Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 15 - Témoignages du 24 avril 2012
OTTAWA, le mardi 24 avril 2012
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 17 h 48, pour examiner, afin d'en faire rapport, les efforts de recherche et d'innovation dans le secteur agricole. (sujet : Comment une stratégie alimentaire nationale pourrait favoriser l'innovation en matière d'agriculture et d'agroalimentaire au Canada?)
Le sénateur Fernand Robichaud (vice-président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le vice-président : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
Je suis Fernand Robichaud, sénateur du Nouveau-Brunswick et vice-président du comité.
Je demanderais aux sénateurs de se présenter en commençant par les sénateurs de l'opposition.
[Traduction]
Le sénateur Merchant : Je suis le sénateur Pana Merchant, de la Saskatchewan.
Le sénateur Mahovlich : Sénateur Frank Mahovlich, de Toronto, Ontario.
Le sénateur Buth : Le sénateur Joanne Buth, du Manitoba.
[Français]
Le sénateur Maltais : Sénateur Ghislain Maltais, Québec.
Le sénateur Rivard : Sénateur Michel Rivard, les Laurentides, Québec.
Le vice-président : Je vous remercie. Le comité continue son étude sur les efforts de recherche et d'innovation dans le secteur agricole.
Aujourd'hui, l'objet de la réunion est de comprendre comment une stratégie alimentaire nationale pourrait favoriser l'innovation en matière d'agriculture et d'agroalimentaire au Canada.
J'aimerais inviter le sénateur qui vient d'arriver à se présenter.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Sénateur Don Plett, de Landmark, au Manitoba. Pardonnez-moi, je suis en retard. Soyez les bienvenus.
[Français]
Le vice-président : Nous accueillons aujourd'hui Mme Anna Paskal, conseillère principale des politiques chez Sécurité alimentaire Canada, et Mme Diana Bronson, directrice exécutive chez Sécurité alimentaire Canada.
Je crois comprendre que vous serez les deux premières à faire vos présentations et nous enchaînerons avec M. Garnet Etsell, coprésident, Stratégie alimentaire nationale, Fédération canadienne de l'agriculture, pour ensuite terminer avec M. David McInnes, président-directeur général de l'Institut canadien des politiques agro-alimentaires.
Nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation et je vous inviterais à commencer votre présentation qui sera suivie d'une période de questions des sénateurs. Si vous n'avez pas les réponses, vous pourrez nous les faire parvenir par courrier.
Je vous invite, mesdames, à commencer votre présentation.
Diana Bronson, directrice exécutive, Sécurité alimentaire Canada : Merci. Mon nom est Diana Bronson, je suis directrice générale de Sécurité alimentaire Canada, et je suis accompagnée de notre conseillère principale, Anna Paskal. C'est moi qui ferai la présentation, mais on répondra toutes les deux aux questions, comme je suis relativement nouvelle dans ce poste et que Mme Paskal est avec Sécurité alimentaire Canada depuis une dizaine d'années.
[Traduction]
Merci beaucoup de nous avoir invités ce soir. Nous sommes ravis de pouvoir discuter avec vous d'une stratégie alimentaire nationale. J'aimerais dire quelques mots au sujet de Sécurité alimentaire Canada. Nous sommes une organisation de type associatif qui regroupe de nombreux membres organisationnels et individuels, dont des agriculteurs et des pêcheurs, des diététistes et des responsables de la santé publique, des conseils provinciaux de l'alimentation, des enseignants, des travailleurs de banque alimentaire, des ONG du secteur du développement international, des syndicats, des universitaires et de très nombreux particuliers.
Pour résumer, nous voulons édifier au Canada un système alimentaire sain, équitable et écologique, qui éradiquera la faim dans notre pays.
Vous le savez tous, le Canada n'a pas actuellement de politique alimentaire nationale. Les programmes et politiques qui touchent l'alimentation relèvent de divers ministères et organismes. Il n'existe pas de plan directeur. Il n'y a ni coordination centrale ni méthode claire pour faire en sorte que les diverses politiques donnent des résultats optimaux. Nous pensons qu'une stratégie alimentaire nationale nous permettrait d'intégrer dans un tout les nombreux problèmes concernant la santé, l'alimentation, l'environnement et l'économie ainsi que de nombreux autres facteurs.
Nous sortons à peine d'un exercice national sans précédent, baptisé Politique alimentaire populaire. Nous tentions de faire le bilan du système alimentaire canadien. Cette initiative citoyenne visait à élaborer une politique alimentaire nationale pour le Canada, fondée sur le principe de la souveraineté alimentaire. La souveraineté alimentaire est un concept plus vaste et passablement différent du concept de sécurité alimentaire. Il privilégie le droit qu'ont les personnes, les collectivités et les États de définir leur propre système alimentaire. Des milliers de Canadiens ont participé à ce projet communautaire de rédaction politique collective, de réunions de cuisine et de discussions sur les aliments que nous consommons, la façon dont ils sont produits et ce que nous pourrions améliorer.
Le résultat de cet exercice qui a duré plus de deux ans et demi est le document dont vous avez tous reçu un exemplaire. Il s'intitule Du pain sur la planche : une politique alimentaire populaire pour le Canada et il est diffusé, tout comme les 10 documents de travail qui le sous-tendent, sur notre site web, www.politiquealimentairepopulaire.ca.
Nous croyons que ce document représente la politique alimentaire la plus détaillée actuellement à l'étude au Canada. Quel a été notre point de départ? Nous avons commencé par reconnaître que notre système alimentaire servait mal les Canadiens. Deux millions de Canadiens connaissent régulièrement la faim. Des milliers de fermes familiales disparaissent. Un Canadien sur quatre est obèse, l'environnement est poussé à ses limites, et les jeunes agriculteurs ne sont pas en mesure de vivre de cette activité.
Le statu quo n'est plus acceptable. De vastes changements s'imposent, et nous croyons que l'innovation est non seulement possible, mais nécessaire.
Ces problèmes ne sont pas propres au Canada. Ils existent partout dans le monde. Je suis certaine que votre comité a pris connaissance du rapport intitulé International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development, l'IAASTD, qui a été publié en 2009. C'est une importante étude internationale à laquelle ont participé 400 scientifiques et d'innombrables organisations internationales, sous la direction de la Banque mondiale et de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture de l'ONU.
Elle contient un certain nombre de constatations, mais lors de la publication du rapport, les médias titraient que le statu quo n'était plus une option.
Les auteurs du rapport recommandent entre autres de renforcer l'agroécologie, pour régler non seulement des questions environnementales urgentes causées par la production agricole, mais aussi accroître la productivité à long terme.
Nous formulons de nombreuses recommandations dans Du pain sur la planche, comme vous le verrez quand vous aurez le temps d'y jeter un œil, mais aujourd'hui j'aimerais me concentrer sur une recommandation précise — l'appui aux systèmes alimentaires locaux et durables. Les participants à notre projet de politique alimentaire nous ont souvent dit qu'ils voulaient des aliments produits et transformés plus près de chez eux. Concrètement, cela signifie abandonner l'agriculture axée sur les marchandises et l'exportation pour adopter des systèmes locaux et durables. C'est le genre d'innovation qu'il nous faut. Ces systèmes offrent d'énormes avantages. Ils aident à développer l'économie régionale, ils peuvent créer des emplois locaux, ils ont d'extraordinaires avantages pour l'environnement. Je ne vous dresserai pas la liste de ces avantages, faute de temps, mais je serais heureuse d'y revenir plus tard.
Je veux simplement mentionner deux initiatives, des initiatives qui se déroulent partout au pays. C'est le genre d'innovation dont nous parlons. Une organisation appelée FarmStart, par exemple, fournit un appui aux jeunes agriculteurs qui essaient de se lancer dans la production écologique. Il est très difficile pour les jeunes de devenir agriculteurs. Quant à Local Food Plus, c'est un programme d'accréditation qui étiquette les aliments produits localement.
Je crois qu'il est très important pour le comité de ne pas limiter la question de l'innovation à ses aspects étroitement scientifiques. Sans vouloir lui manquer de respect, nous devons contredire Gerry Ritz qui affirmait précédemment que ce qu'il nous faut, c'est plus. Au contraire, nous pensons que le statu quo ne peut pas être maintenu. L'innovation agricole véritable découlera d'une stratégie alimentaire nationale détaillée, qui doit s'attaquer à la faim, à la dégradation de l'environnement, aux difficultés qu'ont les agriculteurs, les pêcheurs et les femmes à gagner leur vie et aux habitudes alimentaires malsaines si courantes dans notre pays.
Voilà certaines des nombreuses questions interreliées que nous traitons dans la politique alimentaire populaire. Nous espérons que vous les examinerez et que vous donnerez suite à certaines de nos recommandations quand vous rédigerez votre rapport à l'intention du gouvernement du Canada.
[Français]
Le vice-président : Nous allons passer à la présentation de M. Etsell.
[Traduction]
Garnet Etsell, coprésident, Stratégie alimentaire nationale, Fédération canadienne de l'agriculture : Merci, monsieur le président, merci, mesdames et messieurs les sénateurs. La Stratégie alimentaire nationale est un projet issu de la réunion générale annuelle de la Fédération canadienne de l'agriculture, en février 2010, et inspiré par la crainte que le Canada n'ait pas, comme on l'a déjà dit, de plan à long terme pour le système alimentaire canadien.
La Stratégie alimentaire nationale a été élaborée par des groupes de travail formés notamment de leaders de la chaîne alimentaire. Elle a été présentée et appuyée par les ministres de l'Agriculture fédéral, provinciaux et territoriaux et elle a été reconnue dans les programmes des partis pendant la dernière élection fédérale. Elle recueille maintenant de plus en plus d'appui auprès d'organisations clés, d'intervenants et d'organisations de consommateurs. La Stratégie alimentaire nationale est une vision de l'agriculture et de l'alimentation au Canada. Elle a pour objectif d'aborder de façon plus holistique et stratégique les enjeux alimentaires et agricoles pour répondre aux besoins du système alimentaire, des générations futures et de la communauté mondiale.
La stratégie porte sur le long terme, car elle reconnaît que les solutions à court terme et les solutions de fortune ne permettent pas de relever les défis durables et changeants auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui. L'industrie agricole et agroalimentaire s'efforce de trouver des solutions plus globales pour la chaîne de valeur, en tenant compte de tous les aspects, qu'il s'agisse de promouvoir les marques canadiennes et des styles de vie sains ou de soutenir la croissance économique et de protéger les écosystèmes.
La FCA s'efforce de veiller à ce que la Stratégie alimentaire nationale soit la stratégie de l'industrie et obtienne l'adhésion de tous les intervenants dans la chaîne alimentaire et au sein des gouvernements, pour déterminer une orientation convenue qui guidera effectivement la politique alimentaire appropriée pour les années à venir. Ce document devrait être un document évolutif qui sera régulièrement révisé.
