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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 16 février 2016

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 17 heures, pour poursuivre son étude sur les priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d’accès aux marchés internationaux.

Le sénateur Ghislain Maltais (président) occupe le fauteuil.

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

L’objectif de notre mandat est d’examiner l’accès des produits canadiens aux marchés internationaux. Aujourd’hui, nous accueillons deux groupes d’intervenants. Le premier témoin sera M. Don Jarvis, directeur exécutif de la Canadian Pasta Manufacturers Association.

[Traduction]

Je suis le sénateur Maltais du Québec, le président du comité.

Le sénateur Mercer: Je suis le sénateur Terry Mercer, le vice-président du comité.

Le sénateur Moore: Mon nom est Wilfred Moore, et je suis de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Mockler: Percy Mockler, Nouveau-Brunswick. Je remplace le sénateur Dagenais.

Le sénateur L. Smith: Mon nom est Larry Smith et je remplace le sénateur Oh.

La sénatrice Merchant: Je suis la sénatrice Merchant de la Saskatchewan.

La sénatrice Unger: Mon nom est Betty Unger et je suis d’Edmonton.

Le sénateur McIntyre: Paul McIntyre, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Beyak: Sénatrice Lynn Beyak, Ontario.

Le président: Bienvenue, monsieur Jarvis.

Don Jarvis, directeur exécutif, Association canadienne des fabricants de pâtes alimentaires: Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je suis très heureux d’être ici, surtout en ce jour de tempête. Je dois d’ailleurs dire que j’admire le courage et le dévouement des membres du comité. La question du quorum a été vite réglée.

Au nom de nos membres, je vous remercie d’avoir invité notre organisation à comparaître cet après-midi pour contribuer à votre étude des priorités et des enjeux en matière d’accès aux marchés internationaux.

Notre association représente les intérêts des fabricants canadiens de pâtes alimentaires du point de vue de la réglementation et des politiques commerciales. Je n’apprendrai rien aux sénateurs provenant de ce coin du pays, comme ils viennent de nous l’indiquer, mais précisons tout de même que le blé dur canadien est cultivé dans trois provinces de l’Ouest, soit la Saskatchewan, l’Alberta et le Manitoba. C’est la semoule de ce blé qui fait que les pâtes alimentaires à 100 p. 100 d’origine canadienne sont uniques au monde.

Nos quatre entreprises membres sont responsables de plus de 95 p. 100 de la production de pâtes sèches au pays. Italpasta, Catelli, Primo et Grisspasta sont des marques de pâtes alimentaires bien connues des Canadiens. Ces entreprises fabriquent des pâtes de formes et de tailles très variées qu’elles vendent dans tout le Canada, aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Elles disposent de grandes usines modernes pour la fabrication de leurs pâtes. Deux de ces usines sont situées dans la région de Montréal, deux autres sont installées dans le Grand Toronto. Leurs ventes combinées totalisent quelque 400 millions de dollars par année.

Je vais utiliser les sept ou dix minutes à ma disposition pour traiter avec le comité de différents enjeux touchant les fabricants canadiens de pâtes alimentaires qui peuvent s’inscrire dans le cadre de votre étude. Je vous parlerai ainsi de l’implication de notre association dans certains litiges commerciaux, des activités conjointes de nos membres pour la promotion des échanges commerciaux avec le soutien d’Agriculture et Agroalimentaire Canada pendant de nombreuses années, et des défis que doit maintenant relever notre secteur au sein de l’industrie canadienne de la transformation des aliments pour demeurer apte à soutenir la concurrence sur les marchés internationaux comme au Canada.

Voilà déjà plus de 20 ans que j’ai commencé à travailler auprès de ces entreprises. Je suis directeur exécutif de l’association depuis 1996. À l’époque, l’association et ses quatre entreprises membres ont été parties prenantes à une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur à l’égard d’allégations de dumping et de subventions. Cette plainte concernait les pâtes alimentaires italiennes régies par la ligne tarifaire 1902.19, qui s’applique aux pâtes alimentaires non cuites ni farcies ni autrement préparées. Il s’agit en fait des produits que l’on peut trouver le plus couramment à l’épicerie sous cellophane ou dans une boîte.

Malgré les preuves directes de subventions et de dumping des pâtes sur le marché canadien, le tribunal a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves de dommages pour imposer des droits additionnels sur ces produits. Cependant, compte tenu de la durée et des coûts des procédures, et en raison des droits provisoires en vigueur pendant une certaine période, le volume des importations s’est stabilisé et est demeuré plutôt constant dans les années suivantes. Ce n’est que récemment que l’on a noté une hausse inquiétante des importations, cette fois-ci en provenance de la Turquie, plutôt que de l’Italie.

Peu de temps après la conclusion de cette affaire, notre association a entrepris, avec l’aide d’Agriculture et Agroalimentaire Canada et de la Commission canadienne du blé, une étude sur notre stratégie commerciale intitulée « Generic Promotion as a Market Development Strategy: Canada's Pasta Industry 1997-2001 ».

La conclusion générale de cette étude a été que la meilleure défense, c’est encore l’attaque, et que l’accroissement de nos exportations allait renforcer notre industrie. Nos entreprises membres ont alors commencé à engager des ressources additionnelles pour ouvrir de nouveaux marchés d’exportation à l’extérieur des importants débouchés immédiats que nous offrent les États-Unis. Elles ont misé sur leurs meilleurs produits italiens prêts à servir à base de pâtes sèches — comme les spaghettis, les macaronis et les vermicelles — avec sauces, condiments et autres accompagnements.

En 2001, ce programme de promotion des exportations mené par notre association était devenu une initiative ambitieuse et bien structurée bénéficiant des investissements des quatre entreprises et du soutien financier d’Agriculture et Agroalimentaire Canada dans le cadre du Programme international du Canada pour l’agriculture et l’alimentation. En 1997, la valeur des exportations de pâtes était estimée à 42 millions de dollars, elle atteignait 70 millions de dollars en 2002; et nous avons enregistré un excédent d’exportation en 2005, malgré l’appréciation du dollar canadien à l’époque, avec des ventes dépassant les 115 millions de dollars. L’an dernier, nos exportations se sont chiffrées à 165 millions de dollars, mais visaient dans la vaste majorité des cas le marché américain.

J’ai apporté quelques-uns des outils graphiques et promotionnels utilisés aux fins de ce programme — des brochures, des affiches, et cetera — et nous pourrons y revenir pendant la période de questions.

Outre les activités promotionnelles, ces entreprises canadiennes ont été à l’origine de la création de produits novateurs, comme les pâtes de blé entier et les pâtes pour enfants, ce qui a également contribué à augmenter les ventes aux États-Unis.

Une partie des efforts déployés visaient d’autres marchés, comme ceux du Japon, des Antilles et du Moyen-Orient, mais les résultats à long terme ont été très mitigés, voire nuls. Si la chose vous intéresse, je pourrai répondre à vos questions en vous donnant plus de détails sur ces documents et les difficultés que nous avons pu éprouver.

Je sais que l’honorable JoAnne Buth, PDG de l’Institut international du Canada pour le grain, a comparu devant votre comité en mars dernier. En plus de vous transmettre de l’information sur les programmes offerts par l’institut et l’excellent travail qu’il accomplit, elle s’est dite préoccupée par la question des barrières tarifaires et non tarifaires, les risques d’entrave à la promotion de l’image de marque du Canada, et le rôle et la valeur des nouvelles ententes commerciales et des autres initiatives en la matière. Je pourrai aussi traiter de ces questions avec vous.

Permettez-moi de vous parler d’étiquetage, une considération qui peut avoir une incidence sur les activités de nos membres dans le marché canadien. L’étiquetage est très important et vise à renseigner le consommateur. Nos membres sont très fiers de pouvoir produire au Canada des pâtes de grande qualité à partir de semoule de blé à 100 p. 100 canadienne. Dans bien des cas, les marques de commerce et les emballages qu’ils utilisent indiquent clairement au consommateur qu’il a entre les mains un produit canadien tout en lui fournissant tous les autres renseignements requis par notre réglementation en matière d’étiquetage.

Nous devons sans cesse composer avec le fait que les pâtes importées de nos concurrents sont souvent étiquetées de façon inappropriée. On se contente dans bien des cas d’indiquer que les pâtes sont importées, sans préciser le pays de provenance.

L’évolution constante des modes alimentaires et des exigences des consommateurs est un autre défi pour le secteur des pâtes. Vous n’avez qu’à penser aux régimes à faible teneur en glucides, et notamment au régime Atkins, il y a 15 ou 20 ans, à la publication du livre Wheat Belly, au blé transgénique et, plus récemment, au mouvement visant à éviter le gluten.

Il y a quelques années, l’association a participé à la création de l’Institut des céréales saines à l’initiative de différents groupes et partenaires comme l’Association canadienne de la boulangerie, l’Association nationale canadienne des meuniers et Cereals Canada. Avec l’aide de son Conseil consultatif scientifique, cet institut s’emploie à aider les Canadiens à mieux connaître et comprendre les bienfaits des céréales pour la santé. L’institut s’est engagé à présenter aux Canadiens de l’information scientifique sur les aliments à base de céréales, y compris les pâtes alimentaires, comme composantes importantes d’un régime sain et équilibré. Nous pourrons en discuter également, si vous avez des questions à ce sujet.

Pour conclure ma déclaration préliminaire, je reviens à une préoccupation plus actuelle et pressante pour les fabricants canadiens de pâtes alimentaires: la hausse soudaine et considérable des importations en provenance de la Turquie. En juin dernier, notre association a fait part de ses préoccupations au gouvernement fédéral dans une lettre dont je vous ai fourni une copie. Les importations n’ont pas cessé d’augmenter depuis, ce qui a incité l’association à publier un communiqué pour mettre les parties intéressées, y compris les importateurs actuels et potentiels, au fait des inquiétudes de notre industrie. Voici un extrait de ce communiqué:

Selon Statistique Canada, plus de 5 millions de kilogrammes de pâtes non cuites ont été importés au Canada en provenance de la Turquie entre janvier et novembre 2015, ce qui est près du triple des quantités totales importées pendant l’année 2014. Le même rapport révèle également une forte disparité quant au prix livré par rapport à d’autres importations — 50 p. 100 inférieur à celui des pâtes italiennes; 40 p. 100 plus bas que les pâtes importées des États-Unis.

Depuis lors, l’association a été informée par l’un des importateurs et fabricants de ces pâtes provenant de la Turquie qu’aucune subvention n’est versée par aucun gouvernement, que l’importation se fait dans les règles à la faveur de faibles coûts de production, et que les pâtes sont vendues au Canada à un prix supérieur à celui fixé par les grands détaillants en Turquie. Nos membres ont pris bonne note de ces faits et précisions transmis par un importateur selon lequel il n’y a ni subvention ni dumping des produits au Canada, et qu’il n’a pas encore été établi qu’il pouvait y avoir des dommages considérables maintenant ou à l’avenir.

Cependant, comme le prix FAB des importations turques d’une manière générale est, selon Statistique Canada, très faible en comparaison des importations en provenance des États-Unis et de l’Italie — et des coûts de fabrication pour nos membres au Canada —, il y a lieu de s’interroger sur la capacité concurrentielle de nos entreprises, non seulement sur le marché intérieur, mais aussi à l’échelle internationale.

