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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le 24 octobre 2012

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui à 18 h 45 pour examiner, pour en faire rapport, la reconnaissance juridique et politique de l’identité des Métis au Canada.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Bonsoir. Bienvenue à tous les sénateurs et aux membres du public qui regardent cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochones sur CPAC ou le Web.

Je suis Gerry St. Germain, je viens de la Colombie-Britannique et suis président du comité. Toutefois, je suis né au Manitoba, à Saint-François-Xavier, et j’ai grandi au Manitoba.

Ce comité a pour mandat d'examiner les lois et les questions qui concernent les peuples autochtones du Canada en général.

Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude sur l’identité collective et les droits des Métis au Canada.

[Traduction]

Dans le cadre de notre étude sur l’identité des Métis, nous nous sommes récemment rendus au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta, en Colombie-Britannique et dans les Territoires du Nord-Ouest, où nous avons tenu une série d’audiences publiques et de séances à la recherche de faits sur le sujet. La complexité de la question nous est apparue de plus en plus évidente au cours du voyage. Nous sommes reconnaissants envers les témoins pour les efforts et le temps qu’ils ont consacrés à nous aider à démêler la question complexe de l’identité.

J’aimerais remercier les témoins présents ce soir d’être venus de Winnipeg pour nous aider.

[Français]

Avant d'entendre nos témoins, j'aimerais présenter les membres du comité qui sont présents ce soir.

[Traduction]

Sont ici aujourd’hui la vice-présidente du comité, la sénatrice Lillian Dyck, de la Saskatchewan; le sénateur Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Watt, du Québec; le sénateur White, de l’Ontario; le sénateur Raine, de la Colombie-Britannique, et le sénateur Patterson du Nunavut.

Honorables sénateurs, accueillons ensemble M. Gabriel Dufault, président de L’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba, et M. Denis Gagnon, lui aussi du Manitoba, professeur à l’Université de Saint-Boniface. Accueillons également un invité spécial, M. Guy Savoie, un aîné de leur communauté.

Monsieur Dufault, je crois que vous avez préparé une présentation.

[Français]

Après votre présentation, les sénateurs vous poseront des questions. Sans plus tarder, vous avez la parole. Merci d’être des nôtres.

Gabriel Dufault, président, L'Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba Inc.: Merci, monsieur le président. Membres du comité sénatorial, premièrement, permettez-moi de vous remercier de nous avoir convoqués ici, à Ottawa. On n'a pas souvent la chance de sortir de chez nous. Venir à Ottawa est un honneur et un privilège.

Mon nom est Gabriel Dufault. Je suis le président de L'Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba. Notre association a été fondée le 17 août 1887. Nous avons célébré cette année notre 125e anniversaire. Nous sommes la plus vieille organisation métisse au pays.

En août 1887, à Saint-Vital, au Manitoba, notre fondation a été fondée par une douzaine de patriotes métis, à la résidence de M. Joseph St. Germain.

Nos origines sont encore plus profondes, dans l'histoire de l'Ouest canadien. Le 24 septembre 1884, à Batoche, avec la présence de Louis Riel et Gabriel Dumont, les Métis ont fondé l'Association nationale métis. C'est alors que le patron Saint- Joseph a été choisi par Louis Riel. Peu après, le nom a changé pour L'Union nationale métisse. Nos origines remontent tout de même de Batoche.

Le mot « nation » veut dire plutôt la nation métisse d'un océan à l'autre.

[Traduction]

L’Union nationale métisse est régie par un conseil formé de 16 membres élus à l’assemblée générale annuelle. Le conseil est composé du président, du vice-président, du secrétaire, du trésorier, de quatre aînés et de sept conseillers. À l’heure actuelle, six des seize membres sont des jeunes. Le mandat du président dure trois ans et peut être renouvelé.

Nos principales activités comprennent notre dégustation annuelle de vins et fromages — ancienne tradition déjà — qui a lieu au mois de janvier et qui offre aux membres et à leurs amis l’occasion de tisser des liens. En février, nous participons aux activités du Festival du Voyageur au sein d’un de ses relais, l’Auberge du Violon, en collaboration avec le Conseil Elzéar Goulet, qui constitue la section locale de la Fédération des Métis du Manitoba, Région Winnipeg, ainsi qu’au jour de Louis Riel. Au Manitoba, le jour de Louis Riel est férié en l’honneur du père fondateur de la province. L’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba organise une marche avec ses partenaires, à partir du Musée de Saint-Boniface jusqu’au Parc du Voyageur. L’organisme offre ensuite des séances internationales d’information sur les contributions de Louis Riel et des Métis.

Au mois de mars, plusieurs membres participent au Festival Manitpogo à Saint-Laurent, au Manitoba, communauté métisse située au nord de Winnipeg. Cette communauté a été reconnue par le Smithsonian Institute comme représentant véritablement la culture métisse au Canada.

Au mois d’avril, nous organisons une corvée de nettoyage au cimetière métis Dumoulin à la frontière du Manitoba et du Dakota du Nord.

En mai, notre pique-nique traditionnel à la maison Riel donne aux familles et amis métis l’occasion de se rencontrer, de manger ensemble et de faire connaître aux plus jeunes les valeurs et les jeux traditionnels. Cet événement attire habituellement plusieurs centaines de personnes.

Fin septembre, début octobre, nous participons à la conférence des Initiatives en français Midwest organisée par M. Virgil Benoît, de l’Université du Dakota du Nord, à l’intention des Métis et des Franco-américains de la vallée de la rivière Rouge.

En octobre, nous organisons la corvée de nettoyage du Parc Vermette en collaboration avec le groupe environnemental Sauvons notre Seine. La terre Vermette est une terre traditionnellement métisse, qui a abrité par le passé une agglomération prospère. L’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba collabore avec le Service des loisirs et des parcs de la ville de Winnipeg pour remettre en état cette terre et en faire un espace vert pour les événements communautaires.

Le 16 novembre, une messe commémorative est célébrée à la cathédrale de Saint-Boniface, suivie d’une cérémonie sur la tombe de Louis Riel — à laquelle le président de ce comité était présent il y a quelques années. Des activités d’interprétation culturelle précèdent une réception pour les participants, notamment les Métis et leurs amis de Saint-Boniface et de Saint-Vital. Cette journée est un peu le jour du Souvenir des Métis. L’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba participe à cet événement depuis très longtemps.

Aux mois de novembre et décembre, nous tenons notre assemblée annuelle, puis une séance de planification et de visualisation de l’avenir qui est dispensée par un consultant aux membres du conseil.

Nous avons une longue liste de partenaires, parmi lesquels, bien sûr, Sauvons notre Seine; la Société historique de Saint-Boniface; la St. Vital Historical Society; La Liberté, hebdomadaire franco-manitobain; le Conseil de développement économique des municipalités bilingues, ou CDEM; la Société franco-manitobaine, la SFM; la Division scolaire franco-manitobaine, la DSFM; le lieu historique de la Maison-Riel, Parcs Canada; le Conseil Elzéar Goulet, section locale française de la Fédération des Métis du Manitoba, Région Winnipeg; l’Université de Saint-Boniface et la chaire canadienne sur l’identité métisse.

[Français]

Je suis heureux d’être appuyé ce soir par le titulaire de cette chaire, M. Denis Gagnon, un grand ami de L'Union nationale métisse.

[Traduction]

Notre mission décrite dans notre énoncé de mission consiste à corriger les renseignements erronés sur les Métis et leur histoire, à préserver la culture et les traditions des Métis franco-canadiens et à diffuser de l’information historique et culturelle au Manitoba et au Canada.

[Français]

Je crois que vous avez une copie de ces notes.