La Stratégie alimentaire nationale regroupe neuf objectifs stratégiques qui reflètent nos buts et nos aspirations pour le système alimentaire au Canada jusqu'en 2025. Je ne les lirai pas tous, car ils figurent dans le document que vous avez reçu. Vous pourrez en prendre connaissance par vous-mêmes au moment qui vous convient. La Stratégie alimentaire nationale offre une vision stratégique de l'alimentation et du système alimentaire canadien. La nourriture intervient dans la majorité des aspects de nos vies, et la Stratégie alimentaire nationale touche donc la majorité des aspects de notre société, que ce soit des questions environnementales ou de santé, d'éducation, de politique agricole, d'infrastructure, de développement économique et de relations internationales. Évidemment, notre système alimentaire est complexe. Il est donc d'autant plus important d'adopter une approche holistique et détaillée pour assurer la viabilité de ce système alimentaire complexe. Cette approche, qui finalement sera orchestrée par la politique publique et les plans de l'entreprise privée, doit être mise en œuvre dans un but précis — l'établissement d'une vision stratégique du système alimentaire canadien.
L'industrie agricole canadienne a toujours su relever les défis de façon innovatrice et elle devra continuer à compter sur l'innovation pour atteindre les neuf objectifs stratégiques énoncés dans la stratégie. Le terme « innovation » est utilisé un peu à toutes les sauces et il peut prendre des sens différents selon les personnes. Une brève définition me plaît particulièrement, et c'est celle qui la perçoit comme une nouvelle façon de faire les choses pour entraîner un changement positif. Elle améliore la vie. L'innovation n'intéresse pas simplement la recherche. Elle peut toucher la formation, la commercialisation ou la modification des processus.
L'industrie a défini quatre domaines d'innovation future : la santé, l'environnement, la demande des marchés et l'efficience de la production. Pour ce qui est de la santé, nous jugeons nécessaire d'aligner l'innovation en matière de produits alimentaires avec le Guide alimentaire canadien. En outre, la recherche devrait porter sur les produits alimentaires offerts et l'innovation de la production alimentaire qui maintient ou améliore la santé des Canadiens et des consommateurs d'autres marchés. Une coordination et une collaboration continues entre l'industrie alimentaire et le secteur de la santé garantiraient que les aliments et les choix offerts répondent aux intérêts des Canadiens en matière de santé.
Quant à l'environnement, l'objectif que la chaîne alimentaire canadienne s'est donné est de devenir un leader de la production alimentaire viable sur le plan environnemental. Les aliments seront produits et transformés de façon durable et ils contribueront de façon positive à la gérance de l'environnement. La chaîne alimentaire s'efforcera d'utiliser les sous- produits et les déchets agricoles de façon à conserver et à améliorer le sol, l'air, la terre arable et l'eau pour les générations futures en axant la recherche sur la mise au point de produits renouvelables, le rendement et des systèmes alimentaires capables de supporter les conséquences futures du changement climatique.
Quant à la demande des marchés, pour réussir à satisfaire à la demande actuelle et future au pays et à l'étranger, l'industrie continuera d'étudier et d'innover pour produire les denrées demandées par les consommateurs canadiens et étrangers. L'industrie poursuivra la recherche car il est indispensable de définir de façon continue le volume et la nature de la demande future au pays et dans le monde.
Efficience de la production alimentaire : Finalement, l'industrie agroalimentaire canadienne considère que l'innovation est un facteur clé pour continuer à accroître l'efficience de la production. D'après l'industrie, l'innovation en génétique, en pratiques de production et de transformation et en marketing déterminera la réussite de la chaîne alimentaire. Par ailleurs, grâce aux améliorations de l'infrastructure canadienne, il devrait être possible de stocker, de transporter et de distribuer efficacement les aliments dans toutes les régions du pays et de mettre une technologie de communication de pointe à la disposition de tous les producteurs et transformateurs canadiens.
Le Canada a énormément à offrir à ses citoyens et à la communauté mondiale. Nous avons les ressources humaines et naturelles voulues pour produire des aliments salubres et nutritifs en abondance; c'est une bénédiction, mais cela crée aussi des possibilités et une obligation morale. Le bien-être continu et, de fait, la survie de l'humanité sont tributaires d'une production alimentaire viable qui n'est possible que grâce à une planification détaillée et à la mise en œuvre d'un ensemble d'objectifs pour la chaîne et le système alimentaires.
[Français]
Le vice-président : Je vous remercie, monsieur Etsell. J'inviterais maintenant M. McInnes à faire sa présentation.
David McInnes, président-directeur général, Institut canadien des politiques agroalimentaires : Bonsoir. Je représente l'Institut canadien des politiques agroalimentaires, organisme indépendant et apolitique. Notre raison d'être est de favoriser un dialogue sur des enjeux pertinents et de présenter des solutions de remplacement devant permettre au Canada d'atteindre son plein potentiel.
[Traduction]
Quelles sont les conditions essentielles de la création d'emplois et de la rentabilité dans le secteur agroalimentaire? D'après nos consultations, trois nous permettront d'assurer notre avenir alimentaire. La première est la modification de nos méthodes de collaboration. La seconde est l'établissement d'un lien entre la réussite économique, la santé des gens et la viabilité, pour créer des occasions — un point de vue qui a déjà été traité. Troisièmement, comment intégrons-nous les politiques pour appuyer ces changements? Ces idées découlent de travaux que nous avons réalisés et publiés en 2011, intitulés La destination du secteur agroalimentaire canadien : une nouvelle approche stratégique.
Notre travail consiste à adopter une nouvelle approche axée sur les systèmes alimentaires. Le système alimentaire comprend les chaînes d'approvisionnement et la façon dont elles s'articulent. Il comprend aussi de nombreux autres éléments pour répondre aux besoins des consommateurs : les relations avec les trois ordres de gouvernement, les fournisseurs d'information et de technologie, les chercheurs et les scientifiques, les innovateurs, les conseillers financiers, les nutritionnistes, les éducateurs, les secteurs de la santé humaine et animale, les services environnementaux et les secteurs des transports et de la logistique, entre autres. Ce sont les intervenants qui contribuent à la réussite du secteur agroalimentaire.
Le diagramme que nous vous avons remis, que vous avez sous les yeux et qui sera versé au compte rendu, offre une perspective. C'est une représentation des liens entre les gouvernements et les chaînes d'approvisionnement alimentaire. Du côté droit du diagramme vous avez les priorités stratégiques possibles du gouvernement. À gauche, on trouve les priorités agroalimentaires proposées. Je vais brièvement examiner un certain nombre de ces points. Commençons par la santé.
Pour les gouvernements, la réduction des coûts de la santé constitue un objectif important. La prévention revêt donc de plus en plus d'importance. Aujourd'hui, environ 40 p. 100 des coûts de santé sont liés aux maladies chroniques, et l'alimentation est un facteur essentiel de prévention de ces maladies. De meilleurs régimes et un style de vie plus sain pourraient prévenir jusqu'à 90 p. 100 des diabètes de type 2 et 80 p. 100 des maladies cardiaques.
L'intérêt croissant que suscitent la nutrition et les aliments que nous consommons offre une occasion à l'ensemble du secteur agroalimentaire. Pulse Canada, par exemple, veut élargir le marché des légumineuses comme ingrédient sain à ajouter aux aliments — on peut par exemple ajouter des lentilles aux pâtes alimentaires — pour doubler leur teneur en fibres et accroître de 25 p. 100 leur apport protéinique. L'association travaille avec les chercheurs, les écoles culinaires et les professionnels de la santé pour faire connaître les légumineuses aux consommateurs.
Au chapitre du commerce, le Canada élargit l'accès aux marchés d'exportation. L'accès, c'est une porte ouverte, mais il est essentiel d'encourager la demande pour notre secteur des denrées et des produits à valeur ajoutée. Pour soutenir la concurrence des pays exportateurs à faible coût et des grands exportateurs, nous avons besoin de consommateurs étrangers qui veulent les produits canadiens. Il est donc indispensable de bien distinguer les aliments canadiens.
Les consommateurs, les détaillants et les transformateurs s'intéressent de plus en plus à la production d'aliments en fonction de facteurs comme l'empreinte environnementale et l'absence d'hormone. La réussite future à l'exportation sera tributaire de l'offre de tels attributs, et la traçabilité de la ferme à la table est un outil efficace pour faire la preuve de cette valeur.
La bioéconomie sera certainement un moteur de l'innovation à l'avenir. C'est une plateforme pour générer de nouveaux revenus et pour réduire les intrants et les coûts d'exploitation. Un transformateur de pomme de terre manitobain, par exemple, envoie ses déchets à une entreprise de biotechnologie de la province pour créer des résines plastiques biodégradables pour l'emballage et les moulages par injection. On gagne sur tous les tableaux. Dans le secteur de l'élevage, les biodigesteurs peuvent produire des biogaz et de l'électricité avec le purin, réduire les coûts énergétiques et apporter de nouveaux revenus au producteur qui vend son électricité au réseau local. L'Université de la Saskatchewan a découvert un biopesticide qui utilise la graine de moutarde. Il nous faut systématiquement chercher des applications biologiques pour les composés alimentaires.
L'amélioration de la viabilité des producteurs, notamment grâce au déploiement de biosolutions, pourrait aussi réduire l'utilité des programmes antirisques pour les producteurs. Assortie de quelques améliorations de l'efficience de ces programmes, cette évolution entraînerait des économies qui pourraient servir à financer l'innovation. Selon nous, c'est un investissement proactif.
La gestion de l'eau et du carbone est une priorité sur le plan de l'environnement. Avec le changement climatique, il est essentiel d'asseoir notre réputation de fournisseur alimentaire fiable. La recherche est cruciale pour l'adaptation des agriculteurs qui pourraient, par exemple, cultiver des espèces résistantes à la chaleur et à la sécheresse. Les détaillants et les transformateurs fixent des cibles de réduction de l'eau et du carbone, et cela a un effet marqué sur les chaînes d'approvisionnement mondiales et nationales, qui se tournent vers les producteurs pour atteindre ces cibles.
Recherche et développement : La commercialisation de la R-D repose en partie sur des partenariats publics-privés fonctionnels. Prenons l'exemple d'un champignon plus sain. Un important transformateur ontarien a travaillé avec un producteur de champignons et un centre d'innovation financé par des fonds publics, le Vineland Research and Innovation Centre, pour créer un champignon plus nutritif qui serait utilisé dans les sauces et les soupes. Le transformateur a profité de cette collaboration parce qu'il a pu offrir un produit en demande sur le marché. L'agriculteur en a profité parce que le transformateur intéressé avait déjà défini la demande du consommateur. Le centre d'innovation en a profité parce qu'il lui fallait une chaîne d'approvisionnement pour commercialiser le champignon amélioré. Ensemble, ils ont réduit le risque que l'innovation présentait pour chacun.
La graine de lin aide-t-elle à prévenir les maladies cardiaques? Un essai clinique est actuellement en cours pour le vérifier. L'examen systématique des composés alimentaires pour découvrir de telles applications innovatrices pourrait constituer une priorité de recherche.
En conclusion, les questions alimentaires relèvent de nombreux domaines stratégiques et de nombreux intervenants, et le diagramme expose également certains autres points. Par exemple, nous pouvons créer des perspectives économiques, améliorer la santé des populations et assurer la durabilité des écosystèmes. Au Canada, nous pouvons le faire mieux que partout ailleurs dans le monde parce que nous savons collaborer, mais il faut agir. Nous voulons définir une stratégie des systèmes alimentaires ou un agent catalyseur de l'information. L'établissement de cibles et de mesures contribuera à mieux galvaniser le milieu.
Il n'appartient pas au gouvernement de fixer les cibles des chaînes d'approvisionnement. Chaque chaîne d'approvisionnement devrait choisir ses propres cibles. Le gouvernement peut donner une orientation générale audacieuse et inspirer l'industrie, mais il peut aussi avoir ses propres cibles, par exemple pour la tenue d'examens réglementaires opportuns.
