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(29 janvier 2001 - 16 septembre 2002)
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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 17 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 31 mai 2001 Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 11 h 05 pour examiner la situation du système de santé au Canada. Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil. [Traduction] Le président: Sénateurs, je déclare la séance ouverte. Nous allons essayer de comprendre certains des problèmes particuliers que pose la fourniture de services de soins de santé dans les zones rurales du Canada. Nos témoins viennent aujourd'hui du Consortium for Rural Health Research, de l'Association médicale canadienne, de la Société de la médecine rurale au Canada et de Santé Canada. Nous commencerons par la Dre Judith Kulig. Docteure Kulig, puis-je vous demander de ne présenter que les grandes lignes de votre mémoire de façon à ce que nous puissions avoir le temps d'en discuter? Étant donné le nombre d'audiences que nous avons tenues, vous allez voir que le comité en sait beaucoup sur la question. Dre Judith Kulig, Consortium for Rural Health Research: C'est un défi de parler de la santé en milieu rural au Canada, étant donné que ce n'est que tout récemment que nous avons pu mieux faire la distinction entre des termes comme «rural», «éloigné» et «isolé». Je voudrais aussi faire une mise en garde au sujet de la diversité de notre population, du fait de la présence des Premières nations et des Inuits, des groupes multiculturels et des autres Canadiens. En outre, nous ne disposons pas de très bons renseignements sur la santé des habitants des zones rurales vu qu'il n'y a pas longtemps que des fonds nous ont été alloués pour effectuer des recherches à ce sujet. En général, nous savons que, dans certaines zones rurales du Canada, l'espérance de vie est plus courte, les décès plus nombreux et le taux de mortalité infantile plus élevé. Nous savons que le taux d'infécondité est élevé dans certaines régions du pays et que le rapport jeunes-vieux y est déséquilibré. Nous savons aussi que l'état de santé des Canadiens dans les zones rurales est grandement fonction de leur travail. Je pense en particulier, par exemple, au taux de cancer du poumon chez les mineurs. Les questions de santé environnementale sont de plus en plus préoccupantes, étant donné le recours à des pratiques comme l'élevage intensif en parcs d'engraissement et ses effets sur la santé. Je viens d'un endroit que l'on surnomme le «corridor de l'engraissement», et on y surveille de façon permanente la qualité de l'eau. Malheureusement, les rapports dont nous disposons, comme le rapport intitulé «Quel est l'état de santé des Canadiens» et le récent rapport de l'Institut canadien d'information sur la santé, l'ICIS, n'abordent pas en particulier la question de la santé des habitants des zones rurales. En ce qui concerne la santé des femmes dans ces régions, là encore les rapports que nous avons n'analysent pas la santé de la population selon le sexe. Cependant, nous avons au Canada des centres d'excellence pour la santé en milieu rural, qui sont financés par le fédéral. L'un d'entre eux, le Prairie Women's Health Centre of Excellence (Centre d'excellence pour la santé des femmes des Prairies), a exploré les effets de l'érosion des groupes d'appui de la population agricole sur la santé des femmes. L'étude a confirmé que les programmes d'appui aux agricultrices ne sont plus financés aux niveaux aussi bien provincial que fédéral. Les agricultrices ont donc moins la possibilité d'exprimer leurs préoccupations et leurs points de vue au sujet du stress de la vie dans une ferme. Les femmes sont moins en mesure de participer à la formulation de politiques, y compris en matière de santé. En général, elles ont perdu une partie de l'appui social dont elles ont besoin pour surmonter leur stress. Le rapport du Centre d'excellence pour la santé des femmes des Prairies met l'accent sur le fait que l'on ne fait aucun cas des femmes. Le Centre a produit un deuxième rapport, qui analyse la planification en matière de santé au Manitoba et en Saskatchewan pour vérifier s'il y avait été tenu compte de la situation des hommes et des femmes. Pour que l'étude soit complète, on a pris en considération les régions sanitaires des parties nord et sud des provinces et donc les zones aussi bien urbaines que rurales. On a constaté qu'il n'avait pas été fait de distinction entre les hommes et les femmes dans l'établissement des plans de santé de ces provinces. En fait, il existait peu de données distinctes sur les hommes et les femmes en partie parce qu'on manquait des fonds nécessaires pour obtenir ces bases de données auprès de Statistique Canada et, en partie, parce que les ministères provinciaux de la santé n'ont pas proposé de payer pour l'acquisition de ces bases. Lorsque nous nous sommes penchés sur la question de la santé des habitants des zones rurales, nous n'avons pas mis l'accent sur les collectivités rurales en tant que telles. Nous nous sommes plutôt intéressés d'une façon générale aux particuliers. Bien sûr, une telle démarche est plus difficile à réaliser sur les plans théoriques et méthodologiques, mais c'est ce que l'on fait dans un certain nombre de projets actuels. La Fédération canadienne de l'agriculture et la Fédération canadienne des municipalités ont mis au point des plans de santé communautaire pour les petites collectivités ainsi que pour les collectivités rurales. Le Rural Development Institute (Institut de développement rural) de l'Université de Brandon est en train de créer des indicateurs qui seront utilisés pour les collectivités rurales afin de les aider à évaluer la santé de leur population dans son ensemble. De tels projets nous permettent de mieux comprendre la question de la santé d'un point de vue communautaire, mais il s'ensuit que la population s'attend davantage à ce que le système de santé permette d'aborder la question de la santé sous ce nouvel angle. Les ruraux désirent à cet effet avoir leur mot à dire dans l'élaboration des politiques et la fourniture des services. Pour ce qui est des services et des professionnels de la santé, nous savons tous que le Canada va faire face à une pénurie d'infirmières. Il nous manquera 120 000 infirmières environ d'ici les huit à dix prochaines années. Il y a longtemps, par ailleurs, que l'on se demande comment attirer et retenir des médecins dans les zones rurales. Dans une étude, Ng et al. ont examiné la question de l'accès aux médecins et ils ont découvert que dans les collectivités éloignées du Nord, plus des deux tiers de la population vit à plus de 100 kilomètres d'un médecin. Une étude plus récente effectuée par Pong et Pitblado montre que la distance entre les ruraux et leurs médecins est en fait en train d'augmenter. Du fait de la centralisation des services de santé, les ruraux doivent parcourir en voiture une plus grande distance pour recevoir des soins. Il existe en Alberta, dans un organisme de santé, un programme spécial, le programme d'intervention des infirmières, pour faire face à une telle situation. Dans ce programme, il y a quatre paires d'infirmières, vivant chacune dans deux collectivités agricoles différentes - qui ont reçu une formation supplémentaire pour intervenir en cas d'urgence. Elles travaillent aussi comme infirmières dans les unités de santé publique locales. Les personnes pour lesquelles ce programme a été conçu vivent à un minimum de 30 minutes de l'ambulance la plus proche. Le numéro de téléphone privé des infirmières d'intervention est communiqué aux habitants. Elles peuvent être appelées 24 heures sur 24 et se partagent la permanence. Elles sont contactées directement par les familles dans un certain nombre de situations d'urgence, dont des crises cardiaques. Les infirmières évaluent la situation au téléphone, conseillent à la personne qui appelle de faire le 911 le cas échéant, se rendent chez le patient pour donner des soins et attendent l'arrivée de l'ambulance. De cette façon, le malade est pris en charge plus tôt, et l'Équipe de gestion de l'évaluation, l'EGE, sait dans quelle ferme se rendre. Recruter et retenir des professionnels qualifiés de la santé continue à être un défi. Nous savons que des écoles de médecine ont réagi en créant des programmes spéciaux. Il n'existe cependant que peu de données précises sur les infirmières dans des situations semblables. Une étude nationale pour laquelle des fonds ont été récemment alloués va examiner la fonction d'infirmière en milieu rural ou éloigné et fournir les renseignements les plus complets sur ce sujet. Cette étude intégrée comprendra une enquête réalisée auprès de presque 6 000 infirmières évoluant en milieu rural ou éloigné, des exposés sur leurs activités professionnelles faits par des infirmières travaillant dans ce milieu, une analyse secondaire de la Base de données sur les infirmières portant sur le secteur rural et une analyse documentaire de rapports qui influent sur les activités professionnelles des infirmières en milieu rural ou éloigné. Des rapports provisoires sur cette étude seront publiés à compter de cet automne. La télémédecine est un élément très positif de la prestation de soins aux populations rurales de notre pays. On trouve ainsi au Labrador un projet de télémédecine qui a permis à des infirmières établies dans des régions isolées de transmettre des images à des médecins situés à différents endroits, ce qui a réduit le coût total de 20 000$ pour le système de santé et de 8 000$ pour les patients du fait de la diminution du nombre d'évacuations. Il reste de nombreuses lacunes car la recherche sur la santé rurale en est à ses premiers balbutiements, et l'on a donc très peu de renseignements à ce sujet. À cet effet, le Rural Health Research Consortium a été créé en 1999 pour accroître la recherche sur la santé en milieu rural ou éloigné. Parmi les activités que nous avons entreprises, on trouve la constitution d'un inventaire des chercheurs dans le domaine de la santé rurale au Canada et d'une liste des universités canadiennes qui forment des chercheurs dans ce même domaine. Les membres du consortium participent tous à des projets de recherche sur des questions de santé rurale. Nous proposons la réalisation d'une étude intégrée intitulée «Étude sur la santé des Canadiens vivant en milieu rural ou éloigné», dont l'objectif ultime sera de permettre aux Canadiens d'être en meilleure santé. Cette étude réunira des chercheurs membres du consortium, qui recueilleront individuellement dans diverses parties du Canada des données reflétant plus complètement l'état de santé des ruraux, les déterminants de leur santé et l'utilisation qu'ils font des services de santé. Dans une seconde étude