Les meuniers de blé dur canadiens, Cereals Canada et d’autres intervenants partagent les préoccupations de notre association à ce chapitre. Les meuniers ont indiqué publiquement que leurs résultats sont fortement tributaires du marché canadien et que l’afflux de pâtes importées les inquiète. Cereals Canada a aussi clairement précisé qu’il est dans l’intérêt de notre pays et de l’ensemble de la chaîne de valeur que ces activités de transformation aient lieu au Canada.

Les exportations de blé dur canadien vers la Turquie ont augmenté pour passer à 105 800 tonnes en 2013-2014, alors qu’elles n’étaient que de 82 000 tonnes lors de la récolte précédente. Compte tenu de la part de ce marché occupée par le Canada en Turquie, Cereals Canada estime que les pâtes importées de la Turquie étaient probablement fabriquées en bonne partie à partir de blé dur canadien.

J’espère avoir pu vous transmettre des renseignements utiles dans mes observations préliminaires, et je suis maintenant prêt à répondre à toutes vos questions.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Jarvis, pour cet excellent exposé.

Ce sera le vice-président du comité, le sénateur Mercer, qui posera les premières questions, suivi du sénateur McIntyre.

Le sénateur Mercer: Monsieur Jarvis, merci d’être des nôtres malgré la tempête qui sévit.

Vous avez dit au départ que vos entreprises membres ont de grandes usines de fabrication très modernes — deux à Montréal et deux dans la grande région de Toronto — et que leurs ventes combinées atteignent 400 millions de dollars annuellement.

Nous sommes des politiciens. Les chiffres d’affaires peuvent peut-être nous impressionner, mais le nombre d’emplois nous intéresse encore davantage. Combien de personnes travaillent dans ces quatre usines? Si vous pouviez nous dire combien il y en a dans chaque ville, ce serait encore mieux.

Si je vous pose la question, c’est qu’il y a toujours des gens qui soutiennent que les délibérations du Comité de l’agriculture et des forêts ne les intéressent pas parce qu’ils vivent en plein cœur de Toronto ou de Montréal. Je peux leur répondre que les centres-villes de Montréal, Toronto ou Halifax peuvent être tout à fait concernés, car on y trouve des gens qui gagnent leur vie avec des produits agricoles. En nous fournissant des chiffres sur le nombre d’employés de ces quatre usines de fabrication de pâtes, deux à Toronto et deux à Montréal, vous les aiderez à mieux comprendre l’importance de l’agriculture.

Avez-vous ces chiffres à la portée de la main?

M. Jarvis: Je peux vous fournir une estimation. Les quatre usines existent depuis un bon moment déjà; ce sont presque des institutions. Il y a une très grosse usine de Catelli au port de Montréal, et celle de Grisspasta à Longueuil, sur la Rive-Sud. À Toronto, l’usine d’Italpasta est située au nord de l’aéroport Pearson, et celle de Primo est au nord de la ville. Les quatre usines sont en place depuis plusieurs années. Je dirais qu’il y a entre 300 et 400 employés au total, une approximation qui est sans doute assez proche de la réalité.

Le sénateur Mercer: Au total?

M. Jarvis: C’est le total pour les quatre usines. C’est un chiffre très conservateur; je ne veux pas surestimer le nombre de travailleurs. En outre, ils ne sont pas tous sur le plancher de l’usine. Il y a aussi tous les vendeurs et le personnel administratif. La production de pâtes est devenue une activité fortement mécanisée. On utilise d’énormes machines, et la production n’exige que peu de main-d’œuvre.

Le sénateur Mercer: Vous avez mentionné dans votre exposé que certaines étiquettes n’indiquent pas l’endroit où le produit a été fabriqué ou la provenance des matières premières. Nous nous retrouvons en quelque sorte entre deux chaises, car si nous comprenons les préoccupations dont vous nous faites part, nous n’oublions pas non plus toutes ces soirées que nous avons passées ici à discuter des règles américaines sur l’étiquetage indiquant le pays d’origine et à exprimer notre opposition à cet égard.

Comment pouvons-nous concilier ces deux positions? Nous nous disons que ce serait une bonne chose de savoir que les pâtes viennent de Turquie, ou de n’importe où ailleurs, mais nous nous opposons à l’étiquetage indiquant le pays d’origine des produits de viande vendus aux États-Unis.

M. Jarvis: C’est une très bonne question, sénateur Mercer. Je vais essayer de vous soumettre quelques pistes de solution.

Ce n’est pas seulement l’étiquetage indiquant le pays d’origine qui nous inquiète surtout. Dans le cas des produits importés, il n’est pas rare que l’on ne respecte pas les exigences relatives au tableau de la valeur nutritive et qu’il y ait d’autres erreurs dans l’étiquetage. Comme je le soulignais dans mon document, l’étiquetage est là pour renseigner le consommateur. C’est un aspect très important et l’Agence canadienne d’inspection des aliments en est consciente. Nous lui avons signalé des erreurs et des problèmes avec certains étiquetages, et l’agence prend les mesures nécessaires pour que le tableau de la valeur nutritive et les autres renseignements obligatoires y figurent comme c’est le cas pour les produits fabriqués au Canada, en veillant à ce qu’on apporte les changements voulus pour corriger les irrégularités que nous avons signalées.

Pour ce qui est de la provenance des produits importés, je dois dire que bien des détaillants — qui sont les principaux acheteurs de ces produits — sont très consciencieux et insistent pour que la provenance du produit soit bel et bien indiquée, alors que ce n’est pas une exigence obligatoire. En fait, je crois qu’il y a sur le marché canadien des produits turcs avec un étiquetage approprié indiquant qu’ils sont importés de Turquie, ou importés des États-Unis.

Comme ce n’est pas obligatoire — et je crois que c’est notamment ce caractère imposé qui posait problème avec l’étiquetage indiquant le pays d’origine —, il peut y avoir d’une certaine façon une autoréglementation par la clientèle et les détaillants. Les détaillants très consciencieux exigent que les produits semblables soient étiquetés, parce que le consommateur veut vraiment savoir d’où ils proviennent.

Le sénateur Mercer: J’ai pourtant l’impression que les détaillants d’une manière générale… Dans mon ménage, je tiens à être celui qui fait le plus souvent les achats à l’épicerie. Je partage aussi les responsabilités de cuisine; j’interviens du côté de la préparation. Je lis la plupart des étiquettes, mais c’est habituellement la teneur en sel qui m’intéresse, plutôt que le pays d’origine. Lorsque j’achète des pâtes au Canada, je présume, compte tenu des grandes quantités de blé dur que nous récoltons, qu’elles sont de fabrication canadienne, mais vous m’avez incité à y regarder à deux fois dorénavant.

Lorsque notre comité recevra des témoins représentant des grandes chaînes de détaillants, devrions-nous les mettre sur la sellette en leur demandant pourquoi ils ne mettent pas davantage en valeur le fait qu’il s’agit de pâtes fabriquées au Canada?

Depuis des années, c’est moi qui fais les achats à l’épicerie, et je ne me souviens pas d’avoir vu beaucoup d’affiches dans le rayon des pâtes clamant qu’elles sont « fabriquées au Canada ». Si je voyais une telle indication « pâtes fabriquées au Canada », l’acheteur en moi se dirait qu’il y a sans doute aussi sur les étagères des pâtes fabriquées ailleurs dans le monde.

M. Jarvis: Permettez-moi de réagir à ces commentaires. La quasi-totalité des fabricants canadiens que nous représentons indique que leurs produits sont canadiens, en précisant par exemple qu’ils sont fabriqués à partir de blé à 100 p. 100 canadien. C’est toutefois assurément une question que vous pourriez poser aux détaillants. Il n’est pas très difficile de fournir ces indications supplémentaires à l’égard des produits importés. Comme je le soulignais, ils sont plusieurs à le faire déjà. Moi aussi, je regarde les étiquettes quand je fais mon marché. Je travaille dans le secteur alimentaire depuis 40 ans. Les consommateurs sont très intéressés à savoir ces choses-là, et pas seulement pour les pâtes, mais pour tous les produits alimentaires. Ils veulent connaître la provenance de ces produits, surtout quand ils ne sont pas canadiens.

Le sénateur Mercer: S’il arrive un jour que des représentants des détaillants comparaissent devant nous pour une raison ou une autre, j’aimerais que nos analystes me rappellent que je veux leur poser une question concernant les pâtes alimentaires.

M. Jarvis: Merci beaucoup.

Le sénateur McIntyre: Merci, monsieur Jarvis, pour votre exposé. Vous avez parlé de dumping et de concurrence déloyale. Vous avez raison. En février 2016, les fabricants de pâtes canadiens ont indiqué faire l’objet d’une concurrence déloyale sur le marché canadien en raison de l’importation de quantités importantes de pâtes alimentaires en provenance de la Turquie, principalement.

Vous avez parlé des moyens à prendre pour limiter les conséquences néfastes du dumping. Qu’en est-il du Partenariat transpacifique? Croyez-vous que cet accord va mettre fin au dumping et à la concurrence déloyale?

M. Jarvis: C’est une question intéressante qui nous porte à réfléchir sur les effets possibles du Partenariat transpacifique ou même de l’accord de libre-échange avec l’Union européenne. De plus en plus, le dumping et les subventions sont des pratiques qui ne sont pas reconnues ou supposément tolérées au sein de la communauté commerciale internationale. L’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui chapeaute tous les échanges commerciaux, a annoncé en décembre que l’on allait mettre fin à toutes les subventions à l’exportation. Ainsi, il ne sera plus possible pour les différents pays de subventionner la production agricole ou alimentaire. Voilà déjà bien des années que l’OMC s’efforce, lentement mais sûrement, de régler cette problématique. Il semblerait que l’on aura mis fin au dumping d’ici 2020. En fait, je devrais plutôt parler des subventions, et pas nécessairement du dumping.

Le dumping n’est pas une pratique que l’on peut réglementer ou empêcher au moyen d’ententes commerciales internationales. On ne devrait tout simplement pas s’y adonner. Un fabricant ne devrait pas vendre un produit à un certain prix sur son marché intérieur et l’exporter à un prix inférieur. C’est une pratique commerciale déloyale.

Le sénateur McIntyre: Le dumping entraîne d’importantes pertes pour les entreprises, cela ne fait aucun doute.

M. Jarvis: Oui.

Le sénateur Moore: Avons-nous conclu une entente commerciale avec la Turquie?

M. Jarvis: Non, je ne crois pas.

Le sénateur Moore: Moi non plus.

M. Jarvis: En fait, il y a actuellement un mouvement qui se dessine au sein des deux pays en vue d’une libéralisation des échanges commerciaux.

Le sénateur Moore: La Turquie fait partie de l’Union européenne, n’est-ce pas?

M. Jarvis: Je ne crois pas. Non.

Le sénateur Moore: Ah bon. Dans votre lettre du 5 juin 2015 au ministre Ritz et à ses collègues, vous écrivez au bas de la première page que votre association a retenu les services d’un avocat pour la préparation d’une plainte éventuelle auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada, une action qui pourrait donner lieu dans un délai de quelques mois à l’application de droits provisoires sur ces exportations. Je me demande un peu ce que l’ASFC vient faire dans ce dossier. Je ne croyais pas que son rôle consistait à voir à l’application des tarifs et des droits de douane. Est-ce que cette démarche a produit des résultats?

M. Jarvis: Cette lettre a été rédigée en juin dernier. Nous avons des conseillers juridiques. Nous avons entrepris les mêmes démarches il y a 20 ans. S’il y a un problème apparent, il faut préparer une première soumission à l’intention de l’Agence des services frontaliers du Canada. Il faut répondre à des critères rigoureux permettant d’établir si les preuves de subventionnement ou de dumping sont suffisantes avant de soumettre un volume important de renseignements à l’ASFC.

Si vous arrivez à trouver des preuves et à terminer la soumission, et vous êtes sûr que vous avez trouvé des preuves de dumping et/ou de subventionnement, il faut soumettre le tout à l’Agence des services frontaliers du Canada. L’agence rend une décision initiale et peut imposer des droits temporaires sur les produits. Le dossier est ensuite envoyé au Tribunal canadien du commerce extérieur qui tiendra des audiences publiques où les preuves sont présentées. Les diverses parties exposent leurs faits, les importateurs ont l’occasion de se défendre, et ainsi de suite. Voilà la procédure.

Le sénateur Moore: À la deuxième page de votre lettre, vous indiquez que le blé profite grandement des avantages et subventions agricoles accordés par la Turquie qui offre des prix minimaux d’achat. Comment le savons-nous? Comment votre organisation le sait-elle?

M. Jarvis: Nous nous fions aux États-Unis, le marché qui est situé immédiatement sous nous. Les Américains imposent des droits sur les pâtes italiennes et turques depuis presque 20 ans et viennent de les renouveler. Les Américains suivent une procédure chaque trois ou cinq ans. Ils utilisent des critères rigoureux: examiner et analyser les programmes gouvernementaux de l’Italie, de la Turquie ou d’un autre pays, établir s’il y a réellement des subventions ou du dumping et continuer à imposer des droits. Les Américains l’ont fait de nombreuses fois.

Le sénateur Mockler: Nous vous avons écouté et quelqu’un a posé une question sur le PTP ou l’AECG. Je vais vous citer, et ensuite j’aimerais connaître votre avis sur les mesures prises par les États-Unis et ce que nous devrions peut-être faire si les faits sont bel et bien attestés. Un dénommé Al-Katib était d’avis que ce sont les gros acteurs de l’Est du Canada, établis depuis très longtemps, qui ne veulent rien savoir de la concurrence. Vous aussi, monsieur Jarvis, vous êtes cité dans l’article:

Jarvis a dit qu’il est absurde que le blé dur canadien puisse être expédié vers la Turquie et ensuite transformé en pâtes alimentaires qui sont renvoyées au Canada et vendues à un prix inférieur aux produits canadiens.

« Voilà le problème véritable lorsque la production est subventionnée. »

Les États-Unis imposent des droits à l’importation sur les pâtes turques depuis 20 ans. Ces droits ont fait l’objet d’un examen récent et des droits supplémentaires ont été rajoutés.

« On ne peut pas acheter de pâtes turques aux États-Unis et nous sommes préoccupés du fait que cette production est redirigée ici », a indiqué Jarvis.

Les États-Unis imposent donc des droits à l’importation. Je suis pour le libre-échange: si nous pouvions éliminer tous les obstacles, je crois que les marchés s’en porteraient mieux. Ceci dit, lorsque je considère les gros joueurs de l’industrie, tels que Catelli, Italpasta, Primo et Grisspasta, qu’est-ce qui les empêcherait de devenir des compétiteurs de classe mondiale?

M. Jarvis: Tout d’abord, vous m’avez cité en long et en large. Permettez-moi de corriger une seule chose au moins. Sur le marché américain, vous trouverez probablement toujours des pâtes italiennes et turques. On les vend. C’est juste que les importateurs doivent payer des droits supplémentaires, qui sont des droits compensateurs ou antidumping, et le produit fait l’objet d’un ensemble supplémentaire de droits et d’une taxe avant même d’entrer dans le pays pour compenser ce que le gouvernement américain a jugé être un tort après avoir reçu des plaintes de l’industrie des pâtes alimentaires américaines, qui fabrique des pâtes aux États-Unis. Cette situation a commencé il y a 20 ans.

Je vous rappelle que dans mon exposé et dans la lettre qui a été citée plus tôt, nous avons indiqué que nous procédions à un examen initial afin de déterminer s’il y a effectivement des preuves. Nous ne déposerons pas de plainte officielle auprès de l’ASFC jusqu’à ce que nous soyons sûrs qu’il y a ou qu’il y a eu du dumping d’un produit subventionné. Nous ne sommes pas encore rendus là. Nous n’avons pas encore suffisamment de preuves. Dans mon exposé, j’ai précisé que l’un des plus grands importateurs nous a clairement dit qu’il n’y a pas de dumping et que leurs pâtes fabriquées en Turquie ne sont pas subventionnées.

Les importateurs se défendent, et nous n’irons pas de l’avant jusqu’à ce que nous soyons convaincus d’avoir des preuves concrètes, exactes et à jour qui seront suffisamment solides pour les soumettre aux critères de l’Agence des services frontaliers du Canada et ensuite intenter une procédure officielle auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur.

Il ne revient pas au gouvernement canadien de faire quoi que ce soit. C’est une action en justice de la part de l’industrie intérieure. Ici au Canada, nous avons une procédure qui nous permettra, en tant que secteur commercial, de tenter de corriger les problèmes.

Ce que je voulais dire dans mon exposé, c’est que si, dans les faits, les grands importateurs de pâtes turques n’effectuent pas de dumping ou de subventionnement, nous avons alors un énorme problème de compétitivité sur le marché des exportations, car dans bien des cas, comme je l’ai dit auparavant, et vous m’avez cité, il se peut même que certains acteurs exportent du blé canadien en Turquie, le transforment en pâtes sèches, le fassent revenir au Canada et le vendent au Canada à un prix qui n’est pas concurrentiel pour nous.

Le sénateur Plett: Vous venez de dire qu’ils importent notre produit, le transforment en pâtes alimentaires et nous les revendent à un prix imbattable. Où est la logique dans tout ça? Pourquoi n’arrivons-nous pas à être concurrentiels lorsqu’ils doivent importer le produit, le transformer en pâtes alimentaires et ensuite nous le renvoyer? Est-ce à cause du coût de la main-d’œuvre? Quelle est la raison qui leur permet de le faire?

M. Jarvis: C’est une excellente question. Si vous me permettez d’ajouter un complément d’information, sachez qu’en général, le produit brut, c’est-à-dire la semoule, représente 80 p. 100 du coût des pâtes alimentaires fabriquées. Les coûts de transport, de main-d’œuvre et d’énergie ne constituent que 20 p. 100 du coût total. C’est la question que nous soulevons. Nous avons peut-être un problème de compétitivité ici au Canada: vous en tirerez vos propres conclusions. Nous observons une marée de pâtes alimentaires qui parviennent actuellement ici au pays à un prix très faible et nous avons des difficultés à demeurer concurrentiels.

La sénatrice Unger: J’ai deux questions, et en fait même une troisième, à savoir pourquoi le Canada importe-t-il tant de pâtes lorsqu’il devrait, d’après vos dires, exporter davantage de blé dur? Pourquoi exportons-nous du blé dur?

M. Jarvis: Je vous répondrai d’abord que nous sommes un exportateur net de pâtes alimentaires également. Nous avons une balance commerciale pour les pâtes. Nos exportations vers les États-Unis sont plus grandes que les pâtes importées des États-Unis. C’est le libre-échange nord-américain, et nous sommes très à l’aise dans ce contexte. Pour ce qui est du blé dur, le Canada est probablement le plus grand exportateur de blé dur du monde, ce qui ne nous perturbe aucunement. Comme je l’ai dans mon exposé, nous vendons le meilleur blé dur au monde. Il permet de fabriquer la meilleure semoule, et nous devrions continuer à exporter, ce que nous faisons. À mon avis, nous exportons sur un marché de produits agricoles fortement concurrentiel.

La sénatrice Unger: J’arrive à la deuxième partie de ma question: quelle est l’incidence réelle du dumping supposé de la part de la Turquie, lorsque le volume est si faible relativement à l’ampleur des importations de pâtes alimentaires vers le Canada? Le volume des importations américaines se chiffre à 114 millions de dollars et celui des importations turques à 6,4 millions de dollars. Pourquoi sommes-nous tellement préoccupés par la Turquie, alors que le chiffre pour l’Italie est de 46 millions de dollars, celui pour la Chine de 15 millions de dollars et celui pour la Thaïlande de 11 millions de dollars, après quoi vient la Turquie?

M. Jarvis: Certains de ces chiffres sur les importations ne portent pas sur les pâtes sèches. Ce sont des nouilles et d’autres produits. Pour ce qui est des pâtes turques, au cours des 10 dernières années environ, la Turquie s’est transformée en grand exportateur de pâtes alimentaires. Ce pays est maintenant le deuxième ou le troisième exportateur de pâtes en rang d’importance au monde, après l’Italie.

Nous savons et reconnaissons que le volume des importations vers le Canada n’est pas énorme, ni même considérable. Nous avons tout simplement observé au cours des 12 ou 18 derniers mois que le volume a triplé. Nous cernons un problème possible. Comme je l’ai indiqué déjà, en nous fondant sur notre expérience au sein de l’industrie, nous avons effectué un examen en profondeur il y a 20 ans. Les preuves de subventionnement et de dumping ont été attestées, mais le TCCE à l’époque a statué qu’il n’y avait pas eu de tort suffisant à l’égard de l’industrie canadienne. Nous n’avancerons pas jusqu’à ce que nous soyons persuadés que l’industrie subit un tort considérable ici au Canada, mais nous signalons le problème. Nous percevons en outre un problème de compétitivité.

J’aimerais vous parler de notre programme d’exportation. C’était un programme très ambitieux. Nous avons tenté de trouver des marchés pour les pâtes canadiennes au Moyen-Orient, au Japon, dans les Antilles et même dans certains pays de l’Amérique du Sud. Mais malgré les dépenses et les efforts considérables consentis sur 70 ans, nos chiffres sur les exportations indiquent que 95 p. 100 des exportations de pâtes alimentaires canadiennes sont destinées au marché américain.

La sénatrice Beyak: Le sénateur Plett a posé mon excellente question, donc je passerai à la prochaine. Je me demandais pourquoi nous n’étions pas concurrentiels, et vous venez de l’expliquer.

Pouvons-nous tirer des leçons des droits compensateurs et antidumping imposés par les États-Unis? Comment ce pays a-t-il pu déceler le problème? Le savons-nous?

M. Jarvis: Il y a 20 ans, les États-Unis ont pu, grâce à leur processus d’examen, convaincre les organismes responsables de leurs pays qu’il y avait eu un préjudice, alors que nous n’avons pas pu le faire au Canada. Bref, nous avons été déboutés à l’époque.