Il nous faut tenir aujourd'hui un dialogue sur ce que devrait être notre destination agroalimentaire nationale. Qu'est-ce que nous voulons faire? Voulons-nous doubler la valeur de nos exportations d'ici une date donnée? Voulons- nous assurer un pourcentage précis de notre approvisionnement alimentaire, auquel cas que devons-nous faire pour y arriver? C'est le dialogue stratégique qu'il faut tenir. Une stratégie alimentaire porte sur l'établissement de priorités et l'alignement des intervenants; l'innovation est un moyen de faciliter l'atteinte de cet objectif. Merci beaucoup.
[Français]
Le vice-président : Je vous remercie, monsieur McInnes. Nous allons maintenant procéder à la période de questions. Je donnerai la parole aux sénateurs dans l'ordre selon lequel ils nous ont manifesté leur intérêt de poser des questions.
[Traduction]
Le premier sénateur sur la liste est l'honorable sénateur Buth. Si la question s'adresse à un témoin précis, j'aimerais que les sénateurs le mentionnent.
Le sénateur Buth : Merci beaucoup, monsieur le président, et merci aux témoins d'être venus et de nous avoir présenté ces exposés.
J'ai deux ou trois questions pour Sécurité alimentaire Canada. Pourriez-vous m'en dire un peu plus sur le processus que vous avez utilisé, qui y a participé ou quelle section de la chaîne alimentaire ou quel système alimentaire y ont participé?
Anna Paskal, conseillère principale des politiques, Sécurité alimentaire Canada : La Politique alimentaire populaire ne date pas d'hier. Elle est née il y a 30 ans. À la fin des années 1970, une commission appelée Commission populaire sur l'alimentation a été constituée. Elle a parcouru tout le pays et visité 70 collectivités pour avoir une idée de la situation alimentaire au Canada. À l'époque, elle a dégagé certains problèmes éventuels, entre autres en ce qui concerne les additifs alimentaires et la concentration de la production et ce que cela pourrait signifier pour la santé des gens et la viabilité des producteurs et des agriculteurs canadiens. Ils ont dit que cela allait se produire, et tout le monde leur a répondu qu'ils étaient cyniques et que cela n'arriverait jamais. Trente ans plus tard, nous voyons bien qu'ils avaient raison.
Il y a environ cinq ans, à une assemblée de Sécurité alimentaire Canada, quelqu'un a dit qu'il était temps de créer une autre commission populaire sur l'alimentation, mais les choses avaient bien changé au cours de ces 30 années. Le mouvement de l'alimentation au Canada avait innové et défini toutes sortes de solutions extraordinaires. Les membres des collectivités étaient en contact avec les producteurs et les consommateurs. Ils ont trouvé des solutions innovatrices pour offrir des aliments sains dans le Nord. Ils ont introduit des collations et des repas sains et d'origine locale dans les écoles de tout le pays.
Plutôt que de repartir à zéro, nous avons voulu commencer par les travailleurs de première ligne et leur demander ce qu'il fallait faire pour élaborer une politique alimentaire nationale. Les personnes qui ont participé au processus venaient de tout le pays. Environ 3 500 Canadiens y ont participé, de tous les horizon : il y avait des citoyens, des travailleurs des banques alimentaires, des travailleurs de la santé communautaire, des Autochtones et des collectivités autochtones, des étudiants, des enseignants, des agriculteurs et des pêcheurs. C'était la tentative la plus vaste jamais menée pour définir une politique alimentaire nationale. La réponse est diversifiée parce que les gens qui y ont participé viennent de tous les milieux.
Il y avait aussi des équipes de bénévoles qui rédigeaient des documents stratégiques, elles ont écrit sur 10 thèmes distincts. La politique d'ensemble repose sur 10 documents stratégiques détaillés qui portent sur des sujets allant de l'agriculture aux pêches et aux sciences et à la technologie. Les équipes de rédaction bénévoles se sont inspirées des centaines de mémoire sur ces thèmes qui ont été présentés dans tout le pays. C'est une initiative citoyenne extraordinaire qui a distillé l'information dans ce processus de rédaction pour produire le document.
Le sénateur Buth : Pourtant, ni les entreprises de transformation d'aliments ni les intervenants à l'extérieur de l'exploitation agricole n'y ont participé?
Mme Paskal : Des transformateurs étaient représentés, oui, ainsi que des coopératives et probablement des groupes qui s'intéressent à l'alimentation ainsi qu'à la production et à la transformation d'aliments d'un autre point de vue, entre autres au plan des résultats et des buts sociaux et environnementaux, et des entreprises alimentaires représentant l'agriculture et les pêches appuyées par la communauté. Les intervenants de l'industrie alimentaire qui ont participé à ce processus sont nombreux et variés, et ils ont toutes sortes de façons de transformer et de distribuer les aliments.
Le sénateur Buth : Vous avez utilisé le terme agroécologie, que j'entends souvent. À la lecture de votre document, toutefois, je dirais — et j'aimerais que vous commentiez cela — que vous vous opposez à l'usage de la technologie dans la production alimentaire.
Mme Paskal : Je dirais plutôt que nous voulons élargir la définition courante de technologie pour reconnaître la technologie issue de milliers d'années d'innovation agricole. Le genre de technologie dont nous parlons maintenant, la science et la technologie des laboratoires, s'appuie sur 10 000 années d'innovation par les agriculteurs, de mise en réserve des semences et de diversité génétique. Selon nous, ce type de technologie devrait entrer en considération dans la science et la technologie traditionnelles. Il faut honorer les connaissances traditionnelles, les connaissances des agriculteurs, la mise en réserve des semences, les variétés patrimoniales et la diversité des races et des espèces.
Le sénateur Buth : C'est généralement déjà inclus dans la production agricole. Ce sont les agriculteurs, essentiellement, qui utilisent la technologie — depuis des années — et qui continuent à chercher à améliorer leur production. Toutefois, il y a dans votre document plusieurs passages qui m'indiquent clairement que vous vous opposez à la technologie moderne. Je voulais simplement savoir si vous étiez d'accord.
J'aimerais revenir à quelque chose que vous avez dit, madame Bronson, concernant la dégradation de l'environnement. Quels types de dégradation environnementale avez-vous documentés au Canada?
Mme Bronson : Voulez-vous répondre, madame Paskal?
Mme Paskal : Avec plaisir. En règle générale, elle est liée à l'importance que l'on accorde aux produits chimiques et à l'agriculture industrielle, qui ont un effet négatif sur la fertilité des sols et sur les ressources en eau. Je crois que c'est un enjeu reconnu dans le monde entier. L'IAASTD en fait mention. C'est pour cela qu'on y affirme que le statu quo n'est pas une option; nous ne pourrons pas nourrir la planète avec ces modes de production à forte intensité de capitaux et fondés sur les produits chimiques. Je pense que c'est de cela que nous parlons.
Le sénateur Buth : C'est donc un commentaire qui concerne plus la situation mondiale que celle du Canada. J'ai toujours eu de la difficulté à accepter les généralisations qui ne sont pas étayées. J'ai de solides connaissances en agriculture, alors je m'inquiète lorsque les gens utilisent ce genre de termes sans fournir de preuves.
Mme Paskal : Dans le monde, les statistiques que nous avons consultées montrent que l'agriculture industrielle, l'ensemble du processus, est responsable de 38 à 54 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre. Au Canada, c'est le principal mode de production. Je crois donc que c'est également vrai pour le Canada. Je n'ai pas de statistiques propres au Canada, mais nous avons le même système de production.
Le sénateur Buth : C'est en partie une production naturelle de gaz à effet de serre, la production normale de l'agriculture. Ce n'est pas du tout lié à la technologie. Je n'en dirai pas plus pour l'instant.
Mme Bronson : J'aimerais ajouter quelque chose au sujet de la technologie. Je crois qu'il est maintenant très clair dans le monde — et c'est devenu évident entre autres dans les discussions qui ont précédé la conférence Rio +20 — qu'il faut certaines évaluations pour déterminer les technologies appropriées. De fait, je crois que le programme environnemental des Nations Unies vient de publier une importante étude — et le Forum économique mondial en a aussi parlé — qui montre une grave lacune de la réglementation non seulement au Canada, mais au niveau international. Les effets sociaux, économiques et environnementaux de diverses technologies mises en marché ne sont pas suffisamment examinés et le principe de prudence n'est pas adéquatement respecté avant leur lancement, et il ne nous reste alors qu'à réparer les pots cassés.
Je pense que Sécurité alimentaire Canada voudrait que le principe de prudence s'applique et que les technologies qui conviennent dans diverses situations fassent l'objet d'un examen minutieux. En outre, nous n'appuyons évidemment pas la notion d'approche générique, mais nous ne disons pas non plus que ce n'est pas la bonne technologie. Il existe de nombreuses technologies qui conviendraient à diverses situations, et je pense qu'il faut favoriser la diversité pour assurer la robustesse de nos systèmes agricoles à long terme.
Le sénateur Buth : Je reconnais bien sûr l'importance des évaluations, parce que même pour l'agriculture et la production biologiques il existe de sérieux problèmes en ce qui a trait à l'exploitation du sol, à la fertilité, et cetera.
Est-ce que vous connaissez les systèmes de réglementation que l'on utilise au Canada pour approuver certaines de ces technologies et savez-vous de quelle façon le principe de prudence est déjà appliqué?
Mme Bronson : Personnellement, je n'en sais pas grand-chose pour l'instant, mais comme bien des gens je crains que ces systèmes de réglementation soient affaiblis ou compromis. Je pense que c'est sans doute un problème très sérieux, mais je ne crois pas que nous ayons, au Canada ou dans le monde, un solide programme d'évaluation technologique.
Le sénateur Buth : Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne les possibilités de ces divers systèmes. Toutefois, je soutiens que le système de réglementation au Canada est un des meilleurs au monde. Regardez un peu les approbations réglementaires, qu'il s'agisse de pesticides ou de biotechnologie, nous avons incontestablement un des meilleurs systèmes au monde.
Mme Paskal : Je sais qu'on s'interroge sur le système d'approbation réglementaire des organismes génétiquement modifiés. Je crois que les végétaux à caractères nouveaux, comme on dit, sont au départ considérés essentiellement comme des équivalents. Je sais que cela suscite des inquiétudes, que l'on voudrait qu'ils soient considérés comme différents et que le caractère distinct des organismes génétiquement modifiés soit étudié en fonction du principe de prudence plutôt que comme un équivalent substantiel, plutôt que de dire que c'est du pareil au même au départ. Je sais que nos membres en sont convaincus et ils ont participé aux audiences que le comité avait organisées sur ce thème.
Le sénateur Buth : Je comprends.
[Français]
Le sénateur Rivard : J'aimerais revenir sur les enjeux liés à la société civile. Malgré qu'il n'y ait pas de nouvel accord proposé par l'OMC, le Canada négocie et signe présentement des accords de libre-échange avec certains pays, et le plus gros dossier concerne l'Union européenne.
Êtes-vous emballés par rapport à ce qui se passe présentement ou au contraire vous avez des craintes à ce sujet?
