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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 7 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 4 décembre 2002

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, saisi du projet de loi C-8, Loi visant à protéger la santé et la sécurité humaines et l'environnement en réglementant les produits utilisés pour la lutte antiparasitaire, se réunit aujourd'hui à 16 h 15 pour examiner ledit projet de loi.

Le sénateur Marjory LeBreton (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La vice-présidente: Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Nous accueillons cet après-midi Shauneen Mackay, du New Tecumseth Environmental Watch; Michel Gaudet, de la Coalition pour le remplacement des pesticides (Québec); et la Dre Meg Sears, du Groupe de travail sur les dangers pour la santé liés à l'usage des pesticides en milieu urbain (HDUUP).

Avant de commencer la réunion, je voudrais proposer, avec votre permission, de quitter le fauteuil et de demander au sénateur Morin de présider à ma place. Je dois représenter le comité à une réception qui est organisée ce soir pour le Dr Keon, et comme d'habitude, j'ai attendu la toute dernière minute pour me préparer.

D'accord?

Honorables sénateurs: D'accord.

Le sénateur Yves Morin (président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant: Je voudrais tout d'abord remercier les témoins de leur présence aujourd'hui.

[Traduction]

Si je comprends bien, monsieur Gaudet, vous êtes prêt pour la présentation de votre mémoire. Vous pouvez vous exprimer dans la langue de votre choix.

[Français]

M. Michel Gaudet, Coalition pour le remplacement des pesticides (Québec): La Coalition pour le remplacement des pesticides (Québec) a été fondée en décembre 1999 par un groupe de personnes touchées par les pesticides. Au nom de nos 25 000 membres, je désire donc vous faire part de nos préoccupations et de nos recommandations en ce qui concerne le projet de loi C-8.

Nous reconnaissons que le projet de loi C-8 représente une amélioration par rapport à la loi qui est actuellement en vigueur. Nous nous permettons, cependant, d'attirer votre attention sur les éléments suivants.

Selon Santé Canada, les femmes enceintes devraient éviter tout contact avec les pesticides. Le Code fédéral sur les pesticides d'Environnement Canada prévoit que si la vitesse du vent ne dépasse pas 10 kilomètres de l'heure, et si la température n'est pas supérieure à 25 degrés Celsius, l'entraînement des pesticides tels que le Killex est de 100 mètres, ce qui veut dire qu'entre 25 et 30 maisons seront touchées en moyenne. Nous estimons avoir le droit de ne pas être exposés à des produits chimiques indésirables. Voilà des raisons parmi d'autres d'interdire l'utilisation des pesticides à des fins esthétiques. Ceci garantirait une protection égale à tous les Canadiens.

Nous avons pris bonne note du fait qu'il est désormais question d'appliquer le principe de prudence lors de la réévaluation d'un produit. Cependant, nous estimons qu'il convient aussi de respecter ce principe au moment de l'homologation d'un nouveau produit. De plus, ce principe devrait être d'application générale, de sorte que les produits les plus toxiques seraient remplacés par des produits de remplacement non chimiques et des biopesticides. En outre, nous estimons que le projet de loi C-8 devrait compter une disposition prévoyant la réduction des risques.

Il est essentiel que le projet de loi C-8 précise des échéanciers précis pour les réévaluations de pesticides qui s'effectuent et continueront de s'effectuer.

Le projet de loi C-8 prévoit que l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, l'ARLA, ne serait pas autorisée à homologuer un produit pour utilisation au Canada à moins qu'elle ait déterminé que les risques pour la santé et pour l'environnement et que la valeur des pesticides sont «acceptables». Cela voudrait dire que de l'avis de l'Agence, il y aurait une «certitude raisonnable» que l'homologation d'un produit n'entraîne aucun danger pour la santé humaine, pour de futures générations ou pour l'environnement. Nous félicitons le gouvernement pour cette initiative, et nous insistons sur la nécessité, afin d'assurer vraiment un tel niveau de protection, de définir avec précision l'expression «certitude raisonnable» dans le projet de loi C-8.

Il est également nécessaire de faire mener des études indépendantes sur les principes actifs et les ingrédients inertes des pesticides dont on demande l'homologation, ainsi que sur des produits mixtes ou les préparations. Ces études devraient porter entre autres sur l'effet synergique des produits de mélanges. Elles devraient également prévoir d'autres essais, comme ceux qui permettent de détecter la présence d'agents endocriniens perturbateurs, de dysfonction immunitaire, de neurotoxicité, d'action carcinogène, et cetera, afin de déterminer si le pesticide, des mélanges ou des préparations vont avoir pour effet d'accroître la charge toxique de notre environnement — c'est-à-dire de l'eau, de l'air et de la terre.

Il convient aussi d'appliquer une marge de sécurité obligatoire qui serait supérieure de 10 fois à celle qui s'appliquerait autrement afin de protéger l'ensemble des enfants, y compris les enfants en gestation.

Les effets nocifs d'un pesticide devraient être signalés aux autorités non seulement par les fabricants de pesticides, mais aussi par les médecins, les responsables de la santé publique et les citoyens. Cette information devrait être saisie dans une banque de données nationale et être à la disposition du public.

Les pesticides qui ont des effets nocifs ou ceux qui sont interdits dans d'autres pays membres de l'OCDE devraient immédiatement faire l'objet d'un moratoire jusqu'à ce qu'on puisse en faire une évaluation indépendante. Ceux dont on confirme les effets nocifs pour la santé humaine ou l'environnement devraient immédiatement être retirés du marché, plutôt que d'être éliminés progressivement, comme c'est actuellement le cas.

Nous sommes d'accord pour dire que l'information touchant les ventes de pesticides devrait être signalée au ministre. Nous aimerions que cette information soit ventilée par province et soit mise à la disposition du public, comme c'est actuellement le cas dans la province du Québec. Cette information doit également inclure une ventilation des zones ou régions où sont utilisés les différents produits et à quelles fins.

L'emballage de ces produits devrait également comporter un avertissement très clair — comme pour les cigarettes — en vue de sensibiliser la population aux dangers des pesticides, tout en favorisant les produits de remplacement.

En vue d'assurer une plus grande transparence, le projet de loi C-8 devrait obligatoirement prévoir que les principes actifs et ingrédients inertes de tout produit doivent être déclarés. Ces renseignements devraient d'ailleurs figurer sur l'emballage du produit. L'ARLA accomplit ce travail en notre nom, si bien que toutes les données, y compris les données relatives aux essais, devraient être accessibles au public. De cette façon, tous les citoyens canadiens ont les mêmes possibilités d'accès à l'information.

Étant donné que nous disposons de très peu de données sur l'effet des mélanges de produits, il devrait être interdit de mélanger les pesticides, les engrais, les herbicides et les insecticides. Nous recommandons que la principale, voire même l'unique préoccupation de Santé Canada soit la protection de la santé humaine.

Santé Canada autorise l'utilisation de produits toxiques dans nos collectivités, et donc nous savons qu'un pourcentage de la population tombera malade du fait d'être exposé à de tels produits. Le gouvernement du Canada a-t- il l'intention de créer des centres d'essai et de traitement de ces personnes?

Nous recommandons que des recherches soient obligatoirement menées sur l'effet synergique des pesticides; qu'une démarche soit définie pour la recherche sur les pesticides à incidences limitées, non toxiques et biologiques; et qu'un mécanisme soit établi pour permettre la présentation des résultats d'études scientifiques indépendantes.

Dre Meg Sears, Groupe de travail sur les dangers pour la santé liés à l'usage des pesticides en milieu urbain: Honorables sénateurs, merci de m'avoir invitée à comparaître devant vous aujourd'hui.

À Ottawa, nous avons examiné, et continuons d'examiner, la possibilité d'élaborer un règlement municipal qui interdirait l'utilisation des pesticides à des fins esthétiques. J'ai comparu devant le comité de la Chambre au printemps, et depuis, nous avons suivi un long processus qui nous a permis d'apprendre beaucoup de choses. Entre-temps, des améliorations importantes ont été apportées au projet de loi C-53, qui est maintenant le projet de loi C-8. Nous en félicitons d'ailleurs le gouvernement. Toutefois, d'autres améliorations s'imposent. Certaines de nos recommandations ont été faites précédemment, mais la plupart d'entre elles sont nouvelles et découlent de notre expérience des derniers mois.

La première recommandation, et la plus importante, consiste à modifier la définition du terme «parasite». Le projet de loi définit ainsi ce terme: «organisme qui est nuisible, nocif ou gênant». Or nous estimons que les Canadiens ne sont pas de si petites natures — autrement dit, nous n'avons pas besoin de produits toxiques pour traiter quelque chose qui serait simplement «gênant». Nous recommandons par conséquent que le mot «gênant» soit supprimé de cette définition. Si nous n'utilisions plus les produits toxiques pour traiter quelque chose de simplement «gênant», nous n'aurions plus à utiliser les produits chimiques à des fins esthétiques.

Au cours des derniers mois, nous avons constaté qu'il y a une grande différence entre la perception qu'ont les gens de l'information publiée par l'ARLA, et la perception qu'ont les médecins d'Ottawa de l'évolution de l'état de santé de leurs patients. En annexe de notre mémoire, vous trouverez d'ailleurs les déclarations de quatre médecins de renom de la collectivité. Le premier est le Dr Alex MacKenzie, directeur de l'Institut de recherches de l'Hôpital pour enfants de l'Est de l'Ontario. Dans sa déclaration, il parle de l'évaluation des effets nocifs des pesticides. Le Dr MacKenzie fait évidemment des recherches médicales. Il conclut que la décision en ce qui concerne les risques qu'il convient de courir pour jouir de certains avantages est une décision politique, mais que les résultats de la recherche médicale et les outils scientifiques qui sont actuellement disponibles ne permettent pas d'en arriver à une évaluation juste des risques que présente ce produit pour la santé et qu'il convient donc d'exiger que les avantages soient plus importants avant d'accepter de s'exposer à des risques inévitables.

J'ai également annexé des lettres rédigées par le Dr Paul Claman, spécialiste de l'infertilité et de l'endocrinologie de l'appareil génital; le Dr Richard van der Jagt, président du Groupe canadien des études sur la leucémie; et la Dre Jennifer Armstrong, spécialiste de la médecine environnementale.

Même si nous n'avons pas de règlement municipal sur l'utilisation des pesticides à Ottawa, nous avons certainement réussi à sensibiliser davantage la collectivité médicale à l'importance de ce problème. La collectivité médicale est unanime à affirmer que les pesticides nuisent à la santé des Canadiens en raison de la situation actuelle. Et les effets nuisibles de ces produits coûtent cher aux Canadiens. C'est un problème d'envergure nationale, étant donné que les effets sur la santé humaine et la fonction cognitive en particulier des pesticides touchent nos jeunes de façon insidieuse et compromettent ainsi notre avenir.

Nous insistons aussi sur le fait qu'il s'agit d'un problème urgent, car tous les jours des enfants naissent dont les mères ont le lait contaminé par les pesticides, et selon nos observations, les enfants sont de plus en plus touchés par la maladie.

Nous recommandons que le Canada retienne les mesures les plus rigoureuses de toutes celles appliquées par les pays de l'OCDE. Autrement dit, si un pesticide a été retiré du marché ou si l'homologation de certains produits a été abrogée dans n'importe quel pays de l'OCDE, et pour n'importe quelle raison, ces produits devraient également être retirés de notre marché en attendant que d'autres évaluations soient faites.

J'ai également des recommandations précises à vous présenter concernant l'incorporation, dans le préambule du projet de loi, du principe de prudence. Selon nous, il faut évaluer de façon réaliste le degré de risque pour que la charge de la preuve pour l'homologation d'un pesticide soit plus onéreuse que pour la déshomologation d'un pesticide.

Nous recommandons également que les essais de toxicité portent sur tous les principes et ingrédients. Ainsi nous recommandons que des combinaisons de pesticides fassent l'objet d'essais lorsque la possibilité existe qu'on soit exposé simultanément à plus d'un produit chimique. Par exemple, un préposé à l'entretien des pelouses pourrait être exposé à des herbicides, des insecticides et des fongicides. Par conséquent, les essais de toxicité doivent être réalistes pour ce qui est des combinaisons de pesticides et des combinaisons d'ingrédients inertes et de formulants auxquelles on peut être exposé. Nous avons formulé des recommandations précises à cet égard.

Nous observons à présent des changements au sein de la société et surtout chez nos enfants. Mais pour être à même de bien évaluer ces changements, les épidémiologues ont besoin d'information de base. Nous entendons dire sans arrêt qu'il n'y a pas de preuves que les pesticides nuisent à la santé des humains. Les données scientifiques ne sont pas assez fiables; et nous n'avons pas de preuves. Si c'est le cas, c'est en partie parce que nous ne savons absolument pas ce qui est pulvérisé, ni quand, ni où. Il nous faut donc absolument une base de données consignant l'information sur les ventes, et une autre pour saisir les données sur l'utilisation et sur tous les ingrédients de produits.

La possibilité que ces renseignements puissent être considérés comme des renseignements de fabrication nous semble tout à fait absurde car l'équipement scientifique actuellement disponible permet de faire une analyse de tout produit pour savoir ce qu'il contient. Ainsi tout fabricant peut savoir ce que contient un produit concurrentiel. Donc, il n'y a pas d'avantages concurrentiels à protéger en refusant de divulguer cette information; par contre sa non-divulgation freine la recherche scientifique. Les gens ne peuvent pas vraiment savoir ce qui se passe au sein de la société en l'absence d'information.

