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REFO - Comité spécial

Réforme du Sénat (Spécial)


Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Réforme du Sénat

Fascicule 2 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 7 septembre 2006

Le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat se réunit aujourd'hui à 14 h 3 pour étudier la teneur du projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (durée du mandat des sénateurs), et la motion pour modifier la Constitution du Canada (la représentation des provinces de l'Ouest au Sénat).

Le sénateur Daniel Hays (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Je tiens tout d'abord à souhaiter la bienvenue à nos invités et à nos téléspectateurs à cette deuxième réunion avec témoins du Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat.

Pour le bénéfice de nos auditeurs, j'expliquerai brièvement le but de nos travaux. Au mois de juin dernier, le Sénat a demandé à notre comité spécial d'examiner le projet de loi S-4, la proposition du gouvernement de fixer le mandat des futurs sénateurs à huit ans, et la motion du sénateur Lowell Murray, appuyé par le sénateur Jack Austin, visant à augmenter la représentation des provinces de l'Ouest au Sénat.

[Traduction]

Pour plus d'information sur les travaux du comité, j'invite les téléspectateurs à visiter le site Web du comité dont l'adresse figure au bas de votre écran.

Aujourd'hui, nous avons le privilège d'accueillir notre premier témoin, le premier ministre Stephen Harper. C'est la première fois qu'un premier ministre en fonction témoigne devant un comité sénatorial. Nous sommes heureux qu'il ait accepté de se présenter devant notre comité et nous sommes très impatients d'entendre ses commentaires.

J'invite le vice-président du comité, le sénateur Angus, à faire quelques observations préliminaires, puis nous écouterons l'exposé du premier ministre.

[Français]

Le sénateur Angus : Merci. C'est un plaisir pour moi d'ajouter un petit mot pour souhaiter la bienvenue à notre très honorable premier ministre en ce moment historique.

[Traduction]

Monsieur, en vous souhaitant la bienvenue à ce comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat, je n'ai aucune hésitation à dire que nous nous intéressons tous beaucoup à l'importante question de la réforme et du renouveau du Sénat, et aux processus qui permettraient de mettre en œuvre des changements efficaces avec le temps.

Nous savons l'intérêt que vous portez depuis longtemps à cette question et l'engagement dont vous faites preuve; nous sommes donc enchantés que vous ayez décidé de nous faire part de votre vision globale de la réforme, et plus particulièrement des motifs sur lesquels repose le projet de loi S-4.

[Français]

Nous écouterons avec beaucoup d'intérêt vos commentaires. Nous vous sommes très reconnaissants d'être présent aujourd'hui et d'avoir accepté de répondre à nos questions à la suite de votre présentation.

Le président : Encore une fois, bienvenue monsieur le premier ministre. La parole est à vous.

Le très honorable Stephen Harper, C.P., député, premier ministre du Canada : Je vous remercie, monsieur le président.

Bon après-midi à tous. Je tiens tout d'abord à remercier messieurs et mesdames les sénateurs de m'avoir permis de prendre la parole aujourd'hui sur la question de la réforme du Sénat. Je crois savoir que, comme vous venez de le dire, c'est la première fois qu'un premier ministre en fonction s'adresse à un comité sénatorial. Cela souligne l'importance que j'accorde à la réforme du Sénat. Comme nous avons peu de temps et que notre sujet est important, je m'en tiendrai à l'essentiel.

[Traduction]

Personne ici n'ignore que c'est quasiment un rite de passage de tout aspirant au poste de chef politique et de premier ministre de promettre une réforme du Sénat au cours de son ascension vers le sommet. Les promesses sont généralement faites dans l'ouest du Canada. Ces déclarations d'intention sont généralement bien accueillies par les militants, les éditorialistes et les citoyens ordinaires, mais une fois que les élections sont passées, la réforme du Sénat devient tout à fait secondaire pour le gouvernement, rien ne bouge et le statu quo est maintenu.

[Français]

Honorables sénateurs, il faut que cela cesse car le Sénat se doit de changer, et nous serons les auteurs de ce changement. Le gouvernement ne veut pas de rapport, mais de l'action.

[Traduction]

Honorables sénateurs, il faut mettre fin à ces éternels reports et retards en ce qui concerne la réforme du Sénat, et ce sera le cas. Le Sénat doit changer et nous comptons être les artisans de ce changement. Le gouvernement ne veut plus de rapport supplémentaire, mais il veut de l'action conforme aux engagements que nous avons pris envers les Canadiens au cours des récentes élections fédérales.

[Français]

Comme vous le savez tous, nous avons promis au cours de la dernière campagne électorale que si nous étions élus, nous procéderions à la réforme du Sénat. Je suis venu ici aujourd'hui pour réitérer personnellement l'engagement que j'ai pris de réformer cette institution.

[Traduction]

Cette réforme fera du Sénat une institution plus démocratique, qui rendra davantage de comptes aux citoyens et qui sera davantage en harmonie avec les attentes des Canadiens et Canadiennes qui, nul ne l'ignore, sont las du statu quo.

Honorables sénateurs, je crois en la réforme du Sénat car je crois dans les idées qui sont à l'origine d'une chambre haute. Il est essentiel que le Canada ait une chambre haute qui fasse un second examen objectif et efficace. Il est essentiel que le Canada ait une chambre haute qui donne la possibilité de s'exprimer à nos diverses régions. Il est essentiel que le Canada ait une chambre haute fondée sur une légitimité démocratique, et j'espère qu'en unissant nos efforts, nous pourrons accroître progressivement cette légitimité démocratique. L'adoption par le Sénat du projet de loi S-4 représenterait déjà en soi une réforme modeste mais constructive. Le projet de loi S-4 ne promet pas une réforme intégrale du Sénat et n'assurera pas la réforme comme telle, mais il représente déjà un changement constructif en limitant à huit ans la durée du mandat des sénateurs.

[Français]

Un mandat de huit ans des sénateurs serait un mandat d'une durée à peu près équivalente à celui de deux gouvernements majoritaires consécutifs. Il s'agit, je crois, d'une proposition juste et qui ne heurte pas le gros bon sens de la population canadienne.

[Traduction]

Le fait que les sénateurs puissent être, et qu'ils soient à l'occasion, nommés pour des périodes de 15 ans, de 30 ans, voire de 45 ans n'est plus acceptable à l'heure actuelle pour la plupart des membres de la grande collectivité canadienne. On retrouve peu d'équivalents de cette pratique dans les autres démocraties occidentales au XXIe siècle. Il est par conséquent impératif d'agir.

Le gouvernement estime que le projet de loi S-4 est réalisable grâce aux initiatives que peut prendre le Parlement. Les honorables sénateurs n'ignorent probablement pas que le rapport Molgat-Cosgrove de 1984 sur la réforme du Sénat a fait non seulement une recommandation semblable concernant la durée du mandat des sénateurs, mais a en outre confirmé qu'un tel changement était réalisable sans avoir recours à la formule générale de modification de la Constitution. Comme vous le savez, le rapport Molgat-Cosgrove recommandait un mandat d'une durée un peu plus longue, soit de neuf ans, plutôt que le mandat de huit ans proposé dans le projet de loi S-4. Je pense que les auteurs du rapport Beaudoin-Dobbie recommandaient un mandat de six ans.

Un gouvernement peut faire preuve de souplesse et accepter une modification des points de détail du projet S-4 pour adopter un mandat d'une durée de six ans, d'une durée de huit ans ou de neuf ans. Le facteur clé est le suivant : nous voulons un mandat d'une durée limitée et fixe plutôt qu'un mandat d'une durée de plusieurs décennies fondé sur des critères d'âge désuets.

J'ai suivi attentivement vos délibérations sur le projet de loi. Certains sénateurs ont dit que le projet de loi va trop loin alors que d'autres estiment qu'il ne va pas assez loin. Nous sommes toutefois tous d'accord sur un point : il représente un pas en avant raisonnable et réalisable. J'aimerais que lorsque vous reprendrez vos séances à la fin du mois, vos délibérations sur le projet de loi S-4 aboutissent à une conclusion heureuse car le Sénat se doit de changer. Les Canadiens suivront cette affaire pour voir si le Sénat actuel participera à ce processus de changement.

[Français]

Comme je l'ai déjà dit, le projet de loi propose une réforme modeste. Il faut faire plus et le gouvernement s'est engagé à aller de l'avant.

[Traduction]

Pour franchir une étape supplémentaire de son engagement de rendre le Sénat plus efficace et plus démocratique, le gouvernement espère présenter à la Chambre cet automne un projet de loi ayant pour objet d'instaurer un processus de sélection des sénateurs élus. Ce projet de loi sera une preuve supplémentaire du sérieux avec lequel le gouvernement envisage la question d'une réforme véritable du Sénat.

En conclusion, j'aimerais citer une phrase extraite d'un livre que j'ai lu dernièrement. La voici :

Aucune autre question publique au Canada n'a probablement fait une telle unanimité dans l'opinion publique que la nécessité d'une réforme du Sénat.

Certains d'entre vous savent probablement que l'auteur de cet ouvrage est Robert MacKay. Ce livre est intitulé The Unreformed Senate of Canada et la phrase que je viens de citer date de 1926.

Honorables sénateurs, l'institution qu'est le Sénat du Canada se doit de changer.

[Français]

Honorables sénateurs, l'institution qu'est le Sénat du Canada se doit de changer pour vrai. J'espère que vous vous joindrez au gouvernement et à la population canadienne en vous associant de façon constructive à ce changement.

[Traduction]

L'adoption du projet de loi S-4 serait un modeste pas en avant. Après cela, nous continuerons à progresser avec d'autres propositions dans le cadre de notre plan qui consiste à donner aux Canadiens et Canadiennes l'institution responsable et démocratique qu'ils souhaitent et méritent. Je vous remercie pour votre attention.

[Français]

Monsieur le président, je suis ici jusqu'à 15 heures pour répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur le premier ministre, pour votre présentation.

[Traduction]

Nous suivrons une procédure. En ma qualité de critique du projet de loi, je poserai la première question. Le sénateur Angus posera la deuxième, puis nous donnerons la parole aux autres membres du comité. S'il reste encore du temps après les questions des membres, nous donnerons alors la parole aux sénateurs ici présents qui ne sont pas membres du comité.

Monsieur le premier ministre, nous vous sommes très reconnaissants pour votre exposé qui, de même que votre présence, démontre le sérieux de vos intentions en ce qui concerne la question de la réforme parlementaire, et en particulier celle du Sénat.

Ma question est liée à votre commentaire selon lequel ce projet de loi représente un pas en avant, ce en quoi vous avez parfaitement raison. Nous nous posons toutefois des questions sur l'orientation que vous voulez donner à l'initiative de réforme en général. En d'autres termes, nous ferions un pas en avant en adoptant le projet de loi à l'étude. Je suis le président du comité et, par conséquent, je garde délibérément une certaine ouverture d'esprit à cet égard jusqu'à ce que nous avancions davantage.

Je voudrais toutefois faire le commentaire qui suit. Comme vous l'avez signalé dans votre exposé, un mandat d'une durée de huit ans est de toute apparence raisonnable pour un Sénat élu, mais ce l'est moins si rien d'autre ne change. Quoique nous n'en soyons pas certains, nous pensons qu'il s'agit d'un mandat renouvelable, car c'est ce qu'a indiqué le leader du gouvernement. Nous examinerons cette question également, mais il ne serait pas très sensé de se contenter de raccourcir le mandat sans apporter d'autres changements. On ne peut s'empêcher de se demander quels autres changements seraient apportés et dans quelle direction ce serait un pas en avant.

Je ne sais pas très bien si vous êtes disposé à donner des informations plus précises à ce sujet, mais si vous l'êtes, cela pourrait nous être très utile. Sans cela, nous ne pouvons que faire des supputations, ce qui rend notre tâche très difficile.

Je pense que c'est l'intention du gouvernement, et aussi celle du Parlement — alors qu'actuellement cette question est examinée par cette Chambre du Parlement — de mettre les Canadiens et les Canadiennes au courant. La Constitution est la loi la plus importante du pays et les citoyens devraient être au courant de tout changement. Il serait essentiel que l'acceptation d'une telle modification à la loi fondamentale du pays soit manifestée par le biais des premiers ministres des provinces.

Vos commentaires seraient appréciés, monsieur le premier ministre.

M. Harper : Comme je l'ai signalé dans mes observations, monsieur le président, le gouvernement est fermement convaincu que le Sénat devrait être élu. J'espère bien que nous prendrons bientôt des mesures pour entamer ce processus. Je pense qu'au cours des dernières années, presque toutes les personnes qui en sont arrivées à la conclusion que le Sénat doit exister, qu'il doit être efficace et qu'il doit remplir les diverses fonctions qu'il est censé remplir, y compris la représentation des perspectives régionales, s'accordent à dire que pour cela, il est essentiel qu'il s'agisse d'une chambre élue. De toute évidence, il y a quelques voix dissidentes, mais cela concerne l'étape suivante du processus.

Je ne sais pas quelles précisions supplémentaires je pourrais donner, car notre position est la suivante : le bien-fondé de ce changement est indéniable et il en vaut la peine. Le gouvernement a décidé de présenter ce projet de loi avant tout parce qu'il estime que le Parlement peut agir, sans entraîner d'autres paliers de gouvernement dans un débat constitutionnel ou dans un processus de modification de la Constitution complexe. Je suis convaincu que, même en l'absence de tout autre changement, cette durée du mandat renforcerait la légitimité du Sénat.

Les honorables sénateurs devraient tous savoir que, malgré la modification apportée en 1965, de nombreux Canadiens et Canadiennes estiment que les sénateurs sont nommés à vie et qu'ils ont un mandat à perpétuité. En fait, si cette modification n'avait pas été apportée, la mauvaise publicité dont le Sénat fait parfois l'objet serait encore plus mauvaise à l'heure actuelle. Par conséquent, j'estime que le raccourcissement du mandat, dans la mesure où il a été raccourci, a renforcé cette légitimité. Un mandat fixe d'une durée raisonnable lui donnerait, à mon sens, une légitimité encore accrue.