Mme Bronson : Bien que je n'aie pas regardé tous les accords qui ont été signés, et j'ai quand même une certaine expérience en commerce international, je crois que l'inquiétude de nos membres face aux nouveaux traités bilatéraux pour ce qui est du commerce et des investissements est liée au fait que l'État risque de diminuer son pouvoir de légiférer dans le but de favoriser d'autres enjeux. Cela pourrait même nuire à notre capacité d'adopter une stratégie nationale sur l'alimentation.
Par exemple, si on décidait de favoriser la fabrication de produits locaux et écologiques pour contrer la faim, que ce soit dans le secteur public ou les institutions fédérales, des accords commerciaux pourraient nous nuire par l'imposition de limites sur ce genre de traitement préférentiel, comme on appelle cela dans le langage du commerce international.
C'est effectivement une inquiétude. Aussi, la multiplication d'accords bilatéraux, chacun avec des règles un peu différentes pose problème ainsi que des règles qui favorisent la protection de l'investisseur aux dépens d'autres intérêts.
Le sénateur Rivard : Est-ce que je dois comprendre que les autres témoins sont du même avis? Est-ce que votre organisation a les mêmes inquiétudes que madame pour ce qui est des accords de libre-échange signés ou qui sont présentement en négociation?
[Traduction]
M. McInnes : Je ne peux pas parler des détails; je n'ai pas vu l'entente Canada-États-Unis. Toutefois, le Canada est une nation commerçante, et les marchés d'exportation sont une condition essentielle au développement économique de nos campagnes et à notre capacité de contribuer à nourrir le monde.
Ce qu'il y a d'intéressant, dans l'utilisation des lentilles en Inde, c'est qu'elle est tributaire du Canada pour environ 40 p. 100. Nous contribuons sensiblement à la sécurité alimentaire de ce pays. Je crois qu'il faut faciliter ce commerce. Je ne dis pas pour autant que nous devrions oublier les règles appropriées et ne pas effectuer les examens qui s'imposent, mais n'oublions pas que chaque pays devra probablement évaluer sa situation dans le dossier alimentaire. La stratégie est importante parce que c'est ainsi que nous gagnerons, que nous créerons des emplois et que nous les maintiendrons.
Prenez par exemple l'Écosse, qui a une stratégie alimentaire visant à accroître ses revenus de 25 p. 100 d'ici 2015. Les Australiens ont eux aussi une stratégie alimentaire pour accroître leurs exportations. Ils la lient à la santé, à la viabilité et à la croissance économique. Nous ne voulons pas imiter un quelconque pays, mais nous pouvons nous inspirer de ce qui se fait ailleurs pour lier les programmes et améliorer notre compétitivité. Cela est très important.
M. Etsell : Je suis content d'être au milieu, car je suis d'accord avec vous deux. Vous ne voulez certainement pas que le Canada renonce à sa souveraineté quand il s'agit de négociations, mais il est agréable de constater que le Canada peut adopter une approche dynamique dans ces négociations bilatérales. Trop longtemps, à la table de l'OMC, nous avons essentiellement suivi le mouvement, sans aucune direction et sans avoir l'impression que le Canada progressait. C'est bien de voir le Canada s'engager activement.
D'ici 2020, une poignée de nations produiront plus d'aliments que ce qu'ils consomment. Le Canada fera partie de ce groupe. Je crois que nous pouvons avoir une stratégie alimentaire qui tient compte des besoins nationaux, mais qui reconnaît aussi que nous devons assumer nos responsabilités internationales et devenir un producteur d'aliments pour le monde entier. C'est non seulement une excellente occasion pour le Canada sur le plan économique, mais aussi, comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, une obligation morale.
Le sénateur Rivard : Merci.
Le sénateur Plett : Je remercie nos témoins. Ma première question s'adresse à Mme Bronson et peut-être aussi à Mme Paskal. J'ai lu vos principales recommandations et je conviens certainement avec vous qu'il serait bon de faire en sorte que les agriculteurs puissent avoir un revenu décent et que de nouveaux agriculteurs puissent s'installer.
Vous parlez d'encourager l'infrastructure partagée, de propriété communautaire. Vous voulez protéger nos petites exploitations agricoles, si je vous comprends bien. Je me demande comment vous vous y prendriez pour maintenir les petites exploitations agricoles et permettre à tous ceux qui le veulent de devenir agriculteurs? Je crois que nous vivons dans le meilleur pays au monde, un pays fondé sur la libre entreprise. Dans un pays comme le nôtre, certains achètent la ferme de leur voisin, puis celle du voisin suivant. Quand cela se fait, les exploitations grandissent et il devient plus difficile pour les petits agriculteurs de s'imposer.
Si vous voulez que tous ceux qui le veulent puissent faire de l'agriculture, comment pensez-vous pouvoir arriver à ce but dans un contexte comme le nôtre?
Mme Paskal : Pour nous, ce qui compte principalement c'est que les agriculteurs puissent gagner leur vie. Regardez les statistiques. Le revenu net des agriculteurs est inférieur à zéro si vous éliminez le soutien gouvernemental et le revenu d'autres sources. Les statistiques publiées montrent que si nous retirons le soutien gouvernemental et que les gens n'ont pas d'emploi à l'extérieur de la ferme, leur revenu sera négatif. Cela repose sur ce type de profil à dette croissante, c'est-à-dire que vous devez acheter de plus en plus de terres, faire des économies d'échelle, posséder de la machinerie et acheter des semences brevetées, par exemple.
D'après notre évaluation, si nous continuons ainsi sans rien changer, les agriculteurs s'endetteront de plus en plus. Il faut trouver des moyens de modifier notre système agricole pour que les agriculteurs gagnent leur vie et que de nouveaux venus puissent entrer dans ce secteur d'activité, parce que c'est un secteur attrayant et que l'on peut bien vivre sur la ferme.
Ce que nous avons vu, dans tout cela, c'est un déplacement d'accent, peut-être plus de diversité sur la ferme, une agriculture à petite échelle et plus de contacts avec les personnes qui consomment les aliments. Ce sont peut-être des solutions, mais la concentration en agriculture fait que les agriculteurs ont plus de difficulté à gagner leur vie. Si les prix sont fixés par les grands acheteurs, les grands producteurs et les grands transformateurs, les agriculteurs n'ont pas beaucoup d'influence. Si l'on adopte des chaînes de valeur régionales, par exemple, une production et une consommation plus locales, nous pourrons reconstruire cette agriculture moyenne, c'est-à-dire que nous aurons plus de transformation locale et de distribution locale. Il y aura sans doute plus de petites et moyennes entreprises.
J'ai récemment fait un exposé devant le Comité parlementaire de l'agriculture, et l'Alberta Food Processors Association participait elle aussi à cette séance. Ses représentants disaient essentiellement la même chose : nous devons appuyer les petites et moyennes entreprises de production et de transformation, établir des liens avec les petits producteurs pour accroître la vitalité et la viabilité économique qu'un système alimentaire diversifié offre en milieu rural. Les petits, les moyens et les gros ont tous une contribution à apporter dans un tel système.
Le sénateur Plett : Qui est ce « nous »? Vous dites que nous devons aider ces gens. Qui est ce nous?
Mme Paskal : Selon moi, c'est la volonté du gouvernement de faire participer divers intervenants à l'établissement de politiques qui peuvent appuyer les nouvelles orientations.
Le sénateur Plett : Alors nous parlons de subventions. Vous avez dit plus tôt que c'était un problème, que le gouvernement intervenait, qu'il distribuait des subventions et que les agriculteurs ne pouvaient pas faire d'argent parce que les gouvernements fixaient artificiellement les prix, et cetera. Pourtant, vous dites maintenant que le gouvernement devrait intervenir. Est-ce qu'il devrait intervenir ou pas?
Mme Paskal : Certainement, le gouvernement doit intervenir. Je n'ai pas dit que les subventions gouvernementales faisaient du tort. J'ai dit que sans elles les agriculteurs ne pourraient pas gagner leur vie. Je suis certaine que les agriculteurs préféreraient gagner leur vie en vendant leurs produits, mais nous avons certainement besoin de l'aide gouvernementale. Ce n'est pas seulement le gouvernement, c'est la collectivité, la société civile et les membres des collectivités qui doivent décider que nous allons modifier le système alimentaire en fonction d'autres buts.
Mme Bronson : En outre, sénateur Plett, j'ajouterais que nous ne voulons pas uniquement des petites fermes. Ce n'est pas la position de Sécurité alimentaire Canada. Il importe d'avoir de petites exploitations agricoles pour que les gens puissent faire de l'agriculture à petite échelle pour commencer, s'ils le veulent. Au cours des 15 années qui ont précédé le recensement de 2006, le Canada a perdu 62 p. 100 de ses agriculteurs âgés de 35 ans et moins. Leur nombre est passé de 77 000 à 29 000.
Le sénateur Plett : Vous savez pourquoi? Quelle en est la raison?
Mme Bronson : Je suis certaine qu'il y a de nombreuses raisons, mais je crois qu'il nous faut, en partie, des encouragements et des soutiens pour que les jeunes puissent commencer.
Le sénateur Plett : La terre est encore cultivée.
Mme Bronson : Oui, mais il y a de moins en moins d'agriculteurs, ils ne représentent plus que 2 p. 100 de la population. Je crois que si nous voulons un système alimentaire plus local et plus durable, il faudra que plus de gens cultivent la terre. Prenez mon exemple personnel. Ma fille veut devenir agricultrice, mais il lui est très difficile de commencer. Les jeunes qui veulent faire de l'agriculture aujourd'hui se heurtent à de nombreux obstacles simplement pour acheter quelques acres et commencer. S'il y avait des encouragements fédéraux pour aider ces jeunes à se lancer en affaire, ce serait merveilleux. S'il y avait des façons de mettre en culture les terres arables inutilisées, ce serait merveilleux. Nous disons simplement qu'il faut que les gens puissent se lancer en agriculture.
Le sénateur Plett : Je ne dis pas le contraire, mais de nombreux témoins nous ont dit que cela était très difficile. Les agriculteurs nous disent qu'il est très difficile de convaincre leurs fils ou leurs filles de rester en agriculture parce qu'ils ne veulent pas le faire. Ce n'est pas parce qu'ils ne le peuvent pas, c'est parce qu'ils ne le veulent pas. Le père est prêt à céder son exploitation agricole à ses enfants, mais eux, ils n'en veulent pas. Je ne vais pas discuter de cela avec vous, je n'en dirai pas plus. Je pose une autre question.
Le vice-président : Sénateur Plett, je crois que M. McInnes voulait ajouter quelque chose en réponse à votre première question.
Le sénateur Plett : Oui, bien sûr, et ma prochaine question s'adresse justement à lui. Alors, je m'arrête.
M. McInnes : Je veux ajouter que le gouvernement a un rôle très important à jouer pour permettre aux chaînes d'approvisionnement de travailler différemment afin de créer de nouvelles occasions pour les producteurs. Au Manitoba, par exemple, le système scolaire s'efforce de faciliter l'accès aux fruits et légumes pour les enfants, et ses efforts se traduisent par de nouvelles sources de revenu pour les producteurs, une alimentaire plus saine pour les enfants à l'école et des recettes supplémentaires pour le système scolaire.
L'important, toutefois, c'est de déterminer si cela est viable. Vous pouvez encourager cette évolution, dans une certaine mesure, mais il faut que cela soit viable à long terme. La solution ontarienne — c'est une idée parmi d'autres —, ontariofresh.ca, vise essentiellement à instaurer un service de courtage entre les producteurs de la ceinture de verdure et les chefs, les détaillants et les restaurants pour leur permettre de trouver et d'offrir des aliments locaux.