C’est la raison pour laquelle nous avançons avec précaution, et c’est pourquoi je viens de dire qu’il faut vraiment être sûr, et c’est à juste titre d’ailleurs, de pouvoir prouver de façon claire que les 300 ou 400 emplois ainsi que les investissements au Canada subissent un préjudice. Il devient de plus en plus difficile d’avancer des arguments concernant des préjudices futurs.

La sénatrice Merchant: Merci pour votre exposé. Vous nous avez transmis énormément de renseignements intéressants. Vous avez également soulevé bon nombre de questions, sans nous fournir trop de réponses, vraiment. Vous n’arrivez pas à répondre à certaines des questions clés qui ont été posées. Je ne vais donc pas les répéter.

Vous avez parlé des tendances de consommation et du fait que les consommateurs liront peut-être les étiquettes pour savoir d’où proviennent leurs pâtes. Toutefois, les consommateurs achètent souvent le produit le moins cher. Quant à l’étiquette, qu’apprendrions-nous? Que le produit provient de la Turquie, du Canada ou des États-Unis? Il faut avoir la fibre patriotique, à moins que l’étiquette n’indique un ingrédient à éviter. Les pâtes contiennent-elles une variété d’ingrédients qui pourraient m’amener à me dire, en lisant l’étiquette: « Non, je n’en veux pas dans mon alimentation? » Si c’est du sel ou du sucre, je comprends bien. Peut-être même des produits transgéniques, si c’est étiqueté, mais je dois vous avouer que je ne lis pas les étiquettes des pâtes. J’achète les pâtes en promotion cette semaine, car à mon avis, c’est la façon d’apprêter les pâtes sèches qui les rend appétissantes. Les pâtes ne sont pas très alléchantes sur les étagères; elles ont toutes la même apparence.

Vous avez dit qu’il y a eu divers régimes en vogue au fil des ans. Actuellement, il y a une tendance anti-céréales selon laquelle nous ne devrions pas consommer des céréales parce qu’elles causent… de toute façon, moi, je mange de tout, je n’ai pas ce problème. Comment allez-vous aborder le consommateur? Je sais qu’il y a d’autres problèmes, vous les avez indiqués. Vous voulez empêcher le dumping et d’autres phénomènes, mais que voulez-vous que le consommateur fasse exactement?

M. Jarvis: Notre pays compte 35 millions de consommateurs, et ils ont tous des besoins et des intérêts différents, et des exigences et des attitudes différentes en ce qui concerne l’alimentation. Ce sont des facteurs qui changent. La Canada Pasta Makers Association, moi-même ainsi que nos membres, vous contredirait en ce qui concerne la valeur et la qualité du produit lorsqu’on utilise du blé dur canadien. C’est la raison pour laquelle la demande est si grande partout au monde. C’est un blé à forte teneur en protéines.

Les pâtes alimentaires canadiennes sont enrichies, tandis que de nombreuses pâtes des autres pays ne le sont pas. Vous trouverez les renseignements nécessaires sur l’étiquetage nutritionnel. C’est la raison pour laquelle il est très important que l’étiquette soit exacte. Si vous êtes curieux, vous verrez ce renseignement sur les produits.

Je vous ai parlé également du blé entier. J’ai parlé de changements. Nous avons grandement diversifié la gamme de pâtes alimentaires offerte. Nous avons maintenant des pâtes sans gluten ainsi que d’autres produits enrichis. Nous faisons preuve d’innovation, comme l’exige le consommateur. Les fabricants tentent de répondre aux nouvelles demandes et aux tendances changeantes de consommation.

La sénatrice Merchant: Je suis d’accord avec vous, et moi-même je vérifie s’il s’agit d’un produit à blé entier. Je comprends la qualité de notre blé dur, mais vous avez dit que les pâtes fabriquées en Turquie contiennent beaucoup de blé dur. C’est là où je veux en venir: l’étiquette m’indiquera-t-elle la différence dans la qualité? L’étiquette me dira-t-elle si les pâtes sont faites de blé dur ou d’un autre blé?

M. Jarvis: Oui.

La sénatrice Merchant: Il faut donc être un consommateur averti.

M. Jarvis: Si vous lisez la liste d’ingrédients des pâtes, il y aura deux ingrédients ou un seul. Du blé dur.

La sénatrice Merchant: C’est-à-dire?

M. Jarvis: Semoule. Farine. C’est tout.

Le sénateur L. Smith: La Turquie est-elle un producteur net de blé dur, ou doit-elle en importer? Quel est le pourcentage de sa production contre ses importations?

M. Jarvis: Monsieur le sénateur, je ne le sais pas. Il me semble, parce que ce pays est devenu un grand exportateur également, que maintenant… La Turquie produit du blé dur depuis des centaines d’années… elle est probablement un importateur net de blé dur.

Le sénateur L. Smith: Il faut aussi savoir que le marché a évolué au cours des 20 dernières années au Canada, du fait que les Américains ont acheté la société Catelli. Lorsque nous parlons d’exporter des pâtes vers les États-Unis, voilà une société américaine qui exporte ses produits vers son propre marché. Nous savons que, compte tenu des conditions de production arides, le Canada a toujours l’avantage, avec son climat, d’être en mesure de produire le meilleur blé dur au monde. Je le sais uniquement parce que j’ai travaillé à la société Catelli pendant 10 ans et chez Ogilvie, et c’est moi qui ai négocié les ententes avec les États-Unis pendant 20 ans pour acheter le produit brut.

Le défi existait déjà à l’époque, mais lorsque je vous entends, il me semble que les enjeux sont semblables 20 ans plus tard. En ce qui concerne la commercialisation du produit, le problème avec le blé dur et les pâtes, c’est la valorisation. C’est la raison pour laquelle les sociétés comme Olivieri ont connu des difficultés à la fin des années 1980, car un entrepreneur a tenté de valoriser son produit sans en avoir les moyens. Les gros fabricants, les fabricants en vrac, et vous en avez déjà parlé, ne font que produire des pâtes et des pâtes, mais où est la valeur ajoutée? La question de la valeur ajoutée présente un défi à l’industrie depuis des années, et selon vos dires, la question reste entière.

Il faut aussi regarder le contrôle du marché. Il serait intéressant de voir l’incidence sur les fabricants de pâtes du taux de change actuel de notre dollar. Si les propriétaires américains de Catelli exportent maintenant vers les États-Unis avec le dollar canadien, il serait bon de consulter leur chiffre d’affaires, parce qu’ils sont probablement avantagés par le coût de leur produit.

M. Jarvis: Ce sont des commentaires tout à fait valides. Les autres sociétés qui produisent des pâtes ici exportent également vers les États-Unis. C’est vrai. Le dollar canadien, avec son taux de change actuel, est une des raisons pour lesquelles nous avons actuellement un gros excédent commercial. Au cours des dernières années, la dévaluation du dollar canadien s’est révélée avantageuse.

La question de la valeur ajoutée est d’une importance réelle, mais il y a eu des tentatives, non seulement au chapitre de la commercialisation, pour répondre aux exigences des consommateurs. Les pâtes, tout comme le pain, contiennent énormément de céréales, de blé, et tous les éléments nutritifs que l’Institut des céréales saines fait connaître et promeut. C’est la raison pour laquelle la sensibilisation du consommateur est tellement importante.

Le sénateur L. Smith: Est-ce que la Turquie, vu que c’est un grand producteur, pourrait théoriquement fabriquer le produit, en écouler une bonne quantité sur son propre marché, et l’expédier et le vendre à bon marché ici à n’importe quel prix parce que malgré le coût différentiel de la fabrication, c’est encore rentable vu la prime versée pour le produit brut? Notre blé dur est le meilleur au monde, c’est bien connu. Les gens recherchent notre produit. Puisque le monde est en train de changer en raison du changement climatique, le blé dur deviendra de plus en plus prisé. Il paraît que nous serons peut-être l’un des seuls pays au climat aride capables de produire un tel grand volume.

M. Jarvis: Ce que je veux dire au comité, c’est que nous sommes confrontés à un problème de compétitivité, et nous tentons de faire connaître certaines de nos observations concernant les changements récents sur le marché.

Le sénateur Plett: Je suis d’accord avec mon amie, la sénatrice Merchant, pour dire qu’il semble que vous avez posé davantage de questions que fourni de réponses. C’est le contraire qui devrait se produire. Nous devrions vous poser des questions et obtenir des réponses. Lorsque je vous pose une question, vous me dites que je suis censé en tirer mes propres conclusions. Eh bien, je ne suis pas sûr de vouloir le faire.

Les consommateurs achètent un produit pour diverses raisons. Le sénateur Mercer a dit qu’il fait la plupart de ses courses et qu’il lit l’étiquette et recherche des produits canadiens. Nous devrions tous tenter de faire ainsi un petit peu plus que nous ne le faisons actuellement, je ne le conteste pas. Moi-même, je fais pas mal de courses, mais c’est ma femme qui me remet une liste et je vais au supermarché. Si elle veut que j’achète une certaine marque, elle l’écrit.

J’ai un petit défaut. Si elle n’indique pas la marque, j’ai tendance à acheter le produit le plus cher, parce qu’il me semble que c’est le meilleur. Je suis sûr que ce n’est pas toujours le cas, mais il me semble que si c’est le plus cher, il doit être bon.

Le sénateur Mercer: Nous ne sommes pas tous aussi riches que vous, cher collègue.

Le sénateur Plett: Les gens sont sensibles au prix.

Je vais répéter ce que j’ai dit, et j’espère obtenir une meilleure réponse. Nous exportons le blé. Nous importons des pâtes, et pourtant nous sommes un exportateur net de pâtes, comme vous l’avez dit. Ensuite, vous nous dites que nous avons un problème de compétitivité. J’essaie de voir où est le problème. Nous sommes un exportateur net, c’est très bien. Nous en importons, c’est très bien aussi; les gens ont le choix. Nous sommes pour le libre-échange.

Monsieur, je veux que vous me disiez quel est le problème, outre le fait que vous voulez que tout le monde achète votre produit, ce qui est aussi une bonne chose. C’est ce que fait tout bon homme d’affaires; il veut inciter tout le monde à acheter son produit. Or, pourquoi le ferais-je si je peux avoir un meilleur prix? De votre côté, vous poursuivrez vos activités parce que vous exportez, et vous vous tirez bien d’affaire. Vous en importez aussi, et les agriculteurs canadiens sont heureux parce qu’ils exportent leur blé dur. En mon sens, c’est une belle histoire, et je n’y vois pas de problème.

M. Jarvis: Je ne sais pas à quel point ma réponse...

Le sénateur Plett: Vous avez cinq minutes.

Je suis désolé, monsieur le président.

M. Jarvis: Le président m’accordera-t-il une minute pour répondre aux commentaires du sénateur?

À mon avis, ce qu’on observe — je ne sais pas si c’est une réponse claire ou non —, c’est qu’une augmentation soudaine des importations d’une nouvelle source suscite des préoccupations. Nous ne remettons rien en question en ce moment. Un des principaux importateurs nous a indiqué qu’il ne s’adonne pas au dumping et qu’il n’est pas subventionné, mais nous considérons que cette augmentation subite des importations est un grave problème sur le plan de la concurrence. Lorsqu’ils sont confrontés à ces problèmes, d’autres pays, comme les États-Unis... Bien entendu, dans un contexte de libéralisation des échanges et de mondialisation, l’octroi de subventions et le dumping ne devraient plus être tolérés.

Ce ne sont que des observations. Nous avons été invités à comparaître au comité pour dresser un portrait de la situation actuelle de l’industrie canadienne des pâtes alimentaires, et c’est ce que j’ai essayé de faire. L’industrie des pâtes alimentaires est saine. Nous exportons; nous rivalisons avec les importateurs, mais nous sommes soudainement confrontés à la hausse des importations d’un nouvel acteur.

[Français]

Le président : Monsieur Jarvis, pour conclure, j'aimerais vous poser deux petites questions. Je suis du Québec et, Catelli, pour moi, a toujours existé. Je crois que c'est l'un des plus anciens fabricants de pâtes alimentaires. Le produit doit être bon, parce que le sénateur Smith, lorsqu'il jouait au football, mangeait des pâtes Catelli, et il a remporté la coupe Grey. Il est maintenant au Sénat et ne mange plus de pâtes.

Malheureusement, on ne voit pas de produits manufacturés Catelli. Au supermarché, on constate qu’il y a différentes compagnies qui font des pâtes de toutes sortes. Toutefois, on n’y retrouve pas les produits Catelli. Que se passe-t-il? La compagnie ne fait-elle que des pâtes sèches, ou se consacre-t-elle aussi à la transformation et aux produits prêts à manger pour la génération d’aujourd'hui?

 [Traduction]

M. Jarvis: Je ne suis pas vraiment à l’aise de répondre à cette question parce que je représente divers fabricants de pâtes alimentaires sèches, notamment Catelli, Italpasta, Grisspasta et Primo. Toutefois, j’ai indiqué dans mon exposé que bon nombre de ces entreprises mettent en marché ce qu’on appelle la « famille des produits italiens », soit des sauces et d’autres produits d’accompagnement des pâtes alimentaires. C’est un commentaire d’ordre général; je ne peux faire de commentaires sur une entreprise précise.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Jarvis, de ces renseignements, qui nous seront très utiles.

Merci beaucoup, chers collègues.

[Français]

Je signale aux sénateurs que M. Van Tassel est mon voisin de région. Alors, je vous prie d’être gentils avec lui. C’est un plaisir de recevoir, côte à côte, des représentants du Québec et de l’Ontario. Tous les sénateurs ont très hâte de vous entendre leur fournir des arguments pour les aider dans le cadre du mandat du comité; l’accès aux marchés internationaux.

Nous sommes très heureux de vous recevoir. Je dois cependant vous demander de présenter rapidement votre mémoire, et je demande également aux sénateurs de poser des questions courtes et aux témoins de leur offrir de brèves réponses, de sorte que tous les sénateurs aient la chance de poser des questions. Nous pourrons peut-être ainsi prévoir un deuxième tour de questions.

Monsieur Van Tassel, je vous cède la parole.

William Van Tassel, premier vice-président, Producteurs de grains du Québec : Je vous remercie, monsieur le président, qui êtes aussi mon voisin de région.

[Traduction]

Comme je suis un agriculteur du Québec, je vais faire mon exposé en français, mais vous pourrez ensuite poser des questions dans les deux langues.

[Français]

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de faire cette présentation. Notre fédération représente environ 11 000 producteurs de grains et d’oléagineux qui commercialisent leurs grains, ou du moins, une partie.

Le secteur des grains du Québec représente une production annuelle de plus de 5 millions de tonnes. Les principales cultures sont le maïs-grain et le soya, suivies des céréales (blé, orge et avoine) et du canola. Le grain est destiné au marché québécois, bien sûr, mais aussi aux utilisateurs étrangers. Ceci est particulièrement le cas de la production du soya -- 1 million de tonnes ont été exportées en 2015, ce qui représente une valeur estimée à plus de 500 millions de dollars canadiens -- qui est destinée en grande partie aux marchés d’exportation. La fève soya à identité préservée – communément appelée IP – est vendue dans le Sud-Est asiatique, le Japon étant un marché clé. Les marchés asiatiques sont à haute valeur ajoutée et exigent une qualité hors pair. La fève qui n’est pas génétiquement modifiée est aussi vendue aux importateurs européens qui paient une prime pour recevoir un produit certifié non génétiquement modifié.

La récolte du maïs du Québec est principalement destinée au marché local pour l’alimentation animale, la production d’éthanol et les spiritueux. Cependant, lorsque le Québec a une excellente récolte, comme ce fut le cas en 2015, avec une production de 3,76 millions de tonnes, on doit trouver des débouchés extérieurs au surplus de maïs. Nos voisins immédiats, l’Ontario et les États-Unis, ont eux aussi de gros surplus à écouler, ce qui signifie que d’importantes quantités de maïs québécois, environ 500 000 tonnes, devront être commercialisées outre-mer, principalement en Europe, au cours des prochains mois.

N’oublions pas les céréales. L’avoine du Québec — ma région, celle du lac Saint-Jean, est une grande productrice d’avoine — trouve des débouchés intéressants et profitables aux États-Unis, qu’il s’agisse de la consommation humaine ou de l’alimentation des chevaux.

Le secteur des grains québécois opère dans un marché nord-américain et international concurrentiel. L’accès à ces marchés est vital pour notre secteur. Cet accès doit demeurer libre, sans subir d’interférence ou d’ingérence de la part des autorités des autres pays, dans le respect des réglementations phytosanitaires établies à l’échelle internationale (le Codex). Or, nous craignons que cet accès ne soit restreint ou même menacé. Prenons par exemple le dossier de l’agriculture durable en Europe. Il ne fait aucun doute que les producteurs agricoles québécois ont adopté les meilleures pratiques agronomiques à cet égard, mais il pourrait y avoir un problème au chapitre de la certification de ces pratiques, que les pays européens pourraient bientôt exiger. En effet, il n’y a pas de consensus en ce qui concerne la certification de l’agriculture durable, car plusieurs systèmes se font compétition. Cela crée donc de la confusion et de l’incertitude.

De par son emplacement stratégique avec les ports du Saint-Laurent, le Québec est particulièrement bien placé pour tirer profit des opportunités internationales de marchés. Les Producteurs de grains du Québec demandent donc que les règles d’accès aux marchés étrangers soient basées sur des fondements scientifiques clairement définis et qui font consensus, sans quoi le flux des échanges internationaux en souffrira.

Par ailleurs, les Producteurs de grains du Québec profitent de cette occasion pour souligner l’importance de maintenir et de renforcer la recherche publique dans le domaine du secteur des grains. En effet, plusieurs travaux et domaines de recherche, comme l’amélioration génétique des cultures, ont permis d’améliorer la productivité et la compétitivité des fermes canadiennes; ces acquis étaient plus accessibles grâce à un meilleur engagement et à un financement de la recherche publique.

Pour préserver et améliorer la place qu’occupe l’agriculture canadienne, il est indispensable que nous déployions des efforts et des investissements publics adéquats permettant de maintenir une infrastructure et un niveau de connaissances qui répondent aux normes internationales.

En tant que producteurs agricoles, nous devons être compétitifs, parce que nos compétiteurs sont nos voisins, les Américains. Nous devons nous maintenir au même niveau que nos compétiteurs, qu’il s’agisse de la recherche ou de nos programmes de gestion de risques.

Je vous remercie de m’avoir écouté. Le Québec et l’Ontario travaillent ensemble. Nous formons une sorte de coalition. D’ailleurs, on nous appelle la Coalition Québec-Ontario des producteurs de grains.

 [Traduction]

Le président: Merci, monsieur Van Tassel. Nous passons maintenant à M. Haerle.

Markus Haerle, vice-président, Producteurs de grains de l’Ontario: Merci, monsieur le président. Au nom des 28 000 agriculteurs membres de Producteurs de grains de l’Ontario, je vous remercie de nous donner l’occasion de présenter nos observations sur les attentes et les préoccupations du secteur des céréales et des oléagineux de l’Ontario.

Nous sommes heureux que le comité ait entrepris une étude sur les priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d’accès aux marchés internationaux. Notre industrie dépend de plus en plus des exportations de ses produits, et sera probablement plus tributaire de l’exportation à l’avenir, surtout dans les cas du soya et du maïs. À titre d’exemple, la production de soya au Canada a plus que doublé au cours des 10 dernières années, tandis que la demande intérieure a stagné. Par conséquent, les exportations ont plus que triplé et la valeur des exportations l’an dernier a dépassé largement le milliard de dollars. L’Ontario a aussi connu une hausse de ses exportations de maïs et de blé.

Étant donné cette dépendance accrue aux exportations, nous aimerions que le gouvernement continue de se concentrer sur l’ouverture de nouveaux marchés et sur le maintien de l’accès aux marchés existants. Les accords de libre-échange récemment conclus avec l’Union européenne et la Corée du Sud seront très avantageux pour notre industrie. La conclusion d’accords de libre-échange avec d’autres marchés serait très utile.

L’un des principaux facteurs de la croissance rapide de la production de maïs et de soya en Ontario et au Canada est l’utilisation de la biotechnologie pour la production agricole. Toutefois, dans certains de nos principaux marchés, en particulier la Chine et l’Union européenne, le processus d’approbation des produits de biotechnologie est très complexe et très lent. Il sera extrêmement important que le Canada poursuive ses efforts pour régler ce problème.

Il nous paraît important que le Canada renouvelle son engagement à jouer un rôle actif et important dans le domaine de la sélection des végétaux. En ce qui concerne les exportations, de nombreux pays ont, par exemple, des seuils de tolérance très faibles pour certaines toxines produites par des champignons qui infestent certaines cultures, notamment le maïs et le blé. Nous devons lancer des programmes de sélection végétale visant la création de variétés de grains beaucoup plus résistantes à ce type de champignons.

Notre industrie doit aussi s’assurer de ne pas perdre les avantages concurrentiels dont elle jouit dans ses principaux marchés. Nous devons par conséquent continuer de fonder le choix des types de culture que nous cultivons et les intrants que nous utilisons en fonction de données scientifiques. Comme vous le savez, le gouvernement de l’Ontario a restreint l’accès aux traitements de semences approuvés par le fédéral que nous utilisons pour contrôler certains parasites du sol. Cette restriction n’est pas fondée sur des données scientifiques. Elle nuira à notre capacité de livrer concurrence aux producteurs des États-Unis, du Brésil et d’autres pays, qui autorisent l’utilisation de ces produits.

La refonte des programmes de gestion des risques du marché est un facteur important pour favoriser l’innovation sur les fermes. Les programmes actuels de gestion des risques du marché ne conviennent pas au secteur des céréales et des oléagineux. Si nous voulons prendre de l’expansion et être concurrentiels sur la scène internationale, nous devons investir dans les pratiques agricoles novatrices.

La croissance du secteur des céréales et des oléagineux ne contribue pas seulement à la prospérité économique du pays; elle contribue également à l’enrichissement de la vie des Canadiens en garantissant la sécurité alimentaire, en offrant des solutions de rechange aux combustibles fossiles et en assurant la protection des écosystèmes qui contribuent à un environnement sain.