Nous recommandons par conséquent que les effets nuisibles de ces produits soient documentés de la façon la plus détaillée possible. D'ailleurs, j'ai remis à la greffière du comité, entre autres documents supplémentaires, une communication parue au printemps dans le Journal de l'Association médicale canadienne. On y affirme que la plupart des cas d'empoisonnement impliquant les pesticides ne sont même pas reconnus comme tels dans les salles d'urgence. Le personnel se contente de traiter les symptômes et à leur sortie de l'hôpital, les gens continuent à faire ce qu'ils ont toujours fait.

Mais les effets nuisibles des pesticides sont réels. Ils se manifestent tout le temps. Il convient donc d'en faire le suivi, de les déclarer aux autorités et de transmettre cette information au public.

Je vous ai déjà parlé de l'OCDE. Encore une fois, dans chaque article où il est question d'évaluation des risques et des avantages, il conviendrait à mon avis, si l'on souhaite améliorer ce projet de loi, d'y prévoir l'application du principe de prudence.

Enfin, on sait à présent que la perturbation des systèmes endocrinien et immunitaire est causée par les pesticides, et il serait donc approprié d'inclure ces définitions dans le projet de loi.

Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Shauneen Mackay, New Tecumseth Environment Watch: Honorables sénateurs, merci de nous donner aujourd'hui l'occasion de vous adresser la parole.

J'ai eu le grand honneur de recevoir la Médaille de la gouverneure générale pour le travail que j'effectue dans le secteur environnemental. La question des pesticides me préoccupe depuis plus de 10 ans. À l'heure actuelle, mon travail vise à faire adopter un règlement municipal sur les pesticides par notre collectivité.

Je tiens à vous signaler que j'ai obtenu une consultation juridique. Comme j'ai ajouté deux paragraphes à la fin de mon mémoire, je vais devoir le renvoyer par courriel à la greffière du comité, et elle vous en fournira des copies papier. Je passe donc immédiatement à mon texte.

Il y a 30 ans, on nous a dit que le tabac était nocif pour la santé, mais le gouvernement voulait attendre d'avoir des preuves. Aujourd'hui, nous avons effectivement la preuve que le tabac est nocif pour la santé. La longue et douloureuse maladie de ma mère le prouve bien: elle fumait deux paquets de cigarettes par jour et le cancer des poumons qu'elle a développé s'est finalement transformé en tumeur au cerveau qui lui a été fatal. Peu avant sa mort, sa gorge a commencé à s'obstruer et elle paniquait à l'idée de ne plus pouvoir respirer.

On nous dit à présent que les pesticides sont nocifs pour la santé. Dans notre ville et un peu partout au Canada, des mères et des pères de famille sont révoltés à l'idée que leurs enfants ou leurs animaux de compagnie soient inutilement exposés tous les ans à ces poisons. Au lieu d'avoir hâte au printemps de se promener au grand air, bien des gens redoutent l'assaut des bouillies de pesticides.

Le vrai enjeu n'est pas l'impact sur l'agriculture. Les agriculteurs sont tout à fait conscients des dangers des pesticides, puisqu'ils doivent obtenir un permis et une formation en bonne et due forme avant d'en faire usage. Je suis convaincue que les agriculteurs aiment les bébés et les enfants tout autant que n'importe qui, et qu'ils ne les laisseraient jamais courir dans un champ fraîchement aspergé de pesticides. Je suis certaine qu'ils appuieront l'interdiction de l'utilisation des pesticides à des fins esthétiques.

Le vrai enjeu n'est pas non plus la possibilité que des emplois soient perdus. La demande de fruits et légumes biologiques et de services d'entretien écologiques des pelouses croît rapidement: c'est un secteur en pleine expansion dont le chiffre d'affaires dépasse un milliard de dollars et qui crée beaucoup d'emplois.

Le vrai enjeu est la responsabilité et l'obligation morale du gouvernement fédéral de protéger ses citoyens. Avec la technologie moderne, nous ne pensons pas qu'il faudra encore 30 ans pour prouver, sans l'ombre d'un doute, que les pesticides nuisent à la santé. En un mot comme en cent, les pesticides tuent les cellules. Et nous sommes faits de cellules. Il faudra, semble-t-il, seulement cinq ou six ans pour obtenir les preuves nécessaires. Nous pourrions comprendre que ce problème soit jugé délicat s'il n'existait aucune autre façon d'obtenir un beau gazon, mais ce n'est pas le cas. Nous, habitants de la ville de New Tecumseth et des milliers d'autres Canadiens, demandons donc au gouvernement fédéral de prendre les mesures suivantes:

D'abord, de jouer un rôle de chef de file pour interdire l'utilisation des pesticides à des fins esthétiques en milieu urbain. Les fabricants de produits chimiques ont une arme des plus puissantes dans leur arsenal: le fait que le gouvernement fédéral ait homologué leurs produits. Ils s'en servent pour empêcher les municipalités de faire adopter des règlements interdisant l'utilisation des pesticides. Nous les membres du New Tecumseh Environment Watch avons constaté, en faisant du porte-à-porte auprès de nos voisins pour leur expliquer les dangers liés à l'utilisation des pesticides, que la majorité d'entre eux pensaient que si les pesticides étaient vraiment dangereux, le gouvernement n'en autoriserait pas la vente. En interdisant l'utilisation des pesticides à des fins esthétiques, le gouvernement fera en sorte que nos bébés, nos enfants et nos animaux de compagnie ne seront pas exposés à ces toxines dangereuses. C'est là votre devoir et votre responsabilité.

Deuxièmement, exiger la divulgation des ingrédients inertes pour que nous sachions vraiment à quoi on nous expose. Comment peut-on évaluer un produit si on ne sait même pas de quoi il se compose?

Troisièmement, nous demandons au gouvernement de mettre davantage l'accent les solutions de rechange et d'accorder un soutien accru aux entreprises d'entretien écologique des pelouses et des jardins.

Nous souhaitons également que la Loi sur les produits antiparasitaires soit réexaminée tous les cinq ans.

Enfin nous exhortons le gouvernement fédéral à demander des garanties aux fabricants de produits chimiques. Nous sommes d'avis que, si les Canadiens avaient toutes les informations voulues et savaient à quel point les pesticides nuisent à leur santé, on pourrait intenter des recours collectifs pour tenter de récupérer les milliards de dollars de frais que les pesticides ont occasionné à notre système de soins de santé. Si les fabricants de produits chimiques, dont la seule priorité est d'assurer un rendement acceptable à leurs actionnaires, continuent à dire que leurs produits ne présentent aucun risque, il faut que vous insistiez pour qu'ils obtiennent d'un assureur indépendant une évaluation du tort que ces produits chimiques pourraient causer à la santé des Canadiens. Toutes les entreprises qui vendent ces produits doivent obtenir une assurance-responsabilité civile.

Il arrive par ailleurs que les fabricants de produits chimiques qui sont trouvés coupables de négligence ayant causé la mort ou des blessures optent simplement pour la faillite. Il faut trouver un moyen de les faire payer, même s'ils font faillite.

Comme vous pouvez le constater, honorables sénateurs, nous ne vous demandons pas de priver des travailleurs de leur emploi. Nous ne vous demandons pas d'empêcher les agriculteurs de gagner leur vie. Nous disons simplement qu'il y a des entreprises qui vendent et qui utilisent des produits nocifs pour la santé, notamment pour la santé des plus vulnérables, nos enfants et nos animaux de compagnie.

Les citoyens canadiens ont le droit de s'attendre à ce que leur gouvernement les protège contre les risques pour la sécurité publique qu'il est possible d'éviter. Le Sénat a l'occasion de s'assurer que toutes les mesures nécessaires sont prises afin de prouver, par le biais de contrôleurs indépendants, qualifiés et objectifs, que les pesticides utilisés à des fins esthétiques sont tout à fait sûrs et sécuritaires.

Bien que cela suppose peut-être qu'il faudra déclarer un moratoire sur l'utilisation des pesticides à des fins esthétiques au cours de cette période de vérification, il s'agit là d'un léger contretemps auquel les Canadiens s'attendraient, à notre avis, en pareille situation. L'alternative est tout simplement inacceptable — autrement dit, il faudrait accepter de maintenir le statu quo à moins et en attendant que l'on trouve que les pesticides utilisés à des fins esthétiques présentent un risque pour la santé. Et cette preuve prendrait forcément la forme de décès, d'invalidités, d'anomalies et de souffrances inutiles chez les personnes les plus vulnérables.

Bien que les victimes pourraient éventuellement être indemnisées par suite de recours collectifs et individuels, cette indemnisation ne saurait jamais leur redonner les rêves, espoirs et aspirations qui ne seraient plus à leur portée, et ne leur rendrait pas non plus leur vie d'autrefois. Il faut donc prendre dès maintenant les mesures que nous impose la prudence.

Je me permets aussi d'attirer votre attention sur le règlement adopté par la municipalité de Hudson, au Québec, visant à interdire l'utilisation des pesticides à des fins purement esthétiques sur les propriétés publiques et privées. L'opportunité de ce règlement a été débattue devant les tribunaux de divers paliers, y compris devant la Cour suprême, qui a statué, dans une décision unanime rendue le 28 juin 2001, que de telles lois établissent un régime réglementaire à trois paliers et que le règlement en question est conforme au principe de prudence du droit international.

Donc, même si les municipalités locales ont manifestement le pouvoir d'adopter des règlements de ce genre à titre préventif, chaque municipalité est touchée par la politique politicienne, et le problème de l'ignorance des risques potentiels et des conséquences pour la santé que peuvent entraîner de tels produits. Ainsi on ne devrait pas s'attendre à ce que les municipalités prennent une initiative de ce genre de leur propre chef, étant donné qu'au mieux, le résultat sera une approche incohérente et fragmentaire, et sans doute de valeur purement symbolique, face à un risque potentiellement important pour la santé humaine.

Voilà pourquoi il est si important que le gouvernement fédéral donne l'exemple. Il a la capacité de recourir à ses pouvoirs constitutionnels considérables pour adopter des lois visant à protéger la santé et le bien-être de la population. Nous vous exhortons donc à faire dès maintenant le nécessaire.

Le président suppléant: Merci beaucoup. Je tiens à vous féliciter. Le travail réalisé par des groupes écologiques comme le vôtre est tout à fait remarquable. C'est la preuve de votre engagement désintéressé vis-à-vis du bien collectif. Souvent les témoins que nous recevons viennent défendre leurs propres intérêts, ce qui est tout à fait légitime. Mais dans votre cas, le travail que vous accomplissez ne vous procure aucun avantage pécuniaire. Vous faites un travail extrêmement important dans votre rôle de gardien. Au nom de mes collègues, je tiens à vous en féliciter et à vous remercier pour votre présence. Vous apportez ainsi une contribution très importante au débat sur la question. Comme vous le savez, le projet de loi a déjà été sensiblement modifié à la suite de l'exposé que vous avez fait devant le comité de la Chambre, et notre comité aussi examinera de près vos recommandations.

Le sénateur Callbeck: Monsieur Gaudet, vous avez parlé dans votre déclaration d'échéanciers et de dates de tombée pour les réévaluations. Les produits sont évalués après 15 ans; cependant, il n'est pas précisé que ces réévaluations doivent être effectuées dans un certain délai. Quelle formulation vous satisferait à cet égard?

M. Gaudet: À l'heure actuelle, nous savons, par exemple, que le 2,4-D a été réévalué au cours des 15 dernières années sans que cela débouche sur quoi que ce soit. Vous pouvez décider qu'un produit sera réévalué à un certain moment, si bien qu'il restera sur le marché pendant une trentaine d'années, et pendant toute cette période, nous serons exposés à ce produit. Nous estimons que si un produit a été interdit ou déclaré nocif dans d'autres pays de l'OCDE, on devrait tout de suite déclarer un moratoire. Il faudrait prévoir un délai maximum pour les décisions touchant les produits. Il ne convient pas de faire réévaluer à tout jamais les produits de ce genre.

Le sénateur Callbeck: Et quel serait un délai raisonnable, à votre avis?

M. Gaudet: Cinq ans.

Le sénateur Callbeck: Et si un pays décide d'interdire l'utilisation de tels pesticides, les autres pays membres de l'OCDE doivent automatiquement en faire autant?

M. Gaudet: Il n'y a que deux pays membres de l'OCDE qui ne réévaluent pas les produits: soit le Canada et la Slovaquie. Tous les autres pays réévaluent les produits et en font le suivi. Au Canada, nous avons des produits homologués depuis 30 ou 40 ans qui sont encore sur le marché, alors qu'ils ne sont pas vendus dans d'autres pays. Dans bien des pays d'Europe, l'utilisation de l'Atrazine n'est plus autorisée; au Canada, par contre, on continue d'utiliser ce produit pour le maïs.

Le président suppléant: D'après ce que je vois à l'alinéa 16(2)a) du projet de loi, un délai est effectivement précisé pour la réévaluation d'un produit. Dans le projet de loi que nous étudions actuellement, un délai est effectivement prévu. Le délai prévu est de 15 ans. À votre avis, ce délai n'est peut-être pas suffisant.

M. Gaudet: Si j'ai bien compris, il faut que les produits soient réévalués tous les 15 ans.

Le président suppléant: C'était ça la question du Callbeck.

Le sénateur Cook: Il a répondu en disant qu'il souhaite que le délai soit de cinq ans.

Le président suppléant: Le délai prévu est actuellement de 15 ans. Je suis d'accord. Je comprends ce que vous dites: ce délai est trop long.

M. Gaudet: Je pensais que la question portait sur le temps qu'il faudrait pour réévaluer les produits. C'est ce que j'avais compris.