Un de mes prédécesseurs a déclaré de façon péremptoire que la nomination de personnes très âgées garantirait un apport plus régulier de sang neuf au Sénat. Ce n'est pas forcément la meilleure façon d'atteindre le même objectif. J'estime que le changement que nous proposons ne mettrait pas fin définitivement aux requêtes en faveur d'une réforme du Sénat mais qu'il augmenterait le roulement au Sénat, sans compromettre l'efficacité de ses membres; il améliorerait en outre à mon sens son image.

Le sénateur Angus : Monsieur le premier ministre, j'ai cru comprendre, d'après vos observations, que vous aimeriez que les sénateurs et que le Sénat participent à un processus de renouveau et de réforme. Je ne puis que présumer que c'est précisément pour qu'ils aient une occasion de participer au processus que vous avez présenté le projet de loi S-4 au Sénat, ce dont nous nous réjouissions tous, car c'est préférable à l'intervention de tiers pour décider en quelque sorte du sort de cette institution.

Je pense que le projet de loi S-4 n'est qu'une première étape d'un processus de réforme échelonné. Vous savez probablement que nous avons entendu des témoins, car vous avez mentionné que vous suiviez de très près nos délibérations. De nombreux commentaires ont été faits par écrit sur le sujet et il est manifeste que certaines personnes soient contre le concept d'un processus échelonné. Par quoi un processus de réforme échelonné ou par étapes pourrait- il être remplacé? Comment cela se déroulerait-il si l'on procédait d'une autre façon?

M. Harper : Je vous remercie pour la question, sénateur Angus. Il y aurait trois trajectoires possibles. Les deux options de remplacement de la réforme par étapes sont premièrement, le maintien du statu quo et, deuxièmement, la tentative de procéder à une réforme globale par le biais de méganégociations constitutionnelles.

En ce qui concerne la première possibilité, la population pense que le statu quo n'est pas acceptable et, de façon peut-être encore plus pertinente, qu'il n'est pas compatible avec les engagements que le présent gouvernement a pris à l'égard des Canadiens et Canadiennes au cours de sa campagne électorale.

La conclusion que j'en tire, après avoir observé depuis une vingtaine d'années la politique canadienne, en dépit de mon âge relativement jeune, est qu'une réforme globale du Sénat n'est pas réalisable à l'heure actuelle, sauf peut-être un seul type de réforme globale, à savoir l'abolition. C'est pourquoi j'exhorte tous les honorables sénateurs ici présents à en conclure que la réforme par étapes est la façon de procéder qui est préférable.

Le sénateur Austin : Monsieur le premier ministre, je vous souhaite la bienvenue, moi aussi. Je pose immédiatement ma question car nous disposons de peu de temps.

Une question qui nous préoccupe est celle de la constitutionnalité du projet de loi S-4. Nous devons la régler avant de pouvoir continuer de discuter de l'opportunité de franchir maintenant cette étape. La Constitution est ce qui gouverne notre pays et il est essentiel que nous la respections tous.

Ma question n'a pas pour but de vous demander un avis constitutionnel, monsieur le premier ministre, mais vous avez mentionné que vous pensiez que la réforme du Sénat avait un fondement constitutionnel. J'aimerais savoir si vous avez consulté les provinces en ce qui concerne le projet de loi S-4 et si, dans l'affirmative, vous avez obtenu des réactions d'appui ou entendu des avis dissidents. Je sais que le ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes du Québec, Benoît Pelletier, a dit qu'il n'était pas convaincu de sa constitutionnalité. Nous avons entendu d'autres avis de conseillers en matière constitutionnelle, dont certains estiment qu'il est constitutionnel alors que d'autres n'en sont pas sûrs ou d'autres encore pensent qu'il est carrément anticonstitutionnel. Quel avis pouvez-vous nous donner en ce qui concerne l'opinion des provinces sur le projet de loi S-4?

M. Harper : En ce qui a trait à la constitutionnalité du projet de loi S-4, je répondrai à la question, mais peut-être pas de façon très détaillée. Le gouvernement a la ferme conviction que c'est une mesure constitutionnelle et que le dispositif sur lequel il s'appuie est la formule globale de modification adoptée en 1982. D'après cette formule, la Constitution du Canada peut être modifiée par les Chambres du Parlement en ce qui concerne le Sénat, sous réserve de quatre exceptions qui ne s'appliquent pas à ce projet de loi. Le gouvernement est très clair à ce sujet.

Le gouvernement n'a pas tenu de consultations globales auprès des provinces au sujet du projet de loi S-4, bien que des consultations informelles de nature générale sur la question de la réforme du Sénat aient été faites. Je ne suis au courant d'aucune objection à ce projet de loi. J'ai consulté le premier ministre Charest sur le projet de loi avant qu'il ne soit déposé à la Chambre. Comme vous le savez, d'après les commentaires qu'il a faits en public et en privé, il n'oppose aucune objection à ce projet de loi. Aucun premier ministre provincial n'a, à ma connaissance, manifesté la volonté de s'opposer à ce que le gouvernement s'engage dans cette voie avec ce projet de loi. Sénateur, je ne connais aucun corps d'opinion à l'extérieur du Sénat qui ait mentionné qu'il faille opposer une résistance à ce changement.

Le sénateur Austin : La question n'est pas que l'on ait opposé une résistance au changement, mais plutôt de savoir si la Constitution nous permet de le réaliser. Comme nous le rappelle l'ex-sénateur Lynch-Staunton : si l'on a le moindre doute au sujet d'une modification à la Constitution, il ne faut pas la tenter. Nous serions dans de beaux draps si la Cour estimait que la modification n'était pas constitutionnelle. C'est une des questions que doit examiner le comité.

Ma question suivante a pour objet de savoir si la durée du mandat, huit ans par exemple, serait renouvelable pour une période supplémentaire de huit ans. Quel est l'objectif du gouvernement à ce chapitre?

M. Harper : Comme vous le savez, le projet de loi S-4 passe cette question sous silence. Ce silence vous permet de présumer qu'il y aurait possibilité de renouvellement. J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt les discussions sur cette question au Sénat et, dans une certaine mesure, à ce comité-ci. Pour être franc, j'ai tendance à avoir une vision future du Sénat qui est celle d'une assemblée élue. C'est pourquoi j'ai nécessairement tendance à en conclure que ce renouvellement est souhaitable. Si vous arrivez à la conclusion que ce renouvellement n'est pas souhaitable, que ce soit pour des motifs d'ordre constitutionnel ou pour d'autres motifs, le gouvernement ferait preuve de souplesse dans le contexte de cette modification pour indiquer que le mandat ne serait pas renouvelable. Le gouvernement peut accepter l'une ou l'autre option.

La question qui fait l'objet des discussions est celle de savoir si ce renouvellement entraverait son indépendance. En ce qui concerne la possibilité que les sénateurs modifient leur comportement si le mandat est renouvelable, j'aurais tendance à écarter cette hypothèse. À la lumière de l'expérience que j'ai acquise, la volonté des membres de l'une ou l'autre des chambres de collaborer avec le gouvernement est déterminée d'abord et avant tout par leur appartenance politique. Que le mandat soit renouvelable ou qu'il ne le soit pas, cela ne fera probablement aucune différence. C'est mon opinion sur la nature humaine en ce qui concerne le processus législatif.

Le sénateur Tkachuk : Monsieur le premier ministre, j'attache beaucoup d'importance au fait que vous participiez à cette séance du comité consacrée à son étude préliminaire du projet de loi S-4. Comme l'a fait remarquer le sénateur Austin, par cette participation, vous démontrez que vous éprouvez beaucoup de respect pour l'institution qu'est le Sénat et pour ses membres.

Ma question concerne l'imputabilité, terme qui a été utilisé fréquemment au cours des récentes élections fédérales, et que vous avez mentionné aujourd'hui dans vos observations préliminaires. Je ne me souviens pas que les témoins ou les sénateurs aient utilisé ce terme au cours de la séance d'hier.

Pourriez-vous expliquer les raisons pour lesquelles le projet de loi S-4 cadre avec votre vision de l'imputabilité envers les Canadiens? Est-il nécessaire de tenir des élections pour assurer l'imputabilité ou est-ce que le projet de loi S-4 est en parfait accord avec votre vision en la matière?

M. Harper : Sénateur, je pense que l'adoption du projet de loi S-4 ne serait pas garante du type d'imputabilité qui est nécessaire en ce qui concerne le Sénat ou d'autres organes législatifs. Toute autre initiative qu'un processus électoral démocratique ne permettrait pas de répondre pleinement à nos besoins en matière d'imputabilité. Un mandat fixe de huit ans qui mènerait à un renouvellement représenterait un moins grand danger de sclérose et limiterait peut-être le nombre de sénateurs qui, avec les années, deviennent moins efficaces et manifestent moins d'intérêt. Dans ce sens, cela améliorerait l'imputabilité, mais cela ne nous permettrait pas d'atteindre nos objectifs comme tels en la matière.

Le sénateur Tkachuk : Avez-vous fait un sondage auprès des provinces pour connaître leurs opinions sur l'élection des sénateurs? S'agirait-il d'un processus national et certaines provinces pourraient-elles opter pour la nomination des sénateurs alors que d'autres pourraient opter pour leur élection?

M. Harper : J'estime que l'on pas donné des explications assez précises sur la position du gouvernement au cours de la récente campagne. Nous souhaitons un processus national en ce qui concerne l'élection des sénateurs plutôt qu'un processus laissé à l'appréciation de chaque province.

Ma vision du Sénat est celle d'une assemblée bien structurée, à titre d'institution nationale importante, et pas en tant qu'institution fédérale ni qu'institution provinciale. Il ne fait aucun doute que pour modifier le processus de façon constitutionnelle formelle — afin de procéder à l'élection des sénateurs —, le consentement des provinces serait indispensable.

Le gouvernement voudrait obtenir la capacité de consulter la population avant de procéder à des nominations au Sénat. De toute évidence, il s'agit là d'une étape provisoire de démocratisation, mais nous estimons qu'elle serait importante.

[Français]

Le sénateur Dawson : Monsieur le premier ministre, nous apprécions énormément votre présence ici, aujourd'hui, et je respecte votre engagement envers la réforme constitutionnelle. Pour utiliser l'expression québécoise c'est votre « dada » depuis 15 ans, et je comprends que cela est très important pour vous.

Mais depuis 15 ans, vous nous avez toujours parlé d'un Sénat élu, et même votre leader au Sénat nous a dit, au début du discours du Trône, que la priorité de ce gouvernement est de déposer une législation pour un Sénat élu.

Tout d'un coup, le premier projet de loi qui est déposé ce n'est pas pour l'élection des sénateurs, mais pour le mandat de huit ans des sénateurs. J'aime bien respecter votre parole, vos engagements, mais la Constitution est plus ferme que votre parole.

Vous dites : je prévois cela en termes d'élections. Mais si vous acceptez le terme de huit ans, cela voudrait dire que M. Trudeau, M. Mulroney et M. Chrétien, s'ils avaient eu votre Constitution telle que vous l'interprétez, M. Trudeau aurait pu nommer 200 sénateurs, parce qu'il a été là pendant 16 ans. M. Mulroney aurait pu nommer un Sénat complètement conservateur sans la moindre opposition. Et M. Chrétien aurait pu nommer une centaine de sénateurs pendant son terme et donc contrôler complètement la deuxième chambre.

Il me semble évident, monsieur le premier ministre, malgré tout le respect que j'ai pour votre parole, que si nous adoptons le projet de loi tel qu'il est, sans avoir le contrôle par l'élection, et que vous avez le droit de renouveler vos sénateurs, vous allez avoir beaucoup plus de pouvoir — et plusieurs disent que le cabinet du premier ministre a déjà beaucoup de pouvoir — que MM. Mulroney, Trudeau ou Chrétien en ont eu dans le passé. Il me semble évident qu'à titre de protecteurs de la Constitution canadienne, nous désirons nous fier à votre bonne foi, à vos engagements. Nous attendions d'ailleurs une conférence sur la fiscalité à l'automne, mais cela a changé. J'aime respecter votre parole. Vous aviez dit que vous alliez faire élire les Sénateurs et la première chose que vous avez faite c'est de nommer un sénateur au Cabinet. Et il fait maintenant partie de votre gouvernement. C'est le premier geste que vous avez posé

J'aime penser que je dois respecter la parole du premier ministre, mais on est dans une situation de gouvernement minoritaire. Est-ce que vous pensez, monsieur le premier ministre, qu'on peut faire confiance, juste sur votre parole, que les sénateurs seront élus et qu'ils ne feront que huit ans ou que vous allez pouvoir avoir un pouvoir que ni MM. Trudeau, Chrétien ou Mulroney ont eu par le passé?

M. Harper : Sénateur Dawson, j'assume que votre discours indique un appui pour les élections des sénateurs à l'avenir. Je vais regarder avec beaucoup d'attention votre réaction quand nous déposerons un projet de loi pour un tel objectif.

Mais je dois dire que ce gouvernement a nommé un sénateur pour une raison claire : assurer une représentation de la région de Montréal au Cabinet, et ce sénateur quittera son siège lors de la prochaine élection afin d'obtenir un siège à la Chambre des communes.

Il reste encore neuf sièges sans sénateur. Je n'ai pas l'intention de nommer des sénateurs à moins que ce soit nécessaire. Mais je peux dire que le gouvernement a l'intention de déposer un projet de loi pour créer un Sénat élu.

Le sénateur Dawson : J'aimerais que vous répondiez à la question du pouvoir que le premier ministre aurait, s'il l'avait sur une période de 16 ans, dans le cas de M. Trudeau, ou 8 ou 9 ans, dans le cas de M. Mulroney, de pouvoir se donner un Sénat avec les pouvoirs actuels. Pour le moment, je veux respecter votre parole, je ne veux pas la mettre en doute, vous êtes dans une situation minoritaire. Si, par hasard, vous êtes battu aux prochaines élections et qu'au printemps prochain vous n'avez pas passé votre loi sur l'élection des sénateurs, le prochain premier ministre pourra nommer autant de sénateurs qu'il veut, pour la durée qu'il veut. J'aimerais savoir si le comité a un engagement ferme de votre part. Mais vous aviez dit que vous ne nommiez pas de sénateurs. Et, en passant, il y a un siège de libre dans Repentigny.