Guy M. Savoie, doyen de L'Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba Inc.: Monsieur le président, L’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba Inc. fait aussi des choses culturelles. Son grand intérêt est la culture métisse et il veut la propager chez les jeunes Métis qui viennent. Vous allez remarquer, comme Gabriel l'a indiqué, que nous avons six jeunes membres sur notre conseil d'administration. En décembre prochain se tiendra notre réunion annuelle et nous en profiterons pour recruter d’autres jeunes membres qui sont dans la vingtaine ou la trentaine. Nous nous intéressons à la progéniture de l'union.

Tout dernièrement, nous avons fêté notre 125e anniversaire. Nous vous avons apporté un des programmes pour la soirée. Dans la revue hebdomadaire des Franco-Manitobains, La Liberté des patriotes, nous avons commandité des bandes dessinées pour intéresser les enfants. Nous incluons également des cahiers spéciaux dans La Liberté. Nous en produirons un autre prochainement.

Nous avons aussi commandité des livres. Par exemple, le 25 novembre, nous dévoilerons Les Métis au Manitoba écrit par Bernard Bocquel. Il a mis quatre ans pour faire ses recherches et écrire son livre qui contient environ 700 pages. Il s’agit d’une vraie encyclopédie des Métis au Manitoba et de l'Ouest canadien. Prochainement, nous publierons également le livre de Lucien Chaput au sujet d’Auguste Tremondan qui avait, dans les années 1930, écrit un livre sur les Métis du Manitoba. Nous avons commandité M. Chaput pour réévaluer le livre, faire certaines corrections et le publier de nouveau.

Nous faisons beaucoup d’autres choses, mais je ne veux pas prendre toute la soirée. J’aimerais vous indiquer qu'au Manitoba, l'Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba Inc., nous nous occupons de la culture et de nos jeunes Métis. C'est le grand but de L'Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba Inc.

Le président: Je donne maintenant la parole à M. Gagnon et nous poserons des questions par la suite.

Denis Gagnon, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l'identité métisse, Université de Saint-Boniface, à titre personnel: Bonsoir à tous et merci beaucoup de m'avoir invité à témoigner dans le cadre de vos délibérations. Pour débuter, je tiens à préciser que je n'ai jamais été un activiste. Je ne me suis jamais battu pour aucune cause, mais c'est devant l'ignorance entretenue et la mauvaise foi obstinée qui entourent la définition de l'identité métisse au Canada que j'ai décidé, en 2010, de m'impliquer personnellement dans la lutte que livre la communauté métisse du domaine du Roy Mingan contre le gouvernement du Québec et dans celle qui implique les 18 communautés métisses canadiennes non reconnues. J'ai toujours profondément détesté les discours et les pratiques d'exclusion et d'intimidation qui relèvent de la xénophobie, en raison des impacts destructeurs qu'ils ont sur la vie des gens.

Dans le cas qui nous intéresse, on peut se poser la question suivante: peut-on honnêtement justifier le fait que des communautés métisses soient obligées de prouver leur identité devant les tribunaux, et ce, même si l'identité qu'ils revendiquent et qu'on leur refuse est une des moins enviables et des plus stigmatisées au Canada? En tant que scientifique, anthropologue, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l'identité métisse à l'Université de Saint-Boniface, je profite de la tribune qui m’est offerte ici pour soulever trois types de paradoxe, soit les paradoxes émotif, juridique et scientifique, qui touchent la définition d'identité collective des Métis.

Le premier paradoxe de type émotif peut se résumer ainsi: « Ce ne sont pas des Métis comme nous, donc ils ne sont pas Métis ». Ce type de paradoxe représente l'acharnement de certains Métis de l'Ouest, du National Metis Council et des nations provinciales qu'il représente à ne pas reconnaître l'existence d'autres communautés métisses historiques au Canada. Quelles peurs motivent leur position parfois agressive? En quoi cette reconnaissance serait-elle une menace pour eux? Cette réaction, qu'on peut qualifier de xénophobe, se nourrit de l'ignorance et mène parfois même à la désinformation et à la manipulation des sources. Voici un exemple: un activiste métis a écrit récemment, dans une publication à grand tirage, que 350 000 individus se sont identifiés comme Métis lors du recensement de 2006; ce qui est faux. Statistique Canada en dénombre 389 785. Cette personne retranche volontairement les 40 000 Métis qui ne font pas partie des associations de l'Ouest, sachant très bien que la grande majorité des gens ne remet pas en question son expertise.

J’aborde maintenant le paradoxe de type juridique. Il est évident qu'il n'y a pas eu d’ethnogenèse métisse au Québec, nous allons donc dépenser 800 000 $ pour le prouver. Ce type de paradoxe concerne les efforts disproportionnés mis en œuvre par les gouvernements depuis 2004 afin de discréditer les revendications d'une vingtaine de communautés métisses non reconnues. Une armée de chercheurs à la solde des gouvernements est alors engagée afin de brouiller les pistes, ignorer les faits et négliger les sources qui contrediraient l'opinion du commanditaire. L'approche juridique, malheureusement, c'est la seule habituellement adoptée au Canada en affaires autochtones et elle met beaucoup de pouvoir entre les mains du juge qui doit décider du statut d’une communauté à partir des dix critères de l’arrêt Powley. Cependant, si une communauté ne rencontre que huit critères sur les dix, ou neuf, est-elle métisse à 80 ou 90 p. 100 ou n'est-elle pas métisse? Être Métis au Canada, vous l'avez vu dans le cadre de ces délibérations, c'est lutter depuis le XIXe siècle pour la reconnaissance de ses droits contre la discrimination et le racisme encore présent, et ce, pour toutes les nations et communautés, que ce soit la Fédération métisse du Manitoba ou les Métis du Nouveau-Brunswick déboutés en cour dans les causes Daigle, Castonguay et Vautour. On leur demande de faire la preuve de leur existence — ils ont le fardeau de la preuve — et de défendre leurs droits devant les tribunaux. De Guillaume Sawyer, en 1849, jusqu’à Ghislain Corneau, en 2012, 90 causes ont été ou sont encore devant les tribunaux. Vingt-huit ans de procès pour la Fédération métisse du Manitoba et ce n’est pas encore réglé; 15 pour Morin; 10 pour les frères Powley; 9 pour Hopper; 24 millions de dollars engagés par le Canada, en 2004, pour les 18 études du ministère de la Justice; 800 000 $ engagés par le gouvernement du Québec pour faire démolir une dizaine de camps de chasse qui ne valent pas 1000 $ chacun. La liste est longue et le coût social et humain très élevé pour une identité malmenée dont il faudrait plutôt prendre soin.

Troisièmement, nous avons les paradoxes de type scientifique, dont un exemple serait le suivant: s'il n'y a pas d'archives coloniales sur une communauté métisse, c'est qu'elle n'a jamais existé. Ce type de paradoxe condamne des communautés à l’invisibilité en utilisant des critères qui ne sont rencontrés que par les nations métisses de la rivière Rouge lorsqu’elle s'est dotée d'une structure gouvernementale, en 1870. L'analyse des recherches publiées sur l'absence de communautés métisses du Québec, nous a permis de relever de nombreux biais qui invalident les conclusions de leurs experts. Scientifiquement, ils utilisent un modèle d’ethnogenèse métisse pré-Powley, c'est-à-dire que leurs outils d'analyse ne leur permettraient même pas de prouver l'existence de la communauté métisse de Sault-Sainte-Marie.