Le sénateur Callbeck: C'est-à-dire qu'on pourrait commencer à réévaluer les produits dès la 16e année, mais faut-il prévoir que cette réévaluation dure encore 15 ans?

Vous avez parlé de l'information qui devrait être rassemblée concernant les effets nocifs des pesticides. À mon avis, au paragraphe 8(5) du projet de loi, il est justement prévu que les titulaires de produits parasitaires transmettent au ministre, comme condition d'homologation, des renseignements concernant les ventes du produit. Si je comprends bien, vous estimez que cela ne suffit pas.

M. Gaudet: C'est exact — du moins la Coalition pour le remplacement des pesticides est de cet avis. Ces données devraient être publiques. Si je ne m'abuse, le Québec est la seule province à suivre les ventes et l'usage des pesticides. Les informations sont mises à la disposition du public. Il est possible d'aller sur le site Web du gouvernement du Québec pour avoir tous les chiffres.

Le sénateur Callbeck: Donc, ils suivent les ventes des différents produits?

M. Gaudet: Oui, les ventes.

Le sénateur Callbeck: Et est-ce qu'ils suivent aussi dans quelle région ou quel secteur les pesticides sont utilisés?

M. Gaudet: Ils suivent les secteurs de l'économie qui utilisent tel ou tel autre produit. C'était d'ailleurs l'un des principes qui a poussé le ministère de l'Environnement du Québec à adopter le code qui a été proposé. L'industrie prétendait diminuer son utilisation des pesticides, mais lorsque le gouvernement a examiné les chiffres d'affaires, il s'est rendu compte que la situation n'avait aucunement changé. Autrement dit, il y avait une grande différence entre ce que disaient et ce que faisaient les entreprises.

Le sénateur Callbeck: Donc, vous pourriez vous renseigner sur le chiffre d'affaires et l'usage d'un certain produit dans telle région du Québec?

M. Gaudet: Oui, le gouvernement possède cette information-là.

Le sénateur Keon: Vous avez soulevé, encore une fois, la question du principe de prudence, sur lequel on a beaucoup insisté à la Chambre des communes, et nous-mêmes en avons parlé précédemment dans le cadre de nos audiences, et cetera. On se demandait s'il conviendrait ou non de l'inscrire au préambule du projet de loi. Pour ma part, j'ai fini par me rendre compte que ce n'était probablement pas très utile de l'y incorporer et qu'il n'est pas assez précis.

Est-ce que l'un d'entre vous pourrait m'expliquer, puisque vous avez encore une fois soulevé la question, pourquoi il est si important de l'y inscrire?

M. Gaudet: Nous n'insistons absolument pas pour l'inscrire au préambule, puisque cela nous semble parfaitement inutile. C'est un peu comme un contrat de travail avec son employeur: ce qui est inscrit au préambule ne vaut rien; ce sont les dispositions du contrat proprement dit qui comptent. Voilà pourquoi il faut l'incorporer dans le texte de loi lui- même. Et c'est pour cette même raison que nous demandons que ce principe soit inscrit dans la loi à des paliers précis, parce qu'un préambule n'a aucune valeur sur le plan juridique. C'est un voeu pieux, mais sur le plan juridique, ça ne vaut rien.

Le sénateur Keon: Avez-vous un amendement précis à proposer à cette fin?

M. Gaudet: Je ne saurais vous dire dans quel article il conviendrait d'incorporer ce principe. Mais si vous regardez le texte de notre exposé, vous verrez que nous aimerions que ce principe s'applique au moment de l'homologation d'un produit. Pour l'instant, il est question d'appliquer ce principe uniquement au moment de la réévaluation d'un produit. Mais à notre avis, il faut que ce soit au moment de l'homologation. Je sais qu'on va nous répondre: «Mais le produit n'a pas encore été commercialisé; nous ne savons pas s'il a des effets nocifs ou non.» Mais sommes-nous des cobayes? Avez-vous l'intention de faire des essais sur des humains pendant 15 ans, après quoi vous nous direz que vous êtes désolés d'apprendre que ce produit est à l'origine de tel ou tel autre effet nocif? Je n'aime pas servir de cobaye, surtout sans qu'on me demande ma permission. On ne m'a jamais demandé de participer à quelque expérience que ce soit.

Le président suppléant: Monsieur Gaudet, selon le projet de loi C-8, un produit ne sera homologué que s'il est raisonnablement sûr que l'exposition au produit en question n'entraînera pas des effets nocifs pour la santé humaine. C'est une approche fondée sur les données scientifiques. Le principe de prudence correspond davantage à un concept juridique alors que celui de la «certitude raisonnable» est davantage un concept scientifique. Le projet de loi prévoit que les autorités devront être raisonnablement certaines que l'exposition à un produit de ce genre n'entraînera pas d'effets nocifs pour la santé humaine. Pour moi, c'est plus clair que le principe de prudence. À ce moment-là, il est certain que la santé des humains ne sera pas compromise.

Pour moi, c'est important au niveau de l'homologation, car le principe de prudence ne pourra pas s'y appliquer, étant donné qu'il ne peut y avoir aucun doute; il faut au contraire que la décision soit basée sur une certitude raisonnable. Pour moi, c'est plus fort que le principe de prudence.

M. Gaudet: Je tiens à préciser que nous serions tout à fait ravis qu'on applique un tel concept. À notre avis, il faut que cette certitude soit prouvée. Par exemple, les fiches signalétiques des fournisseurs, qui sont préparées par les fabricants eux-mêmes, indiquent que le produit Tri-Kill, un herbicide utilisé couramment dans toutes les régions du pays, peut causer des lésions au foie et aux reins. Donc, il n'y a pas de certitude en ce qui concerne l'absence d'effets nocifs — loin de là. Les fabricants eux-mêmes admettent qu'il peut y en avoir.

Le président suppléant: À ce moment-là, le produit ne devrait pas être homologué.

M. Gaudet: Mais ils sont tous comme ça. Si vous regardez les fiches signalétiques des fabricants — il faut se battre pour les avoir, mais c'est possible — vous verrez qu'ils admettent que leurs produits présentent certains dangers, et malgré tout, ils sont commercialisés.

Mme Mackay: C'est d'ailleurs leur objectif ultime; ils sont conçus pour tuer.

Le sénateur Keon: Dans le même ordre d'idées, j'ai une question concernant la fréquence des preuves obtenues dans d'autres pays, et notamment les pays développés où des produits auraient été retirés du marché. Encore une fois, d'autres témoins ont soulevé les mêmes points que vous, à savoir que ce projet de loi ne semble pas inclure des dispositions précises qui permettraient de prendre immédiatement des mesures en ce sens. Certains d'entre eux ont proposé des amendements. Je voudrais donc savoir si vous avez un amendement à proposer au comité qui permettrait aux autorités d'intervenir immédiatement, dès que l'information devient disponible — surtout si le Canada et le seul pays à autoriser l'autorisation du produit en question?

Dre Sears: À la page 5 de notre mémoire, nous disons justement que lorsqu'un pesticide est retiré du marché ou de la liste des produits homologués dans un pays de l'OCDE, il devrait immédiatement être retiré du marché canadien, en attendant d'être réévalué. J'insiste beaucoup sur ce point, étant donné les difficultés que nous avons rencontrées ici à Ottawa en essayant d'élaborer un règlement municipal sur l'utilisation des pesticides. Nous nous sommes rendu compte qu'il s'agit d'une industrie très puissante qui sait se défendre.

J'ai une formation scientifique. J'ai un doctorat en génie biochimique. J'ai examiné des études scientifiques. J'ai aussi examiné l'information transmise par le bureau du conseiller qui émane du groupe de travail sur le 2,4-D, un groupe parrainé par l'industrie qui se contente de répéter sans arrêt que le 2,4-D, l'herbicide le plus courant, est comme de l'eau tout simplement. D'ailleurs, c'est un produit tellement sûr, qu'on pourrait même le boire. C'est inquiétant de voir ce genre de chose.

Ce groupe communique à nos conseillers des données toxicologiques recueillies grâce à des essais sur les humains — des humains qui auraient bu du 2,4-D. Or ni l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire ni l'EPA n'auraient permis une telle chose. Malgré tout, nos conseillers municipaux d'Ottawa reçoivent ce genre d'information et on leur demande de l'examiner sérieusement.

On leur présente également des études épidémiologiques où l'on compare le nombre de personnes qui sont mortes d'un cancer avec le nombre de personnes qui sont tombées malades par suite d'un cancer, alors qu'il s'agit de deux choses complètement différentes. Il y a énormément de mauvaises données scientifiques qui circulent en ce moment. J'ai justement annexé à la dernière page de mon texte un document où il en est question.

Si, malgré le volume important d'information positive émanant des défenseurs d'un produit chimique particulier, un pays de l'OCDE réussit d'une façon ou d'une autre à se rendre compte que ça ne va pas et décide que ses inquiétudes sont suffisamment graves pour le retirer du marché, j'estime qu'il nous incombe d'adopter les normes les plus rigoureuses, de protéger la santé des Canadiens et de retirer le produit en question du marché tant que nous n'aurons pas eu l'occasion de bien l'examiner. Bien entendu, cela soulève la question de la capacité du gouvernement canadien de recourir aux services d'un nombre suffisant de scientifiques, de faire des essais indépendants et d'examiner toutes les données qui en découlent.

Le sénateur Keon: C'est une question très intéressante, dont nous avons d'ailleurs discuté avec d'autres personnes. Vous avez peut-être lu les comptes rendus de ces séances du comité. Il est vrai que même si les scientifiques sont bons et que les données scientifiques qui émanent des recherches faites sur les pesticides sont également bonnes, les recherches scientifiques se font surtout en fonction des besoins du marché, étant financées à la fois par l'industrie et le gouvernement. Ce genre de recherche est dirigée par le marché, mais pas forcément avec de mauvaises intentions. Disons que la recherche scientifique est faite principalement pour permettre de commercialiser des produits de ce genre.

Il fut un temps au Canada où nous avions un grand nombre de scientifiques qui travaillaient dans les organismes gouvernementaux, et notamment au Conseil national de recherches du Canada, au CNRC. Ce n'est plus le cas. Peut- être faudrait-il réexaminer cette décision.

Le président suppléant: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je vais faire une recommandation demain en fonction des propos de la Dre Sears. Nous avons le droit de faire des observations. Dans notre rapport sur le projet de loi, nous devrions recommander que l'ARLA et Santé Canada augmentent le nombre de scientifiques au sein du gouvernement qui font des études toxicologiques des pesticides et donnent suite aux préoccupations exprimées par les témoins que nous avons reçues cet après-midi. Vous êtes d'accord avec moi là-dessus, n'est-ce pas?

Le sénateur Keon: Oui, absolument.

Le président suppléant: Je ne sais évidemment pas comment les autres membres du comité y réagiront, mais je trouve que votre argument est tout à fait valable. Voilà donc une observation parmi d'autres sur laquelle nous devrons attirer l'attention du gouvernement dans le cadre de notre étude du projet de loi.

Le sénateur Keon: Vous avez soulevé un autre point intéressant concernant la définition des «parasites», en disant qu'il ne convient pas d'utiliser les pesticides simplement parce que les parasites sont «gênants». Je pense que tout le monde serait d'accord là-dessus. Par contre, il n'est pas nécessaire à mon avis de modifier la définition de «parasite» parce que comme vous le savez, il existe déjà des méthodes et outils tout à fait sûrs permettant d'éliminer les parasites qui n'ont rien à voir avec les pesticides et les produits chimiques. Je pense que ce genre de changement ne ferait qu'embrouiller encore plus la situation, mais j'aimerais bien vous entendre avant de me dire que je me suis déjà fait une opinion là-dessus.

Dre Sears: J'ai fait cette recommandation en raison de l'utilisation des pesticides à des fins esthétiques. Il existe effectivement des solutions de rechange plus sûres. Cependant, à l'heure actuelle, il y a des produits chimiques assez toxiques qui sont couramment utilisés au Canada pour des raisons tout à fait superficielles. Donc, des produits bon marché et faciles à utiliser, mais qui nuisent à la santé des Canadiens, sont utilisés, alors que d'autres produits beaucoup plus sûrs sont déjà disponibles. Nous nous permettons d'avoir recours à des produits bon marché, rapides, mais en même temps toxiques pour éliminer des parasites qui sont tout simplement gênants et, ce faisant, nous compromettons la santé des Canadiens.

Si nous décidions simplement de ne plus homologuer des produits toxiques pour régler des problèmes qui sont simplement gênants, nous aurions forcément à révoquer l'homologation de produits qui sont utilisés pour le soin des pelouses, par exemple.

Le sénateur Keon: Mais ce serait possible sans modifier la définition de «parasite», n'est-ce pas?

Dre Sears: Si vous devez modifier de toute façon cette longue loi, il me semble que ce ne serait pas trop compliqué que d'enlever un mot.

Le sénateur Keon: Il faudrait donc s'en tenir à la définition qu'on retrouve dans le dictionnaire Webster, n'est-ce pas?

Dre Sears: Je ne l'ai pas vérifiée.

Cependant, j'ai pris la liberté de parler à certains responsables de l'Association canadienne du droit de l'environnement. Tous ceux à qui j'ai parlé m'ont dit: «Je me demande pourquoi je n'y ai pas pensé.»

Le sénateur Keon: Ce que vous dites est très intéressant. Je vais vérifier la définition.

Le sénateur Fairbairn: Je voudrais poser une question à M. Gaudet. Vous avez parlé d'une banque de données nationale. De toute évidence, vous faites quelque chose d'un peu particulier au Québec dans ce domaine.

Pourriez-vous nous dire comment on procéderait à la création d'une telle banque de données? Qui en serait responsable? Vous voulez que les provinces fournissent les données qui alimenteraient cette base de données. Pourriez- vous m'expliquer un peu mieux comment ça pourrait marcher? Ce serait possible de promouvoir ce genre d'initiative soit dans le contexte du projet de loi, soit dans un autre contexte.

M. Gaudet: Santé Canada pourrait sans doute le faire, puisque ce ministère est responsable de la santé de la population canadienne. Si nous avions une banque de données nationales, on pourrait se faire une idée de l'évolution de la situation. Nous savons que les enfants tombent malades. Les médecins arrivent et se rendent compte qu'il s'agit d'un cas d'empoisonnement par les pesticides. Cependant, ils ne peuvent rien faire parce qu'ils ignorent le contenu des divers produits.

Si nous avions une idée de la situation à l'échelle nationale, nous serions mieux informés à cet égard. Si vous comparez le chiffre d'affaires pour les différents produits avec les effets nocifs qui se manifestent dans chaque région, vous pouvez tout de suite vous faire une idée de ce qui arrive quand tel produit est utilisé à grande échelle. Par exemple, si vous disposiez de données sur l'application du Lindane sur les récoltes de canola en Alberta et le nombre de cas de maladie qui étaient liés à ce projet, vous auriez une idée plus précise de la situation. À ce moment-là, vous seriez en mesure de déclarer que tel type de cancer semble plus fréquent lorsque tel produit est utilisé en grande quantité. À ce moment-là, il est possible de commencer à faire des recherches directes. À l'heure actuelle, nous ne savons rien sur ce qui se passe dans les différentes régions.

Le sénateur Fairbairn: Dans la province du Québec, des démarches ont déjà été faites pour permettre de réunir des données et de les communiquer au public, d'après ce que j'ai compris de votre exposé.

M. Gaudet: C'est exact.

Le sénateur Fairbairn: Est-ce que cela a été fait sous l'égide du ministère de la Santé du Québec?

M. Gaudet: C'est le ministère de l'Environnement qui fait le suivi des chiffres d'affaires et de l'utilisation des divers pesticides.

Le sénateur Fairbairn: Mais selon cette proposition, vous cherchez quelque chose de semblable. Je ne sais pas si les autres provinces ont prévu le même processus qu'au Québec. Cependant, vous souhaitez que ce soit fait dans toutes les provinces, et dans les territoires aussi, je suppose. Avez-vous d'autres sources d'information à proposer pour alimenter cette banque de données, à part les provinces elles-mêmes?

M. Gaudet: D'abord, les services de santé publique peuvent commencer à communiquer au public les effets nocifs des pesticides; les malades consultent bien les médecins. Donc, la population est une source d'information. Je n'ai peut- être pas de doctorat, mais si vous mettez du Killex sur ma pelouse et que je tombe malade, je vais savoir que c'est ce produit qui me rend malade, même si je ne sais pas pourquoi.

Le sénateur Fairbairn: La collecte des données se ferait non seulement par le gouvernement mais par les associations de santé publique au sein des provinces, les particuliers, et l'Association canadienne de santé publique?

M. Gaudet: Oui. Les particuliers pourraient passer par leurs associations provinciales de santé publique.

Le sénateur Fairbairn: Donc, il ne s'agirait pas d'une banque de données dont la seule source d'information serait la province. La province alimenterait forcément cette banque de données, mais les collectivités constitueraient également une source d'information.

M. Gaudet: Oui, tout à fait.

Le sénateur Callbeck: Au Québec, vous avez déjà un plan de prévu pour la collecte des données. Savez-vous combien coûtent des activités de collecte? Coûtent-elles cher?

M. Gaudet: Il faudrait poser cette question au ministère de l'Environnement. Je crois savoir que ceux qui vendent des pesticides sont tenus de communiquer leurs chiffres d'affaires au ministère. Donc, à mon avis, cela ne doit pas coûter si cher que ça. Les détaillants ou grossistes doivent communiquer leurs chiffres d'affaires au ministère, qui en fait ensuite le lien avec la région administrative concernée de la province. Ainsi les autorités peuvent suivre la situation dans chaque région, et dans l'ensemble de la province. Malheureusement, je ne peux pas vous indiquer le coût de cette activité. Il faudrait poser la question au ministère de l'Environnement du Québec pour avoir un chiffre précis.

Le sénateur Callbeck: Est-ce que la collecte des données se fait depuis plusieurs années?

M. Gaudet: Je ne peux pas vous préciser le nombre d'années. Je sais que cette activité se déroule depuis plusieurs années. Autant que je sache, le Québec est la seule province à suivre la vente et l'utilisation des pesticides.

Le président suppléant: Voilà une bonne initiative qui émane du Québec.

M. Gaudet: Nous sommes toujours soit les premiers, soit les derniers. Généralement, nous ne nous trouvons pas au milieu.

Mme Mackay: De plus, le Québec compte 55 municipalités qui ont adopté des règlements municipaux sur l'utilisation des pesticides.

Le président suppléant: Et ce nombre ne cesse d'augmenter.

Le sénateur Fairbairn: C'est une province qui joue toujours un rôle de chef de file sur le plan social.

Le président suppléant: Je sais que plusieurs municipalités examinent actuellement cette possibilité.

Le sénateur Cook: Ma question s'adresse à la Dre Sears. À la page 5 de votre mémoire, vous parlez d'une marge de sécurité supérieure de 10 fois à celle qui s'appliquerait autrement. J'aimerais que vous m'expliquiez la signification du terme «seuil» dans le contexte de ce qu'on appelle le seuil de toxicité. Si je comprends bien, vous préconisez au minimum l'application d'une marge de sécurité supérieure de 10 fois à la norme qui s'appliquerait autrement. Monsieur le président, peut-être devrions-nous examiner de plus près cette recommandation.

Cependant, le projet de loi prévoit entre autres que le ministre, en se fondant sur des données scientifiques fiables, pourra déterminer qu'une autre marge de sécurité serait appropriée.

Je trouve tout cela un peu abstrait. En recommandant «l'application d'une marge minimum de sécurité supérieure de 10 fois à celle qui serait autrement applicable», vous proposez forcément quelque chose de fini. Vous ai-je bien compris?

Dre Sears: Oui, disons que je n'ai pas personnellement fait des recherches sur cette question précise, mais je crois savoir que lorsque le ministre s'est prévalu par le passé de son pouvoir discrétionnaire dans ce contexte, c'était pour ajuster à la baisse la marge de sécurité. D'après nous, s'il doit y avoir un changement, le changement prévu doit viser à accroître la marge de sécurité, mais en même temps, nous estimons qu'une marge de sécurité supérieure de 10 fois à celle qui s'appliquerait normalement devrait être un minimum. Plutôt que de faire passer la marge de 10 fois à trois fois, nous pourrions passer de 10 fois à 20 fois, mais une marge supérieure de 10 fois doit absolument être un minimum.

Le sénateur Cook: Acceptez-vous volontiers le terme «seuil» dans ce contexte précis, ou à votre avis, vaudrait-il mieux qu'on définisse ce terme?

Dre Sears: Je ne suis pas experte en toxicologie mais je crois savoir que lorsqu'on effectue une série d'essais — éventuellement sur des souris — on définit le seuil en fonction de la dose à partir de laquelle on constate qu'il n'y a vraiment pas de différence entre le groupe témoin et les sujets qui ont reçu de très faibles doses d'un produit. Disons que c'est le point à partir duquel des effets particuliers peuvent être observés dans le cadre de votre expérience.

Le sénateur Cook: En ce qui concerne le projet de loi, le ministre a le pouvoir de déterminer la marge de sécurité appropriée. Si je comprends bien, vous préconisez une marge de sécurité supérieure de 10 fois à celle qui s'appliquerait normalement comme point de départ, et après on verrait s'il faudrait une marge encore supérieure?

Dre Sears: Oui. Plutôt que de se retrouver dans une situation où la marge, au lieu d'être supérieure de 10 fois à celle qui serait autrement applicable, pourrait être supérieure seulement de deux fois, nous estimons qu'il faut donner au ministre le pouvoir de la faire passer à 20 fois, mais que la marge minimum de sécurité doit être supérieure de 10 fois à celle qui serait autrement applicable.

Le sénateur Cook: Vous utilisez à la même page une expression qui me laisse un peu perplexe. Vous parlez des ingrédients inertes qu'on retrouve dans les pesticides. Pourriez-vous me donner un exemple d'un «ingrédient inerte»?

Dre Sears: Je suppose que l'ingrédient le plus inerte qui pourrait entrer dans la composition d'un pesticide serait l'eau, qui s'utilise comme diluant. Les ingrédients inertes sont censés être ceux qui ne contribuent pas à tuer les parasites mais sont tout de même essentiels pour que le produit soit efficace. En général, il s'agit d'un ingrédient qui ne sert qu'à diluer le produit parce qu'il est trop puissant, et sans cet ingrédient, il ne serait pas possible de bien répandre le produit.

Donc, disons que c'est un ingrédient qui est essentiel pour garantir l'efficacité du produit, mais qui ne contribue pas à éliminer l'espèce ciblée.

Le sénateur Callbeck: Madame Mackay, vous en avez parlé dans votre exposé.

Mme Mackay: Oui.

Le sénateur Callbeck: Vous voulez que les ingrédients inertes soient divulgués. Je crois savoir que vous aimeriez que la loi soit modifiée pour définir ces ingrédients et que ces ingrédients fassent partie des données d'essais confidentielles?

Mme Mackay: C'est ainsi qu'on m'a expliqué la chose: les fabricants de biscuits sont tenus de révéler les ingrédients qui entrent dans la composition de leurs produits, mais les fabricants de produits chimiques, non. Certains des produits chimiques les plus nocifs sont fabriqués dans des pays du tiers monde et on les découvre parmi les ingrédients inertes de produits qui sont vendus ici, alors que l'utilisation des produits chimiques en question est interdite en Amérique du Nord. Voilà ce qui nous inquiète. Nous ne savons pas vraiment quels produits chimiques sont utilisés ni comment.

Dre Sears: Il y a énormément de produits chimiques qui sont classés comme ingrédients inertes. Dans certains cas, il peut s'agir de solvants organiques auxquels certaines personnes peuvent être très sensibles. Ils peuvent aussi contenir des agents de surface auxquels les gens sont sensibles. L'ingrédient inerte le plus classique serait l'eau, mais cette catégorie comprend également des ingrédients qui s'accompagnent d'une activité biologique très claire.

De nombreux problèmes ont été signalés par diverses personnes. Je ne pense pas que ce soit encore le cas, mais je vous donne un exemple qui remonte un peu dans le temps. À un moment donné, on ajoutait le DDT à certains produits. À de plus faibles doses, le DDT est considéré comme un ingrédient inerte. Mais de toute évidence, ce n'est pas le cas. Par le passé, il est arrivé à plusieurs reprises que des produits chimiques auxquels les gens peuvent être très sensibles sont classés comme ingrédients inertes. Cependant, ils ne sont pas tous aussi inertes que l'eau; s'ils l'étaient, nous ne serions pas là à vous en parler aujourd'hui.

Donc, puisque ce genre de problème s'est posé par le passé, nous demandons à avoir accès à toute l'information pertinente. À ce moment-là, nous n'aurons plus à nous demander dans quelle catégorie ces produits sont classés.

Le président suppléant: Mais n'est-il pas vrai que Santé Canada examine les ingrédients inertes et fait des essais pour déterminer s'ils ont une action biologique et d'éventuels effets sur la santé? Si c'est le cas, ils ne sont plus considérés comme ingrédients inertes.

À mon avis, aux termes du règlement d'application du projet de loi C-8, Santé Canada pourrait avoir à divulguer les ingrédients inertes. Donc, il n'est pas nécessaire de modifier la loi. Le règlement d'application autorise déjà Santé Canada à divulguer la composition de tout produit, y compris les ingrédients inertes. Mais si les ingrédients en question ont une action biologique ou des effets sur la santé, ils ne sont plus inertes.

Dre Sears: Certains ingrédients sont classés comme ingrédients inertes, et malgré tout, certaines personnes peuvent y être sensibles et avoir des réactions. On considère qu'un ingrédient inerte est un élément qui ne contribue pas à l'action d'élimination dans ce cas particulier. Mais n'oublions pas que les solvants ont généralement été classés comme ingrédients inertes malgré leur action biologique.

Le sénateur Keon: D'autres nous ont fait part de cette même difficulté. C'est une situation très intéressante. L'un d'entre vous a dit que la base de données devrait contenir toute l'information sur les chiffres d'affaires, l'utilisation et la composition des produits. Pour ce qui est des chiffres d'affaires et l'utilisation, il n'y a pas de problème à mon avis. Mais lorsqu'on commence à parler de la composition d'un produit, ça devient beaucoup plus flou.

Je suis d'accord avec vous pour dire que le contenu du produit doit être connu. Mais ce n'est pas toujours aussi simple qu'on pourrait le croire à prime abord, étant donné la question des brevets et les combinaisons d'ingrédients. Je fais une petite recherche là-dessus en ce moment notamment par rapport aux éventuelles conséquences juridiques.

Mme Mackay: Mon neveu est médecin. Avant de venir, je lui ai demandé ce qui se fait dans son domaine, notamment lorsqu'il s'agit de soigner des enfants. Il n'a dit qu'il ne cherche pas à connaître ou à déceler l'exposition aux pesticides. Il m'a dit que si l'on déclarait un moratoire sur l'utilisation des pesticides à des fins esthétiques pendant cinq ans, on saurait à la fin de cette période si une telle interdiction aurait réellement été si catastrophique, n'est-ce pas? Quel est le pire scénario qui puisse se réaliser si nous interdisons l'utilisation des pesticides à des fins esthétiques pendant un certain temps, en attendant de connaître les effets secondaires de ces produits? Qu'est-ce qui pourrait se produire de si terrible et catastrophique au cours de cette période?

