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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 17 février 2016

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, auquel a été renvoyé le projet de loi S-201, Loi visant à interdire et à prévenir la discrimination génétique, se réunit aujourd’hui, à 11 h 30, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Jim Munson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bonjour, chers collègues. Le Comité des droits de la personne entre dans une nouvelle ère. Beaucoup de travail nous attend au cours des prochaines années. Je suis heureux de présider le comité, assisté de la vice-présidente, la sénatrice Salma Ataullahjan.

Avant de commencer, j’aimerais que les sénateurs se présentent, puis nous commencerons nos travaux.

La sénatrice Frum: Linda Frum, de l’Ontario.

La sénatrice Ataullahjan: Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

Le sénateur Oh: Sénateur Oh, de l’Ontario.

La sénatrice Cordy: Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Martin: Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.

Le président: Sur une note purement administrative, notez que les pages ne sont pas ici ce matin; ils sont à leur cérémonie d’assermentation, qui est toujours une merveilleuse occasion. Je leur ai serré la main. Beaucoup d’entre eux travailleront au Sénat, ce qu’ils aiment beaucoup. Voilà où ils sont ce matin.

[Français]

Aujourd’hui, nous entamons notre étude du projet de loi S-201, Loi visant à interdire et à prévenir la discrimination génétique.

[Traduction]

Vous savez sans doute que le comité a étudié le projet de loi lors de la dernière session. Je souligne que cette version du projet de loi n’est pas identique à la précédente, car des modifications ont été apportées. Nous espérons que nos premiers témoins, que nous accueillerons sous peu, pourront nous donner des explications ce matin au sujet de ces modifications.

[Français]

Hier, le greffier vous a envoyé les transcriptions des réunions qui ont porté sur ce sujet pour que vous les examiniez. Cependant, cette fois-ci, le comité n’entendra pas les témoins, car ceux-ci seront invités à lui soumettre un mémoire écrit au sujet des modifications au projet de loi.

[Traduction]

Chers collègues, nous avons aussi envoyé une lettre à toutes les provinces afin d’avoir leur avis sur le projet de loi. Nous vous communiquerons leurs réponses.

Nous sommes heureux d’accueillir ce matin le parrain du projet de loi, le sénateur Cowan, pour lancer notre étude. Je crois comprendre que le sénateur Cowan est accompagné de Mme Barbara Kagedan, son adjointe, qui pourra l’aider à répondre aux questions, si nécessaire.

Sénateur Cowan, la parole est à vous.

L’honorable James Cowan, parrain du projet de loi: Merci, monsieur le président. Je suis heureux d’être ici aujourd’hui pour lancer votre étude sur mon projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi S-201, Loi visant à interdire et à prévenir la discrimination génétique. C’est la troisième fois que je présente une mesure législative visant à lutter contre la discrimination génétique et, comme vous l’avez mentionné, c’est la deuxième fois que le comité examine la question.

Je sais que le comité compte plusieurs nouveaux membres, dont vous, à titre de nouveau président. J’aimerais donc prendre quelques minutes pour présenter un aperçu de la question. Je vais vous expliquer pourquoi j’ai présenté ce projet de loi et ce qu’il vise à faire, en portant une attention particulière aux modifications qui ont été apportées à la version précédente. La plupart des changements visent à répondre aux enjeux et aux préoccupations qui ont été soulevées ici, au comité. Je tiens à remercier le comité d’avoir attiré mon attention sur ces questions. Je crois que la version actuelle du projet de loi constitue une amélioration par rapport à la version antérieure.

J’ai présenté le projet de loi pour une raison très simple: il vise à actualiser notre législation, comme l’ont déjà fait bon nombre de pays occidentaux, de façon à ce que les Canadiens puissent profiter des extraordinaires avancées réalisées en science médicale grâce au dépistage génétique sans craindre d’être victimes de discrimination. En ce moment, malheureusement, trop de Canadiens refusent à contrecœur de passer des tests de dépistage génétique qui, selon leurs médecins, pourraient améliorer leurs soins de santé, un refus qui n’est pas fondé sur des préoccupations liées au dépistage génétique en soi, mais plutôt sur la crainte d’être victime de discrimination génétique.

En résumé, les chercheurs ont identifié et continuent à identifier des gènes associés à des maladies précises, et chaque découverte offre de nouvelles possibilités de traitement, et dans certains cas, permet même de prévenir l’apparition de la maladie.

La science médicale évolue à un rythme tout simplement effarant. Lorsque j’ai discuté de cette question pour la première fois en avril 2013, j’ai indiqué que 10 ans auparavant, en 2003, environ 100 tests génétiques étaient offerts. En avril 2013, ce nombre avait grimpé de 100 à 2 000, ce que j’ai trouvé plutôt impressionnant. Aujourd’hui, pas même trois ans plus tard, il existe plus de 32 900 tests génétiques.

Pour les Canadiens, les avantages peuvent s’avérer très concrets et d’une importance capitale. De plus en plus, sachant qu’une personne présente une prédisposition génétique à une maladie quelconque, il est possible de prendre des mesures pour réduire les risques d’apparition de la maladie.

En 2013, Angelina Jolie a attiré l’attention de la communauté internationale sur cet enjeu lorsqu’elle a raconté son histoire. Elle a découvert qu’elle était porteuse de la mutation du gène BRCA1. Les risques de développer un cancer du sein sont plus élevés de 87 p. 100 chez les femmes qui en sont porteuses. Forte de cette information, Mme Jolie a eu recours à la chirurgie préventive. Ses risques de développer un cancer du sein sont passés de 87 p. 100 à moins de 5 p. 100. Elle avait vu sa mère souffrir et mourir du cancer du sein. Après l’intervention, elle a déclaré dans le New York Times:

« Je peux dire à mes enfants qu’ils n’ont plus à craindre que je meure du cancer du sein. »

Différents tests génétiques permettent de dépister d’autres maladies, et les effets pour la santé sont tout aussi extraordinaires. Et les histoires dramatiques ne manquent pas non plus. J’ai donné des exemples dans le discours que j’ai prononcé à l’étape de la deuxième lecture le mois dernier. Il y a beaucoup d’histoires de ce genre; elles ne représentent qu’une partie de ce que la science de la génétique et les tests de dépistage génétique ont rendu possible.

J’espère que le comité entendra des médecins et des scientifiques qui travaillent dans ce domaine. Il y a eu d’extraordinaires avances, même depuis la dernière réunion du comité à ce sujet. Le séquençage du génome complet est, de plus en plus, un aspect crucial des soins médicaux et on assiste à l’éclosion rapide d’un monde de soins personnalisés ou individualisés digne de la science-fiction. Plutôt que de prescrire un traitement adapté à une personne type, généralement un homme moyen, présentant les symptômes moyens d’une maladie — la médecine dite universelle —, les médecins pourront agir en fonction du bagage génétique unique d’un patient et des caractéristiques de la maladie dont il est atteint.

Cela se fait déjà. En août, à Montréal, j’ai assisté à une conférence sur la médecine personnalisée à laquelle participaient notamment des scientifiques de partout dans le monde. Un forum sur la pharmacogénétique — la science consistant à adapter la prescription au code génétique du patient — a eu lieu il y a deux semaines, à Toronto. Certains ont peut-être lu le long article sur la pharmacogénétique paru cette semaine dans le Globe and Mail, intitulé « Your Pharmacist’s Secret Weapon ». Tout cela, chers collègues, découle du dépistage génétique; c’est là que tout commence.

Le problème actuel, c’est qu’avant de se soumettre à un dépistage génétique, les Canadiens doivent envisager la possibilité qu’ils puissent être victimes de discrimination s’ils découvraient qu’ils sont porteurs d’une mutation génétique associée à une maladie. Au Canada, aucune mesure législative — fédérale ou provinciale — n’empêche quiconque de demander les résultats des tests génétiques auxquels une personne pourrait s’être soumise, puis d’utiliser ces résultats à son détriment. Au Canada, contrairement à la majorité des pays occidentaux, aucune protection n’est offerte à cet égard. C’est ce qu’on veut corriger avec le projet de loi S-201.

Beaucoup de Canadiens refusent de se soumettre à un test de dépistage génétique jugé utile par leur médecin par crainte d’être victimes de discrimination génétique. Cette crainte est fondée, chers collègues, car aujourd’hui, au Canada, la discrimination génétique est une réalité.

Lorsque j’ai comparu à l’étape de la deuxième lecture, j’ai raconté l’histoire d’un jeune homme de 24 ans qui s’est soumis à un test de dépistage du gène de la maladie de Huntington. Le résultat était positif. Le vendredi, son employeur s’est informé du résultat, et le jeune homme a répondu honnêtement. Le lundi suivant, il a été congédié.

Il n’est pas atteint de la maladie et il est peu probable que des symptômes se manifestent avant de nombreuses années — des décennies, en fait —, mais sans protection contre la discrimination génétique, ce jeune homme est sans recours.

Chers collègues, c’est inacceptable. Malheureusement, de plus en plus de Canadiens regrettent de s’être soumis à un test en raison des répercussions que cela a entraînées dans leur vie. On ne parle pas des répercussions de la maladie, mais de celles qui découlent de la discrimination fondée sur leurs caractéristiques génétiques.

La thèse de doctorat de la Dre Yvonne Bombard porte sur la discrimination génétique au Canada. Elle a présenté le résultat de ses recherches lors de son témoignage au comité. Elle a découvert que l’industrie des assurances et des employeurs, notamment, se livrent à la discrimination génétique. Elle a fait état de problèmes liés à la garde des enfants et aux droits d’accès à ceux-ci. Évidemment, étant donné l’évolution du secteur de la génétique et l’utilisation de plus en plus répandue des tests de dépistage génétique, les cas de ce genre sont de plus en plus nombreux.

Permettez-moi de vous expliquer l’objet du projet de loi S-201. Il se divise en cinq parties; les versions antérieures en comptaient trois. Cinq moins trois font deux; il compte donc deux nouvelles parties.

Premièrement, il s’agit de mettre en œuvre une nouvelle loi sur la non-discrimination génétique, ce qui est à mon avis le point central du projet de loi. On y indique que nul ne peut obliger une personne à subir un test génétique ou à communiquer les résultats d’un test génétique comme condition requise pour lui fournir des biens ou services; pour conclure ou maintenir un contrat ou une entente avec elle; pour offrir ou maintenir des modalités particulières d’un contrat ou d’une entente avec elle.

De la même manière, nul ne peut refuser d’exercer ces activités à l’égard d’une personne au motif qu’elle a refusé de se subir un test génétique ou de communiquer les résultats d’un test génétique.

De plus, l’article 5 de la dernière version du projet de loi interdit à quiconque de recueillir ou d’utiliser les résultats d’un test génétique d’une personne sans son consentement écrit. À titre d’exemple, cela empêcherait quiconque d’utiliser les médias sociaux à mauvais escient pour trouver les résultats des tests génétiques d’une personne et les utiliser à son détriment.

Le projet de loi prévoit des exceptions pour les médecins, les pharmaciens et tout autre professionnel de la santé qui fournissent des soins médicaux à une personne; une autre exception permet aussi à une personne de participer à de la recherche médicale, pharmaceutique ou scientifique.

L’inclusion explicite des pharmaciens et de la recherche pharmaceutique est quelque chose de nouveau. J’ai inclus les pharmaciens parce qu’ils sont appelés à jouer un rôle accru en médecine personnalisée, étant donné que les prescriptions seront adaptées au profil génétique des patients.

Quiconque contrevient aux dispositions de la loi commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de 300 000 $ et un emprisonnement maximal de 12 mois, ou l’une de ces peines; et sur déclaration de culpabilité par mise en accusation, pour les infractions plus graves, une amende maximale de 1 million de dollars et un emprisonnement maximal de cinq ans, ou l’une de ces peines.

Comme la sénatrice Frum l’avait fait la dernière fois, la sénatrice Bellemare a posé des questions très pertinentes sur les peines choisies. Je sais que cela peut sembler élevé, mais je précise qu’il s’agit de sanctions maximales qu’un tribunal ne pourrait appliquer que dans les cas qui le justifient. Le projet de loi ne prévoit pas de peines minimales obligatoires.

Je note par ailleurs que la loi antipourriel du gouvernement précédent, que le Sénat a adoptée en décembre 2010, prévoit des sanctions de l’ordre de 1 million de dollars pour un particulier, et de 10 millions de dollars pour une entreprise qui envoie des courriels indésirables. S’il est justifié d’appliquer de telles sanctions à l’envoi de courriels indésirables, j’estime qu’il serait illogique de prévoir des sanctions maximales beaucoup moins élevées lorsqu’il est question d’accéder indûment au code génétique d’une personne ou d’obliger quelqu’un à subir un test génétique.

Les sanctions pénales ont notamment un rôle dissuasif, et j’espère que les peines proposées dans le projet de loi auront cet effet. Personne ne veut établir des peines qui pourraient être perçues comme de simples coûts d’exploitation.

La deuxième partie du projet de loi modifie le Code canadien du travail de façon à établir un mécanisme de plaintes pour les situations où un employeur sous réglementation fédérale congédierait un employé ou lui imposerait des mesures disciplinaires de façon injustifiée au motif qu’il a refusé de subir un test génétique ou de divulguer les résultats d’un test génétique précédent, ou encore en fonction du résultat de ce test. Ces dispositions n’ont suscité aucune controverse la dernière fois. Cette partie du projet de loi a été adoptée à l’unanimité par le comité lors de l’étude article par article. Faute de temps, je n’entrerai pas dans les détails des dispositions de cette partie, mais c’est avec plaisir que j’en discuterai pendant les séries de questions, si vous le souhaitez.

J’aimerais toutefois souligner un point, en réponse à une question soulevée par le sénateur Carignan après mon exposé à l’étape de la deuxième lecture. Il m’a demandé pourquoi cette partie du projet de loi s’appliquait uniquement aux employés actuels et non aux candidats à un poste. La réponse, c’est que cela correspond à la structure du Code canadien du travail, qui ne traite que des gens qui occupent un emploi et non les candidats à un poste. Toutefois, la nouvelle loi protégerait tout candidat qui verrait sa candidature rejetée en raison de discrimination génétique. Comme pour tous les Canadiens, il sera interdit à tout employeur de recueillir ou d’utiliser les résultats des tests génétiques d’une personne sans son consentement. À mon avis, les situations de ce genre seraient visées par le nouvel article 5 du projet de loi. Je suis évidemment prêt à examiner tout amendement visant à renforcer cette disposition. Comme je l’ai indiqué à maintes reprises, je suis ouvert à toute proposition visant à améliorer le projet de loi.

La troisième partie du projet de loi modifie la Loi canadienne sur les droits de la personne, afin d’ajouter les caractéristiques génétiques aux motifs de discrimination. Cet amendement a été proposé dans plusieurs projets de loi d’initiative parlementaire qui ont été déposés devant la Chambre des communes au fil des ans. Lors des dernières délibérations du comité, on a cherché à savoir si nous devrions définir la « discrimination fondée sur les caractéristiques génétiques ». Sachez qu’une telle définition est maintenant inscrite dans le projet de loi.

Les quatrième et cinquième parties sont nouvelles. Il s’agit de modifications proposées à la Loi sur la protection des renseignements personnels et à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, ou LPRPDE. Ces modifications visent à préciser que les renseignements personnels visés par ces lois englobent les informations associées aux tests génétiques.

Vous vous rappellerez sans doute qu’en juin dernier, juste avant l’ajournement du Parlement pour l’été, le gouvernement conservateur précédent a déposé un projet de loi visant à régler la question de la discrimination génétique, ce qu’il avait promis dans son discours du Trône précédent. Ces mêmes modifications à la Loi sur la protection des renseignements personnels et à la LPRPDE étaient dans ce projet de loi. Honnêtement, comme je l’ai indiqué dans mon discours à la Chambre, je ne suis pas convaincu que ces modifications renforcent considérablement les mesures de protection contre la discrimination génétique dont les Canadiens ont besoin et auxquelles ils s’attendent. Cependant, comme le gouvernement précédent les jugeait utiles, je suis prêt à les accepter et à les inclure dans cette version du projet de loi.

J’aimerais mentionner une autre modification qui a été apportée au projet de loi. La dernière fois, plusieurs collègues se demandaient si la loi sur la non-discrimination génétique proposée à ce moment était constitutionnelle, ou s’il s’agissait plutôt d’une tentative déguisée de réglementer le secteur de l’assurance, qui relève des provinces. Mon intention n’était pas, et n’est toujours pas de cibler une industrie en particulier, mais plutôt d’interdire une conduite particulière. En fait, comme je l’ai expliqué, la discrimination génétique survient dans différents contextes, et pas seulement dans le milieu des assurances.

En fait, une disposition du projet de loi précédent mentionnait le secteur de l’assurance. Il s’agissait à vrai dire d’une dérogation aux interdictions, que j’avais incluse pour tenter d’apaiser les craintes du milieu de l’assurance en ce qui a trait aux grandes polices d’assurance. Il est devenu évident la dernière fois que cette disposition était considérée comme une preuve que le projet de loi visait essentiellement le secteur de l’assurance. Comme je l’ai dit, cela n’a jamais été mon intention. J’ai donc supprimé la disposition pour qu’il soit bien clair que le projet de loi ne vise ni l’industrie des assurances ni aucune autre industrie, d’ailleurs. Le mot « assurance » n’apparaît donc nulle part dans le projet de loi.

Comme vous pouvez le constater, chers collègues, j’ai essayé de régler les problèmes qui avaient été soulevés la dernière fois. Je serai ravi de recevoir et d’examiner vos suggestions d’améliorations subséquentes du projet de loi.

Pour conclure, permettez-moi de répéter ce que j’ai dit plus tôt: ce n’est pas un enjeu partisan. En fait, chacun des trois principaux partis politiques a souligné le besoin de s’attaquer à la discrimination génétique ces dernières années. L’excellent discours de la sénatrice Frum, lors du débat en deuxième lecture, faisait ressortir notre volonté commune à ce chapitre. Nous devons maintenant essayer de trouver la meilleure façon d’atteindre cet objectif. J’ai soumis ma proposition, et je suis ouvert aux propositions de modifications et d’améliorations. J’ai hâte de travailler en comité justement à cette fin.

Merci, monsieur le président.

Le président: Sénateur, je vous remercie infiniment de votre déclaration liminaire.

Nous avons jusqu’à 12 h 15 pour poser des questions au sénateur. Si nous épuisons nos questions, nous aurons plus de temps à consacrer aux autres témoins qui comparaîtront. Ils sont nombreux à être venus parler des divers aspects de l’enjeu.

La sénatrice Frum, qui est la porte-parole dans ce dossier, ouvrira la période de questions.

La sénatrice Frum: Merci, sénateur Cowan. Comme vous l’avez dit, c’est la deuxième fois que vous proposez le projet de loi, et c’est la deuxième fois que j’en suis la porte-parole. Comme je vous l’ai déjà dit — et vous avez parlé de mon discours —, je vous félicite chaudement du travail que vous avez réalisé à ce chapitre. Je sais que vous y avez consacré beaucoup d’efforts. Votre intérêt pour la question est très sincère et profond. Vous avez rendu un grand service aux Canadiens, car vous attirez l’attention sur un enjeu pour lequel la législation du pays est loin derrière les progrès scientifiques. Dans cette optique, je vous appuie sans réserve et vous remercie de votre travail.

Comme vous le savez, nos divergences d’opinions relatives au projet de loi portent sur la constitutionnalité des questions de compétence. J’aimerais vous demander si vous croyez que le projet de loi s’attaquera à la discrimination génétique dans le secteur de l’assurance, ou si c’est votre intention. Est-ce l’objectif du projet de loi?

Le sénateur Cowan: Eh bien, si le projet de loi est adopté et que les assureurs adoptent la conduite interdite en vertu du libellé, ces entreprises seront assujetties à la pénalité au même titre que tout autre citoyen ou organisation du Canada qui adopterait ce comportement interdit. L’objectif du projet de loi est d’interdire une ligne de conduite à tout le monde. Si les assureurs adoptent le comportement en question, ils s’exposeront à la même peine que tous ceux qui enfreignent la loi du pays.

La sénatrice Frum: En fait, on peut dire que même si la discrimination génétique n’est pas l’apanage du secteur de l’assurance, c’est dans ce milieu qu’elle survient le plus souvent.

Le sénateur Cowan: C’est ce que j’ai constaté, oui.

La sénatrice Frum: Je dis toujours que c’est vous qui êtes avocat, et pas moi. Dans ce cas, pourquoi êtes-vous convaincu que le projet de loi résisterait à une éventuelle contestation constitutionnelle du milieu de l’assurance, et qu’il transcende les compétences en appliquant la législation fédérale à un domaine de compétence provinciale?

Le sénateur Cowan: Je sais que le comité entendra le témoignage de spécialistes de la question, et je n’en suis pas un. Je suis avocat, mais pas constitutionnaliste. D’après les juristes du Sénat et des constitutionnalistes externes, il s’agit d’un exercice valable des pouvoirs fédéraux en droit pénal, qui vise à interdire ou à réglementer en quelque sorte un comportement donné.

J’ai aussi donné l’exemple de la loi antipourriel. Je siège actuellement à un comité qui se penche sur la question de l’aide médicale à mourir. C’est dans le domaine de la santé, et certains se demandent si le problème relève du fédéral ou des provinces. Je ne mets pas les deux enjeux sur un pied d’égalité, mais je crois que le gouvernement fédéral a le pouvoir d’intervenir et de légiférer pour qu’un régime soit mis en place du nord au sud et d’est en ouest, après quoi les provinces pourront adopter des mesures législatives complémentaires; ce sont les conseils que nous avons reçus et notre avis à tous, je crois. Si les mesures législatives sont équivalentes, le gouvernement fédéral peut, selon la doctrine de l’équivalence, dire à la Nouvelle-Écosse que son régime est équivalent, par exemple, de sorte que c’est la loi provinciale qui s’appliquera dans la province à l’exclusion de la loi fédérale.

Il serait toutefois regrettable de nous retrouver avec toutes sortes de lois antidiscriminatoires disparates qui changeraient en fonction de la province de résidence. Si une personne déménage de temps à autre, elle peut vivre en Nouvelle-Écosse et trouver que la province protège bien ses citoyens contre la discrimination génétique. Elle pourrait ensuite déménager en Ontario pour travailler, où rien n’empêche l’employeur d’exiger la divulgation des résultats d’un test génétique réalisé en Nouvelle-Écosse, province qui protégeait la personne en question.

Nous reconnaissons tous, je crois, que ce serait regrettable. D’après moi et d’après les spécialistes que j’ai consultés — j'espère que vous entendrez leur témoignage lorsqu’ils comparaîtront —, la meilleure façon de régler le problème est d’adopter une mesure législative fédérale, puis de laisser les provinces nous emboîter le pas, si elles le souhaitent — elles ne sont pas tenues de le faire —, après quoi la doctrine de l’équivalence s’occupera du reste.

Je sais que Mme Heim-Myers fera partie du prochain groupe d’experts, et elle a consulté les provinces sur la question, comme elle vous l’avait promis la dernière fois.

J’ai moi-même écrit à toutes les provinces, et le comité aussi, pour savoir ce qu’elles en pensent. Sénatrice, je peux vous assurer qu’aucun représentant provincial, quelle que soit son allégeance politique, n’a manifesté la moindre inquiétude par rapport au projet de loi au cours des trois années que j’y ai consacrées. Ils ont tous trouvé le dossier intéressant, puis demandé de les tenir au courant. Personne ne nous a dit de laisser tomber la question parce que nous jouions dans leur cour.

La sénatrice Frum: En parlant de jouer dans la cour des autres, qu’en est-il de la disposition du projet de loi disant que, suivant la Loi sur la non-discrimination génétique proposée, nul ne peut obliger une personne à subir un test génétique comme condition préalable à la conclusion ou au maintien d’un contrat ou d’une entente avec elle? Les contrats sont une affaire de compétence provinciale.

Le sénateur Cowan: Il s’agit normalement de droits de propriété et de droits civils.

Encore une fois, je pense que ce que nous tentons de faire, c’est de légiférer contre la discrimination. À mon avis, et selon les spécialistes que j’ai consultés, il s’agit là d’une utilisation légitime du pouvoir fédéral permettant de légiférer en matière de droit criminel. C’est l’avis qu’on m’a donné.

La sénatrice Frum: J’aimerais recevoir quelques points de vue sur la question. Le résultat que vous souhaitez obtenir n’est pas différent de celui qui intéresse tous les gens à la table, selon moi. Je ne suis simplement pas tout à fait certaine que nous y parviendrons en abordant le projet de loi sous cet angle fédéral.

Je vous remercie infiniment de votre avis, et merci encore pour votre travail acharné.

Le sénateur Cowan: Je ne dis pas qu’il n’y aura aucune contestation. Nous vivons dans un pays libre, et n’importe qui peut contester tout ce qu’il veut. Mais je suis persuadé qu’il s’agit d’un exercice légitime du pouvoir que nous avons, en tant que parlementaires fédéraux, de légiférer à ce chapitre. Comme je l’ai dit, je n’ai reçu aucun avis ou indication contraire, officiellement ou non, concernant des préoccupations particulières sur la question de la part de quiconque au provincial, en provenance du gouvernement ou de l’opposition.

Vous avez dit dans votre très gentil mot d’ouverture que nous attirons l’attention sur le sujet. Ne me demandez pas de vous assurer qu’il s’agit d’une priorité absolue de tous les gouvernements provinciaux. Je pense que certains n’étaient tout simplement pas au courant, tout comme moi lorsque j’ai commencé à étudier la question.

C’est tout ce que je peux dire là-dessus.

La sénatrice Frum: Merci, sénateur.

La sénatrice Ataullahjan: En vertu du Code criminel, un délit de manœuvres frauduleuses peut entraîner une peine maximale de deux ans. Or, votre modification propose une infraction punissable d’une peine maximale de cinq ans. Avez-vous comparé vos peines d’emprisonnement à celles prévues à d’autres articles du Code criminel, ou croyez-vous que votre proposition est conforme au genre de peines qui se retrouvent dans le Code criminel?

Le sénateur Cowan: Eh bien, il incomberait bien sûr au procureur de décider s’il procédera par voie de déclaration sommaire de culpabilité, qui est le niveau inférieur, ou par voie de mise en accusation, en présence d’une infraction plus grave. Je ne peux pas vous donner les références détaillées des articles qui sont comparables. Je pourrai certainement vous trouver l’information, sénatrice. Je suis prêt à le faire.

Mais lorsque nous examinions la question, nous estimions que les peines étaient appropriées, tant du côté de l’amende que de la peine d’emprisonnement. Je n’ai pas l’information en main, mais je serai ravi de la trouver et de vous dire en détail de quels articles il s’agit.

La sénatrice Ataullahjan: Merci.

La sénatrice Hubley: Bienvenue, sénateur Cowan.

Aux États-Unis, la Genetic Information Nondiscrimination Act de 2008 interdit la discrimination génétique relative à l’assurance-maladie et à l’emploi. En revanche, le Royaume-Uni laisse le secteur de l’assurance fixer les restrictions volontaires de l’utilisation des tests génétiques. J’aimerais savoir où se situe le projet de loi S-201 par rapport à ces autres méthodes.

Le sénateur Cowan: J’ai dit dans ma déclaration d’ouverture que la plupart des pays occidentaux protègent la population contre la discrimination génétique. Tous les régimes sont différents, et vous avez mis en lumière deux pratiques distinctes.

Je ne peux certainement vous expliquer ni pourquoi le Royaume-Uni a décidé d’emprunter une voie ni pourquoi les États-Unis ont opté pour une autre façon de faire. Dans le cas du Royaume-Uni, je peux dire qu’on craignait véritablement — comme partout ailleurs, je crois —, que ces mesures portent atteinte au secteur de l’assurance. D’après l’information que nous avons reçue et qui a été soumise au comité, il semble n’y avoir eu aucun effet négatif au Royaume-Uni; les primes d’assurance ont même baissé au cours de cette période.

D’après ma compréhension du système britannique, il y avait un protocole volontaire, et je crois que les assureurs pouvaient uniquement demander le dépistage du gène de la maladie de Huntington, mais aucun autre test. Mais on donnait la possibilité: si les craintes se concrétisent et que les gens abusent du système, il est possible d’ajouter des tests génétiques à la liste des exemptions. Je n’ai pas regardé le dossier récemment, mais il y a un an, aucun test n’y avait été ajouté au cours des 10 ou 12 années de fonctionnement du programme.

La sénatrice Cordy: Je vous souhaite la bienvenue à notre comité, sénateur Cowan. Merci beaucoup pour le travail que vous avez réalisé à ce chapitre. Lorsqu’on sait que 100 tests génétiques ont été enregistrés en 2003, et 32 600 en 2016, on constate que votre projet de loi est tout à fait pertinent aujourd’hui. Je vous remercie donc infiniment de tout le travail que vous avez réalisé.

J’aimerais simplement que vous confirmiez avoir discuté avec des représentants provinciaux; personne ne craint que nous leur marchions sur les pieds parce que le dossier relève de la province plutôt que du fédéral, n’est-ce pas?

Le sénateur Cowan: Les seules discussions que j’ai eues avec des représentants étaient dans ma province, la Nouvelle-Écosse, et personne ne s’en inquiète. En décembre, je crois, j’ai écrit à l’ensemble des provinces et des territoires pour leur expliquer ce que nous faisons et leur demander leur avis. Je pense que nous avons reçu une réponse, et les représentants n’avaient pas de commentaires à ce stade-ci.

La sénatrice Cordy: Vous dites donc que personne ne sursaute à l’idée.

Le sénateur Cowan: Non.

La sénatrice Cordy: Merci beaucoup.

Par ailleurs, le Dr Ronald Cohn a comparu devant notre comité en 2014, et voici ce qu’il avait dit à l’époque:

Un patient qui reçoit un diagnostic de cancer du côlon à l’âge de 50 ans en raison d’un problème génétique qu’il ignorait recevra ce diagnostic à un moment qui mènera à un grand nombre d’opérations, à la chimiothérapie, peut-être à la radiothérapie, et ces traitements engendreront des coûts élevés pour le système de soins de santé.

Si je sais à l’âge de 20 ans que cela se produira, j’éviterai le cancer et tous les coûts liés aux traitements. C’est pourquoi je vous dis que nos recherches prouveront que plus on en sait, plus on diminuera le fardeau des coûts dans le système de soins de santé.

D’après les propos du Dr Cohn, si les gens sont prêts à passer des tests génétiques étant donné qu’il n’y a pas de discrimination génétique, et que les résultats permettent au patient de recevoir des soins personnalisés, croyez-vous que cela pourrait véritablement réduire les coûts liés aux soins de santé, grâce à l’intervention précoce de même qu’à la médecine et aux soins préventifs pour le patient?

Le sénateur Cowan: Tout à fait.

J’ai un exemple concret. Une jeune femme qui étudie à l’une des universités d’Ottawa est venue me voir ces derniers mois. Elle a subi un test génétique, et a découvert qu’elle est porteuse du gène BRCA1 dont j’ai parlé. Elle a donc modifié son style de vie. Elle passe désormais des mammographies annuelles, qui ne sont normalement pas offertes à une femme de 20 ans, si j’ai bien compris. Elle a donc confiance et bon espoir que les modifications apportées à son style de vie préviennent l’apparition du cancer du sein, dont sa mère, sa grand-mère ou sa tante était atteinte. Chose certaine, il y en avait dans sa famille. Comme je l’ai dit, lorsqu’une personne porte ce gène, les probabilités grimpent à 87 p. 100, mais il est à espérer que la jeune femme pourra éviter le pire. De plus, puisqu’elle passe cet examen annuel, elle pourra dépister le cancer assez tôt s’il apparaît tout de même. Comme vous l’avez dit, c’est une bonne nouvelle pour la société et la gestion du budget de la santé.

Si nous pouvons inciter des gens à passer les tests, qui sont de plus en plus accessibles et précis, et à avoir recours à cette médecine personnalisée, je pense que leur santé serait meilleure. Plus les gens sont en santé, moins ils représentent un fardeau pour le système de soins de santé, sans parler de leur bien-être personnel. Je pense que tout le monde y gagne.

La sénatrice Martin: J’abonde dans le même sens que nos collègues. Je sais tout ce que vous avez fait pour porter ceci à notre attention. Je vous félicite également, sénateur.

J’ai deux questions, qui s’inscrivent dans une perspective générale et dans une perspective restreinte. Nous ne parlions pas de la question de la discrimination génétique auparavant. C’est un sujet récent. Il y a l’histoire d’Angelina Jolie hautement médiatisée qui a retenu l’attention du monde. Or, existe-t-il des traités internationaux, ou parle-t-on de conventions dont le Canada pourrait être signataire ou de conventions pouvant l’obliger à respecter certaines attentes de la communauté internationale à l’égard de la discrimination génétique? S’agit-il d’un nouveau sujet de préoccupation à l’échelle mondiale? D’autres pays ont agi, mais nous, nous sommes en train d’examiner la question. Il importe d’en discuter. Voulez-vous nous éclairer là-dessus?

Le sénateur Cowan: Je peux certainement vous donner de l’information sur ce qui se passe ailleurs dans le monde. La sénatrice Cordy a parlé du Royaume-Uni et des États-Unis. C’est leur cas, et c’est notre cas aussi, sans parler des autres pays: Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Portugal, Suède, Suisse; et vous avez mentionné les Nations Unies. Plusieurs initiatives ont été lancées à l’échelle internationale, et c’est peut-être ce à quoi vous voulez en venir, sénatrice Martin.

En 1997, l’UNESCO a publié la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme, et voici ce que dit l’article 6:

Nul ne doit faire l’objet de discriminations fondées sur ses caractéristiques génétiques, qui auraient pour objet ou pour effet de porter atteinte à ses droits individuels et à ses libertés fondamentales et à la reconnaissance de sa dignité.

En 2003, la Déclaration internationale sur les données génétiques humaines de l’UNESCO a été adoptée; elle traitait de la discrimination. Il s’agit de longs paragraphes. Je pourrais vous les fournir plutôt que de vous les lire aux fins du compte rendu.

En 2005, l’UNESCO a adopté la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme.

La Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine du Conseil de l’Europe, qui a été adoptée en 1997, traite de discrimination génétique. Le Conseil de l’Europe se penche présentement sur les questions de la prédictivité, des tests génétiques et des assurances, et ses travaux ont commencé en 1996.

Voici ce qu’indiquait l’Union européenne dans sa charte, qui a été proclamée en 2000:

Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

Il y a donc un certain mouvement international. Comme je l’ai déjà dit, de nombreux travaux sont menés dans divers pays, et le nôtre est le seul qui n’a rien fait.

La sénatrice Martin: C’est intéressant.

Je trouve également intéressant que vous n’ayez pas reçu de lettres ou de commentaires de la part des provinces. Il est étonnant qu’elles soient restées muettes.

J’aimerais savoir si vous connaissez d’autres cas. Vous avez parlé du jeune homme, mais pour pousser le comité à agir — et pour le compte rendu —, pourriez-vous me dire si vous avez rencontré d’autres exemples éloquents? Quel est le pourcentage des gens touchés? Si je pose la question, c’est que chaque fois que nous réfléchissons à des mesures législatives, nous pensons également aux autres qui risquent d’être touchés par les mesures que nous adoptons pour un groupe. Avez-vous observé des cas sur lesquels les provinces n’ont rien dit?

Le sénateur Cowan: Eh bien, oui. Dans bien des cas, les gens gardent cela secret et ne révéleront probablement pas leur situation, mais chaque fois que j’en parle, je reçois un courriel ou un appel téléphonique, un appel d’un journaliste. Quelqu’un va appeler lorsqu’une émission-débat traite du sujet et dira qu’il est dans cette situation.

Le Dr Cohn comparaîtra devant votre comité et je vous encourage à l’écouter. Il en a parlé au comité la dernière fois. C’est un médecin de renommée internationale dans son domaine. Il travaille à l’Hôpital pour enfants malades de Toronto et est venu au Canada pour faire ce travail. Il vous dira que la discrimination génétique est beaucoup plus répandue au Canada qu’elle ne l’était là-bas.

Il avait un centre, et il s’agit d’enfants malades. Il voulait leur faire passer des tests pour déterminer quel traitement leur conviendrait le mieux. Évidemment, les parents étaient très inquiets, et ils ont tous dit qu’ils accepteraient que leurs enfants passent les tests. Il a dit ceci: vous comprenez que des gens pourront accéder aux résultats?

Barbara Kagedan, conseillère principale en politiques, Bureau du leader des libéraux au Sénat: Il y avait deux choses. Il y avait les cas où des gens devaient refuser, ce qui nous déchire le cœur.

Il y a également l’étude sur le séquençage génomique que le docteur offrait — et je crois qu’il a dit qu’il l’offrait aux patients les plus gravement malades — pour essayer de comprendre ce qui se passe concernant différents gènes. Y a-t-il des interactions? Que se passe-t-il? Je crois que c’est en fait plus du tiers: 35 p. 100 des familles ont dû refuser, à contrecœur, de participer à l’étude.

Le sénateur Cowan: Cette situation vient me chercher. Imaginez ce qui se produit. Je vais prendre l’exemple d’un parent qui sait que le test, la recherche, pourrait mener à des résultats qui pourraient sauver son enfant, et qui doit refuser de participer parce qu’il risque de subir de la discrimination génétique. C’est de ce type d’exemples dont il s’agit.

Parmi mes collègues parlementaires, une personne — je ne la nommerai pas, mais nous la connaissons tous — m’a dit qu’elle est dans cette situation, qu’elle porte un gène et qu’elle a subi une chirurgie. Cette personne m’a dit qu’il serait utile que ses petites-filles passent un test génétique pour savoir si elles sont porteuses du gène, mais elles ne peuvent pas prendre ce risque. C’est assez percutant.

La sénatrice Frum: J’aimerais revenir sur l’exemple du jeune homme de 24 ans qui a passé un test génétique un vendredi et qui a été congédié le lundi suivant. Je me demande pourquoi les codes des droits de la personne provinciaux ne s’appliquent pas dans un tel cas. On ne peut pas exercer de la discrimination fondée sur une incapacité.

Le sénateur Cowan: Il s’agissait d’un employé en stage probatoire. Je pense que c’est là la raison.

La sénatrice Frum: Pourtant, les lois provinciales sur les droits de la personne actuelles interdisent la pratique de la discrimination, et elles reçoivent une interprétation assez large. Je trouve surprenant que l’on puisse légalement congédier une personne pour cette raison. Je ne crois pas que ce soit possible.

Le sénateur Cowan: Je ne le sais pas. Je pense que vous voudrez poser la question à Mme Heim-Myers, car c’est elle qui me l’a dit.

La sénatrice Frum: Je vois qu’elle hoche la tête.

Mme Kagedan: L’autre facteur qui entre en jeu — et je ne connais pas les circonstances —, c’est que pour faire valoir ses droits dans un cas comme celui-là, il faut que la personne recoure aux tribunaux. Cela veut dire qu’elle doit rendre public ce qui lui est arrivé. Je pense que pour une personne de 24 ans — quand je pense aux jeunes de cet âge que je connais —, aller devant les tribunaux signifie qu’en plus d’avoir été congédiée par son employeur, elle doit révéler sa situation au monde entier.

Le sénateur Cowan: C’est l’un des problèmes que pose l’autre type de régime, c’est-à-dire que c’est l’individu qui doit s’attaquer à la grande entreprise, au grand assureur, à l’important fournisseur de services. Si le projet de loi est adopté, c’est l’État qui interviendra et qui intentera des poursuites; l’individu n’aura pas à s’en prendre à un adversaire dont les goussets sont mieux garnis — si je puis dire.

Le président: Sénateur, c’est plus fort que moi. Je dois poser une question que poserait un journaliste.

Vous n’avez pas ménagé vos efforts pour affirmer que vous ne ciblez pas les compagnies d’assurances. Il est difficile de penser que ce n’est pas ce qu’elles croient.

Le sénateur Cowan: Elles comparaîtront devant vous.

Le président: Cette impression existe.

Le sénateur Cowan: Le fait est que parmi les cas de discrimination dont nous entendons parler, bon nombre se sont passés dans les milieux de l’emploi et de l’assurance. Or, ce ne sont pas des employeurs et des assureurs qui sont visés, mais bien des comportements. Peu importe qui se livre à ces comportements, si le projet de loi est adopté, ces personnes feront l’objet de sanctions qui auront été établies ici. La plupart des faits présentés, tant pour des actes de discrimination que pour des cas où l’on craint de faire l’objet de discrimination, concernent ces milieux.

Le président: Merci. Je vous remercie beaucoup de votre témoignage, sénateur.

Je veux rappeler aux sénateurs et aux témoins que les séances sont maintenant télédiffusées en format grand écran. Si vous posez une question, bien entendu, vous devez être attentifs, mais vous devez l’être également lorsque vous écoutez. C’est extrêmement important.

Le parrain du projet de loi, le sénateur Cowan, vient de comparaître devant nous. Je vous présente maintenant notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons tout d’abord Mme Bev Heim-Myers, présidente de la Coalition canadienne pour l’équité génétique et présidente-directrice générale de la Société Huntington du Canada.

Nous recevons également des représentants de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes: le président et chef de la direction, M. Frank Swedlove; et le vice-président et avocat général, M. Frank Zinatelli.

Enfin, des représentants de l’Institut canadien des actuaires comparaissent également devant nous: le président du Comité sur le dépistage génétique, M. Jacques Boudreau; et le vice-président du même comité, M. Bernard Naumann.

Je cède tout d’abord la parole à Mme Heim-Myers.

Bev Heim-Myers, présidente de la Coalition canadienne pour l’équité génétique et présidente-directrice générale de la Société Huntington du Canada: Je vous remercie tous de m’avoir invitée de nouveau à témoigner au sujet du projet de loi S-201. Au nom de la Coalition canadienne pour l’équité génétique et de toutes les personnes au Canada qui souffrent ou qui risquent de souffrir de discrimination, nous vous remercions.

La Coalition canadienne pour l’équité génétique regroupe 18 organismes incluant la Société Alzheimer du Canada, la Société Parkinson Canada, la Fondation canadienne du cancer du sein, la Société canadienne de la SLA, le CIJA, des chercheurs et des généticiens. Ce matin, nous avons eu la confirmation que la Canadian Congenital Heart Alliance fait maintenant partie de la coalition elle aussi.

Mesdames et messieurs, toutes les semaines, des individus et des Canadiens m’envoient des courriels parce qu’ils veulent se joindre à la coalition, et ils me racontent ce qui leur est arrivé. C’est quelque chose qui ne stagne donc pas. De façon permanente, un grand nombre de personnes veulent faire partie de la coalition.

Mon exposé portera sur des exemples de craintes et d’effets de la discrimination génétique — je n’en donnerai que quelques-uns, pour des raisons de temps —, la recherche fondée sur des preuves, les médias, et des témoignages d’appui à la protection de l’information sur les tests génétiques par la loi. Les exemples que je vous donne aujourd’hui m’ont été communiqués depuis ma dernière comparution devant vous. Ils ont été enregistrés et appuient l’idée qu’il est nécessaire de protéger l’information basée sur les tests génétiques et la vie privée.

Mme A, qui est avocate, m’a téléphoné pour me dire que son mari avait reçu un diagnostic de démence frontotemporale, ou DFT, une maladie neurodégénérative qui entraîne des changements dans les comportements, la personnalité, le langage et, dans certains cas, les fonctions motrices. Son mari n’était plus capable de travailler, et elle se battait contre la compagnie d’assurances pour qu’elle donne suite à sa demande d’indemnité. Selon Mme A, la compagnie d’assurances refusait de le faire parce qu’elle était d’avis que son mari se sentirait mieux avec le temps. La compagnie voulait que son mari passe un test génétique prouvant qu’il souffre de DFT. En passant, la DFT n’est pas toujours de cause génétique.

Lorsque leurs trois enfants d’âge adulte ont été informés de la maladie de leur père et de son intention de passer un test génétique, ils sont devenus furieux. Ils ne veulent pas qu’il passe un test — ils n’approuvent pas cela — parce qu’ils ont peur d’être victimes de discrimination. La famille est divisée dans une période où les deux parents ont besoin de l’aide de leurs enfants.

Par ailleurs, un homme a écrit qu’il a un trouble génétique qui augmente ses risques d’être atteint de certains cancers. Le courtier d’assurance lui a dit que si cela était confirmé, il ne serait pas admissible à un régime d’assurance-vie ou à une assurance maladie grave. Il est en santé, et obtenir cette information lui permettra de demeurer en santé grâce à des dépistages et à d’autres mesures préventives. Il a quatre enfants, et en raison de sa situation, il a contracté une assurance pour ses enfants. Les résultats pour tous ses enfants sont négatifs, et les choses se sont donc bien arrangées.

Ce qui l’inquiète, c’est que des gens décideront de ne pas se soumettre à des tests à cause du risque qu’ils soient non assurables, et ils ne passeront donc pas régulièrement des tests de dépistage des cancers en question — des tests qui peuvent sauver leur vie. Il a dit ceci: « Toute mesure législative qui protège les gens qui prennent des décisions responsables, qui passent des tests de dépistage, est une mesure positive. »

Vous avez probablement déjà entendu parler de la prochaine histoire. Une jeune femme a terminé ses études en chiropractie avec les meilleures notes de sa promotion. Avant de pouvoir pratiquer, elle a fait une demande d’assurance-vie. On avait dit à tous les étudiants qu’ils devaient le faire avant de pratiquer la chiropractie. Sa demande a été refusée en raison de la présence de la maladie de Huntington dans sa famille. On lui a dit que si elle pouvait prouver qu’elle n’était pas porteuse de la mutation, en passant un test génétique, sa demande serait réexaminée. Elle a passé le test à contrecœur. Elle n’est pas porteuse de la mutation. Elle a maintenant une assurance-vie, quoiqu’elle paie des primes très élevées, et ce, même si elle n’aura jamais la maladie de Huntington.

Cela ne s’arrête pas là. On lui a offert l’occasion de devenir partenaire et il fallait qu’elle augmente sa couverture d’assurance-vie pour faciliter les choses. On parle d’une marathonienne en santé, active, qui ne fume pas et qui n’est pas porteuse de la mutation de la maladie de Huntington. Cependant, sa compagnie d’assurances — ou son courtier — lui a dit qu’elle devait passer un autre test génétique pour prouver qu’elle ne porte toujours pas la mutation. Si les résultats le démontrent lors du premier test, on n’obtient pas de résultats différents au deuxième test. C’est ce que lui ont confirmé son généticien et son médecin.

Enfin, le sénateur Cowan a parlé du jeune homme qui a été congédié un lundi matin. La raison qu’a donnée son employeur pour justifier son congédiement, c’est qu’il s’inquiétait pour son équipement. Le jeune homme était concepteur de sites web, et la maladie de Huntington ne se manifestera pas avant plus de 20 ans. Dans sa famille, cette maladie apparaît tardivement.

Le problème, et vous avez tout à fait raison de dire que le jeune homme aurait pu s’adresser au Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, c'est que le fardeau de la preuve aurait reposé sur lui. En faisant cela, il aurait révélé des renseignements sur la situation de sa fratrie. Par crainte de déclarer qu’il existe une mutation génétique dans la famille et de nuire à sa fratrie et à ses cousins, il n’a tout simplement pas pu aller de l’avant. Voilà pourquoi il ne l’a pas fait. Il aurait fallu que le jeune homme et sa famille paient pour le processus et les frais d’avocats. Tout cela était trop; je parle non seulement des craintes, mais aussi des coûts. Il ne pouvait aller de l’avant.

En guise de suivi, j’ai parlé à sa mère la semaine dernière. Il vit dans la peur de postuler ailleurs, car il craint que cette information soit révélée et a peur de ne pas pouvoir obtenir un autre emploi. Il doit se ressaisir un peu avant de continuer.

Permettre la discrimination génétique équivaut à dresser des obstacles à la médecine personnalisée, comme nous l’avons entendu précédemment. La Dre Yvonne Bombard a publié de nombreux ouvrages sur la discrimination génétique et sur l’incidence qu’elle produit sur les comportements. Dans son document intitulé Beyond the Patient, elle constate que 86 p. 100 des personnes atteintes de la maladie de Huntington craignent la discrimination génétique pour elles-mêmes et pour leurs enfants. Près de 50 p. 100 de ces personnes ont personnellement subi de la discrimination génétique.

Dans un ouvrage plus récent publié en octobre 2015, Translating Personalized Genomic Medicine Into Clinical Practice, la Dre Bombard arrive à la conclusion que:

Les préoccupations des gens concernant la discrimination génétique peuvent les empêcher d’accéder à des services génétiques qui pourraient leur offrir des possibilités importantes de soigner ou de gérer la maladie, ce qui peut donner lieu à des soins sous-optimaux pour les personnes qui se soumettent à des tests génétiques dans l’anonymat ou sous de faux noms.

Autrement dit, la discrimination génétique fait obstacle à la santé et au bien-être de personnes qui vivent au Canada. L’information obtenue des tests génétiques est complexe, personnelle et privée, et il faut qu’elle soit traitée comme telle.

Le Dr Ron Cohn, qui a aussi été mentionné et qui a déjà témoigné devant le comité, a parlé dans son étude menée à Sick Kids des parents qui refusent de soumettre leurs enfants à des tests génétiques, même si cela pourrait mener au diagnostic d’une maladie traitable. Ils refusent de l’information qui pourrait sauver la vie de leur enfant par crainte de la discrimination génétique que les autres enfants de la famille pourraient subir. Le Dr Cohn vit au quotidien ce que la Dre Yvonne Bombard décrit dans ses constatations. C’est 35 p. 100 en ce moment; de plus en plus de gens refusent de tels tests.

On peut lire dans un ouvrage publié par R.G. Thomas au Royaume-Uni en 2012 et intitulé Genetics in Insurance in the United Kingdom, 1995 to 2010, The Rise and Fall of Scientific Discrimination que:

. . . selon l’interprétation naturelle, si une personne connaît sa situation génétique et ne la divulgue pas, elle peut en profiter et souscrire à des assurances-vie de montants très élevés.

Cependant, il arrive à la conclusion suivante:

Toutefois, quand on y regarde de plus près en s’appuyant sur des probabilités et des primes réalistes, on constate que dans les scénarios les plus réalistes, s’assurer à l’excès n’est probablement pas un bon investissement.

Au Canada, nous avons la chance d’avoir acquis la connaissance et la preuve, au fil du temps, que ce qu’on a prétendu au Royaume-Uni — que si les assureurs n’avaient pas le droit d’utiliser les tests génétiques, les primes d’assurance moyennes grimperaient en flèche ou le marché de l’assurance s’effondrerait — ne se vérifiait manifestement pas.

La semaine passée, j’ai été interviewée par une reporter du Canadian HR Reporter. En raison de l’attention médiatique suscitée par les ensembles d’avantages sociaux qui comportent des tests génétiques, la reporter avait des questions au sujet des tests génétiques et de leur application dans le milieu de travail. Voici certaines des questions qu’elle m’a posées. Comment les tests génétiques peuvent-ils être appliqués dans le milieu de travail? Quelle formation faudrait-il aux employeurs pour intégrer l’information génétique dans le milieu de travail? Pourquoi la question de la confidentialité est-elle si importante, et que faut-il faire sur le plan juridique pour protéger l’information génétique?

Les experts qui ont consacré leur vie professionnelle à comprendre le génome humain ont toujours plus de questions que de réponses. Pensons-nous vraiment que cette information personnelle, complexe et privée devrait se retrouver entre les mains des employeurs? Selon les exemples que nous avons à ce jour, cette information est dangereuse entre les mains des employeurs si nous continuons de permettre aux employeurs de l’utiliser au détriment des personnes plutôt qu’en leur faveur.

Le sénateur Cowan a également parlé de pharmacogénétique. J’étais à un forum sur la pharmacogénétique, le 5 février. J’étais invitée à parler de la façon de tirer le maximum de cette science tout en protégeant les personnes contre la discrimination génétique, ainsi que des tests pharmacogénétiques évaluant la tolérance d’une personne à divers médicaments grâce à un test génétique. On peut obtenir, grâce à cette science, de l’information qui peut sauver des vies, réduire au minimum les réactions possibles aux médicaments et accélérer l’obtention de bons résultats sur la santé grâce au recours aux médicaments les plus efficaces pour la personne.

L’enjeu est manifestement l’obstacle de la discrimination génétique. Même si une personne qui subit le test a déjà reçu un diagnostic, l’information fera partie des données sur sa santé et des données sur la santé de ses enfants. Les entreprises et assureurs qui demandent cette information au médecin de famille y auront accès, et ces entreprises ou assureurs ne comprendront peut-être pas l’information et en tireront de fausses conclusions.

Le président: Madame Heim-Myers, je vous prie de continuer, mais j’essaie de restreindre la déclaration liminaire à sept ou huit minutes.

Mme Heim-Myers: Deux minutes.

Le président: Je suis convaincu que nous allons avoir une belle conversation, aujourd’hui.

Mme Heim-Myers: Ce forum a réuni plus de 25 personnes de diverses entreprises, dont l’Association médicale canadienne (AMC), l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), des pharmaciens, des programmes d’avantages, la Great-West, compagnie d’assurance-vie, Manuvie, Novus Santé, et cetera. Avec la permission de l’organisateur de la réunion, Mark Faiz, de la Beneplan Co-operative, je vous fais part d’une conclusion de la réunion: la majorité des participants s’entendaient sur certains points, notamment que la discrimination subie par des humains en raison de l’information découlant de leurs tests génétiques n’est pas acceptable et doit faire l’objet de dispositions législatives.

Il est entendu qu’il faut protéger l’information génétique au fédéral et au provincial. À ce jour, l’Ontario est le seul législateur provincial à avoir déposé une loi sur la question de la protection de l’information génétique. Le député provincial Mike Colle a dans le passé déposé un projet de loi sur la non-discrimination basée sur l’information génétique privée. La semaine passée, nous en sommes arrivés à la déclaration suivante, et je vous en fais part avec sa permission. « Les provinces pourraient appuyer une loi visant à interdire et à prévenir la discrimination génétique à l’échelon fédéral. Si une telle mesure était prise au fédéral, cela ouvrirait la voie à des mesures législatives semblables au provincial. L’information obtenue des tests génétiques est complexe, et ceux qui n’en sont pas des experts ne la comprennent pas la plupart du temps. Entre les mauvaises mains, elle sert injustement à faire subir de la discrimination; entre les bonnes mains, elle sert à sauver des vies et à favoriser la bonne santé. Il est plus que temps que le Canada protège l’information tirée des tests génétiques en adoptant des mesures législatives. Les entreprises, dont les compagnies d’assurances, s’adapteront, évolueront et prospéreront comme le font celles des autres pays du G7. »

Je vous remercie beaucoup de m’avoir écoutée.

Le président: Et je vous remercie beaucoup de votre témoignage.

Nous avons les deux Frank de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes. Qui aimerait parler?

Frank Zinatelli, vice-président et avocat général, Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes: M. Swedlove sera franc avec vous.

Le président: D’accord. Merci.

Frank Swedlove, président et chef de la direction, Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes: Comme vous l’avez signalé, Frank Zinatelli est avec moi. Il est vice-président et avocat général de l’ACCAP, et nous sommes aussi accompagnés de Karen Cutler, vice-présidente et chef de la souscription pour la Financière Manuvie. Elle est là pour nous aider à répondre à toutes vos questions.

[Français]

L’ACCAP représente les sociétés qui détiennent 99 p. 100 des assurances-vie et maladie en vigueur au Canada. L'industrie canadienne des assurances de personnes fournit des produits comme l’assurance-vie individuelle et collective, l'assurance-invalidité, l'assurance-maladie complémentaire, les rentes individuelles et collectives, et les régimes de retraite.

[Traduction]

L’industrie canadienne protège 28 millions de Canadiens et quelque 45 millions de personnes à l’étranger. L’industrie verse à des Canadiens des prestations de 84 milliards de dollars par année, investit plus de 720 milliards de dollars dans l’économie canadienne et emploie 155 000 Canadiens.

[Français]

Nous sommes reconnaissants de cette occasion de nous présenter devant le comité dans le cadre de son examen de la nouvelle vision du projet de loi S-201. Même si des modifications ont été apportées au projet de loi, le problème central qu’a soulevé notre industrie, à savoir que le projet de loi irait à l'encontre du principe de symétrie de l'information, n'a pas été réglé. En outre, nous demeurons inquiets quant à la constitutionnalité du projet de loi. Permettez-moi d'exposer plus en détail ces deux questions importantes.

[Traduction]

Je vais commencer par le principe de la symétrie de l’information. L’assurance est un accord de bonne foi. Au moment de la demande, les parties divulguent toute l’information qui est importante pour le contrat de sorte que le contrat puisse être conclu suivant le principe de la symétrie de l’information. Ainsi, le demandeur est au courant des avantages promis et l’assureur peut convenablement évaluer les risques de manière à ce que la prime tienne compte du degré de risque assumé. Ce principe se reflète dans chaque mesure législative adoptée dans chaque province et territoire, ce qui garantit l’équité pour toutes les personnes assurées.

L’article 4 du projet de loi interdirait à quiconque d’exiger d’une personne qu’elle divulgue les résultats d’un test génétique comme condition préalable à l’exercice de certaines activités, notamment fournir de l’assurance. Ceci est tout à fait contraire à la symétrie de l’information, laquelle est à la base de notre système d’assurance.

Les sénateurs qui examinent le projet de loi et se renseignent sur la façon dont il peut aider ceux qui reçoivent de mauvais résultats à la suite de tests génétiques doivent également se pencher sur les autres incidences. L’Institut canadien des actuaires, le groupe d’experts le plus capable de faire cette évaluation, décrit ce que sera l’incidence de cela à son avis. Je vais les laisser faire leur exposé.

Cela ne signifie pas cependant que l’assurance coûtera plus cher aux Canadiens. En réalité, il est bien possible que des centaines de milliers de Canadiens choisissent de ne plus s’assurer. Par conséquent, en cas d’événements malheureux, de nombreux Canadiens qui auraient été protégés ne le seront plus à cause de cette loi. Ils seraient les vraies victimes de cette loi, si elle est adoptée.

Permettez-moi maintenant de parler de la constitutionnalité du projet de loi. Nous croyons fermement que la première partie du projet de loi, y compris l’article 4, ne relève pas de la compétence constitutionnelle du fédéral. Dans cette version, le projet de loi ne mentionne nullement l’assurance en particulier, mais il s’appliquerait quand même aux opérations et aux contrats d’assurance, comme on l’a déjà souligné. On a constamment démontré que ce domaine relève de la compétence exclusive des provinces en vertu du chef de compétence que forment la propriété et les droits civils. Par conséquent, la première partie du projet de loi soulève de sérieuses questions constitutionnelles. Nous avons obtenu l’avis du cabinet d’avocats Torys qui confirme ce point de vue, et nous allons transmettre leur opinion écrite au comité quand elle sera prête.

Notre industrie est sensible aux besoins des Canadiens qui font une demande d’assurance et qui ont peut-être obtenu de mauvais résultats à la suite de tests génétiques. Comme les membres du comité le savent, l’industrie a mis en place un code qui exige des assureurs vie et santé qu’ils respectent divers engagements. Je vais vous en donner quelques exemples.

Il garantit qu’on ne demandera à aucun Canadien de subir un test génétique comme condition à l’obtention d’une assurance.

Il soutient la recherche médicale et en favorise les bienfaits, en ce sens que les assureurs ne demanderont pas à connaître les résultats d’un test génétique si le proposant et le médecin n’ont pas eux-mêmes été informés des résultats.

Il garantit que les sociétés n’exigeront pas les résultats d’un test génétique d’une personne autre que le proposant ni ne chercheront à obtenir ces résultats indépendamment.

Il exige des assureurs qu’ils viennent en aide aux demandeurs d’assurance qui ne sont pas admissibles à l’assurance.

Et il impose aux assureurs d’avoir en place un système de règlement des différends pour traiter les plaintes relatives aux décisions en matière de sélection des risques qui font intervenir des tests génétiques.

Nous voulons veiller à ce que les Canadiens prennent des décisions éclairées concernant les tests génétiques, afin qu’ils sachent entre autres à quoi s’attendre quand ils font une demande d’assurance, et ce, tout en continuant d’aider les Canadiens à protéger leurs familles en cas d’événements imprévus.

Bien des gens ont déclaré que le Canada est une des rares nations occidentales et le seul pays du G7 à ne pas offrir de protection contre la discrimination génétique. Je pense que ce sont des propos très trompeurs. Sur le territoire continental européen, l’industrie de l’assurance vend presque exclusivement des polices d’assurance à court terme, ce qui fait que les restrictions sur l’industrie ont très peu d’effet. Le marché de l’assurance qui ressemble le plus à celui du Canada est celui des États-Unis, où l’on a la Genetic Information Nondiscrimination Act de 2008, une loi qui interdit la discrimination fondée sur l’information génétique, mais qui ne s’applique pas à l’assurance-vie, à l’assurance-invalidité et à l’assurance de soins de longue durée. Le Congrès américain a donc explicitement reconnu qu’il n’est pas dans l’intérêt supérieur des citoyens américains de restreindre l’accès des assureurs aux résultats des tests génétiques.

L’Australie est un autre pays semblable au Canada. On y a étudié la question probablement plus en détail que n’importe où ailleurs. Ils ont décidé de ne pas adopter de loi dans ce domaine, mais de miser sur un code de l’industrie semblable à celui que nous avons au Canada.

[Français]

Pour les raisons que nous venons d'énoncer, l'industrie n'appuie pas le projet de loi S-201. Nous sommes reconnaissants, cependant, de l'occasion qui nous est offerte de participer à l'examen du projet de loi par le comité. Nous sommes à votre disposition pour répondre à toute question que vous pourriez avoir.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup, monsieur Swedlove.

Nous passons maintenant à l’Institut canadien des actuaires.

Jacques Y. Boudreau, président, Comité sur le dépistage génétique, Institut canadien des actuaires: Merci de m’avoir donné l’occasion de venir aujourd’hui. Mon collègue Bernard Naumann et moi, nous allons nous partager la tâche, mais c’est moi qui vais commencer.

Le premier principe directeur de l’Institut canadien des actuaires est de faire passer l’intérêt du public devant les intérêts de l’institut et de ses membres. Les actuaires sont reconnus comme étant des experts en matière d’assurance dans les lois fédérales, en ce sens que seul un membre de l’ICA peut attester des obligations aux termes des polices d’assurance que les compagnies d’assurances détiennent. L’ICA ne parle pas en leur nom, et ses préoccupations relatives au projet de loi S-201 sont liées à ses effets sur le public plutôt qu’à ses effets sur les assureurs.

En septembre 2014, nous sommes venus ici pour nous exprimer contre le projet de loi parce que nous pensions qu’il se traduirait par des hausses importantes des primes d’assurance pour le public, ce qui causerait du tort à la grande majorité des Canadiens. On a signalé un peu plus tôt que le mot « assurance » ne se trouve plus dans le projet de loi. Nous nous demandons si vous réalisez à quel point les effets déjà négatifs sur l’assurance ont pris de l’ampleur, puisqu’un demandeur n’aurait pas à divulguer les résultats d’un test génétique, peu importe le montant de l’assurance demandée.

Si vous ne l’avez pas réalisé, le problème peut être facilement résolu par une modification du projet de loi permettant une exception à l’interdiction prévue à l’article 4 de sorte que les résultats de tests génétiques soient obligatoirement divulgués pour tout contrat d’assurance-vie, d’assurance-invalidité ou d’assurance de soins de longue durée, puisque le contrat dépend de l’obtention d’une preuve satisfaisante d’assurabilité de la vie assurée. Veuillez noter que l’exception à l’interdiction ne s’appliquerait qu’aux produits d’assurance qui sont souscrits individuellement et aux tests génétiques dont les résultats sont déjà connus du demandeur.

Cependant, si vous avez effectivement réalisé que le projet de loi empirait les choses, nous devons réitérer avec insistance que l’un des éléments essentiels en matière d’assurance, pour qu’il soit possible de travailler convenablement, c’est la symétrie de l’information pour les deux parties, de manière à éviter l’antisélection. C’est la raison pour laquelle on soumet à une inspection la maison pour laquelle on veut faire une offre d’achat, ou la raison pour laquelle le vendeur d’une automobile doit divulguer toute collision importante.

À moins d’une exception à l’article 4, vous allez permettre un déséquilibre important de l’information en assurance. L’antisélection est l’action de réagir au déséquilibre de l’information au détriment de l’autre partie. Recevoir de mauvais résultats à la suite d’un test génétique peut fortement motiver une personne à prendre plus d’assurance-vie. En vertu de la loi, cette personne pourrait acquérir de l’assurance au même prix que le public en général, nettement en deçà du coût réel, ce qui l’encouragerait à en acheter le plus possible.

Ce qui nous préoccupe profondément, c’est que la vaste majorité devra payer davantage l’assurance en raison de la hausse des primes nécessaires pour financer le coût de l’antisélection. À moins d’une exception à l’article 4, nous nous attendons à des hausses importantes des coûts pour tous ceux qui contracteront de l’assurance. Nous estimons que c’est injuste pour la majorité des Canadiens et que ce n’est pas dans l’intérêt public.

Bernard Naumann, vice-président, Comité sur le dépistage génétique, Institut canadien des actuaires: Je suis le coprésident du groupe de travail sur le dépistage génétique de l’ICA. J’ai aussi présidé aux deux ouvrages que Bob Howard a écrits sur le dépistage génétique. Bob n’est malheureusement pas présent aujourd’hui et vous fait ses excuses, mais je vais faire de mon mieux pour le remplacer.

Je veux faire le point avec le Comité sénatorial sur la question des coûts qui seront assumés par 99 p. 100 des gens qui contractent des polices d’assurance, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas subi un test génétique dont les résultats révèlent une prédisposition défavorable.

Lors d’une audience tenue en 2014, Bob Howard a indiqué que l’adoption du projet de loi ferait sans doute augmenter les primes d’assurance-vie dans une proportion de 30 à 50 p. 100. J’aimerais vous faire part aujourd’hui de deux constatations importantes que nous avons pu faire depuis.

La première concerne le rapport britannique produit en 2011 par Macdonald et Yu. Les deux chercheurs prévoyaient un coût supplémentaire de 1 p. 100 ou moins pour les détenteurs de police au Royaume-Uni et, par conséquent, aucun impact véritable sur l’industrie de l’assurance. Nous avons pu discuter à quelques reprises, et je l’ai moi-même fait, avec M. Macdonald, au téléphone et en personne. Il a finalement convenu que son modèle indiquerait un impact beaucoup plus considérable s’il avait porté sur un plus grand nombre de gènes et tenu compte davantage de l’antisélection. Disons simplement que le rapport de l’ICA était fondé sur un modèle à 13 gènes, alors que celui de Macdonald se limitait à 6. Les sept gènes supplémentaires étaient surtout reliés aux maladies cardiaques. Si les tests de Macdonald avaient porté également sur ces gènes-là, il aurait pu conclure à des répercussions au moins cinq fois supérieures.

Il y a aussi l’aspect de l’antisélection. Le modèle de Macdonald est basé sur l’hypothèse qu’il y aura peu d’effet d’antisélection sur le nombre d’assurés et pas du tout sur la quantité d’assurance qu’ils contractent. Autrement dit, suivant ce modèle, les personnes dont les résultats du test génétique révèlent une anomalie sont légèrement plus susceptibles de souscrire une assurance, et celles qui le font n’en achètent pas davantage que n’importe qui d’autre. Il faut vraiment garder à l’esprit l’antisélection lorsqu’on procède à de telles modélisations.

Ce sont des choses difficilement mesurables. Selon une étude menée aux États-Unis en 2009, les personnes présentant une anomalie génétique étaient cinq fois plus susceptibles de contracter une assurance pour soins de longue durée. Voilà donc une étude qui montre bien que l’antisélection existe.

Mais on n’a pas vraiment besoin d’une étude pour comprendre le phénomène. Vous n’avez qu’à penser à votre propre situation. Si un membre de ma famille ou un proche avait le malheur de subir un test indiquant la présence d’un gène associé à une maladie grave, et si une loi semblable au projet de loi S-201 était en vigueur, je lui recommanderais vivement d’acheter autant d’assurance que ses moyens le lui permettent. Ne feriez-vous pas la même chose? Si vous répondez par l’affirmative, c’est que vous admettez qu’il y a antisélection et que cet aspect doit être pris en compte dans le contexte actuel.

Dans le cas contraire, d’autres s’en chargeraient à votre place, car les gains financiers pouvant être tirés de telles polices d’assurance sont suffisamment importants pour intéresser les investisseurs. Je connais déjà un groupe qui a de l’argent à sa disposition pour pouvoir tirer parti de l’adoption de ce projet de loi en finançant des polices d’assurance.

En définitive, nous sommes persuadés que Macdonald en serait arrivé aux mêmes conclusions que l’ICA si son modèle avait porté sur davantage de gènes et mieux tenu compte de l’antisélection. Des hausses de primes pouvant aller jusqu’à 30 à 50 p. 100, comme l’indiquait Bob Howard dans son rapport, sont tout à fait plausibles pour toutes les personnes qui contractent une assurance. Nous estimons qu’il n’est pas dans l’intérêt public de mettre en place des mesures qui vont bénéficier à moins de 1 p. 100 de la population, sans compter les investisseurs qui vont tirer parti de ce projet de loi au détriment de tous les acheteurs d’une police d’assurance-vie qui verront leurs primes grimper en flèche.

J’aimerais souligner que l’ICA a rendu public en janvier dernier un rapport faisant état des répercussions du projet de loi S-201 sur l’assurance maladies graves. Sans entrer dans les détails, la conclusion est essentiellement la même. Les primes des nouvelles politiques d’assurance maladies graves vont augmenter dans une proportion qui dépassera les 10 p. 100. C’est une autre recherche qui confirme nos conclusions. Si on interdit aux compagnies d’assurances d’utiliser les résultats des tests génétiques pour évaluer les risques, il y aura hausse des primes pour les polices d’assurance maladies graves. Nous estimons que cette hausse est préjudiciable à l’intérêt public.

M. Boudreau: L’assurance-vie existe depuis 300 ans et ce n’est pas d’hier qu’il a été établi qu’il fallait éviter l’antisélection. En fait, l’assurance ne pourrait plus exister si l’antisélection devenait systématique. À moins qu’on arrive à prouver que le projet de loi ne causera aucun préjudice, il est irresponsable de mettre en place un tel mécanisme favorisant l’antisélection.

Nous demandons que l’article 4 soit modifié pour garantir à la population que la prise en compte des différents gènes aux fins de la sélection des risques d’assurance s’appuiera sur des motifs raisonnables et concrets. Ainsi, le travail scientifique aura préséance et pourra ensuite servir à la tarification en fonction des risques.

Ce rôle n’a rien d’exceptionnel pour les actuaires. Ils évaluent déjà les risques supplémentaires de décès associés à l’hypertension artérielle, à l’obésité et à la présence d’autres problèmes de santé. