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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 24 novembre 2014

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 heures, pour étudier le projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (communications et services destinés au public).

La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Je souhaite la bienvenue à tous au Comité sénatorial permanent des langues officielles.

Je m’appelle Claudette Tardif, je suis sénatrice de l’Alberta et présidente du comité. Avant de passer aux déclarations, j’inviterais les sénateurs à se présenter en commençant à ma gauche.

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, sénatrice du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Rivard : Bonsoir, Michel Rivard, sénateur du Québec.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Bonsoir, Suzanne Fortin-Duplessis, vice-présidente du comité et sénatrice du Québec. Je vous souhaite la bienvenue.

La sénatrice Charette-Poulin : Bonsoir, Marie Poulin, sénatrice du Nord de l'Ontario.

La sénatrice Chaput : Maria Chaput, sénatrice du Manitoba. Bonsoir.

La présidente : Aujourd'hui, nous examinons simultanément deux études qui sont en cours, tout d’abord le projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (communications et services destinés au public), puis notre étude des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde.

Je reconnais fort bien que nos deux témoins aujourd'hui s'occupent du français langue première et non du français langue seconde. Je comprendrai alors s’ils se concentrent davantage sur le projet de loi S-205.

Je souhaite la bienvenue à Mme Ghislaine Pilon, directrice générale par intérim de la Commission nationale des parents francophones et à M. Roger Paul, directeur général de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones.

Je donne tout d’abord la parole à Mme Pilon qui sera suivie de M. Paul. Par la suite, les sénateurs vous poseront des questions.

Ghislaine Pilon, directrice générale par intérim, Commission nationale des parents francophones : Chers membres du comité, au nom de la Commission nationale des parents francophones et à titre de directrice générale par intérim, je vous remercie de votre invitation. En tant que représentants des parents francophones qui sont non seulement premiers responsables et premiers éducateurs de nos enfants, mais aussi bénéficiaires des droits à l'éducation dans la langue de la minorité qui découlent de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, nous sommes heureux d'être ici, avec vous, dans le cadre de l’étude du projet de loi S-205 et des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité ou de pluralité linguistique.

Pour ce qui est de notre organisme, de son réseau et de la voix des parents francophones en contexte minoritaire au Canada, la Commission nationale des parents francophones est la voix nationale de 12 organismes provinciaux et territoriaux — dont l'effectif se compose de membres collectifs, soit des comités de parents, des conseils d’écoles ou autres, et des membres individuels —, et représente les parents de plus de 23 400 enfants qui fréquentent des services préscolaires francophones, c’est-à-dire avant l’âge de cinq ans. La commission représente les parents de 150 000 enfants inscrits dans 627 écoles francophones, dont 18 000 enfants à la maternelle, 88 000 à l'élémentaire et 42 000 au secondaire dans les communautés francophones en situation minoritaire au Canada.

La Commission nationale des parents francophones exerce une direction nationale et offre des services d'appui aux organismes membres dans le but d'appuyer les parents (issus de couples francophones et exogames) pour leur permettre de faire des choix éclairés, et ce, afin qu’ils puissent rendre le français plus présent dans leur vie et, par conséquent, mieux accompagner leur enfant dans son développement sur les plans identitaire, langagier et culturel.

La Commission nationale des parents francophones appuie le projet de loi S-205. Nous croyons que ce projet de loi aura un impact positif en permettant une plus grande reconnaissance de toute la diversité des parents et des enfants francophones qui composent notre francophonie canadienne. Nous savons que, au sein de nos réseaux, il y a des parents francophones, des parents qui ont appris le français, des parents qui ont réintégré la langue française ou des parents de générations retrouvées, des parents nouveaux arrivants et des parents qui parlent plusieurs langues, dont le français.

Il y a autant de façons de vivre notre francophonie qu'il y a de familles qui accordent une place importante au français à la maison, dans les services à la petite enfance, dans les écoles, dans la communauté et dans la société en général. Au sein de ces familles, de nombreux enfants vivent dans un contexte de famille exogame : ils ont un parent francophone et un parent anglophone ou d'une autre langue. De 64 p. 100 en 2001, le pourcentage d'enfants issus de couples exogames est passé à 66 p. 100 en 2006, ce qui confirme la tendance lourde d'une croissance graduelle du taux d'exogamie. L’idée selon laquelle les instances fédérales pourraient reconnaître une définition plus large et plus inclusive de ce qu'est un francophone pourrait avoir un impact significatif sur les recensements et, ainsi, entraîner une plus grande reconnaissance de la vitalité francophone au pays.

En ce qui concerne l’accueil et l’accompagnement des parents dans les communautés francophones en contexte minoritaire au Canada, la question que se posent les futurs parents au sujet de la langue, de l'identité et de la culture surgit souvent bien avant la naissance de l'enfant ou au cours des premières années de la période de la petite enfance. L'un de nos plus grands défis consiste à rejoindre les futurs parents et ceux qui ont de jeunes enfants afin de les outiller pour leur permettre de faire un choix éclairé sur la place et la valeur qu'ils accorderont au français, à l'anglais et à d'autres langues dans leur vie.

Outiller le parent, c'est aussi répondre à ses questions afin qu'il prenne une décision éclairée. Voici quelques questions que se posent les parents et des pistes de réponses provenant de notre réseau de parents : faut-il apprendre deux langues ou une seule?

Plusieurs recherches démontrent que le cerveau a la capacité de très bien apprendre non seulement une langue, mais plusieurs. Les parents qui choisissent que leur enfant devienne bilingue veulent que celui-ci connaisse très bien la langue maternelle de chacun de ses parents; qu’il développe un fort sentiment d'appartenance et un désir d'intégration à la communauté francophone sans que cela puisse nuire à son identité anglophone et à ses compétences en anglais; qu’il apprenne à apprécier les richesses des différentes cultures; qu’il soit très compétent en français et en anglais et qu'il conserve ses compétences tout au cours de sa vie; qu’il puisse faire des études collégiales ou universitaires en français et en anglais; qu’il ait accès aux avantages économiques liés au plus grand nombre de choix sur le plan professionnel lorsqu'il est très compétent en français et en anglais; et qu’il ait plus de facilité à apprendre une troisième langue.

Une autre question souvent posée est la suivante : mon enfant risque-t-il d’être mêlé s’il apprend deux langues en même temps? Certains parents craignent souvent que l'apprentissage simultané de deux langues nuise à leur enfant. Les résultats de recherches montrent qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter à ce sujet, car les enfants peuvent très bien apprendre deux langues en même temps.

En milieu francophone minoritaire, il est fortement conseillé aux parents d'enseigner le français à leur enfant dès sa naissance, puisque cette langue est la plus menacée. Il est préférable de procéder ainsi, parce qu'il est facile d'apprendre l'anglais quand on connaît d'abord le français. Dans le cas des couples exogames, il est souvent conseillé aux parents qui souhaitent que leur enfant apprenne deux langues en même temps dès sa naissance de maintenir le principe suivant : un parent, une langue, c’est-à-dire que le parent francophone parle en français et que le parent anglophone parle en anglais. D’autres parents décident d’enseigner une seule langue à la fois à leur enfant.

Est-ce que l'apprentissage d'une deuxième langue nuira à l'acquisition de la langue première? Non. Il ne faut pas croire que l'apprentissage du français nuira à l'apprentissage de l'anglais ou vice-versa. L'apprentissage d'un concept, d'une idée ou d'un mot en français est aussi bien compris en anglais qu'inversement.

Certains parents se demandent ce qu’ils peuvent faire pour préparer leur enfant à l'école française. En milieu minoritaire francophone, il est important que les parents initient leur enfant à la langue française dès son plus jeune âge. Autant le parent francophone que le parent anglophone ont un rôle important à jouer dans le développement du bilinguisme de leur enfant. Au sein de nos communautés francophones, nous reconnaissons l’importance d’un continuum de programmes et de services en français qui débutent avant même la naissance de l’enfant et qui se poursuivent tout au long de son cheminement vers l’école de langue française, et ce, jusqu’au niveau postsecondaire.