Qu'est-ce qui pourrait être pire que d'avoir des enfants malades et mourants à l'hôpital — alors que c'est justement cela qui arrive à l'heure actuelle? Le nombre d'enfants admis à l'hôpital est en hausse. Quelle serait la pire des choses qui puisse se produire si nous décidions d'interdire l'utilisation de ces produits à des fins esthétiques pendant quelques années, pour être sûrs que ces produits ne puissent pas nuire à la santé de nos enfants?

Dre Sears: Les fabricants le font pour les aliments; on le fait aussi pour les médicaments. Je suis sûre que ce ne serait pas nécessairement très apprécié par les fabricants, mais c'est quelque chose de tout à fait faisable. Je suis tout à fait consciente de la complexité du problème. Et je suis convaincue qu'on trouverait toutes sortes d'autres problèmes à vous signaler pour vous en dissuader, mais cet argument-là ne tient pas debout.

Le président suppléant: Merci beaucoup.

Je voudrais vous signaler la présence du Dr Grant Hill, un collègue de la Chambre des communes qui suit les travaux du comité, et lui souhaiter la bienvenue.

Je souhaite maintenant la bienvenue à notre prochain témoin, M. Jerry DeMarco. Vous avez la parole.

M. Jerry DeMarco, avocat directeur, Sierra Legal Defence Fund: Je travaille au bureau de Toronto du Sierra Legal Defence Fund en tant qu'avocat directeur. J'ai agi en qualité de conseiller juridique auprès de la Fédération canadienne des municipalités, la section canadienne du Fonds mondial pour la nature, et Nature-Action Québec Inc. dans l'affaire qui est passée devant la Cour suprême du Canada l'année dernière. Ce sont nos arguments à propos du principe de prudence qui ont amené la Cour à cautionner ce principe en juin dernier dans sa décision dans l'affaire Hudson. Mon expertise touche surtout les aspects juridiques des pesticides.

La greffière vous a peut-être déjà remis une copie de mon mémoire et d'un article que j'ai rédigé pour le Globe and Mail cet été concernant le principe de prudence qui sous-tend ce projet de loi.

Dans mon exposé cet après-midi, je voudrais surtout me concentrer sur divers moyens d'insister davantage sur le principe de prudence dans le projet de loi C-8. Si les membres du comité voudraient bien passer directement à la page 5 de mon mémoire, à la rubrique intitulée «Conclusion et recommandations», vous verrez que nous y indiquons que la façon la plus facile et évidente d'inscrire le principe de prudence dans ce projet de loi consisterait à adjoindre un autre paragraphe au préambule. Nous recommandons le libellé que voici:

ATTENDU QUE le gouvernement du Canada s'engage à mettre en oeuvre le principe de prudence dans tous les aspects de la gestion et de la réglementation des produits parasitaires.

Bien qu'il existe différentes définitions du «principe de prudence», nous recommandons généralement de retenir celui qui a été cautionné par la Cour suprême du Canada, à savoir la version tirée de la déclaration ministérielle de Bergen, que vous trouverez également dans mon mémoire.

Dans un premier temps, il conviendrait d'inscrire le principe de prudence dans le préambule du projet de loi. On pourrait également l'inscrire aux articles applicables de la loi. Une possibilité serait d'inscrire le principe de prudence à l'article 4 ou 4.1 du projet de loi. À la page 6 de notre mémoire, nous expliquons une démarche possible, quoique relativement longue, pour inscrire le principe de prudence dans cet article.

Une autre possibilité, qui donnerait lieu à un texte beaucoup plus court, serait de dire tout simplement: «Le ministre doit appliquer le principe de prudence dans le cadre de l'administration de cette loi.» Dans cette version-là, nous énumérions l'ensemble des différentes obligations en vertu de la loi pour avoir une liste tout à fait claire et complète, et c'est cette version-là que nous avons recommandée au comité de la Chambre des communes. Comme nous sommes maintenant à une époque ultérieure du processus législatif, peut-être vaudrait-il mieux s'en tenir à une formule brève et concise; par conséquent l'adjonction à l'article 4 de la phrase: «Le ministre doit appliquer le principe de prudence dans le cadre de l'administration de cette loi» serait tout à fait bienvenue en ce qui nous concerne.

Nous recommandons également à la page 7 de notre mémoire que le texte de l'unique article du projet de loi où il est question du principe de prudence soit amélioré en modifiant légèrement la formulation en fonction de ce qu'on propose à la page 7. Il s'agirait donc de remplacer le libellé actuel pour y employer les mots et expressions «adéquates», «peut mettre en danger la santé humaine» et «en appliquant le principe de prudence établi à l'article 2». Encore une fois, nous recommandons de retenir la définition du principe qu'on retrouve dans la déclaration de Bergen et qui a été cautionnée par la Cour suprême du Canada.

Dans certains cas, je me limite à un point particulier, et ce pour pouvoir mieux expliciter le principe de prudence, à la fois dans les attendus et dans le préambule, si possible, de même que dans un article d'application générale qui oblige le ministre à appliquer le principe de prudence dans le cadre de l'administration de la loi.

Je n'ai malheureusement pas eu le plaisir de suivre moi-même les audiences du comité, mais j'ai entendu aujourd'hui la discussion concernant l'interaction entre le principe de prudence et le degré de diligence qui est déjà prévu dans la loi, en ce qui concerne les risques acceptables. Un moyen parmi d'autres de s'assurer qu'aucun doute n'est possible quant à l'interaction des deux principes — le principe de prudence et le principe du risque acceptable — serait de simplement préciser au projet de loi que lorsque ces deux principes s'appliquent, la disposition qui assure la meilleure protection aura préséance. C'est cette méthode de rédaction législative qui a été employée pour la législation touchant la faune en Ontario. Par exemple, dans une situation où la Loi sur la protection du poisson et de la faune et la Loi sur les espèces en voie de disparition s'appliquent toutes les deux, l'article pertinent prévoit que le principe qui assure le degré de protection plus élevé est celle qui doit avoir préséance. C'est ainsi qu'on peut harmoniser les deux principes ou du moins réduire la possibilité de conflit entre les deux.

Une autre méthode consisterait simplement à prévoir, par rapport à l'application du principe de prudence, que le ministre doit au moins appliquer ce principe, ce qui laisserait la possibilité que d'autres principes s'appliquent également.

Le président suppléant: Nous sommes d'accord pour reconnaître que dans le contexte des réévaluations et examens spéciaux, le principe de prudence doit s'appliquer. Mais pour les nouveaux produits, je n'en suis pas si sûr. Encore une fois, nous revenons sur la même question; il ne doit pas y avoir de possibilité de doute. La certitude s'impose. J'admets que cette approche-là est davantage juridique, alors que l'autre est d'ordre scientifique. Mais si l'on décide d'adopter une approche scientifique, il faut à ce moment-là être certain qu'un produit n'a aucun effet nocif, et ce en fonction de normes scientifiques. Ça va beaucoup plus loin que l'idée qu'il n'y ait pas de doute; il faut absolument être sûr. Voilà pourquoi j'ai du mal à comprendre pourquoi on voudrait que le principe de prudence s'applique à un nouveau produit — un nouveau pesticide dont on demande l'homologation. Personnellement, je trouve que le principe de prudence est plus faible que la certitude scientifique dans ce contexte. Je suis conscient du fait que l'on parle de deux approches différentes — l'une, juridique, et l'autre, scientifique — mais si je ne m'abuse, on précise bien que c'est l'approche scientifique qui s'applique dans ce cas.

M. DeMarco: Vous soulevez un excellent argument et je précise à cet égard que j'accepte la disposition qu'on retrouve au paragraphe 2(2) concernant les risques acceptables. Ces deux principes ne s'excluent pas mutuellement. L'interprétation juridique du principe de prudence la renforcerait peut-être. Si vous craignez au contraire que cela l'affaiblisse, je vous conseillerais certainement de retenir la formulation qui assure la plus grande protection possible. Il s'agit d'une méthode de rédaction législative.

Un autre point qu'il convient de soulever, à part celui du traitement des nouveaux produits dont on demande l'homologation, c'est que le critère des risques acceptables que prévoit la loi ne s'applique qu'à un sous-ensemble de décisions. Donc, pour celles qui ne sont pas visées par le principe des risques acceptables, il conviendrait qu'au moins le principe de prudence s'applique dans ces cas.

J'ai devant moi l'annexe 1 du mémoire que nous avons soumis à l'examen du comité de la Chambre des communes, où nous avons énuméré tous les articles applicables de la loi. Il y en a environ 10 qui ne sont pas visés par le principe des risques acceptables.

Le président suppléant: Et ils ne sont pas non plus visés par le principe de prudence.

M. DeMarco: C'est exact.

Donc, par rapport à cette catégorie secondaire de dispositions où il n'y a aucune mention ni du critère des risques acceptables, ni du principe de prudence, je préconise qu'on prévoie qu'au moins le principe de prudence s'appliquera. Je vais vous les énumérer pour les fins du compte rendu. Il s'agit de l'article 14 et des paragraphes 22(3), 33(4) et 33(5), 34(1) et 34(3). Je vous laisse une copie de cette liste.

Le président suppléant: Je vais l'examiner plus tard. Mais j'aimerais vous demander quelques éclaircissements.

En ce qui concerne les réévaluations, nous avons déjà dit, me semble-t-il, que le principe de prudence précisé dans le projet de loi s'appliquerait aux réévaluations. C'est bien ça?

Dans d'autres parties du projet de loi intervient la notion de certitude raisonnable, pour utiliser mon terme, ou de risque raisonnable, comme vous l'appelez. Je ne sais pas s'il s'agit vraiment de la même chose, mais peu importe. Disons simplement que dans certains contextes, le principe de prudence s'appliquerait mais non celui de la certitude raisonnable — par exemple, pour tous les articles que vous énumérez à l'annexe 1.

M. DeMarco: Oui. Et il y en a environ 10 qui ne prévoient l'application ni de l'un ni de l'autre.

Le président suppléant: Pourriez-vous nous dire de quels articles il s'agit rapidement?

M. DeMarco: Oui. Il s'agit de l'article 14, du paragraphe 22(3), des quatre articles qu'on trouve à la rubrique «contrôle de l'exportation», des paragraphes 35(6) et de l'article 36 à la rubrique «examen des décisions», et enfin, de trois paragraphes de l'article 60, qui se trouvent à la rubrique «révision des ordres des inspecteurs». Voilà donc ce qui reste.

Le président suppléant: Je vais examiner de près ces articles avec les membres du comité. S'il est vrai qu'aucun des deux principes ne s'y applique, il est clair que ce projet de loi comporte une lacune qu'il faut absolument combler.

M. DeMarco: Ce serait l'occasion de prévoir un degré de diligence minimum, c'est-à-dire que le principe de prudence s'applique également à ces dispositions-là.

Le sénateur Cook: C'est sérieux tout ça. Moi je suis de Terre-Neuve. Quand j'ai vu ce grand titre — «Des pissenlits qui tuent?» — j'ai vraiment trouvé ça original. Chez nous, c'est l'inverse. Au printemps à Terre-Neuve, nous sommes prêts à tuer pour obtenir des pissenlits.

M. DeMarco: Les personnes qui trouvent les gros titres au Globe and Mail ont vraiment beaucoup d'imagination. Le titre que j'avais proposé était beaucoup plus prudent, mais ils ont décidé de le remplacer par ce titre beaucoup plus accrocheur.

Le sénateur Cook: Dans ma province, les gens considèrent que c'est un vrai régal de pouvoir manger des pissenlits.

Le président suppléant: Je me souviens d'avoir lu votre article dans le Globe and Mail. C'était excellent.

Mme Sandra Schwartz, directrice, Programme des substances toxiques, Pollution Probe: Monsieur le président, permettez-moi tout d'abord de vous remercier de m'avoir invitée à examiner cet important projet de loi et à présenter notre analyse au comité sénatorial. Je tiens à dire, dans un premier temps, que j'étais là la semaine dernière pour écouter les propos de mes collègues de l'Association canadienne du droit de l'environnement, du Collège des médecins de l'Ontario et de l'Association canadienne des médecins pour l'environnement, et là je viens d'entendre l'exposé du représentant du Sierra Legal Defence Fund. Pollution Probe est tout à fait en faveur des amendements qu'ils ont proposés. Plutôt que de vous les expliquer dans mon exposé, je vais me concentrer sur un amendement que nous vous recommandons, non pas simplement pour fin d'examen, mais comme texte législatif à incorporer dans ce projet de loi.

Le projet de loi C-8 constitue une amélioration considérable par rapport à son prédécesseur du même titre, la Loi sur les produits antiparasitaires, adoptée en 1969 et qui n'a pas été modifiée depuis. Contrairement à la loi en vigueur depuis 30 ans, le mandat du projet de loi C-8 est essentiel pour s'assurer que le fonctionnement du système de gestion des pesticides est axé sur le principe de la santé de la population et de l'environnement. Je pense que le projet de loi C-8 protégera mieux la santé des enfants canadiens. Il reste néanmoins d'excellentes occasions d'améliorer et de renforcer ce projet de loi.