Basée sur le modèle des Métis de la rivière Rouge, l'application de ce prisme aux autres communautés métisses établit immédiatement une ligne d’horizon au-delà de laquelle rien ne peut être vu en raison de l'absence de documents d'archives. De plus, les experts prennent pour acquis que les données présentées sont garantes de la réalité. Un biais dont on nous apprend à nous méfier en première année d’université. Il leur a pourtant été facile de surmonter ce biais en tenant compte des sources issues de la tradition orale, en réalisant des entrevues sur le terrain et en situant dans leur contexte de production les sources d’archives. Les experts échouent à tous les niveaux et s'opposent avec arrogance, comme des porteurs de vérité, sans manifester le moindre devoir envers la validation de leurs conclusions ni la moindre sensibilité face aux populations touchées. Dans une approche qui va à l'encontre de toute démarche scientifique rigoureuse, ces experts ont uniquement sélectionné les faits en fonction des buts à atteindre afin de parvenir à des conclusions prédéterminées.

Tout ce que l’on peut conclure de ces travaux, c’est qu’aucune communauté semblable à celle des Métis de la rivière Rouge n’a jamais existé ailleurs au Canada — et nous le savions déjà. Ces conclusions, sur une supposée absence d’ethnogenèse métisse ailleurs qu’à la rivière Rouge, sont basées sur un jugement de valeur de Peterson et sont reprises sans aucun esprit critique par les Métis de l'Ouest, et certains experts qui confondent les concepts de communauté métisse historique et de communauté politique et ethnique métisse. Pourtant, les méthodes issues de l'anthropologie historique, qui ne sont jamais utilisées au Canada dans les causes métisses, permettraient d'explorer l'histoire de ces communautés non reconnues, en allant au-delà de la ligne d'horizon définie par une histoire officielle basée uniquement sur l'étude des archives coloniales.

Il est donc aujourd'hui impératif de tenir compte des sources orales dans la définition d'une identité métisse, car les métis ont peu écrit sur eux-mêmes, et on a très peu ou pas écrit sur eux.

Pour conclure, j'aimerais vous transmettre un message de Jean- René Tremblay, président chef de la communauté métisse du domaine du Roy et de la seigneurie de Mingan au Québec.

Les métis du Nord du Québec marchent vers une reconnaissance qui est inévitable et cela est tout à l'avantage de tous les Canadiens, incluant les Premières Nations et les Métis de l'Ouest. Encore faudra-t-il, après cette reconnaissance acquise, retrouver le lien de confiance perdu et établir un dialogue permettant à chacun de contribuer à un avenir prospère pour tous les peuples autochtones peu importe l'endroit où ils habitent sur le sol canadien.

Le président: Merci professeur. Nous avons maintenant une liste de sénateurs qui désirent poser des questions. Nous commencerons avec le sénateur Patterson.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur.

Le sénateur Patterson: J’aimerais remercier les témoins pour leurs présentations. Nous sommes ravis de vous entendre, connaissant votre impressionnante histoire.

Monsieur Gagnon, pour le meilleur ou pour le pire, nous avons décidé de concentrer notre étude sur la question identitaire. Vous avez manifestement beaucoup étudié cette question. Nous avons entendu de nombreux Métis raconter qu’ils s’étaient sentis exclus de la reconnaissance du gouvernement fédéral. Vous avez déclaré que la définition du Ralliement national des Métis excluait un grand nombre de Métis et avez expliqué qu’il était nécessaire d’utiliser des méthodes relevant de l’anthropologie historique — d’après ce que j’ai compris — y compris l’histoire orale.

Peut-être tombons-nous dans le piège que vous condamnez de la part de nombreux autres intervenants, mais nous avons le sentiment qu’il s’agit là d’une question brûlante. Que nous conseilleriez-vous? Comment devrions-nous aborder la question de l’identification des Métis au Canada?

[Français]

M. Gagnon: Pouvez-vous répéter votre question, s’il vous plaît?

[Traduction]

Le sénateur Patterson: La question est très simple. Pourriez-vous nous aider à répondre à la question suivante: « Qui sont les Métis? » Comment pourrions-nous répondre à cette question sachant qu’un grand nombre de personnes ont échoué à y répondre de manière satisfaisante en s’appuyant sur l’histoire et la science, comme vous l’avez souligné?

[Français]

M. Gagnon: Le Canada a toujours choisi la voie juridique. C'est donc suite à une série de poursuites que se sont installés les critères pour définir les droits collectifs métis et une communauté métisse. Les critères dans l’arrêt Powley sont très intéressants et importants. Le juge a vraiment réussi à circonscrire l'ensemble des éléments qui permettent de définir une communauté métisse.

Justement, c'est le paradoxe des Métis de Sault-Sainte-Marie, qui n'étaient pas reconnus par la MMF ni la Metis National Council autrefois parce qu'ils ne faisaient pas partie des Métis de Fort Frances et Lake of the Woods, qui étaient The Metis Nation of Ontario et qui, du jour au lendemain, sont célébrés. Fait intéressant, dans leur discours, aujourd'hui, ils commencent à créer des liens avec cette communauté parce qu'ils n’ont pas le choix.

La même chose pourrait se faire avec le Québec, lorsque M. Tremblay parle de recréer un lien de confiance. Les liens entre les Métis du Québec et du Manitoba sont très profonds, très anciens et très riches — et Gabriel est au courant. Il suffit de questionner les Métis du Québec pour en savoir plus. Toutefois, ils ne veulent pas les entendre, on ne veut pas en entendre parler.

Dans les études que nous avons vues, on prendra les critères de l'arrêt Powley, mais on utilise le prisme en ethnogenèse métisse, développé par Jacqueline Peterson Loomis, qui ne permet que de voir les Métis de la rivière Rouge. Le problème avec les enquêtes du gouvernement et les 24 millions de dollars des enquêtes du ministère de la Justice pour les 18 communautés, est que le but, en général, est d'expliquer pourquoi il n’y a pas eu d'ethnogenèse métisse sur un territoire. On ne se pose même pas la question à savoir serait-il possible qu'il y en ait eu une, mais que l'histoire officielle ne l'ait pas reflétée pour une quelconque raison? Or, on peut identifier ces raisons, on les connaît.

Il faut voir comment l'existence des Métis de l'Ouest est arrivée à ce niveau d'archive. C’est qu’ils étaient en conflit avec des compagnies de traite. On a écrit sur eux parce qu'ils étaient en conflit.

On retrouve d'autres endroits au Canada où les communautés métisses n'ont pas créé de conflit. Ils ont vécu la discrimination et le racisme. On les appelait sauvages au Québec; sauvages les gens qui vivent dans le bois, ils n’ont pas de manières.

 Dans toutes les études qu'on a effectuées au Canada avec les communautés métisses exclues et les communautés métisses, le point commun est la discrimination, la stigmatisation et le racisme. C’est une identité qui est peu enviable encore aujourd'hui. Je vis à Saint-Boniface. Je connais de jeunes Métis. Je sais les difficultés qu'ils ont vécues. Quand on entend des gens dire que c'est rendu cool ou intéressant d'être Métis, c’est faux. C’est encore très difficile au Manitoba et au Canada.

Ces communautés qui se définissent elles-mêmes comme métisses, ce serait la moindre des choses de leur demander pourquoi, plutôt que d’engager des gens et leur demander les raisons pour lesquelles il n’y a pas eu d'ethnogenèse.

C’est le problème avec le Nouveau-Brunswick. Je crois que l'anthropologie historique, avec ses méthodes, permettrait de pallier à l’absence des sources d'archives pour pouvoir connaître l'histoire de ces gens. Ils ont une tradition orale fascinante — Gabriel peut vous en raconter. Ils se rappellent de la guerre de 1812 et des guerres franco-indiennes. Ils ont une connaissance incroyable, mais ils ne l'ont pas écrite et nous ne l'avons pas écrite.

À mon avis, l'anthropologie historique permet d’aider, et c'est ce que je fais depuis plusieurs années: je cherche à les aider.

