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Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale 
et de la défense

TÉMOIGNAGES


CALGARY, le mardi 8 mars 2005

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 10 h 30 pour examiner la politique nationale sur la sécurité pour le Canada et en faire rapport.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Avant de procéder, je veux prendre un moment pour exprimer, au nom du comité, nos plus sincères condoléances aux famille des victimes de la récente tragédie où des agents de la GRC ont été assassinés. Nous savons qu'elles, ainsi que les membres de la GRC et tous ceux qui sont rattachés à la GRC de près ou de loin, traversent des moments très difficiles, et nos pensées les accompagnent.

Nous ouvrons maintenant une réunion du Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense. Je m'appelle Colin Kenny et je suis président du comité. Je vais prendre le temps de vous présenter les membres du comité.

Immédiatement à ma droite se trouve un distingué sénateur de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Michael Forrestall. Il est au service des électeurs de Dartmouth depuis 37 ans. Il a été député à la Chambre des communes avant d'arriver au Sénat. À la Chambre des communes, il a occupé, de 1966 à 1976, le poste de porte-parole de l'opposition officielle pour les questions de défense. Il est également membre du Sous-comité des anciens combattants. À ses côtés se trouve le sénateur Norman Atkins, de l'Ontario. Il est arrivé au Sénat avec 27 ans d'expérience dans le domaine des communications. Il a agi à titre de conseiller principal de l'ancien chef du Parti conservateur fédéral, M. Robert Stanfield, du premier ministre de l'Ontario William Davis et du premier ministre Brian Mulroney. Il est également membre du Sous-comité des anciens combattants.

À ses côtés se trouve le sénateur Michael Meighen, avocat et membre des associations du Barreau du Québec et de l'Ontario. Il est chancelier du King's College. Il a aussi été président du Festival de Stratford. Il détient des doctorats honorifiques en droit civil de l'Université Mount Allison et de l'Université du Nouveau-Brunswick. Il est actuellement président du Sous-comité des anciens combattants et membre du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

Le sénateur Nolin est sa droite.

[Français]

Le sénateur Nolin est du Québec. Il est avocat et sénateur depuis 1993. Il a présidé le Comité spécial sur les drogues illicites. Actuellement, il est le vice-président du Comité sénatorial de la Régie interne, des budgets et de l'administration.

Il est sur la scène internationale depuis 1994. Il est délégué du Parlement du Canada auprès de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Le sénateur Nolin est vice-président de cette organisation. Il agit aussi à titre de rapporteur général de la Commission des sciences et de la technologie.

[Traduction]

À ma droite se trouve le sénateur Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse. C'est une éducatrice accomplie qui s'investit énormément depuis longtemps dans la collectivité, notamment à titre de vice-présidente de la commission de développement du port de Halifax-Dartmouth. Elle est actuellement présidente de l'association parlementaire Canada-OTAN et membre du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

À côté d'elle se trouve le sénateur Jim Munson, de l'Ontario, journaliste hautement crédible et ancien directeur des communications du premier ministre Chrétien jusqu'à son arrivée au Sénat, en 2003. Le sénateur Munson a été deux fois en nomination pour un prix Gémeaux, en reconnaissance de son excellence en journalisme. Notre comité est le premier comité du Sénat à se voir confier le mandat d'examiner les questions de sécurité et de défense. Le Sénat a chargé le comité d'examiner les besoins à l'égard de la politique nationale de sécurité.

Nous avons commencé notre étude en 2002, et avons produit trois rapports : L’état de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense, en février; La défense de l'Amérique du Nord : une responsabilité canadienne, en septembre; puis Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes,

une vue de bas en haut, en novembre.

En 2003, le comité a publié deux rapports : Le mythe de la sécurité dans les aéroports canadiens, en janvier; puis Les côtes du Canada : Les plus longues frontières mal défendues au monde, en octobre. En 2004, nous avons déposé encore deux rapports : Les urgences nationales : Le Canada, fragile en première ligne, en mars; et, plus récemment, le Manuel de sécurité du Canada, édition 2005.

Le comité examine actuellement la politique de défense du Canada. Au cours des prochains mois, le comité tiendra des audiences dans toutes les provinces pour tenter de déterminer quels sont les intérêts nationaux des Canadiens, ce qu'ils considèrent comme étant les principales menaces pour le Canada et comment ils voudraient que le gouvernement réagisse à ces menaces. Le comité tentera de générer un débat sur la sécurité nationale au Canada et de déterminer quel est le consensus, parmi les Canadiens, concernant les besoins en matière de défense militaire et le type de défense désiré.

Chers collègues, nous recevons aujourd'hui deux distingués témoins. M. David Bercuson est doyen de la faculté des Études supérieures à l'Université de Calgary et directeur du centre d'études militaires et stratégiques. Il a publié des articles dans des revues scientifiques et populaires sur un large éventail de sujets comme la politique moderne au Canada, la politique canadienne en matière de défense et d'affaires étrangères ou l'histoire militaire du Canada. Il a rédigé ou écrit en collaboration ou encore révisé plus de 30 ouvrages destinés au grand public ou à un public spécialisé. Il collabore aussi régulièrement à des émissions de télévision et de radio à titre de commentateur.

On a récemment souligné et récompensé sa carrière en lui décernant un « professorship », un des plus grand honneurs attribués par l'Université de Calgary. Il est colonel honoraire du 33e escadron du génie, une unité de génie militaire de la réserve terrestre des Forces canadiennes. Il est également officier de l'Ordre du Canada. Récemment, il a reçu le Prix Vimy de l'Institut de la Conférence des associations de la défense.

M. Rob Huebert l'accompagne. Il est professeur de sciences politiques à l'Université de Calgary. Il est aussi directeur du centre des études militaires et stratégiques et rédacteur en chef du Journal of Military and Strategic Studies.

M. Huebert est spécialiste des relations internationales, des études stratégiques, des politiques étrangères et de défense du Canada, des relations circumpolaires, de la politique en matière d'océans et des études navales.

Messieurs, bienvenue au comité. Vous avez tous deux un court exposé à présenter. M. Bercuson, vous avez la parole.

M. David Bercuson, professeur, département d'histoire, Université de Calgary : Merci, sénateur Kenny. Avec tout le respect que je vous dois, je signale que je ne suis plus doyen de la faculté des Études supérieures. Je veux aussi faire remarquer que nous sommes tous deux membres de l'institut canadien de la défense et des affaires étrangères, qui est basé à Calgary.

Je commence par vous remercier, sénateur Kenny, ainsi que tous les membres du comité, d'avoir entrepris cette étude. Je suis convaincu que cette entreprise est attribuable en grande partie à la conviction du comité qu'il n'était pas nécessaire de se conformer à la lenteur avec laquelle le gouvernement a rempli son engagement, pris il y a quatre ans, de présenter un nouveau livre blanc sur la défense.

La semaine dernière, deux événements majeurs se sont produits dans le domaine de la défense : premièrement, la décision à l'égard de la défense antimissile balistique, ou BMD, et, deuxièmement, la présentation du budget. Je crois que les deux événements sont inextricablement liés. La présentation du budget a permis au gouvernement de faire marche arrière en matière de défense antimissile tout en affirmant qu'il raffermissait l'engagement du Canada à l'égard de la défense du continent et de la lutte mondiale pour la paix et la sécurité.

C'est un secret de polichinelle que le gouvernement avait pratiquement promis aux États-Unis que le Canada participerait au bouclier de défense antimissile. Les premières étapes n'impliquaient aucun coût pour le Canada. À l'heure actuelle, il n'y a probablement pas d'arsenalisation de l'espace en voie de réalisation. Le Canada aurait pu commencer par une décision favorable à la défense antimissile pour en arriver ensuite à la question vraiment importante, soit l'avenir du NORAD. Le NORAD doit être renouvelé dans un peu plus d'un an. On devra alors se demander comment cet avenir sera lié aux recommandations, quelles qu'elles soient, du Groupe de planification binational.

Quelles que soient les assurances que le gouvernement avait données aux États-Unis concernant la défense antimissile, elles avaient été faites, pour la plus grande partie, par un gouvernement majoritaire dont les sondages montraient clairement qu'une majorité de Canadiens étaient favorables à ce projet. Elles avaient probablement aussi été données dans l'espoir fervent que John Kerry siégerait à la Maison-Blanche au moment où cela serait confirmé. M. Kerry, comme nous le savons, n'est pas contre le projet de bouclier, mais il aurait vraisemblablement procédé au déploiement plus lentement, ce qui aurait donné une plus grande marge de manoeuvre au Canada.

Aujourd'hui, face à une opposition officielle conservatrice hésitante, une coalition Bloc-NPD fortement anti-américaine et une poignée de libéraux dissidents, le gouvernement avait besoin d'un moyen de mettre le projet de défense antimissile sur la glace. Il l'a fait sous le couvert du budget.

À court terme, c'était la voie la plus facile. Les mesures prévues dans le budget sont applicables plus tard, et la véritable facture pour l'expansion des Forces canadiennes n'est pas attendue avant 24 mois, au moins. D'ici à ce que les véritables coûts doivent être payés, le contexte de gouvernement minoritaire se sera probablement réglé, ce qui donnera au gouvernement le pouvoir nécessaire pour prendre toute décision stratégique à long terme qu'il juge souhaitable sans avoir à s'inquiéter à cause de l'opposition fragmentée ou des membres dissidents du caucus. Autrement dit, le contexte politique — en fonction duquel la décision a été prise concernant la défense antimissile — sera du passé.

S'il y a une réflexion réaliste, à long terme, au ministère des Affaires étrangères ou au cabinet du premier ministre, et je ne parle pas du ministère de la Défense nationale parce que je crois que M. Graham était totalement favorable au projet de défense antimissile, ou à la BMD, il s'ensuit que quelqu'un au gouvernement sait très bien que cette décision, concernant la BMD, ne tient pas à long terme. Elle ne peut pas tenir sur une période de, disons, 10 ou 15 ans, parce que, d'abord, la technologie de la BMD se sera perfectionnée d'ici-là et, ensuite, parce que l'arsenalisation de l'espace aura été réalisée par les États-Unis et par un certain nombre d'autres pays. Il n'y a aucun doute là-dessus, pas plus qu'il n'y a de doute qu'il existait une force aérienne en 1914.

Le gouvernement a probablement évalué sommairement les dommages qu'il devra réparer quand il décidera de se joindre au projet de BMD une fois qu'il aura de nouveau la majorité. Il a probablement décidé que ce sera plus facile à ce moment-là que de faire face maintenant à la colère de la coalition anti-BMD. En politique, comme on dit, une semaine, c'est long.

Je suis inquiet. Si le gouvernement et l'opposition officielle manquent tous les deux de la force de faire preuve de leadership en matière de défense continentale sur une question qui exige tellement peu du Canada, quel sera le sort du NORAD et que fera-t-on des recommandations du Groupe de planification binational si nous avons toujours un gouvernement minoritaire en mai 2006! La décision de la semaine dernière sur la BMD nous donne peu de garanties que des questions aussi importantes seront réglées en fonction du principe fondamental plutôt que selon leur valeur réelle eu égard aux intérêts nationaux du Canada.

Enfin, le budget de la défense m'inquiète. Une fois l'adoption du budget passée, le seul engagement réel du gouvernement sera de fournir 500 millions de dollars au cours de l'exercice 2005-006. S'il y a des élections d'ici le prochain budget, un gouvernement libéral majoritaire honorera-t-il ses engagements sur cinq ans? Après tout, comme nous l'avons vu en 1993, un engagement peut être supprimé d'un trait de plume. Si le gouvernement minoritaire actuel est toujours en place et que la dynamique politique actuelle demeure inchangée, le gouvernement pourra-t-il faire approuver les promesses faites pour sa deuxième année, devant une coalition anti-américaine qui résisterait aussi fortement aux hausses substantielles du budget de la défense qu'elle a résisté la défense antimissile balistique? Merci.

M. Robert Huebert, professeur, département des sciences politiques, Université de Calgary : Tout d'abord, sénateurs, je vous remercie de nous avoir reçus et d'organiser ce type de rencontres. Les comité a réalisé des travaux remarquables, et il est probablement l'un des seuls à faire l'effort d'examiner et d'évaluer les enjeux délicats de la politique de défense et de sécurité du Canada. Je sais que vos travaux ont inspiré bon nombre de nos étudiants de deuxième cycle quant aux sujets de leurs travaux, allant de la sécurité aéroportuaire à la sécurité maritime, entre autres. Pour ces raisons, vous méritez des félicitations.

Si je voulais que M. Bercuson prenne la parole avant moi, c'est que je voulais qu'il soit consigné dans le compte rendu que je suis tout à fait d'accord sur son exposé de la situation et des problèmes que nous connaissons en matière de défense continentale. Je savais qu'il pourrait ainsi parler sans que j'aie besoin de répéter. Cela me permet de m'attacher à l'élément précis que j'aimerais examiner, soit la sécurité dans l'Arctique canadien.

Nous connaissons une période trouble sur le plan de la sécurité dans l'Arctique, parce que plusieurs événements internationaux, tant physiques que politiques, font monter la pression et mettront de plus en plus à risque la souveraineté et la sécurité dans l'Arctique. Le problème majeur, dans ce contexte, c'est que nous sommes aux prises avec une situation propre à changer le monde, mais que cette situation se déroulera sur un période dont on ne sait rien de la durée.

Il y a beaucoup d'incertitude à court terme. Le type de problèmes que nous connaissons peut être de l'ordre de la sécurité militaire, dont je parlerai dans un moment, ou de la souveraineté et du partage des territoires, en passant par les simples questions de loi et d'ordre. Ce qui complique encore la situation, en matière de sécurité dans l'Arctique, c'est que toutes les solutions nécessaires seraient longues à appliquer, coûteuses et sans avantage politique immédiat.

Dans certains cas, le genre de problèmes que nous connaissons ne se manifesteront pas avant 20 ou 25 ans. Le comité est tout à fait conscient, j'en suis sûr, qu'il faut de 20 à 25 ans pour construire les éléments d'infrastructure et acquérir les ressources nécessaires pour assurer le respect des conventions, surtout si l'on parle de navires. Autrement dit, il s'agit de problèmes pour la prochaine génération, mais pour lesquels il faut tout de suite commencer à mettre les solutions en place.

Quels sont les principaux enjeux? Deux éléments majeurs modifient littéralement la face de l'Arctique canadien. Le premier est le changement climatique, et le deuxième, l'exploitation des ressources. Les deux sont interreliés. Les effets apparents du changement climatique et la publication récente du rapport Arctic Climate Impact Assessment, qui éliminait plus ou moins tout doute quant à l'ampleur du problème, démontre que l'Arctique devient de plus en plus accessible, d'une façon générale.

Pour le moment, on prévoit que, entre 2050 et 2070, l'Arctique deviendra une zone libre de glace durant l'été. Ce n'est plus une conjecture. Il n'y a plus de spéculations; c'est le résultat d'un examen scientifique multinational, effectué sur plusieurs années et suivant les méthodes les plus perfectionnées. Certains contestent toutefois le moment où cela se produira. Selon moi, il ne s'agit plus de savoir si cela se produira, mais quand cela se produira.

Cela amène bien sûr la question de l'exploitation des ressources dans le Nord. Les réserves de gaz sont l'un des éléments critiques dont on discute en ce moment même, derrière la porte d'à côté. On y parle aussi des conclusions de la conférence canadienne sur l'énergie. On a fait remarquer, au cours de cette conférence, et tous les éléments de preuve vont dans le même sens, que les Canadiens comptent de plus en plus sur le gaz naturel pour satisfaire leurs besoins en énergie. On a aussi fait remarquer que nos propres réserves sont surutilisées. On peut dire la même chose des Américains pour ce qui est de leurs réserves de pétrole.

Les ressources en mer de gaz naturel et de pétrole dans le delta du Mackenzie et sur le versant Nord demeurent l'une des réserves critiques de cette importante source d'énergie en Amérique du Nord. En outre, de nouvelles formes d'énergie, les hydrates, sont activement explorées.

Je pourrais poursuivre et énumérer tous les éléments du trésor qui se trouvent dans le Nord canadien, et rappeler que nous sommes arrivés, en cinq ans, à nous jucher au rang de troisième producteur de diamants au monde, alors que nous sommes partis de rien. Il se pourrait que nous atteignions le deuxième rang dans un futur prochain, quand la troisième mine commencera à produire. La conclusion, c'est que le Nord devient plus accessible, et que nous entrons dans la course pour l'exploitation de ses ressources.

Quels sont les enjeux auxquels le Canada doit faire face sur le plan de la sécurité? Comme je le disais dans mon introduction, d'un point de vue théorique, on peut les diviser en questions de stricte sécurité, de souveraineté, puis de loi et d'ordre. Je signale au comité que tout effort réaliste pour tenter de les séparer de cette façon est voué à l'échec. Pour faire respecter la souveraineté du Canada, nous devons assurer la sécurité de l'Arctique. Et, de la même façon, les mesures d'application de la loi et de surveillance devront également être déterminées en fonction des besoins sur les plans de la souveraineté et de la sécurité.

Quels sont les enjeux auxquels nous devons nous attaquer, aujourd'hui, en 2005? Considérant qu'une image vaut mille mots, je vous ai préparé un aperçu de certains d'entre eux. Si vous regardez la première carte que je vous ai remise, vous verrez les cinq principaux éléments relatifs à la souveraineté et aux frontières dont nous devons nous occuper maintenant ou bientôt.

Le Passage du Nord-Ouest fait toujours l'objet d'un différend avec nos alliés américains. Les Américains maintiennent qu'il s'agit d'un passage international, tandis que nous maintenons qu'il s'agit d'eaux intérieures. C'est une question de contrôle qui est en jeu. S'il s'agit d'eaux intérieures, nous pouvons décider du genre de navigation que nous y autorisons et dans quelles conditions. S'il s'agit d'un passage international, ce sont les organisations maritimes internationales et les règles prévues par le droit international qui détermineront les conditions de navigation.

Nous avons aussi une querelle frontalière avec les Américains, qui a refait surface récemment, au sujet de l'extension de la mer de Beaufort. C'est un triangle. Nous prolongeons notre frontière tout droit. Les Américains la dessinent perpendiculaire à la côte. On croit que les ressources pétrolières et gazières sont importantes dans ce triangle. Il y a deux ans, les Américains ont ranimé le débat sur cette question en émettant des permis de mise en valeur. Heureusement pour les relations canado-américaines, l'industrie n'a pas profité de l'occasion. À compter de novembre, le département américain de l'Intérieur a de nouveau émis de tels permis au sein de la zone conflictuelle. Un de ces jours, une entreprise courra sa chance et nous serons aux prises avec un conflit diplomatique.

Nous avons aussi, bien sûr, un conflit avec les Danois au sujet de l'île Hans. Je signale que c'est quelque chose qui fait parler dans les médias. Dans l'ensemble des préoccupations, c'est probablement le moindre des enjeux, mais cela donne quand même à penser sur le plan de notre capacité globale.

Ces problèmes qui surgiront tôt ou tard ont trait à la délimitation de notre plateau continental. Comme vous le savez, le Canada a ratifié la Convention de l'ONU sur le droit de la mer. Ainsi, nous pouvons actuellement appliquer l'article 77. En vertu de cet article, nous pouvons clamer notre souveraineté sur le plateau continental en vertu d'un éventail de critères physiques et politiques. D'après moi, une fois que nous aurons fait les mesures hydrographiques nécessaires, nous nous trouverons en conflit avec les Danois, les Russes et les Américains.

Le problème, c'est que, des quatre pays qui sont en train de délimiter leurs frontières sur le plateau continental, dans le Nord, nous sommes loin derrière les trois autres. Les Danois ont récemment communiqué avec les Britanniques pour louer l'un de leurs sous-marins nucléaires afin de terminer leurs mesures hydrographiques. Les Russes, bien sûr, s'activent avec leurs sous-marins. En fait, ils ont déjà soumis le tracé qu'ils réclament. Et les Américains, bien sûr, ont délimité leurs limites du plateau continental. Quand nous prendrons finalement ces mesures, il y aura un problème.

Le principal facteur de changement climatique est aussi une caractéristique d'importance. Le deuxième diagramme que je vous ai remis est une couverture de glace telle qu'observée. Je pense que cela éliminera tout doute quant à la possibilité que ce ne soit qu'une transformation saisonnière, comme certains le prétendent. Ce diagramme est fait à partir de l'imagerie satellite fournie par la NASA. Vous pouvez voir vous-même l'importance de la diminution de la couverture.

Le diagramme suivant montre les projections quant à l'étendue de la glace, entre 2010 et 2030, puis entre 2040 et 2060, et enfin entre 2070 et 2090. Vous voyez qu'il n'y a à peu près plus de couverture de glace. Le dernier diagramme montre simplement l'importance du Passage du Nord-Ouest pour la navigation internationale.

Il y a toutes sortes de facteurs techniques. Nous pourrions aborder certaines des difficultés des sociétés de transport maritime. Au bout du compte, emprunter le Passage du Nord-Ouest plutôt que le canal de Panama permet de raccourcir la distance d'environ 10 000 kilomètres. Je fais aussi remarquer que le Passage du Nord-Ouest — nous le savons depuis le voyage du Manhattan en 1969-1970 — peut accommoder des navires d'au moins 120 000 tonnes, soit environ le double de ce que permet le canal de Panama.

Quels sont les enjeux? D'une perspective purement militaire, nous devrons admettre que beaucoup des menaces par missile balistique possibles suivront une route transpolaire. Prenons la Corée du Nord. Si, bien sûr, les Américains ont fait une analyse exacte, la menace viendra du Nord. Est-ce une forte probabilité? Pas actuellement. Est-ce possible? Je dirais que oui. Il y a aussi le fait que les Américains croient que c'est la route qui sera empruntée, un aspect secondaire du problème. Même si nous en venions, par nos propres analyses, à la conclusion que cela ne sera jamais une véritable menace, il faut reconnaître que c'en est une pour eux.

Il y a une possibilité d'envahissement à des fins terroristes par la voie du Nord puisque c'est, bien sûr, la frontière la moins défendue, comme vous l'avez fait remarquer dans vos propres rapports. Sur le plan de la souveraineté, j'ai aussi traité de cette question. Il suffit de mentionner que c'est une question de contrôle et de ressources. Le troisième enjeu, c'est la loi et l'ordre.

Peu importe ce qui peut se produire pour chacune de ces questions de tracé des frontières, le Nord devient plus accessible. De plus en plus de gens, tant au Canada qu'ailleurs dans le monde, circulent dans le Nord. C'est un fait. Ce n'est pas une question de débat. Nous devrons réagir à tous ces nouveaux éléments, qui sont autant d'occasions à saisir.

Cela crée trois grands besoins. Je conclurai là-dessus. Premièrement, nous avons besoin d'une stratégie de l'Arctique soutenable à long terme. Heureusement, les deux derniers discours du Trône du gouvernement actuel donnaient des raisons de croire que le gouvernement pense vraiment à élaborer une telle stratégie, et j'en suis très heureux. C'est nécessaire. C'est quelque chose qu'il faut faire. Cette stratégie doit être sans détour, solide et multidisciplinaire. Elle doit aussi engager les divers ordres de gouvernement. J'ose dire qu'elle devra aussi tenir compte des besoins et des responsabilités politiques des habitants du Nord, tant les Autochtones que les autres.

Deuxièmement, nous avons besoin d'une capacité de surveillance. Nous devons nous tenir au courant de ce qui se passe dans le Nord. L'établissement de RADARSAT-2 est un pas dans cette direction. Comme vous le savez, le lancement de RADARSAT-2 est constamment retardé. Il est déjà en retard de deux ans, par rapport au calendrier établi. C'est, heureusement, grâce à la technologie canadienne que RADARSAT-1 continue de nous fournir l'information dont nous avons besoin. Toutefois, un réseau de radars ne suffit pas. Nous devons le rattacher à d'autres réseaux.

Cela signifie également que, à long terme, nous devrons envisager de mettre à jour le Système d'alerte du Nord. Quand une des stations a brûlé, nous ne nous sommes même pas donné la peine de la remplacer. Nous avons simplement accepté d'avoir encore plus de trous dans le système.

Troisièmement et dernièrement, il faut veiller au respect des conventions. C'est l'enjeu à long terme. Notre flotte de navires de la garde côtière, comme vous l'avez souligné à juste titre, prend de l'âge, manque de financement et est beaucoup trop petite pour nos besoins. Il faut y investir des fonds rapidement et le plus tôt possible. Nous devons aussi nous assurer que les divers ministères touchés prennent l'engagement de travailler dans le Nord. Aucun ministère ne représente le Nord. Il faut donc absolument obtenir la collaboration de plusieurs ministères. En conclusion, le Nord pose un problème de sécurité et de souveraineté. Nous pouvons camoufler le problème à court terme, mais il est certain que la situation se dégradera notablement avant qu'elle commence à s'améliorer. Merci.

Le sénateur Meighen : Je pense qu'il est juste de dire que nous somme tous particulièrement heureux de votre présence ici aujourd'hui, et particulièrement contents de la qualité de vos exposés. Ils sont certainement tous deux propices à susciter la réflexion. Pour être franc, je ne sais par où commencer.

Je vais d'abord m'adresser à M. Huebert pour lui poser quelques questions précises, puis j'aurai une ou deux questions peut-être un peu plus générales à poser à M. Bercuson.

Je suis un enfant de la guerre froide et j'ai connu le réseau d'alerte avancé, le réseau Pine Tree et tout cela, mais je n'ai pas entendu parler du Système d'alerte du Nord. Pouvez-vous m'expliquer ce que c'est? Pouvez-vous me dire, également, si vous croyez qu'il y a une possibilité que nos forces armées participent à l'élaboration du véhicule aérien télépiloté?

M. Huebert : Absolument. Le Système d'alerte du Nord est la version automatisée et modernisée du réseau d'alerte avancé. C'est en place depuis 1985, et ce fut une très importante mise à jour du système.

Vous vous rappellerez que la menace stratégique, en 1985, émanait de la technologie soviétique relative au missile de croisière. On considérait alors que la détection lointaine avancée, ou le réseau d'alerte avancé, assurait la détection, dans la région, des bombardiers, des missiles balistiques intercontinentaux et de tout missile balistique lancé d'un sous-marin, mais que les avions volant à basse altitude représentaient toujours un problème. Le réseau d'alerte avancé a été notre participation dans le cadre de notre engagement à protéger le continent contre cette menace, puisqu'il est notamment en sol canadien, mais il est aussi basé en Alaska et au Groenland.

Nous avons modernisé le système en utilisant des technologies nouvelles requérant moins de personnel, ce qui nous a permis de régler de nombreux problèmes à cet égard. Le système, à l’époque, était une solution raisonnablement bonne du point de vue technologique. Je dois souligner qu’il demeure strictement un système de détection. Il n’y a pas de suivi possible. Nous savons quand quelque chose passe, mais ça s’arrête là.

Pour ce qui est de votre suggestion concernant les véhicules aériens sans pilote, ou UAV, c’est effectivement l’une des méthodes que le Commandement du Nord envisage afin de pouvoir étendre sa surveillance. Toutefois, cette solution présente deux problèmes. Premièrement, aurons-nous suffisamment de véhicules pour assurer la surveillance quotidienne nécessaire? Le problème auquel nous sommes confrontés est le suivant : comment concilier les exigences relatives à la capacité de surveillance au Canada et nos engagements à l’étranger? Le problème auquel on s’attend est que nous ne pourrons tout simplement pas en acheter un nombre suffisant.

C’est une solution technique, absolument. Elle doit être intégrée dans l’ensemble du système de surveillance. Autrement dit, les services de renseignement que nous avons sur les côtes Est et Ouest doivent être intégrés dans le système. Cela pourrait constituer une excellente solution particulièrement, j’ajouterais, du fait que les appareils Aurora ne sont pratiquement pas utilisés pour les patrouilles de surveillance dans le Nord.

Jusqu’en 1990, la moyenne des patrouilles affirmant notre souveraineté se situait entre 18 et 22 par an. En 1990, nous les avons réduites à environ deux par an, puis, depuis environ 1995, s’il y en a une par an, c’est bien le maximum. Nous avons besoin de quelque chose pour assurer la surveillance sur place et, en effet, les UAV pourraient être la solution.

Le sénateur Meighen : Vous avez parlé des levés hydrographiques entrepris par d’autres pays et de la nécessité pour nous de faire la même chose. Je sais qu’il y a des limites à ce que nos sous-marins conventionnels peuvent faire sous les glaces de l’Arctique, mais pourraient-ils être utilisés pour les levés hydrographiques?

M. Huebert : Malheureusement non. Même si nous débloquions les ressources nécessaires pour doter les sous-marins d’un système de propulsion sans air, il n’y a pas un seul commandant de sous-marin qui prendrait le risque de mettre un sous-marin non nucléaire sous les glaces. En cas d’urgence, de problème, la technologie actuelle ne donne pas au sous-marin suffisamment de puissance pour perforer la glace. Seul un sous-marin nucléaire est assez puissant pour le faire. Pour le moment, dans l’état de la technologie actuelle, et de la technologie à venir au cours des 10 prochaines années, c’est le seul appareil capable de le faire.

Le sénateur Meighen : Je suppose que nous n’avons donc qu’à espérer que le réchauffement de l’Arctique progresse à un rythme plus accéléré afin que nous puissions procéder à des levés hydrographiques ailleurs que sous la calotte glacière.

M. Huebert : Absolument.

Le sénateur Meighen : Je pense que nous nous entendons tous pour dire que la Garde côtière ne garde rien. Nos côtes sont vulnérables. Envisageriez-vous qu’on limite le rôle de la marine aux eaux intérieures et à la haute mer et que la surveillance côtière soit le fait de la Garde côtière? Dans un tel cas, la Garde côtière devrait-elle être armée?

M. Huebert : Je commencerai par dire que la marine a presque entièrement perdu sa capacité d’opérer dans l’Arctique. Les deux récents exercices, Narwhal I et Narwhal II, nous ont permis de réapprendre d’importantes leçons. Ces exercices, à ce titre, ont été très importants. L’une des principales conclusions des comptes rendus après action a été à quel point il est difficile d’opérer dans des eaux recouvertes de glace. Si la Garde côtière a les ressources pour ce faire, je dirai qu’elle devrait assumer ce rôle.

Pour ce qui est de l’armer, nous ne sommes pas actuellement confrontés au genre de menaces qui exigeraient que nous pensions à armer les bâtiments de la Garde côtière. Nous devons assurer une présence, nous devons assurer la surveillance et, pour cela, nous devons être dotés de capacités d’exécution immédiate de la loi et de maintien de l’ordre public. Je pense que nous pouvons esquiver la question de l’armement de la Garde côtière, mais je dirais que c’est la Garde côtière qui est de loin la mieux formée pour faciliter les opérations dans le Nord. Cette responsabilité devrait lui être confiée à elle seule, particulièrement là où les glaces resteront, et nous devrions, à mon avis, lui donner davantage de moyens.

Le sénateur Meighen : Vous dites que la Garde côtière devrait avoir une fonction de maintien de l’ordre mais qu’il n’est pas nécessaire qu’elle soit armée?

M. Hubert : Elle a besoin d’armes légères dans ce contexte.

Le sénateur Meighen : Vous ne mettriez pas une arme de calibre 50 sur l’étrave?

M. Hubert : Non, pas pour le moment.

Le sénateur Meighen : Monsieur Bercuson, il n’est vraiment pas juste de poser la question que je vais vous poser, mais quelqu’un doit l’aborder. De toute évidence, le gouvernement n’est pas prêt à le faire. Comme vous le savez fort bien, le rapport d’examen de notre politique étrangère n’a pas encore été rendu public. En l’absence d’un énoncé de politique de défense qui découlerait de l’énoncé de notre politique étrangère, nous avons, du moins au niveau de ce comité, des difficultés à recommander une politique canadienne en matière de sécurité et de défense qui serait basée sur nos intérêts nationaux. Quels sont, dans les grandes lignes, nos intérêts nationaux, mis à part la protection de la sécurité et du bien-être des Canadiens?

M. Bercuson : Je crois que, dans notre démocratie libérale — et je ne veux pas dire libérale avec un grand « L » — les valeurs et les intérêts se confondent à bien des égards. Quand on parle d’intérêts nationaux, on parle de valeurs nationales, on peut également parler de servir la fierté canadienne et les intérêts canadiens, ce que nous faisons également, je pense.

Je commencerai par l’intérêt national no 1, à savoir que nous partageons une frontière avec le G-1 et tout ce que cela implique. L’intérêt national n2 est que les échanges commerciaux, dont la majorité se font avec les États-unis, représentent 40 p. 100 de notre PIB.

Troisièmement, nous avons besoin d’un monde où la circulation des gens, des idées et des produits se fait aussi librement que possible d’un pays à l’autre. C’est ce genre de monde qui est le plus propice à la réalisation de notre potentiel de croissance économique et qui nous permet d’atteindre le niveau de vie dont nous jouissons. Il nous donne les moyens d’avoir non seulement les divers systèmes sociaux que nous avons au Canada, mais aussi un système judiciaire et des forces de police qui fonctionnent correctement. En d’autres termes, si on enlevait aux Canadiens 45 cents pour chaque dollar qu’ils gagnent ou dépensent, nous n’aurions plus les moyens de nous permettre ces choses car nous sommes un petit pays sur un vaste territoire.

Dans un certain sens, nos intérêts nationaux sont exactement les mêmes que ceux dont on a commencé à prendre conscience au début du XIXe siècle lorsque les dirigeants politiques canadiens, les chefs d’entreprises et autres se sont rendus compte que si le Canada ne commerçait pas avec l’étranger, il ne pourrait pas se transformer en société démocratique libérale. Je maintiens que nos intérêts nationaux n’ont pas changé de manière fondamentale depuis les années 1820 et 1830 — à preuve la notion de réciprocité, le manifeste d’annexion de 1849. Je pourrais vous donner toute une leçon d’histoire. Plus précisément, et je terminerai là-dessus, pendant la Seconde Guerre mondiale nous avons été obligés de définir nos intérêts nationaux avec précisions. Nous les avons définis de manière très libérale. Je ne dirai pas que nous avons contribué à la création d’organisations comme l’Organisation mondiale du commerce, qui s’appelait à l’époque l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, ou GATT, le Fonds monétaire international, ou FMI, et les autres institutions internationales conçues pour répartir la richesse plus équitablement à l’échelle mondiale. Toutefois, contribuer à l’édification de ces institutions était certainement à l’époque l’un de nos objectifs nationaux les plus importants. Je pense que c’est toujours vrai aujourd’hui.

Le sénateur Nolin : Qu’en est-il des droits humanitaires des autres peuples?

M. Bercuson : C’est exactement ce à quoi je faisais référence quand j’ai parlé de la libre circulation des personnes, des idées, des échanges et des marchandises. C’est un monde libéral. Je pense et je crois que nous croyons depuis 1942-1943 que la démocratie est indivisible.

Le sénateur Nolin : Allons plus loin. Peut-on l’imposer? Disons que nous avons le pouvoir de l’imposer? Qu’en est-il du droit international? Où s’arrête-t-on?

M. Bercuson : Il faut être réaliste quand on parle de politique internationale. Pendant la Guerre froide, nous avons été obligés de reconnaître notre impuissance face à l’Union soviétique et à tous ses satellites. Nous n’avions pas la capacité de mettre le communisme en échec, l’Ouest ne l’avait pas, les États-Unis ne l’avaient pas. Il fut décidé tout au début de la Guerre froide, en 1946-1947, qu’on aurait pour principale ligne de conduite d’empêcher la propagation du communisme plutôt que de mener une politique d’agression ouverte envers l’Union soviétique. Nous étions obligés de cohabiter avec elle.

Il y a dans le monde des régions où la démocratie n’existe pas. Je pense que nous devons constamment encourager la démocratisation. Au Canada, notre capacité d’imposer quoi que ce soit à qui que ce soit est limitée. Si on parle du monde occidental, je pense que s’il y a un choix à faire et si la capacité existe, je dirais alors que oui nous devrions essayer d’instaurer la démocratie et une société libérale. Je pense que ça peut se faire car une fois le problème de la sécurité résolu — c’est-à-dire une fois éliminés les structures de l’état policier, les hommes forts etc. — il me semble que naturellement les gens voudront se constituer en société libre. Il se peut que ce ne soit pas sur le même modèle que la nôtre, mais ce sera une société libre des artifices de la dictature et des violations des droits de la personne. C’est une conviction que j’ai. Je ne peux pas le prouver.

Le sénateur Nolin : Cela signifie que, en notre qualité de membre des Nations Unies, nous devrions nous efforcer d’obtenir les modifications appropriées à la Charte des Nations Unies.

M. Bercuson : Je ne suis pas certain de saisir ce que vous voulez dire. Parlez-vous de celles qui sont issues du rapport Brahimi?

Le sénateur Nolin : Oui, quelques-unes y figuraient. Au niveau international, dans une coalition de pays démocratiques partageant les mêmes valeurs, nous devrions pouvoir imposer nos valeurs de concert avec les autres États libres.

M. Bercuson : Absolument, car je suis convaincu que certaines de nos valeurs fondamentales sont à ce point fondamentales; c’est le cas de la responsabilité de protéger, valeur à laquelle le gouvernement actuel adhère résolument.

Le problème c’est que nous croyons que les mécanismes onusiens ne seront jamais suffisamment efficaces pour ce faire. Je pense que le rapport Brahimi est devenu lettre morte dès qu’il a été présenté, en partie parce que la majorité des membres du Conseil de sécurité n’aimeraient pas que les recommandations du rapport Brahimi soient mises en œuvre. Deuxièmement, il y a trop d’intérêts nationaux concurrents pour permettre que cela se produise avec une certaine régularité. On fait ce qu’on peut. On résout les problèmes que l’on peut dans le monde. On n’est pas obligé de régler tous les problèmes. D’une certaine façon, c’est un peu comme l’application des lois pénales, par exemple.

Le sénateur Meighen : Par manque de temps, passons à une autre question. Vous avez dit, si j’ai bien compris, que, à votre avis, le gouvernement devra probablement faire marche arrière, réparer les pots cassés et repenser sa décision sur la défense antimissile balistique. Vous avez peut-être raison. Laissons de côté les aspects politiques de la question, si cela est possible pour un instant. Quelles seraient les conséquences de cette décision concernant la défense antimissile balistique pour nos ententes de défense avec les États-Unis? Plus précisément, pensez-vous qu’elle aura une incidence précise sur notre rôle au sein du NORAD, dont le mandat doit être reconduit, ainsi que sur le Groupe de planification binationale et son intention d’inclure la défense civile et maritime au nombre des responsabilités du NORAD? Est-ce une chose qui, du fait de cette décision, est maintenant en suspens? À moins que l’on revienne sur cette décision, il est peu probable que cela se fasse.

M. Bercuson : Vu les retombées politiques de cette décision, si la dynamique actuelle demeure inchangée à Ottawa, dans un peu plus d’un an, en mai 2006, quand il faudra reconduire le mandat du NORAD, je crains pour l’avenir du NORAD. Je crains également les recommandations du Groupe de planification binational.

Je vais être très précis. Ce groupe a pour mandat de faire des recommandations de fond sur la manière d’inclure la défense terrestre et maritime du continent dans la structure actuelle, le NORAD, ou dans une structure similaire. Faisons face à la réalité. Cela entraînera la domination par les Américains des forces militaires canadiennes assignées à la sécurité du continent. C’est ça que ça signifie. Ça ne peut pas être autre chose.

Si le gouvernement, et j’inclus l’opposition officielle, n’a pas eu le courage de faire preuve de leadership en ce qui concerne la défense antimissile balistique, qui ne nous coûte rien et à laquelle notre participation se serait résumée à un seul appui politique, que fera-t-il lorsque le Groupe de planification binational dira qu’il faut placer certaines forces maritimes canadiennes sous le commandement des États-Unis? Nous allons adopter certaines méthodes pour que les forces terrestres américaines puissent venir en aide aux Canadiens et les que les Canadiens puissent venir en aide aux Américains. De toute évidence, ils sont beaucoup plus nombreux que nous. Que va-t-il faire quand ces recommandations seront mises sur la table, ce qu’elles seront dans environ 14 mois. Là est ma crainte.

Le sénateur Meighen : Il est dommage que de moins en moins de gens se souviennent de ce qui s’est passé pendant la Seconde Guerre mondiale. À l’époque, nos forces étaient principalement sous le commandement d’officiers britanniques ou américains.

M. Bercuson : Effectivement, nos forces sont toujours sous le commandement de quelqu’un d’autre parce qu’elles sont peu nombreuses. Nous avons appris à vivre avec ce fait depuis la guerre des Boers. Nous avons toujours très bien fonctionné dans ces situations.

Quand je parle de domination américaine, je ne veux pas dire qu’un général américain donnera des ordres à un colonel canadien. Je veux dire que les échelons supérieurs de la structure de commandement ressembleront à ceux du NORAD. Il y aura des Canadiens dans la structure, mais ils auront un rôle secondaire car notre contribution sera infime par rapport à celle des Américains. Cela vaudra également pour les ententes en vue d’assurer la sécurité terrestre et maritime du continent, tout comme cela se fait au NORAD depuis 1958.

Le sénateur Meighen : Et pour finir, monsieur Bercuson, si effectivement c’est ce qui arrive, pensez-vous que cela pourrait nuire de façon importante à notre capacité de participer à des organisations multilatérales du genre OTAN — par multilatérales j’entends avec d’autres États évidemment — qui pourraient être placées sous le commandement des Français, des Allemands ou autres?

M. Bercuson : Absolument pas.

Le sénateur Meighen : Vous parlez de l’Amérique du Nord?

M. Bercuson : Je verrais ça comme l’arrangement qui existe actuellement en Europe où c’est un Américain qui est à la tête du Commandement des forces des États-Unis en Europe, ou USEUCOM, et c’est également un Américain qui est à la tête de l’OTAN, mais il y a une différence en ce qui concerne le rôle de chacun d’entre eux à l’égard du déploiement des forces nationales placées sous leur commandement. Disons que les Hollandais ou les Belges qui sont intégrés dans la structure de l’OTAN, aux fins de la défense du périmètre de l’OTAN, sont placés sous commandement américain. S’ils veulent faire autre chose ailleurs dans le monde, ils sont parfaitement libres de faire ce qu’ils veulent et de s’imposer les contraintes de leur choix.

Le sénateur Meighen : À la poursuite de leurs propres intérêts nationaux?

M. Bercuson : Exactement.

Le président : J’ai une brève question pour le professeur Huebert. On a déterminé qu’il y avait des hydrocarbures dans la mer de Beaufort. C’est une initiative qui vient de Calgary et à laquelle ont participé Dome, Gulf et Imperial. D’après votre description, la mer de Beaufort n’est pas accessible à la navigation commerciale actuellement et ne le sera pas à moins que les navires ne soient escortés par un brise-glace. Quand elle le deviendra, les bâtiments conventionnels de la marine pourront eux aussi y fonctionner tout à fait correctement.

Vous avez parlé de la question de la frontière avec l’Alaska. Nous n’allons pas la résoudre avec un brise-glace ni même avec un bâtiment de la marine. Elle sera tranchée par les tribunaux quelque part et, en fin de compte, ce sera une solution diplomatique.

Pour moi la question la plus troublante que pose l’intérêt renouvelé pour le Nord est celle de l’affectation des ressources. Compte tenu de tout ce que nous venons de dire, prendriez-vous des ressources actuellement affectées aux régions très fréquentées de l’Amérique du Nord pour les transférer en mer de Beaufort, qui est très éloignée des régions peuplées où le risque de menace est réel?

M. Huebert : Dans une grande mesure, vous avez mis le doigt sur le thème central de mes propos quant à la nature de la menace. Il ne s’agit pas d’une menace purement militaire ou d’une menace à la sécurité. C’est un mélange de tous ces autres enjeux et vous avez fait remarquer, par exemple, que c’était également une question de frontière qui devait être précisée.

Le fait est que, pour ce qui est du changement climatique, la mer de Beaufort est déjà l’une des régions où la fonte des glaces est la plus importante. Nous entrevoyons déjà la possibilité d’exploiter diverses ressources, activité qui, je le répète, s’intensifie.

Le genre de capacités dont nous parlons pour affirmer notre souveraineté et assurer la sécurité dans le Nord ainsi que le maintien de l’ordre public dans un contexte d’accessibilité accrue, sont des capacités fongibles. Autrement dit, vous avez raison. Il y a là un lien avec ce que je disais au sujet des UAV. Il faudra prendre des décisions très importantes et il y aura toujours le problème de l’affectation des ressources. Nous n’avons pas de vue d’ensemble du type d’incursions qui auront lieu dans le Nord au fur et à mesure que cette région deviendra plus accessible. C’est pourquoi les capacités de surveillance et d’exécution de la loi deviennent essentielles.

Autre chose, juste pour compliquer davantage la situation, nous parlons de périodes où la couverture de glace risque de s’étendre dans certaines de ces régions. Nous parlons d’un degré élevé de variabilité. Il se peut que, pendant trois ou quatre ans d’affilée, la couverture glacielle augmente au lieu de diminuer. Tous ces changements de courte durée rendent le genre de questions que vous posez encore plus déconcertantes pour les dirigeants politiques.

Le sénateur Forrestall : Professeur, j’ai la solution. Peut-être qu’il n’y a absolument aucun problème dans le Nord pour vous deux après tout. Je propose qu’on ressuscite les Halifax Rifles et qu’on les mette au travail.

C’est drôle, je viens de lire un article de John Gellner publié à l’époque où nous avons ouvert un poste à Yellowknife pour la région du Nord, en 1970, à la fin des années 1960, dans ces eaux-là. Il présente les mêmes arguments concernant la souveraineté que vous venez de présenter quelque 35 ans plus tard. Si on peut dire une chose, c’est que nous avons moins de moyens aujourd’hui, peut-être un peu plus d’expérience, mais c’est tout.

Je veux parler de la défense de l’Arctique. J’aimerais vous demander ce que vous pensez de la viabilité d’une Garde côtière restructurée qui se serait défaite des services de balisage et de soumissions, conservant peut-être une partie de sa capacité de déglaçage, du moins pendant la période de transition. C’est le seul organisme gouvernemental qui ait une capacité de déglaçage. Capacité qu’il faut conserver si on prend au sérieux la défense maritime de notre frontière nord.

Faudrait-il que la Garde côtière soit indépendante du ministère des Transports? Je la verrais bien avec ses propres pouvoirs légaux, en vertu sans doute de quelque chose comme la loi qui, depuis des années, confère son rôle à la Gendarmerie royale du Canada. Elle encadre de très près les activités de la GRC, mais en même temps lui donne le type d’autonomie, le type d’auto-direction interne qui a fait de la GRC ce qu’elle n’aurait jamais pu être sous le contrôle direct du gouvernement, soit l’une des meilleures forces de police ou forces militaires au monde.

Quand je pense à la Garde côtière, je ne pense pas uniquement à l’Arctique. Je pense également aux Grands Lacs, aux grands fleuves du Canada, à la côte Est.

Je cherche où nous pourrions faire des économies d’échelle. La Force de Réserve canadienne devra probablement changer un peu d’orientation. Je ne vois pas pour elle de meilleure orientation que ce rôle de service; à la défense du territoire, si vous voulez. Avez-vous, l’un et l’autre, des réserves quant à ce genre d’orientation générale?

Si le sénateur Banks était parmi nous, ce qu’il est généralement, j’ajouterais un ou deux régiments de cavalerie de l’Alberta ainsi que les Highlanders de Colombie-Britannique. Les réservistes peuvent faire énormément de choses utiles au Canada. J’envisage leur présence dans l’Arctique conjointement à une capacité à longueur d’année. Vous vous souviendrez, sans rentrer dans les détails, et j’y reviens avec quelque nostalgie, du travail qui avait été fait et des rêves que l’on envisageait pour l’Arctique grâce à la présence toute l’année de ce que nous appelions à l’époque la Classe polaire 8. Qu’en pensez-vous?

M. Huebert : Dans l’environnement actuel, j’hésiterais à mettre trop l’accent sur la Force de Réserve. Je parle d’une période de 20 ans. La réalité, comme je l’ai déjà dit, c’est que l’état des glaces sera encore extrêmement dangereux. Vous suggérez qu’on abandonne les activités quotidiennes de balisage, mais dans une certaine mesure, elles permettent d’acquérir les compétences indispensables pour que nous ayons les capacités dont nous avons besoin. Il s’agit des compétences individuelles de chaque marin en matière de connaissance des glaces qui, pour le moment, sont d’une importance critique, en conjonction avec les forces.

Quant à faire appel aux réservistes, je dirais qu’il serait probablement trop dangereux de les exposer à certaines de ces situations car il nous faut des gens qui comprennent bien les caprices des glaces. Cet état de choses ne changera pas beaucoup d’ici au moins 20 ou 25 ans.

Pour ce qui est de faire de la Garde côtière un organisme distinct, à savoir est-ce qu’elle devrait continuer à faire partie du ministère des Transports ou être indépendante, traitez-moi de cynique, mais pour moi ce n’est pas là la question importante. Pour moi ce qui importe, c’est de savoir si nous doterons la Garde côtière des ressources nécessaires pour qu’elle puisse répondre aux besoins. Nous pouvons la laisser au ministère des Pêches et des Océans ou la transférer à nouveau au ministère des Transports. L’important, c’est littéralement qu’elle ait une flotte suffisante pour que, lorsque le Louis S. St-Laurent devra être mis hors service, nous ayons assez de brise-glace moyens de manière que, dans 20 ans, quand il y aura moins de glaces, nous ayons cette capacité. Pour moi, cela demeure l’élément critique.

Le sénateur Forrestall : Je pense qu’il faudra 20 ans pour former et équiper le personnel nécessaire pour assurer ce genre de présence. Je me trouvais au Svalbard, il y a une trentaine d’années, quand un morceau de la banquise s’est détaché. C’était, à mon avis, l’une des sept merveilles du monde. Pour observer cet événement il y avait des Japonais, des Chinois, des Australiens, des Américains et la majorité des pays européens, tous avec leur matériel scientifique; 15 ou 20 nationalités différentes en tout. Il y avait probablement 40 ou 50 universités qui avaient pu se rendre sur place une semaine à l’avance, à temps pour s’installer et se préparer à la chute de ce bloc de glace. C’était il y a 35 ans. Les 20 ou 25 ans dont vous parlez, c’est demain.

M. Huebert : Il faudra faire preuve d’une volonté politique soutenue.

Le sénateur Forrestall : Pas l’an prochain, c’est demain qu’il faut faire quelque chose et en avoir la capacité.

J’apprécie cette franchise. J’essaie de trouver quelque chose pour vous amener à envisager l’époque où les eaux seront libres de glace pendant huit ou dix mois. Est-ce que le concept semble réaliste? J’essaie de trouver de quoi occuper les réservistes et, dans une certaine mesure, de convaincre nos voisins américains que nous essayons, grâce à l’une de nos grandes ressources, que les gens qui transitent par notre pays sont des gens sans reproche, tout comme nous attendons du reste du monde qu’il nous envoie des gens sans reproche.

M. Huebert : C’est une possibilité. En ce qui concerne les réservistes, ce sont probablement les semi-réservistes qui vous donneront la meilleure capacité. Il s’agit, bien entendu, des Rangers canadiens car, au cours des dix dernières années, d’importants progrès on été accomplis pour accroître leur capacité. Ce que, je le répète, j’applaudis. Peut-être que l’expansion de cette capacité, en faisant appel à la Force de Réserve dans le Sud pour ce qui est de la formation nécessaire, pourrait être effectivement la voie à suivre, comme vous le dites.

Le sénateur Forrestall : Je ne savais pas qu’on avait réduit le nombre de patrouilles d’affirmation de notre souveraineté dans le Nord à une par an ou moins. Il doit bien avoir quelque part des commandants d’escadron aventuriers qui iraient dans le Nord plus souvent que cela. Selon vous, qu’est-ce qui constituerait une surveillance aérienne appropriée? Il faudrait arriver à convaincre quelqu’un que les Canadiens s’intéressent à ce qui se passe là-haut. Toutes les semaines, il y en a qui y vont.

M. Huebert : Elle doit être plus que symbolique. Ce qu’il nous faut, c’est la capacité de savoir, et ensuite de réagir. Par exemple, quand le navire de recherche océanographique chinois Xue Long est arrivé à Tuktoyaktuk, quelqu’un à l’ambassade du Canada a fait une erreur et nous n’étions absolument pas prêts. En fait, nous l’avons la capacité vu les moyens aériens et spatiaux dont nous disposons; à cela s’ajoutent les agents de la GRC, des douanes et du ministère de la Santé qui sont sur place pour procéder aux formalités nécessaires.

Dans le cas du Xue Long, il s’agissait d’un voyage relativement innocent. Les Chinois ne savaient pas trop pourquoi ils se trouvaient là. Ils nous avaient prévenus. Mais comme, une fois prévenus, nous avons cafouillé, nous n’avions plus de capacité indépendante. Quand le Xue Long est arrivé à Tuktoyaktuk, il a eu de la chance. La question se résume ainsi : avons-nous réellement les moyens nécessaires pour nous faire une idée exacte de ce qui se passe de façon à ce que nous puissions réagir à toutes les situations.

Cela renvoie à l’argument du sénateur Kerry; cela pourrait être aussi simple que de poster un agent des douanes qui attend que les gens débarquent. En ce qui a trait aux gens que nous ne souhaitons pas accueillir, les mesures pourrait être plus nébuleuses. Cela signifie des mesures d’application de la loi par la GRC. Voilà ce dont je veux parler dans ce contexte précis.

Le sénateur Forrestall : Je partage ce point de vue puisque, bien entendu, j’ai pris part au projet d’utilisation permanente de la voie maritime.

Mon fils est pilote de brise-glace et il passe beaucoup de temps dans les glaces. Il n’est pas très compliqué de naviguer sur la voie maritime à l’heure actuelle. Il serait intéressant de connaître certains résultats des essais du N/M Arctic. J’apprécie vos commentaires et vos observations. Dans l’ensemble, je suis d’accord avec vous lorsque vous dites qu’il faut exercer une forme de surveillance. D’après mon expérience, et je crois que tous ceux qui nous écoutent et qui suivent le dossier, 25 ans est une échéance très serrée. Si nous attendons même la moitié de cette période avant de commencer à nous préparer, nous accuserons un retard de 10 ou 15 ans.

Le sénateur Atkins : M. Bercuson, le 7 février, après que vous ayez pris connaissance du budget et répondu aux questions des journalistes, quelle fut votre réaction en ce qui a trait au budget de la défense?

M. Bercuson : Ne s’agissait-il pas plutôt du 23 février?

Le sénateur Atkins : C’est exact, je suis désolé.

M. Bercuson : Malheureusement, je suis sceptique. Je dois dire que je suis quelque peu troublé par le fait que les Forces canadiennes, par exemple, ont repris le discours creux du gouvernement à propos de cette injection d’argent sans précédent, et cetera. Je ne crois pas que cela soit le rôle des Forces canadiennes.

J’ai dit à des amis militaires que véhiculer un message politique précis ne fait pas partie de leurs fonctions. Même si le gouvernement a annoncé son intention d’augmenter le budget de façon substantielle, ce qui est certes mieux que ce que nous avons vu depuis longtemps, le système gouvernemental de notre pays fonctionne, comme vous le savez bien, selon le principe de budgets annuels. Il n’y a pas de budgets quinquennaux au Canada. Cette année, l’engagement est de 500 millions de dollars. Nous pouvons présumer que le gouvernement reviendra l’an prochain avec un autre 600 millions.

Si je demande un prêt à l’entreprise et que la banque me répond qu’elle m’offre 2 p. 100 cette année et 2 p. 100 l’an prochain et qu’elle me donne un chèque postdaté pour dans 24 mois, est-ce suffisant pour que je me lance en affaires? Bien sûr que non. Serez-vous là dans 24 mois? Y aura-t-il de l’argent dans le compte? Vos priorités auront-elles changé?

Le sénateur Atkins : Comme vous l’avez mentionné dans votre préambule, le budget est rétroactif. Depuis l’annonce du budget, le processus d’Examen des dépenses a révélé que le gouvernement allait reprendre entre 150 et 200 millions de dollars du budget de la défense. Est-ce que cela signifie que nous sommes de retour à 300 millions de dollars?

M. Bercuson : J’aimerais pouvoir vous dire ce que cela signifie. L’un des problèmes de l’établissement de budgets pour la défense au Canada-avec le plus important sous-ensemble des budgets de la défense, soit l’acquisition, la planification et la budgétisation-est l’absence quasi-totale de transparence. Je crois qu’il est pratiquement impossible pour quiconque n’est pas expert en la matière de savoir avec précision, d’une minute à l’autre, quelles sont les acquisitions, qu’est-ce qui est prévu, quels sont les programmes à long terme, quelles sont les dépenses initiales et où en sont les programmes entre la planification initiale et la prestation réelle. Je pourrais vous donner une panoplie d’exemples de ce manque de transparence.

Je ne suis pas en train de faire un commentaire politique partisan. Ce manque de transparence s’observe depuis des décennies. Tant qu’on ne fera pas d’efforts concrets pour corriger la situation, les budgets de défense continueront de générer davantage de brouillard que quoi que ce soit d’autre. Je ne sais pas trop qu’en penser, à vrai dire. Je regarde le budget annoncé et j’y vois certaines choses. Par exemple, le budget de cette année mentionne les avions polyvalents. Qu’est-ce qu’un avion polyvalent? Le budget de l’an dernier promettait l’acquisition d’aéronefs à voilure fixe de recherche et de sauvetage, catégorie comprenant visiblement le Spartan C-27 biturbine, et cetera, et cetera, et a alloué 300 millions de dollars à cet effet. Jusqu’à il y a deux semaine, bien des gens se demandaient ce qui est advenu de ce programme. Est-ce que cela fait partie de ce programme, ou non? Je peux vous donner bien d’autres exemples semblables.

Le processus entier est flou. J’aimerais pouvoir vous donner une réponse. Je ne crois pas que plus de cinq personnes au Canada seraient en mesure de répondre à cette question.

Le sénateur Atkins : L’an dernier, nous attendions de connaître le budget réservé aux hélicoptères.

M. Bercuson : C’est exact.

Le président : Sénateur Atkins, croyons-nous que tout cela fait partie du plan de sécurité à long terme des Forces canadiennes?

M. Bercuson : Si vous le permettez, sénateur Kenny, j’ai ici un exemplaire de l’Annexe de biens d’équipement, 2004 du Plan stratégique d’investissement dans les capacités de la Défense nationale. J’ai apporté ce document parce que je participe, avec deux brillants chercheurs du Centre for Military and Strategic Studies de l’Université de Calgary, M. Ray Szeto, titulaire d’une maîtrise, et M. Aaron Plamandon, étudiant au doctorat, à un projet d’isolation d’entre 38 et 40 engagements pris entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2004, d’une valeur d’au moins 100 millions de dollars et visant à améliorer les capacités opérationnelles des Forces canadiennes ou les capacités administratives du ministère de la Défense nationale. Nous avons énormément de difficulté à retracer certains de ces programmes. En réalité, le Plan stratégique d’investissement dans les capacités de la Défense nationale est un mélange de souhaits. Il s’agit d’un mélange de certaines choses qui sont déjà en branle et d’un certain nombre d’éléments que l’armée espère voir se réaliser à un moment donné dans l’avenir mais dont personne n’est certain, et ainsi de suite.

Le président : Je crois que nous sommes d’accord avec vous, professeur, et je crois que les problèmes touchent aussi le quartier général de la Défense nationale, dans l’édifice Pearkes, où la confusion règne également.

Le sénateur Atkins : Je crois comprendre que vous êtes un ardent défenseur de la défense nationale. Selon vous, quel serait le budget idéal pour cette année et les deux prochaines?

M. Bercuson : Je pense que nous n’avons pas besoin d’une approche radicale à la rétroactivité du budget. Je sais qu’il a été dit dans certains cercles des Forces canadiennes qu’ils n’auraient pas pu dépenser davantage d’argent. Cela est peut-être vrai, dans une certaine mesure, pour la première année ou les deux premières années de ce processus budgétaire. C’est ce que la pente semble indiquer. Je ne sais pas vraiment pourquoi la pente est si douce au cours des deux premières années. J’aimerais qu’elle soit plus raide

J’aimerais aussi-et il est encore possible que cela se réalise-voir une sorte de lien législatif entre les recommandations qui seront formulées dans l’examen de la défense qui paraîtra le mois prochain et les étapes du budget. S’il y a une assurance ou un engagement aussi fort que ce que le processus budgétaire annuel fournit, j’airais davantage confiance dans le fait que ce le gouvernement fera vraiment ce qu’il dit qu’il fera à certaines étapes du processus. À l’heure actuelle, tout cela est bien trop incohérent. Je ne crois pas pouvoir mieux l’expliquer. Nous n’avons pas de processus budgétaire quinquennal, c’est aussi simple que cela.

Le sénateur Atkins : Comme vous le savez, les gouvernements sont généralement motivés par les sondages d’opinion. Si vous demandez aux Canadiens quelles sont leurs principales préoccupations à l’heure actuelle, vous obtiendrez comme réponse l’économie, la santé et l’éducation. Au bas de la liste, vous verrez peut-être la défense nationale. Comment convaincre les Canadiens qu’il s’agit d’un enjeu de taille et que, peu importe ce qu’ils croient et quelles sont leurs priorités, nous devons y accorder une plus grande importance dans l’intérêt du pays?

M. Bercuson : Un certain nombre de groupes et d’organismes tentent justement de le faire. Il y a un débat public à cet égard, comme il se doit. Certaines opinions exprimées, parfaitement légitimes, vont à l’encontre des miennes. Je crois que le problème repose essentiellement sur le fait que nous avons besoin que le gouvernement prenne une décision dans un certain laps de temps, puis convainque les Canadiens que cette décision est la bonne. Ce n’est pas vraiment ce que j’ai vu. Peut-être que cela s’en vient. Le gouvernement s’y est engagé; voyons s’il respectera son engagement.

Le sénateur Atkins : Vous dites que la défense antimissile ne coûtera pas un sou aux Canadiens. En êtes-vous vraiment sûr?

M. Bercuson : Il n’en coûtera rien pour l’instant. Dans l’avenir, par contre, cela entraînera certainement des dépenses.

Le sénateur Atkins : Dernière question : en ce qui a trait au commandement américano-européen dont vous avez parlé, croyez-vous que les Américains, compte tenu de la décision que nous avons prise, envisagent la possibilité d’un commandement américano-canadien?

M. Bercuson : Je ne peux dire à quoi ils pensent, car, à l’heure actuelle, la Maison-Blanche comprend probablement très bien la situation politique délicate dans laquelle se trouve M. Martin. C’est pourquoi la réponse des États-Unis a été plutôt tiède, selon moi. Je crois qu’on a expliqué que le problème était de nature partisane. Ce qui a été dit à la Chambre, c’est que nous ne participerons pas au système de défense antimissile pour l’instant. Qui sait ce dont on discute aux plus hauts échelons du gouvernement américain à propos d’une participation future au système de défense antimissile?

Le sénateur Atkins : J’ai une question pour M. Huebert. Dans votre mot d’ouverture, vous avez dit que nos réserves gazières diminuaient. Je crois que c’est ce que vous avez dit. Je crois que les Canadiens ont été portés à croire que nous en avions des tonnes. N’est-ce pas vrai?

M. Huebert : Non. C’est l’un des aspects centraux de la conférence qui se déroule actuellement de l’autre côté de la rue, littéralement. Il a été bien documenté qu’on s’attend à ce que les ressources connues-évidemment, il faut prendre toute affirmation relative aux « ressources connues » avec un grain de sel, puisqu’il est toujours possible d’aller au-delà de ce que l’on connaît-viendront à manquer de façon substantielle. La croissance de l’utilisation du gaz naturel, notamment en ce qui a trait à la production d’énergie et à l’utilisation domestique, est l’une des principales explications. On croit que dans environ neuf ans, nous commencerons probablement à sentir les débuts d’une crise sur le plan de l’approvisionnement en ressources connues.

On croit que le delta du Mackenzie est l’un des endroits les plus probables, car une fois que le pipeline sera construit, s’il passe par cette région, l’infrastructure nécessaire pour produire des ressources légèrement viables sur le plan économique sera en place. Les réserves augmenteront donc grâce à cela, mais, en supposant que le pipeline passe bel et bien par cette région, c’est ce à quoi nous nous préparons dans la vallée du Mackenzie.

Le sénateur Meighen : Le sénateur Atkins et vous avez abordé brièvement la question des acquisitions. À l’heure actuelle, l’approvisionnement des Forces canadiennes fonctionne selon la loi du plus fort. Il s’agit du processus le plus alambiqué, le plus long, le plus mal compris et le plus incompréhensible jamais inventé. Il est possible que notre comité passe à l’action et décide de se pencher sur cette question.

Vous avez dit que cela nécessite une expertise de haut niveau. Je suis tout disposé à admettre que je, du moins, ne possède pas cette expertise. Croyez-vous que nous pouvons nous pencher là-dessus de façon utile et embaucher des experts pour nous guider, ou croyez-vous plutôt que cela devrait être laissé à la responsabilité d’un groupe non parlementaire?

M. Bercuson : Loin de moi l’idée de tenter d’amadouer le comité, mais les autres comités d’enquête en matière de défense ne posent jamais ce genre de question. Il y a simplement trop de partisanerie en jeu. Au Canada, les acquisitions ont autant à voir avec la politique qu’avec l’idée de fournir à nos forces le meilleur équipement possible au meilleur prix possible. C’était ce que je voulais dire en premier lieu.

En deuxième lieu, l’expertise existe. Il y a certains experts au Canada, mais la majeure partie se trouve à l’étranger. D’autres pays ont été aux prises avec les mêmes problèmes que nous, mais leurs budgets de défense sont supérieurs aux nôtres. Ils ont un plus grand nombre d’experts qui se penchent sur la question. Peut-on trouver une solution à ce problème dans un cadre démocratique? En temps de paix, je ne crois pas. Je crois que nous pourrions faire mieux que ce que nous faisons actuellement.

Vous connaissez probablement autant de programmes qui vont tout de travers que moi. Lorsque l’on voit 300 millions de dollars gaspillés dans un programme de prolongement du cycle de vie des véhicules M113, véhicules dont on ne sait plus que faire maintenant que leur cycle de vie a été prolongé, et lorsque l’on voit toutes les sommes investies dans le Projet de modernisation des navires de classe Tribal, le MNCT, et que l’on sait que l’un de ces destroyers est désarmé et a été complètement vidé et ainsi de suite, on se dit que cet argent aurait été plus utile ailleurs. Je sais que cela ne fait aucun doute pour les gens qui s’y connaissent.

Le sénateur Munson : Professeur Huebert, votre document me fascine. Je crois que vous devriez venir à Ottawa pour le présenter à l’Est du Canada et expliquer ce concept de nouvelle frontière et du Nord, car c’est un document fascinant que vous nous avez présenté ce matin.

Vous avez parlé d’entreprises qui tenteront un jour de s’approprier ces territoires contestés. Existe-t-il un mécanisme international pour résoudre ce genre de situation? Lorsque cela se produira, les pays montreront-ils les dents pour mettre la main sur les ressources souterraines ou marines?

M. Huebert : D’abord, en ce qui a trait à votre premier commentaire, je participerai, à la mi-mars — les 20 et 21, je crois —, à une réunion à laquelle nous espérons que les trois ministres responsables du Nord assisteront et au cours de laquelle il sera question de ce dossier. Je crois qu’ils ont fait de l’excellent travail. Je crois que les discussions à ce sujet sont menées par le ministère des Affaires indiennes et du Nord; il y a donc des choses qui se passent à cet égard.

En ce qui a trait aux mécanismes, il est théoriquement possible de porter cette affaire devant la cour internationale de Justice. Ce qui est intéressant dans la politique internationale, c’est qu’il ne faut jamais chercher la cohérence. Si on veut devenir chef cuisinier, le domaine international peut être intéressant, mais en ce qui a trait aux positions du Canada et des États-Unis, les deux pays ne sont pas du tout sur la même longueur d’onde. Dans le dossier du golfe du Maine, nous avons utilisé le principe perpendiculaire et les Américains, celui du prolongement naturel des terres. Maintenant, dans le dossier de la mer de Beaufort, c’est exactement le contraire.

Je crois qu’il règne un sentiment d’insatisfaction généralisé envers la décision de la Cour internationale de Justice dans le dossier du golfe du Maine et je perçois une réelle réticence envers cette décision, tant du côté canadien qu’américain. Je crois que ce qui se produira, c’est que nous tenterons probablement d’ignorer le dossier. Nous essaierons probablement d’éviter de passer à l’action.

Le problème que je perçois est que le département américain de l’Intérieur a obtenu la permission, de toute évidence des gens les plus haut placés, pour jeter de nouveau de l’huile sur le feu. Cela pourrait être une stratégie politique. Il est aussi possible qu’ils veulent simplement laisser leur marque. C’est possible. En fait, cela pourrait bien s’inscrire dans la stratégie générale des États-Unis de sécurité nationale de l’énergie. Rien n’indique s’il ne s’agit que d’une situation mineure isolée ou d’un aspect d’un plan plus vaste. Ce n’est pas clair du tout.

En théorie, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer prévoit des mécanismes, mais, comme le comité le sait, les États-Unis n’ont pas ratifié cette convention. Certains signes montrent qu’ils se dirigent dans cette direction, mais je doute fort que nous ayons recours, ou que les Américains aient recours, aux quelque cinq instruments prévus par la Convention pour l’arbitrage des différends. À l’heure actuelle, l’arbitrage serait assuré par un processus spécial interne de négociation et non par un organisme international.

Le sénateur Munson : Très rapidement, M. Bercuson, est-ce que le multilatéralisme entre en conflit avec le resserrement de nos liens avec les États-Unis?

M. Bercuson : Je crois que nous sommes tous des multilatéralistes dans une certaine mesure. À quel point nous sommes multilatéralistes dépend en grande partie de la situation politique et du contexte international. Cela n’entre pas en conflit avec notre relation avec les États-Unis, mais cette relation est trop importante, à mon avis, pour permettre qu’une vision multilatéraliste nuise à notre relation transfrontalière réelle et quotidienne avec le G1, relation qui se manifeste d’une myriade de façons différentes.

Le sénateur Cordy : Je viens d’Halifax, une ville maritime, où la marine joue un rôle important pour les résidents. M. Huebert, avec les renseignements dont vous nous avez fait part au sujet des changements dans le Nord — nous avons certes lu et entendu bien des choses à ce sujet dans le passé, mais vous nous avez présenté ce dossier de manière très concise ce matin —, aurons-nous besoin d’une marine différente? En tenant compte de la défense de l’Amérique du Nord, des changements dans le Nord et de l’ouverture de ces régions, croyez-vous que des changements devront être apportés?

M. Huebert : Je crois que la marine, en ce qui a trait à la prochaine génération de navires, aura probablement besoin de changements mineurs. De nouvelles unités devraient entrer en service et le nouveau navire de ravitaillement devrait pouvoir jouer le rôle de brise-glace. Cela fait partie des spécifications actuelles. Autrement dit, avant de nous lancer dans un débat sur l’acquisition d’hélicoptères Wasp et de véhicules amphibies, il était déjà prévu que les navires qui remplaceront ceux de classe Provider et Protector, et ainsi de suite, soient équipés de coques renforcées permettant la navigation dans les glaces. Cela nous donnera au moins une certaine capacité lors de la fonte des glaces.

À long terme, cela entraînera probablement une amélioration des capacités de navigation dans les glaces, car il y aura toujours de la glace dans l’Arctique. Ce qui changera, c’est que nous aurons affaire à de la glace annuelle au lieu de la glace pluriannuelle. Nous aurons besoin de ces capacités à mesure que le Nord devient plus accessible et que de plus en plus de gens devront s’y rendre.

Cela devrait-il être une priorité? À l’heure actuelle, je dirais que non. D’ici 20 à 30 ans, ce ne devrait toujours pas être un élément majeur; cependant, la capacité de naviguer dans les glaces devrait être une partie intégrante de la construction des navires, un peu comme ce que les Danois ont fait avec leurs nouvelles frégates. Ils en ont renforcé la coque afin qu’elles puissent naviguer dans les glaces, même si cela n’est pas leur principale raison d’être. Il leur est possible de se rendre aussi loin au nord que l’île Hans, alors que nos navires, tels qu’ils sont actuellement conçus, auraient d’énormes difficultés pour s’y rendre. Conclusion : ajout, oui; remplacement, non.

Le sénateur Cordy : Je suis heureux que vous parliez de trois futurs ministères fédéraux. Bien des ministères seront touchés par l’accessibilité du Nord et son ouverture aux quatre vents, compte tenu de notre manque de sécurité dans cette région. Comment envisagez-vous la collaboration des ministères? À l’heure actuelle, la responsabilité reviendrait au ministère des Affaires du Nord, mais je ne crois pas qu’on ait jamais prévu qu’il soit saisi du genre de dossier que vous décrivez. Envisagez-vous un seul ministère responsable de tout cela, ou plutôt une collaboration de tous les ministères fédéraux?

M. Huebert : Il y a environ six mois, une rumeur courait au sujet d’une refonte possible des ministères responsables du Nord en un ministère qui se consacrerait uniquement aux questions de souveraineté et de sécurité. Cette idée a été atténuée dans le discours du Trône et est plutôt devenue une sorte de point d’intérêt.

L’idéal serait qu’un genre de mini ministère soit chargé de ces questions. La question qu’il faut se poser est : est-ce que ce mini ministère serait complètement dépourvu sur le plan des ressources?

Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est d’une stratégie-cadre pour l’Arctique qui établirait très clairement ce que nous devons faire et comment procéder. Malheureusement, je suis assez cynique pour être conscient que notre conduite sera réellement dictée par l’une des crises qui se déclarent régulièrement dans le Nord. Autrement dit, d’un point de vue historique, en remontant aussi loin que la Seconde Guerre mondiale, les seuls moments ou nous agissons de manière efficace dans le Nord est en réaction aux violations de nos frontières.

En ce qui a trait à la collaboration interministérielle, cela dépasse le cadre même des ministères car, bien entendu, il faut que les gouvernements territoriaux participent. Il faut également que les différents accords d’autonomie territoriale entrent en jeu, car ils sont également liés aux multiples enjeux. Et il faut que les gens participent. Cela complique les choses en raison de la différence juridique entre une province et un territoire.

En vertu de la Loi sur les océans du Canada, les provinces ont l’autorité sur leurs eaux intérieures. Si le passage du Nord-Ouest était défini comme faisant partie des eaux intérieures, cela poserait un sérieux problème. Est-ce qu’il relèverait des trois territoires? Je ne peux répondre à cette question, puisque les territoires ne sont pas couverts par la Loi sur les océans. Il est intéressant de penser à ce qui arriverait en termes de gestion réelle.

Le sénateur Cordy : Les processus ont-ils été mis en branle?

M. Huebert : Les territoires sont très intéressés. Ayant collaboré personnellement avec les responsables, je sais qu’ils étudient ce dossier très sérieusement, car ils voient le changement. Ils essaient de se préparer. Tout se résume encore aux ressources et à l’appui dont ils jouissent.

Le sénateur Cordy : M. Bercuson, dans votre discours de ce matin, vous avez parlé du système de défense antimissile balistique. Je crois qu’à cet égard, la décision a été prise. Nous pencherons-nous de nouveau sur la question un jour? C’est une autre histoire. En tant que Canadiens, contribuons-nous à la défense de l’Amérique du Nord? Depuis le 11 septembre 2001, on nous répète encore et encore que nous ne pouvons pas penser uniquement à notre pays. Nous devons considérer l’Amérique du Nord comme un tout. Faisons-nous notre part?

M. Bercuson : Il est difficile de dire ce que faire notre part signifie puisqu’il n’existe aucune mesure objective de ce que notre part représente. Nous en faisons clairement plus qu’avant. Nous en faisons plus sur le plan non militaire. Nous en faisons plus sur le plan de la sécurité et nous travaillons de plus près avec les États-Unis dans des domaines tels que le dédouanement à la frontière, les douanes, la sécurité portuaire et ainsi de suite. Est-ce adéquat de leur point de vue ou du nôtre? C’est une autre histoire.

Je crois que le gouvernement, en promettant d’améliorer la capacité militaire du Canada, promet en quelque sorte d’augmenter notre participation militaire à la sécurité de l’Amérique du Nord. Par contre, si l’on considère nos capacités matérielles réelles, par exemple, on voit que la diminution de notre flotte de CF-18 nuit à notre apport à la défense du continent. Bref, je ne sais pas ce qui est adéquat.

Je crois que ce qui serait adéquat serait que le gouvernement du Canada puisse dire qu’il fait le mieux qu’il peut et que les Américains considèrent que nous faisons le mieux que nous pouvons. Il s’agit d’une mesure très vague, mais je crois que c’est la seule que nous ayons utilisée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le président : Avant de lever la séance, j’aimerais profiter de l’occasion pour remercier le professeur Bercuson pour tout le travail effectué par le forum sur la sécurité et la défense. Il y a des gens ici présents qui ont rédigé des documents à notre intention. Nous avons reçu ces documents. Le comité est en train de les étudier. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir fait la suggestion, puis de nous avoir aidés à nous organiser et à bien les comprendre. Ces documents constituent une ressource très importante pour le comité. Je veux souligner publiquement que tout a commencé ici, à Calgary, et que vous nous avez invités à prendre part à une conférence afin que nous puissions en discuter directement avec les gens. Merci beaucoup. Nous sommes reconnaissants de votre aide précieuse.

Nous sommes très heureux que le groupe d’experts ait pu être présent aujourd’hui. Vous avez présenté des dossiers importants et opportuns qui ont visiblement attiré l’attention des membres du comité. Nous apprécions votre aide dans le processus d’examen de la politique en matière de défense. Nous sommes reconnaissants de votre apport à ce processus.

La séance est levée.


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