En ce qui concerne l'utilisation d'un facteur de sécurité décuplé — et c'est justement cette question que je vais aborder avec vous aujourd'hui — si nous voulons que ce soit prévu dès maintenant, plutôt que dans sept ans lorsque la loi sera réexaminée, c'est parce que nous disposerons à mon avis de beaucoup plus d'information sur les effets sanitaires des pesticides sur les enfants dans sept ans. Au cours de cette période, il est possible que ces produits influent sur l'appareil génital et le système immunitaire des enfants, de même que le système endrocrinien et le cerveau d'embryons en gestation.

La semaine dernière, Jan Kasperski du Collège des médecins de famille de l'Ontario vous a présenté une bonne analyse bien détaillée sur la vulnérabilité particulière des enfants face aux pesticides. Je n'ai donc pas l'intention d'aborder cette question cet après-midi. Par contre, je tiens à vous signaler que l'exposition à de faibles doses de certains pesticides sur de nombreux mois ou de nombreuses années peut causer des cancers. Elle peut aussi donner lieu à des troubles du système nerveux, diminuer ou supprimer les réactions immunitaires et des problèmes de comportement et de développement. Il n'y a pas de relation de cause à effet prouvée dans ces cas-là, mais les nombreuses études menées par des scientifiques du monde entier ont permis de démontrer que ce sont des effets possibles de l'exposition aux pesticides.

Lorsque les scientifiques nous disent qu'il peut y avoir des effets nocifs, pour nous qui faisons partie de cette communauté, cela signifie souvent qu'il y a une forte probabilité que les produits en question aient justement de tels effets. Les scientifiques font généralement preuve de prudence lorsqu'ils présentent des données scientifiques. Ils préfèrent toujours dire qu'un produit «peut» ou «pourrait» avoir un tel effet, plutôt que de déclarer qu'il existe une relation de cause à effet. Les données scientifiques ne permettent pas de faire cela. À mon avis, nous ne devrions pas nous attendre à ce que la recherche scientifique nous permette d'établir des liens de causalité. Cependant, le simple fait que certains produits pourraient avoir des effets potentiellement nocifs sur la santé humaine devrait provoquer en nous le désir d'améliorer dès maintenant les dispositions d'un projet de loi comme celui-ci, au lieu d'attendre que d'autres données scientifiques nous soient présentées qui confirment cette analyse.

J'ai une certaine formation en toxicologie et en épidémiologie. Mes études universitaires m'ont permis de devenir spécialiste en sciences sociales, mais depuis six ans, je fais de la recherche sur la santé des enfants et l'environnement et j'ai présenté des communications dans le monde entier sur les pesticides, le changement climatique et de nombreuses autres questions.

Les scientifiques du monde insistent aujourd'hui sur la nécessité de prendre des mesures dès maintenant pour protéger les enfants contre des substances toxiques, telles que les pesticides.

Selon eux, si nous attendons encore 10 ou 20 ans pour avoir les résultats d'études, et notamment d'études longitudinales qui suivent les enfants de la naissance à l'âge de 20 ans, nous réussirons à rassembler des preuves très convaincantes. Mais en attendant aussi longtemps, nous risquons aussi de causer beaucoup de tort aux générations actuelle et futures.

Par conséquent, il est urgent que la santé des enfants devienne notre priorité en ce qui concerne la politique sur les pesticides. À l'heure actuelle, il n'y a aucune évaluation du risque ni stratégie de contrôle cohérentes permettant de garantir que les enfants grandiront en étant protégés de l'exposition aux produits antiparasitaires. Au Canada, la réglementation actuelle sur les pesticides ne tient pas compte des vulnérabilités particulières aux enfants, contrairement à celle des États-Unis. Le projet de loi C-8 comporte un certain nombre de dispositions où l'on reconnaît la vulnérabilité des enfants, mais à mon avis, elles ne vont pas assez loin.

Aux États-Unis, la Environmental Protection Agency (EPA) est tenue d'appliquer un facteur de sécurité décuplé pour évaluer et déterminer les limites réglementaires concernant les pesticides, de manière à obtenir une certitude raisonnable qu'il n'y a aucun danger pour les nourrissons et les enfants. Ce facteur de sécurité est destiné autant à couvrir les risques accrus pendant et après la grossesse qu'à compenser l'insuffisance des données sur la toxicité et l'exposition touchant les enfants.

Pour protéger les enfants canadiens de l'exposition aux pesticides, nous avons besoin, au sein de notre propre appareil gouvernemental, de stratégies obligatoires semblables axées sur la protection des enfants. De plus, il faut préserver les enfants de l'exposition en tous lieux. Il ne suffit pas de les protéger uniquement à la maison ou à l'école, comme le prévoit actuellement le projet de loi.

Nous recommandons en conséquence de supprimer la mention d'un lieu précis, par exemple où on dit «si le produit est destiné à une utilisation dans les maisons ou les écoles ou autour de celles-ci». Nous recommandons également de supprimer le pouvoir discrétionnaire qu'accordent au ministre les articles 7, 11 et 19 où on lit ceci «[...] à moins que, sur la base de données scientifiques fiables, il ait jugé qu'une marge de sécurité différente conviendrait mieux.»

Cela rejoint ce que vous disait la Dre Sears, à propos de la nécessité de prévoir, au minimum — et non pas au maximum — un facteur de sécurité supérieur de 10 fois à la norme qui serait normalement applicable.

Permettez-moi de vous expliquer pourquoi nous recommandons ces changements. Les enfants sont exposés aux pesticides en différents endroits, et non seulement à l'intérieur et à l'extérieur de leur domicile ou de leur école. Si l'application de la marge de sécurité supérieure est limitée aux maisons et aux écoles, les enfants ne seront pas protégés des expositions qui se produisent en dehors du milieu de travail, soit dans les centres communautaires, les églises, les centres récréatifs, les garderies, et cetera. Cette disposition ne protégera pas non plus les enfants d'agriculteurs de l'exposition aux pesticides en milieu de travail.

De plus, la suppression des textes en question concernant les maisons et les écoles notamment ne représente pas un changement majeur. De plus, ce serait conforme au texte qu'on trouve actuellement dans la Food Quality Protection Act aux États-Unis — c'est-à-dire la Loi sur la protection de la qualité des aliments. En supprimant la mention des «maisons et des écoles», nous serions à même d'harmoniser notre loi avec la législation américaine qui est le principal objectif du projet de loi, tel qu'il est actuellement rédigé.

Pour ce qui est du facteur de sécurité décuplé et la suppression du pouvoir discrétionnaire qui est accordé au ministre, je voudrais vous donner quelques détails à propos des pratiques actuelles au Canada en ce qui concerne l'évaluation des risques et l'établissement des normes. Je vais également vous donner quelques données américaines à propos de la façon dont ce facteur de sécurité supplémentaire a été appliqué aux États-Unis à la suite de l'adoption de la Loi sur la protection de la qualité des aliments.

Selon la pratique conventionnelle au Canada, la sécurité ou le danger d'une substance est évaluée en comparant la toxicité de celle-ci, déterminée par des études sur les animaux, au degré d'exposition jugé probable. Même en présence de données scientifiques valables pour une substance, il reste une incertitude quant à son innocuité. C'est parce que les êtres humains sont parfois plus vulnérables que les animaux de laboratoire, et que certaines personnes sont plus sensibles que d'autres.

Sénateur Cook, cela va peut-être répondre à votre question sur l'effet de seuil et les raisons pour lesquelles il faut un facteur de sécurité plus important.

L'incertitude et la nécessité d'une intention bien arrêtée de protéger la santé augmentent lorsque la recherche est limitée. Et en ce qui concerne les pesticides et leurs conséquences pour la santé humaine, la recherche est effectivement limitée. Je n'ai pas l'intention de déclarer devant le comité aujourd'hui que nous sommes absolument sûrs de l'existence d'un effet de causalité. Ce n'est tout simplement pas le cas.

L'évaluation du risque tient compte de cette imprécision en divisant le niveau d'exposition supérieur connu ne constituant pas un danger pour les animaux, les jeunes ou les adultes, par les facteurs d'incertitude. Donc, on tient déjà compte de facteurs d'incertitude, étant donné la variabilité au sein d'une population et les différences entre les animaux de laboratoire et les humains.

Ces facteurs d'incertitude sont donc pris en compte au moment de déterminer les doses sûres. Pour répondre à la question concernant le seuil, on appelle ça la dose journalière admissible (DJA) pour les animaux adultes. On n'a pas recours aux jeunes animaux pour ce genre de chose. Peu d'essais sont effectués en utilisant de jeunes animaux. La plupart des essais se font sur des animaux adultes, qui sont différents des jeunes animaux.

De plus, l'information sur l'exposition aux substances éventuellement toxiques est limitée, et la recherche scientifique conforme à l'éthique permet rarement de déterminer avec précision dans quelle mesure une substance est dangereuse pour les enfants et d'autres. Nous croyons donc à la nécessité d'un facteur obligatoire de sécurité supérieur de 10 fois à la norme qui serait autrement applicable afin de protéger la santé des enfants.

Le projet de loi C-8 compte un certain nombre de dispositions qui prévoient une marge de sécurité supplémentaire, mais le pouvoir discrétionnaire qui est accordé au ministre laisse supposer que le facteur de sécurité décuplé intégral ne sera appliqué qu'au cas par cas. Il faudrait que cette marge de sécurité obligatoire s'applique en plus des deux autres facteurs d'incertitude actuellement utilisés pour l'évaluation de substances nouvelles ou la réévaluation d'anciennes substances. L'imposition de cette marge obligatoire signifierait que les limites réglementaires seraient réduites pour toute substance à un dixième de la valeur initiale, afin de s'assurer que ces dernières protègent réellement les enfants. De plus, l'imposition de la marge supérieure serait, par son application même, conforme à la norme stricte de «certitude raisonnable de sécurité» dont le sénateur Morin a parlé à plusieurs reprises. L'imposition de cette marge faciliterait donc le respect de cette norme stricte de protection de la santé humaine et de la salubrité de l'environnement.

Je signale en passant au sénateur Morin que je serais très heureuse de répondre à ses questions concernant le principe de prudence et la notion de «certitude raisonnable de sécurité». Je dispose également d'autres renseignements à ce sujet, que je pourrais vous communiquer.

En éliminant le caractère discrétionnaire de cette marge, nous aurons la garantie que le ministre aura le pouvoir d'appliquer le facteur de sécurité décuplé intégral dans tous les cas. Cela suppose que ce facteur de sécurité constituerait une exigence minimale plutôt qu'une exigence maximale.

S'il convient de rendre cette marge de sécurité accrue obligatoire, plutôt que facultative, c'est surtout à cause de l'expérience américaine. En 1999, Susan Wayland, directrice adjointe par intérim du Office of Prevention, Pesticides and Toxic Substances de l'EPA a écrit une lettre indiquant que sur les 120 principes actifs classiques évalués par l'EPA en vertu de la loi américaine entre 1996 et 1999, l'agence a retenu le facteur de sécurité décuplé relatif à la sécurité des enfants pour seulement 15 substances, soit 12,5 p. 100. Eh bien, ce n'est tout simplement pas suffisant. Appliquer cette marge dans seulement 12,5 p. 100 des cas ne permet absolument pas de protéger les enfants contre les effets nocifs de l'exposition aux pesticides.

Si l'objectif premier du projet de loi C-8 est la prévention des risques inacceptables pour les personnes et l'environnement que présente l'utilisation des produits antiparasitaires, il est impératif de modifier les articles 7, 11 et 19.

Bien qu'il soit possible de renforcer le projet de loi C-8 en y apportant des améliorations, nous appuyons ce projet de loi tel qu'il est actuellement rédigé. Par contre, nous avons maintenant l'occasion d'y apporter certaines améliorations, sans attendre encore sept ans pour avoir plus de preuves. Je suis certaine que lorsqu'on réexaminera la loi dans sept ans, vous reconnaîtrez tous, si nous n'agissons pas maintenant, qu'il aurait fallu que cette marge de sécurité soit obligatoire, plutôt que facultative.

Le président suppléant: Vous avez travaillé précédemment pour l'Institut canadien de la santé infantile, qui a mené une importante étude sur la santé des enfants canadiens. Vous êtes l'auteure de cette étude, n'est-ce pas?

Mme Schwartz: Oui. J'étais l'un des auteurs.

Le président suppléant: J'aurais dû mentionner ça tout à l'heure. Vos recommandations reposent donc sur une grande expertise en la matière.

Nous sommes tous en faveur de l'idée d'assure l'harmonisation de notre loi canadienne et de la législation américaine. Il est important que les produits puissent circuler librement en Amérique du Nord. Par conséquent, il convient que notre loi concorde le plus possible avec celle qui est appliquée aux États-Unis.

Vous avez parlé de la marge de sécurité supérieure qui s'applique aux États-Unis. Mais d'après ce que je vois ici, on parle ici de protection de la qualité des aliments. Et puisqu'on parle «d'aliments» on peut supposer que c'est par rapport aux limites maximales de résidus de pesticides qui sont autorisées pour les aliments, n'est-ce pas? Je n'ai pas lu la loi américaine, mais j'avais l'impression que la mesure qu'on proposait ici en ce qui concerne la protection des enfants allait plus loin que la mesure américaine. Il n'est pas question de maisons, d'écoles, et cetera. dans la loi américaine. Mais nous appliquons le même facteur de sécurité que les États-Unis en ce qui concerne les limites de résidus maximales. Donc, en ce qui concerne les aliments, nos normes sont identiques à celles des États-Unis. Mais que je sache, la loi américaine ne fait aucunement mention de l'exposition dans les écoles, les maisons, y compris les maisons de ferme, et cetera.