En passant, l'Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba, lorsqu’on en parle à la Manitoba Metis Federation, ils nous répondent qu’ils sont des assimilés. Ils ne sont plus des Métis, ce sont des assimilés. Ils cherchent même à exclure les fondateurs de la première union métisse au Manitoba. On cherche à les exclure. C'est un discours qui est xénophobe, cette peur de l'autre. Il faudrait identifier pourquoi ils ont si peur qu’il existe d’autres Métis au Canada. En quoi cela leur enlèverait quelque chose?

M. Savoie: Je vais vous donner un exemple concret. Mon arrière grand-mère était une Vertefeuille. Elle venait du Nord du Québec. Vertefeuille est un nom qu'on ne retrouve pas en Europe. Et même aujourd’hui, à la MMF, parce que c'est au Québec, on dit qu'elle n'était pas métisse. Elle avait les tresses. J'ai des photos, il ne manque que la plume. Elle était bel et bien Autochtone, mais, d'après certains, comme le professeur Gagnon vous l’a indiqué, à toute fins pratiques, elle et sa progéniture ne sont pas des Métis.

C'est un peu difficile à avaler, vous savez. Surtout lorsqu’en famille on a des traditions qui sont descendues de père en fils, de mère en fille, pendant trois, quatre, cinq, six générations. Se faire dire que nous ne sommes pas Métis, c'est un peu insultant, je vous l'assure.

M. Gagnon: C'est de priver des individus de l'identité qu'ils se donnent. C'est un des droits humains les plus sacrés que de se présenter tel qu’on est. Or, on les oblige à aller défendre ce droit devant les tribunaux. À mon avis, c'est d'un ridicule profond. Et j'ai appelé ce fait « trois types de paradoxes ». C’est tellement ridicule qu'on le prend comme quelque chose qui va de soi. Vous dites que vous êtes Métis? Venez nous le prouver. On ne demande à personne d'autre au Canada de prouver qui ils sont.

Voulez-vous que je vous prouve que je suis Québécois ou que j’étais Québécois? On ne me demande pas de le faire. Or, on leur demande.

Et quels sont les droits? C’est un autre point important dont le comité devrait tenir compte. Ce ne sont pas tous les Métis qui ont les mêmes besoins.

Regardez ce que revendiquent les Métis du Québec, depuis quand et pourquoi, ce que revendiquent les Métis du Nouveau-Brunswick, depuis quand et pourquoi, et la lumière se fera.

Regardez, par exemple, les problèmes sociaux des Métis de Saint-Boniface, de Winnipeg, qui sont particulièrement graves. Ces gens ont beaucoup plus besoin d'aide et des programmes sociaux. Au Québec, ils n'ont pas besoin de programmes sociaux, de programmes de logement ou d'éducation. Ce qu'ils demandent, c'est tout simplement de continuer de pratiquer la chasse de subsistance qu'ils font depuis près de 300 ans. C'est leur seule demande. Et on leur demande de prouver leur identité pour un droit qu'ils croient acquis.

Au Manitoba, dans l’Ouest, en Saskatchewan, le cas est différent. Dans le Nord, pour les communautés nordiques, c'est la même chose. Ils ont des problèmes plus urgents, plus pressants et plus complexes également. Cette lutte identitaire entre les Métis eux-mêmes, je crois qu'elle empêche d'avoir une vision peut-être plus juste. Plutôt que de dire qui est Métis et qui ne l'est pas, on devrait dire: très bien, ces gens se disent Métis. Connaissez-vous beaucoup de gens qui se présentent comme étant Métis, comme communauté?

Le président: Quand j’ai grandi, les gens du Québec ne voulaient pas être métis. Quand j’ai grandi, on était Michif. Et les Écossais du Nord, c'était des half-breeds. Mais la plupart des gens du Québec ne voulaient pas parler s'ils étaient Métis ou Autochtone. Finalement, on a déclaré des droits, toutes sortes de programmes, on a dit qu’il y a la chasse. Tout le monde sort du bois et ils veulent avoir ceci ou cela.

On avait une langue, on parlait le michif. Ils parlaient le michif à Saint-Eustache et à Saint-François-Xavier. Les gens du Nord parlaient l’anglais. Mais vraiment, on avait une région, on avait une langue, on avait un gouvernement avec Riel.

Comment se fait-il que vous dites aujourd'hui qu'il n'y avait pas un gouvernement alors que tout a commencé? C'est là qu’a commencé l'identité des Michif. Je me rappelle, quand j'ai grandi à Saint-François-Xavier.

Je vous pose donc la question. Vous voulez des Métis du Labrador, de Victoria et de tous ces endroits. Il se pourrait qu'il y en ait à ces endroits. Toutefois, ils ont commencé quelque part. Les Français viennent de France et parlent la langue française. Les Allemands viennent de l’Allemagne. Tout le monde vient d'une région. Expliquez-moi pourquoi vous ne considérez pas ce fait dans vos réponses, professeur.

M. Gagnon: C'est un peu le premier paradoxe que j'ai présenté: ce ne sont pas des Métis comme moi, donc ils ne sont pas Métis.

Vous parlez de Saint-François-Xavier et de Saint-Eustache, qui étaient des communautés métisses. À Saint-Boniface, dans les années 1930, 1940 et 1950, les gens cachaient leur identité. Les jeunes Métis dont parlent Gabriel et M. Savoie sont des enfants qui ont retrouvé leur identité, et ce, contre l'avis de leurs parents. Les parents leur ont dit de ne pas dire qu’ils sont Métis, et les jeunes l'ont fait quand même. Ils sont des dizaines, contre l'avis de leurs parents, à se redécouvrir. Or, on leur dit aujourd’hui qu’ils sont des opportunistes: « Vous voulez des bourses ». Ces jeunes redécouvrent leur culture et leur identité. J'ai connu des gens qui ont appris leur identité métisse à 40 ans, lors du décès de leur père. Ils ont demandé, « maman, qui sont ces Indiens qui viennent à la maison? » On leur a répondu, « c'est ta famille, on est Métis ». Depuis ce temps, c’est une grande ambassadrice de la culture métisse. Certains diront que ces gens ne sont pas Métis parce qu’ils se sont cachés.

Au Québec, pourquoi les gens ne le disaient pas? C’est à cause de la discrimination. Pourquoi à Saint-Boniface les gens cachaient leur identité métisse? C’est à cause de la discrimination et du racisme.

Aujourd'hui, une ouverture s'est faite, en 1982, puis il y eut l'enquête auprès des peuples autochtones. Les gens se sont rendus compte de l’existence de l’identité métisse. Ils ont ouvert un espace social que des individus ont investi. Ce n'est pas tout le monde au Québec qui revendique une identité métisse. Allez dire à quelqu'un au Québec qu’il est Métis et regardez sa réaction.

Encore une fois, on parle de communautés. Ce sont des droits collectifs dont il est question et non des droits individuels. Ce sont des communautés métisses. Ce sont des gens qui répondent aux critères, et c’est ce qu’ils vont essayer de prouver en cour, en espérant que le juge ait l'ouverture d'esprit, comme dans la cause Powley. Même la cause Powley de Sault-Sainte-Marie ne tombera pas avec les Métis dont vous parlez. Ils n’ont aucun lien avec les Métis de la rivière Rouge. C'était les « Saulteux » , qui étaient à Sault-Sainte-Marie et qui sont venus ici par la suite. Toutefois, là-bas, ils n’ont pas eu de gouvernement provisoire. Ils n’ont jamais eu de gouvernement. Peterson ne voulait pas reconnaître les Métis de Sault-Sainte-Marie. Le juge le fait dans le jugement Powley parce qu'il dit qu'ils répondent aux critères Powley.