Nous savons qu’il y a tout un éventail de programmes et de services francophones de qualité pour répondre aux besoins des prématernelles, des garderies, des groupes de jeu, des centres de ressources, des centres d’appui à l’enfance et à la famille, et cetera. Le parent est le premier responsable et le premier éducateur de son enfant. La complémentarité entre le foyer, les services à la petite enfance, l'école et la communauté francophone est essentielle. Les professionnels de la petite enfance sont des modèles francophones et jouent un rôle essentiel dans le développement des enfants. On doit porter une attention particulière à la continuité et aux transitions entre les programmes et les services francophones.

Au sein de nos communautés francophones, nous reconnaissons l'importance de la période de la petite enfance comme porte d'entrée à l'école francophone, car nous savons que l'on doit respecter le développement global de l'enfant pour favoriser l’entrée des enfants à l'école francophone. Cela facilite la transition à l'école francophone. Cela permet d'accompagner les parents à préparer leurs enfants à l'entrée scolaire. Cela permet de répondre aux besoins en transition des enfants, plus particulièrement des familles exogames, immigrantes et de générations retrouvées, et en préparation à l'entrée à l'école. Cela renforce la langue, la culture, l'identité et l'appartenance à la communauté francophone.

Nous reconnaissons aussi l'importance de la période de la petite enfance en ce qui concerne le développement de la langue, de l'identité, de la culture et du sens d'appartenance. Nous savons que les trois premières années déterminent l'évolution de l'apprentissage la vie durant et la capacité d'apprendre une autre langue. Le choix de la langue parlée à la maison, dans la communauté et à l'école, se fait dans les premiers mois après la naissance, et même avant. Un parent bien informé qui comprend bien ses droits et l’impact de ses décisions sur son enfant en ce qui a trait à la langue, à l’identité, à la culture et à l’appartenance fera des choix éclairés.

Les contacts sociaux influencent la transmission de la langue et de la culture. Au cours des premières années, l'identité francophone se forme autour des pratiques familiales. Le premier facteur qui contribue au sentiment d'identité chez l'enfant est le lien qui l’unit à ses parents. Dans la vie de tous les jours, lorsque le parent associe au français ce qui est important, intéressant et sécurisant pour l'enfant, ce dernier bâtit un sentiment d'identité et un sens d'appartenance à cette langue et à cette culture. Le lien affectif créé entre les parents, les enfants et le français est très important. Il faut porter une attention particulière à l'importance de la période de la petite enfance dans le cadre du développement de l'identité. Le parent est le premier modèle pour l'enfant en ce qui a trait à la langue, à l'identité et à la culture au foyer. C'est d'abord à la maison que les comportements, les attitudes et les valeurs se forgent et que les traditions se créent et se perpétuent.

Le parent est le premier passeur culturel auprès de son enfant. Il est important de pouvoir accompagner le parent francophone, de même que le parent anglophone ou d'une autre langue afin qu'ils puissent, tous les deux, contribuer à la construction identitaire de l'enfant. Tout comme un professionnel dans son domaine a besoin de se ressourcer, le parent a donc, lui aussi, besoin d'être appuyé et accompagné.

Que devons-nous faire pour nous assurer que notre enfant devienne bilingue en milieu francophone minoritaire? En milieu francophone minoritaire, le risque est toujours grand d'apprendre et de vivre dans la langue de la majorité, et ce, aux dépens de la langue de la minorité. Des recherches démontrent que, dans les communautés où les francophones sont minoritaires, le couple qui souhaite que son enfant devienne bilingue devra mettre l'accent sur la langue de la minorité dans la région; dans le cas présent, le français. Les expériences langagières vécues dans différents milieux de vie peuvent se compléter pour faciliter cette démarche d'apprentissage de deux langues et pour favoriser le développement d'un sentiment d'appartenance à deux cultures. Il y a l'école, les services à la petite enfance, la famille, et le milieu social et institutionnel. Chacun de ces milieux de vie est appelé à jouer un rôle complémentaire particulier afin que l'enfant devienne bilingue.

À titre d'exemple, le projet de recherche intitulé Capacité d'apprentissage dans les communautés francophones en situation minoritaire souligne que l'environnement de garde francophone de qualité, combiné à un milieu familial francophone, a un impact plus prononcé sur le comportement langagier des enfants et sur leurs compétences en mathématiques et en lecture.

Comment l'école française assure-t-elle le développement du bilinguisme? Dans les milieux où la langue anglaise est dominante, l’école française joue un rôle déterminant dans le développement et le maintien des compétences en français de l'enfant et, par conséquent, dans l'acquisition d'un bilinguisme de niveau élevé. La langue et la culture française font partie intégrante de la vie scolaire de l'élève, tant dans la salle de classe qu'en milieu parascolaire. L'école française ne vise pas seulement à remplir les besoins scolaires de l'élève, mais elle l'accompagne également dans l'exploration et le développement de son héritage francophone.

Les parents se demandent aussi si leur enfant pourra parler et écrire un anglais de qualité s’il fréquente l'école francophone. Les recherches, encore une fois, montrent que l'élève en milieu minoritaire francophone développera des compétences aussi bonnes en anglais que l'élève anglophone.

Quel est le rôle du milieu social et institutionnel dans le développement du bilinguisme? En milieu francophone minoritaire, par la force des choses, l'enfant sera souvent exposé à la langue anglaise, que ce soit par le biais de différentes institutions anglophones de la communauté, ou encore par la présence des médias anglophones et de l'affichage public et commercial. Il développera ainsi ses compétences en anglais. Pour favoriser l'apprentissage du français, le milieu familial et le milieu scolaire francophone agissent comme contrepoids à la forte présence de l'anglais dans le milieu social et institutionnel.

Les parents sont les premiers éducateurs de leur enfant. Les parents jouent un rôle crucial dans le développement du bilinguisme chez l'enfant, que celui-ci soit d'âge préscolaire ou d'âge scolaire. En fin de compte, pour que l'enfant devienne bilingue en milieu minoritaire francophone, les parents doivent faire un certain nombre de choix, et ce, dès son plus jeune âge. Pour ce faire, on doit tout mettre en place pour accueillir et accompagner efficacement ces parents.

La présidente : Merci, madame Pilon. J’inviterais maintenant M. Paul à faire la deuxième présentation.

Roger Paul, directeur général, Fédération nationale des conseils scolaires francophones : Au nom de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones et à titre de directeur général, je tiens à vous remercier chaleureusement de l’invitation que vous nous avez lancée à comparaître devant le comité. Notre organisme est fier de s’adresser au Comité sénatorial permanent des langues officielles dans le cadre de l’étude du projet de loi S-205 et des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité linguistique ou de pluralité linguistique.

Qui sommes-nous? La FNCSF, ou Fédération nationale des conseils scolaires francophones, est l'organisme chargé de représenter les intérêts des 28 conseils scolaires francophones et acadiens au pays, à l'exception de ceux du Québec. Elle intervient sur le plan politique auprès des diverses instances concernées et sur le plan pédagogique et administratif par l'intermédiaire du Regroupement national des directions générales de l'éducation au sein duquel œuvrent les 28 directions de l'éducation au pays.

Notre organisme appuie sans réserve le projet de loi S-205. Nous estimons que l'adoption de ce projet de loi permettrait de mieux refléter la réalité de la francophonie canadienne, ce qui aurait pour effet de bonifier l'offre des services en français et ainsi de favoriser l'épanouissement et la vitalité des communautés francophones et acadiennes dont font partie nos écoles.

Beaucoup de nos élèves sont issus de familles exogames et ne sont donc pas comptabilisés comme francophones par les instances fédérales. De nouveaux critères d'application de la loi et une révision à chaque recensement permettant une définition plus inclusive de ce qu'est un francophone seraient considérés comme une grande avancée pour nous. Nous voyons d'un très bon œil le fait que la définition d'un francophone soit élargie pour inclure toute personne pouvant s'exprimer en français, qu'elle soit francophile, francophone de souche, nouvelle arrivante ou personne pour laquelle le français est une deuxième ou même une troisième langue.

Parlons maintenant des écoles de langue française et des écoles d’immersion. Permettez-moi de vous informer que les programmes d’immersion ne font pas partie des champs d’activité de ma fédération.