J'avais compris, en ce qui concerne la protection des enfants, que la mesure proposée irait plus loin que ce qui est actuellement prévu aux États-Unis. À ce moment-là, c'est plutôt aux États-Unis d'harmoniser leur loi avec la nôtre et de relever leurs normes, puisque les nôtres sont plus rigoureuses. Si je ne me trompe, dites-le-moi. C'est vous l'experte.

Mme Schwartz: À l'heure actuelle, d'autres projets de loi sont proposés aux États-Unis.

Le président suppléant: Je ne vous parle pas des mesures qui sont actuellement examinées par le Congrès, mais plutôt des lois qui sont déjà en vigueur.

Mme Schwartz: Vous avez raison de dire que la Loi américaine sur la protection de la qualité des aliments aborde la question des niveaux de résidus. À certains égards, je suis d'accord avec vous pour dire que le projet de loi C-8 va plus loin pour ce qui est de l'utilisation de ces produits dans les maisons, les écoles, et cetera. Par contre, il existe des lois aux États-Unis — en Californie, par exemple — qui traitent de la question de l'exposition aux pesticides dans les écoles et dans les maisons. Bien qu'il ne s'agisse pas de loi fédérale, il reste que certains États ont adopté des lois qui régissent les niveaux d'exposition.

Je trouve normal que le Canada envisage d'adopter des mesures visant à protéger les enfants dans tous les milieux où la possibilité d'exposition existe. Ils peuvent être exposés aux pesticides de par les produits alimentaires qu'ils consomment. Ils sont exposés à l'école si on utilise des pesticides sur la propriété de l'école ou même sur les pelouses de particuliers habitant près des écoles. Si nous éliminons le caractère facultatif de cette mesure, les enfants seront protégés partout. Mais la formulation actuelle ne garantira la protection que dans les écoles et les maisons. Ce n'est pas suffisant si nous voulons vraiment protéger les enfants.

Le sénateur Fairbairn: Vous avez fait un excellent travail. Je viens d'une région surtout rurale du sud-ouest de l'Alberta. Il ne fait aucun doute que les gens de ma génération commencent à connaître des problèmes de santé dont on sait maintenant qu'ils ont été causés par l'exposition aux pesticides à l'époque où l'utilisation de ces produits dans les zones agricoles était peu contrôlée, et peut-être pas du tout.

Les agriculteurs sont très préoccupés par ce problème et très conscients des dangers que présentent ces produits. Étant donné que vous avez beaucoup d'expertise dans le domaine de la santé infantile, peut-être pourriez-vous me dire dans quelle mesure il est possible par voie législative de bien protéger les enfants qui habitent dans les régions rurales et agricoles?

Mme Schwartz: Il faut d'abord supprimer la mention de «maisons ou écoles». La formulation actuelle du projet de loi ne permettrait pas de protéger les enfants qui vivent dans les fermes et qui sont exposés aux pesticides en milieu de travail.

Le sénateur Fairbairn: Mais ils seraient peut-être protégés dans les maisons de ferme.

Mme Schwartz: Oui, mais ils ne seraient pas protégés dans les terres agricoles où l'on utilise de tels produits. Vous savez bien pour avoir vécu dans une collectivité agricole qu'il y a énormément d'enfants qui travaillent dans la ferme. Ils montent sur les tracteurs. Même s'ils n'épandent pas les produits eux-mêmes — c'est le plus souvent la mère, le père ou un travailleur agricole qui se charge de le faire — ils y seront exposés en marchant dans les champs, en faisant de la cueillette ou dans le cadre d'autres activités de même genre. Ne serait-ce que pour cette raison-là, si nous souhaitons vraiment protéger les enfants en milieu agricole, il faut absolument supprimer la mention de maisons et d'écoles dans cet article.

Santé Canada a fait des recherches sur la santé des familles agricoles qui démontrent justement que certaines catégories de maladies sont plus fréquentes chez les enfants d'agriculteurs.

Lors de mon exposé devant le comité de la Chambre des communes, j'ai parlé de la chercheuse de Santé Canada, Tye Arbuckle, qui a mené cette recherche. Elle en a publié les résultats dans des revues spécialisées à l'échelle internationale. Ses données sont très convaincantes.

Le sénateur Fairbairn: Donc, à votre avis, aucune disposition de ce projet de loi ne permet de protéger les enfants en milieu agricole?

Mme Schwartz: Je ne dis pas qu'il n'y a pas de disposition qui viserait éventuellement le milieu agricole. Mais si nous souhaitons vraiment protéger les enfants en milieu agricole, il faut absolument supprimer la mention «dans les maisons ou les écoles» pour garantir l'application du facteur de sécurité décuplé — à condition évidemment que l'application de ce facteur soit obligatoire — aux substances qui sont utilisées dans tout milieu où des enfants risquent d'y être exposés. Cela comprendrait les fermes, les zones résidentielles, les écoles, les centres communautaires, les églises, et cetera. Cela voudrait donc dire que le facteur de sécurité décuplé s'appliquerait un peu partout.

Le président suppléant: Donc, vous proposez qu'il n'y ait pas d'exception?

Mme Schwartz: Non, pas vraiment, parce que les enfants peuvent être exposés à ces produits où qu'ils soient.

Le président suppléant: Donc vous proposez que ce facteur de sécurité décuplé s'applique partout. Est-ce que cela a été fait ailleurs?

Mme Schwartz: Que je sache, non. À l'heure actuelle, l'Union européenne envisage de rendre l'application du facteur de sécurité décuplé obligatoire.

Le président suppléant: Il s'agirait d'un facteur décuplé supplémentaire?

Mme Schwartz: Oui. Permettez-moi d'expliquer, pour que vous compreniez bien la notion de «certitude raisonnable de sécurité». À l'heure actuelle, la grande majorité des essais de pesticides sont effectués par l'industrie même sur des animaux. Ensuite l'industrie transmet les données d'essais à l'ARLA. Les protocoles actuels ne prévoient pas que la plupart des substances fassent l'objet d'essais. Par exemple, ils ne prévoient pas d'essais de neurotoxicité influant sur la croissance, d'immunotoxicité ou de perturbation hormonale.

Or, nous savons que c'est justement dans ces trois domaines que les enfants sont plus vulnérables que d'autres. Nous savons que leurs systèmes immunitaires sont plus vulnérables, comme le sont également leurs cerveaux et leurs systèmes nerveux. Nous savons que lorsqu'il y a perturbation du système endocrinien chez les enfants en bas âge, les effets négatifs continuent d'influer sur la santé pendant toute la vie. Et c'est surtout l'appareil génital qui est touché.

Le président suppléant: Je n'ai pas entendu le troisième.

Mme Schwartz: Le troisième était le test d'immunotoxicité. À l'heure actuelle, ces tests ne sont pas effectués pour la plupart des produits. Peut-être qu'il ne convient pas dans ce projet de loi d'exiger que ces essais soient effectués; par contre, j'ai l'intention de faire pression sur l'ARLA, dans le cadre de l'élaboration du règlement d'application de cette loi, pour que cette dernière modifie les protocoles pour prévoir que ces tests soient effectués en tout temps, même s'il est peu probable que cela se fasse.

Le président suppléant: Nous pourrions nous-mêmes faire cette recommandation.

Mme Schwartz: Oui, vous pourriez l'inclure dans vos recommandations, mais je la trouve problématique. Les relations que nous avons eues avec l'ARLA par le passé m'amènent à croire qu'il est peu probable que cette mesure soit retenue pour le règlement d'application. Il sera très difficile de convaincre les autorités de prévoir des essais de neurotoxicité influant sur la croissance, d'immunotoxicité et de perturbation hormonale. Nous savons qu'aux États- Unis, le groupe mis sur pied pour examiner la question des perturbateurs du système endocrinien n'a pas pu s'entendre sur la nature de l'essai qu'il conviendrait d'effectuer. Par contre, si nous exigeons l'application d'un facteur de sécurité décuplé dès maintenant, même sans avoir des données et sans que ces essais se fassent, nous garantirons une protection maximale à nos enfants. Les données scientifiques sont tout simplement trop incertaines pour l'instant.

Le président suppléant: Et quelle en serait l'incidence sur l'agriculture?

Mme Schwartz: Je suis convaincue que l'homologation sera accordée ou renouvelée pour de nombreux produits. À mon avis, il n'y aura pas de moratoire immédiat sur tous les pesticides.

Le président suppléant: Cela pourrait avoir des incidences considérables sur les produits agricoles.

Mme Schwartz: Cela voudrait simplement dire que les taux d'application ne seront pas aussi élevés qu'ils le sont actuellement. Ça ne veut pas nécessairement dire que ces produits ne seront plus autorisés. Il faudra simplement en utiliser moins de sorte que le niveau seuil — c'est-à-dire le niveau à partir duquel il n'y a pas d'effets — soit plus élevé. Par conséquent, la norme qu'on appliquerait assurerait une meilleure protection. Au niveau de l'application, il s'agirait donc d'utiliser moins de produit.

Je ne suis pas convaincue qu'il y aurait des incidences importantes sur le secteur agricole. Par contre, les fabricants de pesticides pourraient éventuellement être touchés par une telle mesure, puisqu'il ne serait peut-être plus rentable de continuer à fabriquer certains produits. Permettez-moi de vous donner un exemple d'un produit de ce genre: le Lindane sera éliminé progressivement grâce à cette nouvelle loi seulement. Or c'est un produit qui est connu pour être toxique chez les enfants. Malgré tout, on continue d'autoriser son utilisation dans les produits d'élimination des poux. On utilise ce produit sur les têtes des enfants. Mais dans le cadre de la Loi actuelle sur les produits antiparasitaires, et du processus de renouvellement de l'homologation, tel qu'il existe maintenant, il a fallu que le fabricant demande à renouveler l'homologation de son produit pour qu'on puisse le retirer du marché.

Le président suppléant: Merci, madame Schwartz.

Notre dernier témoin ce soir est le Dr Libuse Gilka du groupe Physicians and Scientists for Healthy World. Docteur Gilka, vous avez la parole.

Dr Libuse Gilka, Physicians and Scientists for a Healthy World: Les pesticides synthétiques à base de produits chimiques posent plusieurs problèmes fondamentaux. D'abord, jusqu'à tout dernièrement, nous, les médecins, avions très peu d'information à ce sujet dans les publications médicales. Selon le Journal de l'Association médicale canadienne, il y a eu énormément d'activités en ce qui concerne les études scientifiques. Selon les évaluations, environ 20 000 revues médicales sont publiées chaque année de même qu'environ 400 000 études liées à la médecine. Ça, c'était il y a 15 ans. À l'heure actuelle, ces chiffres sont plus élevés. De plus, nous observons une certaine interpénétration des domaines de spécialisation, par exemple entre la toxicologie et la médecine.

Lorsque je préparais l'exposé que j'allais faire devant le comité de la Chambre des communes il y a quelques années sur les pesticides, j'ai appelé les responsables du Journal de l'Association médicale canadienne pour demander qu'on me fasse parvenir l'information publiée dans ce journal concernant la santé et l'environnement au cours des 10 dernières années — il s'agit du journal de base que lisent tous les médecins de famille et omnipraticiens. Donc, on m'a envoyé 12 ans d'information: cela consistait en trois lettres au rédacteur du journal, deux articles repris de journaux et une annonce concernant une conférence sur les questions environnementales et la santé. La lettre d'accompagnement que j'ai reçue avec cette documentation m'indiquait que le Journal de l'Association médicale canadienne ne publie rien sur l'environnement et la santé puisque c'est le domaine d'expertise du Dr Levi. On m'a donc donné son numéro de téléphone.

J'ai appelé le Dr Levi et il était très surpris de voir que je m'informais auprès de lui. Il ignorait qu'on lui avait donné à son insu la responsabilité de faire l'éducation de tous les médecins canadiens concernant l'environnement et la santé. Il n'était pas au courant d'une autre revue qui aurait une section traitant de ces questions-là. Il pensait qu'il y en aurait peut-être une aux États-Unis.

Par la suite, une petite série d'articles — environ six en tout — sur l'environnement et la santé a été publiée. Mais nous avons cessé de voir des informations à ce sujet en 2001. Cette année, quelques articles ont paru, y compris un article sur les pesticides, mais cette série, si on peut dire, n'existe plus. Donc, le premier problème, c'est que les médecins n'obtiennent aucune information sur l'incidence des pesticides sur la santé humaine. De plus, il s'agit d'un phénomène nouveau. Les médecins veulent toujours avoir accès à des vraies études scientifiques. Par conséquent, de nombreux décideurs qui posent la question aux médecins se font dire qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter, puisque les publications médicales ne parlent absolument pas d'incidence éventuelle. Les gens supposent que s'il y avait des problèmes, c'est les pays du Tiers monde qui en seraient touchés ou peut-être encore ceux qui doivent manipuler directement les pesticides. Donc, on considère que les pesticides ne posent pas problème.

Deuxièmement, on n'effectue pas les essais qu'il faudrait effectuer au laboratoire. Encore une fois, puisqu'on parle de documentation, je peux vous citer le cas d'une patiente dont le frère avait peu des insectes, si bien qu'il mettait toujours du produit autour de son lit. Cette patiente était une ancienne secrétaire de premier ministre qui avait pris sa retraite, et donc il s'agissait de toute évidence d'une femme intelligente. J'ai examiné son frère qui avait des problèmes un peu étrange, et j'étais tout à fait d'avis qu'il fallait faire des tests pour essayer de déceler les effets éventuels des produits qu'il vaporisait autour de son lit. Mais étant donné que j'avais déjà essayé en vain de trouver un endroit où on pourrait faire faire des essais, je lui ai demandé de faire une recherche. Elle a commencé à une heure de l'après-midi et à cinq heures du soir, elle n'avait toujours rien trouvé. La seule possibilité aurait été de faire faire des tests aux États- Unis. Or, ces tests auraient coûté 2 000 $, somme qui dépassait les moyens de cet homme.

Donc, on n'en parle pas dans les publications médicales. On n'en parle pas dans les manuels ou les revues et journaux médicaux. Et les laboratoires auxquels on a accès en tant que citoyens ne font pas de tests de ce genre. Par conséquent, nous ne sommes pas vraiment conscients ni de l'étendue ni de la gravité du problème. Pour cette raison, on considère toujours que c'est une question qui concerne les écologistes et l'industrie. Or il s'agit d'un très grave problème de santé publique qui peut potentiellement toucher tout le monde.

Les laboratoires américains ont fait des évaluations à partir de tissus humains. Ces évaluations ont permis de constater qu'à l'heure actuelle, chacun porte en lui des centaines de substances étrangères, y compris les pesticides. L'effet final dépend de nombreux facteurs, à la fois connus et inconnus, y compris de facteurs psychologiques.

Il devient de plus en plus clair qu'il y a un lien entre l'exposition aux pesticides et notre état de santé. Les études menées sur la santé des agriculteurs le prouvent, d'ailleurs. Par exemple, une étude a été menée auprès de 150 000 agriculteurs canadiens; cette étude démontrait que les problèmes de santé qui sont de plus en plus fréquents dans notre société et dans le monde entier sont encore plus présents chez les agriculteurs, à savoir différents cancers, y compris le cancer de la prostate, le cancer des testicules chez les jeunes hommes, et le cancer du sein. Une récente étude a permis de constater que le cancer du sein est neuf fois plus fréquent chez les femmes agricoles que dans la population générale. Au sein de la population générale, c'est une femme sur huit qui a un cancer du sein. Autrement dit, si une femme vit suffisamment longtemps, elle a une chance sur huit d'être atteinte d'un cancer du sein. Il est donc difficile d'imaginer que les risques soient neuf fois plus élevés pour une population donnée — cela signifie donc que presque chaque femme qui travaille en milieu agricole aura tôt ou tard un cancer du sein.

Des études ont également permis d'observer que la fréquence de la leucémie chez les enfants venant d'un milieu social plus élevé est de six à sept fois plus élevée. Cette maladie est plus courante chez les enfants issus de milieux sociaux plus élevés parce que leurs parents ont l'occasion d'engager un jardinier qui leur fait de très beaux jardins, de très belles pelouses, et cetera., mais le résultat, c'est des enfants qui sont atteints de leucémie.

Malheureusement, ces liens de causalité ne sont pas suffisamment reconnus. Le seul cancer qui est plus fréquent chez les agriculteurs, par rapport à la population générale, c'est le cancer des lèvres. Il semblerait qu'après avoir touché des pesticides, les agriculteurs mangent ou se touchent les lèvres. C'est le seul cancer qui ne se manifeste pas dans la population générale.

Nous avons examiné à part la génération des agriculteurs plus âgés qui ne se sont pas servis de pesticides. Leur état de santé était meilleur que celui du reste de la population. Par contre, chez la génération d'agriculteurs qui ont été exposés aux pesticides, on constate que tous ces problèmes de santé sont présents à un taux plus élevé que dans la population générale. On peut donc en conclure qu'il existe un lien de causalité.

Cependant, nous sommes dans l'impossibilité de bien évaluer les incidences des pesticides sur la santé humaine étant donné que les pesticides sont évalués individuellement, que nous sommes tous exposés à des mélanges et que tout le monde est différent. L'exposition globale n'est pas prise en compte. De plus, les formules ne sont pas homologuées intégralement parce qu'on considère que certains ingrédients sont inertes. Par contre, ces derniers peuvent être parfois plus toxiques que les autres ingrédients.

Les enfants au stade prénatal sont particulièrement vulnérables. Il a été observé que pendant la grossesse, les pesticides et autres produits chimiques qui se déposeraient normalement dans les tissus de la mère se déposent plutôt dans les tissus de l'enfant en gestation. Le placenta n'est pas en mesure d'empêcher l'exposition.

Le président suppléant: Docteur Gilka, comme je l'ai déjà dit, nous avons déjà examiné votre documentation. Nous sommes certainement d'accord avec vous pour ce qui est de la longue liste de problèmes de santé qu'on peut associer aux pesticides.

Peut-être pourriez-vous nous présenter vos recommandations précises concernant le projet de loi dont nous sommes actuellement saisis. J'aurais également une question à poser concernant l'information fournie dans vos documents.

J'ai trouvé intéressant que vous disiez qu'il convient d'interdire les pesticides synthétiques à base de produits chimiques pour des raisons d'avantages sociaux et économiques. Donc, recommandez-vous que l'utilisation des pesticides soit complètement interdite? Il n'y a pas d'autres avantages si ce n'est les avantages sociaux et économiques. Recommandez-vous donc que l'utilisation des pesticides soit tout à fait interdite? C'est bien ça? Sinon, quelles seraient vos recommandations sur le projet de loi que nous examinons en ce moment?

Dr Gilka: Notre première recommandation serait d'interdire immédiatement l'utilisation injustifiée des pesticides, c'est-à-dire pour des raisons esthétiques ou pour protéger les animaux contre les puces. Mais il n'y a pas que les utilisations pour des raisons esthétiques qui soient injustifiées. Il n'est pas du tout nécessaire de vaporiser les appartements et les hôtels, par exemple. Plus les immeubles ou les hôtels sont chers, plus on a tendance à utiliser ces produits, parce qu'il n'est pas question qu'il y ait la moindre fourmi ou autre insecte. Donc, ce genre de mesures pourraient être prises dès maintenant.

Les êtres humains sont organisés essentiellement de la même façon que toutes les autres créatures. Nos structures et les caractéristiques essentielles de nos cellules et composantes biochimiques sont semblables. Bon nombre d'expériences sont faites sur les bactéries, et on applique ensuite les résultats à la population humaine.

Les pesticides sont toxiques à dessein, mais malheureusement, ils ne restent pas sur place; ils se déplacent. Nous savons, par exemple, que des pesticides utilisés dans des zones tropicales ont été détectés dans l'Arctique.

Il nous faut donc trouver de nouveaux moyens de protéger les aliments cultivés par les agriculteurs sans avoir recours à des substances toxiques, parce que des procédés tels que le bio-accroissement et la bio-accumulation — la propagation des produits chimiques dans la nature. Lors de l'introduction de ces produits, nous n'étions pas au courant de leurs effets possibles. Ils nous semblaient tellement merveilleux; mais maintenant, 50 ans plus tard, nous comprenons leurs effets potentiels. Nous sommes au point maintenant où, si nous ne prenons pas de mesures, nous allons subir des conséquences graves. Voilà ce à quoi nous nous exposons.

Le président suppléant: Comme vous le dites dans votre document, vous préconisez l'approche non chimique dans la lutte antiparasitaire.

Dr Gilka: C'est exact.

Le sénateur Fairbairn: Je présume que vous êtes du même avis que Mme Schwartz en ce qui concerne la nécessité de protéger les enfants et donc, comme elle le disait, d'interdire l'utilisation des pesticides partout où les enfants se rencontrent ou vivent.

Dr Gilka: Oui. Il faut aussi se rendre compte que les adultes sont également touchés par ces produits.

Le sénateur Fairbairn: Oui, j'en suis consciente.

Dr Gilka: D'ailleurs, tout le monde peut en être touché. Une fois que les gens se rendront compte à quel point ils sont touchés par ces produits, nous pourrons prendre des mesures qui bénéficieront tout le monde, même à ceux qui font la promotion des pesticides.

Le sénateur Fairbairn: Si vous étiez en mesure de proposer un changement au projet de loi, quel serait ce changement?

Dr Gilka: D'abord, je recommanderais qu'on entreprenne à l'échelle mondiale une grande campagne de sensibilisation du public aux effets des produits chimiques sur la santé humaine. Il faut qu'il y ait de vrais changements positifs; cela suppose donc que des efforts soient déployés à cet égard non seulement au Canada, mais dans le monde entier. Il faut commencer par renseigner les médecins et les sensibiliser au problème, parce que si nous constatons que la fréquence des cancers chez les enfants est plus élevée, il faut commencer à en découvrir la cause.

Lorsque j'ai commencé ma carrière de pédiatre en 1960, les enfants n'avaient pas de cancers. L'asthme était très rare. J'ai travaillé pendant trois ans dans un grand hôpital à titre de membre du personnel médical. Chaque fois qu'un enfant mourrait, soit à la maison soit à l'hôpital, une autopsie était obligatoirement effectuée. À cette époque, et pendant les trois ans où j'ai travaillé dans cet hôpital, j'ai eu un cas de carcinome héréditaire, un cas spécial de neuroblastome, qui était transmise d'une génération à l'autre dans la famille, et un cas de leucémie. Maintenant on voit de tout chez les enfants — c'est encore pire qu'ici.

J'ai travaillé déjà comme médecin depuis une dizaine d'années lorsque je suis venu au Canada; à l'époque, j'étais au courant d'un seul cas de tumeur au cerveau. Chaque fois qu'il y avait un décès à l'hôpital, on effectuait obligatoirement une autopsie. Mais maintenant, partout il y a des gens qui ont une tumeur au cerveau — comme je viens de le dire, la situation là-bas est encore pire qu'ici. À l'époque, dans mon pays d'origine, les pesticides n'étaient pas utilisés parce qu'on ne disposait pas de suffisamment de devises étrangères pour payer ce genre de chose, surtout que les soins de santé pour la population générale n'étaient pas considérés comme étant très importants dans les pays communistes.

Mais la situation a changé de façon radicale au cours des 40 dernières années. Sinon, les dessins faits par les enfants exposés à des pesticides courants — ici au Canada, ces pesticides sont également très courants — que vous voyez à la première page de notre mémoire — eh bien, ces dessins pourraient être faits par nos petits-enfants.

Le sénateur Cook: Vous parlez ici du principe de prudence, comme beaucoup d'autres témoins, d'ailleurs. Vous parlez aussi du droit des citoyens d'être informés. Vous parlez d'éducation et de sensibilisation du public. Il y a plusieurs éléments.

Pour ce qui est de l'éducation, je constate que vous parlez des écoles de médecine, entre autres. Recommanderiez- vous que cela fasse partie du programme d'études au niveau de base?

Dr Gilka: Oui.

Le sénateur Cook: Je sais qu'il s'agit d'une mesure à envisager à plus long terme. Mais est-ce le genre de chose qu'on devrait faire?

Dr Gilka: Oui, absolument. Il y aurait une façon de sensibiliser presque toute la population d'Amérique du Nord en deux semaines, et comme nous arrivons à la fin de l'année, ce serait justement un moment très approprié. J'ai en tête l'idée d'une affiche qui énumérerait les raisons pour lesquelles il ne faut pas utiliser les pesticides à des fins cosmétiques ou sans que ce soit justifié. Il faudrait faire une affiche qui soit utilisée pendant trois ou quatre ans pour un calendrier, de sorte qu'il reste sur le mur. On pourrait aussi mettre ces affiches dans les salles d'attente des cabinets de médecins, des hôpitaux, et cetera.

On pourrait donner un numéro sans frais où les gens pourraient obtenir de l'information. Ici à Ottawa, le service de santé d'Ottawa-Carleton dispose d'excellentes informations sur la question. L'information pourrait être enregistrée et communiquée au public en utilisant ce genre de machine. Voilà une façon de sensibiliser les médecins à l'importance de ce problème.

Pour ce qui est de la population générale, j'ai une idée à propos de ce qu'on peut faire pour sensibiliser la population — il s'agirait d'un programme de sensibilisation qui serait axé sur des activités permanentes. Il y aurait de nouvelles activités au début de chaque saison, et on pourrait parler, par exemple, de l'eau si on se trouve au début de l'hiver ou du printemps. Dans les médias, — à la radio et à la télévision, par exemple — on pourrait favoriser des discussions sur le problème. Si on a recours à des personnes qui attirent l'attention des gens — par exemple, des athlètes, des acteurs ou des actrices — parce qu'il y a un certain nombre d'entre eux qui participent à de telles activités — les gens écouteront ce qu'on leur dit à la télévision. C'est ainsi qu'ils se renseigneront sur ce problème.

Deuxièmement, il y a toutes sortes de bonnes idées qui pourraient aider, mais elles émanent le plus souvent de gens qui ne savent pas vraiment comment les concrétiser. Par exemple, les scientifiques sont assez isolés. Mais ce sont les scientifiques qui pourraient expliquer les données de façon à nous permettre d'améliorer la situation — par exemple, les déversements de pétrole. Nous savons déjà que certaines bactéries permettent de réaliser la transmutation dans le cas de déversement de pétrole. Encore une fois, ils n'ont pas eu recours à cette méthode en Espagne. Le Canada pourrait jouer un rôle de chef de file dans ce domaine si nous disposions d'une banque de données renfermant toute cette information.

Le président suppléant: Vous tenez des propos très optimistes.

Nous allons devoir mettre fin à cette discussion fort intéressante. Docteur Gilka, si vous avez d'autres documents que vous aimeriez nous faire parvenir, nous serions très intéressés à les examiner.

Dr Gilka: J'ai d'autres documents qui ont été présentés au comité chargé d'étudier les pesticides. Cela concerne les effets transmis de génération en génération.

Le président suppléant: La greffière se chargera de nous faire parvenir cette documentation.

Je tiens à vous remercier, madame Schwartz et docteur Gilka, de votre présence. Nous avons passé un après-midi très intéressant.

La séance est levée.


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