Assurément, d’après mon expérience de travail dans ce milieu au cours des deux dernières années, tout le monde a assimilé ces leçons et s’assure que l’analyse des risques et des avantages ainsi que la sécurité, l’efficacité et les données probantes sont en tête de liste lorsqu’on aborde les discussions sur les impacts de la thérapie psychédélique assistée et son rôle dans la guérison des anciens combattants.

Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins d’être parmi nous aujourd’hui et de nous faire part de leur expérience des défis posés par les TPST et de la recherche de pointe dans le domaine, dont les résultats sur l’usage de substances psychédéliques pour le traitement de ce mal sont assez prometteurs. Le comité a entendu d’autres témoignages où l’on abondait dans le même sens.

Selon vous, s’agit-il de la nouvelle approche qui nous permettra de traiter les TPST de manière plus coordonnée? Quels sont les obstacles à surmonter au Canada, compte tenu notamment du nombre important d’anciens combattants qui souffrent de TPST et qui ne parviennent pas à se soigner dans le cadre des thérapies qui leur sont offertes à l’heure actuelle? Je vais commencer par le colonel Jetly, suivi de M. Fascinato.

Col Jetly : Les obstacles sont nombreux.

Pour ceux qui tentent de mener des recherches, l’organisme Instituts de recherche en santé du Canada a annoncé un peu de financement l’an dernier — 3 millions de dollars. Le financement provient parfois du gouvernement, de fondations ou d’autres sources du genre.

Le contrôle de ces substances complique les choses. C’est un problème mondial pour les drogues qui figurent à l’annexe I, comme l’héroïne, entre autres. Si quelqu’un veut mener des travaux de recherche sur ces substances dans un petit cabinet de psychologue, il ne le peut pas. Il faut souvent avoir un coffre-fort et une permission de Santé Canada, et ce, malgré le fait que ces médicaments sont en réalité assez peu dangereux. Il y a très peu de preuves de surdosage ou de choses comme ça.

Certains des obstacles sont issus des règles de Santé Canada en la matière, qui pourraient probablement être assouplies. Le financement est insuffisant. Autrement, des organisations comme les Forces armées canadiennes, divers groupes de premiers répondants et le ministère des Anciens Combattants devraient être à l’avant-garde de ces thérapies. Beaucoup de scientifiques dans les universités participeraient volontiers, mais nous ne pouvons pas fournir ces médicaments aux gens avant quelques années, jusqu’à ce qu’ils soient légalisés et disponibles, et ensuite nous pourrons faire des essais à grande échelle chez les personnes qui n’ont pas répondu aux traitements qu’elles ont reçus. À mon avis, il est possible d’accélérer la recherche et d’en faire profiter davantage de personnes.

M. Fascinato : Pour répondre à votre première question, j’ajouterais qu’au bout du compte, nous considérons toujours que cela fait partie d’une solution plus globale et d’une approche intégrée pour le bien-être et la santé des patients. Certes, ce n’est pas une panacée, mais il s’agit d’un outil phénoménal qui pourrait être employé par des thérapeutes et des psychothérapeutes qualifiés pour favoriser la guérison, afin que les patients puissent redevenir eux-mêmes et connaître de nouveau le bonheur et la joie. Je l’ai vu de mes propres yeux.

Les obstacles — pour faire fond sur les propos du colonel Jetly — sont causés par les préjugés et le manque de sensibilisation. Les préjugés sont énormes. La « guerre contre la drogue » a atteint son objectif. Le contrôle des substances psychédéliques des 30 ou 40 dernières années continue à saper et à paralyser la recherche qui prenait son essor dans les années 1960, mais, évidemment, la manière dont les particuliers et le public perçoivent les substances psychédéliques constitue un autre obstacle. Des progrès considérables pourraient être accomplis en sensibilisant le public et lui faisant mieux comprendre les possibilités des substances psychédéliques pour la guérison.

Au bout du compte, il s’agit de produire des données probantes et d’appuyer des moyens d’accès plus vastes, que ce soit, comme l’a mentionné le colonel Jetly, par le truchement d’essais cliniques ou par les voies existantes.

Je souligne que ce sont les vétérans individuels qui souffrent. Nous devons reconnaître que les vétérans s’exposent en essayant d’accéder à des substances psychédéliques afin de guérir, ce qui les place dans une situation risquée. Cela s’explique par le désespoir qu’ils éprouvent après s’être fiés à divers systèmes et normes de soins qui, malheureusement, ne les ont pas aidés. J’implore le comité et tout le monde ici de ne pas oublier que la situation a un impact direct sur les individus, leurs familles et leurs collectivités. Les discussions que nous avons ici mèneront, je l’espère, à des mesures concrètes et à d’autres discussions, mais surtout à des actions sur la façon dont nous pouvons travailler ensemble, établir les preuves nécessaires, élargir les voies d’accès et veiller à ce que ceux qui en ont le plus besoin et qui sont bien adaptés à cette approche puissent y recourir.

Le sénateur Yussuff : Que recommanderiez-vous, très précisément, au comité quant à la manière de rédiger un rapport qui serait utile à vos efforts et à ceux des autres pour aider les anciens combattants à obtenir les traitements qu’ils méritent? Ma question s’adresse aux deux témoins.

Col Jetly : En tant que médecin, j’encourage le gouvernement — les Anciens Combattants et le ministère de la Défense nationale en particulier — à mener des essais cliniques dans le domaine. Le problème est que si ces essais sont menés par d’autres, il vous faudra de toute façon déterminer si les résultats s’appliquent à votre propre population. Les essais de phase 2 et de phase 3 montrent de manière suffisamment convaincante que ce n’est pas une folie, comme on le pensait il y a 20 ans. Ils indiquent de façon fiable que cela peut aider les gens. Si l’on pense aux personnes souffrant de TSPT qui résistent au traitement, alors nous devrions mener des essais au pays sur notre population en particulier.

M. Fascinato : Dans la même veine, tout comme ce que le colonel Jetly a mentionné à propos de la MDMA, il nous faut beaucoup d’empathie et de données probantes. Nous y parviendrons avec l’accès. Nous devons vraiment adopter une optique de collaboration et de consultation, en travaillant avec des groupes d’anciens combattants, pas seulement Projet Cœurs Héroïques Canada, mais avec d’autres. Nous devons veiller à ce que toute solution en matière d’accès soit conçue dans une optique de collaboration et de consultation avec ces groupes de patients et la communauté des anciens combattants elle-même, afin d’éviter que, dans un effort pour élargir l’accès, nous ne créions aussi des obstacles potentiels, pour nous assurer que nous nous dirigeons réellement vers cet état final d’accès sur lequel nous sommes tous fermement d’accord. Nous pouvons y parvenir par la consultation et la collaboration avec les principaux intervenants et décideurs d’Anciens Combattants Canada, de Santé Canada et d’ailleurs. Nous devons nous assurer que nos voix — dans des tribunes comme celle-ci entre autres — sont entendues, comprises et intégrées à toute solution afin que celle-ci soit viable, durable, et à même de soutenir les personnes et les collectivités qui ont besoin de ce soutien.

La sénatrice Duncan : Je remercie les témoins de leurs exposés.

Je remplace la sénatrice Deacon, alors ce sujet a peut-être déjà été abordé, mais j’aimerais poser la question suivante aux témoins : avez-vous eu l’occasion de vous pencher sur la question des commissions des accidents du travail du pays? Je peux imaginer, par exemple, que les anciens combattants ne sont pas les seuls travailleurs qui souffrent de symptômes liés au stress post-traumatique et qui peuvent avoir demandé ce traitement. Étant donné que l’indemnisation des accidentés du travail est une responsabilité provinciale et territoriale, avez-vous examiné cet aspect, ou les commissions des accidents du travail du pays ont-elles...

Col Jetly : J’en ai eu amplement l’occasion au fil des ans. Quand l’Ontario mettait en place la mesure législative concernant le trouble de stress post-traumatique, j’ai parfois été consulté au sujet des outils d’évaluation. Tout à fait. Le TSPT et les traumatismes psychologiques peuvent aussi toucher nos réfugiés, les premiers intervenants ou les victimes d’agression sexuelle; ce ne sont pas uniquement les anciens combattants qui sont touchés, loin de là. Ce qui est intéressant, toutefois, c’est que les cas de TSPT lié au combat répondent en général moins bien aux traitements fondés sur des données probantes. C’est peut-être une question de blessure. J’en discute très souvent. Je consulte encore la CSPAAT de temps en temps en Ontario. J’ai aussi discuté avec les groupes en Nouvelle-Écosse et en Alberta. Ces thérapies pourraient certainement aider ces populations également.

La sénatrice Duncan : J’imagine qu’elles pourraient aider. Je voulais savoir plus précisément si certaines de ces commissions approuvent ces thérapies.

Col Jetly : Non. Elles ne sont pas encore légales, je tiens à le préciser. Elles en sont à la phase de recherche. Une compagnie d’assurances ou une commission des accidents du travail n’est pas en mesure d’approuver ou de ne pas approuver le traitement. Pour la kétamine, c’est différent, mais pour la MDMA et la psilocybine, il s’agit uniquement de recherche pour le moment.

La sénatrice Duncan : Les mêmes demandes ont-elles été présentées? Est-ce qu’on entreprend la même recherche?

Col Jetly : Non.

La sénatrice Duncan : Je pense aux lettres de mandat adressées aux ministres par le gouvernement du Canada. Elles font toutes référence à une approche pangouvernementale. J’aimerais savoir précisément de quelle façon vous travaillez avec nos homologues des provinces et des territoires quant à cette demande afin de favoriser cette approche pangouvernementale.

Col Jetly : L’Alberta devance probablement les autres provinces. Elle mène des discussions à ce sujet. Elle a récemment adopté des lignes directrices législatives concernant les thérapies assistées par les substances psychédéliques en prévision de la légalisation à venir. C’est la première province à tenir des discussions, et je participe en offrant des conseils. L’Ontario envisage cette option et elle mène des discussions, tout comme la Nouvelle-Écosse, je crois. Il y a des échanges, mais pour ce qui est du financement et du travail de recherche, c’est encore une approche fragmentaire.

M. Fascinato : Cela a probablement à voir avec la thérapie assistée par kétamine, mais c’est une chose que le comité devrait peut-être examiner. En Colombie-Britannique, je crois qu’il y a un équivalent à la CSPAAT — on l’appelle WorkSafeBC, si je ne m’abuse — qui appuie la thérapie assistée par kétamine pour les premiers intervenants. C’est ce que j’ai appris récemment en discutant avec des gens de la côte Ouest. On parle ici de la kétamine, et non de la MDMA ou de la psilocybine, comme M. Jetly l’a mentionné. Ce pourrait être un modèle à évaluer, en plus de ce que M. Jetly a décrit en Alberta et dans d’autres provinces ou territoires du pays.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Encore une fois, j’exprime tous mes remerciements aux témoins qui nous éclairent beaucoup sur le sujet. Votre témoignage est très important et apprécié.

Colonel Jetly, la semaine dernière, nous avons reçu des témoins qui nous ont parlé des expériences américaines en ce qui a trait à l’usage de substances psychédéliques. Pour eux, les résultats sont très probants et prometteurs. À la suite de ces résultats positifs du côté américain, les témoins ont fortement conseillé au gouvernement fédéral de commencer rapidement à utiliser ces substances.

Vous disiez plus tôt que ce qui empêche Anciens Combattants Canada d’aller de l’avant, c’est son conservatisme. Cependant, devant l’évidence des effets très positifs de ces substances sur le traitement des traumatismes, peut-il y avoir une autre raison que le seul conservatisme d’Anciens Combattants Canada pour expliquer que le Canada ne va pas de l’avant avec l’usage de ces substances? Cette raison m’apparaît quelque peu irrecevable.

[Traduction]

Col Jetly : Je ne peux pas parler au nom d’Anciens Combattants Canada. Je tiens toutefois à préciser que la recherche n’est pas terminée. Même MAPS, l’organisation qui existe depuis 1986, doit encore effectuer un autre essai de phase 3. Ensuite, la FDA passera toutes les études au peigne fin avant de donner son approbation. Des recherches tout à fait convaincantes sont menées, et je crois que cela aidera certainement des gens, mais ce n’est pas encore fait. Santé Canada et la FDA doivent encore approuver ces traitements. Entretemps, il y a un signal clair indiquant que nous devons faire de la recherche parce que cela peut aider les gens et leur permettre d’avoir accès aux médicaments. Cela permettra également à nos cliniciens d’être formés relativement à ces thérapies et aux gens de se sentir plus à l’aise. Des études sont menées au Canada et partout dans le monde, et jusqu’à maintenant, on obtient des résultats incroyables pour ce qui est de l’abandon du tabagisme, entre autres, mais le travail n’est pas terminé sur le plan des indications de la FDA, aux États-Unis, pour ces thérapies. Elles sont encore illégales ou expérimentales là-bas également. Des exemptions de la DEA sont notamment nécessaires.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci, colonel.

[Traduction]

Le président : Vouliez-vous dire quelque chose à ce sujet, monsieur Fascinato?

M. Fascinato : Oui. Il y a un autre merveilleux modèle que nous pouvons peut-être reproduire à partir de l’approche américaine. D’après ce que je comprends, le département américain des Anciens Combattants envisage de créer un comité formé de représentants de tout l’écosystème psychédélique — chercheurs, cliniciens, praticiens, groupes d’anciens combattants et autres organismes d’intérêt. Je pense, comme M. Jetly l’a mentionné, que ce serait expérimental, mais que cela permettrait tout de même d’accroître les recherches nécessaires.

Il est extrêmement important d’avoir cette discussion avec Anciens Combattants Canada, d’autres parties concernées et d’autres experts afin de démystifier certaines des décisions qui ont été prises dans le passé et de contribuer à la tenue d’une discussion fructueuse sur ces nouveaux traitements émergents qui, je peux l’affirmer avec confiance, contribuent à améliorer la qualité de vie des gens. Certes, il faut accumuler davantage de données probantes, mais nous savons à l’heure actuelle qu’il y a des résultats positifs. Je pense qu’il est temps d’engager ces conversations, de faire avancer les choses et de voir ce qui peut se passer d’ici les deux prochaines années pendant que l’on recueille les données nécessaires, que nous élargissons les voies d’accès et que nous faisons bouger les choses.

La sénatrice Anderson : Monsieur Fascinato, vous avez parlé des trois chemins d’accès : les essais cliniques, les exemptions aux termes de l’article 56, et le Programme d’accès spécial. Quel est, selon vous, le principal obstacle à l’accès, et qu’est-ce qui est nécessaire, parallèlement aux essais cliniques — par exemple des changements législatifs, l’éducation —, pour que les substances psychédéliques soient considérées comme une option viable et opportune pour les anciens combattants?

M. Fascinato : Je vous remercie de la question.

Je crois que les obstacles sont en fait les critères de qualification. Je ne suis pas clinicien, alors je vais m’en remettre à M. Jetly pour les détails, mais d’après ce que je comprends, les essais cliniques ont des critères assez restrictifs, tant sur le plan de la participation des personnes que des chiffres. Compte tenu du nombre de personnes qui pourraient en bénéficier et du nombre de personnes qui envisageraient cette possibilité, c’est comme essayer de faire passer une chute d’eau dans un entonnoir. C’est impossible.

C’est la même chose en ce qui concerne les exemptions aux termes de l’article 56. Je crois qu’on doit obtenir l’approbation du ministre de la Santé et qu’il subsiste tout de même des problèmes relativement à l’accès. On peut avoir accès à une substance contrôlée, mais ne pas avoir le droit de la transporter. On va immédiatement à l’encontre de la réglementation fédérale.

Quant au Programme d’accès spécial, encore une fois, les critères d’admissibilité sont élevés. Je crois que le dossier de certaines personnes a été rejeté parce que ces personnes n’avaient pas exploré toutes les options qui s’offraient à elles, notamment devoir parfois se rendre dans d’autres régions de la province ou à l’extérieur de la province, et cela peut excéder les ressources financières dont disposent les personnes qui traversent déjà des moments difficiles.

Au bout du compte, lorsque M. Jetly parle de l’expansion des essais cliniques, je pense qu’il s’agit simplement de dresser un tableau plus large et plus inclusif de la population de vétérans et de déterminer ce que nous pouvons faire pour que davantage d’entre eux puissent emprunter ce chemin d’accès, en élargissant l’entonnoir, pour revenir à ma métaphore. Comment pouvons-nous faire en sorte que plus de gens y aient accès et que nous puissions ainsi obtenir les données probantes nécessaires pour orienter les discussions à Anciens Combattants Canada et aux autres organismes de réglementation, et déterminer ce que nous pouvons faire pour élargir l’accès et réunir des données probantes? C’est concomitant, mais ce qui est extrêmement important, ici, c’est que l’accès doit aller de pair avec la collecte de données probantes. C’est une boucle de rétroaction qui va générer une impulsion et permettre de diriger et d’orienter les conversations sur ces approches fondées sur des données probantes, afin que les méthodes et les protocoles les meilleurs, les plus sûrs et les plus efficaces soient conçus, élaborés et mis en œuvre pour soutenir les anciens combattants et, de façon plus générale, assurer un accès équitable à tous les Canadiens qui pourraient en avoir besoin. Comme M. Jetly l’a mentionné, il y a diverses populations vulnérables qui pourraient bénéficier de ces méthodes thérapeutiques.

Le président : Colonel Jetly, avez-vous quelque chose à ajouter, très brièvement?

Col Jetly : Simplement que je me réjouis que le Programme d’accès spécial soit offert, mais qu’il ne remplace pas la recherche. Ce sera une série de données empiriques. Les gens diront que le programme les a aidés, mais il est très difficile de recueillir des données pour généraliser les cas isolés, étant donné la façon dont le programme est conçu.

Le sénateur Yussuff : Nous savons qu’il est difficile de fournir de l’aide aux anciens combattants, qu’une partie d’entre eux est aux prises avec des symptômes de stress post-traumatique et que la thérapie actuelle ne les aide pas. Selon vous, pourquoi les thérapies existantes ne sont-elles pas efficaces? Ensuite, qu’est-ce qu’Anciens Combattants Canada et Santé Canada pourraient apprendre, à votre avis, grâce aux études qui sont menées dans le monde, en particulier compte tenu des résultats prometteurs que nous voyons jusqu’à maintenant avec les données probantes disponibles? Comment cela peut-il nous éclairer sur la façon dont nous pouvons aller de l’avant? Vous êtes très enthousiaste quant à ce que nous devrions faire, mais vous pourriez peut-être répondre à ces questions pour moi.

Col Jetly : Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi les thérapies actuelles ne sont pas aussi efficaces, notamment le fait que lorsqu’on a commencé à parler du syndrome de stress post-traumatique, en 1980, on le plaçait essentiellement dans la catégorie des troubles de l’anxiété, ce qui est raisonnable. Ce n’était pas une erreur; c’était approprié, à l’époque, et les gens considéraient cela comme une peur incontrôlable après un événement traumatisant. C’est ce qu’on appelle le paradigme fondé sur la peur. Les choses ayant évolué, nous avons réalisé que ce n’est pas si simple que cela. C’est plus que des symptômes phobiques après la mort d’un ami. Il y a en plus le chagrin, l’horreur, la honte, le sentiment de culpabilité. Dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le DSM, il y a maintenant une section intitulée « Troubles liés à des traumatismes ».

Initialement, les traitements étaient simplement comme ceux que l’on utilise pour une personne qui a peur des chiens ou des hauteurs. On la désensibilise, et elle ira mieux. Cela fonctionne pour un accident de voiture ou, parfois, pour un épisode traumatique isolé. Cela fonctionne pour bien des gens, mais cela ne fonctionne pas, bien souvent, pour les cas de traumatisme plus complexe, comme les expériences négatives de l’enfance. Il peut y avoir un sentiment de culpabilité. Lorsqu’une personne ressent de la culpabilité, en parler sans cesse ne l’aidera en rien. En fait, cela pourrait même aggraver les choses. On peut recourir à la thérapie d’acceptation et d’engagement et à d’autres thérapies qui n’impliquent pas nécessairement cette exposition.

Ces médicaments, comme je l’ai dit, aident la personne à faire preuve d’empathie envers elle-même ou changent la façon dont elle voit le monde. Des changements se produisent dans les réseaux cérébraux qui amènent la personne à se voir différemment dans le temps, l’espace et l’histoire, et qui font que les thérapies sont plus efficaces.

Que ce soit à Santé Canada ou aux universitaires de tirer les leçons de l’expérience du reste du monde, c’est vraiment... Et le Canada fait de la recherche, comprenez-moi bien, mais je pense que nous pourrions en faire davantage. Nous pourrions faire davantage d’efforts, notamment sur le plan du financement et des essais cliniques. Presque toutes les universités canadiennes sont prêtes et enthousiastes. La communauté scientifique attend avec impatience de faire ce genre de travail pour les anciens combattants et les autres personnes qui souffrent. L’Université de Toronto a un bon programme, tout comme l’Université Queen’s. Les universités Dalhousie, d’Ottawa et de l’Alberta se montrent intéressées. Nous ne demandons pas la prise de raccourcis, sans que la sécurité et l’efficacité ne soient prouvées, mais nous pourrions utiliser les essais cliniques pour atteindre les personnes qui n’ont pas bien répondu à ces méthodes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse au colonel Jetly. Quel est le ministère clé pour entreprendre cette approche expérimentale auprès des anciens combattants? S’agit-il de Santé Canada ou plutôt d’Anciens Combattants Canada?

[Traduction]

Col Jetly : Je pense que c’est une combinaison. L’organisme de financement de la recherche au Canada, ce sont les Instituts de recherche en santé du Canada, les IRSC, qui ont financé la recherche sur le TSPT et qui financent la recherche sur les traitements psychédéliques. La demande liée à la recherche psychédélique concerne actuellement trois conditions : les dépendances, la dépression réfractaire au traitement et l’anxiété de fin de vie. Bon nombre d’entre nous espéraient qu’il y ait aussi une demande pour le stress post-traumatique; cela aurait été parfait pour nous, et assurément pour les IRSC. Anciens Combattants Canada ne mène pas beaucoup de recherches cliniques. Les recherches qu’il mène sont souvent de nature épidémiologique, entre autres. Ce ministère pourrait aussi financer la recherche. Le ministère de la Défense nationale pourrait le faire également. Le gouvernement pourrait la financer, et les IRSC sont l’organisme parfait pour cela. Il y a aussi l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans, l’ICRSMV. Il y a donc des organismes prêts à mener la recherche. Le financement serait essentiel. S’il y avait une demande pour une thérapie psychédélique comme traitement psychothérapeutique pour les vétérans, 10 universités répondraient à l’appel et feraient un travail de qualité exceptionnelle.

Le président : Je vais vous poser une petite question à tous les deux, si vous le permettez. Je suppose que vous ne considérez pas cette recherche comme étant uniforme. Chaque individu a des réactions différentes à divers essais ou même aux tests de contrôle. Nous savons tous ce que l’alcool peut avoir comme effet sur un individu par rapport à un autre. Certains peuvent être très joyeux, et d’autres, devenir très violents. Cela ne donne probablement pas les mêmes résultats pour tout le monde, et je me demande si vous étudiez les répercussions de l’ecstasy ou du LSD lors des études de contrôle, ou si vous allez plus loin. Ce que je veux savoir, c’est comment cela fonctionne sur une période donnée.

Col Jetly : C’est une excellente question. Je vais commencer.

Les études de recherche sont effectuées sur une période de six mois à un an. C’est habituellement leur durée. En ce qui concerne l’abandon du tabagisme, entre autres, on ira plus loin.

Il ne faut pas oublier qu’on parle ici d’un médicament, que ce soit la MDMA ou la psilocybine, pris une ou deux fois, peut-être trois fois au maximum sur quelques mois. Ce n’est pas un médicament comme le Prozac, que les gens prennent tous les jours.

Pour ce qui est des réactions, vous avez raison. Habituellement, la dose est de 25 milligrammes. Pour la plupart des gens, c’est une expérience psychédélique totale, mais pour d’autres, non. Certains ont besoin d’une deuxième dose, qui est parfois plus forte. Il y a donc un certain procédé.

Il y a ce qu’on appelle des « mauvais voyages », des réactions défavorables. Des souvenirs peuvent resurgir. C’est pourquoi durant ces thérapies, il y a deux thérapeutes qui demeurent dans la pièce avec la personne. Il ne s’agit pas d’un médicament que la personne peut apporter chez elle ou qu’elle peut prendre dans la salle d’attente. Elle fait l’objet d’une surveillance; voilà pourquoi je dis toujours que la sécurité et l’efficacité vont de pair.

Il n’est jamais arrivé — et je touche du bois — qu’une personne ait des réactions défavorables au point de ne pas revenir, et c’est en partie parce que, lorsqu’on organise les études, on exclut les gens atteints de schizophrénie ou ayant eu une maladie psychotique dans le passé, par exemple. Les critères d’inclusion et d’exclusion sont assez serrés.

Pour la dépression réfractaire au traitement, le meilleur résultat atteint jusqu’à maintenant est 24 % de réponse, ce qui signifie que 75 % des gens n’y répondent pas. Ce n’est donc pas la solution définitive; ce n’est qu’un outil de plus, et les méthodes traditionnelles fondées sur des données probantes aident certaines personnes également. On souhaite simplement disposer de plus d’options, et lorsqu’on mène des recherches, on peut commencer à examiner et à analyser les données de diverses façons pour déterminer qui a tendance à réagir, qui a tendance à mieux réagir, quelle dose convient pour tel type de traumatisme, etc. Encore une fois, c’est le but de la recherche.

M. Fascinato : Je vous invite à consulter la page de Drug Science U.K., un organisme de recherche du Royaume-Uni, où il est question des méfaits. On y trouve un excellent diagramme qui montre les méfaits de l’alcool, par exemple, sur l’individu et sa collectivité. Sur une échelle de 100, je crois que c’est à 90 ou 82. En parcourant le diagramme, on peut voir les méfaits envers soi et autrui en ce qui concerne la MDMA et la psilocybine de qualité pharmaceutique, et d’autres substances psychédéliques traditionnelles. Les méfaits pour l’individu et les autres sont négligeables comparativement à des choses qui sont actuellement accessibles dans la société. C’est un point intéressant, car beaucoup de préjugés et de scepticisme entourent les substances psychédéliques, par exemple en ce qui a trait aux réactions défavorables. Je suis désolé de citer une source que je n’ai pas devant moi, mais lorsqu’on examine les données probantes, on constate que les méfaits envers l’individu et autrui sont extrêmement faibles. Ils peuvent se produire, bien sûr. Je ne dis pas que c’est toujours parfait, mais si on compare cela avec un produit légalement accessible — un adulte peut par exemple s’acheter de l’alcool ou des cigarettes —, c’est comme comparer des pommes et des oranges.

M. Jetly en a aussi parlé. Les substances psychédéliques ouvrent toutes les fenêtres et les portes de la pièce qu’est votre esprit. Il faut toutefois beaucoup de travail. Ce n’est pas réglé d’un seul coup. Comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas une panacée pour les problèmes de santé mentale. Cependant, cela permet à l’individu de travailler avec son réseau de soutien, avec des professionnels de la santé mentale et avec sa famille, dans bien des cas, afin de régler ses problèmes et de travailler sur lui-même. Ces études, comme M. Jetly l’a mentionné, s’étendent sur six mois ou un an, ce qui montre qu’il y a beaucoup de travail à faire. Il ne s’agit pas simplement d’aller dans une clinique, d’assister à une séance, et peut-être à une autre, deux ou trois semaines plus tard, quel que soit le protocole. Il s’agit plutôt d’un parcours continu d’amélioration personnelle. Les substances psychédéliques permettent d’ouvrir toutes les fenêtres et les portes et de faire entrer de l’air frais dans l’esprit de la personne. Elles lui permettent de retrouver un sentiment d’équilibre, de joie et d’amour qui, idéalement, l’aidera à entreprendre sa démarche pour guérir des traumatismes, des incidents ou des problèmes de son passé qui n’ont pas été réglés.

Oui, bien sûr, nous sommes déterminés à soutenir une discussion fondée sur des données probantes à propos des effets de la thérapie psychédélique comme traitement psychothérapeutique. Il vaut la peine de revenir sur le fait que nous savons aussi qu’il y a des effets clairement reconnaissables et des données de grande qualité qui proviennent d’autres pays. J’espère que nous pourrons prendre ces mesures et contribuer à tirer parti de ces connaissances, renforcer les nôtres et aller de l’avant.

Le président : Merci. Nous en sommes presque à la fin de la séance. Y a-t-il un autre sénateur qui aimerait poser une dernière question?

Le sénateur Yussuff : De toute évidence, ce qui se fait en Alberta est une bonne initiative, en ce sens qu’au moins une province reconnaît l’usage des substances psychédéliques et cherche à déterminer comment les rendre accessibles aux gens ayant besoin d’une thérapie. Étant donné que les recherches sont beaucoup plus avancées aux États-Unis, est-ce absolument nécessaire que nous reprenions les mêmes études qui se font là-bas? On dit qu’il pourrait y avoir un essai de phase trois pour cette thérapie. Cela ne nous permettrait-il pas également de formuler des recommandations directes pour aller de l’avant parce que nous disposons maintenant de recherches fondées sur des éléments probants pour les appuyer? En Alberta, nous aurons la possibilité de recueillir des données additionnelles si les substances psychédéliques deviennent accessibles pour le traitement du TSPT et d’autres problèmes avec lesquels les gens peuvent être aux prises.

Col Jetly : En fait, les recherches ne sont pas menées seulement aux États-Unis, mais aussi au Canada. Les deux principales entreprises qui sont les plus avancées en ce qui concerne les indications de la FDA — et des communications sont en cours avec Santé Canada également — sont COMPASS Pathways dans le cas de la psilocybine pour la dépression réfractaire au traitement, et MAPS pour la MDMA. Il y a des essais cliniques au Canada et partout dans le monde. Alors, oui, les données des deux essais de phase 3 peuvent être présentées au Royaume-Uni, dans l’Union européenne et à la FDA. Il n’est pas nécessaire d’effectuer les essais.

Pour moi, les essais cliniques se justifient pour trois raisons. Premièrement, elles donnent accès aux gens. Il pourrait s’écouler deux ans avant l’obtention des indications. Les Canadiens peuvent ainsi avoir accès à ces médicaments qui, selon bon nombre d’entre nous, pourront aider. Je pense que c’est à cela que servent les essais. Deuxièmement, ils sont un lieu de formation qui permet aux gens de comprendre en quoi consistent les médicaments et la thérapie. Si Santé Canada indique soudainement qu’ils sont approuvés, le problème est que les universités ne donnent pas de formation pour cela. Nous pouvons donc former les gens; autrement, nous créons un écart entre les besoins et les soins qui sera insurmontable lorsque tout le monde voudra avoir accès à ces médicaments. La formation et l’expertise sont là. Troisièmement, il existe peut-être une différence entre les vétérans canadiens et les vétérans américains. Je serais donc plus confiant si nous avions mené plus d’études sur nos propres concitoyens en ce qui concerne les essais cliniques. Je pense que ce sont les trois objectifs. Nous pouvons tout à fait attendre et observer les données. Une partie des données est recueillie au Canada.

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie du travail que vous accomplissez et d’avoir témoigné devant nous aujourd’hui.

Le président : Monsieur Fascinato, voulez-vous dire quelque chose brièvement avant que nous terminions?

M. Fascinato : À la base, un accès élargi aux médicaments grâce aux essais cliniques et une expansion des essais cliniques permettront de mettre en place les données probantes, les renseignements et la collecte de données nécessaires à la prise de meilleures décisions concernant les soins aux anciens combattants canadiens. Tout ce qui peut aider les anciens combattants canadiens à accéder à ces nouvelles thérapies le plus tôt possible, parallèlement à ce qui est fait dans d’autres pays, aidera les personnes et les communautés à guérir. Cela contribuera au renforcement des collectivités et des individus. Nous le devons bien aux anciens combattants et aux premiers intervenants, entre autres. Si nous pouvons faire preuve de leadership et contribuer à cette discussion grâce à des approches fondées sur des données probantes, je pense que c’est de toute évidence la voie à suivre.

Le président : Je remercie les témoins de leur présence.

(La séance est levée.)

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