Il y a donc les Métis de la rivière Rouge. Et même au Manitoba il y a plusieurs types de Métis. Vous avez parlé des half-breeds. On pourrait parler aussi des Métis de Turtle Mountain, qui ne sont pas les mêmes que les Métis de Saint-Boniface et de Saint-Vital. Les Métis n'étaient pas tous chasseurs de bison. Il y avait des entrepreneurs, des agriculteurs, des enseignants, des avocats, des professionnels. Il y avait même une bourgeoisie métisse à Saint-Boniface dans les années 1880 et 1890. Aujourd'hui, ce qui règne, c'est l'image du Métis chasseur de bison: « nous sommes les seuls Métis; les autres ne le sont pas ».

Alors c'est dans ces eaux que je navigue. J'essaie de comprendre un peu les enjeux, pourquoi les gens se positionnent ainsi, comment ils réagissent, comment ils se replacent. L’identité est quelque chose de fluide. Elle peut être liquide, monolithique ou solide. Lorsqu’elle est monolithique, c'est très dangereux. Mais l’identité est une chose qui se recompose toujours, qui se redéfinit selon les époques, les besoins et selon l'histoire.

Je suis né Canadien, je suis devenu Canadien français, puis je suis devenu Québécois. Cela ne m'a pas changé comme individu. Aujourd’hui, je suis redevenu Canadien. Pourtant, je suis la même personne.

L'identité est fluide. Toutefois, ce sont des individus dont on parle et non des objets. On ne les envoie pas à une association de normalisation. Ce sont des gens qui ont une sensibilité, qui ont leur vie et veulent défendre leurs droits. Ils présentent ce qu’ils sont, et il serait respectueux de dire, très bien, on va essayer de comprendre pourquoi, plutôt que leur dire qu’ils ne sont pas ce qu’ils prétendent être.

[Traduction]

Le sénateur Dyck: La question est évidemment très complexe. Il m’est même difficile de m’exprimer sur le sujet.

Nous étudions la question depuis peu de temps. Nous venons juste d’accomplir un voyage de deux semaines dans les quatre provinces de l’Ouest et dans les Territoires du Nord-Ouest, et nous avons entendu en partie ce que vous avez dit aujourd’hui. L’identité des Métis est manifestement une question importante. Il faut déterminer qui doit décider. Bien sûr, on entend souvent dire que les personnes concernées devraient décider elles-mêmes, dans la mesure où elles savent qui elles sont et où elles peuvent se définir elles-mêmes; mais lorsque des programmes, des services et des places réservées au motif de l’équité sont offerts aux Métis et lorsque certaines personnes, dans une université par exemple, doivent prendre une décision à ce sujet, le problème continue de se poser. Un membre du collège de médecine de l’Université de la Saskatchewan nous a raconté qu’une personne manifestement non métisse avait demandé une place réservée au motif de l’équité et qu’elle avait, à cette fin, produit un certificat acheté auprès d’une organisation en Ontario. L’organisation est en fait recensée sur le site web du ministère des Affaires indiennes. La personne a payé son certificat, puis a demandé à être admise à l’université puisqu’elle répondait aux critères demandés.

Certes, l’argument selon lequel les personnes devraient prendre les décisions qui les concernent est convaincant, mais si nous proposons des places réservées, des programmes et des services, quelqu’un doit préciser comment exclure les personnes qui ne peuvent pas se réclamer de leurs origines métisses, mais qui le font quand même. Comment devons-nous agir dans ce cas?

[Français]

M. Gagnon: Comme je le disais tout à l’heure, il s’agit de cibler les programmes selon les besoins des communautés. Les nations métisses de l’Ouest sont déjà bien organisées. Le Ralliement national métis s’en occupe assez bien. Malheureusement, des fraudeurs, il y en aura toujours. On trouve toujours des gens qui tenteront d’avoir ce qui ne leur est pas dû. Il faudra en faire notre parti. Toutefois, il faut cibler les programmes selon les communautés et leurs besoins.

Au Québec, il n’y a pas de besoin en éducation, ni pour le logement, ni en santé. Ces gens vivent, si on veut, une vie plus près de la majorité. Ce qu'ils demandent, simplement, c'est de pouvoir encore faire de la chasse de subsistance, comme ils le font depuis 300 ans. C'est cela, c’est tout ce que les Métis demandent. J’ai entendu des choses comme « on va donner des droits de chasse à tout le monde »; non, ce n'est pas tout le monde qui les demande, ce sont quelques individus seulement qui disent qu'ils rencontrent les critères du jugement Powley. Ils sont une communauté Métis historique, une communauté Métis contemporaine, et ils vont être capables de nommer leurs propres membres eux-mêmes, pour avoir la chasse de subsistance.

C'est la même chose à Sault Sainte-Marie; les problèmes sociaux que vivent les Métis de l'Ouest sont plus criants, les Métis de l’Ouest sont beaucoup plus nombreux que dans les autres provinces. Ils ont besoin de beaucoup plus d'aide de la part du gouvernement, et je crois que, déjà, cela fonctionne assez bien pour eux. Ce sera à eux, dans l'Ouest, de décider comment on établit les listes de membres pour qu'il n’y ait pas de fraude, comme vous l’évoquez.

Mais pour ma part, le problème qui m'intéresse surtout, c'est celui de ces 18 communautés que le Canada ne veut pas reconnaître comme étant des communautés métisses. Ce sont ces gens qui m'intéressent, c'est avec eux que nous travaillons, c'est là que nous faisons des enquêtes ethnographiques. Nous allons sur le terrain, nous allons rencontrer les Métis Dénés, les Métis du Grand lac des Esclaves; nous avons des grands projets de terrains avec ces gens pour essayer de les aider dans la lutte qu’ils mènent, parce que cette lutte est très inégale. Le gouvernement ne veut pas les reconnaître et va faire de ce qu’il faut pour cela, faire traîner les choses en cours pendant des décennies s’il le faut, afin d’épuiser les gens. Les frères Powley ont eu un courage et une détermination que peu gens peuvent avoir. La plupart vont lâcher avant ça. C'est cela que j’aimerais, si je le peux, empêcher ce qui, pour moi, est une injustice présentement.

[Traduction]

Le sénateur Dyck: Vous avez dit travailler avec 18 communautés. Pourriez-vous transmettre au comité une liste des communautés qui ont été exclues?

[Français]

M. Gagnon: Premièrement, c'est un projet que j'ai soumis au Conseil de recherche en science humaine du Canada pour l'an prochain. Avec la Chaire de recherche on n'a malheureusement pas les moyens d'entreprendre cela. Le projet est en cours; j'ai travaillé avec beaucoup de communautés de l'Est par contre. Ces communautés peuvent être trouvées sur le site du ministère de la justice dans le cadre des 18 études, qui sont l’objet des 24 millions de dollars qui ont été dégagés en 2004. Cela a été très peu publicisé. J'ai fait un article dans la revue Recherche amérindienne au Québec, j'ai même appelé un avocat pour lui demander si j'avais le droit d'en parler, parce qu’il n’y a pas eu de publicité pour ces études. Il y a le bas Fraser, Wabasca-Desmarais; il y en a dans le nord du Manitoba, dans toutes les provinces — toutes les provinces sont touchées — il y a les Métis du Labrador également. Je pourrais vous faire parvenir la liste si vous voulez.

[Traduction]

Le sénateur Dyck: Vous avez probablement répondu à ma question suivante. La semaine dernière, un autre témoin nous a expliqué que le ministère de la Justice avait réalisé une étude et avait examiné des communautés dans l’ensemble du Canada. Sur le site web du ministère de la Justice, hier justement, j’ai découvert une liste de 15 communautés examinées par le ministère, mais pratiquement aucune constatation. C’est probablement lié à ça. Le ministère ne communique pas les principales constatations de l’étude. Il divulgue quelques informations, mais très peu. Vous avez peut-être plus d’information à ce sujet.

[Français]

M. Gagnon: À ce moment-là, il faudra voir avec la Loi sur le droit d'accès à l'information si on peut l’obtenir. J'ai connu des gens qui ont travaillé sur ces causes avec les Métis du Labrador, avec les Métis de la Côte Nord. Leur rapport a été tabletté parce qu'il prouvait l'existence de communautés métisses selon les critères de l’arrêt Powley. Pour d’autres communautés, ça s’est réglé à l’amiable. Au Québec, c'est le ministère de la Justice qui a pris les choses en main, et c’est le procès Corneau.

[Traduction]

Le sénateur Dyck: Vous avez également déclaré qu’il est difficile de déterminer légalement qui est une personne métisse parce qu’on se fie trop aux archives coloniales. Un des témoins a raconté avoir vu des commissaires des certificats des Métis partir à la recherche de personnes prêtes à présenter des demandes de certificat. L’alphabétisation faisait également partie de la solution.

Existe-t-il un précédent jurisprudentiel du recours à la tradition orale dans le système juridique au Canada ou dans d’autres pays? Cet élément pourrait-il être appuyé par d’autres études de même nature?

[Français]

M. Gagnon: Selon moi, non. Ce sont les premières. Disons que pour les nations métisses de l'Ouest, la chose n'était pas nécessaire. Leur histoire dans les archives coloniales était assez évidente et, en raison des injustices dont ils ont été victimes lors de l'attribution des scrip, lors des deux résistances, cela a fait en sorte qu’on a reconnu qu'ils étaient des Autochtones et qu’on reconnaît leurs droits aujourd’hui.

Pour ces autres communautés, elles ne sont pas entrées en conflit avec le gouvernement ou avec des compagnies de traite. Elles sont restées en marge, dans l'ombre de l'histoire. L'histoire ne s'intéresse habituellement qu'à des thèmes très particuliers qui vont toucher l'économie ou la politique. Elle ne s’intéresse pas habituellement à l’histoire orale des populations ou à leurs traditions. Mais ce qui est intéressant c’est que les gens en ont une et continuent à se la raconter.

Ce serait très intéressant et important de faire une étude ethnohistorique sur ces populations qui sont dans une zone grise entre les peuples autochtones et non autochtone, qui peuvent plus ou moins bénéficier des services auxquels, dans certaines régions, ils auraient droit — des droits de chasse ou de pêche. Pour ces communautés, selon moi, la façon de procéder serait de faire une série d'enquêtes orales pour connaître leur histoire, parce que c'est fascinant, c'est très riche, très intéressant. On en a entendu beaucoup de la part des Métis du Québec; c'est une histoire qui n'a jamais été écrite parce qu'elle n'intéresse personne d'autre qu'eux mêmes. Aujourd'hui, il faut se pencher sur ces communautés-là.

[Traduction]

Le sénateur Raine: Ce témoignage est intéressant et je remercie M. Dufault des documents qu’il nous a fournis sur sa communauté et la pièce que nous avons devant nous.

Lors de notre voyage dans différentes régions du pays et de nos discussions avec des Métis et des personnes issues de différentes communautés, il nous est apparu clairement que leur histoire avait évolué de manière bien différente, mais qu’un fil conducteur reliait ces personnes, que vous pourriez probablement appeler la « métisseté ».

Monsieur Dufault, je me demande comment vous décririez la « métisseté »?

M. Dufault: Il existe le terme métissage en français, qui désigne, je pense, cette notion.

Le sénateur Raine: Comment le décririez-vous? De quoi s’agit-il?

M. Dufault: Le métissage, dans mes livres, désigne le mélange de sangs. Je pense que c’est sa signification de base.

Le sénateur Raine: Nous évoquions le fait qu’aujourd’hui, avec les nouveaux règlements, certaines personnes peuvent revendiquer le statut de membre de Première nation.

M. Dufault: Effectivement, en vertu du projet de loi C-31.

Le sénateur Raine: Mais les gens disent que s’ils décidaient de se déclarer, ils le feraient dans l’éventualité d’en tirer un avantage.

M. Dufault: Un avantage immédiat.

Le sénateur Raine: Pourtant, ils disaient: « Je reste Métis; je ne suis pas un membre d’une Première nation. Je me sens Métis au fond de mon cœur. » Un homme a raconté que lorsqu’il voyage et s’arrête dans un café, dès les premiers mots échangés avec la personne assise à côté de lui, lui et son interlocuteur reconnaissent instantanément s’ils sont Métis. À partir de là, une discussion s’ensuit sur leurs liens familiaux avec telle ou telle personne, l’endroit d’où ils viennent, et cetera. Un lien existe et il s’agit d’un lien culturel, qui n’a rien à voir avec des avantages, des privilèges ou des droits.

Lorsque je réfléchis à l’identité métisse, j’en conclus qu’elle correspond à ce que nous souhaitons promouvoir et transmettre aux jeunes et aux enfants, à savoir cette fierté ancrée dans votre histoire et vos racines. Cette fierté s’exprime de manière très différente chez une variété de personnes, mais il existe un lien. Je crois que finalement la chose la plus importante est de…

M. Dufault: Se définir soi-même.

Le sénateur Raine: Se définir soi-même, oui, mais également ne pas trop s’inquiéter de savoir si on est inscrit ou pas, recensé sur une liste ou admissible à ceci ou cela. Franchement, je pense que tous les Canadiens qui ont besoin d’aide devraient être assistés en fonction de leurs besoins et non pas de leur origine ethnique.

Quand je pense à la merveilleuse culture des Métis, ce qui m’attriste le plus, c’est de constater que les personnes non métisses ne la connaissent pas et ne la comprennent pas. Cette culture n’a pas été mise à l’honneur dans nos musées, nos livres d’histoire et nos ouvrages scolaires; pourtant dans ma province, la Colombie-Britannique, pratiquement toutes les communautés ont été fondées par des Métis, qui sont arrivés, se sont installés et sont restés. Nous n’avons jamais appris cette histoire et nous le devrions.

M. Dufault: Je ne crois pas que nos livres d’histoire au Canada aient été très éloquents sur le sujet. Certains d’entre eux ont même dénigré les Métis.

Le sénateur Raine: Effectivement. Ce n’est que récemment qu’on a cessé de considérer Louis Riel comme un traître et qu’on l’a reconnu comme le fondateur du Manitoba et probablement de l’Ouest. L’histoire se révèle aujourd’hui, et je pose la question. Qu’est-ce qui est le plus important: la célébration de votre histoire et de votre culture, ou l’admissibilité à des avantages ou à des droits?

M. Savoie: C’est subjectif.

Prenons l’exemple du documentaire sur la guerre de 1812. Si je me souviens bien de mes cours d’histoire, les batailles étaient remportées par un camp, puis par l’autre, et ainsi de suite. Le vent a tourné avec l’arrivée de Tecumseh et de ses hommes et, l’histoire le dit, des voyageurs franco-canadiens. La plupart d’entre eux étaient Métis. Ils étaient bien meilleurs tireurs que les Autochtones et, par conséquent, ont contribué à la victoire de ce qui est aujourd’hui le Canada.

Ces faits sont-ils enseignés aux jeunes? Leur dit-on que la victoire a été remportée grâce à l’appui des Métis? Ces faits ne sont même pas mentionnés. Alors encore une fois, pour répondre peut-être aux questions de madame la sénatrice Dyck, pourquoi exigeons-nous des preuves dans autant de cas, même entre nous? Les exemples abondent.