Toutefois, nous accordons un très grand intérêt au déploiement de ces programmes, puisqu'ils contribuent, comme c'est le cas pour le système d'éducation de langue française, à l'évolution et à la promotion de la dualité linguistique au Canada.

Permettez-moi de faire une mise au point sur l'apprentissage d'une langue. C'est tout d'abord Pierre Calvé, ex-professeur en linguistique et en éducation à l'Université d'Ottawa, qui nous dit qu'une langue sert essentiellement à quatre choses. Premièrement, elle sert à communiquer; ensuite, à penser, à réfléchir, à développer des idées; puis à acquérir et à emmagasiner de l'information; et, finalement, à se forger une identité en tant que membre d'une communauté humaine particulière.

Or, selon nous, l'apprentissage de la langue, tant au sein des programmes d'immersion que dans les écoles de langue française, répond à ces quatre fonctions d'une langue, qu'elle soit première ou seconde.

Quelle est la distinction entre l'immersion et l'école de langue française? Il y a une grande confusion à ce sujet sur le terrain. Dans le cadre des programmes d'immersion, l'apprentissage d'une langue seconde, en plus de permettre de communiquer, de penser et d'acquérir de l'information, contribue aussi à la construction d'une identité canadienne caractérisée par la dualité linguistique et culturelle.

Dans les écoles de langue française, les apprentissages se font dans un contexte de socialisation linguistique, culturelle et citoyenne. En d'autres mots, toutes les activités liées à l'enseignement du curriculum contribuent à l'apprentissage du français langue première, à la transmission de la culture francophone, ainsi qu'au développement des compétences citoyennes en tant que membres de la communauté francophone et acadienne du Canada.

C'est ainsi que l'approche culturelle de l'enseignement, dans le contexte d'une école communautaire et citoyenne de langue française, contribue et influence la construction d'une identité culturelle individuelle et collective propre aux communautés francophones et acadienne qui sont à l'origine de la création du Canada.

De plus, dans les écoles de langue française, l'enseignement de la langue seconde est primordial. Bien que l'anglais soit accessible à tous, à titre de langue de la majorité, nous estimons primordial l'enseignement de l'anglais au sein du curriculum des écoles de langue française. Cela permet à nos finissants de profiter d’un bilinguisme durable.

Par ailleurs, les conseils scolaires ont pu pleinement remplir leur mandat lorsqu'un encadrement linguistique et culturel était clairement défini par le ministère de l'Éducation de la province ou du territoire, et que cet encadrement était accompagné de ressources humaines et financières.

Par exemple, en Ontario, la Politique d'aménagement linguistique mise en œuvre il y a 10 ans déjà a eu des retombées très positives sur la langue et l'appropriation de la culture.

Le Nouveau-Brunswick s'est récemment doté d'une politique semblable, alors que dans l'Ouest du pays, des démarches sont entreprises pour mettre sur pied une telle initiative.

Nous nous sommes permis de faire quelques recommandations par rapport au projet de loi S-205 et à l’apprentissage d’une langue seconde. Les programmes d'immersion et l'école de langue française répondent à des besoins distincts et complémentaires dans une perspective d'unité nationale. Il nous apparaît donc essentiel d'en assurer le développement et d'en faire une promotion éclairante et loyale pour l'ensemble des Canadiennes et des Canadiens.

En ce qui a trait à l'information et à la promotion, pour cette raison, nous souhaitons que le gouvernement canadien appuie les démarches entreprises pour informer la population canadienne, y compris la population immigrante, sur l’existence du système d'éducation de langue française et des programmes d'immersion offerts dans les écoles de langue anglaise, ainsi que sur la distinction de la portée et du mandat particulier des deux systèmes.

Nous croyons qu'une meilleure compréhension de cette distinction de la part de l'ensemble de la population canadienne pourrait faire en sorte que le pourcentage élevé de la population étudiante qui provient de familles d'ayants droit qui ne fréquentent pas les établissements de langue française diminue. Vous savez que plus de 50 p. 100 des ayants droit ne fréquentent pas les écoles de langue française.

Cette approche pourrait contribuer à résoudre le problème lié à la capacité des écoles d'immersion — qui débordent, nous dit-on — de répondre à une demande toujours croissante et permettrait aux écoles de langue française de réaliser leur mission.

Ma deuxième recommandation concerne le financement. La distinction fondamentale entre les écoles d'immersion et les écoles de langue française passe également par un financement distinct. À cet égard, nous souhaitons une meilleure reddition de comptes par rapport aux paiements de transfert, consacrés à l'éducation, du gouvernement fédéral aux provinces et aux territoires.

En ce moment, il est presque impossible de savoir précisément de quelle façon ces sommes sont utilisées. Cependant, en prenant l'exemple de certaines provinces ou de certains territoires, il apparaît que des sommes considérables destinées à l'éducation en français, langue première, ont été investies pour développer des programmes d'immersion. Les besoins en éducation de langue française sont grands, et les contributions fédérales prévues à ces fins sont essentielles au déploiement du système d'éducation de langue française.

Notre troisième recommandation porte sur le continuum. Lorsque vient le temps de faire le choix important de la langue de l'éducation, les Canadiennes et les Canadiens prennent en considération un ensemble de facteurs liés, entre autres, à l'accessibilité et à la qualité. Un des facteurs qui influencent ce choix est la possibilité de faire des études postsecondaires dans la langue de son choix.

Nous souhaitons donc que votre comité recommande au gouvernement canadien de se pencher sur l'enseignement postsecondaire en français langue seconde ou sur l'école de langue française, langue première, afin que les Canadiens aient l'assurance de pouvoir poursuivre leurs études dans cette langue au niveau postsecondaire. Ainsi, on garantit à notre pays une génération de jeunes citoyens professionnels bilingues aptes à assumer les fonctions politiques, économiques et culturelles de notre société.

Ma quatrième recommandation a trait à l'encadrement linguistique et culturel. Des politiques d'aménagement ou d'encadrement linguistique et culturel favorisent l'épanouissement des élèves et permettent aux conseils scolaires de langue française de remplir pleinement leur mandat. Il est donc souhaitable que de telles politiques soient mises en œuvre partout au pays, pas seulement au Nouveau-Brunswick ou en Ontario.

En guise de conclusion, en tant qu’organisme national ayant pour intérêt principal la vitalité des communautés francophones et acadienne, la Fédération nationale des conseils scolaires francophones reconnaît l'importance de la dualité linguistique au pays. En ce sens, nous souhaitons vivement l'adoption du projet de loi S-205 afin d'actualiser la réalité de la francophonie canadienne à laquelle contribuent grandement les francophiles, qu'ils soient Canadiens ou nouveaux arrivants.

Le bilinguisme additif que nous recommandons est le gage de l'harmonie entre les deux peuples fondateurs de ce pays. Nous croyons que les écoles d'immersion et les écoles de langue française sont essentielles pour permettre à la population anglophone du Canada d'accéder à ce bilinguisme. C'est donc dans cet esprit que nous avons fait les recommandations que j’ai énumérées.

Je vous remercie à nouveau de votre invitation. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup. En effet, nous avons des questions, et nous allons commencer par la sénatrice Fortin-Duplessis.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Soyez les bienvenus. Madame la présidente, est-ce que l'on pose les questions sur le projet de loi S-205 uniquement, ou est-ce qu'on peut poser une question sur le projet de loi S-205, ainsi qu'une question à propos du deuxième thème?

La présidente : Oui, vous pouvez procéder de cette façon.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci.

J'ai écouté avec attention vos deux mémoires. Madame Pilon, vous avez mentionné l'importance qu'ont les parents; pour l'apprentissage de la langue française, il faut que les parents fassent un effort. Je retiens cela, et je pense que c'est une bonne recommandation. Le projet de loi S-205 propose de tenir compte de critères qualitatifs tels que la vitalité institutionnelle et la spécificité de la communauté dans le calcul de la demande importante. Pourriez-vous nous donner des exemples de communautés qui bénéficient de l'inclusion de tels critères dans leurs calculs?