La production du secteur des grains de l’Ontario s’élève à plus de 9 milliards de dollars, et nous nous attendons à ce que cela continue de croître à l’avenir. Nous aimerions que notre industrie soit au centre des priorités du gouvernement et des décideurs. Les défis sont nombreux.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de témoigner aujourd’hui.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Haerle. Nous passons maintenant à la première série de questions.

Le sénateur Mercer: Merci d’être venus un soir de tempête. Nous vous en sommes reconnaissants.

Vous avez tous les deux évoqué, dans vos exposés respectifs, la science et les décisions fondées sur des données scientifiques, ce qui a attiré immédiatement mon attention. Cela soulève la question suivante: nos concurrents n’agissent-ils pas en fonction de données scientifiques, ou avons-nous, dans le passé, pris des décisions qui n’étaient pas fondées sur des données scientifiques?

M. Van Tassel: Je dirais que c’est plus à l’échelle nationale et internationale. Lorsque nous parlons de décisions fondées sur des données scientifiques, nous pensons à ce qui se fait à l’échelle provinciale, comme l’interdiction par le gouvernement ontarien de divers produits que nous utilisons, dont le représentant de l’Ontario a parlé. La décision n’est pas vraiment fondée sur la science; si c’était le cas, cela aurait été approuvé. Il y a l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, qui est établie ici, à Ottawa.

C’est la même chose à l’échelle internationale. En Europe, divers produits ne sont pas acceptés, mais il arrive souvent que cela découle de la volonté de la population, par exemple. Donc, il n’y a pas vraiment un fondement scientifique. On n’a qu’à penser aux produits génétiquement modifiés, entre autres.

Donc, ce sont là deux exemples — le marché international et le marché intérieur — où les décisions sur les produits génétiquement modifiés ne sont pas fondées sur des données scientifiques.

Le sénateur Mercer: Est-il réellement question des produits génétiquement modifiés? Est-ce là l’enjeu dont il est question lorsque nous parlons de choses fondées sur des données scientifiques?

M. Van Tassel: Cela peut être lié aux produits génétiquement modifiés, surtout à l’échelle internationale. La question est souvent plus complexe lorsqu’il s’agit de diverses concentrations de toxines. Dans de tels cas, nous souhaitons que les décisions soient prises en fonction du Codex, par exemple, qui traite des diverses concentrations de toxines. Toutefois, les questions liées aux produits génétiquement modifiés se posent surtout à l’échelle internationale.

Le sénateur Mercer: Cependant, monsieur Van Tassel, vous avez indiqué dans votre exposé que les importateurs européens paient une prime pour un produit certifié non GM. Vous avez parlé des marchés européens. Y en a-t-il d’autres?

M. Van Tassel: Non. C’est le Japon qui verse la prime la plus importante, notamment pour le soya à identité préservée, dont j’ai parlé dans mon exposé. L’Europe en achète une certaine quantité, mais l’utilise de façon distincte, ce qui est surprenant. Les Européens achètent du soya génétiquement modifié, mais s’en servent principalement pour nourrir les animaux parce que le soya est peu cultivé en Europe. Donc, ils importent du soya GM, mais s’en servent pour la nutrition animale.

Sinon, ils importent du soya non génétiquement modifié, mais pas nécessairement le soya à identité préservée; c’est un mélange de variétés.

L’Europe est le deuxième importateur en importance de soya canadien, après le Japon.

Le sénateur Mercer: Monsieur Haerle, vous avez parlé de culture résistante aux champignons, et vous avez tous les deux parlé de recherche. De tout temps, le gouvernement canadien a participé à la recherche, notamment à la recherche agricole. En faisons-nous assez actuellement? Devons-nous en faire plus? Le gouvernement canadien peut-il mener des activités précises pour aider l’industrie à satisfaire à la demande intérieure et aussi, étant donné le mandat du comité, pour aider l’industrie canadienne à exporter davantage de produits canadiens?

M. Haerle: Oui. Ces dernières années, en fait, des postes de phytogénéticiens n’ont pas été dotés. Il y a donc un manque quant aux capacités en matière de recherche du gouvernement du Canada, alors qu’elles avaient essentiellement toujours servi de fondement à la recherche canadienne, en particulier pour le blé, auquel s’ajoutent maintenant le maïs et le soya.

L’effet est particulièrement marqué dans le cas du blé, parce qu’on le cultive dans tout le pays. Plus de projets de recherche doivent être menés dans l’est du Canada que dans l’Ouest canadien.

La demande sur les marchés mondiaux et même sur le marché intérieur canadien a évolué. Par conséquent, il est très important que le gouvernement actuel examine les postes existants en phytogénétique et qu’il réinvestisse dans ce secteur. Nous devons nous adapter à la nouvelle donne.

Le sénateur Mercer: Monsieur Haerle, vous avez parlé des exportations de soya et de maïs. Votre collègue a indiqué que le soya génétiquement modifié est exporté en Europe. Les Européens s’en servent pour nourrir leurs animaux, qu’ils finiront par consommer, mais nous n’entrerons pas dans ce débat. Cela dit, vous exportez votre maïs aux États-Unis. Quelle utilisation en fait-on?

M. Haerle: Une partie du maïs est destinée à la production d’éthanol, qui est ensuite exporté, et une autre est destinée à la production fourragère. L’Union européenne en achète aussi à cette fin. Nous exportons aussi des cultures non génétiquement modifiées, soit du soya et du maïs.

Le sénateur Plett: Vous avez indiqué que le marché intérieur stagne. Pourquoi?

M. Haerle: Cela découle des lacunes en matière d’infrastructures de transformation Canada. Prenons la transformation du soya, par exemple. Au Canada, seulement trois grandes entreprises sont spécialisées dans l’extraction de l’huile de soya, et nous savons quoi faire du tourteau de soya.

Ces marchés stagnent parce que nous sommes en concurrence avec d’importants acteurs capables d’inonder le marché rapidement, comme les États-Unis, le Brésil et l’Argentine.

Le sénateur Plett: Quelle est la solution?

M. Haerle: Nous devons trouver des façons d’utiliser nos produits, comme les biocarburants. L’huile de soya peut entrer dans la composition de biocarburant, de biodiesel. Il faut revoir la teneur en éthanol. Toutes ces choses favoriseront la croissance de notre secteur et aideront l’économie en général. L’agriculture a toujours été la pierre angulaire du pays et favoriser sa croissance contribuera à la prospérité du Canada.

Le sénateur Plett: J’en conviens parfaitement. Je viens d’une petite collectivité et faire affaire avec les agriculteurs m’a permis de gagner ma vie. Je comprends donc très bien ce point et je souhaite que l’industrie agricole se maintienne. Toutefois, lorsque je regarde la situation, j’en viens à la conclusion que l’agriculteur fait de l’argent, peu importe si le produit est utilisé à l’échelle locale ou exporté.

Les 10 dernières années ont probablement été, pour le Canada, les 10 années les plus importantes de son histoire en ce qui concerne la conclusion d’accords de libre-échange. Nous avons obtenu un accès à des marchés partout dans le monde: l’Union européenne, l’Asie et beaucoup d’autres. Ces régions ne pourront pas rivaliser avec le Canada, étant donné notre superficie, comparée à la leur. Par conséquent, je trouve cela totalement insensé lorsque les gens se disent préoccupés par la concurrence européenne et affirment que nos importations dépasseront nos exportations.

J’aimerais avoir des explications à ce sujet. Où est le problème, selon vous? Vous n’en voyez peut-être pas. J’ai trouvé que le témoin précédent n’avait que de bonnes nouvelles, et c’est peut-être aussi votre cas. N’êtes-vous pas d’accord pour dire que les agriculteurs sont maintenant mieux placés que jamais pour exporter leurs produits? J’aimerais avoir une réponse de vous deux.

M. Van Tassel: En effet, nous avons un excellent produit, mais nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers. La qualité est essentielle et, comme M. Haerle l’a indiqué, pour le blé, par exemple, cette qualité signifie de très faibles concentrations de Fusarium. Ces concentrations doivent être très faibles, et pour y arriver, il faut mener des activités de sélection. Or, plusieurs postes ont été supprimés, dont un poste à Québec.

Si nous ne faisons pas attention, le Canada aura des problèmes. Le transport est un exemple. Ici, en Ontario, nous sommes très près des marchés, tandis que les agriculteurs de la Saskatchewan en sont très loin. En somme, divers enjeux peuvent nuire à notre compétitivité.

Il nous faut une politique qui favorise la compétitivité des agriculteurs. Les Américains, nos concurrents, ont le Farm Bill, leur loi agricole, ce qui les aide. Nos prix dépendent du Chicago Board of Trade.

Le dollar est faible. Le prix des grains a chuté, mais le dollar est faible, ce qui nous a aidés quelque peu.

Comme je l’ai écrit dans mon mémoire, nous devons être concurrentiels, et nous devons par conséquent avoir une politique qui favorise le maintien de la compétitivité des agriculteurs. Cela pourrait se faire par la mise en place de filets de sécurité, par la recherche, et cetera.

Le sénateur Plett: Vous dites que la faiblesse du dollar a aidé quelque peu, mais je pense au contraire que cela aide beaucoup. Lorsqu’on se retrouve soudainement avec un avantage de 40 p. 100 par rapport à l’année précédente, je pense que c’est un avantage considérable, même si ce n’est manifestement pas une situation que nous voulons voir perdurer. Nous voulons que notre dollar s’apprécie.

Lorsque vous dites que vous devez continuer à améliorer votre produit et que vous devez faire une meilleure sélection, entre autres choses, de qui cela relève-t-il?

M. Van Tassel: Traditionnellement, dans le cas des choses d’intérêt public — je parle principalement du blé —, les entreprises privées ne le font pas, surtout lorsqu’on étudie la question sous l’angle du rendement des investissements. Par contre, le secteur privé l’a fait pour le maïs. Il y a toutefois, ici à Ottawa, un organisme de phytogénétique qui a mené des travaux pour divers secteurs du marché canadien. Cela pourrait relever du privé, mais ce n’est pas le cas en raison du faible rendement de l’investissement. Donc, cela a toujours relevé du secteur public.

Je crois en la recherche publique. Il y a deux côtés. Il faut que ce soit privé, mais il y faut aussi un côté public.

La sénatrice Merchant: Je vous remercie tous les deux de votre présence, et je vous remercie d’avoir mentionné la Saskatchewan, parce que cela fait toujours du bien de savoir que des gens qui sont loin, au Québec et en Ontario, des provinces populeuses, sont aussi… et je sais que vous savez très bien ce qui se passe à l’échelle du Canada. Je vous remercie d’avoir mentionné les problèmes de transport. Cette année, le temps pourrait aussi être une source de problème, car nous avons besoin d’un peu plus d’humidité.

Avec les accords commerciaux que nous avons signés, cela ne fait que commencer, en Europe. Il y a tant de pays d’Europe qui doivent ratifier cet accord. Où en sommes-nous, exactement?