Si nous réussissons à encourager ces appuis pour permettre aux producteurs d'avoir accès au marché, cela pourrait leur donner l'élan nécessaire, en particulier ceux qui veulent se lancer en affaires ou élargir leur exploitation.
Le sénateur Plett : Je connais le programme du Manitoba, c'est un programme merveilleux. Je conviens avec Sécurité alimentaire Canada de l'importance d'une alimentation saine. Nous voulons enseigner aux gens à bien manger. J'appuie entièrement cela. Le programme dont vous parlez au Manitoba a plutôt pour but, selon moi, d'éduquer les gens en matière d'alimentation saine. Je ne suis pas certain que cela, en soi, aide les agriculteurs, parce que les agriculteurs ne manquent pas de débouchés pour leurs produits. Nous avons parlé d'exportation. Je suis très en faveur de l'exportation. Je suis certainement d'accord avec vous, M. McInnes, nos exportations et nos échanges commerciaux sont essentiels. Je crois que ce que vous dites et ce que Mmes Paskal et Bronson ont dit au sujet de l'alimentation saine est très bien. Il nous faut enseigner aux gens à bien manger. Personne ne peut s'opposer à cela, mais je songe en premier lieu à aider les agriculteurs.
Je vous pose une question, monsieur McInnes, mais vous y avez peut-être déjà répondu, du moins en partie, dans vos commentaires. Nombre des programmes dont vous parlez, et le sénateur Buth en a mentionné quelques-uns — l'huile de lin, les biocarburants — sont déjà en place. Qui devrait en être responsable? Est-ce que le gouvernement doit être responsable de tout cela? Vous pourriez peut-être tous les trois me répondre et dire quel organisme devrait diriger tout cela. Je ne suis pas certain que cette responsabilité revienne vraiment au gouvernement.
Mme Bronson : Aucun d'entre nous ne voit les choses de cette façon, j'en suis convaincue.
M. McInnes : Selon nous, l'innovation doit relever des entreprises. L'exemple des champignons le montrait. Les transformateurs et les détaillants doivent collaborer avec les producteurs et les innovateurs. Évidemment, l'organisme de réglementation devrait aussi intervenir pour accélérer le développement des produits.
C'est un rôle très important pour les centres d'innovation financés par les fonds publics, nous ne devons pas l'oublier. L'Institut international du Canada pour le grain, par exemple, cherche à créer une orge plus nutritive qui serait un ingrédient pour les marchés d'exportation et pour la consommation nationale. Il peut réunir les intervenants, les transformateurs, les groupes de producteurs et les chercheurs, pour accélérer cette innovation. Il y a probablement de nombreux modèles distincts, mais en fin de compte c'est l'entreprise qui doit songer aux besoins du consommateur. C'est probablement la façon la plus efficace d'encourager l'innovation.
M. Etsell : Nous avons baptisé notre document stratégie alimentaire et non pas politique alimentaire. Nous croyons, comme l'a dit M. McInnes, que la stratégie commence dans l'industrie, à la ferme, chez le transformateur. Je crois que le gouvernement a un rôle à jouer pour faciliter les choses et créer un climat favorable, mais pour être viable à long terme, le projet doit être rentable. C'est la stratégie. Il faut commencer par là, puis nous pourrons parler de politique.
Mme Bronson : Tous doivent évidemment contribuer à l'élaboration de la stratégie alimentaire nationale. Dans mes commentaires, j'ai essayé de faire valoir que l'innovation se portait fort bien à l'heure actuelle dans les collectivités du pays, grâce à des personnes qui nourrissent ceux qui ont faim, qui apportent des aliments sains à leurs collectivités et qui mettent sur pied des programmes de nutrition. Le gouvernement fédéral brille toutefois par son absence. Les municipalités sont là, les provinces aussi. Dans bien des cas, le secteur privé apporte une contribution. Les agriculteurs sont là. Les organisations communautaires aussi. Les enseignants, les infirmiers, tous ces gens sont là, mais il n'y a pas de stratégie nationale.
Je crois que le gouvernement fédéral doit créer un climat favorable à l'épanouissement de toutes ces innovations. Il peut le faire de nombreuses façons : par la réglementation, le financement, les encouragements, les programmes, toutes sortes de mesures que vous connaissez très bien.
La richesse de la stratégie alimentaire nationale sera fonction de la profondeur des discussions qui l'auront modelée. Je crois que nous avons créé dans notre pays une culture où la politique agricole n'est pas définie en consultation avec la société civile. Le secteur sans but lucratif n'est pas très présent à la table de la politique agricole ici, et il faut corriger cet état de choses. Nous ne pouvons pas envisager de définir une stratégie alimentaire nationale sans la participation de Sécurité alimentaire Canada. Nous ne pouvons tout simplement pas créer une politique globale et judicieuse sans recourir à toutes les connaissances de ces spécialistes.
Le sénateur Eaton : Je suis renversée par ce que vous dites. Nous siégeons depuis six mois et j'ai entendu les producteurs de légumineuses, de poulet, de dinde, de porc, de céréales ainsi que des représentants des universités et du secteur du commerce international. Comment pouvez-vous dire que nous n'en faisons pas assez alors que nous essayons d'adhérer au PPT, que nous discutons avec la Corée et le Japon au sujet du bœuf, et cetera. Je crois que c'est aberrant.
Pensez à l'Afrique, si vous voulez voir de petites fermes sans beaucoup de technologie et qui n'utilisent aucune semence génétiquement modifiée. Ils arrivent très bien à se nourrir, n'est-ce pas? Pourquoi l'Inde nous rattrape-t-elle, pourquoi arrive-t-elle à nourrir plus de ses citoyens maintenant? Pourquoi la Chine nourrit-elle plus de gens aujourd'hui? C'est parce que ces deux pays ont d'importants complexes industriels; ils utilisent leurs propres produits génétiquement modifiés; ils apprennent à gérer la sécheresse.
Ce que je vous entends dire, tous les quatre, ou du moins vous deux, mesdames, est un commentaire terrible sur ce qui est véritablement l'un des meilleurs secteurs agricoles au monde. Je suis scandalisée que vous soyez si mal informées de ce qui se passe dans le secteur agricole canadien. Vous n'étiez pas ici, ces dernières semaines, pour entendre des gens qui se spécialisent dans le sol et l'eau et dans les traitements. On nous a parlé de porcs et de nombreuses innovations. C'est vraiment une honte de vous entendre, toutes les deux.
[Français]
Le vice-président : Sénateur Eaton, vous avez une question?
Le sénateur Eaton : Non, je n'ai pas de question.
Le vice-président : Nos témoins sont venus faire leur présentation.
Le sénateur Eaton : Non, je le sais.
Le vice-président : Vous pouvez être en désaccord avec eux.
Le sénateur Eaton : Complètement.
Le vice-président : On devrait aussi leur donner la parole.
[Traduction]
Le sénateur Eaton : Cela m'est très difficile. Merci, monsieur le président.
[Français]
Le vice-président : Si vous avez terminé votre intervention, je vais donner la parole à l'honorable sénateur Maltais.
Le sénateur Maltais : Bienvenue, mesdames et messieurs. Je suis très heureux que vous soyez ici aujourd'hui. Je n'irai pas dans le domaine technique. Je vais me placer dans la peau du consommateur.
Vous avez parlé de stratégie alimentaire. Celui qui est au bout de la chaîne de la stratégie alimentaire, c'est le consommateur, n'est-ce pas?
Avez-vous déjà regardé un film à la télévision en entier où il y a des pauses publicitaires à toutes les 12 ou 13 minutes? Dans la première pause commerciale, on nous annonce une sorte de yogourt qui fait digérer, dans l'autre, il est léger et ne fait pas de cholestérol et dans le troisième, il est encore plus léger que le précédent.
Le consommateur veut manger de bons produits locaux et de qualité. Comment peut-il s'y retrouver? Vous parlez de stratégie alimentaire. Je pense qu'il y a une stratégie de communication qui doit aller avec l'alimentaire. Laissez-moi vous raconter une de mes expériences.
La semaine dernière, j'ai gardé quatre de mes petits-enfants. C'était à mon tour de préparer le souper. J'avais de la bonne morue qui ne venait pas de Terre-Neuve, mais de la Côte-Nord. J'ai fait ce que ma mère faisait, des pommes de terre et une macédoine de légumes. Pendant ce temps, les enfants regardaient des dessins animés à la télévision. J'ai crié que le souper était prêt. Ils se sont tous présentés à la table. Le plus vieux m'a dit : « Grand-papa, on ne peut pas manger ce poisson, c'est la nourriture du phoque; c'est ce qu'on lui apprend à l'école. » Le deuxième me dit : « Grand- papa, tu n'as pas de brocoli? Non, mais j'ai des carottes et du navet, ça fait pas? Non, on ne peut pas manger cela. » Il me restait l'eau du robinet. Le dernier m'a dit : « Grand papa, tu es certain qu'il n'y a pas de fluor dans l'eau? »
Comment voulez-vous qu'un grand-père s'y retrouve quand il veut offrir un bon repas à ses petits-enfants avec des produits sains?
C'est à l'école ou à la maison qu'il y a une dérogation. J'ai fini par les amener chez McDonald finalement. Cela a fait l'unanimité.
Comment le consommateur peut-il s'y retrouver? Je me mets dans la peau d'un père ou d'une mère de famille qui doit faire son épicerie. On retrouve dans les cinq premières rangées des aliments très légers, très bon pour le cholestérol, les cinq dernières, on dirait que ce sont des empoisonneurs. On est quand même 33 millions de consommateurs au Canada, mais on n'a pas tous un doctorat en alimentation.
Comment peut-on s'assurer qu'on mange bien des produits de chez nous et de qualité, qui font maigrir les gros, engraisser les petits, et ne fait pas faire de cholestérol? Pouvez-vous m'expliquer cela?
Le vice-président : Qui veut tenter de répondre à cette question?
[Traduction]
M. Etsell : J'en conviens, la communication constitue un volet important de toute stratégie. Depuis longtemps, il est logique de dire que nous sommes des producteurs — c'est parce que nous mettons l'accent sur la production. Pour progresser, maintenant, les agriculteurs doivent s'initier à la commercialisation et expliquer au consommateur ce qu'ils produisent.
C'est une tendance qui prend de l'ampleur dans notre pays. Les gens se sont éloignés non seulement de la ferme, mais aussi de la cuisine. Nous avons découvert cela il y a quelques années, quand nous avons construit notre maison. Nous avions une designer pour nous aider à concevoir la cuisine. Elle nous a dit qu'à Vancouver, on construisait des maisons en rangée et des condos sans cuisine, avec seulement un endroit pour réchauffer la nourriture. Nous avons intégré à notre stratégie un objectif pour le système d'éducation, soit que les élèves doivent être capables de préparer six repas sains et nutritifs à la fin de leur programme d'étude. Cela semble peu, mais je vous le jure, il y a des gens qui ne savent même pas comment faire bouillir de l'eau. Il faut commencer là.
Nous comptons énormément sur les aliments très transformés. Si nous pouvons convaincre les gens de revenir à la préparation d'aliments sains, nous aurons fait un grand pas en avant.