Mme Pilon : Pour nous, il est très important que des services soient offerts dès la naissance d'un enfant. Si nous disposons de cet avantage dans les régions où le nombre le justifie, évidemment, cela donne la chance aux parents de s’impliquer en faisant appel à des services en santé, à des services financiers ou peu importe, et de vivre en français. Cela donne l'exemple à l'enfant afin qu’il comprenne que l'on peut vivre en français, même en situation minoritaire.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Ma deuxième question concerne l'apprentissage d'une langue seconde. De nombreuses recherches démontrent que l'apprentissage d'une langue seconde est bénéfique de plusieurs façons. Pourriez-vous préciser les avantages économiques et sociaux associés à la connaissance des deux langues officielles au Canada? Donnez-nous des exemples parmi les plus simples.

Mme Pilon : Par exemple, dans le cas des enfants issus de familles exogames — où l'un des parents est francophone, et l'autre est anglophone ou parle une autre langue, mais en principe, la langue anglaise est majoritaire —, la dualité linguistique ne se vit pas seulement dans le pays, mais elle se vit également à la maison. Ces enfants parlent français au parent qui parle français, et anglais au parent qui parle anglais. Ces enfants ont déjà le cerveau éveillé, et les recherches démontrent qu'ils apprennent différemment. Apprendre une troisième langue pour ces enfants est très facile comparativement à l'enfant qui ne parle qu'une langue. En ce qui concerne l'économie, cet enfant grandit et aura, plus tard, beaucoup plus de débouchés professionnels, plus d'options quant aux écoles à fréquenter, et plus d'options en ce qui a trait à la mondialisation. Pour nous, c'est important; nos enfants possèdent déjà deux langues, alors une troisième langue devient un atout.

Est-ce que ça répond bien à votre question?

La sénatrice Fortin-Duplessis : Oui. Je le savais; c’est sûr que le fait qu'une personne soit parfaitement bilingue lui ouvre beaucoup plus de portes dans la vie.

Mme Pilon : De plus, on voit le monde de façon différente. On n'a pas peur d'entendre parler une troisième langue que l'on ne comprend pas. Nos jeunes sont habitués à connaître plus de deux langues, et c'est bien.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Surtout dans l'Ouest; on le voit moins dans l'Est.

Mme Pilon : Oui, c'est souvent le cas dans l'Ouest.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Monsieur Paul, vous avez mentionné que le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes a déposé un rapport sur les programmes d'enseignement du français langue seconde au Canada. L’une des recommandations du comité visait à ce que le gouvernement du Canada assure une meilleure reddition de comptes quant aux paiements de transfert pour l'éducation versés aux provinces et aux territoires :

En ce moment, il est presque impossible de savoir précisément de quelle façon ces sommes sont utilisées. Il se pourrait que des fonds destinés à l'éducation en français, langue première, aient été investis par les provinces ou les territoires pour développer des programmes d'immersion et vice-versa.

Lorsque nous avons tenu nos audiences au Québec pour savoir de quelle façon étaient traités les anglophones du Québec, ceux-ci nous ont livré des témoignages dont on ne revenait pas — la sénatrice Chaput y était —, nous démontrant à quel point les anglophones s'inquiétaient de savoir comment était dépensé l'argent versé par le gouvernement fédéral pour l'éducation en anglais des jeunes anglophones qui habitent au Québec au sein d’une majorité francophone.

Pouvez-vous expliquer au comité l'importance de savoir précisément où les fonds sont investis? Avez-vous des moyens? Comment cela se passe-t-il? Dans ce cas-ci, il s’agit du côté francophone, bien sûr.

M. Paul : Oui, c'est peut-être du côté francophone, mais je pense que c'est aussi du côté des anglophones du Québec; c'est autant d'un côté comme de l'autre, parce que la reddition de comptes concerne toutes les provinces.

Je ne vous apprends rien en vous disant que le gouvernement fédéral aide les provinces et les territoires en matière d'éducation dans la langue de la minorité. Malheureusement ou heureusement, peu importe — ce n'est pas un débat, mais bien une réalité —, l'éducation est de compétence provinciale et territoriale. Cela veut dire que l'on peut remettre des sommes d'argent aux provinces et aux territoires selon certains protocoles d'entente. Toutefois, les protocoles d'entente sont tout de même écrits de façon assez large, c'est-à-dire qu’ils ne comptent pas tous les points et toutes les virgules — et c'est peut-être très bien ainsi à ce niveau — ou ils ne traitent pas de tous les détails.

Quand on décide de dépenser des sommes et de les attribuer aux programmes d’enseignement du français, langue première, cela ne veut pas dire en français, langue seconde. Notre conseil scolaire franco-yukonnais se retrouvera en Cour suprême du Canada au mois de janvier; il a, dans un premier temps, remporté la victoire en première instance pour perdre ensuite en appel, et se retrouvera maintenant devant la Cour suprême. L’un des arguments du Yukon qui a été démontré — assez clairement, selon nous — portait sur des sommes consacrées à l’enseignement du français, langue première, mais qui ont servi à l'immersion; c'est parce qu'on est allé en cour, qu’on a posé des questions et fait venir la sous-ministre pour essayer d'expliquer où étaient allées ces sommes. Dans un premier temps, on peut soupçonner que, si c'est vrai pour le Yukon, cela pourrait être vrai ailleurs, également, et on peut se demander pourquoi cela se produit. Je pense que cela peut se produire, parce que la reddition de comptes n'est pas assez rigoureuse. On comprend que l'éducation est de compétence provinciale et territoriale, mais, en même temps, si des fonds sont octroyés par le gouvernement fédéral, je pense que le gouvernement fédéral doit être en mesure d'obtenir plus de précisions quant aux dépenses.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Votre recommandation au gouvernement fédéral serait donc, j’imagine, de vérifier convenablement; mais iriez-vous jusque-là?

M. Paul : La Fédération nationale des conseils scolaires francophones l'a déjà fait par l’intermédiaire du présent comité. Nous avons déjà été invités — il y a plusieurs mois —, et nous avions fait la même recommandation, car nous y tenons. Nos conseils scolaires tenteront, bientôt, d'aller demander l'information, dans un premier temps, au gouvernement fédéral. Si ce dernier ne peut pas trouver l'information, les conseils scolaires demanderont cette information aux provinces et aux territoires. Cela ne veut pas dire que nous l’obtiendrons, mais nous allons la demander.

La sénatrice Fortin-Duplessis : C'est bien. Madame la présidente, j'imagine qu'il y aura un deuxième tour, alors je m'y inscris.

La sénatrice Charette-Poulin : Madame Pilon, monsieur Paul, vos présentations ont été extrêmement intéressantes. Madame Pilon, j’ai trouvé important que vous souleviez la question du recensement. Dans votre réponse à ma collègue, vous avez bien précisé « où le nombre le justifie ». Pourriez-vous nous rappeler quelles sont les limites dans la définition de francophone, en ce moment, selon le recensement de Statistique Canada?

Mme Pilon : C’est une question à laquelle il peut être long de répondre. Simplement, nous ne savons pas vraiment où sont nos francophones. Le recensement direct ne nous l’indique pas, donc, on ne le sait pas. Cela nous restreint beaucoup. Quand nous avons mis en place nos écoles — je ne sais pas si vous savez comment cela s’est fait —, nous avons rapatrié un groupe de parents qui parlaient français, que ce soit le père ou la mère, en leur disant que nous voulions ouvrir une école. Là où le nombre le justifiait, selon la région, avec 15 ou 20 personnes, on pouvait ouvrir une école maternelle de première année. Cette école grossissait avec le temps, parce qu’elle devenait populaire.

Là où le nombre le justifie, c’est un concept avec lequel nous avons un peu de difficulté, car nous construisons nos écoles et nous les remplissons. Vous pouvez le demander à M. Paul; les nouvelles écoles qui se construisent se remplissent avant même d’être ouvertes. Les francophones existent quelque part, cependant, le recensement ne nous en donne pas le nombre, car il y a aussi le fait que la personne qui y répond n’y indique peut-être pas qu’elle est francophone, ou qu’elle parle les deux langues. Elle est donc comptée comme anglophone ou francophone la moitié du temps. Là où le nombre le justifie, c’est une réalité très difficile pour les parents.

La sénatrice Charette-Poulin : Donc, on manque de clarté quant à la définition même, et quant à la localisation.

Mme Pilon : Absolument.

La sénatrice Charette-Poulin : Merci, c’est extrêmement important pour notre projet de loi S-205.