Il y a quelques années, ma petite-fille était une bonne joueuse de hockey. De fait, elle jouait dans l’équipe des Bisons de l’Université du Manitoba. Elle avait obtenu une bourse d’études complète pendant cinq ans. Avant son entrée à l’université, la Fédération des Métis du Manitoba lui a proposé de jouer dans son équipe pour la compétition canadienne des équipes autochtones. Pour cela, il lui fallait un certificat de Métis. Elle est venue me voir et m’a demandé: « Sommes-nous Métis? » Je lui ai répondu: « Bien sûr que nous sommes Métis. » Nous avions un certificat de l’Union nationale, mais cela ne suffisait pas. Il leur fallait un certificat de la Fédération des Métis du Manitoba. Je suis allé à la Fédération des Métis du Manitoba avec les documents requis et ils m’ont dit: « Oui, vous êtes Métis », et a donné son certificat à ma petite-fille.

Mais le plus éloquent, c’est que ma petite-fille est venue me voir et m’a dit:

[Français]

 « Papa, pourquoi faut-il que j'aille à la MMF pour me faire dire que je suis métisse? »

[Traduction]

Ceci répond à quelques-unes de vos questions.

Il m’est difficile de paraître devant vous et de raconter ça sans émotion, parce que ça fait mal. Vous en avez parlé il y a quelque temps. C’est blessant. Même nos propres gouvernements — les gouvernements provincial et fédéral — qui n’ont aucune forme d’ordonnance, continuent de nous demander des preuves chaque fois que nous voulons faire quelque chose.

Prenez le certificat d’exploitant. Pourquoi les quelques personnes qui ont besoin de ces certificats doivent-elles subir toutes ces tracasseries? Un grand nombre de personnes, même chez les Métis, ne chassent plus. Pour les quelques chasseurs qui restent, nous pourrions dire: « Tu es Métis, voici ton certificat d’exploitant. » Pourquoi leur demander tout ça? Pourquoi toutes ces preuves, comme le dit M. Gagnon? Qu’est-ce que cela signifie?

J’espère avoir répondu à certaines de vos questions. Veuillez excuser mon émotivité.

Le sénateur Raine: Je vous remercie pour votre témoignage. Ce sentiment est très fort et votre petite fille a raison. Vous savez qui vous êtes. Comme l’a expliqué madame la sénatrice Dyck, lorsque vous êtes en poste et que vous avez un nombre limité de places pour les Métis dans la réserve, lorsque vous recevez 10 demandes pour 5 places, vous avez intérêt à vous assurer de donner les places aux personnes admissibles.

M. Savoie: À cause de la personne qui ne fait pas l’affaire, devez-vous refuser les quatre autres? Il est vrai que la question est complexe.

Le président: Il ne fait aucun doute que les Canadiens ont le droit de savoir. En 1982, notre peuple a été ajouté à l’article 35 ou est entré dans la Loi constitutionnelle à titre de peuple autochtone. Mais cet ajout était assorti d’une obligation. Les gens demandent: « Qui sont ces personnes? » Le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau, en ajoutant les Métis dans la Loi constitutionnelle de 1982, avait la responsabilité de définir le peuple qu’il désignait par le nom de « Métis ». Pourquoi ceci n’a-t-il pas été clarifié, monsieur? Il y avait là des professeurs et des professionnels. Pourquoi n’ont-ils pas clarifié cette définition? C’est la question que je me pose, pour ma part, car je sais très bien qui je suis. J’ai toujours été Métis et me suis toujours défini comme un Métis.

Monsieur Dufault, vous savez que je me suis déclaré Métis dès le premier jour. De fait, j’ai été accusé — et ça a été écrit — de m’être présenté comme le tout premier Métis à devenir ministre. On m’a fait remarquer que je n’étais pas le premier Métis au sein du Cabinet et j’ai répondu que je ne l’avais jamais été, mais que j’étais le premier membre du Cabinet à s’être déclaré Métis. Je savais qu’il y avait eu un ministre avant moi, qui ne s’était pas déclaré Métis. Je crois qu’il s’était déclaré franco-canadien à l’époque. Voilà quel est le défi.

C’est facile de se présenter et de parler, mais en tant que Métis, je suis convaincu que les Canadiens ont le droit de savoir ce que le gouvernement entendait par « Métis » dans l’article 35. Nous avons l’arrêt Powley maintenant, et M. Savoie parle de « quelques chasseurs ». Nous avons assisté à l’arrivée massive de personnes désirant chasser, à Batoche et dans les environs, au moment où le site a été ouvert. Les gens sont venus, car ils avaient entendu dire qu’au nord d’un certain point, ils pourraient chasser, et ils ont surgi de nulle part.

Il faudrait des contrôles, mais la question est complexe. Cela ne fait aucun doute.

Avez-vous d’autres questions, madame la sénatrice?

Le sénateur Raine: Non, mais je pense que M. Dufault aimerait prendre la parole.

M. Dufault: L’article 35 de notre Loi constitutionnelle de 1982 a inclus les Métis pour la première fois, et c’est grâce à Harry Daniels.

Le président: C’est exact.

M. Dufault: Il a forcé des mains.

Le sénateur Raine: Pensez-vous que l’inclusion des Métis dans la Loi constitutionnelle les a aidés à être fiers de leur héritage?

M. Dufault: De nombreux Métis ne le savent même pas.

Le président: Ne pensez-vous pas cependant que les Canadiens ont le droit de savoir qui est ce nouveau groupe de personnes? Avant ça, les Autochtones désignaient les Inuits et les Indiens. Soudain, un troisième groupe apparaît. Je ne veux pas argumenter. Nous cherchons des réponses, afin de pouvoir communiquer de l’information sensée au grand public.

Nous sommes responsables devant les Canadiens. Il se trouve que je suis Métis et que je préside ce comité, mais j’ai une responsabilité vis-à-vis du Canada. Je dois répondre au Sénat et à tous les Canadiens, comme le font les membres de mon comité ici présents, qui sont aptes à le faire et, dans bien des cas, plus aptes que moi. C’est la question. Dans une certaine mesure, c’est ce qui a déclenché l’ensemble de l’étude.

M. Savoie: Une partie de la réponse a été donnée par M. Gagnon. Votre problème, dans le fond, tient au fait que si vous n’êtes pas un Métis du Manitoba ou une personne considérée comme telle, alors vous n’êtes pas Métis, point final. Puis les Métis du Québec, de la Colombie-Britannique et d’ailleurs sont mis de côté. Voilà d’où vient une partie du problème. Il faut résoudre cette question et expliquer que les 18 communautés qui ont été écartées et oubliées ne possèdent pas de statut. Une grande partie du problème est liée à cette situation. Si ces communautés étaient reconnues, la tâche serait plus simple. Je pense que vous avez raison. Qui sont ces personnes? Ces personnes viennent de X, de Y, de Saint-Boniface ou d’ailleurs. Elles appartiennent à des communautés métisses et se définissent comme des Métis. Cette reconnaissance simplifierait la tâche et permettrait de vérifier très facilement le statut des personnes qui présentent leur candidature à des postes universitaires sans qu’elles soient obligées d’assumer le fardeau de présenter des preuves. La situation doit être corrigée. Je ne veux pas critiquer la Fédération des Métis du Manitoba, mais c’est ainsi que cela se passe. Si vous ne venez pas d’un certain secteur et ne faites pas partie des familles de ce secteur, vous n’êtes tout simplement pas Métis; merci beaucoup. Cette situation pose problème.

[Français]

M. Gagnon: Pour être bref, le Canada n'a jamais voulu de Métis sur son territoire et a toujours tout fait pour qu'ils n’existent pas. L'être humain étant imprévisible dans ses activités, il y a eu un peuple métis au Canada dans toutes les provinces, sur tout le territoire, et c'est un peuple fondateur qu'on ne veut pas reconnaître. Les Métis sont un peuple fondateur au Canada, et ce serait un de mes rêves qu'ils soient reconnus officiellement comme peuple fondateur. Ils ont été partout, de toutes les luttes, de toutes les explorations, de tout le développement du pays, dans son entier, de l'Atlantique, de l'Acadie jusqu'à la Colombie-Britannique et même jusqu’à la Louisiane et l'Oregon. Ils étaient partout aux États-Unis également — Kansas, Arkansas — ils sont partout en Amérique. On ne veut pas d'eux au Canada ni aux États-Unis.

Au Canada, avec les traités numérotés, on va séparer les gens, « inscrivez-vous dans une bande indienne », ils s'inscrivent comme Indiens; « d'autres, dites que vous êtes Blanc. Choisissez. » Il n’y a pas de place pour les Métis. On va essayer de régler le problème de cette façon. Probablement que des centaines de milliers de personnes ont une identité qu'ils ont choisie parce qu'ils ont pu faire le choix; d'autres non, ils ont résisté et, encore aujourd'hui, ils se disent Métis.

Le problème, le danger surtout, en tant qu’anthropologue, on est toujours porté à voir les conséquences non intentionnelles de l’action. En 1982, le gouvernement reconnaît les Métis, il n’a pas vu plus loin que le bout de son nez. Qui sont-ils et qu'est-ce que cela va donner? Il a ouvert un espace identitaire qui aujourd’hui fait que cette commission est là. Le Canada n'en veut pas. Là, je vois que le Canada va faire d’eux des Indiens en définissant l'identité, en figeant l’identité métisse.

Ccomment cette identité se transmettra-t-elle? Y aura-t-il ces C-31, des 6.1, des 6.2? Comme pour les Indiens, assistera-t-on à leur extinction à moyen terme? Les Métis, qui vont se métisser, vont-ils perdre leur statut métis? Cela fait des années que je crie cela. Personne n’écoute, personne ne veut entendre. C'est ce qui s'en vient. Lorsqu'on aura figé l'identité métisse, on signe leur extinction à moyen terme parce qu’on va les obliger à devenir des Indiens de la même façon. C’est le problème. Il y a les 6.2 et le stigmate est là, la discrimination est là. Je les connais, j’en connais au Québec qui se font fait appeler C-31 toute leur vie. Leurs enfants se font dire qu’ils sont des 6.1, des 6.2, c'est une stigmatisation incroyable. Il y a un danger de dérapage en allant dans cette définition identitaire qui fera qu’on va seulement poursuivre une stigmatisation encore plus fine et difficile.

Je suis Canadien français d'origine québécoise, j'ai des droits linguistiques au Manitoba, au Canada, et on ne me demande jamais de faire la preuve que je suis Canadien français. Et cela devrait être la même chose pour les Métis.

[Traduction]

Le sénateur Raine: Monsieur Gagnon, avez-vous étudié les Samis de Scandinavie? Certains Samis de Norvège ont comparu devant le comité et témoigné. Le cas des peuples autochtones de Norvège s’est avéré très intéressant. Ils ont le droit d’élire des représentants au Parlement norvégien. Un territoire de pêche leur est exclusivement réservé dans le Grand Nord de la Norvège et ils sont le seul peuple autorisé à rabattre les rennes au nord de la Norvège. Ils sont dispersés dans l’ensemble du pays, mais ils se définissent comme des Samis. Lorsque je leur ai demandé quels étaient leurs droits en tant que Samis, ils n’ont pas compris. Je leur ai expliqué qu’ils bénéficiaient peut-être d’avantages supplémentaires en matière de santé ou de programmes d’éducation. Ils ont répliqué qu’ils avaient exactement les mêmes avantages que tous les Norvégiens: un bon système de santé et un bon système d’éducation. Ils bénéficient des mêmes services que tous les autres Norvégiens. Je leur ai demandé ce qui pouvait les motiver à se définir comme des Samis. Ils ont répondu sans hésiter que c’était parce qu’ils étaient fiers d’être des Samis et voulaient préserver la langue et la culture samies. Il m’a semblé que cet objectif pourrait très bien convenir aux Métis. Avez-vous pensé à cela?

[Français]

M. Gagnon: La Norvège a un peuple autochtone. Au Canada, on en a 300, qui ont des besoins différents, qui ont une histoire différente, qui ont vécu l’histoire coloniale de façon très différente dépendamment qu’ils étaient Mohawk, Aïda, Gwitch’n ou autres. Là-bas, les Samis vivent dans le fin fond du monde avec un troupeau de rennes, leur territoire n’a jamais été menacé, on ne les a jamais déplacés, ils n'ont jamais eu à éteindre leurs droits autochtones. C’est un cas vraiment particulier qui se compare peut-être difficilement en raison du nombre. Ils sont une nation, les Samis, mais ce qui m’intéresserait, c'est est-ce qu’il y a des Métis Samis? Disons qu’avec la Chaire de recherche, on travaille avec des communautés métisses dans plus de cinq pays dans le monde. Les Métis Yacoute en Russie s’appellent des Métis. C'est la même histoire mais qui va dans l'autre sens; on a développé l'Est de la Russie de la même façon que s’est développé l'Ouest canadien. On travaille aussi avec des Métis Aïnou qui sont les aborigènes japonais. Le point commun dans toutes les études métisses que nous faisons, dans tout ce que j’ai vu au Canada, c'est la discrimination.

Partout dans le monde, les gens métissés vivent la discrimination sauf lorsque c'est la norme. Lorsque c'est la norme, que devient la discrimination? La teinte, la couleur plus ou moins foncée. Là, cela se précise encore plus. Au Canada, on n'a jamais voulu de Métis; il y en a. La France a essayé durant 50 ans d’histoire coloniale de créer un groupe métis à Madagascar; ils n'ont jamais réussi. L'être humain est imprévisible. On ne sait pas comment les rencontres entre les groupes humains vont se dérouler. Au Canada, cela a très bien été entre les Français et les Indiens. Il y a eu une amitié, un amour qui s’est établi. Cela n'a pas été le cas avec les autres groupes qui sont venus par la suite, mais avec les Français, immédiatement, et en quelques générations, les Métis sont partout sur le territoire, de l’Acadie jusqu’au Nouveau-Mexique et en Californie. Dans certains pays, la chose est impossible.

Donc, ce sont des choses qui étaient imprévisibles. On ne savait pas comment cela allait se passer et voilà ce que cela a donné, et aujourd'hui nous avons besoin d’une commission parlementaire pour régler ce qui ne devrait pas être un problème, mais ajouter à la richesse du multiculturalisme canadien.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, nous devons passer à d’autres sujets.

Nous avons eu la chance de terminer avec des gens issus de ma communauté d’origine: la communauté métisse du Manitoba. J’imagine que certains se sont demandé pourquoi ils étaient ici, et je répondrais que nous tentions de déterminer qui j’étais en vertu de l’article 35.

Messieurs Dufault, Gagnon et Savoie, je vous remercie d’être venus. Cette séance était la dernière que je présidais à la télévision. Je présiderai la prochaine séance mardi, mais ce sera ma dernière, car je prends ma retraite. Les témoignages des personnes issues de ce que j’appelle le « coeur » du Manitoba étaient appropriés.

Je vous remercie encore pour vos présentations.

[Français]

Vous avez fait de bonnes présentations et vous avez apporté réponses à nos questions. C'est maintenant le temps de vous dire bonsoir, et, encore une fois, merci.

[Traduction]

Nous allons nous arrêter pour environ 15 minutes.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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