M. Van Tassel: Eh bien, comme agriculteurs, nous regardons ce qui se produit, mais ne pouvons pas vraiment voir — il y a 27 pays, je crois, ou plus, qui doivent signer. Nous ne savons pas si cela va se faire.

Au Québec, nous trouvons important que les accords soient ratifiés. Nous vous encourageons à le faire, mais c’est à peu près tout ce que nous pouvons faire.

M. Haerle: Pour les agriculteurs de l’Ontario, c’est à n’en pas douter un atout que l’Union européenne signe cet accord de libre-échange, car en fin de compte, cela va ouvrir la voie au blé à faible teneur en protéines, qui est commun dans l’est du Canada. Cela va donner cet accès.

Les marchés du maïs et du soya sont là, et c’est à nous de les développer. Nous ne nous sommes pas concentrés là-dessus autant qu’il aurait fallu en raison des restrictions commerciales, et maintenant, qu’il y a des possibilités, ce sera certainement un atout.

Nous avons l’infrastructure nécessaire à l’exportation, au Canada, alors il faut que nous misions là-dessus au profit des agriculteurs. Tout cela donne des dollars, au bout du compte. Si un agriculteur tire ses revenus du marché, c’est toujours mieux que de devoir se prévaloir d’un programme de gestion des risques du gouvernement.

Nous estimons que ce sont des choses avantageuses pour tous les agriculteurs du pays et non seulement ceux de l’Ontario.

La sénatrice Merchant: Monsieur Haerle, vous avez aussi quelques fois mentionné des mesures gouvernementales. Vous voulez des mesures gouvernementales fondées sur la science. Le comité vient de terminer une étude sur l’effet des néonicotinoïdes sur les abeilles. Nous avons entendu les exposés de diverses personnes, des scientifiques et d’autres. Que voulez-vous exactement que le gouvernement fasse? Vous avez parlé d’un écosystème équilibré. Nous avons entendu un autre côté de cela aussi. Que pensez-vous des néonicotinoïdes? Je sais qu’ils sont très importants dans la culture du maïs. Les agriculteurs faisaient beaucoup de choses avec leur machinerie pour essayer d’en éliminer les résidus, la poussière et tout cela. Que voulez-vous que le gouvernement fasse concernant votre exposé?

M. Haerle: Le problème des néonicotinoïdes a été soulevé par la perception du public et par les activistes. Le gouvernement de l’Ontario a agi de telle sorte que le public soit satisfait de la décision.

En tant qu’agriculteurs, nous savons que nous devons être les gardiens de la terre, et nous devons aussi obtenir un rendement sur notre investissement. Si l’ACIA ou toute autre organisation déclare qu’un produit n’est pas toxique et qu’il n’est pas néfaste, pourquoi un secteur au Canada n’aurait-il pas le droit d’utiliser ce produit? C’est ni plus ni moins de la ségrégation, et le secteur n’est plus concurrentiel. Cela produit un effet boule de neige, et l’agriculteur ne sait plus très bien ce qu’il doit faire. En fin de compte, cela n’aide pas vraiment, parce que le problème dépasse probablement les néonicotinoïdes.

En ce qui concerne les mesures fondées sur la science, je dis toujours que c’est ainsi qu’on prouve toujours tout depuis toujours, alors pourquoi discréditer ce processus maintenant? Pourquoi n’est-ce plus la bonne façon de faire, surtout en Ontario? J’en parle ouvertement. C’est un problème. Vous regardez différents aspects de cela, comme la protection des Grands Lacs. L’Ontario est entouré par les Grands Lacs. C’est un autre problème qui surgit. À quelle réglementation les agriculteurs devront-ils se soumettre là? Ce n’est pas que les agriculteurs, mais c’est l’industrie. Encore une fois, pourquoi les agriculteurs sont-ils ceux qui doivent résoudre la question? Je ne pense pas qu’il faille que ce soit toujours les agriculteurs.

Le sénateur McIntyre: Merci de vos exposés, messieurs. J’ai deux brèves questions concernant l’accord du PTP. La première porte sur les tarifs, et l’autre sur les programmes de subvention. D’après ce que je comprends, quand l’accord prendra effet, plusieurs produits canadiens auront accès aux marchés du PTP sans tarifs. Cependant, il y a une période de transition variable qui sera établie par secteur. Quels effets cette période de transition aura-t-elle sur votre industrie? Par exemple, au Vietnam, les tarifs, qui sont de près de 30 p. 100, seront graduellement éliminés sur sept ans concernant le maïs.

M. Haerle: Oui. Cela demeure un long processus auquel nous pouvons nous adapter concernant la façon dont ces marchés vont se développer. La production canadienne est prête en ce moment pour ces marchés, alors ce sera possible. Je pense que nous sommes capables de fournir un bon produit.

Compte tenu des droits actuels, nous nous retenions de travailler à l’expansion des marchés. Les Producteurs de grains de l’Ontario ont un volet expansion des marchés, et nous menons des missions commerciales et d’autres activités de ce genre. Nous nous concentrons sur les possibilités que nous voyons. Avec le PTP, le processus d’accès aux marchés à créneaux sera certainement plus rapide. Les agriculteurs canadiens fournissent des produits de marchés de créneaux comme le soya non génétiquement modifié, les lentilles et les pois, et ils le font bien. Nous pouvons faire n’importe quoi. C’est d’après moi un avantage énorme.

Le sénateur McIntyre: D’après ce que je comprends, les producteurs de grains de l’Ontario et du Québec sont très heureux de l’accord du PTP. Cependant, certains d’entre eux s’inquiétaient des programmes de subvention qui existent aux États-Unis et dans l’Union européenne. Selon eux, cela pourrait nuire à la compétitivité des producteurs de grains canadiens et aux marchés des pays membres du PTP. Est-ce un réel problème? Que recommandez-vous pour résoudre ce problème?

M. Haerle: Au bout du compte, les subventions ne font que masquer les problèmes. Ce n’est pas ce que les agriculteurs canadiens devraient rechercher, car le marché devrait donner un rendement décent.

Aux États-Unis, il reste à voir à quel point le programme de subvention est solide, car la loi agricole est en vigueur depuis environ un an et demi, mais elle n’a pas donné aux agriculteurs américains les résultats auxquels ils s’attendaient. Je pense qu’on l’évalue en ce moment afin de déterminer l’incidence qu’elle aura sur le marché mondial. Ils connaissent des difficultés, aussi, malgré les sommes qui y ont été affectées.

Les agriculteurs canadiens demandent qu’on revoie nos programmes de gestion des risques, au cas où nous en aurions besoin. En ce moment, pour les producteurs de grains et d’oléagineux, ces programmes ne fonctionnent pas. Ce n’est pas que nous espérions en tirer de l’argent, mais il nous les faut pour les années où nous en avons besoin. Nous avons eu de bons programmes dans le passé. Ils ont été éliminés parce qu’il n’y avait pas assez d’argent pour les couvrir. Cependant, nous en sommes maintenant essentiellement au point où nous devons les examiner de près parce que cela cause du tort à tous les aspects de l’agriculture, et non seulement aux secteurs des grains et des oléagineux. Cela se répercute jusqu’en bas. Même la production animale souffre de cela.

M. Van Tassel: J’aimerais ajouter à cela que nous avons deux programmes au Canada: Agri-stabilité et Agri-investissement. Le programme Agri-stabilité a été réduit à 70 p. 100 des ventes nettes, alors cela ne fonctionne pas très bien. Au cours des trois dernières années, nous étions à l’abri, avec les prix élevés des grains, alors nous avons eu de la chance et n’avons pas eu besoin des programmes. C’était très bien. Maintenant, nous disons que la faiblesse du dollar canadien nous aide, mais nos intrants grimpent en raison des coûts des engrais, entre autres.

Dans le passé, quand le prix du maïs était bas, nos deux organisations ont intenté une action en compensation en raison du maïs américain, car nous en souffrions vraiment beaucoup. Vous avez parlé de cela la dernière fois. Cela a coûté une fortune à nos deux organisations, et l’effet n’a pas duré. C’était difficile à obtenir. Les États-Unis avaient des programmes qui nuisaient gravement à nos producteurs de maïs, alors nous avons intenté une action en compensation qui a donné des résultats pendant un court moment, mais tout le monde était contre nous. Nos deux organisations d’agriculteurs ont déboursé 3 millions de dollars environ pour cela. Nous avons été endettés longtemps à la suite de cela. C’est une chose difficile à faire.

Nous ne referions pas cela. Tout ce que nous demandons, et ce que je demande ici, c’est que nous puissions être un peu plus concurrentiels avec notre voisin; Agri-stabilité n’a pas pour effet de nous rendre concurrentiels.

Le sénateur Moore: Je vous remercie, moi aussi, de votre présence. Est-ce que vos organisations ont contribué aux négociations de l’AECG et du PTP?

M. Van Tassel: Pas vraiment, pour le PTP. Nous avons davantage contribué aux négociations avec l’Union européenne. Ils venaient nous rencontrer — les négociateurs — et nous en parler. Mais le PTP est arrivé très vite. Ma propre organisation n’y a pas contribué, mais peut-être que celle de l’Ontario l’a fait. Pas la mienne.

M. Haerle: Notre organisation a retenu les services d’un lobbyiste. Il nous a tenus au courant de ce qui se passait et de l’effet que cela aurait, et il y a eu un peu de communication avec les négociateurs, mais rien de majeur. Les Producteurs de grains de l’Ontario voyaient cet accord commercial comme un atout pour notre industrie. Nous n’avions pas comme objectif de réorienter les choses pour causer du tort à d’autres industries.

Le sénateur Moore: Monsieur Van Tassel, dans votre exposé, vous avez dit que le Québec avait adopté les meilleures pratiques agronomiques. Vous avez dit que des problèmes pourraient découler de la certification de ces pratiques, que les pays européens pourraient bientôt exiger. Il n’y a pas eu de consensus en ce qui concerne la certification de l’agriculture durable, plusieurs systèmes étant en compétition.

Pouvez-vous parler de cela au comité? Quels sont les systèmes en compétition? Est-ce qu’il y en a dans chaque pays ou dans les organisations mondiales de commerce? Quels sont-ils, et quels sont ceux qui ont un effet réel sur votre organisation?

M. Van Tassel: Je crois qu’il y a quatre différents mécanismes internationaux. Les Européens sont plus avancés que nous, et cela va se produire bientôt. Le Brésil est très avancé aussi, avec la durabilité — j’essaie de le nommer. Ce n’est pas une action, mais c’est une initiative.

Au Canada, nous avons la table ronde canadienne sur la durabilité qui y travaille. Nous ne sommes pas aussi avancés. Nous devons nous assurer que si quelque chose est adopté, nos agriculteurs canadiens pourront l’avoir, si nos importateurs européens disent qu’il nous faut ceci ou cela. Peut-être que M. Haerle peut m’aider avec cela.

Il y a quatre organisations de commercialisation différentes qui donnent des certifications; nous devons déterminer laquelle fait la certification des agriculteurs.

Le sénateur Moore: Comment pouvez-vous contribuer à cela? À quel niveau?

M. Van Tassel: Nous travaillons avec le gouvernement du Canada ainsi qu’avec le Conseil des grains du Canada et la table ronde canadienne sur la durabilité. Nous travaillons à diverses idées de façons dont nous devrions en arriver là et à la certification que nous devrions avoir.

Désolé — j’ai un peu de difficulté à m’exprimer.

Le sénateur Mercer: Tout va bien.

La sénatrice Beyak: Merci beaucoup. Comme la sénatrice Merchant, j’ai siégé au comité qui s’est penché sur la santé des abeilles et j’ai aussi été surprise de la décision de l’Ontario concernant les pesticides; il n’y avait pas du tout de consensus. Votre organisation a-t-elle pu s’adresser au gouvernement de l’Ontario avant la prise de cette décision? Est-ce qu’ils vont l’évaluer ou continuer d’examiner la situation? Je pense que c’est tout un désavantage pour vous, et cela m’a déçue.

M. Haerle: Nous avons pu contribuer avant que tout déraille. Il y a eu des discussions avec des gens du gouvernement jusqu’au niveau de la première ministre, et quand est arrivé le processus de consultation, c’est là que tout s’est effondré. C’est devenu un mouvement activiste axé sur la perception du public, et le gouvernement a dû y réagir.

Le règlement est là depuis le 1er juillet. Les agriculteurs doivent s’y conformer et acheter les semences traitées de maïs et de soya, et ce sont les deux seules cultures.

Nous espérons qu’il y aura une évaluation, à un moment donné, car le règlement ne fonctionne pas pour les agriculteurs. Il y a des doutes sur les effets positifs que cela aura sur l’industrie apicole.

Il est dommage de dire qu’il fallait qu’on en arrive là. Vous savez peut-être que notre organisation est allée en cour, avec ce règlement. Nous faisons de notre mieux pour savoir jusqu’où cela ira. Nous demandons une réévaluation avant sa mise en œuvre complète et avant que les agriculteurs se rendent aux champs au printemps.

La sénatrice Beyak: Merci beaucoup. C’est rassurant.

Le sénateur L. Smith: Vous avez soulevé beaucoup de points et de principes intéressants qui me font réfléchir. Quelles sont les trois choses dont vous avez vraiment besoin pour assurer le succès de vos producteurs? Vous nous avez donné des indices, mais vous n’êtes pas allés plus loin. Je ne dis pas cela d’une manière négative. Nous gérons une affaire, et vous, vous représentez vos producteurs. D’accord. Vous connaissez les enjeux auxquels vous faites face. Vous savez qu’il y a des accords commerciaux, mais ils ne sont pas établis. Il va y avoir des questions de réglementation, et toutes sortes de choses au quotidien. Quelles sont les trois choses qu’il vous faut pour que votre industrie ait du succès à l’avenir, au cours de l’année à venir?

M. Van Tassel: J’en ai trois pour vous. Il nous faut des politiques canadiennes concurrentielles qui peuvent nous garantir des filets de sécurité. Il y a eu au Canada des politiques de concurrence se situant au même niveau que les autres.

Le sénateur L. Smith: Donnez-nous un exemple.

M. Van Tassel: Nous avons parlé de filets de sécurité. Les Américains ont leur loi agricole, et nous devons pouvoir compter sur quelque chose de semblable à eux parce qu’ils sont nos voisins et c’est là-dessus que nos prix se fondent.

J’ai parlé de filets de sécurité axés sur l’offre, mais il peut y avoir diverses politiques de concurrence.

Le sénateur L. Smith: Est-ce qu’il est question de subventions?

M. Van Tassel: Ce sont des programmes différents selon lesquels, quand les prix baissent, on nous aide comme les Américains le font. Quand les prix sont bons, nous n’en avons pas besoin.

Le sénateur L. Smith: Donc, il vous faut des amortisseurs, pour quand les prix diminuent?

M. Van Tassel: En effet.

Vous pouvez parler de subventions, mais est-ce qu’Agri-stabilité est une subvention? Quand votre prix est réduit, c’est une possibilité.

Le sénateur L. Smith: Devriez-vous changer votre éventail de produits?

M. Van Tassel: Que voulez-vous dire?

Le sénateur L. Smith: Vous avez dit du soya que c’est un produit à valeur ajoutée qui peut servir à beaucoup de choses, mais que le maïs est venu de l’industrie meunière. Nous avions ce que nous appelons des sous-produits de meunerie, dans lesquels on mettait tout ce qui ne pouvait aller ailleurs. Alors on vend du maïs que nous mangeons, et du maïs qui sert dans les aliments pour animaux. Est-ce que votre éventail de produits est convenablement établi de manière à ce que vous réussissiez sur les marchés internationaux?

M. Van Tassel: Nous ne pouvons pas nous limiter à une culture. Nous devons faire la rotation.

Le sénateur L. Smith: En effet.

M. Van Tassel: On fait plus de certaines choses, et moins d’autres choses. Il faut une rotation. Nous cultivons la meilleure qualité possible.

Pour ce qui est de l’autre chose, c’est la recherche.

Le sénateur L. Smith: Oui, vous avez beaucoup parlé de la recherche.

M. Van Tassel: Parce que j’y crois. Je suis ce qui se fait en recherche depuis de nombreuses années. Je ne sais pas ce qui devrait venir en premier, mais si vous avez de bonnes variétés, bien adaptées à vos besoins, vous aurez de bons résultats.

Le sénateur L. Smith: Quand vous parlez de variétés, vous parlez des semences que vous utilisez effectivement?

M. Van Tassel: Oui. Il peut s’agir de recherche publique ou privée. Cela dépend. Nous avons d’excellents chercheurs dans le secteur public à Ottawa, mais ils sont moins nombreux qu’ils ne l’étaient.

C’est la deuxième chose. Si vous voulez un produit de qualité, vous devez disposer de bonnes variétés et mener des travaux agronomiques.

Vous devez également prendre des décisions fondées sur des données scientifiques, pour éviter que cela fasse comme en Ontario, où on a restreint l’utilisation des néonicotinoïdes. Ces restrictions seront bientôt imposées dans ma province également. Les décisions doivent reposer sur la science et non pas sur le Sierra Club, qui exerce des pressions sociales. Vos décisions doivent être fondées sur la science.

Le sénateur L. Smith: Mais pouvez-vous nous donner un exemple?

M. Van Tassel: D’accord. Je vais vous donner un bon exemple et peut-être que Markus pourrait vous en donner un autre.

On restreint l’usage des néonicotinoïdes en Ontario et au Québec en raison des pressions exercées par différents groupes. L’ACIA vient tout juste d’affirmer que l’un d’entre eux n’a aucune incidence sur les abeilles, mais on en entend très peu parler. Une étude préliminaire du mois de janvier a révélé qu’il ne causait aucun tort aux abeilles.

Attendons d’avoir quelque chose de solide — et je crois que l’ACIA est fiable — avant de décider d’interdire ou non un produit.

Le sénateur Plett: J’aimerais faire une observation. J’approuve 90 p. 100 de ce que vous avez dit aujourd’hui, et je suis entièrement d’accord avec vous quant à l’ingérence du Sierra Club.

Il y a un commentaire qui m’a dérangé, et c’est lorsque le sénateur Smith vous a demandé si vous vouliez des subventions. Bien que vous n’ayez pas répondu clairement que oui, vous avez sous-entendu qu’il fallait vous aider lorsque les temps sont durs, mais vous laisser tranquilles lorsque les choses vont bien. Cela me pose un problème.

Soit on intervient dans les deux cas, soit on n’intervient pas du tout. Je crois au libre marché, mais j’estime que si vous avez besoin de notre aide dans un cas, nous ne pouvons pas rester à l’écart dans l’autre cas.

M. Van Tassell: Je suis désolé; ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.

Que cela vous plaise ou non, le programme Agri-investissement nous aide davantage lorsque les prix sont bons. Je ne crois pas que ce soit un bon programme. Lorsque les temps sont plus difficiles, ce qui arrivera tôt ou tard, on aura besoin de quelque chose. Dans le cas du programme Agri-stabilité, les paiements correspondaient à 85 p. 100 des ventes nettes. On a baissé le seuil à 75 p. 100. Il s’agit d’une aide en cas de catastrophe. On ne peut y avoir recours que si une catastrophe ou un problème majeur survient.

Mettons-nous sur un pied d’égalité avec les Américains. Si les choses vont bien, il y a de nombreuses politiques auxquelles nous devons nous conformer pour nous assurer de produire du bon grain; toutefois, lorsque tout va bien, le filet de sécurité ne fonctionne pas. Nous n’en avons pas besoin et nous ne recevons rien, ce qui est normal parce que nous l’obtenons du marché.

Comme Markus l’a dit, nous préférerions gagner notre argent sur le marché. Croyez-moi, les années 2012-2013 ont été d’excellentes années, et j’aimerais que ce soit toujours le cas. J’ai quand même des cheveux gris. Je me souviens de quelques mauvaises années. Après cinq ou six années de vaches maigres, on doit agir pour assurer la survie du secteur agricole.

Il y a de nombreuses fermes familiales dans ma province. Lorsque ça va mal, il faut parfois des programmes pour leur venir en aide.

Le sénateur Plett: Les agriculteurs doivent également savoir qu’après avoir connu cinq ou six années prospères, il se peut qu’ils aient des années moins bonnes et ils doivent s’organiser en conséquence.

M. Van Tassel: Oui.

M. Haerle: Il faudrait peut-être envisager les choses différemment. Nous pourrions mettre en place un programme d’assurance où chaque agriculteur paie sa part. Au bout du compte, on sait qu’on pourra compter sur cet argent lorsqu’on en aura besoin. Un agriculteur qui a connu une, deux ou trois bonnes années d’affilée investira cet argent dans ces programmes; toutefois, il faut faire en sorte que ce soit accessible, pour ne pas avoir à prouver une perte si énorme qu’on n’y touchera jamais. Autrement, cela devient un problème.

De nombreux agriculteurs de l’Ontario ont abandonné le programme Agri-stabilité parce qu’ils n’ont rien touché du tout, alors qu’ils y avaient contribué, parce que les seuils ne sont pas ce qu’ils devraient être. Il faudrait veiller à ce que ça vaille la peine d’y participer.

Nous sommes prêts à investir les fonds nécessaires. Chez moi, en Ontario, nous avons un programme de gestion du risque. J’y mets le plus d’argent possible, et je n’hésiterai jamais à le faire parce que c’est là en cas de besoin.

Voilà comment nous voyons les choses en Ontario. Je pense qu’on pourrait établir un processus à l’échelle nationale en vue de mettre sur pied un bon programme dans un court laps de temps.

[Français]

Le président : Messieurs, je vous remercie infiniment de vos témoignages et de vos présentations. Je suis persuadé que mes collègues, les sénateurs, ont également apprécié vos exposés, qui nous sont d’une aide précieuse dans la réalisation de notre mission. Je tiens à vous remercier de votre présence malgré la tempête. Sachez que les 40 centimètres de neige qui sont tombés aujourd’hui en Ontario et au Québec seront bénéfiques pour vos cultures. Ils amèneront de l'eau au moulin. Je vous souhaite la meilleure des récoltes l’été prochain.

(La séance est levée.)


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