Monsieur Paul, j’aimerais vous poser une question sur les meilleures pratiques en matière de politiques linguistiques et d’apprentissage d’une langue seconde. Nous sommes en train d’apprendre, nous qui ne sommes pas des éducateurs, comment le cerveau fonctionne. J’ai particulièrement aimé l’analyse que vous citez de Pierre Calvé, de l’Université d’Ottawa. Comme nous le savons, différentes approches existent en matière d’enseignement de la langue seconde. À titre d’association, vous regroupez toutes les commissions scolaires de langue française. Quel âge est préférable pour commencer l’apprentissage d’une langue seconde? Quelle est la meilleure façon de s’assurer qu’un enfant parle les deux langues dès un jeune âge, avec une bonne qualité de langue? Pourriez-vous nous donner un peu les résultats des commentaires et des recherches de vos propres professeurs?

M. Paul : Cela varie d’une province à l’autre, évidemment, puisque, comme je l’ai mentionné, l’éducation et un domaine de compétence provinciale et territoriale. Cependant, je peux vous dire qu’en Ontario, du point de vue de l’âge, l’apprentissage de la langue seconde se fait le plus rapidement possible, car on sait que les enfants sont comme des éponges. Ils ont une capacité d’apprendre qui est incroyable.

Je suis allé en mission en Europe; j’ai visité quelques pays pour discuter, quand j’étais directeur d’école, avec d’autres directions d’écoles. Prenez l’exemple du Luxembourg. Là-bas, ils ne se cassent pas la tête avec une, deux ou trois langues; ils sont rendus à quatre ou cinq langues. Ces jeunes, à huit ans, neuf ans, maîtrisent quatre ou cinq langues. Pourquoi avons-nous de la difficulté, ici, avec deux langues seulement? J’ai vraiment de la difficulté avec cela. Plusieurs écoles, des écoles privées, entre autres, se vantent aujourd’hui d’offrir l’enseignement de trois langues dans leur établissement — l’espagnol, l’anglais et le français.

En réponse à votre question, de façon plus spécifique en ce qui concerne l’apprentissage de la langue seconde, vers huit ou neuf ans, l’enfant est prêt à apprendre cette langue seconde. Je reviens à la raison d’être de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones pour dire que nous voulons réellement mettre l’accent sur la francisation — le français est presque devenu notre langue seconde.

Quand le jeune arrive à l’école, puisqu’il est dans un milieu très anglicisé, très anglophone, très minoritaire, nous devons, dès son entrée à l’école, tenter de le franciser. Finalement, pour lui, il maîtrise l’anglais, mais ne parle pas le français; pourtant, c’est un francophone — c’est le monde à l’envers. S’il maîtrise l’anglais et ne parle pas le français, à quel moment doit-il apprendre la langue seconde? Dans un premier temps, il faut se demander à quel moment il doit apprendre la langue première dans ce cas-là. C’est ce que nous tentons de dire par rapport à l’interprétation de l’article 23.

Bien qu’on nous dise que cela commence au primaire — et encore, là, la définition varie d’une province à l’autre —, nous trouvons que l’interprétation par rapport à l’article 23 traite de façon inégale les francophones par rapport aux anglophones. Quand les jeunes anglophones arrivent à l’école, on n’a pas besoin de les angliciser. Ils maîtrisent déjà leur langue. Donc, quand ils vont apprendre le français, ils vont l’apprendre à sept, huit, neuf ou dix ans — en immersion, comme j’ai en parlé un peu tantôt. Tandis que, pour les francophones, on a un double défi : la maîtrise de la langue française — « maîtrise » ici est un grand mot —, disons plutôt la capacité de parler français en arrivant à l’école, et l’attribution de ressources à l’apprentissage de la langue première. Ensuite, cela me fait sourire quand on parle de l’apprentissage de la langue seconde pour des francophones. Oui, on doit tenter de la maîtriser, mais en arrivant à l’école, les enfants ont déjà une certaine maîtrise de la langue seconde.

La sénatrice Poirier : Merci à tous les deux pour vos présentations. J’ai une question pour chacun d’entre vous. Madame Pilon, vous avez parlé, dans votre présentation, des parents, dont souvent l’un est francophone et l’autre anglophone, qui choisissent bien souvent de privilégier une langue au lieu de commencer l’apprentissage des deux langues dès la naissance. J’ai vécu un peu cette expérience. Je viens d’une famille francophone; ma mère ne comprenait presque pas l’anglais, mais nous étions d’un endroit anglophone où il n’y avait pas d’école française. Donc, pour nous, c’était un défi au niveau de la relation parents-enseignants, et du point de vue de la participation des parents à la maison quand les enfants avaient besoin d’aide pour leur apprentissage. C’était un défi auquel il fallait faire face.

Aujourd’hui, ma fille est mariée à un anglophone; elle a trois enfants qui ont appris les deux langues dès la naissance et qui vont à l’école française. Le problème existe encore, mais de façon un peu différente. Là, c’est le père qui parle anglais, et qui dit qu’il ne peut pas s’impliquer davantage au niveau scolaire, dans la relation parent-professeur, dans les activités de l’école ou si la mère n’est pas là pour l’aide aux devoirs, et des choses de ce genre.

Est-ce que c’est quelque chose que vous voyez souvent? Est-ce qu’il y a des solutions pour aider les familles qui se retrouvent dans cette situation, pour que les deux parents, qu’ils choisissent de mettre leur enfant dans une école française ou anglaise, puissent bénéficier du soutien de l’école? Est-ce quelque chose que vous observez?

Mme Pilon : Oui, c’est quelque chose qui existe. On ne peut oublier qu’il y a l’un des deux parents qui parle l’anglais alors que l’enfant fréquente l’école française et vice-versa. Ce que nous faisons en tant que Commission nationale des parents francophones, c’est que nous essayons de créer des outils pour habiliter le parent anglophone à aider son enfant à lire. On commence dès la petite enfance. Pour nous, il est primordial qu’on s’occupe de l’enfant qui a un ou deux ans, et qu’on essaie de créer des outils, conçus avec des pédagogues, pour que le parent puisse lire en français à l’enfant et pour que le parent favorise le français. La majorité de nos écoles, maintenant, aident les parents anglophones.

À ma connaissance, dans la province, ils sont acceptés, ils entrent à l’école; on leur demande, en général, de ne pas trop parler anglais, mais ils peuvent parler à l’enseignant, en général, en anglais — à moins que l’enseignante ne parle que le français.

Cela dit, oui, c’est un problème, surtout quand la mère est anglophone, car elle veut participer encore plus à l’éducation de son enfant. Or, elle ne peut le faire. Les écoles ont ouvert le côté anglophone. Je suis certaine que M. Paul pourra affirmer avec moi que les choses sont beaucoup plus ouvertes qu’il y a 20 ans, où on était restreint quant à la deuxième langue.

La sénatrice Poirier : Monsieur Paul, vous avez mentionné que 50 p. 100 des personnes pourraient fréquenter des écoles francophones et qu’elles ne le font pas. S’agit-il, en majorité, de francophones issus de familles où l’un des parents est anglophone?

M. Paul : De cette proportion de 50 p. 100, plusieurs viennent de familles exogames ou de parents qui ont perdu leur langue. Nous tentons de voir ce dont il s’agit lorsque nous parlons d'ayants droit.

D’ailleurs, nous vous parlions de la cause du Yukon qui sera entendue par la Cour suprême le 21 janvier. J’aurais deux points à soulever à ce sujet. Premièrement, il y a la question des infrastructures et des écoles. L'autre question est celle du droit d'admettre des élèves. Si on ne peut aller chercher plus d’un enfant sur deux qui aurait droit à l'éducation en langue française, laissez-nous au moins le choix d'admettre des élèves dont les parents sont issus soit de l'immigration ou de familles exogames, ou bien qui sont francophiles.

Ma femme, par exemple, était directrice d’une école dans l'est d'Ottawa. C’était une école des niveaux de la maternelle à la sixième année fréquentée par environ 800 élèves. De ce nombre, on comptait presque 200 élèves qui n’étaient pas des ayants droit. On veut vraiment interpréter l'article 23 de façon très limitative. L'Ontario a reconnu, depuis des années, que c'est au conseil scolaire que revient le choix d'admettre dans ses écoles les élèves qu’il estime qui contribueront à la communauté francophone.

Il est indéniable que seul un élève sur deux a le droit, et ce, pour toutes sortes de raisons. Ce n’est pas pour rien que je faisais allusion, plus tôt, à la distinction entre une école de langue française et une école d'immersion qui, dans le fond, est une école de langue anglaise; or, le parent n’est pas conscient de ce fait. Certains parents arrivent et souhaitent que leur enfant soit parfaitement bilingue. Un autre enfant qui ne maîtrise pas tout à fait le français sera dirigé par ses parents vers une école d'immersion, où ceux-ci espèrent qu’il apprendra le français. Il existe toutes sortes de mythes par rapport au mandat de l'école française et à celui de l'école d'immersion.

Le mari de ma propre fille est enseignant et est un produit de l'immersion. Pour lui, les choses ont très bien fonctionné et il est parfaitement bilingue. Il existe toutes sortes de programmes d'immersion. Certains parents décident d’envoyer leur enfant dans une école d'immersion en s’attendant à ce qu’il devienne parfaitement bilingue.

J'ai été directeur général d'un conseil scolaire et j’ai eu une carrière de 35 ans en enseignement. Les personnes qui sont parfaitement bilingues sont celles qui sortent des écoles de langue française sans exception, lorsqu’on parle de bilinguisme durable. C'est en ce sens que je parle de la question d'apprentissage de la deuxième langue. C'est pourquoi nous faisions la recommandation à votre comité de tenter de faire connaître le mandat de l’école de langue française. Dans son mandat figure l'apprentissage du français langue première.

L'apprentissage de l'anglais se fait dès un bas âge. À vous qui êtes issus de tous les milieux hors Québec, si je vous demandais si vous connaissez quelqu'un qui vit hors Québec et qui ne parle pas l'anglais depuis quelques années, je ne crois pas que vous répondriez qu'il en existe beaucoup.

Il est donc question de l'apprentissage de la deuxième langue, du mythe entre l’école d’immersion et l’école de langue française, et du nombre d'ayants droit qui ne se retrouvent pas dans nos écoles. Je crois qu'on peut faire une corrélation directe entre la décision d’envoyer un élève dans un autre type d'école et le fait qu’il apprendra l'anglais.

Le sénateur Rivard : Ma question s’adresse à M. Paul. Je reviens à votre présentation. La sénatrice Fortin-Duplessis a soulevé une partie de la question. J’aimerais toutefois m'assurer que j’en comprends bien le sens. On parle du financement des écoles d'immersion et des écoles françaises. Dans votre allocution, vous dites que, en prenant l'exemple de certaines provinces ou de certains territoires, il apparaît que des sommes considérables destinées à l'éducation en français langue première aient été investies pour développer des programmes d'immersion.

Vous êtes ancien professeur. Lorsque vous utilisez le terme « apparaît », vous l'affirmez ou vous dites qu’il semblerait être le cas?

Je ne suis pas membre permanent de ce comité. Toutefois, je l’ai été il y a trois ou quatre ans, et je me souviens que cette dénonciation appuyée avait été faite par des francophones du Yukon.

Selon vous, est-ce qu’on récidive au Yukon, ou est-ce que d'autres provinces font la même erreur? Dois-je comprendre que, en utilisant le terme « apparaît », vous dites que vous pensez ou qu’il est évident, et que vous avez la preuve que d'autres provinces ont fait le même jeu, soit de recevoir de l'argent du gouvernement fédéral et de l'investir à d'autres fins que celles auxquelles il était destiné?

M. Paul : La question est tout à fait légitime. Il « apparaît » parce qu'on a des preuves pour le Yukon. On part du principe que, si cette pratique se fait dans un territoire et qu’on ne peut pas savoir comment l'argent y est dépensé, il est facile de faire l’équation — et c’est ce qu’on fait.

A-t-on des preuves que cette pratique existe ailleurs qu’au Yukon? Nous n’en avions même pas dans le cas du Yukon avant de les obliger à ouvrir leurs livres. J’emploie le terme « apparaît » plutôt en ce sens.

Le sénateur Rivard : C’est bien ce que je pensais, mais je suis heureux que vous me le confirmiez.

Parlons du projet de loi S-205. Savez-vous si des bureaux fédéraux tenus, auparavant, d'offrir des services dans les deux langues officielles dans certaines collectivités ont perdu cette désignation? S'il y en a, pouvez-vous en nommer quelques-uns et nous dire quel en a été l’effet sur ces collectivités?

M. Paul : J’ai souvenir que cela se soit produit au Nouveau-Brunswick. Plusieurs bureaux ouvraient leurs portes pour essayer d'offrir des services soi-disant bilingues, mais ils n’existent plus.

Un autre exemple est celui du président de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones qui s'occupait, à l'Île-du-Prince-Édouard, des relations pour essayer de faire mousser l'agriculture et tous les services connexes en français. Son poste a été aboli et il n'a pas été remplacé.

Il existe quelques exemples en ce sens, mais je n’ai pas la liste exhaustive avec moi.

Mme Pilon : J'habite Mississauga, une ville tout de même assez populeuse en termes de francophonie. Or, il n’y a aucun endroit à Mississauga où je peux me procurer un passeport en français. Il n’en existe pas. Il faudrait que je me rende à Sudbury ou à Etobicoke. Cette situation me déçoit beaucoup.

Nous avons, à Mississauga, trois écoles élémentaires francophones et une école secondaire de 1 000 élèves. Or, nous ne pouvons pas y obtenir de services en français pour les passeports. Je trouve cette situation très triste. Ce n’était qu’un commentaire, car cette réalité m’affecte personnellement.

Le sénateur Rivard : Pourtant, l’ancienne mairesse, qui était la plus connue, est allée au Québec. J’ai eu l’occasion de travailler avec elle pendant quelques années à la Fédération canadienne des municipalités. Elle était très francophile.

Mme Pilon : Oui, mais c'est de compétence fédérale. Ce n’était pas la mairie.

Le sénateur Rivard : Mon autre question n'est pas tendancieuse, mais je la pose strictement à titre d'information. Comment sont financés vos deux organismes? Est-ce que le financement provient de la province, du gouvernement fédéral, ou s’agit-il de bénévolat?

Vous avez deux organismes très bien structurés et qui représentent bien le milieu. Je ne vous demande pas le montant de votre budget ni le salaire des gens, mais d'où provient votre financement?

Mme Pilon : Dans mon cas, c'est très facile, c'est Patrimoine canadien qui nous finance à hauteur de 212 000 $ par année. L’enveloppe provient du gouvernement fédéral, puisque nous sommes une association fédérale.

Nous avions reçu une somme d’un million de dollars et quelques du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences il y a quelques années. Nous avons formé une table ronde sur la petite enfance et nous avons beaucoup fait avancer la petite enfance francophone. Nous avons une vision nationale de ce que les parents francophones, les ayants droit d'enfants qui fréquentent l'école française devraient faire pour assurer la vitalité de nos communautés francophones et acadienne.

Nous en étions à offrir une panoplie de services en français aux centres à la petite enfance et à la famille, mais, comme cet aspect relève de la compétence provinciale, et qu’en Ontario, ce sont les villes qui s'occupent de la petite enfance, c'est donc devenu très difficile, et il y a évidemment beaucoup plus de bénévolat. L'an passé, j'ai fait six mois de bénévolat pour m’assurer que l’association reste en vie. S’il n’y a plus de parents francophones, je pense qu’il n’y aura plus d’enfants qui décideront d’aller à l’école française, et ce sera difficile. Je m'excuse, mais c’est ainsi qu’on le perçoit.

M. Paul : J’ajouterais que, non, votre question n'est pas tendancieuse; au contraire, c'est public. On vous parlait plus tôt de la Fédération culturelle canadienne-française, de la Fédération de la jeunesse canadienne-française, de l'Association canadienne d’éducation de langue française. La grande majorité de ces organismes, sinon à peu près tous les organismes comme les nôtres sont financés grâce à un financement de base, par Patrimoine canadien. Par contre, nous, à la Fédération nationale des conseils scolaires, nous comptons 28 conseils scolaires, ce qui signifie que les 28 conseils scolaires contribuent à l'avancement de nos travaux.

Cependant, je vous dirais aussi que nous jouons un rôle assez important au-delà du financement de fonctionnement que nous recevons; on nous finance dans le cadre de projets. Par exemple, la Fédération nationale des conseils scolaires coordonne un comité tripartite, un comité qui réunit, deux fois par année, un représentant francophone de tous les ministères de l'Éducation de tous les territoires et de toutes les provinces, pour parler d'éducation. Nous réunissons autour d'une même table Patrimoine canadien, Citoyenneté et Immigration Canada, ainsi que des organismes communautaires; il y a donc un financement prévu à cette fin.

Nous recevons aussi un financement pour organiser une table ronde nationale sur l'éducation en langue française, où nous réunissons 12 organismes pancanadiens qui parlent d'éducation. Nous organisons aussi un sommet sur l'éducation tous les cinq ans, et les fonds qui financent ces différents projets proviennent de Patrimoine canadien. Je dirais que nous nous situons à environ 50-50 en ce qui a trait au financement : 50 p. 100 du financement provient des conseils scolaires et l’autre 50 p. 100 provient de Patrimoine canadien.

Le sénateur Rivard : Merci beaucoup, c'est très éclairant.

La sénatrice Chaput : Mes questions s'ajoutent à celles de mes collègues; elles ne seront donc pas très longues.

J'aimerais vous dire, madame Pilon et monsieur Paul, à quel point j’ai apprécié vos présentations, et je vous en remercie.

Ma première question, madame Pilon, fait suite à la question de la sénatrice Poirier concernant l'accueil des parents anglophones dans notre système d'éducation.

Vos membres accueillent maintenant dans les écoles les familles dont l’un des parents ne parle que l'anglais. Je crois avoir déjà vu sur votre site web un feuillet, un guide s’adressant aux écoles francophones à travers le Canada, en anglais et en français, pour leur donner des idées sur la façon d’accueillir ces parents qui ne parlent pas le français et de les mettre à l'aise, parce qu'on sait qu'ils sont très mal à l'aise. Il me semble que ce feuillet, parmi les idées ou les suggestions qu'il lançait, expliquait aussi que les parents pourraient avoir, par exemple, au début, de petites réunions uniquement en anglais, pour ceux qui ne parlent pas le français. Cela permettrait de les mettre à l'aise afin qu'ils puissent assister aux autres réunions, en sachant très bien que ces écoles n'ont pas d'argent pour faire la traduction.

Est-ce que c'est vous qui aviez élaboré ce feuillet?

Mme Pilon : Nous avions travaillé avec les provinces pour trouver des moyens de ramener le parent, même s'il est anglophone, dans nos écoles. Si un parent veut faire partie du comité des parents — c'est un groupe dans lequel on souhaite que les parents s’impliquent — et qu’il ne parle que l'anglais, de nombreux conseils d’école vont le jumeler avec un autre parent qui peut faire la traduction. Éventuellement, ce parent veut apprendre le français.

Il y a des écoles qui ont mis sur pied des cours de français pour les parents qui voulaient apprendre le français afin de mieux accompagner leur enfant. Pour ce parent, cela devient facile, parce que l'enfant commence à apprendre le français en bas âge. Il est donc plus facile de parler à un enfant de deux ou trois ans en français qu’à un adolescent qui est au secondaire.

Pour nous, ce sont de bons alliés, parce qu'ils ont choisi l'école française même s'ils sont anglophones. On les garde, on essaie de les outiller pour qu'ils puissent venir travailler ou aider dans les écoles, ou encore se porter bénévole pour accompagner les enfants lors de voyages.

La sénatrice Chaput : J’aimerais que vous nous donniez un autre exemple de ce que vous voulez dire par « outiller les parents ». J’ai lu ce feuillet que j'avais trouvé sur votre site web. J’en avais même fait des copies, et lorsque je participais à des réunions, au Manitoba, je les distribuais. Je vous félicite.

Monsieur Paul, ma question concerne les meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde.

Nous voudrions tous que les Canadiens et Canadiennes qui le veulent et qui le choisissent puissent s'exprimer très bien dans les deux langues officielles du Canada. D'après votre expérience, vos déplacements et tout ce que vous avez fait, quelle est vraiment la meilleure pratique en matière de politique linguistique et d'apprentissage pour la langue seconde? Est-ce que ce qui réussit très bien, comme l'anglais dans les écoles françaises, s'appliquerait pour le français dans une école anglaise? J'aimerais vous entendre à ce sujet. Quelle serait, d'après vous, une des pratiques importantes?

M. Paul : Si vous me le permettez, en guise d'information, je voudrais vous parler d’un guide que la Fédération nationale des conseils scolaires produit pour les parents anglophones intitulé I’m with you! Vous pouvez le trouver sur notre site web. C’est un guide que l'on donne aux nouveaux parents qui arrivent dans notre système afin qu'ils puissent, tout d’abord, comprendre la valeur ajoutée de l'école, mais aussi voir que, même s'ils ne parlent pas la langue, il y a plein de services qu'on pourra leur offrir afin de les appuyer, surtout en ce qui concerne le deuxième parent d’une famille exogame.

Parfois, ce parent se sent un peu isolé, sent qu'il ne sera pas capable de contribuer, alors qu'on lui explique dans ce guide quelle serait sa contribution et comment il pourrait contribuer.

En ce qui a trait aux politiques d'aménagement linguistique, je faisais référence à l'immersion, mais prenons quelqu'un qui réussit bien dans un programme d'immersion. Pourquoi cette personne réussit-elle bien? C'est parce qu'elle passe la moitié de sa journée en français. Pourquoi les nôtres, dans les conseils de langue française, réussissent-ils bien? C’est parce qu’ils passent les trois quarts de leur vie en anglais.

J'exagère pour vous dire que, aussitôt qu’il sort de l’édifice, l’enfant entend de l’anglais. Il est en immersion anglaise à l'extérieur. On n'a pas besoin d'inclure l’anglais dans notre système, car il l'a déjà. Par contre, dans nos écoles, on doit s'assurer qu'il parle bien l'anglais. Il connaît bien les rudiments de la langue anglaise, mais la parle-t-il bien? Pas nécessairement. À l’inverse, dans une école d'immersion en français, on doit passer beaucoup plus de temps pour acquérir la maîtrise de la langue française, parce qu’elle ne s’apprend pas à l’extérieur.

Quant aux politiques d'aménagement linguistique, elles ne servent pas exclusivement à l'apprentissage de la langue seconde. Il s’agit davantage d’une question d’aménagement linguistique, dont vient de se doter le Nouveau-Brunswick, et comme s'est dotée l'Ontario depuis une dizaine d'années. Qu'est-ce qu’une politique d'aménagement linguistique? Les fonctionnaires anglophones qui travaillaient au ministère de l'Éducation de l'Ontario se demandaient ou essayaient d’expliquer ce que voulaient les francophones.

[Traduction]

Que veulent les francophones? De quoi ont-ils besoins?

[Français]

Puis, aussitôt que je leur disais :

[Traduction]

« Eh bien, vous savez, nous avons une politique. »

[Français]

…l’anglophone se disait « You have a policy ». Lorsque vous avez une politique, cela veut dire que le gouvernement y est, n’est-ce pas? Quand un gouvernement est à l’origine d’une politique et qu’il affirme, comme au Nouveau-Brunswick et en Ontario, haut et fort, qu'il croit à l'éducation en langue française ay moyen d’une politique, cela a une tout autre connotation.

C'est ce qu'on tente de faire maintenant au Manitoba. Un cheminement est en train de se faire au Manitoba afin d’élaborer une politique d'encadrement linguistique et culturelle. Qu'on l'appelle comme on veut, le gouvernement peut-il, au moyen d’un document quelconque, démontrer qu'il appuie autant l'enseignement en français qu’en anglais, pas seulement par des paroles, mais aussi par écrit?

Lorsqu’on est muni d’une politique, on se sent beaucoup plus épaulé, appuyé par les gouvernements. C'est en ce sens qu’on aimerait que toutes les provinces et les territoires soient dotés de politiques gouvernementales selon lesquelles les anglophones, qui sont majoritaires, disent haut et fort qu'ils croient à l'apprentissage et aux droits des francophones, qu’ils y croient tellement qu'ils ont rédigé une politique.

La sénatrice Chaput : En ce qui concerne le bilinguisme durable, vous avez parlé des universités. Il est important que l’on puisse poursuivre des études dans la deuxième langue qu'on a apprise pour pouvoir demeurer bilingue, n’est-ce pas?

M. Paul : Merci pour la question. Cela ne fait qu’une quinzaine d'années que nous sommes forts d'avoir des commissions scolaires francophones à travers le pays. Nous avons passé une décennie à nous mettre sur pied et à nous structurer. Maintenant, nous avons nos infrastructures, qui ne sont pas parfaites, nos ressources humaines, qui ne sont pas parfaites non plus, mais cela progresse.

Il faut donc s’occuper de l'insécurité linguistique des jeunes. Dans un premier temps, certains jeunes pensent qu'ils ne sont pas capables de poursuivre leurs études au niveau postsecondaire en français, et d’autres se disent qu'il n'y a pas d'institutions postsecondaires pour ce faire. Il y a donc deux volets.

Dans un premier temps, on perd nos jeunes, parce que seulement 50 p. 100 des élèves qui sont ayants droit se retrouvent dans nos écoles. Je vous ai donné des statistiques tantôt d’un élève sur deux seulement, mais je vais vous en donner une encore plus inquiétante, ou aussi inquiétante. Si on réussissait à garder les élèves inscrits à l’élémentaire dans nos écoles de langue française pour le niveau secondaire, on doublerait le nombre de francophones à travers le pays dans nos écoles.

Pourquoi ne garde-t-on pas nos élèves? Premièrement, c’est parce que le parent se dit que l’enfant a assez appris de français et qu’il est le temps pour lui d’apprendre l'anglais. C’est une fausseté par rapport aux différents types d’écoles.

Deuxièmement, quand un parent ou un jeune réalise qu’il doit réfléchir à son avenir, il croit qu’il n’y a pas d’avenir en français, parce qu’il n’y a pas d’institutions postsecondaires. Cela nous fait du tort. Nous voulons tous le meilleur pour nos enfants. S’il n’y a pas d’universités ou de collèges francophones, il est sûr qu’en théorie, le plus rapidement on passe à l’anglais, mieux ce sera, et c’est normal. Ce n’est pas pour rien qu’il y a toutes sortes de revendications pour la création d’universités ou de collèges francophones en Ontario. Sans trop entrer dans les détails, on n’a qu’à regarder ce qui est arrivé avec l’Université d’Ottawa. Au début, c’était une université francophone pour les francophones. D’une université franco-ontarienne, elle est devenue une université bilingue et, maintenant, elle est devenue une université ouverte sur le monde.

En première année, à l’Université d’Ottawa, il y a des cours en français. Si, au moins, il y avait des Universités d'Ottawa partout à travers le pays, on aurait une première année de cours offerts en français. Cependant, nous sommes loin d'avoir ce type d’université à travers le pays. Auparavant, quand les jeunes avaient terminé leur douzième année, les parents leur disaient qu’ils en avaient assez, mais, aujourd’hui, on ne va nulle part avec un diplôme d’études secondaires. Il faut faire des études postsecondaires, mais où trouver le niveau postsecondaire dans nos milieux francophones?

La présidente : Rapidement, pour une deuxième question, la sénatrice Fortin-Duplessis.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Plusieurs intervenants, notamment le commissaire aux langues officielles, ont souligné que les possibilités de pratiquer la langue seconde à l'extérieur de la salle de classe et d'interagir avec des personnes de l'autre groupe linguistique sont indispensables au maintien des acquis. Vous en avez parlé, et vous avez dit que c'était important.

Mes trois questions portent sur le programme Erasmus que vous connaissez peut-être, programme qui permet de promouvoir des échanges et des dialogues entre des étudiants européens de niveau universitaire. Il s'agit d'un programme très populaire là-bas, qui est devenu un véritable phénomène culturel.

Que pensez-vous des programmes d'échanges qui existent présentement au Canada? Quelles recommandations feriez-vous pour améliorer ces programmes? Selon vous, est-ce qu'un programme canadien semblable à Erasmus serait efficace pour promouvoir les échanges et le dialogue entre les étudiants de niveau postsecondaire?

M. Paul : Tout à fait. Dans un premier temps, en ce qui concerne les programmes qui préconisent des échanges entre Canadiens, dans notre pays, il y en a qui sont organisés par l'ACELF, qui envoie des jeunes dans différentes régions du Canada pour qu’ils puissent voir comment cela se passe ailleurs que dans leur province. Les jeunes reviennent grandis de ces échanges, ils sont heureux de s’être frotté les coudes à ceux d’autres jeunes.

En ce qui a trait aux échanges, c'est une autre façon de promouvoir la langue française et la langue anglaise, et c’est une autre façon de réaliser la richesse que nous avons d'avoir deux langues officielles dans ce pays.

S’il peut faire en sorte que nos jeunes soient ouverts sur le monde par l'entremise d'échanges, je pense que le Canada en sortira grandi et les jeunes aussi. La question des échanges entre étudiants canadiens et ceux d'autres pays vient renchérir et apporter une valeur ajoutée à la dualité linguistique. Cela vient démontrer que, finalement, le français n'est pas une langue morte. C'est une langue très vivante, une langue parlée par des millions et des millions de personnes. Cela démontre aussi à nos francophones et aux francophones du Québec qu'ils ne sont pas seuls, qu’ils ne sont pas isolés sur leur petite île.

Par rapport aux échanges universitaires, c'est la prochaine étape qu'on est sur le point de franchir. En ce qui concerne l’immigration de gens qui veulent étudier dans notre pays et l’immigration de nos jeunes qui veulent étudier dans d'autres pays, c'est une richesse absolument incroyable de connaître non seulement une langue, mais une autre culture. Ce genre d'échange doit être encouragé.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Est-ce que je peux poser une dernière question?

La présidente : Rapidement, sénatrice.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Nous accueillons des témoins qui viennent parler justement de l'apprentissage d'une langue seconde. Je sais que je ne devrais pas vous poser la question, mais, comment pensez-vous que les gouvernements provinciaux réagiront si on leur fait des recommandations assez fortes et qu’on insiste sur l'apprentissage des langues secondes au Québec, que ce soit au Québec avec les anglophones ou dans les autres provinces avec les francophones?

Vous qui côtoyez davantage les gouvernements provinciaux, pensez-vous qu'ils vous diront que cela ne relève pas de leur champ de compétence?

M. Paul : Je vous répondrai de façon très pratico-pratique. On tente de se défendre par rapport aux gouvernements qui tentent d'interpréter l'article 23 de façon très limitative. Est-ce qu’il serait utile à la francophonie pancanadienne de recevoir des messages du gouvernement fédéral? Il est sûr que certains seront d’accord, et d'autres pas.

Mais, si quatre procureurs généraux décident d'intervenir dans la cause du Yukon, ils ne vont pas intervenir en faveur d'une interprétation plus libérale, plus large de l'article 23.

Il y a peut-être certains messages que le gouvernement fédéral devrait lancer aux provinces, mais l'éducation sera toujours de compétence provinciale et territoriale. Cela ne veut pas dire que les gens n'ont pas d'opinion ou qu'ils ne valorisent pas la dualité linguistique. Je vous répondrai ceci : je n'hésiterais pas à passer des messages que certains apprécieront et d'autres moins.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup. Au nom du Comité sénatorial permanent des langues officielles, je tiens à vous remercier de vos excellentes présentations. Merci d'avoir pris le temps de comparaître devant le comité aujourd'hui. Il ne fait aucun doute que vos deux organismes contribuent énormément au maintien et au développement du fait français, à la vitalité institutionnelle de nos communautés de langue officielle et à nos communautés francophones en situation minoritaire. Merci pour le travail que vous faites.

M. Paul : Merci de nous avoir invités. Merci pour vos questions qui sont aussi importantes que le rapport, finalement.

La présidente : Merci d'avoir si généreusement répondu aux questions.

(La séance est levée.)


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