envisagée, les membres du consortium travailleront avec des partenaires de tout le pays. Cette étude examinera le profil de la santé, des maladies et de l'utilisation des services de santé en comparant les zones urbaines et rurales du Canada et en présentant l'information sous la forme d'un atlas facile à consulter. En ce qui concerne les recommandations, je dirai que la santé rurale est certainement une question compliquée, et je félicite M. Allan Rock d'avoir créé le Bureau de la santé rurale. Cependant, son existence n'est pas suffisamment connue par les professionnels de la santé rurale et les ruraux. Ma première recommandation est donc de tout faire pour corriger cette situation. L'Initiative en matière d'innovations pour la santé en milieu rural ou éloigné, aux niveaux aussi bien fédéral que provincial, a permis le financement d'un certain nombre d'intéressants projets de santé rurale. Ma deuxième recommandation est de poursuivre ce financement de façon régulière. Dans tout mon exposé, j'ai fait remarquer qu'il y avait d'importantes lacunes dans notre compréhension de la situation de la santé rurale au Canada. Ma troisième recommandation est de chercher à mieux comprendre la situation de la santé rurale, qu'il s'agisse des femmes, des hommes ou des collectivités, en sollicitant la réalisation de travaux de recherche. On a noté les efforts du Rural Health Research Consortium et les tentatives que nous avons faites pour trouver des fonds destinés à des études sur la santé des habitants des zones rurales et éloignées. Ma quatrième recommandation est d'accorder encore plus d'importance, au sein des Instituts canadiens de recherche sur la santé, les ICRS, au financement de projets portant aussi sur la santé des ruraux. À l'heure actuelle, il y a une très forte volonté politique de se pencher sur les besoins des ruraux en matière de santé. Étant donné que je fais régulièrement de la recherche avec les ruraux, je peux vous dire qu'ils ont un intérêt renouvelé pour la vie rurale, dans laquelle ils placent de nouveaux espoirs, et cet état de choses signifie qu'ils sont on ne peut plus désireux de travailler en collaboration avec vous. M. William Tholl, secrétaire général et président-directeur général de l'Association médicale canadienne: J'irai directement à l'essentiel de notre mémoire et je mettrai principalement l'accent sur deux éléments. L'Association médicale canadienne a effectué deux études sur les médecins qui ont travaillé ou qui travaillent encore en milieu rural ou éloigné et, en particulier, sur les facteurs qui les ont poussés à s'installer dans des zones rurales ou éloignées et sur ceux qui les ont incités à rester ou à partir. La première étude a été réalisée il y a une dizaine d'années. Elle était dirigée par un médecin de Terre- Neuve, ancien doyen associé de l'université Memorial, le Dr Harry Edstrom. Je vais vous résumer un certain nombre des résultats issus de cette première étude et je les compléterai avec ceux d'une enquête faite par l'AMC en l'an 2000. Je vous parlerai ensuite du deuxième élément, qui est un ensemble de cinq recommandations précises que nous voulons soumettre à votre comité. Ensuite, je serai prêt à répondre à vos questions. M'étant fixé ces objectifs, je vais commencer par faire quelques observations sur l'enquête de 1991, qui, je vous le signale, monsieur le président, est jointe au mémoire, au cas où les membres du comité voudraient suivre sur les diagrammes à barres qui s'y trouvent. Notre étude a porté sur 500 médecins qui, entre 1986 et 1990, ont quitté des zones rurales ou éloignées, c'est-à-dire des centres de population d'un maximum de 10 000 habitants. Nous les avons numérisés au hasard pour déterminer un certain nombre de facteurs et de caractéristiques qui auraient pu jouer un rôle important dans leur décision de partir. Nous avons aussi interviewé 500 médecins qui sont demeurés dans ces zones entre 1986 et 1990. Nous avons posé aux deux groupes une série de questions sur les éléments importants qui les ont décidés à s'installer dans une zone rurale ou éloignée du Canada. Les réponses ont été assez intéressantes. Nous les avons résumées pour vous dans le premier des diagrammes à barres. Les membres du comité seront intéressés d'apprendre que les déterminants étaient des facteurs personnels. Le désir d'installer leur cabinet dans une zone rurale ou éloignée est le facteur numéro un, 53 p. 100. On trouve souvent également des considérations d'ordre matrimonial, les enfants, les loisirs et la taille de la collectivité. Remarquez où se situent les stimulants financiers dans la liste des éléments qui ont décidé les médecins à s'installer dans des zones rurales ou éloignées. Ils sont au septième rang. Interrogés sur l'importance de certains éléments professionnels dans la décision de s'installer dans une zone rurale ou éloignée - heures de travail, remplaçants, formation supplémentaire, services spécialisés et services hospitaliers - les médecins ont placé, là encore, l'aspect financier en bas de liste. Le troisième élément concerne les réponses des 500 médecins qui ont décidé de passer d'une zone rurale ou éloignée à une zone urbaine. Les facteurs qui ont été considérés comme les plus importants sont l'éducation des enfants, les loisirs, les possibilités d'emploi pour le conjoint, la vie culturelle et la retraite. Chose intéressante, si vous demandez à ces 500 médecins qui ont quitté une zone rurale ou éloignée quels sont les facteurs qui les auraient incités à rester, ils mentionnent le plus souvent le fait d'avoir des collègues, l'épuisement professionnel et les remplaçants. Ils indiquent aussi presque tous la possibilité d'exercer en équipe, le désir de ne pas travailler seuls et l'accès à des services spécialisés. Je pense que d'autres témoins traiteront de ces questions. Il existe de nouvelles façons intéressantes de les aborder, comme la télémédecine, par exemple. L'accès à d'autres formes de rémunération - remarquez qu'il ne s'agit pas de niveau de rémunération, mais d'autres formes de rémunération - a été un facteur qui a poussé les médecins à quitter des zones rurales ou éloignées. J'y reviendrai également. Il y a d'intéressantes leçons à apprendre, monsieur le président, en demandant aux médecins pourquoi ils sont partis ou pourquoi ils sont restés. En résumé, on peut dire qu'au niveau provincial, on a largement fait usage d'incitatifs financiers. Mais ils n'ont pas grand-chose à voir avec certains des principaux autres éléments qui sont à la base de la décision de partir ou de rester. La toute dernière enquête, celle de l'an 2000, dont nous pouvons communiquer les résultats détaillés aux membres du comité, n'est pas entrée dans le détail et n'a pas procédé au type de stratification dont je vous parle. J'ai l'intention, et l'AMC a l'intention, de refaire une enquête car elle serait utile. Dans la toute dernière enquête que nous avons réalisée, nous avons utilisé cette série de questions pour voir comment les choses avaient évolué. Nous avons découvert que, fondamentalement, les facteurs personnels, ces éléments qui ont poussé les médecins à s'installer dans des zones rurales ou éloignées, n'avaient pas beaucoup changé sur le plan de la satisfaction qu'ils apportaient aux médecins, et ils continuaient à occuper un rang relativement élevé. D'autres facteurs, comme l'épuisement professionnel, un contact limité avec des collègues, des inquiétudes concernant l'accès à des services spécialisés, ont conduit les médecins à ressentir une plus grande insatisfaction au cours des 10 dernières années. Cela montre clairement qu'il faut voir bien au-delà des aspects financiers pour trouver la façon de s'attaquer à certains de ces problèmes. Cela m'amène à l'avant-dernière série d'observations que je voudrais faire. Il existe une étude intéressante dont le comité a certainement entendu parler. C'est l'étude réalisée en mai 1999 par Barer, Wood et Schneider, du Centre des services et des politiques de la santé. Elle a été effectuée par quelqu'un qui semble être omniprésent dans les questions de planification et de gestion en ce qui concerne les médecins, le Dr Morris Barer. Il est actuellement le directeur scientifique de l'Institut des services et des politiques de la santé au sein des IRSC. Le Dr Barer semble faire partie de ce continuum dont nous parlons. J'aimerais vous citer un passage du rapport que ses collègues et lui-même ont rédigé. Ce passage, qui se trouve aux pages 38 et 39, fournit un contexte à nos cinq recommandations. Il dit:
Bien que toutes les régions du pays aient des politiques destinées à améliorer l'accès aux services médicaux dans les régions rurales ou éloignées, il semble n'y avoir pratiquement rien au niveau pancanadien. Cela est sans aucun doute dû dans une large mesure au fait que la santé est, constitutionnellement, du ressort des provinces et des territoires. De ce fait, il n'existe au niveau fédéral qu'un nombre relativement peu élevé de leviers en matière de politiques...Je vais dans quelques instants vous parler de cinq de ces secteurs, dont la politique d'immigration. On s'explique moins facilement l'absence d'une politique nationale (par rapport à fédérale). Certains processus existent (et existent depuis des décennies) Ayant travaillé à Santé Canada, je peux vous dire qu'elles existent depuis de nombreuses décennies. Toutes les provinces et tous les territoires partagent des approches et des idées stratégiques dans le cadre de tribunes comme le Comité consultatif fédéral/provincial/territorial des ressources humaines en santé et le Comité national de coordination de la formation médicale postdoctorale; mal heureusement, les idées à caractère national issues des délibérations de ces comités doivent revenir au niveau provincial/territorial, où elles font face au nombre limité de leviers en matière de politiques (par ex., pour ce qui est des décisions prises «à l'aveugle» dans les centres universitaires de santé), aux considérations politiques locales, ou aux deux; la plupart du temps elles s'envolent en fumée. Malgré tous les efforts effectués et l'existence de tous ces comités, la réalité est que les décisions sont prises à différents endroits. Nous pourrions vouloir discuter des défis que pose la formation postdoctorale car elle est importante pour toute la question de l'exercice de la profession dans les zones rurales ou éloignées. Le Comité national de coordination de la formation médicale postdoctorale, le CNCFMP, dont j'ai fait partie, a connu un échec total précisément parce que les décisions étaient prises ailleurs. En résumé, ce que Barer et ses collègues essaient de dire, c'est qu'il existe un vide en matière de planification nationale. Ce vide doit être comblé. L'AMC ne pense pas que nous devrions nous contenter de regarder les provinces résoudre seules le problème. Cela m'amène à parler de cinq secteurs dans lesquels, d'après nous, le fédéral devrait jouer un rôle de leader. J'aimerais tout d'abord, comme l'a fait mon collègue, féliciter le ministre, M. Rock, qui a créé le Bureau des services de santé en milieu rural ou éloigné. Nous estimons cependant que cela est nécessaire mais pas suffisant. Il faut aller plus loin. Nous aimerions que plus de ressources soient disponibles. Nous aimerions un plus grand accès aux services de Santé Canada, que ce ministère nous prenne plus au sérieux, que l'on nous prenne au sérieux pour ce qui est des études sectorielles dans le domaine du développement des ressources humaines. En particulier, en ce qui concerne le deuxième de nos cinq points, qui porte sur l'évaluation, nous aimerions jouer un rôle important de plaque tournante pour tous ces renseignements. Toutes les études dont vous entendrez parler aujourd'hui doivent se retrouver en un seul endroit, où quelqu'un les examinera pour diffuser ce qu'elles contiennent d'essentiel. Le gouvernement fédéral a une responsabilité constitutionnelle dans le secteur des services de santé en milieu rural ou éloigné. Cette responsabilité existe et a toujours existé. Elle s'applique en particulier dans le cas des peuples autochtones. Il y a là d'importantes leçons à tirer sur le plan de l'évaluation. Il existe, par exemple, une importante collaboration entre les médecins et les infirmières qui travaillent dans des zones éloignées, et elle mérite, à notre avis, qu'on s'y intéresse constamment et de façon plus approfondie. Il y a tout le secteur de l'immigration. Afin de satisfaire les besoins à court terme des Canadiens en matière de soins de santé, le gouvernement fédéral est en train d'élaborer, grâce au projet de loi C-11, une politique d'immigration favorable aux étrangers titulaires d'un diplôme en médecine. Il importe, au moment où nous cherchons à satisfaire les besoins à court terme dans des endroits comme la province d'où je viens, la Saskatchewan, de faire en sorte que les politiques d'immigration qui seront établies après l'adoption du projet de loi C-11, ne fassent pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Nous devons continuer à appliquer des normes d'accréditation pour les médecins qui veulent venir exercer au Canada. Nous ne voulons pas leur donner de faux espoirs. Ils peuvent être accrédités dans d'autres pays mais avoir de la difficulté à atteindre nos normes d'accréditation. C'est là un des termes de l'équation. Dans l'autre terme, il s'agit de faire en sorte que, lorsque des médecins viennent exercer dans des zones rurales ou éloignées de la Saskatchewan, on ne leur fasse pas croire, là encore, qu'ils pourront accéder facilement à d'autres parties du Canada. Je crois que tout cela entre dans le cadre des dispositions réglementaires qui découleront du projet de loi C-11. Tout cela entre dans le cadre d'une politique générale canadienne d'autosuffisance. Pour ce qui est de la planification, il ne fait aucun doute que le Canada a besoin d'un plan national de ressources humaines en matière de santé. J'ai déjà parlé de ce qui s'opposait à la réalisation de ce plan. Je vous conseillerais à cet effet d'examiner soigneusement la structure du comité consultatif fédéral-provincial. Nous croyons qu'il doit y avoir une approche obligatoire et que les services de santé en milieu rural ou éloigné ont un rôle important à jouer dans le cadre d'une planification nationale. Une fois encore, nous croyons que le Bureau de la santé rurale doit recevoir une aide et un financement suffisants pour effectuer une évaluation complète des besoins en personnel des services de santé en milieu rural ou éloigné. D'après nous, cela peut être fait, en partie, grâce aux études sectorielles qui sont actuellement financées par Développement des ressources humaines Canada. Entre parenthèses, monsieur le président, je dirai qu'il est intéressant de constater qu'une grande partie de cette planification est financée par DRHC - dans un très intéressant parallèle avec le ministre de la Santé, qui est responsable pour ce genre de choses. C'est-à-dire que la construction d'un pont entre DRHC et Santé Canada pose de nombreux défis. Enfin, il y a la question du financement. Je crois qu'il y a au moins deux précédents dont le comité pourrait vouloir tenir compte dans la perspective de ce qu'il y a à faire dans ce domaine. Le premier est la Loi de 1966 sur la Caisse d'aide à la santé. Lorsque nous avons lancé le régime d'assurance-maladie, on s'était également demandé comment placer les médecins aux bons endroits pour faire les bonnes choses avec les bons outils. La réponse à cette époque avait été d'établir un programme quinquennal de 500 millions de dollars pour créer quatre nouvelles écoles de médecine, élaborer des programmes de formation et accroître les possibilités d'apprendre. Nous croyons que nous en sommes aujourd'hui au même point de notre histoire et que nous devons sérieusement nous pencher sur les problèmes croissants que pose l'exercice de la médecine dans les zones rurales ou éloignées du Canada. S'il est vrai que le fédéral doit jouer un rôle dans la réalisation des objectifs de la politique nationale pour ce qui est de pouvoir accéder aux services de santé dans les deux langues officielles du pays selon des modalités identiques en vertu de la Loi canadienne sur la santé, le second précédent est l'appui que le fédéral a apporté à l'Université d'Ottawa, qui est la seule université canadienne bilingue. Nous croyons que, de la même façon, le fédéral peut jouer un rôle important pour ce qui est de créer des modalités d'accès identiques dans tout le Canada, et qu'il dispose d'une vaste gamme de moyens pour atteindre cet objectif. Dans le contexte du débat qui se déroule en Ontario au sujet de ce que l'on a appelé hier affectueusement la dix-septième université, à savoir l'École de médecine de Thunder-Barrie, et de ce que l'on peut apprendre au cours des délibérations, nous avons rencontré hier les doyens canadiens pour voir comment cela pouvait transcender l'Ontario et être instructif pour tout le pays. Il est ressorti de cette discussion que le gouvernement fédéral pourrait sans doute financer les écoles de médecine à parts égales avec les provinces pour encourager la création de meilleures normes de formation et de perfectionnement dans les 16 écoles de médecine du Canada en se fondant sur l'expérience ontarienne. J'espère que mon exposé aura été utile au comité et je serais heureux de répondre à vos questions. Dr Peter Hutten-Czapski, président, Société de la médecine rurale du Canada: Honorables sénateurs, je vous remercie d'avoir invité la Société de la médecine rurale du Canada à faire un exposé sur la situation des soins de santé en milieu rural. Je commencerai en citant le principe de la justice fondamentale exprimé par le juge Emmet Hall: Chaque citoyen du Canada doit avoir un accès égal aux soins de santé quel que soit l'endroit où il vit. C'est là un immense défi. La population rurale du Canada est de 9 millions d'habitants et elle va en augmentant. Elle est répartie sur plus de 10 millions de kilomètres carrés. Le nombre de médecins desservant cette population est proportionnellement inférieur à la moitié de ceux qui exercent en milieu urbain. Si l'on tient compte des 348 places supplémentaires ouvertes après 1999 dans les écoles de médecine, y compris la Northern Ontario Rural Medical School, on prévoit une augmentation, en chiffres absolus, du nombre de médecins exerçant en milieu urbain - en chiffres absolus, mais rien ne dit que ce sera suffisant - mais le nombre de médecins exerçant en milieu rural continuera à diminuer. On assiste donc à un élargissement de l'écart entre les deux catégories. Même avec un nombre suffisant d'étudiants en médecine, l'une des raisons pour lesquelles on assistera à une diminution du nombre de médecins exerçant en milieu rural est que le système d'enseignement actuel ne produit ce genre de médecins que par accident et non pas à dessein. Barer et Stoddart ont fait remarquer, en ce qui concerne les stratégies d'enseignement, que l'on ne fait actuellement dans ce domaine qu'une fraction de ce qui pourrait être fait. Pourquoi devrions-nous nous attendre à ce que les choses changent toutes seules? Il existe une autre tendance systémique, à savoir la centralisation de plus en plus grande des services hospitaliers. Nous devons comprendre que si les ruraux sont obligés de se déplacer pour se faire soigner, certains d'entre eux ne le feront pas. S'ils ne se déplacent pas, ils ne pourront pas atteindre les niveaux de santé de ceux qui acceptent de le faire. Certains vont se déplacer, mais le temps de déplacement leur coûtera cher. Dans d'autres cas, ils seront à la merci des moyens de transport ou du temps. Obliger toute une population à se déplacer sur de longues distances pour recevoir des soins, même s'il s'agit d'aller dans un très bon centre, va affecter son niveau de santé. C'est particulièrement inquiétant pour les femmes. Des études montrent que les choses ne se passent pas très bien pour les femmes lorsqu'elles doivent effectuer un long déplacement pour accoucher. Il faut noter qu'en Saskatchewan, la fermeture en 1993 de 53 hôpitaux en milieu rural s'est traduite par une augmentation du taux de mortalité périnatale. On ne peut pas dire qu'il y a dans un tel cas une relation de cause à effet, mais la situation est certainement préoccupante. L'enquête sur la santé au Québec a fait ressortir que la santé tend à se détériorer progressivement au fur et à mesure que l'on s'éloigne de la périphérie des centres urbains pour s'enfoncer profondément dans l'intérieur. Comme le dit le mémoire que vous avez devant vous, la variation géographique de l'espérance de vie au Canada est très nette. Ce phénomène illustre le principe de la pyramide inversée des soins. Les médecins sont concentrés là où vivent les Canadiens dont l'état de santé est le meilleur, et ce sont ceux qui sont malades qui ont le moins accès aux soins de santé. C'est donc ainsi que s'accroît l'écart entre les populations urbaines et les populations rurales. On peut être tenté de compenser la pénurie de médecins au moyen de la technologie - et il est certain que le potentiel est là - en particulier dans les disciplines où il n'est pas nécessaire que le médecin touche le patient: téléradiologie, télépsychiatrie et télédermatologie. Bien qu'ici le potentiel soit énorme, nous devons éviter cette pseudo-médecine, où l'on vendrait aux zones rurales du Canada ce que nous ne voulons pas ou ne pouvons pas utiliser. Le tableau de mon mémoire montre divers programmes provinciaux d'encouragement rural, qui ont été probablement lancés en 1969 avec le programme ontarien des services aux régions insuffisamment desservies. Ce tableau ne mentionne pas les programmes actuels. Il donne simplement la date de lancement du premier programme dans chaque catégorie. Vous verrez que la grande majorité des dates qui y figurent se situent dans les cinq dernières années. Pour être juste, il faut reconnaître que de nombreux médecins s'installent dans des collectivités rurales grâce à ces programmes d'encouragement. Le problème, c'est qu'ils n'y restent pas. Dans les petites collectivités, leur taux de roulement est si important que la plupart des personnes atteintes de cancer vivent assez longtemps pour voir le médecin arriver et partir. L'écart entre les zones urbaines et les zones rurales augmente. Le problème fondamental a été exposé par David Fletcher, le tout premier président de la Société de la médecine rurale du Canada, lorsqu'il a dit que nous devons faire de la médecine rurale une activité que les médecins aimeront, que l'intérêt financier, sans de bonnes conditions de travail, ne suffit pas. La question est donc: qu'est-ce qui fonctionne? Il y a des choses qui fonctionnent. L'Australie nous en donne un exemple très intéressant. C'est un pays dont la taille est environ les deux tiers de celle du Canada et qui est lui aussi fortement urbanisé, avec un petit nombre d'habitants éparpillés littéralement sur des millions de kilomètres carrés difficiles à desservir. Je ne dis pas que l'Australie a trouvé la solution. On y constate un écart entre les zones urbaines et les zones rurales, mais cet écart se rétrécit pour probablement deux ou trois raisons. Ce pays possède une infrastructure rurale régie par le gouvernement fédéral, qui a introduit dans chaque école de médecine une réforme du programme de médecine rurale. Il a créé un certain nombre de judicieux stimulants, mais l'intérêt vient du fait qu'il les a associés à une réforme du programme. Dans les régions rurales du Canada, il existe certains modèles, éparpillés sur tout le territoire, qui font que les choses semblent bien fonctionner. À Terre-Neuve, la plupart des médecins exerçant en milieu rural touchent un salaire ou sont sous contrat. En fait, la plupart des médecins salariés ou sous contrat exercent en milieu rural. Est-ce important? Suis-je en train de plaider en faveur des salaires? Je ne plaide pas vraiment en faveur des salaires, mais je fais plutôt remarquer que, lorsque vous établissez un contrat, vous y mentionnez de façon précise les conditions de travail. C'est plutôt intéressant. Comme cela a été dit dans l'exposé de l'AMC, les conditions de travail figurent parmi les six éléments les plus importants pour un médecin lorsque vient le temps pour lui de décider s'il doit s'installer dans telle ou telle collectivité. En outre, les postes impliquant un contrat ou un salaire permettent de mieux intégrer le personnel paramédical dans les équipes existantes de soins. Cela nous amène à la question de savoir ce que le fédéral peut faire. La réponse en peu de mots est: rien qui soit facile à réaliser. Le problème n'est pas nouveau, et les solutions proposées ne sont pas nouvelles elles aussi. Le défi est d'avancer du point A au point B. Il n'existe en ce moment au sein du gouvernement fédéral aucun mécanisme qui permette de passer de la situation actuelle à la situation souhaitée. Ainsi, l'écart entre les zones urbaines et les zones rurales augmente. Je ne suis pas ici pour demander quelque chose d'aussi simple que de l'argent et un programme, même si nous aurons besoin de l'un comme de l'autre. Ce n'est pas la première étape. La première étape, c'est d'effectuer les changements nécessaires pour que l'administration puisse permettre au gouvernement fédéral de contribuer au passage de la situation actuelle à la situation souhaitée. Pour faire réagir le gouvernement, nous devons mettre sur pied des structures qui se consacreront entièrement à régler le problème des zones rurales et que rien ne détournera de cette mission, des structures qui pourront travailler avec les ministres, les collectivités rurales et les organismes de santé pour faire bouger les choses. Les provinces ne peuvent agir seules. C'est là l'occasion d'avoir une approche fédérale-provinciale nouvelle et non coercitive qui fera naître une synergie dont on pourra se servir pour faire marcher les choses. Nous avons des provinces qui, à l'heure actuelle, consacrent beaucoup de temps et d'argent à persuader un seul médecin de quitter une autre province pour s'installer chez elles. C'est ce qui se fait à l'heure actuelle, et ça ne fonctionne pas. Nous recommandons que le gouvernement fédéral, en coopération avec les provinces, réduise les obstacles structurels qui bloquent l'élaboration d'une politique nationale de santé rurale et qu'il établisse une stratégie nationale de santé rurale qui pourra être appliquée. Nous recommandons que cette stratégie soit appuyée par un comité consultatif sur la santé rurale, un conseil des ministres et des forums sur la médecine rurale. Il faudra commencer par aider en priorité les provinces à accélérer l'expansion des modèles positifs de collaboration en matière de médecine rurale, y compris ceux qui font appel pour les soins à des professionnels de la santé autres que des médecins. Il faut aussi inclure parmi les priorités le moyen d'appuyer les initiatives qui permettent de retenir les professionnels de la santé. À cet égard, je ne parle pas de personnel mais de conditions de travail. Il faut assurer la formation d'un personnel adéquat pour les soins de santé en milieu rural et financer les universités afin qu'elles élaborent une politique d'inscription plus axée sur le milieu rural et qu'elles conçoivent des programmes de formation habilitant les professionnels de la santé qui travaillent en milieu rural. En outre, il faudrait financer les universités pour les encourager à mettre en 9uvre ces programmes. Ces initiatives devraient faciliter la délivrance de permis d'exercice de la médecine au Canada, l'établissement de normes et la création d'organismes de formation en vue de mettre en 9uvre des politiques favorisant l'exercice de la médecine en milieu rural. Nous proposons que le fédéral subordonne son financement pour la télémédecine à la création de programmes fondés sur une analyse des besoins en soins de santé en milieu rural qui peuvent être satisfaits grâce à la télémédecine et que la recherche sur la prestation de soins de santé en milieu rural soit financée adéquatement. Dr John Wooton, conseiller spécial en santé rurale, Direction générale de la population et de la santé publique, Santé Canada: Monsieur le président et honorables sénateurs, je suis, depuis deux ans et demi, le premier directeur exécutif du Bureau de la santé rurale à Santé Canada. J'ai donc eu un certain temps pour réfléchir à ces questions et à leur source. Je sais que beaucoup d'entre elles découlent d'une expérience que je partage avec le Dr Hutten-Czapski et d'autres qui dispensent des services dans le Canada rural. Dans le cadre de mes fonctions de directeur exécutif du Bureau de la santé rurale, j'ai eu l'occasion d'aller un peu partout dans le pays. J'ai appris que, même s'il est possible de résumer d'une façon très nette les statistiques démographiques rurales en disant que 30 p. 100 de la population canadienne vit en zone rurale, dans de nombreuses régions, les statistiques masquent une réalité: il existe beaucoup de genres différents de collectivités rurales. Elles sont aussi différentes que le jour et la nuit, selon qu'elles sont isolées ou périurbaines. Les solutions les plus indiquées pour ces genres différents d'environnements doivent venir des environnements eux-mêmes. La première leçon que j'ai apprise, c'est que le Bureau de la santé rurale doit jouer un rôle de liaison entre ces différents environnements et les différents niveaux où des idées et des décisions peuvent être réalisées. Il n'y a aucun moyen, en procédant de haut en bas, de trouver une solution qui soit satisfaisante partout. Au cours de mes déplacements, j'ai également eu l'occasion de dire aux gens que j'ai rencontrés à de nombreux niveaux différents que, comme l'a mentionné le Dr Hutten-Czapski, ces questions ne sont pas nouvelles. Lorsque j'ai commencé à pratiquer la médecine, il y a vingt ans, à Ocean Falls, sur la côte de la Colombie-Britannique, je me suis très vite rendu compte des difficultés qu'il y a à dispenser des services loin du «port d'attache». Ce n'est que récemment que ces histoires et ces messages ont commencé à être largement connus. Il est particulièrement important que plusieurs comités différents du Sénat s'intéressent suffisamment à cette question pour inviter des témoins à venir parler des services et des problèmes de santé ruraux. De toute évidence, cela a été possible grâce, notamment, aux communications améliorées entre les collectivités, les fournisseurs de services et les planificateurs. Dans une certaine mesure, le génie est sorti de la bouteille. Si je peux me permettre de passer tout de suite à certains des recommandations, je dirai que le problème consiste à déterminer ce qu'il convient de faire du génie maintenant que nous savons qu'il existe un problème commun dans tout le pays. En même temps que les communications s'améliorent, la technologie fait des progrès. La technologie est une épée à double tranchant qui, d'une part, nous permet de faire les choses différemment et, de l'autre, fait peser une plus lourde charge sur les systèmes locaux. Ce sont probablement deux bonnes choses, mais il faut les planifier. Je suis accompagné de mon collègue du Programme des partenariats pour l'infostructure canadienne de la santé, ou PPICS, à Santé Canada, qui a financé beaucoup de ces solutions technologiques. Les nouvelles technologies permettent de contourner la réalité géographique qui impose aux gens de se déplacer pour avoir accès à des services de santé. Les patients et les fournisseurs de services de santé peuvent rester chez eux, mais il y a beaucoup d'autres choses pour lesquelles il n'existe pas de solutions technologiques. En un sens, les solutions technologiques augmentent le niveau de ressources et le niveau d'expertise nécessaires. Il faut donc planifier parce que c'est une question de qualité des soins par opposition à la substitution des soins. Cela se produit en même temps que les communications s'améliorent. Les gens se rendent compte que d'autres collectivités de la même taille disposent de services différents et se demandent pourquoi. J'ai appris que deux ans, au gouvernement, est une période relativement courte. Je crois néanmoins que Santé Canada a réalisé des progrès en établissant le Bureau de la santé rurale, en reconnaissant la nécessité de prendre en considération la perspective rurale dans ses programmes et en prenant conscience du fait que le fonctionnement horizontal, que ce soit de concert avec DRHC ou Agriculture Canada, constitue un moyen valable de tenir compte des différents points de vue lors de la recherche d'une solution. Comme je l'ai mentionné dans le mémoire et dans mon exposé, le premier cycle comprenait 11 millions de dollars en subventions et contributions qui ont servi à financer beaucoup des projets dont vous entendrez parler et qui sont mentionnés dans le mémoire. L'une des choses que j'ai clairement comprises au cours de mes déplacements dans les collectivités rurales, c'est que les solutions générales ne fonctionnent pas, même s'il s'agit d'excellents projets. Les collectivités rurales souhaitent un engagement à long terme envers la solution de leurs problèmes et reconnaissent qu'il faudra du temps pour que tout s'oriente dans la bonne direction. Le Bureau de la santé rurale n'est pas le seul endroit où s'exerce cette activité. On a découvert, en rétrospective, en examinant et en analysant quelques-uns des programmes réalisés, notamment dans le cadre du Fonds pour l'adaptation des services de santé, qu'il y a un nombre extraordinaire d'activités rurales et que les leçons apprises seront utiles pour la conception des programmes futurs. Cela montre simplement que ces questions étaient présentes et, bien sûr, quand on examine l'adaptation des services de santé, les problèmes ruraux remontent à la surface. Dans la structure actuelle de Santé Canada, le Bureau de la santé et l'inforoute et l'excellent rapport produit par son comité consultatif ont montré que le ministère aurait manqué le bateau s'il n'avait pas mis la technologie au service des régions rurales et éloignées. Grâce au financement du PPICS, il a été possible de soutenir de nombreux projets ruraux. J'appuie le point de vue des autres témoins dans les recommandations que je voudrais présenter. Nous nous apercevons, en examinant le système de santé dans son ensemble, qu'il y a des conflits de compétence au Canada. Nous devons apprendre à nous en accommoder, même si ce n'est pas vraiment un obstacle insurmontable. Il faut davantage apprendre à se montrer serviable que chercher à transférer des pouvoirs d'un groupe à un autre. J'espère que Santé Canada envisagera de maintenir les cycles de soutien aux initiatives rurales et le fera en collaboration, reconnaissant que les solutions ne se trouvent pas seulement au ministère, mais qu'on peut en découvrir bien d'autres en établissant des liens aussi étendus que possible avec les collectivités, avec les professionnels qui y travaillent et avec les associations qui les représentent, de façon à profiter d'une expérience de première main qui facilitera et légitimera les choix à faire. Dans les structures dont Santé Canada s'occupe directement, particulièrement dans les domaines de l'information et de la recherche sur la santé, il est important de reconnaître ce que nous ne savons pas afin de pouvoir chercher des solutions d'une manière organisée. Il y a des moyens technologiques qui devraient être appliqués et qui le sont effectivement, à mesure qu'ils sont mis au point, pour régler les problèmes ruraux. Santé Canada a un rôle important à jouer en continuant à appuyer les initiatives en ce sens. Le président: Merci. Le sénateur LeBreton: Monsieur Tholl, la figure 4 de votre présentation montre le nombre de médecins qui sont passés des régions rurales à des régions urbaines entre 1986 et 1990. Vous avez parlé d'autres formes de rémunération en disant que vous y reviendriez. J'en ai pris note parce que j'aimerais savoir ce que cela signifie. Parmi les répondants, 35 p. 100 ont parlé d'autres formes de rémunération. Quelle serait la définition de ces autres formes, monsieur Tholl? M. Tholl: Je m'excuse de ne pas être revenu sur ce point. On a mentionné que la majorité, dans la mesure où nous avons des médecins salariés au Canada, est encore d'environ 30 p. 100. Toutefois, elle augmente et la plupart de ces médecins ont une clientèle rurale et éloignée. À Terre-Neuve, c'est aujourd'hui nettement supérieur à 50 p. 100. En ce qui concerne les autres mécanismes de rémunération, nous avons donné plus de détails dans le mémoire, où vous trouverez un énoncé complet de politique qui devrait répondre à votre question. Cela revient essentiellement à déterminer ce que les médecins sont censés faire dans le système et de définir des modalités de paiement spéciales alliant la rémunération par capitation et le paiement à l'acte. On considère trop souvent que les deux systèmes s'excluent mutuellement, mais on peut bien envisager, par exemple, un salaire de base qu'il serait possible de majorer selon la charge de travail. Les autres mécanismes de rémunération ont à voir avec la rémunération par capitation, régime dans lequel les médecins sont payés selon le nombre de leurs patients, après pondération selon l'âge et le sexe. L'AMC estime - et j'estime aussi - que la forme de rémunération devrait être adaptée aux fonctions que le médecin remplit dans le système. De toute évidence, les médecins et les autres professionnels de la santé qui travaillent en milieu rural ou éloigné remplissent une fonction différente de ceux qui travaillent au centre-ville de Toronto. Le sénateur LeBreton: J'examinerai de plus près votre mémoire. Docteure Kulig, quelles relations avez-vous avec le Bureau de la santé rurale, que représente le Dr Wooton? Y a-t-il des parties du mandat du Bureau que vous trouvez particulièrement intéressantes? Et, inversement, y en a-t-il que vous aimeriez voir améliorer? Dre Kulig: J'ai fait la connaissance du Dr Wooton lorsqu'il est devenu directeur exécutif. Il est venu à l'Université de Lethbridge comme invité lorsque nous avons organisé des réunions sur la santé rurale avec des membres de la collectivité et les responsables de différents organismes. J'ai fait sa connaissance par l'entremise du Consortium for Rural Health Research. Je suis actuellement en congé sabbatique et je consacre un peu de temps au Bureau de la politique des soins infirmiers ainsi qu'au Bureau de la santé rurale. Le sénateur LeBreton: Aimeriez-vous que le mandat du Bureau soit étendu? Quels en sont les points forts et les points que vous aimeriez voir améliorer? Dre Kulig: J'aimerais que le mandat soit étendu. Bien sûr, les problèmes de main-d'9uvre ont absorbé beaucoup du temps et des efforts du Bureau, ce qui est tout à fait normal. Il fait partie de différents autres comités et a tenté de nous aider en essayant d'obtenir plus de fonds fédéraux pour financer la recherche sur la santé rurale. J'aimerais cependant que le fédéral en fasse davantage et que nous ayons une équivalence, peut-être même provinciale, pour examiner ces questions. Dr Hutten-Czapski: Le Dr Wooton assiste généralement aux grandes conférences et réunions dont le titre contient à la fois les mots «santé» et «rurale». Nous sommes actuellement à l'une de ces réunions. Je ne suis donc pas surpris de voir qu'il est présent. Le Dr Wooton a joué un rôle très important. Il personnifie le Bureau - il n'est d'ailleurs pas le seul à le faire -, rehaussant le profil des questions rurales, y sensibilisant les gens ou, pour reprendre l'image que préfère le ministre, examinant les problèmes à l'aide d'une «lentille rurale». Lui-même et le Bureau ont particulièrement bien réussi à sensibiliser les bureaucrates et les politiciens aux questions rurales. De fait, je me suis rendu compte au cours de mes entretiens avec le ministre Rock qu'il est très au courant de ces questions et de leur rôle dans le tableau d'ensemble, et qu'il y est très sensible. Cette sensibilité se manifeste à Ottawa en partie parce que le ministre Rock s'est montré bien disposé en établissant le Bureau de la santé rurale, et en partie aussi grâce aux efforts du Bureau. Malheureusement, l'influence du Bureau est limitée parce qu'il ne peut pas s'occuper de politiques, cet aspect étant absent de son mandat. S'il essayait de le faire, je suis sûr qu'on lui dirait de s'en abstenir. Nous avons donc un système de sensibilisation qui a donné jusqu'ici de bons résultats, mais que se passe-t-il ensuite? Il y a une solution, si le gouvernement veut bien l'adopter, mais comment passer de la situation actuelle à la situation que nous souhaitons? Le Bureau ne peut pas intervenir sur ce plan. Pour ces raisons, je suggère d'établir un conseil ministériel où seraient représentés la collectivité et les professionnels de la santé rurale et dont le Bureau de la santé rurale pourrait, par exemple, constituer le secrétariat, sans jouer un rôle sur le plan des politiques. Il pourrait quand même contribuer à l'élaboration et à la mise en 9uvre des politiques en donnant de la rétroaction et en assurant au conseil le soutien dont il aurait besoin. Le sénateur LeBreton: Docteure Kulig, j'ai été frappée, en lisant votre mémoire, par votre description du programme des infirmières d'intervention mis au point par l'un des organismes de santé de l'Alberta. C'est un programme qu'il serait extrêmement intéressant de développer. Lorsqu'on sait qu'il existe un programme de ce genre et qu'il fonctionne bien, que faut-il faire pour aller plus loin? Faut-il s'adresser à Santé Canada? Quel est le taux de succès? Le programme n'existe-t-il que dans un organisme de santé? L'Alberta n'envisage-t-il pas de l'étendre à d'autres organismes? Comment peut-on procéder pour le faire adopter dans le reste du pays? Dre Kulig: Le programme a commencé dans un secteur où des hôpitaux avaient été fermés. Quand on parle d'endroits éloignés, on pense le plus souvent au Grand Nord. On oublie les régions agricoles du sud de l'Alberta, qui peuvent se trouver très loin d'un hôpital. L'organisme de santé en question a conçu ce système de sa propre initiative. La personne qui devrait me transmettre plus de renseignements à ce sujet n'a pas pu le faire. Je connais les gens qui s'occupent du programme, c'est-à-dire les infirmières d'intervention elles-mêmes, qui pensent que c'est une grande réussite. Si j'ai bien compris, en Alberta, les directeurs des organismes de santé se réunissent et discutent de ces questions. Si le programme devait s'étendre à la province, c'est ainsi qu'on procéderait. Ce serait discuté au niveau des directeurs. Ensuite, d'autres organismes de santé l'adopteraient. Il serait très intéressant de faire une évaluation, peut-être grâce à des fonds fournis par l'Alberta Heritage Foundation, pour déterminer comment fonctionne le programme des infirmières d'intervention. Il serait peut-être même possible de faire une comparaison, comme nous l'avons fait dans certaines régions de la Saskatchewan, parce que les deux provinces ont des aspects communs et des différences, afin de déterminer si le programme peut également convenir là. Quand on parle d'infirmières d'intervention, on peut penser à la profession d'infirmière praticienne. Voilà une expression que les autres témoins n'ont pas mentionnée jusqu'ici. Je crois que notre étude nationale sur les soins infirmiers comprendra la question des infirmières praticiennes et leur rôle particulier dans les régions rurales. Il faut se rendre compte que certaines collectivités rurales n'auront jamais un médecin. Quoi que nous fassions sur les plans du recrutement et du maintien en fonction, nous ne réussirons pas toujours. Ces programmes de remplacement existent. Encore une fois, nous voudrons nous assurer qu'ils fonctionnent dans différentes provinces avant de les examiner au niveau fédéral. Il faudrait pour le moins choisir certaines régions du pays où les distances sont aussi importantes qu'en Alberta pour déterminer si de tels programmes peuvent convenir. Le sénateur LeBreton: Quand on a des initiatives comme celle-ci et qu'on peut envisager les moyens offerts par la télésanté, il est frustrant d'entendre parler de ces programmes éloignés et de se demander comment il serait possible de les étendre dans l'intérêt de tout le pays. Dre Kulig: J'ai passé beaucoup de temps à voyager dans le sud de l'Alberta pendant que je réalisais mes études sur la santé rurale. C'est ainsi que j'ai eu connaissance du programme des infirmières d'intervention. Il ne s'agissait pas de mon organisme de santé, c'était un autre. Toutefois, je n'étais pas au courant de ce programme. Étant monitrice dans une école d'infirmières, j'étais très surprise de n'avoir jamais eu connaissance de ce programme auparavant. Le sénateur Fairbairn: Je tiens à vous remercier tous d'être venus. Je voudrais en particulier souhaiter la bienvenue à la Dre Kulig, qui travaille pour mon établissement favori, l'université. Vos exposés ont été remarquablement intéressants et utiles. Je voudrais vous demander tous des commentaires sur ce qui suit. Dans l'un de vos documents, probablement celui du Dr Wooton, on peut lire que s'il existe une médecine à deux paliers au Canada, ce n'est pas pour les riches et les pauvres. C'est plutôt pour les urbains et les ruraux. Le sénateur LeBreton siège au Comité de l'agriculture avec moi. Ce matin, nous avons passé deux heures et demie à examiner l'étude de l'ensemble du régime rural canadien et de l'agriculture. L'une des questions qui m'ont frappée à cet égard est la baisse déprimante enregistrée dans le Canada rural, ce qui me fait penser aux observations présentées dans ce mémoire au sujet des communications. C'est une chose que le reste Canada ne connaît pas vraiment. On peut donc supposer - je suis sûre que c'est le cas de la population rurale au Canada - que le reste du pays ne s'en soucie pas vraiment. Si nous sommes en crise, comme certains l'affirment, si la permanence des collectivités rurales est en question et si, en plus, il y a le problème des services de santé dans ces collectivités, on peut se demander comment on pourrait même envisager d'encourager les gens à rester. Il est admirable de constater, en regardant ces graphiques, que l'aspect financier est en bas, ou du moins au commencement, lorsque les médecins y pensent. Toutefois, quand on en arrive aux questions les plus récentes, est-ce que les médecins et les gens qui travaillent en première ligne dans les collectivités rurales se sentent découragés de voir que ces collectivités risquent de disparaître et que, malgré tous les efforts déployés par l'entremise du système d'éducation et d'autres incitatifs pour faire venir des gens, la permanence des collectivités, du moins dans l'Ouest, semble douteuse? Est-ce que cette situation entrave le développement des services de santé dont vous parlez? Dans quelle mesure, alors, une stratégie de communication dynamique est-elle vraiment nécessaire pour persuader le reste du Canada qu'il s'agit là non seulement d'une énorme partie du pays, mais aussi, sur le plan historique et dans le fond de notre âme, de l'essence même du Canada? Cet aspect est soit mal compris soit ignoré. Comment peut-on persuader des médecins, des infirmières praticiennes et tous les autres professionnels de prendre cette direction au moment même où les signaux qui nous parviennent des collectivités rurales sont plutôt négatifs ou confus? Dre Kulig: Une des études dont je m'occupe actuellement traite des moyens de susciter de l'espoir dans les collectivités rurales et d'inciter les professionnels de la santé et les membres de la collectivité à travailler ensemble. En ce qui concerne la permanence des collectivités, malgré le déclin, j'ai été frappée par le mouvement de la base, surtout dans le sud de l'Alberta, où les gens veulent vraiment que les collectivités rurales survivent. J'ai rencontré par exemple les femmes qui ont arrêté le déménagement de l'usine de transformation du porc qui devait aller s'établir à Foremost. Deux femmes ont empêché une entreprise de 98 millions de dollars de déménager. Lorsqu'on parle à des personnes de ce genre, on se rend compte que la permanence des collectivités rurales n'est peut-être pas aussi gravement menacée qu'on le pense. Les études ont montré que nous avons besoin d'investissements dans le leadership local et la jeunesse rurale, afin de créer des débouchés. Nous devons envisager de créer une base économique plus diversifiée et trouver de nouveaux moyens d'exploitation de la terre. En Saskatchewan, par exemple, il y a des agriculteurs qui ont renoncé à posséder du matériel individuel. Ils se sont regroupés afin d'acheter l'équipement nécessaire pour exploiter de bien plus grandes superficies. Ils partagent les risques et les profits, comme moyen de survie. Nous devons examiner simultanément toutes ces questions ainsi que les problèmes reliés aux services de santé. Il y a certaines questions qui sont importantes pour tous les Canadiens, où qu'ils vivent. Par exemple, la qualité de l'eau. Sénateur, vous savez ce qui se passe dans le sud de l'Alberta au sujet des parcs d'engraissement. Je vis dans une province qui a accepté de tripler les grandes exploitations agricoles constituées en société d'ici 2003. Toutefois, il y a des collectivités qui adoptent des règlements pour empêcher l'élevage intensif dans leur région, afin de prévenir les problèmes de santé que nous connaissons. Vous avez raison, bien des problèmes nous attendent à l'avenir. Oui, certains ont l'impression que nous nous battons contre des moulins à vent, au moment où ils se demandent si les collectivités rurales survivront. Je crois qu'il y a des moyens de créer un leadership local, de régler les problèmes de la jeunesse rurale et de la santé des femmes. J'ai mentionné plus tôt l'érosion des programmes de soutien agricole destinés aux femmes en Saskatchewan. L'existence de ces programmes est importante pour elles, tout comme le programme des infirmières d'intervention et tout ce qu'il y a d'autre à faire en même temps. Nous devons considérer non seulement la santé, mais toute la question de la permanence des collectivités rurales. Honnêtement, j'ai pu me rendre compte que les gens espèrent beaucoup encore, malgré tous les problèmes dont nous venons de parler. Dr Hutten-Czapski: Il est faux de dire que le Canada rural est à l'agonie. Ce n'est absolument pas vrai. La population rurale augmente, même si c'est à un taux inférieur à celui des villes. Certaines régions, particulièrement dans le secteur agricole, se dégradent ce moment, sans parler de l'invasion des grandes sociétés, de la monoculture et de tout ce que vous avez décrit avec beaucoup d'éloquence. La situation n'est pas désespérée. Le Canada rural est bel et bien vivant et dynamique. Comme vous l'avez mentionné, on y trouve beaucoup de potentiel. Les ruraux sont heureux de vivre dans le Canada rural et ne veulent pas aller en ville pour trouver du travail. Ce que vous avez dit au sujet des deux paliers vient d'Allan Rock et c'est probablement à cause de John Wooton. Le président: Ayant côtoyé des ministres, comme le sénateur Fairbairn, je dirais que c'est probablement John Wooton qui a écrit cela. Dr Hutten-Czapski: Je suis sûr que, même s'il n'a passé que deux ans dans l'administration fédérale, il se rend compte qu'il ne peut pas répondre à cette question. On m'accusera probablement de prêcher pour ma propre paroisse, pour ainsi dire, mais comment voulez-vous qu'en l'absence de services de santé adéquats, une collectivité puisse recruter des compétences techniques pour l'usine ou pour d'autres établissements si les candidats ne savent pas à quelle école envoyer leurs enfants ou à quelle porte frapper s'ils tombent malades? Cela en soi fait partie de l'importante infrastructure qui constitue pour nous le contrat social canadien. Lorsqu'on va s'établir dans une collectivité, on s'attend à y trouver une école et des services de santé. Si vous répondez qu'ils existent, mais 100 kilomètres plus loin, il sera difficile de recruter du personnel pour l'usine. M. Tholl: D'après la Loi canadienne sur la santé, tous les Canadiens ont droit, comme citoyens, à un accès raisonnable aux services de santé, à des conditions uniformes. Qu'est-ce que cela signifie pour les 99,89 p. 100 de notre superficie terrestre qui constitue le Canada rural? Cela signifie, je crois, que nous devons être vigilants. En médecine, on dit qu'il ne faut pas faire de mal. En politique, on dira plutôt qu'il ne faut pas faire de mal d'une façon trop évidente. Dans ce cas, il est certain qu'on a fait du tort d'une façon très évidente en réponse à des impératifs économiques. Je limiterai mes exemples à la Saskatchewan, ma propre province, berceau de l'assurance-maladie. Nous avons réalisé des études officielles et des études de cas. Je vous engage à penser à Melfort, en Saskatchewan. Pourquoi? Parce que Melfort, qui se trouve à environ 190 kilomètres de Saskatoon, a eu énormément de difficultés à persuader un groupe de médecins, y compris quelques spécialistes, à venir s'y établir. C'est un projet qu'il a fallu plus de sept ans pour réaliser. On a finalement réussi à en trouver une douzaine qui s'entendaient bien ensemble. Tout à coup, la sectorisation des soins est entrée en scène. Elle devait apporter de la responsabilité, assurer que chacun rendrait compte de son travail. Tout à coup, le contrôle des choses qui avaient beaucoup d'importance pour les médecins de Melfort n'était plus à Melfort, mais dans l'un des 30 ou 32 centres régionaux de santé. La communication constituait l'un des points fondamentaux du sénateur Fairbairn. Je dirai les choses différemment, en les plaçant dans le contexte de la sensibilisation. Lorsqu'il faut prendre des décisions en réponse à des impératifs économiques - je vous fais remarquer que j'ai fait des études d'économiste de la santé -, il est facile de comprendre que dans certains cas, il n'est pas rentable d'assurer aux habitants des régions rurales et éloignées un accès raisonnable aux services de santé. Toutefois, il faut savoir reconnaître, même si un tel accès n'est pas rentable, que c'est la seule solution valable. Dans le contexte de ces vagues de réforme qui a déferlé dans toutes les provinces sauf l'Ontario - qu'on appelle avec affection le groupe témoin de la sectorisation au Canada -, nous devons sensibiliser les gens à la nécessité d'honorer certains engagements mêmes si les économistes de la santé affirment qu'il n'est pas rentable de le faire. Le sénateur Cook: Merci beaucoup pour toute cette masse d'information. Je dois vous dire que je viens de Terre-Neuve. Je vous ai écoutés en essayant de regarder les choses de l'extérieur, parce que je crois que c'est ainsi qu'il faut le faire. Ce que j'ai entendu ce matin, en restant à l'extérieur, c'est la norme de prestation des services de santé aux gens. Chacun a droit, croit-on, à vivre dans une collectivité sûre, à l'endroit de son choix, à gagner sa vie et à recevoir les soins nécessaires. Ce sont des droits fondamentaux. Compte tenu de l'expérience limitée que j'ai acquise en siégeant pendant neuf ans au conseil d'administration du conseil de la santé de Terre-Neuve, je crois que nous avons des difficultés à gérer le changement. Comment soigner les gens? Comment s'occuper d'une population vieillissante qui souhaite continuer à vivre à la maison? Comment créer un environnement propice à la famille étendue, en permettant aux gens de trouver du travail, de vivre et de faire éduquer leurs enfants? C'est de là, je le soupçonne, que viennent beaucoup des systèmes de soutien dont nous avons besoin à mesure que nous prenons de l'âge et avons besoin de soins. Je ne peux pas m'empêcher de penser que la clé de tout cela, c'est la santé de la population. J'aimerais avoir votre avis sur ce point. Pour moi, la santé de la population comprend tous les éléments, depuis une eau sûre jusqu'aux services sociaux et tout le reste. Il y a ensuite le domaine médical, avec les options telles que les infirmières praticiennes. Quand j'étais enfant, nous avions des infirmières dans les petits villages éloignés. J'ai oublié le nom de l'ordre auquel elles appartenaient. Après avoir construit des routes, nous avons pensé pouvoir nous passer des infirmières. Quand nous avions un malade, nous le mettions dans une ambulance pour le transporter à l'hôpital le plus proche, quelque 300 kilomètres plus loin. Dans mon petit coin isolé de la côte, nous avions un bateau-hôpital. C'était dans les années 40, et ce bateau avait même un appareil à rayons X. Encore une fois, nous avons bâti des routes et avons tout centralisé. Il doit être terriblement difficile de persuader des professionnels compétents d'aller dans les régions éloignées et de donner des soins holistiques. Il y a quelques regroupements de population, avec une clinique au centre. Je ne veux même pas penser au genre de vie que ces gens et leur famille peuvent mener dans ses collectivités. C'est une toute autre histoire. Nous faisons faire aux enfants 50 ou 60 kilomètres en autobus pour aller à l'école. Il n'y a plus de patinoires pour jouer au hockey. La qualité de la vie est le vrai problème. S'ils aiment faire du ski, ils auront beaucoup de montagnes. Cela dépend des aptitudes sociales et des aspirations de ces professionnels. Dr Wooton: Je vais m'en tenir à vos observations. Comme vous le savez probablement, Santé Canada a adopté une approche fondée sur la santé de la population. Lorsque je suis arrivé au ministère, venant d'un milieu axé sur le service individuel, il m'a fallu un certain temps pour m'adapter à l'approche de la santé de la population. De toute évidence, on peut gagner en efficacité en considérant des groupes dans leur ensemble. Leurs caractéristiques ressortent mieux. On peut planifier plus efficacement la prévention en observant des personnes semblables dans des conditions semblables. Il est alors possible de concevoir un système particulièrement adapté à la situation. On trouve dans la littérature spécialisée des renseignements de plus en plus importants à l'appui de l'approche de la santé de la population, ainsi que de la planification et de la prévention basées sur cette approche. La difficulté, en zone rurale, est qu'il n'existe pas d'université dans chaque région pour gérer le processus. Il n'y a pas de gestionnaire parallèle de la santé de la population dans la plupart des endroits. En assumant des fonctions à Santé Canada, j'avais l'intention de transmettre les connaissances acquises grâce à l'approche de la santé de la population aux membres du personnel de la santé partout où ils se trouvaient. Nous ne devrions pas concentrer toute notre attention sur les soins parce qu'ils ne constituent que l'un des déterminants de la santé. Nous devons considérer la pauvreté, la situation particulière des femmes et des enfants et les différents groupes de population. Dans les régions rurales, les travailleurs de la santé doivent parfois changer leur optique, par exemple pour traiter une urgence survenue sur la route, chaque fois que c'est nécessaire. Dans mon approche de la restructuration des services de santé ruraux, j'estime que nous devons nous servir de cette information, mais nous ne vivons pas dans un monde où il est possible de prévenir n'importe quoi. Cela est impossible. En même temps, nous ne pouvons pas faire abstraction des causes profondes de la maladie parce qu'alors, nous aurions à traiter encore et toujours des maladies qu'il est possible de prévenir. Nous devons intégrer les deux voies de la recherche scientifique. Les régions rurales constituent un bon laboratoire pour l'intégration des deux approches parce que les populations sont mieux définies. Il est plus facile de dégager les facteurs qui affectent la santé. Si l'unique industrie d'une petite ville ferme ses portes, les effets sur la santé sont tout de suite évidents. L'information n'est pas masquée comme elle peut l'être dans un environnement urbain plus étendu et plus complexe. Nous devons adopter une approche d'intégration. On peut espérer que certaines des réformes permettront de réunir dans des équipes différents genres de fournisseurs de soins et de tenir compte de différentes perspectives. Dr Hutten-Czapski: Dans le domaine de la santé, j'ai souvent recours à l'analogie de la colline. Au sommet, les responsables de la santé de la population construisent des garde-fous. Les patients qui boivent ou fument passent par-dessus les garde-fous et tombent au bas de la colline, où médecins et infirmières soignent leurs fractures. Cette question a deux aspects. Nous avons évidemment besoin de construire des garde-fous au sommet de la colline, mais nous devons en même temps nous occuper des blessés qui sont tombés en bas. Les deux aspects du travail sont importants. J'ai ici un graphique qui montre une différence de quatre ans dans l'espérance de vie des femmes entre les différentes régions du Canada. Dans le domaine de la santé de la population, un écart de quatre ans est énorme. Il ne peut pas s'expliquer par la pénurie de médecins ruraux. S'il nous était possible de guérir tous les genres de cancer en administrant une pilule qui n'aurait aucun effet secondaire, nous n'augmenterions l'espérance de vie que de 2,3 années. Cette disparité dans l'espérance de vie est une question relevant de la santé de la population, une question faisant intervenir des facteurs tels que la santé des Autochtones et la situation socio-économique. Le fait que des gens meurent plus jeunes ne signifie pas qu'ils n'ont pas besoin de médecins et d'infirmières. Nous devons nous occuper des deux problèmes. Cela est clair. Le sénateur Cook a également mentionné l'absence de choses telles que des patinoires pour jouer au hockey et la difficulté d'attirer des professionnels dans les régions rurales. La recherche a abouti à une conclusion importante au sujet des services médicaux ruraux: s'il est vrai que beaucoup de médecins s'établissent dans les villes, une proportion assez importante des étudiants venant de régions rurales vont y revenir parce qu'ils se sentent plus à l'aise dans une culture rurale. Les pommiers ne poussent pas sous les tropiques et, inversement, nous aurions de la difficulté à trouver des bananiers productifs dans l'île Fogo. C'est une réalité inéluctable. L'une des solutions consisterait donc à former des gens venant de régions rurales pour leur permettre d'y dispenser des services de santé. Il sera plus facile de les retenir. M. Tholl: Mes observations iront dans le même sens. Il y a juste 42 jours, j'étais chef de la direction de la Fondation des maladies du c9ur du Canada. Je ne crois pas qu'on puisse trouver un organisme plus attaché à la santé de la population, à la promotion de la santé et à la prévention de la maladie. Je suis maintenant chef de la direction de l'Association médicale canadienne. Je voudrais simplement noter que, beaucoup trop souvent, on a tendance à mettre en opposition la santé et les soins. Même les architectes de la santé de la population, Evans, Barer et Stoddard, sont opposés à ce qu'on le fasse. Ordinairement, le problème est économique: comme il n'y a pas assez d'argent pour s'occuper de tout, il faut choisir comment dépenser des fonds limités. J'utiliserai une analogie différente, celle de la Déclaration de Leeds. C'est là un des premiers documents qui m'a aidé à comprendre. Voici de quoi il s'agit: il y a un mode de pensée axé sur ce qu'il y a en amont et un autre, basé sur ce qu'il y a en aval. Des gens sautent, tombent ou sont poussés dans la rivière pour une raison ou pour une autre. En aval, des personnes essaient de les repêcher et de les sauver de la noyade. En réalité, un chirurgien cardio-thoracique n'aurait rien à faire en amont, son travail se trouvant exclusivement en aval. À court terme, nous devons considérer les deux aspects, non pas comme deux réalités mutuellement exclusives, mais comme des éléments qui coexistent, l'un en amont et l'autre en aval. Sauvons donc les gens qui ont fumé comme des cheminées - parce que c'est le droit des Canadiens de le faire - lorsqu'ils arrivent en aval mais, en même temps, plaçons quelques nouvelles ressources en amont pour aider les jeunes à résister à l'attrait du tabac à l'âge de 13 ans. Je sais qu'un autre sénateur s'en occupe. Le sénateur Cook: Je sais qu'il y a à l'heure actuelle toutes sortes de ressources humaines pour dispenser les services de santé dans un environnement très complexe. Comment faire pour attirer en milieu rural les ressources disponibles, comme la télémédecine, les infirmières praticiennes qui pourraient s'occuper plus particulièrement de la santé des femmes et d'autres ressources qui, à mon avis, ne font pas l'objet de mesures aussi complètes qu'il faudrait? Nous pourrions établir une clinique futuriste, mais les gens n'iront pas là si elle n'est pas dotée de l'équipement le plus moderne. Il y a cependant des facteurs