M. Harper : Évidemment, monsieur Dawson, je pense que ce projet de loi limite le pouvoir du premier ministre de nommer un sénateur. On peut nommer un sénateur juste pour huit ans et comme je viens de le dire, si ce comité s'inquiète du pouvoir, du droit de renouveler les termes des sénateurs, le gouvernement est près à accepter un tel amendement, une telle suggestion du comité. Mais je dois dire que mes pouvoirs constitutionnels, pendant les prochaines années, restent plus ou moins les mêmes. Le premier ministre aujourd'hui a le pouvoir de nommer des sénateurs. Cela ne change pas sauf avec un amendement constitutionnel.

La réalité est que, même avec ce projet de loi, le terme des sénateurs actuels va continuer jusqu'à 75 ans. Je pense que le premier ministre, à l'avenir, aura des membres au Sénat qui changeront plus rapidement qu'aujourd'hui. Mais ce n'est pas le cas encore pour plusieurs années.

Le sénateur Comeau : Bienvenue parmi nous, monsieur le premier ministre. Je ne sais pas si vous avez entendu les commentaires sur une proposition, devant ce comité, concernant une déposition faite par les sénateurs Austin et Murray au sujet d'une résolution qui voudrait régler la question du déséquilibre régional de représentation au Sénat.

La proposition veut que la Colombie-Britannique et l'Alberta aient plus de siège et que la Colombie-Britannique devienne une région au même titre que les autres régions qui existent actuellement.

Pourriez-vous nous donner vos commentaires sur cette proposition? Et est-ce que c'est un moyen par lequel on peut arriver à régler ce déséquilibre régional?

M. Harper : Je peux seulement dire que l'on reconnaît le déséquilibre de la représentation existante. À l'avenir, on doit régler ce problème, mais en même temps, le gouvernement doit choisir une approche, étape par étape. Nous avons commencé avec l'étape la plus facile, celle où nous pouvons faire des choses ici, au Parlement, et nous pouvons gagner un grand appui de la part de la population pour le changement.

La question de la représentation de chaque province est peut-être la question la plus difficile dans les discussions sur la réforme du Sénat et pour cette raison, le gouvernement n'a pas commencé avec cette étape. Le gouvernement a commencé avec, premièrement, le terme, et deuxièmement, un processus de direction.

Mais je dois noter que pour le projet de loi S-4, la position du gouvernement est claire, le Sénat a une voix. Pour la question de l'amendement au sujet des quatre régions, c'est clair et je crois que même les honorables sénateurs Murray et Austin sont clairs. On a besoin de l'appui des provinces et de l'usage de la formule de l'amendement général de la Constitution. Pour une telle situation, on n'a pas besoin de la voix du Sénat. Le pouvoir du Sénat, à la fin, est un véto suspensif. Et il n'est pas nécessaire de consulter le Sénat pour effectuer un tel changement. Il est nécessaire de consulter les provinces.

Le sénateur Comeau : Je suis d'accord, Monsieur le premier ministre, pour dire que la mesure proposée par le projet de loi S-4, soit un mandat de huit ans, est assez modeste. Mais la population pense tout de même qu'il s'agit d'une question très importante.

Que se passera-t-il si le Sénat rejette les modestes mesures proposées par le projet de loi S-4?

M. Harper : Cela suggérera à la population que n'importe quel changement est difficile, impossible, voire même que l'actuel Sénat n'est pas capable de participer à une telle réforme. Je crois qu'il y aurait des conséquences politiques à une telle situation.

Le sénateur Murray : Comme vous le savez, monsieur le premier ministre, le problème du déséquilibre de représentation au Sénat n'est pas plus facile à régler que celui du déséquilibre fiscal.

[Traduction]

Le sénateur Austin et moi-même estimons avoir une proposition intrinsèquement valable, à savoir que même si l'on ne prenait aucune autre initiative au sujet du Sénat, il serait important de corriger une inégalité dans la représentation qui désavantage l'ouest du Canada. C'est notre opinion.

Je n'ai pas du tout l'intention de vous faire dire ce que vous n'avez pas dit, mais j'espère que si cette résolution est adoptée par le Sénat, on la communiquera aux autres parties au processus. Nous avons bel et bien le droit de mettre en place, comme vous le savez, une modification à la Constitution. C'est ce que nous tentons de faire.

Si la résolution est adoptée par le Sénat, nous la communiquerons aux provinces et, bien entendu, au gouvernement fédéral. Toutes les parties auraient trois ans pour décider de l'adopter ou de la rejeter. J'espère que le gouvernement fédéral ne fermerait pas la porte ou ne menacerait pas d'imposer son veto, du moins tant qu'il ne saurait pas s'il y a un consensus de la part des provinces au sujet de notre amendement. Pourrait-il aller jusque-là?

M. Harper : Sénateur Murray, ce que je ferais si une telle suggestion venait du gouvernement, c'est que je consulterais les provinces au préalable plutôt que de voir plus tard si l'on a des chances de réussite. Nous sommes tous au courant des expériences en matière de réforme constitutionnelle — surtout de celles liées à des discussions fédérales- provinciales. J'aimerais veiller à ce qu'à l'avenir, nous n'allions pas trop loin, dans quelque direction que ce soit, avant d'estimer d'avoir d'assez bonnes chances de réussite.

Si vous me demandez de façon indirecte quelles sont mes opinions sur les mérites de la proposition que vous avez faite, il est inutile de vous dire que j'estime que toute initiative susceptible d'améliorer la représentation des plus petites provinces au Sénat, et de celles de l'Ouest en particulier, est une initiative constructive.

Cette proposition serait-elle considérée comme une solution au problème du déséquilibre? À vrai dire, j'en doute, car j'estime que des problèmes assez évidents se poseraient. Le plus visible est que la Saskatchewan et le Manitoba par exemple, dont la population est supérieure à celle de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, continueraient d'être représentés par un moins grand nombre de sénateurs que ces deux provinces. Ce serait indéniablement beaucoup mieux, mais ce serait difficile à justifier comme objectif, fut-il temporaire.

Le sénateur Murray : Voyons ce qui se passera. N'imposez pas votre veto avant de constater le degré d'appui des provinces...

M. Harper : Comme vous le savez, honorable sénateur, il n'est pas clair que j'aie un veto en la matière. Aux termes de la Loi sur le veto régional, je devrais peut-être ou ne devrais peut-être pas consulter d'abord les provinces.

Le sénateur Murray : La Loi sur le veto régional ne s'applique qu'aux modifications constitutionnelles présentées par un ministre de l'État, ce que le sénateur Austin et moi-même ne sommes pas.

M. Harper : Bien. Ce que je veux dire, c'est que, de toute évidence, du moins pas aux termes de la Loi sur le veto régional — nous pourrions d'ailleurs également discuter de sa constitutionnalité —, un ministre de l'État ne pourrait pas présenter la mesure.

Le sénateur Murray : Mais quelqu'un d'autre pourrait le faire.

Le sénateur Hays : Sénateurs, j'ai encore sur ma liste le sénateur Munson, le sénateur Segal et le sénateur Chaput, alors qu'il ne reste plus assez de temps pour accorder cinq minutes à chacun d'entre eux. Je vous demande d'y penser.

Le sénateur Munson : Soyez le bienvenu, monsieur le premier ministre. C'est plus fort que moi; journaliste un jour, journaliste toujours. Vous avez signalé en français que cela aurait des conséquences politiques si le Sénat refusait la proposition d'un mandat de huit ans.

Comme vous le savez, nous examinons avec sérieux le projet de loi sur l'imputabilité et la réforme du Sénat; il est donc possible que des modifications soient apportées Cela prendra peut-être un certain temps et c'est un travail sérieux. Certains détracteurs estiment que votre plus vif souhait est de mener des élections sur le dos du Sénat.

M. Harper : Eh bien, ne m'en donnez pas l'occasion.

Le sénateur Munson : Cela aurait alors des conséquences politiques.

M. Harper : Là où cela aurait des conséquences politiques, si vous me permettez de revenir à la réponse que j'ai faite en français, c'est si la population acquérait l'entière conviction que tout type de réforme du Sénat est impossible. Étant donné que le gouvernement s'est engagé à procéder à une réforme du Sénat, il est nécessaire que nous examinions la façon de procéder.

Le Sénat a une tâche à accomplir dans ce domaine. J'ai déjà signalé au comité qu'en ce qui concerne deux ou trois points importants, le gouvernement est réceptif à vos idées et à vos amendements.

En ce qui concerne le projet de loi fédéral sur l'imputabilité, le Sénat a, par tradition, la fonction d'examiner les projets de loi. Je pense cependant que vous êtes tous conscients de l'importance de ce projet de loi pour le programme du gouvernement et pour la population canadienne en général.

Le sénateur Munson : On croirait entendre M. Trudeau lorsqu'il a dit « Just watch me ». Vous parlez en même temps de créer un processus cet automne alors que tout ce que nous voyons pour le moment, c'est un mandat de huit ans, sans savoir où cela nous mènera. Je me demande si cette réforme n'entraînera pas l'américanisation du Sénat.

M. Harper : Je me demandais quand on ferait ce commentaire.

Je ne pense pas que les Américains aient de monopole spécial sur la démocratie. C'est à mon avis un concept tout aussi canadien; en fait, c'est une idée partagée par un nombre croissant de pays. Ils élisent actuellement pratiquement tous leurs assemblées législatives.

Le sénateur Segal : Monsieur le premier ministre, vous avez eu l'obligeance de mentionner la présentation à l'automne d'un projet de loi portant sur une participation publique au processus électoral en ce qui concerne le Sénat.

J'aimerais que vous réfléchissiez à l'éventualité suivante : à supposer que ce projet de loi soit adopté et que le projet de loi S-4 le soit également et à supposer que nous nous retrouvions sous peu avec un Sénat composé d'un nombre croissant de membres élus ayant un mandat de huit à dix ans, selon le cas. Selon la façon dont ce processus est établi, ils auront peut-être la perception d'avoir davantage d'influence que les députés et d'avoir été élus à partir d'un bassin plus large.

En ce qui concerne l'équilibre entre les deux chambres, je pense qu'il est juste de dire que, somme toute, la tradition au Sénat — pour des raisons valables et importantes — consistait à accepter que la Chambre était l'institution au sein de laquelle sont prises les décisions cruciales. C'est là que la démocratie est exprimée; c'est là que le gouvernement est investi de la confiance dont il jouit pendant une période donnée. Pouvez-vous nous faire part de vos opinions sur les possibilités de régler cette question d'équilibre, à supposer que le projet de loi S-4 soit adopté et que toute initiative proposée par le gouvernement en temps opportun en ce qui concerne le processus électoral soit également acceptée?

M. Harper : Comme je l'ai déjà mentionné, le projet de loi qui sera présenté par le gouvernement est forcément habilitant de nature. Il permet au gouvernement au pouvoir non seulement de créer des sénateurs élus, mais aussi d'évaluer l'incidence que cela aura sur le système et ce qui se passe; cela se déroulera sur une certaine période de temps.

Je me contenterai de dire que j'espère bien que ce processus forcera les provinces et d'autres parties, à un moment ou l'autre, à s'attaquer sérieusement à d'autres aspects de la réforme du Sénat, tels que la répartition des sièges et les pouvoirs, questions qui doivent être réglées, comme nous le savons tous, par le biais d'une formule générale de modification, d'une modification de la Constitution. Je me réjouis de voir arriver le jour où le public s'intéressera à ce type de discussion car je pense que le pays en aura besoin à un certain moment.

[Français]

Le sénateur Chaput : Merci, monsieur le premier ministre, d'être ici avec nous aujourd'hui. Personnellement, je n'ai pas de problèmes avec un mandat fixe. Cela a toujours été ma philosophie. Peut-être qu'un mandat plus long que huit ans, non renouvelable, serait préférable, mais je n'ai pas de difficulté avec les mandats fixes. Ma préoccupation porte plutôt sur les prochaines étapes — le projet de loi S-4 n'étant que la première étape de la réforme du Sénat — et concerne l'élection des sénateurs. Actuellement, au Sénat, nous retrouvons des Autochtones, beaucoup de femmes et des représentants des communautés de langue officielle. Je suis moi-même du Manitoba et je représente les francophones en situation minoritaire.

Si j'ai bien compris, vous avez mentionné tout à l'heure que le processus d'élections serait un processus national. Pourrez-vous garantir que ce processus permette de conserver au Sénat des représentants autochtones, des femmes et des membres des communautés de langue officielle en situation minoritaire? Est-ce qu'il y aurait moyen de trouver une solution à cette préoccupation?

M. Harper : C'est un débat que nous aurons à la prochaine étape. Le gouvernement va présenter un projet de loi et je présume qu'il y aura des discussions sur ce point. Je pense qu'il y a des façons d'encourager l'élection d'individus qui représentent la diversité du Canada. Cependant, la nature d'un processus d'élections est qu'on ne peut pas dicter le choix des électeurs et des électrices.

Le sénateur Chaput : Comme vous le savez, la majorité prend soin d'elle-même, mais pour les minorités, c'est beaucoup plus difficile. C'est ma préoccupation et je voulais vous en faire part.

M. Harper : Je peux dire que le rôle d'un Sénat efficace est de représenter les minorités régionales de ce pays. Il est possible de créer un Sénat qui représente toutes les diversités.

Le sénateur Chaput : Si le projet de loi S-4 est adopté cet automne, est-ce que vous avez l'intention de commencer immédiatement à nommer des sénateurs pour huit ans où attendrez-vous l'adoption des autres étapes de la réforme dont celle des élections?

M. Harper : Le gouvernement préfère ne pas nommer de sénateurs à moins d'avoir des raisons nécessaires. J'ai mentionné une de ces raisons dans le cas du sénateur Fortier. Je peux être franc en disant que nous sommes préoccupés par la représentation au Sénat et par le nombre et l'âge de notre caucus sénatorial. Il est nécessaire pour le gouvernement, même dans le système actuel, d'avoir un certain nombre de sénateurs pour faire le travail du gouvernement au Sénat. Nous ne sommes pas au point où il est nécessaire de nommer certains sénateurs pour remplir cet objectif. Je préfère avoir, à ce moment-ci, un processus électoral où nous pouvons consulter la population au lieu de nommer des sénateurs de façon traditionnelle.