[Français]
Le sénateur Maltais : Je suis d'accord avec vous. Il se fait de la bonne publicité. Les fromageries du Québec ont une publicité à la télévision qui regroupe tous les fromages fabriqués par les petits producteurs. J'imagine qu'ils sont bons parce qu'ils ne les regrouperaient pas. Cela fait connaître les produits dont, j'imagine, on est certain de la qualité, et les producteurs québécois sont renommés pour certains fromages.
Est-ce qu'on ne pourrait pas faire de même pour les céréales, les légumes, et cetera? Est-ce qu'on ne pourrait pas faire des regroupements pour informer la population que ce groupe est bon?
Le consommateur doit se retrouver quelque part. Malheureusement, toutes les compagnies de mise en marché ont toujours le meilleur produit même s'il est nocif pour la santé. L'antigel ne se met pas dans l'alcool, c'est nocif, on le met dans la voiture.
Le consommateur doit se retrouver dans une panoplie de produits et souvent, c'est malgré lui qu'il va se retrouver avec mon repas finalement. Je tiens aux petits producteurs. On sait que les Canadiens veulent manger canadien. C'est connu et ils sont venus nous le dire. Je pense qu'une stratégie de communication des produits alimentaires canadiens certifiés, que ce soit par une association, le gouvernement ou quelqu'un en position d'autorité donnerait un guide extraordinaire à la population.
Savez-vous qu'il y a à peu près 300 ou 400 guides alimentaires au Canada? Comment voulez-vous que quelqu'un s'y retrouve là-dedans? Un est bon et l'autre pas. Il faut absolument avoir une convergence sur les produits alimentaires canadiens bons pour la santé, faits au Canada et les Canadiens vont les acheter. Ils ont besoin d'un guide.
Vous parliez de l'école, tout à l'heure. Je vous mets au défi d'aller dans la même école, à cinq niveaux différents et vous verrez que les conseils sur la nutrition qui y sont donnés sont cinq fois différents. Il faudrait que quelqu'un nous dise ce qui est bon et c'est vers cela qu'on s'en va. Les produits de chez nous sont bons ou ne le sont pas. Il faudra le dire à la population. C'est elle, en bout de ligne, qui fait vivre tout cette chaîne, vous inclus.
Le vice-président : Je voudrais donner l'occasion aux témoins de répondre aux commentaires.
[Traduction]
Mme Paskal : L'une des priorités définies dans la Politique alimentaire populaire était une stratégie alimentaire destinée aux enfants. Je fais écho à ce que disait M. Etsell, nous proposons d'enseigner les rudiments de l'alimentation dès la prématernelle et jusqu'à la fin du secondaire. Il devrait y avoir de grandes cuisines dans les écoles, où les enfants pourraient travailler à tour de rôle, et des jardins scolaires, pour qu'ils apprennent à produire et à préparer des aliments sains. Ils devraient aussi avoir quelques contacts avec des agriculteurs locaux, pour découvrir comment on produit les aliments. Cela se fait déjà dans de nombreux endroits au pays. Il existe d'excellents programmes alimentaires scolaires.
L'autre aspect de la stratégie alimentaire destinée aux enfants que nous proposons porte sur un programme de repas scolaires financé par le gouvernement fédéral. Le Canada est le seul pays du G8 qui n'a pas de programme de repas scolaires financé par le fédéral, pour offrir des collations et des repas aux écoliers du pays. Selon nous, c'est la priorité absolue de la stratégie alimentaire destinée aux enfants, mais elle est assortie d'un objectif de compétences nutritionnelles pour que, indépendamment du revenu, vous ayez des aliments sains à l'école, pour ne pas étudier l'estomac vide, et que quand vous quitterez l'école, vous soyez capable de préparer des aliments sains.
Le sénateur Plett : Pour ce qui est de la stratégie alimentaire nationale dans les écoles, vous parlez d'autres pays du G8. Dans la majorité des pays du G8, les systèmes scolaires relèvent, je crois, du gouvernement national. Au Canada, ils sont provinciaux. Cela complique beaucoup les choses. Nous avons des programmes provinciaux.
Mme Paskal : Je crois que les gens veulent des programmes à coûts partagés. Nous envisageons un programme fédéral- provincial à coûts partagés. Nous constatons qu'il existe des programmes auxquels les municipalités, les provinces et les parents participent avec l'appui du secteur privé, mais pas du fédéral.
Le sénateur Plett : Pourtant, le système scolaire n'est pas un système fédéral. Si la province intervient, si le Manitoba a mis ce programme en place, je l'en félicite, mais nous ne pouvons pas nous attendre à ce que le fédéral y participe aussi, parce que les provinces ne veulent pas d'ingérence fédérale dans leur système scolaire. Pourquoi ces systèmes ne pourraient-ils pas être uniquement provinciaux? Pourquoi le fédéral devrait-il intervenir? Pourquoi est-ce que ce n'est pas acceptable que simplement les municipalités, les parents, les provinces et les divisions scolaires gèrent ce système? Pourquoi cela serait-il mieux si le gouvernement fédéral y participait aussi?
Mme Paskal : Pour l'instant, ces programmes sont morcelés et incomplets. Dans de nombreuses régions du pays, il n'y a pas de programmes de repas scolaires. S'il y avait une norme fédérale et une participation fédérale, ces services pourraient être garantis dans tout le pays.
Le sénateur Plett : Merci.
M. Etsell : Je suis d'accord. Nous voulons une stratégie alimentaire nationale, mais elle constituerait simplement un cadre pour veiller à ce que nous allions tous dans la même direction. Rien n'empêche les provinces, les régions ou les gouvernements locaux de prendre ce cadre et de l'étoffer. Il n'y aura pas de stratégie unique; il y aura plusieurs stratégies. Nous voulons toutefois tous aller dans la même direction. Vous avez absolument raison. Au Canada, l'éducation est fondée et gérée par les provinces, et c'est à ce niveau que ces programmes doivent être gérés. Cela se fait déjà. Nous avons un excellent programme en Colombie-Britannique, qui donne d'excellents résultats.
M. McInnes : Je suis aussi de cet avis. Nous ne préconisons pas nécessairement un seul plan national. Ce sont des idées pour rationaliser les politiques et les règlements gouvernementaux afin d'offrir des perspectives.
J'ajouterais simplement que le gouvernement a, certes, un rôle à jouer et qu'il peut faciliter les choses, mais il ne faut pas sous-estimer la force de l'entrepreneuriat dans ce domaine. Par exemple, nous avons rencontré un couple d'entrepreneurs à Toronto. Ils nourrissent 6 000 écoliers par jour. Leur entreprise s'appelle Real Food for Real Kids. Ils ont des aliments sains qu'ils achètent directement de 29 ou 30 producteurs locaux — des produits maraîchers, du bœuf et d'autres produits. Ils connaissent un tel succès qu'ils élargissent actuellement leur gamme de produits pour offrir des repas familiaux à emporter. C'est une nourriture saine. Les parents savent ce qu'ils mangent. C'est une autre façon de créer une nouvelle chaîne d'approvisionnement. Le gouvernement n'intervient pas. Ils ont peut-être quelques obstacles liés à la réglementation, mais je pense qu'il nous faut comprendre comment ces nouvelles chaînes d'approvisionnement peuvent être créées en mettant l'accent sur le lien entre santé et alimentation.
Le sénateur Merchant : Merci beaucoup d'être venu ce soir et de nous parler de ce que j'appelle les enjeux alimentaires.
Nous sommes membres du Comité de l'agriculture, mais nous faisons aussi partie du gouvernement. Je suis heureuse que vous soyez ici, mais lorsque nous parlons des enjeux alimentaires que vous nous avez présentés, ici, au Canada, je pense qu'en général ce sont des questions de société et de style de vie. Je ne sais pas ce que le gouvernement peut faire de plus. Il me semble parfois que le gouvernement veut intervenir dans tous les aspects de nos vies, et cela m'inquiète. Je crois que nous devons tous accepter une part de blâme et de responsabilité. Je ne sais pas ce que le gouvernement peut faire, vraiment. Je crois que le gouvernement intervient déjà beaucoup et que le secteur agricole fait des choses, tout comme les producteurs. J'ignore ce que l'on pourrait dire de plus, sauf que nous avons nos propres problèmes, comme d'autres l'ont déjà fait valoir.
Nous parlons aussi de problèmes mondiaux. On nous répète sans cesse que la population mondiale augmente rapidement, et nous ne pouvons rien faire pour freiner cette croissance démographique. J'imagine que vous voulez que nous réfléchissions sur les moyens d'optimiser les avantages pour les Canadiens, pour notre agriculture, tout en cherchant des solutions responsables pour assurer la transition vers des pratiques agricoles moins préjudiciables ou, peut-être, douteuses.
Je veux aborder deux aspects. Nous parlons des aliments. Ici, au Canada, nous produisons du bœuf en quantité. Nous savons que le bœuf utilise très mal l'énergie et le sol. Il est 4,51 fois moins efficace que le soya, et le soya est la règle d'or. Nous faisons un choix. Nous ne voulons pas manger de soya et nous voulons manger du bœuf, mais alors il devient difficile pour le reste du monde d'acheter ce que nous voulons offrir, les produits que nous voulons exporter. C'est ma première question. Que sommes-nous disposés à faire pour régler ce genre de problème?
Deuxièmement, il y a les biocarburants. En Europe et en Amérique du Nord, la tendance semble être à l'utilisation des biocarburants. Ces dernières années, nous avons encouragé la production d'éthanol. Nous avons alors assisté à une montée des prix des céréales, en particulier le maïs. Les produits du maïs sont maintenant plus chers, et certaines populations n'ont plus les moyens d'acheter ces produits. Nos gouvernements ont appuyé, et parfois même subventionné, la production de biocarburants.
Comment pouvons-nous parler d'une part d'aider la population mondiale et d'autre part d'améliorer la rentabilité et l'efficience pour nos agriculteurs? Quelqu'un a mentionné la moralité et les questions morales. J'aimerais simplement que vous nous en disiez un peu plus sur ce que vous voulez que nous fassions et comment vous voulez que nous changions et que nous gérions tout cela.
Mme Bronson : Votre question touche de nombreux aspects.
Nous n'avons pas parlé aujourd'hui, et je crois que c'est dommage, de la prochaine visite au Canada du rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation. Il sera ici du 6 au 16 mai et il examinera si le gouvernement du Canada s'acquitte ou non de ses obligations en ce qui concerne le droit à l'alimentation de ses citoyens. Il verra aussi comment le Canada s'acquitte de ses obligations internationales en ce qui concerne le droit à l'alimentation. Ces obligations découlent de l'adhésion du Canada au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ces obligations internationales — ce que nous devons faire — sont très claires. Cela, évidemment, touche aussi la question précédente au sujet d'un éventuel rôle fédéral pour que les écoliers n'aient pas l'estomac vide, par exemple.
Il se penchera sur cette question. J'encourage les membres du comité à visiter son site Web et à consulter les nombreux rapports intéressants qu'il a déjà publiés, particulièrement celui consacré à la question des biocarburants et des obligations internationales relatives au droit à l'alimentation qui, selon moi, est très intéressant.
Évidemment, vous soulevez des questions complexes, et je ne prétends certainement pas avoir toutes les réponses. En quelque sorte, cela nous ramène aux questions précédentes sur la technologie et le commerce. J'espère que nous ne sommes pas perçus comme anti-technologie ni anti-commerce. Nous devons nous demander quelles politiques commerciales et technologiques doivent être adoptées et comment il convient d'évaluer avec soin ces politiques.