économiques et des immobilisations qui entrent en jeu, qu'il s'agisse d'un appareil de mammographie, de télémédecine ou d'autres choses reliées à la distance. Je considère tout cela du point de vue de ma propre province. Avez-vous connaissance de renseignements basés sur des faits ou de conclusions de recherche qui pourraient contribuer à éliminer ces obstacles? Dre Kulig: Il y a un projet financé par la Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé à Taber, en Alberta. Le projet emploie des médecins salariés dans le cadre d'une approche intégrée. Le patient peut voir dans la même journée une infirmière de santé publique, une infirmière praticienne et un médecin, de façon à franchir toutes les étapes en même temps. C'est un projet de trois ans qui en est à sa dernière année et qui a déjà eu quelques merveilleuses retombées. L'infirmière praticienne qui a été engagée avait travaillé dans un poste isolé du Yukon pendant des années. Elle s'occupe principalement de la santé des femmes. Elle a également acquis une certaine expérience en matière de multiculturalisme parce que nous avons dans cette région un grand nombre de Mennonites venant du Mexique, de Belize et du Paraguay. C'est un groupe avec lequel il est très difficile de travailler. Je le fais moi-même depuis six ans. Une infirmière s'occupe donc de leur santé, ce qui est beaucoup parce qu'il s'agit d'un groupe religieux très conservateur. C'est là un autre projet dont le comité voudra peut-être examiner les résultats. Nous avons l'impression que, malgré toutes les difficultés, ce projet a permis de s'occuper de la santé des habitants des régions rurales d'une nouvelle façon. Vous pourriez également étudier des régions du Nord canadien où se trouvent des postes isolés dispensant des soins infirmiers, pour voir comment on a réglé ces questions. J'ai été moi-même infirmière dans l'un de ces postes. Il y a des programmes qui pourraient s'appliquer à d'autres régions de votre province. Je connais une personne de Terre-Neuve qui participe à notre étude nationale des soins infirmiers. Elle aussi a une vision d'ensemble qui lui permet de comprendre des questions telles que la télémédecine, la santé des femmes et les infirmières praticiennes. Le sénateur Robertson: Est-ce que les témoins reviendront cet automne? Le président: Oui, ils reviendront, séparément ou en groupe. Le sénateur Robertson: Il est impossible d'absorber toute cette matière en si peu de temps, mais j'ai quand même une ou deux questions rapides à poser. Je note qu'on a annoncé la création d'un conseil ministériel de la santé rurale, mais que, d'après la Société de la médecine rurale du Canada, le projet semble en suspens. Auriez-vous des commentaires à ce sujet? Est-ce que ce conseil jouerait un rôle important? Dr Wooton: Je peux vous mettre au courant des développements les plus récents. Je crois que le retard est attribuable aux élections fédérales de l'automne ainsi qu'à d'autres facteurs connexes. Le ministre l'a effectivement annoncé à Chesterville en juin dernier. Les préparatifs ont commencé et le financement nécessaire est prévu. Je crois que le conseil sera établi d'ici peu de temps. Le sénateur Robertson: C'est une bonne nouvelle. M. Tholl a parlé des immigrants qui sont des professionnels de la santé et de ce qu'il convient d'en faire, des moyens de faire venir ces professionnels et de les utiliser à leur arrivée. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Vous l'avez abordé un peu vite, je crois. M. Tholl: Je peux vous assurer que ce n'était pas intentionnel. En fait, cette question revêt une certaine importance dans le tableau d'ensemble. Nous nous sommes entretenus ce matin avec la ministre Caplan pour examiner les questions reliées à l'immigration. En gros, les écoles canadiennes de médecine forment chaque année entre 1 600 et 1 800 médecins. D'après les annonces faites récemment, ce nombre devrait augmenter. Nous avons encore tous les ans environ 400 médecins qui viennent de l'étranger, invités ou non, et dont beaucoup finissent par exercer dans des collectivités rurales et éloignées. J'essayais d'expliquer au comité qu'en examinant le plan national d'ensemble, il faut tenir compte du nombre de médecins qui quittent le Canada chaque année et du nombre de médecins qui arrivent, surtout pour s'assurer que ces derniers ont la formation nécessaire et ne viennent pas chez nous en s'attendant soit à être facilement agréés comme spécialistes ou autrement, soit à faire une année de purgatoire en Saskatchewan en attendant de s'établir à Toronto. Dans ce contexte, nous examinons en particulier les dispositions du projet de loi C-11 et ce que signifie un permis temporaire d'exercer la médecine au Canada. Est-ce limité à une seule province, où est-ce que le permis permet au titulaire d'exercer n'importe dans le pays une fois qu'il a le statut de résident permanent? C'est la question particulière que je mentionnais et qui revêt une certaine importance dans le contexte d'une solution à court terme. Pour quelque raison que ce soit, nous nous ne pouvons pas continuer à compter sur des médecins venant d'Afrique du Sud ou d'autres régions du monde pour répondre à nos besoins à court terme. Nous devons élaborer un plan national permettant de former un nombre suffisant de médecins. Le sénateur Robertson: Et que feriez-vous d'eux après qu'ils auront fait leur temps, comme vous le dites? Le président: Nous trouverons un meilleur moyen d'exprimer cela dans notre rapport. M. Tholl: Ceux qui réussiront aux examens prévus auront le droit d'exercer là où ils le veulent, conformément à la liberté de circulation et d'établissement. Comme résidents du Canada, ils seraient autorisés à exercer à l'endroit de leur choix. Toutefois, tant qu'ils détiennent un permis temporaire, ils devraient être tenus de rester dans une seule province. Le sénateur Robertson: C'est logique. Je vous remercie. Dans le rapport sur la situation des services de santé ruraux, il y a un mot qui saute aux yeux. La quatrième priorité de la stratégie nationale de santé rurale est d'assurer «un financement pour permettre aux universités...» et cetera. Quelle est votre définition de «permettre» dans ce contexte? Dr Hutten-Czapski: Comme je l'ai dit, le médecin rural est actuellement le produit d'un accident plutôt que d'un processus planifié. En fait, la plus grande école de médecine qui intéresse particulièrement le Canada rural comme source de médecins est celle de l'Université de Johannesburg. Nous avons 1 500 médecins venant d'Afrique du Sud en Saskatchewan. Plus de la moitié des médecins ruraux en Saskatchewan ont été formés ailleurs. Le président: Vous dites plus de 50 p. 100? Dr Hutten-Czapski: C'est effectivement plus de 50 p. 100 en Saskatchewan. Le président: Je trouve ce nombre vraiment astronomique. Dr Hutten-Czapski: Je devrais peut-être signaler que, parmi les établissements canadiens, celui qui se distingue le plus à cet égard est l'université Laval. Le sénateur Morin: C'est la meilleure université du pays! Dr Hutten-Czapski: Je ne suis pas surpris de vous entendre dire cela! Le président: Pour ceux qui ne le sauraient pas, le sénateur Morin était doyen de la faculté de médecine de Laval avant de venir au Sénat. Dr Hutten-Czapski: Le programme d'études y est favorable aux ruraux. C'est exactement ce dont nous avons besoins. Nous avons besoin d'universités qui agissent ainsi. Les universités sont très sensibles à l'argent, parce qu'elles n'en ont jamais. Si on leur donne de l'argent en lui disant: «Établissez un programme pro-rural», elles le feront sans tarder. La question est de savoir si elles y mettent assez de conviction. Pour le faire, elles doivent être visionnaires, comme Laval, ou accepter les pots-de-vin. Une façon de les motiver consiste à leur dire: «Développez donc un programme établissant comment faire, puis nous vous donnerons encore plus d'argent pour le mettre en 9uvre. Si vous avez un plan en cinq points et que vous nous donniez un point, vous aurez X dollars. Si vous nous en donnez deux, vous aurez Y dollars.» Voilà comment nous pouvons amener les universités à adopter à court terme une attitude pro-rurale, d'une part dans le recrutement d'étudiants venant de régions rurales, ce qui est important, et de l'autre, en établissant des programmes d'études qui apprennent aux gens à pratiquer la médecine même s'ils ne disposent pas d'un tomodensitomètre dans la cave de la maison. Le sénateur Robertson: Vous devriez plutôt dire «encourager». Le président: Nous parlerons d'incitatifs plutôt que de pots-de-vin. M. Tholl: Laval a certainement une leçon à nous apprendre. Je voudrais noter, pour la gouverne du comité, que lorsqu'on examine le taux de succès au chapitre de l'envoi et du maintien en fonction des médecins dans les zones rurales et éloignées, il y a des données intéressantes reliées à l'école où ces médecins ont obtenu leur diplôme. Par exemple, l'Université McMaster a, sur ce plan, trois fois le taux de succès de l'Université de Toronto à cause de son programme d'études. L'Université de Calgary a également eu beaucoup de succès avec des programmes de premier cycle qui apprennent aux médecins à mieux affronter les problèmes professionnels de l'exercice en milieu rural. Nous disposons de données qui montrent que l'école de médecine joue un rôle assez important dans l'établissement à long terme des médecins dans les régions rurales et éloignées. Le sénateur Callbeck: Les questions qui m'intéressaient ont déjà été posées, mais je tiens à remercier les témoins. Venant moi-même d'une région rurale de l'Île-du-Prince-Édouard, je suis très consciente de la plupart des problèmes que vous avez évoqués ce matin. Le président: J'ai quelques renseignements à demander au Dr Hutten-Czapski. Dans votre première recommandation, vous avez parlé de réduire les obstacles structurels. Il serait utile pour nous que vous puissiez préciser ces obstacles plutôt que d'en parler d'une façon générique. Je sais que vous en connaissez la nature et je me doute des raisons pour lesquelles vous les avez mentionnés d'une façon générale ici. Mais je vous serais reconnaissant de nous envoyer, sous forme d'une liste très brève de trois ou quatre points, les principaux obstacles auxquels vous pensez. Dr Hutten-Czapski: Je le ferai avec plaisir, mais je vais dire très brièvement que les trois comités peuvent surmonter les obstacles structurels. Je ne suis pas du tout un expert de la procédure gouvernementale et je craindrais donc de m'aventurer à recommander des mesures précises pour vaincre l'inertie. Le président: Je vous remercie tous d'être venus. Nous avons eu une séance extrêmement fructueuse. Comme nous avons l'intention de tenir des audiences à différents endroits cet automne, nous vous reverrons certainement plus près de chez vous. La séance est levée.