[Traduction]

Le sénateur Hubley : Depuis juillet 2004, ma province, l'Île-du-Prince-Édouard, a un poste vacant au Sénat. La question que je voudrais vous poser est la suivante : ne faites-vous pas abstraction du droit constitutionnel de ma province à la représentation au Parlement du Canada en omettant de pourvoir ce poste?

M. Harper : Il faudra que vous me pardonniez de faire remarquer que les membres de votre parti ont insisté aujourd'hui pour que j'active les élections et également les nominations. Il y a en réalité un certain nombre de postes vacants, et pas exclusivement à l'Île-du-Prince-Édouard. Neuf postes sont vacants dans cinq ou six provinces différentes.

Le gouvernement ne perçoit de la part de la population aucune pression pour combler ces postes. Cela deviendrait à mon avis plus délicat si le Sénat était considéré comme l'organisme efficace qu'il pourrait être. Je présume que les pressions pour combler les postes augmenteraient considérablement à partir du moment où une option électorale serait en place.

Le sénateur Hubley : Avez-vous dès lors l'intention d'amorcer le processus d'élection des membres du Sénat à l'Île- du-Prince-Édouard cet automne?

M. Harper : Pour autant que nous réalisions des progrès en ce qui concerne le projet de loi S-4, nous avons l'intention de passer rapidement à l'étape suivante, à savoir de mettre en place un processus d'élection des sénateurs ou de consultation de la population au sujet des nominations au Sénat. À mon avis, cela devrait coïncider avec la prochaine campagne électorale fédérale. Cela pourrait coïncider avec la prochaine campagne électorale provinciale.

Si le gouvernement avait en place à un certain moment la capacité nécessaire — nous n'avons actuellement pas la capacité législative de consulter la population —, nous ferions coïncider cela avec un autre exercice démocratique. Les coûts d'un processus qui ne serait pas combiné avec une autre activité sont très élevés.

Le sénateur Watt : Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le premier ministre. Je pense que votre réponse au sénateur Chaput contient déjà la réponse à la question que je voulais poser. Elle est plutôt liée à la grande diversité du pays. Nous avons à mon sens beaucoup de rattrapage à faire pour atteindre un niveau de représentation adéquate de tous les citoyens et pour que chacun ait la possibilité de s'exprimer. C'est très important pour nous tous.

J'aimerais pousser la question un peu plus loin et demander si vous êtes réceptif au principe qui consisterait à accorder des sièges garantis au Sénat à un certain groupe, par exemple aux Inuits qui vivent dans l'Arctique, c'est-à- dire dans le Nord. Il s'agit en fait de trois régions — le Nunavut, le Labrador et le Nunavik. Elles ont des points communs.

Comme vous pouvez le constater, monsieur le premier ministre, nous avons de temps à autre de la difficulté à représenter efficacement nos électeurs, surtout lorsqu'il s'agit de questions liées à des considérations partisanes.

Si nous voulons sérieusement réformer le Sénat, il est à mon avis opportun d'entreprendre également à un certain moment une réforme de la Chambre des communes. C'est une autre question. C'est une question qui préoccupe les Autochtones et surtout les Inuits.

Notre voix est parfois entendue, mais elle est parfois enterrée parmi de nombreuses autres préoccupations parce que nous sommes un peuple minoritaire dans ce pays.

Si un processus est établi, seriez-vous disposé à l'avenir à discuter de la façon dont le Sénat et la Chambre des communes devraient évoluer et des relations entre les deux? Examineriez-vous la possibilité de prévoir un espace pour les Autochtones dans ces deux institutions?

M. Harper : Je pense, d'après mon interprétation de la Constitution, qu'il serait pratiquement impossible de le faire dans l'une ou l'autre chambre sans modifier la Constitution comme telle. Cela n'exclut toutefois pas, lorsqu'on discute d'un système électoral spécifique au Sénat, la possibilité de concevoir des systèmes qui amélioreraient les possibilités de certains types de représentation.

Je pense que je n'en dirai pas davantage. En ce qui concerne votre suggestion, un résultat définitif ne serait pas possible à mon avis sans procéder à une révision complète de la Constitution.

Le sénateur Watt : Ce dont je suis conscient. Je vous remercie.

Le président : Monsieur le premier ministre, nous vous remercions infiniment pour cette participation unique dans les annales du Sénat. Nous espérons qu'il ne faudra pas attendre à nouveau 139 ans pour qu'une autre occasion semblable se présente. En tout cas, nous apprécions beaucoup votre aide. Comme vous le savez, le Sénat est fier du travail qu'il fait dans les comités et l'exposé que vous avez fait aujourd'hui nous sera d'une aide précieuse dans nos délibérations. Merci.

J'accueille maintenant le groupe suivant de témoins, à savoir Matthew King, Dan McDougall et David Anderson, du Bureau du Conseil privé, et Warren J. Newman, du ministère de la Justice.

Monsieur King, veuillez faire votre exposé préliminaire et donner aux sénateurs un aperçu du projet de loi.

Matthew King, secrétaire adjoint du Cabinet, Législation et planification parlementaire, Bureau du Conseil privé : Honorables sénateurs, étant donné que le premier ministre vient d'exposer de façon assez précise l'approche du gouvernement en ce qui concerne la réforme du Sénat, nous ne ressentons pas le besoin de faire des commentaires très poussés.

Mes collègues et moi sommes impatients de donner des informations aussi précises que possible sur le projet de loi S- 4, actuellement à l'étude au Sénat, et dont la teneur est examinée par ce comité. Je passerai en revue pendant quelques instants avec vous les principaux éléments du projet de loi S-4, concernant la durée du mandat des sénateurs, puis nous répondrons avec plaisir aux questions.

Le gouvernement a présenté le projet de loi S-4 au Sénat le 30 mai 2006. Une question a déjà été posée à ce sujet et le premier ministre a exposé les motifs pour lesquels le gouvernement a décidé de présenter ce projet de loi au Sénat. Le projet de loi S-4 propose de modifier l'article 29 de la Loi constitutionnelle de 1867, en utilisant les procédures exposées à l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982. Nous savons tous que le gouvernement estime que, sous réserve des articles 41 et 42, l'article 44 donne au Parlement du Canada le pouvoir de modifier des dispositions de la Constitution relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat et à la Chambre des communes.

[Français]

En vertu de l'article 29, tel qu'il existe actuellement, un sénateur peut demeurer en poste jusqu'à l'âge de 75 ans sous réserve, bien entendu, des articles 30 et 31.

Comme l'a dit le premier ministre et comme l'ont indiqué d'autres personnes qui ont déjà, je crois, comparu devant ce comité, l'article 29 couplé à l'article 23, qui exige qu'un sénateur doit être âgé de 30 ans révolus, signifie qu'à l'heure actuelle, la durée maximale du mandat sénatorial est de 45 ans.

[Traduction]

Le projet de loi S-4 modifierait la Loi constitutionnelle de 1867 en remplaçant l'article 29 actuel par un nouvel article 29 qui limiterait la durée du mandat des sénateurs à une période de huit ans. Du fait même, le projet de loi supprime l'obligation pour les sénateurs de se retirer à l'âge de 75 ans. Cependant, il inclut une disposition transitoire qui permettrait aux sénateurs actuels d'exercer leurs fonctions jusqu'à l'âge de 75 ans. Le projet de loi S-4 ne modifie pas l'obligation pour les sénateurs d'être âgés de 30 ans, énoncée à l'article 23, ni aucun autre aspect des qualités exigées des sénateurs énumérées dans cet article, y compris les conditions concernant leurs propriétés.

Le premier ministre a déjà donné des informations précises à ce sujet, mais je rappelle que le gouvernement a choisi le mandat d'une durée de huit ans parce qu'il est assez long pour que les sénateurs acquièrent l'expérience nécessaire pour exercer efficacement leurs fonctions en matière d'examen législatif et d'examen d'orientation. Le premier ministre a en outre déjà mentionné que le mandat de huit ans est conforme à la recommandation faite dans le rapport mixte de la Chambre et du Sénat Molgat-Cosgrove de 1984. Le gouvernement partage l'opinion exposée dans ce rapport, à savoir que l'instauration d'un mandat d'une durée de huit ou de neuf ans pourrait être faite par le Parlement par l'intermédiaire de l'article 44 de la Loi constitutionnelle.

Voilà les principaux éléments du projet de loi, monsieur le président. Nous répondrons avec plaisir aux questions.

Le sénateur Angus : Je pense que vous êtes tous trois du secrétariat de la réforme parlementaire du BCP; est-ce exact?

M. King : Mon collègue, Warren Newman, travaille au ministère de la Justice.

Le sénateur Angus : Ma question concerne l'actuel âge de la retraite obligatoire fixé à 75 ans. Ai-je raison de penser que si le projet de loi était adopté sous son libellé actuel, une personne qui serait nommée au Sénat à l'âge de 74 ans pourrait y rester jusqu'à l'âge de 82 ans?

M. King : C'est exact.

Le sénateur Angus : Ce serait donc autorisé en vertu du projet de loi.

M. King : C'est exact.

Le sénateur Angus : Ma préoccupation suivante est liée quelque peu aux observations que le premier ministre a faites aujourd'hui au sujet d'un processus électoral applicable aux sénateurs. En ce qui concerne le projet de loi qui, d'après le premier ministre, sera présenté ultérieurement, je ne pense pas qu'il ait mentionné de date. Ce projet de loi porterait-il spécifiquement sur l'élection des sénateurs au Sénat ou sur un processus visant à autoriser des sénateurs qui auraient été soumis à un processus électoral d'un type ou d'un autre à être disponibles pour une nomination, comme dans le cas du sénateur Stanley Waters?

M. King : Je pense que le premier ministre a répondu à une question en disant que le projet de loi inclurait probablement un quelconque processus de consultation populaire qui donnerait aux Canadiens et Canadiennes l'occasion d'exprimer une opinion par le biais d'un vote sur un siège vacant au Sénat.

Sénateur, ce projet de loi est malheureusement toujours en cours d'élaboration et à l'étude par le Cabinet. Par conséquent, je ne peux pas donner d'informations plus précises que cela. C'est ce dont je me rappelle de la position adoptée par le premier ministre aujourd'hui.

Le sénateur Angus : J'apprécie cela. Il semblerait que certains journalistes tiraient des conclusions des commentaires que le premier ministre avait faits au sujet des élections, peut-être certains sénateurs aussi, et je n'avais pas compris cela. Je pense que vous avez confirmé que mon impression est la bonne. Le premier ministre n'a pas dit que des élections semblables à celles organisées pour les députés seraient tenues en ce qui concerne les sénateurs, mais que l'on mettrait en place un processus de consultation qui permettrait aux sénateurs de rendre davantage de comptes à l'avenir et sur lequel lui-même pourrait se baser pour les nominations.

M. King : Il est important de souligner qu'il s'agirait d'un processus de consultation qui laisserait intacte la capacité du premier ministre de recommander des candidats et le pouvoir du gouverneur général de nommer des sénateurs. Tout changement qui irait plus loin que cela nécessiterait une modification plus poussée de la Loi constitutionnelle.

Le sénateur Angus : Monsieur Newman, vous subissez toujours des pressions pour dire si un projet de loi est constitutionnel ou anticonstitutionnel avant qu'il ne soit présenté dans un document du Cabinet, puis au Parlement. À titre de conseiller du gouvernement sur les questions légales et constitutionnelles, êtes-vous convaincu que le projet de loi S-4, qui instaure un mandat renouvelable d'une durée de huit ans — si on interprète cela effectivement comme un mandat renouvelable — serait possible pour le Parlement? Serait-il constitutionnel?

Warren J. Newman, avocat général, Section du droit administratif et constitutionnel, ministère de la Justice Canada : Je vous avertis d'emblée que je ne révélerai pas, car cela m'est interdit, les avis que le ministère de la Justice a donnés dans le contexte de l'élaboration de ce projet de loi, mais le ministère a effectivement été activement consulté. Le premier ministre a mentionné aujourd'hui que le gouvernement est convaincu que le projet de loi est une mesure constitutionnelle. Je n'hésiterais nullement à faire remarquer que l'article 44 de la formule de modification renferme une procédure de modification législative de la Constitution et que ce projet de loi est conforme à l'essence même de cette procédure de modification de la Constitution.

Le sénateur Angus : Le projet de loi ne mentionne pas expressément que ces mandats d'une durée de huit ans sont renouvelables, mais le leader du gouvernement au Sénat a signalé qu'il ne spécifiait pas non plus qu'ils ne le sont pas. Vous avez certainement entendu la question que nous avons tous posée. Par conséquent, pouvons-nous présumer que la volonté du législateur en l'occurrence est qu'il soit renouvelable? Est-ce votre opinion?

M. Newman : Je reconnais que le projet de loi ne fait aucune mention expresse de la possibilité que ce mandat soit renouvelable. Certaines dispositions législatives font mention de mandats renouvelables et si vous le désirez, nous pourrons examiner la question dans le contexte de l'indépendance de cette institution au cours des présentes discussions. En fait, comme l'a signalé M. King, le pouvoir légal et constitutionnel de mander des sénateurs au Sénat appartient au gouverneur général et, par conséquent, aucune disposition de ce projet de loi ne porte de toute façon sur ce pouvoir.

Le premier ministre a fait savoir aujourd'hui que le gouvernement serait disposé à envisager la possibilité que des amendements soient présentés à cette fin, si c'est le souhait du comité et, en définitive, du Sénat. À mon avis, le projet de loi ne renferme aucune disposition susceptible de déranger quelqu'un d'un point de vue constitutionnel en ce qui concerne les changements qu'il n'apporte pas au processus de nomination et les modifications qu'il apporte à l'article 29 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Le sénateur Angus : Vouliez-vous dire toutefois, dans la première partie de votre réponse, que le gouvernement prévoit présenter un autre projet de loi portant spécifiquement sur la possibilité de renouveler les nominations?

M. Newman : J'avance un peu trop vite.

Le sénateur Angus : J'ai peut-être fait abstraction de ce projet de loi.

M. Newman : Comme toute autre personne qui s'intéresse à la question, j'ai suivi les débats au Sénat et au comité hier. Ce qui m'a frappé, c'est la question de savoir si la possibilité de renouveler le mandat réduirait l'indépendance du Sénat et son rôle constitutionnel par rapport à la Chambre des communes.

Si vous me permettez d'avoir cette audace, honorables sénateurs, j'aurais tendance à envisager le rôle du Sénat comme celui d'une institution politique exerçant essentiellement des fonctions législatives. Le point de comparaison approprié n'est peut-être pas l'indépendance judiciaire — en vertu de laquelle les juges exercent des fonctions judiciaires dans des cas particuliers et s'appliquent non seulement des principes d'équité mais aussi de justice naturelle — mais le rôle politique que joue le Sénat en matière de grande politique et la meilleure façon d'en tenir compte par rapport à son indépendance vis-à-vis de la Chambre des communes et de l'exécutif.

Je voudrais signaler qu'il y a d'autres hauts fonctionnaires dont nous attendons un certain niveau d'indépendance et d'autonomie. Ces fonctionnaires sont nommés pour la plupart pour une période de sept ans, la possibilité du renouvellement du mandat étant mentionnée expressément dans la loi, et pourtant, nous ne nous attendons pas à ce qu'après cinq ou six ans, ils se mettent à agir de façon moins indépendante dans ces fonctions.

Je pourrais mentionner entre autres les dirigeants des tribunaux administratifs comme la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, la Commission canadienne des droits de la personne, ou les hauts fonctionnaires du Parlement, comme le Commissaire à la protection de la vie privée ou le Commissaire aux langues officielles. Ils sont tous nommés pour des mandats fixes d'une durée de sept ans et leur mandat est renouvelable conformément aux dispositions de la loi; pourtant, on s'attend toujours à un certain niveau de probité et d'indépendance de leur part.

Le sénateur Angus : Je me demande alors pourquoi les rédacteurs de ce projet de loi n'ont pas spécifié que les mandats sont renouvelables. Pourquoi laissent-ils planer un doute et nous obligent-ils à tenter de deviner ultérieurement quelles étaient leurs intentions?

M. Newman : Il s'agit d'une modification de la Constitution et cela fait partie du mode de rédaction économique qui est courant dans ce contexte. Ce n'est pas nécessairement aussi précis que certaines autres dispositions législatives. En outre, compte tenu du pouvoir de nomination, si les dispositions du projet de loi ne précisent pas que le mandat ne peut pas être renouvelé, comme dans le cas du vérificateur général — c'est une exception par rapport aux autres exemples que je cite — en principe, dans le contexte du libellé actuel du projet de loi, rien n'empêche le gouverneur général de procéder à une nomination pour un mandat supplémentaire.

Le sénateur Austin : Monsieur le président, je suis très heureux de la présence de ces témoins. Ce sont des fonctionnaires qui ont beaucoup d'ancienneté et qui sont très compétents. Monsieur Newman, je le précise car j'ai besoin que vous répondiez à une question concernant vos fonctions dans ce contexte, en particulier en raison des commentaires que vous avez faits dans vos observations préliminaires. Êtes-vous ici à titre de défenseur du gouvernement ou pour nous donner des avis aussi équitables et objectifs que ceux que vous donneriez au gouvernement sur les questions constitutionnelles?

M. Newman : Votre question est une bonne question. C'est une question qu'à mon avis toute personne qui témoigne devant un comité parlementaire doit se poser au préalable. J'ai participé à l'élaboration du projet de loi à titre de conseiller juridique. Mes fonctions consistent donc à donner des avis juridiques et, à ce titre, je suis tenu par le secret professionnel; il y a ensuite d'autres fonctions que l'on peut remplir à titre d'avocat. Je ne tente pas de jouer un rôle de défenseur d'intérêts particuliers, qui soient de quelque façon de nature partisane, car je suis fonctionnaire. Je ne suis pas un politicien élu ou nommé. Cependant, dans la mesure où vous me posez des questions concernant la formule de modification ou la conformité de ce projet de loi au cadre constitutionnel actuel, je m'applique à vous donner l'opinion la plus objective possible, compte tenu du fait que je ne peux pas divulguer les avis juridiques.

Le sénateur Austin : Je voudrais votre opinion la plus professionnelle et la plus objective possible, une opinion qui ne soit pas déformée par une responsabilité politique. Est-ce possible?

M. Newman : Je crains que vous n'ayez pas le choix et que vous deviez accepter le fait que je vous donnerai la meilleure réponse possible compte tenu de ma situation. Vous entendrez d'autres témoins qui, à votre point de vue, seront plus indépendants que moi dans leur situation par rapport à ce projet de loi.

Je suis un avocat du gouvernement. Vous accueillerez d'autres experts en matière de Constitution auxquels vous pourrez poser également des questions.

Le sénateur Austin : J'apprécie votre réponse. J'ai longtemps préconisé qu'en ce qui concerne les questions constitutionnelles, le comité sénatorial ait des avis indépendants, car j'ai été fonctionnaire, et je comprends le rôle d'un fonctionnaire du ministère de la Justice.

Ce que je voudrais faire — et c'est préliminaire aux questions et, par conséquent, à la nature de vos réponses —, c'est examiner le dernier paragraphe du préambule du projet de loi S-4 qui signale que le projet de loi ne modifie pas les caractéristiques essentielles du Sénat. J'ai le projet de loi ici et j'aurais probablement intérêt à lire ce passage pour le citer avec exactitude.

Il dit ceci :

que le Parlement entend préserver les caractéristiques essentielles du Sénat, lieu de réflexion indépendante, sereine et attentive au sein de la démocratie parlementaire canadienne,

C'est une aspiration et un argument politique. Cela ne règle pas la question comme telle; je pense que vous l'admettrez.

M. Newman : J'admets que c'est une aspiration. Cela fait partie d'un préambule et un préambule est, bien entendu, une façon de démontrer l'objet d'un projet de loi. Par conséquent, on aurait tendance à penser qu'il ferait partie du contexte dans lequel les dispositions seraient interprétées.

Le sénateur Austin : Je suis certain que vous connaissez le renvoi relatif à la Chambre haute, un avis consultatif donné par la Cour suprême en 1980. Comme vous le savez, le gouvernement du premier ministre Trudeau avait, en 1978, posé à la Cour suprême du Canada une série de questions relatives au projet de loi C-60, que je connaissais très bien. Une de ces questions avait pour objet de savoir si le Parlement du Canada pouvait unilatéralement modifier la durée du mandat des sénateurs.

À la page 78 [1980] 1 R.C.S., la Cour suprême dit que :

À l'heure actuelle, un sénateur nommé reste en poste jusqu'à l'âge de 75 ans. Une réduction éventuelle de la durée du mandat pourrait empêcher le Sénat de « modérer et de contrôler la législation », comme l'a décrit Sir John A. Macdonald. L'Acte envisagerait une constitution semblable en principe à celle du Royaume-Uni, où les membres de la Chambre des lords restent en poste toute leur vie. L'imposition de la retraite obligatoire à 75 ans n'a eu aucune incidence sur le caractère essentiel du Sénat. Cependant, pour répondre à la question, il faudrait que nous sachions quels changements sont proposés.

J'ai en fait trois questions à vous poser. La première, l'Acte envisageait une constitution semblable en principe et ce principe est une Chambre des lords dont les membres seraient nommés. Comment réglez-vous cette question sur le plan constitutionnel? Quel est votre argument constitutionnel?

Deuxièmement, en ce qui concerne la possibilité qu'une réduction de la durée du mandat empêche le Sénat de remplir ses fonctions, comment pouvez-vous décider qu'un mandat d'une durée de huit ans est constitutionnel? Est-ce qu'un mandat d'une durée d'un an serait constitutionnel? Sinon, pourquoi avoir choisi huit ans? Vous savez dans quel sens va l'argument.

Je vous laisse répondre à ces deux questions, puis j'en aurai encore une autre à vous poser.

M. Newman : Merci pour ces questions intéressantes. Vous avez indéniablement signalé le passage clé du Renvoi relatif à la Chambre haute qui porte sur la question de la durée du mandat, question à laquelle la Cour a sagement refusé de répondre de façon directe.

En ce qui concerne un principe constitutionnel semblable à celui qui a été adopté au Royaume-Uni, il s'agit clairement d'un énoncé du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, qui a beaucoup de poids. Jusqu'à ce jour, il est cité dans les affaires concernant la Constitution, y compris dans le Renvoi des juges de la cour provinciale et dans l'affaire concernant la radiodiffusion au Nouveau-Brunswick, dans le Renvoi sur la sécession, et cetera.

Il a du poids et il est important. Je pense que dans le contexte actuel de notre formule de modification de la Constitution, il est clair qu'en vertu de l'article 42, examiné conjointement avec l'article 44, toute modification des caractéristiques essentielles fondamentales du Sénat — qui sont exposées à l'article 42, du moins en grande partie — nécessiterait une modification de la Constitution complexe, c'est-à-dire une modification exigeant la participation des assemblées législatives provinciales.

Le Sénat est, du point de vue du droit, un organisme non élu. Il ne faut jamais l'oublier, y compris dans le contexte des mesures législatives que le gouvernement présente. En matière de droit constitutionnel et en matière de droit tout court, le Sénat est un organisme non élu.

On peut effectivement se poser la question, mais s'agit-il de formalisme plutôt que d'intentionnalité et d'efficacité, quant à savoir si l'on peut transformer le Sénat efficacement tout en le maintenant, du moins dans son enveloppe extérieure, en tant qu'organisme non élu? Je dois rappeler que notre Constitution renferme de nombreux aspects formels auxquels nous adhérons en droit alors qu'en pratique, en se fondant sur une convention constitutionnelle et sur d'autres principes, nous exerçons les pouvoirs légaux de diverses façons pour tenir compte de l'évolution des valeurs de notre société.

Ce facteur intervient également. En d'autres termes, il est parfaitement logique de dire que le Sénat est, en droit constitutionnel, un organisme non élu, dont les membres sont nommés tout en précisant qu'il y a peut-être des possibilités d'éclairer le processus de nomination.

En ce qui concerne votre deuxième question, à savoir que la Cour suprême avait signalé, et je prends pratiquement cela comme un spectre, qu'une réduction compromettrait ou pourrait compromettre à un moment ou l'autre l'efficacité du Sénat à titre de chambre de second examen modéré et réfléchi, je n'invoquerai pas le secret professionnel. Je pense pouvoir signaler d'emblée que si l'on présentait un projet de loi visant à réduire la durée du mandat des sénateurs à un an, il ne serait pas jugé valable. Une telle initiative aurait forcément une incidence négative sur la nature du Sénat.

Sénateur, je vous le demande toutefois, si c'est approprié, par l'intermédiaire du président, à supposer que le gouvernement se soit contenté de proposer le type de modification qui fut proposée en 1972 par le Comité Molgat- MacGuigan pour réduire l'âge de la retraite des sénateurs de 75 ans à 70 ans, ce serait certainement autorisé en vertu de l'article 44 de la formule de modification. Nous ne serions pas obligés de solliciter l'accord officiel des provinces par le biais des assemblées législatives provinciales en ce qui concerne ce type de changement.

C'est donc dans une certaine mesure une question de degré. Si vous me permettez de faire appel à d'autres métaphores, cela pourrait être comparable à une mort à petit feu mais, à un certain moment, on en arrive à se demander si le Parlement peut agir légitimement, y compris avec l'accord du Sénat.

Un mandat de huit ans est proche de ce qui a été recommandé. C'est un chiffre raisonné qui devrait être fondé sur la recommandation du Comité Molgat-Cosgrove, sur les mandats dans d'autres chambres hautes et sénats, sur ce qui serait nécessaire à titre d'expérience. Je pense que c'est de là que vient le chiffre de huit ans, et j'estime que c'est une période défendable aux termes de l'article 44.

Le premier ministre a dit qu'un mandat d'une durée de neuf ans ou de six ans, serait peut-être approprié. Ce n'est donc pas un chiffre absolument définitif. Cependant, j'estime que huit ans correspond approximativement à une durée que des avocats jugeraient raisonnable.

Le président : Par souci d'équité, mais en profitant d'une discussion entre les témoins et un des sénateurs, je suis d'accord si le sénateur Austin est disposé à continuer. Cependant, je lui rappelle et je rappelle aux témoins que le temps dont il disposait est écoulé. J'apprécierais par conséquent que l'on soit très bref.

Le sénateur Austin : Monsieur le président, les réponses ont été très étoffées, ce que j'apprécie, mais il serait injuste de ne pas me permettre de continuer à poser les questions que j'ai à poser. J'apprécie les réponses et votre tentative de justifier le projet de loi.

La question est essentiellement que la Constitution est claire à ce sujet et que la Cour suprême l'a interprété. Étant donné que nous avons un renvoi à la Cour suprême, pourriez-vous nous dire si, à votre avis, ce projet de loi peut être considéré comme une mesure législative acceptable, compte tenu du fait qu'elle précède la modification de la Constitution? Êtes-vous disposé à dire que ce n'est plus une bonne mesure législative à cause de la modification de la Constitution?

M. Newman : Je couvrirai ma réponse, sénateur, et ferai preuve de prudence. Depuis le renvoi, la formule de modification a fait l'objet d'une disposition législative, mais c'est toujours un point de repère important pour l'interprétation de l'application de la formule de modification. Aucun avocat spécialisé en droit constitutionnel digne de ce nom ne tenterait d'interpréter les articles 44 et 42 sans examiner les commentaires qu'a faits la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la Chambre haute. J'estime que c'est globalement une bonne mesure législative. Nous pourrions y apporter quelques légers ajustements à la lumière de la formule de modification, mais c'est un précédent très important.

Le sénateur Comeau : Vous avez dit qu'une durée de sept, huit ou neuf ans serait raisonnable. J'ai un autre argument à présenter : la durée moyenne du mandat des sénateurs à l'heure actuelle est de neuf années et quart. Une durée de huit ans serait proche de cette moyenne, mais neuf ans serait plus proche.

Toujours à propos de la constitutionnalité du projet de loi, je pense que l'article 42 concerne les pouvoirs, les qualités, les conditions de résidence et le mode de sélection. J'ai toutefois le souvenir d'un sénateur qui, dans les années 80, avait été élu après un scrutin populaire. Le premier ministre avait décidé d'utiliser cette méthode comme élections consultatives et recommandé au gouverneur général de nommer la personne qui avait été élue.

Au cours des négociations sur le lac Meech qui ont duré deux ans, quatre sénateurs ont été nommés en vertu d'un mode de sélection qui aurait pu être jugé anticonstitutionnel. Ce qui serait pratiquement une disposition de l'article 42 n'a jamais fait l'objet d'aucune contestation. Je ne vois pas très bien pourquoi on invoquerait maintenant cet argument, car des dispositions importantes de ce type ont été acceptées alors. Certaines personnes trouvent que c'est un changement énorme en ce qui concerne la durée du mandat. J'essaie de comprendre comment on pourrait accepter la sélection sans accepter le mandat. J'aimerais que vous fassiez des commentaires là-dessus.

[Français]

M. Newman : À l'époque de l'Accord du lac Meech, on avait prévu mettre en place un processus de nomination tenant compte davantage des préoccupations des provinces à cet égard. Il n'y avait pas de contestations à ce moment- là, mais j'aimerais quand même faire un commentaire à ce sujet.

Ce ne sont pas tous les amendements constitutionnels qui nécessitent un examen par les tribunaux. Depuis 1982, malgré l'échec de l'Accord du lac Meech et de l'entente de Charlottetown, le gouvernement a fait adopter une dizaine d'amendements constitutionnels. Au moins trois modifications concernaient la procédure l'article 44 et les autres étaient des modifications bilatérales en vertu de l'article 43, avec le concours de l'une des provinces.

Je sais que quatre de ces amendements ont été contestés devant les tribunaux, ayant défendu la validité de deux de ces amendements devant les tribunaux du Québec et de Terre-Neuve. Encore là, il n'y avait pas de renvoi à la Cour suprême. Le gouvernement était persuadé que les modifications constitutionnelles étaient valides et valables. On les a donc défendues devant les tribunaux.

On entend dire que ce serait le chaos si jamais cette modification à la Constitution était adoptée et par la suite, invalidée. J'aimerais préciser que si la loi avait été jugée sans effet, rien n'aurait changé. À ce moment-là un sénateur aurait continué de siéger et son mandat durerait jusqu'à l'âge de 75 ans. Sa nomination n'aurait été touchée d'aucune façon du point de vue de sa validité.

Rien ne change sur ce plan puisqu'il ne s'agit pas d'une modification structurelle qu'on propose à la Constitution.

Le sénateur Comeau : Ma dernière question porte sur le renouvellement du mandat et sur l'argument qui dit qu'au fur et à mesure qu'on approche de la date de nomination, les sénateurs perdent leur indépendance.

[Traduction]

À l'approche de l'échéance de huit ans, les sénateurs se mettront à lécher les bottes du premier ministre pour être nommés à nouveau.

[Français]

D'après moi, un sénateur qui ferait cela ne verrait pas son mandat renouvelé. Par contre, pour éviter que cela se produise, on pourrait proposer un amendement au projet de loi afin qu'il n'y ait pas de renouvellement. Cela pourrait se faire dans le cas où la deuxième étape proposée par le premier ministre, le Sénat élu, n'aurait pas lieu d'ici huit ans. Est-ce que ce serait possible?

M. Newman : Si j'ai bien saisi la portée de votre propos, soit on amende le projet de loi pour interdire une seconde nomination, soit on laisse le projet de loi tel quel par rapport à cette question, et là, si jamais le deuxième projet de loi n'aboutit pas à une loi adoptée par le Parlement et que c'est une procédure de nomination, il est toujours loisible au Parlement de modifier à nouveau la Constitution parce que cela se fait en vertu de l'article 44, par le processus de modification législative.

Le sénateur Comeau : Il est probable que l'étape du Sénat élu suivrait celle de la réforme et peut-être il vaut mieux de ne pas limiter le nombre de mandats à ce moment-ci afin de préparer les prochaines étapes.

[Traduction]

Le président : Le sénateur Tkachuk voudrait poser une question supplémentaire à une des questions du sénateur Comeau.

Le sénateur Tkachuk : Ma question est liée aux discussions sur la durée du mandat de huit ans. Il est toujours intéressant de discuter des liens entre le Sénat du Canada et la Chambre des lords britannique. Cependant, nous ne proposerions certainement pas un projet de loi qui permettrait aux sénateurs de léguer leur siège au Sénat à leurs enfants comme cela se faisait dans l'Angleterre du XIXe siècle. On ne peut pas obtenir un siège au Sénat en vertu d'un titre.

Les cours seraient raisonnables. Nous agirions de façon anticonstitutionnelle si nous prenions une initiative ayant pour objet d'empêcher le Sénat de remplir efficacement ses fonctions. Personne ne peut prétendre qu'un mandat d'une durée de huit ans l'en empêcherait. Il renouvellerait probablement le Sénat et améliorerait peut-être la situation. Je voudrais que vous fassiez des commentaires à ce sujet.

Est-ce que cela poserait un problème si le mandat était d'une durée de 15 ou 20 ans? Il s'agit simplement de trouver un chiffre qui soit raisonnable. Même les cours peuvent être raisonnables, je présume. Un mandat d'une durée de huit ans serait jugé raisonnable et le projet de loi S-4 ne serait pas considéré comme anticonstitutionnel.

Dan McDougall, directeur des opérations, Législation et planification parlementaire, Bureau du Conseil privé : Je pense que c'est essentiellement la question que l'on se pose. S'agit-il d'un mandat d'une durée raisonnable et accorde-t-il assez de temps aux sénateurs pour s'acquitter des fonctions qui leur sont attribuées en vertu de la Constitution?

En ce qui concerne la question initiale du sénateur Austin, vous avez mentionné que le préambule de la Constitution donnait des instructions sur l'interprétation de la Constitution comme telle. Il faut se reporter également au préambule du projet de loi qui, comme M. Newman l'a mentionné, donnerait probablement des informations sur les intentions du gouvernement en ce qui concerne cette mesure. Comme l'indique le passage du préambule que vous avez cité, les intentions sont de préserver les caractéristiques essentielles du Sénat, en tant que lieu de réflexion indépendante, sereine et attentive. La question qui se pose dès lors est la suivante : cette durée est-elle suffisante pour que ces intentions soient respectées? Le gouvernement estime que la durée que nous proposons dans ce projet de loi est une durée qui le permettra.

Comme quelqu'un l'a mentionné, en comparant les chambres hautes d'autres pays, on constate que la durée du mandat varie dans une fourchette assez large. Comme l'a signalé le premier ministre tout à l'heure, un mandat d'une durée comparable à celle du mandat actuel au Canada, qui peut atteindre 45 ans, ne se retrouve pratiquement nulle part.

Par ailleurs, la durée la plus courte que je connaisse est de six ans. En Australie, pays où la Chambre haute est analogue à la nôtre à certains égards, la durée du mandat est de six ans. En France, il est de neuf ans. La durée du mandat des chambres hautes varie donc considérablement d'un pays à l'autre. Un mandat de huit ans correspond à cette fourchette.

C'est probablement ce qu'indiquent des études qui ont été faites antérieurement à ce sujet et qui ont déjà été mentionnées lorsque le Sénat a étudié lui-même la question et a fait des recommandations qui ont tendance à aller dans le même sens.

Le sénateur Hays : D'après mon expérience, les questions supplémentaires peuvent comporter des risques de dérapage. Par respect envers le sénateur Austin, qui est le doyen du Sénat, je permettrai une deuxième question supplémentaire.

Le sénateur Austin : Qu'on pratique les questions supplémentaires ou qu'on ne les pratique pas, j'accepterai celle-ci.

La différence, monsieur McDougall, est qu'il s'agit ici d'une énumération faisant référence à une chambre nommée à vie, à savoir la Chambre des lords.

Je comprends vos arguments. Cela pourrait être un bon argument au niveau des principes. Cependant, dans le contexte réel, nous avons une Constitution dont les caractéristiques sont semblables à celles de Westminster, à savoir que le Sénat demeure une chambre dont les membres sont nommés. La question du respect de l'intention des fondateurs est une des questions qui ont été esquivées par M. Newman.

M. Newman : Je signale également que la Cour suprême nous a confirmé que nous avions une Constitution fondée sur des principes analogues à ceux sur lesquels repose celle du Royaume-Uni, mais qu'elle n'est pas identique. Il restera toujours une certaine marge de manœuvre.

Nous reconnaissons tous que le Sénat est un organisme non élu et que c'est ce qu'indiquent les dispositions relatives à la Chambre des lords. Ses membres doivent être nommés plutôt qu'élus, mais il ne s'agit pas d'une chambre haute aristocratique. C'est une chambre haute calquée sur le modèle de la Chambre des lords, mais pas identique.

Le sénateur Murray : Votre ami et ex-collègue, Leslie Seidle, a témoigné hier et il a signalé que l'on pouvait retirer les conditions relatives aux propriétés au moyen de l'article 44. Puis-je en déduire que c'est votre opinion également?

M. King : En toute franchise, je ne suis pas certain que nous approuvions la conclusion de M. Seidle. Je peux toutefois signaler que ce n'est pas une des questions qui a été examinée dans le contexte de l'élaboration du projet de loi S-4.

Le sénateur Murray : Et que pensez-vous de la disposition concernant l'âge?

M. Newman : Parlez-vous de la règle de 30 ans minimum?

Le sénateur Murray : Oui. Le Parlement pourrait-il, aux termes de l'article 44, ramener l'âge de 30 à 21 ans ou le porter à 35 ans?

M. Newman : Ça se pourrait.

Le sénateur Murray : Vous n'êtes pas certain en ce qui concerne les conditions relatives aux propriétés?

M. King : Les conditions de résidence sont plus complexes.

M. Newman : Les conditions de résidence sont spécifiées à l'article 42.

La Cour a indiqué dans le renvoi relatif à la Chambre haute que les conditions relatives à la propriété n'étaient probablement pas aussi importantes aujourd'hui qu'elles ne l'étaient en 1867. Ce serait une indication que ce serait peut-être possible en vertu de l'article 44. Nous n'avons jamais dû avoir une opinion raisonnée à ce sujet et je ne pourrais pas révéler...

Le sénateur Murray : M. Seidle a été beaucoup plus catégorique que cela.

M. Newman : Il n'est plus avec nous.

Le sénateur Murray : Il travaille maintenant pour l'Institut de recherche en politiques publiques et est indépendant.

Le projet de loi S-4 instaurerait un mandat d'une durée de huit ans en ce qui concerne les sénateurs qui seraient nommés à l'avenir. Le gouvernement pourrait-il rendre cette disposition rétroactive et se débarrasser de tous les sénateurs qui sont en fonction depuis huit ans ou plus, seuls les sénateurs Segal et Dawson restant à cette table? Aurait- il pu le faire en vertu de l'article 44?

M. Newman : Sauf votre respect, c'est une question hypothétique. Ce n'est pas ce que le gouvernement a proposé ni ce qu'il avait proposé en 1965 lorsqu'il a présenté la première modification concernant la durée du mandat des sénateurs. En d'autres termes, dans les deux projets de loi, le statu quo a été maintenu en ce qui concerne les sénateurs en poste.

J'hésite à me lancer dans ce type de discussion hypothétique car ce n'est certainement pas dans les intentions du gouvernement.

Le sénateur Murray : Ce n'est pas dans les intentions du gouvernement, mais si le gouvernement peut remplacer la retraite obligatoire à l'âge de 75 ans par un mandat de huit ans en vertu de l'article 44, je ne vois pas pourquoi la rétroactivité d'une telle disposition ne serait pas également possible. Nous ne pousserons pas la question plus loin si vous ne voulez pas y répondre.

Au début des années 60, le précédent en ce qui concerne l'initiative que M. Pearson a prise plus tard au sujet du Sénat était la modification du gouvernement Diefenbaker fixant l'âge de la retraite obligatoire à 75 ans pour les juges de nomination fédérale. Je devrais connaître la réponse à la question suivante, mais je l'ignore : le Parlement pourrait-il fixer unilatéralement l'âge de la retraite à 65 ans ou pourrions-nous décider unilatéralement de nommer des juges pour un mandat de huit ou dix ans?

M. Newman : J'hésite à m'engager dans ce type de discussion car c'est notamment une question hypothétique. Je comprends pourquoi vous la posez, et c'est par analogie avec les modifications de 1960 et de 1965 qui ont abouti à un âge de retraite de 75 ans.

J'ai déjà tenté d'expliquer tout à l'heure qu'à mon avis, il n'est pas souhaitable de pousser trop loin l'analogie entre les fonctions judiciaires et les fonctions législatives et politiques en ce qui concerne le niveau d'indépendance qui pourrait être requis. J'estime que ce n'est pas une entrave à l'exercice du type de pouvoir législatif ou de pouvoir politique qu'exerce et qu'a exercé le Sénat jusqu'à présent avec autorité, et de façon responsable, d'envisager un mandat de six, huit, neuf ou dix ans, plutôt que de déterminer où nous en sommes actuellement en ce qui concerne l'indépendance judiciaire, car l'indépendance judiciaire et la jurisprudence sont solidement établies en ce qui concerne la séparation des pouvoirs entre les fonctions judiciaires, législatives et exécutives. Naturellement, le Sénat, bien qu'il soit indépendant de la Chambre des communes et de l'exécutif, fait néanmoins partie de la fonction législative.

Le sénateur Murray : Je sais tout cela, monsieur Newman. J'ai dit que je devrais connaître la réponse à la question. La Cour suprême est mentionnée dans la Constitution; je pense qu'elle est mentionnée également dans la formule de modification.

M. Newman : Oui.

Le sénateur Murray : Cependant, la question est la suivante : d'après la formule de modification de 1982, le Parlement aurait-il le pouvoir, en agissant unilatéralement, de son propre chef, sans avoir recours à la formule 7-50, à la règle de l'unanimité ou à une des autres formules, de modifier la durée du mandat des juges de nomination fédérale? Je peux certainement poser cette question et vous connaissez la réponse.

M. Newman : Je connais la réponse dans une certaine mesure. Ce n'est pas un domaine dans lequel je suis nécessairement spécialisé. D'autres collègues pourraient se demander pourquoi je tenterais de répondre à ce type de questions, si ce n'est par politesse envers votre honorable personne.

À mon avis, le Parlement du Canada a effectivement un certain pouvoir législatif en ce qui concerne les cours, et plus particulièrement les cours fédérales et les cours de nomination fédérale, par le biais des dispositions de l'article 101 de la Loi constitutionnelle. Il a également des pouvoirs relatifs aux juges de nomination fédérale.

Je ne veux pas supputer les possibilités en ce qui concerne les juges. Premièrement, je n'ai pas l'information nécessaire pour pouvoir en parler. Deuxièmement, j'ai essayé d'indiquer que, malgré tout le respect que je vous dois, je ne pense pas que cela nous avance beaucoup pour ce que nous voulons faire à propos du Sénat, car c'est la question qui nous intéresse en l'occurrence.

Le sénateur Murray : J'en suis conscient.

M. Newman : D'autres collègues du ministère, notamment dans le secteur des affaires judiciaires, se feraient un grand plaisir de discuter avec vous de ce qui pourrait être fait à propos des nominations judiciaires et du mandat des juges. Je ne veux pas m'aventurer trop loin dans ce domaine.

Le sénateur Murray : Ce dont le premier ministre a parlé à propos du futur processus de sélection des sénateurs est très clair. En ce qui me concerne, il est clair, sénateur Angus, qu'il faisait allusion aux élections. Il faisait allusion à un processus qui pourrait se dérouler simultanément à des élections provinciales ou fédérales. Je ne pense pas qu'il faisait allusion à un processus indirect. Les élections sont le processus de consultation.

On ne peut pas aller très loin dans ce domaine. Faudrait-il apporter des modifications à l'actuelle Loi électorale du Canada? Est-ce l'univers dans lequel vous vous trouvez?

M. King : Comme je l'ai mentionné précédemment, je ne suis pas en mesure de faire des commentaires précis sur les dispositions que ce projet de loi pourrait contenir ou ne pas contenir. J'espère qu'il sera bientôt présenté à la Chambre.

Le gouvernement estime que ce sera un processus de consultation populaire. Il sera structuré de manière à ne pas entraver la capacité du gouverneur général de nommer des sénateurs. C'est la position actuelle du gouvernement.

Le sénateur Murray : Est-ce là toute la portée de sa position?

M. King : Oui.

Le sénateur Murray : Est-ce que vous tenez compte de la situation particulière du Québec, avec ses 24 divisions sénatoriales?

M. King : Je vous rappelle que la rédaction du projet de loi est loin d'être terminée. Une chose est certaine, c'est qu'il sera très complexe.

Le sénateur Murray : La réponse à ma dernière question est une que je devrais connaître. La perception qu'a le premier ministre de l'évolution de ce dossier est très claire, d'après les commentaires qu'il a faits cet après-midi. Il recommande d'accepter sa proposition, soit un mandat de huit ans, qui se justifierait, même dans un Sénat non élu, quoiqu'il ait fait preuve d'une souplesse louable en ce qui concerne la possibilité de renouveler ce mandat. Il a recommandé que l'on accepte le mandat de huit ans en s'engageant dans ce cas à présenter cet automne un projet de loi concernant les élections au Sénat. Puis, en réponse aux questions du sénateur Segal portant sur les rapports entre le Sénat élu et la Chambre des communes élue — en d'autres termes, la question des pouvoirs — le premier ministre a dit qu'il faudra, à ce moment-là, discuter avec les provinces. J'estime que c'est s'en remettre aux forces du destin. Je ne pense pas que vous puissiez laisser la question des pouvoirs en suspens jusqu'à la fin, mais vous n'êtes pas obligés de faire des commentaires là-dessus, à moins que vous y teniez, bien entendu.

La question des pouvoirs est une question de répartition selon la formule 7-50. Est-ce bien cela?

M. King : Oui. C'est la même chose que la répartition des sièges. Ce serait maintenant une question de répartition selon la formule 7-50.

Le sénateur Murray : Un Sénat élu ne voudrait probablement pas se contenter d'un veto suspensif dans le processus de modification. Un Sénat élu aurait la légitimité d'exiger un veto complet en la matière.

Le président : En ce qui concerne votre dernier commentaire, sénateur Murray, je présume que la décision appartiendrait aux provinces.

À propos du dernier commentaire du sénateur Murray sur la modification de la Constitution pour modifier le mandat des sénateurs en poste, je pense que ce serait probablement possible aux termes de l'article 44. Bien entendu, le Sénat a un veto absolu sur les initiatives constitutionnelles prises en vertu de l'article 44. Par conséquent, si l'on voulait modifier de quelque façon que ce soit le mandat des sénateurs en poste, ce serait avec l'accord de la majorité des sénateurs.

La question que je me pose n'est pas tellement celle-là, mais la suivante : le premier ministre devrait demander à la Chambre des communes de le faire car cela ne peut être fait par un ministre. Y aurait-il une possibilité d'apporter un changement en vertu de l'article 38? En d'autres termes, vous êtes convaincus qu'il s'agit de l'article 44 et que le Sénat aurait le veto, mais si l'on craignait que le Sénat impose son veto sur ce type de projet de loi, ne pourrait-il pas être présenté en vertu de l'article 38, si le gouvernement tenait absolument à apporter ce type de modification? Ne pouvez- vous invoquer qu'un seul article et pas un autre?

M. Newman : C'est une question très intéressante, mais ce n'est pas une question sur laquelle je m'étendrai longuement, compte tenu du peu de temps dont nous disposons aujourd'hui.

De nombreux textes ont été écrits dans les milieux universitaires au sujet du degré d'exclusivité des procédures de modification car l'article 44 spécifie « sous réserve des articles 41 et 42 ». Il ne spécifie pas que c'est sous réserve de l'article 38. Il indique que le Parlement a compétence exclusive pour modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes.

La question qui s'impose est la suivante : peut-on avoir recours à ladite formule générale de modification, bien que l'on y ait eu très peu recours depuis 1982? Pouvez-vous passer à l'étape suivante et accomplir la même tâche?

Une réponse serait que ce serait peut-être possible car, en vertu de l'article 38, en faisant preuve de gentillesse et de perspicacité, vous pourriez peut-être vous assurer le concours du Sénat, de la Chambre des communes et des assemblées législatives provinciales. Qu'adviendrait-il si le Sénat n'approuvait pas l'amendement en vertu de l'article 38 tout en ayant un veto absolu en vertu de l'article 44? Priveriez-vous le Sénat en quelque sorte de son rôle ou adopteriez- vous une modification sans tenir compte de ses objections?

Je ne suis pas prêt à donner une réponse catégorique à cette question, mais on pourrait signaler que, dans certains cas, diverses combinaisons de formules de modification pourraient être efficaces.

Le sénateur Murray se souvient probablement de l'extrême complexité de l'ensemble de propositions faites durant la période de l'Accord du lac Meech; c'était extrêmement complexe car on faisait apparemment intervenir les articles 41 et 38, la pire de toutes les éventualités, qui contraignait à obtenir l'unanimité dans un délai de trois ans. À la toute fin de ce processus, la question était sur le point d'être réexaminée mais, en définitive, en raison du sort qu'a subi le projet, un réexamen n'a pas été nécessaire.

Si je le mentionne, c'est pour expliquer que l'article 44 indique qu'il s'agit d'une procédure exclusive, mais sous réserve des articles 41 et 42. Nous savons pourtant que ce qui est prévu aux articles 41 et 42 ne peut être fait aux termes de l'article 44. Nous avons donc dû examiner en détail les possibilités de faire également en vertu de l'article 38 ce qui pouvait être fait en vertu de l'article 44.

Le président : Il semblerait que l'on ait des doutes que vous puissiez opter pour l'autre approche, si je comprends bien votre commentaire.

M. Newman : Je pense que l'un des universitaires qui comparaîtra peut-être pourrait vous donner une interprétation plus précise à ce sujet.

Le président : Une autre question que je désire soulever concerne la signification de l'indépendance et la façon dont elle est utilisée de l'avis de la Cour suprême, et également dans l'esprit de ceux qui ont élaboré les structures institutionnelles initiales en 1867, et votre comparaison avec les personnes nommées aux tribunaux administratifs.

On peut, à mon avis, invoquer le fait que l'indépendance dans un tribunal administratif est toujours assujettie à des dispositions législatives offrant des possibilités d'appel, voire, au besoin, de recours à des remèdes exceptionnels. Cependant, dans le cas d'un sénateur et du terme « indépendance », il n'existe pas de procédure analogue pour remédier à un mauvais jugement de la part d'un sénateur. Ce n'est pas nécessairement un bon argument pour tenter de déterminer si quelqu'un, un sénateur ou le président d'un organisme administratif sujet à une nomination par le gouvernement fédéral, désire que cela ne constitue aucune entrave à son indépendance ou que nous ne pensions pas que son indépendance est compromise de quelque façon que ce soit. On pourrait dire que ce n'est pas une bonne comparaison en raison de la nature des fonctions d'une personne qui doit prendre des décisions sur des questions de droit qui lui sont soumises en vertu de la loi instituant le tribunal administratif et de la nature du jugement indépendant exercé par un sénateur — ou un député, mais un sénateur en l'occurrence — lorsqu'il s'agit de prendre une décision au sujet d'un projet de loi spécifique.

M. Newman : C'est parfaitement exact; aucune de ces comparaisons n'est parfaite. J'essayais seulement de citer au pied levé quelques exemples de hauts fonctionnaires qui exercent des fonctions publiques et dont on s'attend à ce qu'ils les exercent de façon indépendante, qui sont nommés et ont un mandat renouvelable. Un mandat de sept ans n'est pas très éloigné d'un mandat de huit ans, par exemple.

Cependant, je suis d'accord que l'on mette en place un processus d'appel et de rectification finale; j'estime en outre que les règles d'équité et de justice naturelle s'appliqueront également dans la mesure où ils exercent des fonctions quasi judiciaires.

Une comparaison un peu plus pertinente serait peut-être une comparaison à certains des ombudsmans, comme le commissaire à la protection de la vie privée et le commissaire aux langues officielles, par exemple, qui ne prennent aucune décision mais exercent en fait une fonction spécialisée pour aider le Parlement en faisant des enquêtes et des recommandations et en présentant des rapports. Ils peuvent présenter des rapports au Parlement et le Parlement peut les faire témoigner dans un contexte particulier, par exemple. Ce serait peut-être une comparaison plus pertinente.

En fin de compte, le Sénat exerce une fonction politique. À mon humble avis, ce que les sénateurs doivent retenir du jugement de la Cour suprême mais aussi voir par eux-mêmes, c'est le degré d'indépendance que l'on attend d'un sénateur. Comme l'a mentionné quelqu'un tout à l'heure, il y a une question d'appartenance politique qui entre en ligne de compte. Bien que les comités sénatoriaux soient formidables à cet égard, on ne peut jamais compter entièrement sur l'équité, par exemple; on ne peut pas forcer un comité sénatorial ou un comité de la Chambre des communes à être équitable de la même façon qu'un tribunal administratif, car il s'agit d'un processus politique — et c'est très bien ainsi. D'autres organismes sont chargés d'exercer des fonctions judiciaires, quasi judiciaires et exécutives.

Ce que je veux dire, c'est que l'indépendance doit être assurée et prise en ligne de compte, mais dans son contexte, à savoir dans un contexte politique, et pas dans un contexte judiciaire.

Le président : J'apprécie le document que vous nous avez présenté et je l'examinerai. Cependant, le fait que vous ayez signalé que l'opinion exprimée par la Cour suprême dans son renvoi avait du poids me rassure car votre interprétation des conséquences de l'article 44, lorsque je lis les autres articles, n'est pas fondée uniquement sur les dispositions immuables de la Constitution. Vous estimez au contraire que l'opinion que la Cour a exprimée dans le renvoi est pertinente en ce qui concerne le processus décisionnel mais que si c'était nécessaire, la Cour pourrait réexaminer la question si on le lui demandait, en ce qui concerne cette proposition précise. Je n'insinue rien d'autre que le fait que vous considérez que les commentaires du renvoi sont toujours pertinents.

M. Newman : Oui, ils sont encore pertinents. La Cour n'est pas nécessairement liée par ses décisions, mais elle ne les renverse que dans des cas exceptionnels. C'est un précédent pertinent et tout n'est pas qu'éventualité dans ce monde. Cela reste un point de repère pertinent en ce qui concerne la formule de modification.

J'aimerais souligner que la formule de modification renferme une bonne dose de formalisme. Il faut faire en sorte que les procédures de modification soient efficaces à certains moments, lorsque la volonté y est. Je l'ai dit devant les tribunaux en ce qui concerne certaines de ces modifications constitutionnelles. Les tribunaux doivent s'en tenir à confirmer que les procédures ont été respectées, dans le cas d'une modification de l'article 43, par exemple, et que les résolutions appropriées ont été présentées par le Sénat, la Chambre des communes et l'assemblée législative.

À certains égards, le formalisme est important parce que nos procédures sont formelles. On ne tient pas nécessairement à ajouter de nombreuses conditions supplémentaires informelles, mais il y a une place pour l'interprétation et pour l'objectif.

Le président : J'aimerais vous demander de faire un dernier commentaire. La question a déjà été abordée, mais je ne suis pas certain qu'il n'y ait plus rien d'autre à dire à ce sujet. J'aimerais m'en assurer.

En ce qui concerne l'étape suivante qu'envisage le gouvernement et que le premier ministre a mentionnée, pourriez- vous donner une information susceptible de nous être utile au sujet de la date à laquelle on passera à cette étape.

Faute de savoir quelle approche sera adoptée, il ne nous reste plus qu'à faire des supputations. Pour certaines personnes du moins, c'est une question qui est peut-être pertinente en ce qui concerne celle du mandat. Il est possible que nous soyons finalement saisis de la question. À supposer que rien ne change, est-ce que le projet de loi S-4 est un bon projet de loi tel qu'il est actuellement?

De toute façon, il aura des répercussions en ce qui nous concerne — ou il le devrait, du moins. Je me trompe peut- être. Nous verrons et nous déciderons, mais j'estime qu'il serait pertinent d'avoir des informations sur la prochaine étape. Ce serait bien si nous pouvions avoir une idée plus précise du délai dans lequel on passera à cette étape.

L'autre question est la suivante : cela se fera-t-il par le biais d'une mesure législative ordinaire ou par le biais d'un décret? Il est intéressant d'examiner la disposition de la Constitution qui accorde au gouverneur général le pouvoir de mander un sénateur. Pour autant que je sache, avec l'aide de notre greffier, la base de la prérogative du premier ministre est le décret de 1935 indiquant que le premier ministre aura la prérogative de proposer le nom; la coutume veut d'ailleurs que le gouverneur général accepte son avis.

Ce ne serait peut-être pas uniquement par voie de décret ou par le biais d'une mesure législative ordinaire, ce que vous êtes en train de faire, je présume. J'aimerais entendre un commentaire à ce sujet, si vous pouviez en faire un.

C'est pertinent, car s'il faut que nous ayons un Sénat élu, même si cela lie uniquement un premier ministre en vertu d'une mesure législative ou d'un décret, les Canadiens constateront que la dynamique du processus décisionnel sera très différente avec un Sénat élu.

M. King : Monsieur le président, je reviens aux commentaires qu'a faits cet après-midi le premier ministre. Je pense qu'il a dit que le gouvernement aimerait présenter à la Chambre un projet de loi relatif au processus de consultation publique ou populaire. Je pense qu'il a dit plus précisément qu'on espérait le présenter cet automne. Ce commentaire dénote que cette affaire est considérée comme urgente.

À ce propos, je signale que ce commentaire est mis en évidence dans le programme électoral de 2006 du gouvernement. Mes collègues du BCP et moi-même y avons consacré beaucoup de temps. Je présume que si le premier ministre a dit qu'il espérait que ce soit pour cet automne, c'est que ce sera pour bientôt.

Le sénateur Fraser : Si, à votre avis, un mandat d'une durée d'un an modifierait les caractéristiques essentielles du Sénat mais qu'un mandat d'une durée de huit ans ne le modifierait pas, quelle est la ligne de démarcation entre un mandat qui ne compromettrait pas la nature fondamentale du Sénat et un qui la modifierait?

M. Newman : Sénateur, j'ai mentionné avec insouciance le mandat d'un an, mais ce que je voulais dire, c'est qu'à un certain moment, ce que l'on fait est interprété comme un acte arbitraire, capricieux ou être tout simplement comme une tentative de saper le pouvoir officiel de nomination : « Très bien, nous devons accepter le fait que les sénateurs soient nommés et, par conséquent, nous veillerons à ce qu'ils soient nommés pour une durée inefficace ». En d'autres termes, c'est un exemple concernant une initiative prise de mauvaise foi et cet exemple d'un an n'a été mentionné qu'à titre indicatif. Un mandat d'une durée de plus de six ans serait perçu comme un mandat plus long que celui des députés et, par conséquent, il serait davantage conforme au mandat des membres d'autres chambres hautes. Nous avons cependant un point de repère en ce qui concerne une durée qui serait raisonnable et efficace, sans toutefois perdre de vue le rôle du Sénat, à titre de lieu de réflexion indépendante, sereine et attentive, bref toutes les raisons pour lesquelles nous avons une Chambre haute.

L'autre exemple n'est pas un seuil mathématique, mais plutôt une simple indication signifiant que le gouvernement ne peut pas proposer une durée qui, aux yeux de tous, y compris des tribunaux, ferait entrave à l'efficacité et à l'indépendance du Sénat. Si l'on choisissait ce type de seuil minimal, cela poserait des problèmes, mais si l'on restait dans la fourchette des périodes que les comités parlementaires ont recommandées de façon non partisane dans le cadre de leurs nombreuses études et délibérations en matière de durée de mandat appropriée, ce serait beaucoup plus raisonnable car cela s'inscrirait dans un contexte.

Le sénateur Fraser : En d'autres termes, il n'y a pas de réponse. C'est bien. Il semblerait qu'il faille faire une distinction entre le mandat des chambres élues, où le mandat populaire doit être renouvelé, et la durée du mandat des quelques chambres non élues qui subsistent à cause de la nature différente du monstre, ce qui m'amène à poser ma deuxième question.

Je pense que le premier ministre a dit qu'il partageait l'opinion qu'il ne pouvait pas passer par une méthode directe, explicite et ouverte de nomination des sénateurs sans avoir recours à la formule générale de modification. J'ai cru comprendre qu'il proposait par conséquent un processus consultatif et habilitant, ce qui est intéressant. De toute évidence, le but de la consultation en l'occurrence serait d'accepter les résultats de cette consultation, c'est-à-dire d'opter pour une forme très étroite de Sénat élu. Je ne suis pas avocat, mais je pensais qu'un principe fondamental du droit est que l'on ne peut pas tenter d'atteindre de façon indirecte un objectif que l'on n'était pas autorisé à atteindre de façon directe.

M. King : Je pense que le premier ministre a mentionné tout à l'heure que sa préférence serait qu'un jour, les membres du Sénat soient élus au suffrage direct. C'était indiqué également dans le programme électoral du gouvernement, dans un langage qui ne laissait pratiquement aucune place à l'ambiguïté. Les termes étaient « rendre le Sénat plus efficace et en faire un organisme indépendant dont les membres sont élus démocratiquement ». D'après ce que nous avons pu constater, cela déclencherait la procédure générale de modification.

En ce qui concerne un processus de consultation populaire, on pourrait tirer la conclusion que les forces politiques seraient telles qu'un premier ministre se sentirait obligé de nommer quelqu'un qui viendrait en tête de liste à la suite de ce processus. Cela dépendrait encore une fois dans une large mesure de la façon dont le processus serait structuré et de la façon dont il serait mis en évidence dans le projet de loi. Le gouvernement du Canada pense qu'en l'absence d'une modification officielle concernant un Sénat élu au suffrage direct, la disposition clé est de s'assurer que le pouvoir de nomination du gouverneur général demeure total et que ce soit possible. Je pense que la façon dont on procédera et l'aspect que cela prendra seront exposés de façon précise dans le projet de loi mentionné par le premier ministre.

Le sénateur Fraser : Avec ma prochaine question, qui est aussi la dernière, je m'aventure dans des domaines où vous auriez de la difficulté à donner des réponses précises. Vous avez toutefois entendu les commentaires qu'a faits le sénateur Murray au sujet de la discussion que nous avons eue avec M. Leslie Seidle hier. Je suis un sénateur du Québec et, par conséquent, je m'intéresse peut-être davantage que de nombreux Canadiens à la question des divisions québécoises qui sont actuellement très disparates. Un de mes collègues m'a signalé hier que la population de sa division était, au mieux de sa connaissance, de un à deux millions de personnes. Il serait étonné d'apprendre que ma division ne compte que 100 000 Canadiens, quoique ce pourrait peut-être être légèrement plus. Étant donné que nous ne connaissons pas les limites précises des divisions, certains d'entre nous ont de la difficulté à le savoir. En outre, je pense qu'il n'y a pas de division pour le Nord, car le Nord ne faisait pas partie du Québec en 1867. Comment peut-on concilier des consultations populaires au Québec avec l'obligation constitutionnelle concernant la représentation des divisions d'une part et les droits à l'égalité énoncés dans la Charte d'autre part? Cela commence à me préoccuper.

M. King : Sénateur, vous avez très bien exposé la nature du défi. La question sera examinée dans le contexte du projet de loi qui sera présenté à la Chambre. De toute évidence, il sera essentiel que cela se fasse d'une façon conforme aux exigences constitutionnelles actuelles. Je ne suis pas en mesure de donner actuellement beaucoup d'information au sujet de la façon dont ce positionnement pourrait se dérouler.

Le sénateur Fraser : En d'autres termes, c'est une question à suivre. Pouvez-vous me dire si à cette étape actuelle de réflexion, vous estimez qu'il est possible de faire la quadrature de ce cercle ou s'il faudra prendre d'autres mesures, comme la suppression des divisions?

M. King : À titre de fonctionnaires, il serait préférable pour nous que nous ne tentions pas de répondre à cette question maintenant. Un travail d'envergure intéressant est en cours, mais nous n'avons pas encore fait suffisamment de propositions aux ministres et il faut faire des choix. Il ne serait pas juste de notre part de donner des informations qui mettraient en évidence les choix possibles, pas seulement dans ce domaine, mais aussi dans bien d'autres domaines.

Le sénateur Fraser : J'en suis sûr. Merci beaucoup.

Le sénateur Austin : En ce qui concerne le dernier commentaire, une modification des divisions au Québec soulève la question d'une modification constitutionnelle nécessaire en ce qui concerne le processus électoral. Je ne pense pas que ce changement serait constitutionnel en vertu de l'article 44. C'est mon avis. Je laisse toutefois la question en suspens.

La question que je voulais poser et sur laquelle je voulais vous demander de l'information concerne le processus de référendum ou d'élections consultatives ou tout autre processus que pourrait représenter le projet de loi que vous êtes en train de rédiger.

Le premier ministre a la prérogative d'établir lui-même les paramètres et de décider qui recommander pour une nomination au Sénat. Cependant, pour utiliser un argument parallèle à celui de M. Newman, un acte répétitif laisse entrevoir la possibilité d'une tentative de contournement de la Constitution. D'après certaines décisions de la Cour suprême et du Conseil privé concernant la délégation des pouvoirs, en matière de Constitution, on ne peut pas atteindre de façon détournée l'objectif que l'on ne peut pas atteindre de façon directe. L'affaire du camionnage au Nouveau-Brunswick est en quelque sorte l'affaire type en la matière.

Je me pose des questions au sujet de la constitutionnalité d'un processus strictement fédéral visant à apporter un changement fondamental au processus de sélection selon un mode applicable à l'ensemble des sénateurs. Ne mettrions- nous pas en place un processus que nous ne pouvons pas mettre en place si ce n'est par le biais d'une modification nécessitant la participation des provinces?

M. King : Pour répondre à votre question, j'estime qu'il serait nécessaire de tenir un débat long et sérieux sur cette question lorsque le projet de loi sera prêt. Je ne pense pas que nous soyons tous les trois aujourd'hui en mesure de pousser la discussion plus loin.

Le sénateur Austin : Monsieur King, voici l'énigme que nous avons à déchiffrer : le projet de loi S-4 ne représente qu'un morceau du casse-tête. Lorsque nous lui avons demandé quelle était la prochaine étape, le premier ministre a signalé qu'un projet de loi était en cours de préparation. Ce que cela nous indique, c'est qu'il serait nécessaire que nous ayons une vue d'ensemble de la réforme du Sénat avant de conclure notre examen du projet de loi S-4, sinon ce serait faire un saut dans l'inconnu. Nous ignorons la nature exacte des changements que l'on propose d'apporter à la nature de cette institution. Je ne vous demande pas de répondre à la question, mais je veux tout simplement que vous preniez conscience du fait que, dans le cadre des délibérations de ce comité, ce sont vos réponses qui nous incitent à poser cette question, et je ne pense pas que vous puissiez donner d'autres réponses. Le premier ministre a dit que c'était notamment ce qu'il comptait faire. La question que nous nous posons est la suivante : ne serait-il pas opportun que le comité voie le projet de loi qui doit être présenté cet automne? Le premier ministre a mentionné cet automne dans son texte; ce projet de loi n'a rien de très urgent. Ne serait-il pas opportun que nous ayons une vue d'ensemble avant de nous lancer dans l'aventure?

M. King : Sénateur, mes deux collègues veulent faire un bref commentaire, mais j'aimerais signaler auparavant que le premier ministre a signalé clairement cet après-midi qu'il est opportun que le projet de loi S-4 soit examiné seul. Je pensais qu'il avait mentionné l'existence de liens indéniables entre les deux questions, dans un contexte évolutif. Lorsque cette évolution est clairement exposée dans le programme du gouvernement, il est très important de signaler que ce projet de loi a une valeur intrinsèque.

M. McDougall : Je compte abonder dans le même sens. L'autre facteur dans cette affaire est que le premier ministre a indiqué clairement qu'il aimerait que ce comité et le Sénat examinent le projet de loi S-4 également pour sa valeur intrinsèque.

En outre, le projet de loi S-4 est un projet de loi autonome en ce qui concerne le fonctionnement possible du processus de nomination actuel, si le Sénat approuvait un autre projet de loi de type consultatif concernant les élections qui donnerait d'autres instructions au premier ministre dans le contexte de ce processus de nomination. Cela fonctionne dans le cadre du système actuel comme dans celui de la Constitution. Il n'est pas absolument nécessaire d'attendre une autre initiative pour examiner le projet de loi comme tel.

M. Newman : Mon commentaire nous ramène en arrière et concerne les commentaires qu'ont faits les deux sénateurs sur le principe de l'impossibilité de faire de façon détournée ce que l'on ne peut pas faire de façon directe. Notre Constitution est truffée d'exemples, et notre jurisprudence également, indiquant que ce principe n'est généralement pas respecté, d'une façon générale. La raison pour laquelle nous pouvons dire que nous avons une démocratie constitutionnelle n'est pas que la loi contienne des dispositions indiquant que notre monarque n'est pas un monarque absolu, mais c'est par le biais des conventions, des principes et des pratiques démocratiques que nous avons tempéré l'exercice des pouvoirs légaux et constitutionnels d'une façon qui sied à une démocratie moderne.

Même dans les cas d'interdélégation, il est vrai que la Cour suprême, par exemple, a dit que le Parlement ne pouvait pas déléguer ses pouvoirs à une assemblée législative provinciale ou réciproquement. Cependant, dans un délai d'un an, la Cour a fait volte-face et a signalé que la délégation de pouvoirs de réglementation à un organisme provincial, comme le lieutenant-gouverneur en conseil, était constitutionnelle.

On a des exemples de délégation dans les deux sens. On peut donc en tirer la conclusion suivante : quelle est l'essence même de ce projet de loi? Quelle est son incidence? S'agit-il d'une incidence acceptable ou d'une incidence tellement fondamentale que cela pose vraiment un problème?

Il y a de la place pour le formalisme et le formalisme est important dans la formule de modification de la Constitution et dans les dispositions de la Constitution, mais il y a également de la place pour le progrès par le biais de diverses techniques législatives et d'autres techniques et des principes de l'interprétation, sans forcément modifier ou saper la structure constitutionnelle formelle.

Le président : Monsieur McDougall, monsieur Newman et monsieur King, votre concours nous a été d'une grande aide. Au nom du comité et du Sénat, je vous remercie pour votre participation. Vous vous étiez déjà mis à notre disposition pour une séance d'information et je sais que si nous avons d'autres questions à vous poser, nous pourrons communiquer avec vos bureaux et demander des informations supplémentaires.

La séance est levée.


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