De fait, le subventionnement et l'expansion du marché international de l'éthanol ont eu des effets plutôt dévastateurs sur le droit à l'alimentation dans le monde. Par leur faute, des centaines de milliers de personnes ont connu la faim. Je crois qu'une planification soigneuse et des prévisions concernant les conséquences probables de ces subventions auraient permis d'éviter cette situation.
Ces aspects — les effets sur les marchés nationaux et internationaux — doivent être soigneusement examinés. Il n'est pas facile de les combiner dans l'intérêt de tous. J'ai travaillé sur la scène internationale pendant des décennies, et il me paraît évident qu'il n'y a qu'une seule planète et que nous la partageons et qu'une stratégie alimentaire qui s'arrêterait à nos frontières n'aurait pas une portée suffisante.
M. Etsell : Vous avez raison, la croissance démographique est un enjeu sociétal. La pauvreté que nous avons au Canada, qui fait que deux millions de personnes souffrent de la faim, est une question sociétale, mais c'est le contexte dans lequel nous devons fonctionner. Bien sûr, la croissance de la population mondiale offre des perspectives extraordinaires à l'agriculture canadienne, et c'est dans ce contexte que j'envisage la question. Je suis encore secoué par les commentaires du sénateur Eaton. La position du Canada présente tellement d'avantages sur le plan agricole. Nous avons des ressources inégalées dans le monde.
Le sénateur Eaton : Oui, mais vous n'en avez pas parlé dans votre...
M. Etsell : Elles font l'envie du monde entier, elles nous ouvrent de belles perspectives. C'est pourquoi il nous faut une stratégie, pour ne pas laisser échapper les occasions qui s'offrent à nous.
Quel est le rôle du gouvernement? L'industrie elle-même a une immense responsabilité pour définir la voie à suivre et établir la stratégie, mais le gouvernement a aussi un rôle à jouer. Il doit créer un contexte qui permettra de mettre la stratégie en œuvre. Si nous collaborons, nous pouvons en tirer le maximum, et je crois que, je le répète, c'est extrêmement prometteur.
Le sénateur Mercer : Je remercie tous nos témoins d'être venus aujourd'hui, surtout parce que nous réalisons actuellement cette étude. Si je ne suis pas d'accord avec vous, je l'indiquerai dans notre rapport. Je ne vais pas vous attaquer pendant que vous témoignez, je ne vais pas vous contredire publiquement.
Le vice-président : Avez-vous un commentaire ou une question?
Le sénateur Mercer : J'ai deux ou trois questions et commentaires.
Monsieur le président, ce soir, les opinions sont nettement partagées en fonction des allégeances politiques. C'est une situation que nous n'avons jamais connue en relation avec la nature de notre mandat. Tout à coup, il est question de s'abstenir de participer, alors que toute notre étude vise à précisément à trouver des façons pour nous d'aider le secteur.
Deux ou trois d'entre vous ont dit que le gouvernement fédéral avait un rôle de facilitateur. Effectivement, certaines responsabilités sont provinciales et d'autres relèvent des entreprises, mais si personne ne réunit tous les intéressés et que rien ne se fait, nous en souffrons tous. L'industrie agricole souffre, les consommateurs souffrent, la sécurité alimentaire est compromise, et notre réputation internationale de nation qui se livre au commerce des denrées en souffre aussi.
Reconnaissez-vous que le gouvernement fédéral, au pays et à l'étranger — et je ne pense pas nécessairement au présent gouvernement, je pense à tous les gouvernements fédéraux — n'a pas su coordonner notre politique agricole?
M. McInnes : Habituellement, nous établissons un plan quinquennal, je pense par exemple au plan Cultivons l'avenir, pour faciliter la planification et le financement d'une politique agricole ainsi que les programmes de gestion du risque. Tout cela doit maintenant être renouvelé. Les gouvernements fédéral et provinciaux ont créé de nombreuses tribunes pour réunir les intervenants.
Pour nous, notre vision du monde s'organise en fonction de deux axes. Imaginez un axe horizontal et un axe vertical. Dans l'axe horizontal, les gouvernements peuvent essayer de lier les programmes et de créer un marché dynamique et compétitif. Certains efforts à cet égard sont en cours actuellement, et ils connaissent certains succès. Par ailleurs, les chaînes d'approvisionnement elles-mêmes, à quelques exceptions près, ne donnent vraiment pas le maximum. Comment peuvent- elles fonctionner sur un axe plus vertical? C'est deux éléments doivent être rapprochés, et pour ce faire, il faut essentiellement, selon nous, une approche plus robuste fondée sur les systèmes alimentaires, pour que tous ces intervenants arrivent à collaborer différemment, qu'ils poursuivent un dialogue sur les enjeux clés auxquels ils sont confrontés. En outre, comment pouvons-nous améliorer la réglementation et le contexte de l'innovation, comment pouvons-nous mieux collaborer à l'intérieur de ces chaînes?
Selon nous, c'est la combinaison requise pour réussir. Si nous faisons bien les choses, comme il a été dit, notre potentiel de fournisseur mondial de denrées alimentaires est magnifique. Nous devons viser haut. Pourquoi ne pourrions-nous pas doubler la valeur de nos exportations d'ici 2025? Nous avons les ressources, la capacité, le savoir-faire, nous avons des gens intelligents, des entrepreneurs, nous avons une excellente structure de réglementation. C'est ce qu'il nous faut déployer. Nous parlons, au fond, d'une stratégie qui nous aidera à réunir tous ces éléments.
M. Etsell : Je ne pense pas que nous voulons trouver des coupables. En 2003, le gouvernement fédéral a décidé qu'il était temps de produire des plans quinquennaux. Auparavant, la politique agricole était souvent improvisée. En 2003, nous avons eu une première itération, le CSA, et nous en sommes maintenant au second cycle quinquennal avec Cultiver l'avenir.
Nous constatons que ces horizons quinquennaux de planification ne suffisent pas. Il faut penser à plus long terme. Évidemment, les gouvernements continueront de budgéter aux cinq ans, mais il faut les deux. Vous devez avoir une vision à long terme. Nous ne cherchons pas à dégager les erreurs du passé; nous voulons simplement mieux faire les choses.
Le sénateur Mercer : Nos amis américains ont une loi agricole qui expirera dans quelques mois, et cela préoccupe beaucoup l'industrie agricole aux États-Unis ainsi que de nombreux membres de l'Administration, à Washington. Toutefois, le recours à la loi agricole qui consolide et rapproche des politiques relatives à l'agriculture permet d'adopter certaines directives et, parfois, d'accorder certains encouragements et de l'aide, et tout cela est prévu dans la loi agricole. Nous en avons discuté, au comité, au fil des ans.
Le sénateur Mahovlich et moi-même sommes membres de ce comité depuis fort longtemps. Nous avons le plus d'ancienneté, ici. Nous avons entendu des discussions à ce sujet auparavant. Il nous faut proposer au Parlement quelque chose de semblable à la loi agricole américaine — et ce ne serait pas nécessairement une loi, parce que notre gouvernement fonctionne différemment. Toutefois, il nous faut une vision à plus long terme. Vous avez dit que cinq ans, cela n'était probablement pas assez long.
Pensez-vous qu'un document comme la loi agricole nous aiderait à réunir tout ce qui touche l'agriculture et à mieux planifier? Nous pouvons dire qu'il s'agit d'une stratégie alimentaire nationale ou d'autre chose, mais nous devons rapprocher non seulement les agriculteurs et les transformateurs, mais aussi tous les autres, l'environnement, la sécurité alimentaire, la médecine vétérinaire, et cetera, tous ceux qui interviennent dans la production d'aliments sains, salubres et de qualité pour les Canadiens et pour le monde.
M. Etsell : Les agriculteurs canadiens envient un peu ce qui se passe au sud de la frontière. Je ne sais pas si l'économie américaine pourra soutenir ce type d'approche.
J'ai travaillé dans l'industrie de la volaille aux États-Unis. Les États-Unis insistent surtout sur le secteur céréalier, dans l'espoir que les avantages se répercuteront sur le bétail.
J'aime l'approche que nous préconisons, qui cherche à éliminer les cloisonnements et, comme vous le dites, qui rapproche les divers intervenants, que ce soit ceux de la santé, de l'éducation ou de l'environnement, pour discuter. Cela revient vraiment à ce que M. McInnes disait concernant une approche systémique de l'alimentation. Cela serait sain.
Mme Bronson : Si nous avons une stratégie alimentaire nationale, elle doit absolument traiter de la question de la faim et des habitants de notre pays qui ne mangent pas à leur faim et qui ne peuvent se nourrir. Pour eux et leurs enfants, il est impossible d'avoir un régime sain avec ce que leur accorde l'aide sociale ou d'autres programmes publics, s'ils ont un handicap ou s'ils ont besoin d'un soutien gouvernemental.
Je crois que cela doit être à l'avant-plan. Il est inacceptable que dans un pays aussi riche et bien nanti que le nôtre, la sécurité alimentaire n'existe pas pour deux millions de Canadiens.
M. McInnes : Il ne faut pas sous-estimer la puissance des objectifs et des mesures qui contribueront à l'atteinte des objectifs que nous fixerons. Nous le voyons dans le secteur du détail et de la transformation. Certaines grandes chaînes, par exemple, achètent leurs fruits de mer de sources qui seront entièrement soutenables d'ici 2013 ou 2015. L'industrie laitière américaine a fixé des cibles d'émissions inférieures de 25 p. 100 à l'ensemble des émissions de toute leur chaîne d'approvisionnement d'ici 2020.
Et la liste continue. Le Conseil canadien du canola a fixé ses propres cibles ici, au Canada. La force d'une cible, d'un objectif, est de garantir la transparence. Tous les intéressés peuvent comprendre pourquoi ils peuvent adhérer. Vous pouvez ensuite commencer à harmoniser la politique ou à dégager ce qui entrave l'atteinte de ces cibles, et les gens doivent rendre compte. C'est un objectif de politique publique puissant et très efficace.
Mme Paskal : À l'heure actuelle, l'occasion pour le fédéral de jouer un rôle de facilitateur est extraordinaire, car il y a une telle volonté d'établir une stratégie alimentaire nationale. C'est la première fois que cette conjoncture se présente. Lors de la dernière campagne électorale fédérale, par exemple, les cinq partis parlaient d'une politique ou d'une stratégie alimentaire nationale. À l'interne, il est maintenant question d'une stratégie alimentaire et agricole nationale. Nos trois groupes sont parmi ceux qui proposent une vision de l'avenir de l'alimentation au Canada en fonction d'une approche fondée sur les systèmes alimentaires. Je crois qu'une telle discussion nationale est incontournable. Il faut débattre de ce que signifie l'édification d'un avenir meilleur sur le plan alimentaire au Canada, en tenant compte de tous les enjeux qui ont été mentionnés aujourd'hui. Le fédéral aurait un très important rôle de facilitateur de ce processus, pour veiller à ce qu'il se déroule bien, de façon inclusive et participative, en adoptant une vision à long terme et en tenant compte de tous les points forts du Canada.
Nos trois groupes ont abattu un immense travail. Ensemble, nous avons probablement accumulé huit années de travail pour tenter de préciser nos visions d'une stratégie alimentaire nationale. J'ai relevé certains éléments qui semblent communs à nos visions. Excusez ma formulation, vous ne présenteriez peut-être pas les choses ainsi, mais nous avons tous une approche fondée sur les systèmes alimentaires et nous considérons tous qu'une production environnementale durable est un objectif clé de la production alimentaire canadienne, entre autres choses. Nous voulons tous que les Canadiens consomment plus d'aliments produits au Canada et nous aimerions tous qu'une alimentation saine soit considérée comme un facteur clé de prévention des maladies chroniques. Ce sont déjà quatre orientations très ambitieuses qui contribueraient à définir une stratégie alimentaire et agricole nationale inclusive et qui aiderait à faire progresser le Canada.
Le sénateur Mahovlich : Quand vous apportez un changement, les gens protestent. Ils disent « Attendez un instant! » Il y a des agriculteurs et des familles au marais Holland qui exploitent la terre depuis des centaines d'années. Vous pensez qu'ils veulent entendre leur gouvernement leur dire comment faire? Ils protesteront et ils diront au gouvernement de ne pas se mêler de cela, parce qu'ils font des profits. Ils s'en tirent très bien. Avec 10 milles carrés du marais Holland, vous pouvez nourrir tout le Canada. Je ne crois pas que deux millions de personnes meurent de faim au Canada avec toutes les denrées alimentaires que nous produisons ici. J'ai vraiment de la difficulté à croire cela.
Le changement est une constante. Il se produit quotidiennement des changements. Il y a bien des obstacles à surmonter, d'après ce que je vois, si l'on veut changer les choses. Un pays comme la France subventionne un grand nombre de ses exploitations agricoles. Est-ce qu'il les réglemente? Est-ce que les agriculteurs français ont une réglementation à suivre? Est- ce que quelqu'un le sait?
M. Etsell : Oui. Ils ont de nombreux règlements à suivre, un peu comme nous. Nous avons une réglementation environnementale qu'il faut respecter. Il y en a une aussi en France. Parfaitement. Ils peuvent seulement produire tant de l'acre pour l'élevage, par exemple. Ils ne sont pas exempts de réglementation, c'est certain. De fait, nombre de leurs paiements verts sont assujettis à une production précise, pour répondre à votre question.
Mme Bronson : Généralement — et cela vaut au Canada comme à l'étranger —, le problème de la faim n'est pas un problème d'approvisionnement. Ce n'est pas qu'il n'y a pas suffisamment de nourriture. Le problème vient de la distribution.
Le sénateur Mahovlich : Nous avons suffisamment de nourriture?
Mme Bronson : Nous en avons en abondance. Cela est vrai aussi pour l'étranger. Il y a près de deux milliards de personnes qui souffrent de la faim dans le monde, mais il y a suffisamment de nourriture sur la planète pour les nourrir. Le problème tient à la distribution. Je crois que presque tous s'entendent là-dessus.
Le sénateur Mahovlich : C'est quelque chose que nous devrons changer, parce qu'au Québec, où le fromage oka est fabriqué depuis plus de 100 ans — et je crois que ce sont les moines qui ont commencé —, vous ne pouvez pas leur dire comment faire leur fromage.
Mme Bronson : Je suis certaine qu'ils sont déjà assujettis à certains règlements sur la façon de faire le fromage.
Le sénateur Mahovlich : Je ne sais pas s'ils sont réglementés, mais ils se réglementent eux-mêmes. C'est ce que font les agriculteurs du marais Holland. Ils ont trouvé par essai et erreur, au fil des ans, et ils se sont réglementés ainsi, je crois.
M. Etsell : Au Canada, nous ne sommes pas exempts de règlements. Nous avons des programmes de salubrité des aliments dans les exploitations agricoles, et il faut y adhérer. Nous avons une réglementation environnementale que nous devons respecter, tout comme en Europe. Nous devons commencer à faire valoir les avantages qu'offrent ces programmes et expliquer au public que nous adhérons à ces normes.
Nous ne voulons pas adopter une stratégie descendante, qui serait imposée aux entreprises. Il faut plutôt tenter d'élaborer une vision pour l'industrie, se sorte que si les gens veulent participer — et on espère qu'ils le voudront, parce qu'ils en auront l'occasion —, ils pourront définir une stratégie propre à leur entreprise pour pouvoir profiter des occasions qui se présenteront. Nous avons déjà décrit ce qu'elles sont. Je crois que c'est une démarche habilitante plutôt que contraignante.
M. McInnes : Cela est vrai, on ne peut pas dire que le secteur n'est pas réglementé. Nous avons un membre du conseil — une productrice de porc — à qui 44 nouvelles règles ont été imposées au cours des neuf dernières années, c'est donc un secteur fortement réglementé. La question clé, sur les plans politique et stratégique, est la suivante : quel mécanisme devons-nous adopter pour examiner la réglementation, car la réglementation a souvent un cycle de vie et il faut savoir à quel moment elle doit être révisée, modifiée ou retirée pour mettre sur pied une structure réglementaire moderne? Le travail effectué au Canada et aux États-Unis pour tenter de rationaliser le contexte de réglementation entre nos deux pays est essentiel à notre compétitivité. Cela se ramène aux mesures que nous employons pour que la structure de réglementation garantisse non seulement la salubrité des aliments, mais aussi l'existence d'un contexte compétitif et innovateur. C'est une combinaison essentielle et à cet égard nous devons bien faire les choses.
[Français]
Le sénateur Maltais : J'ai eu la chance, ainsi que mes collègues, les sénateurs Buth, Mahovlich, Mercer, de visiter l'entreprise agricole de Savoura, qui est située à Trois-Rivières. C'est l'écologie suprême qui y règne. Ils se servent des résidus de la ville pour faire des gaz. Il ne leur en manque que 27 p. 100 qu'ils sont obligés de prendre ailleurs.
Ils n'ont pas de réglementation, mais pour entrer dans la serre, demandez à nos collègues, cela prenait des vêtements spéciaux. On ne pouvait pas toucher aux produits. On ne devait que regarder. Pourtant, c'était des tomates, une production de petites tomates. Je ne me souviens plus combien de kilos ils sortaient par jour mais c'était vraiment extraordinaire.
J'ai trouvé que ces producteurs avaient leur propre réglementation qui était, je pense, beaucoup plus sévère que toutes celles que le gouvernement peut exiger. Ils avaient des spécialistes, dont une biologiste extraordinaire.
Je crois que tout est une question d'éducation. Les tomates Savoura sont plus chères que n'importe quelles autres, pourtant, elles se vendent à la tonne au Québec et en Ontario. Tous les jours, des livraisons partent de Trois-Rivières pour se rendre au marché de Toronto. Elles sont plus chères, pourquoi, parce qu'elles sont de qualité supérieure.
C'est l'entreprise qui a décidé de se donner une qualité supérieure et qui a fait sa propre réglementation, mais une réglementation générale peut empêcher les petits, moyens ou gros producteurs de se donner une qualité supérieure.
C'est mon opinion. Vous n'êtes pas obligé de la partager. D'après ce que j'ai vu, et on en a vu quelques-unes, les gens nous ont tous dit que leur production avaient des normes supérieures à ce qui était exigé par les gouvernements.
Qu'en pensez-vous? C'est ce qu'on a vécu et vu.
Le vice-président : Est-ce que les témoins veulent commenter?
[Traduction]
M. McInnes : J'aimerais faire écho au commentaire du sénateur qui affirme que l'industrie peut élaborer des normes plus strictes que les gouvernements. De fait, les grandes entreprises mondiales et les sociétés nationales, ici, imposent des normes de salubrité alimentaire et de qualité et définissent des exigences en matière de vérification. C'est le cas de Nestlé, d'Unilever, de McDonald's, de Cargill et de Walmart. Ces entreprises vont jusqu'à la ferme, elles définissent des moyens d'accroître la durabilité et elles améliorent la qualité des produits et la salubrité des aliments, ce qui peut aller bien plus loin que l'intervention gouvernementale. Je ne dis pas que la réglementation gouvernementale et l'harmonisation des règlements ne sont pas également des priorités, mais il faut reconnaître l'existence de deux voies différentes, de deux dimensions distinctes en ce qui concerne la réglementation ou les effets pour les entreprises et les producteurs. Et cela englobe le secteur privé.
Mme Bronson : En outre, il ne faut pas oublier la question de la perception. Évidemment, s'il n'y a pas de surveillance indépendante des normes appropriées, ces normes ne seront pas nécessairement perçues comme légitimes, particulièrement lorsqu'un problème survient.
Le sénateur Mercer : Je crois que vous admettrez que quand quelque chose dérape — et, en général, quelque chose finit toujours par déraper —, les gens se tournent vers le gouvernement et disent « D'accord, l'industrie n'a pas corrigé le problème. Les producteurs non plus. Les transformateurs non plus. Le marché ne fait rien. Il faut réparer cela. » La population compte sur le gouvernement pour cela. Si nous ne sommes pas engagés dans tout le processus et que nous n'avons aucune idée de ce qui se passe, nous faisons face à une crise. Pensez, par exemple, que nous n'avons aucune expertise en matière d'élevage du bétail ici, mais quand la crise de l'EBS a éclaté, c'est ici qu'on est venu. Notre comité était l'un de ceux auxquels les intervenants se sont adressés. Nous avons tous appris ensemble ce qu'était le problème et nous avons fait des suggestions. J'ai des réserves quand on me dit que les réponses viendront de l'industrie, surtout des Walmart et des Cargill de ce monde. L'industrie est importante. Tout le monde est important, mais en cas de pépin, tout le monde recule et demande au gouvernement ce qu'il a l'intention de faire. Si le gouvernement n'a aucun plan et qu'il n'a jamais collaboré avec l'industrie, il lui sera difficile d'aider.
M. Etsell : C'est exactement pour cela que nos trois organisations sont ravies d'être ici et de vous parler. Nous reconnaissons que le gouvernement doit contribuer au débat.
M. McInnes : J'ajouterais que cela fait ressortir l'importance d'avoir des concepts clairs et une politique sur la traçabilité. Quand une éclosion touche des aliments, comme cela s'est produit l'été dernier pour les concombres espagnols, le problème peut dévaster très rapidement tout un secteur. En l'occurrence, 30 personnes ont perdu la vie et, je crois, quelque 3 000 sont tombées malades.
La mise en œuvre d'un programme de traçabilité est un exercice très coûteux et complexe, et l'industrie et le gouvernement doivent unir leurs forces pour ouvrir des perspectives concurrentielles dans notre pays, pour créer les conditions nécessaires pour que nous puissions vendre plus de produits à l'étranger tout en protégeant les consommateurs d'ici.
C'est dans ce contexte qu'une stratégie suscite la discussion au sujet des enjeux les plus importants pour positionner le Canada de telle sorte qu'il puisse afin de réussir, ici et à l'étranger.
[Français]
Le vice-président : Merci, monsieur McInnes. Si aucun autre sénateur ne désire poser de questions, il me reste donc à vous remercier sincèrement de vos présentations. Nous allons certainement en tenir compte.
Je regrette que nous n'ayons pu commencer à 17 heures, mais comme j'ai dû vous le dire avant, lorsque le Sénat siège, les comités ne peuvent siéger à moins d'une permission spéciale.
Je vous remercie pour votre patience et je vous souhaite un bon retour à la maison.
(La séance est levée.)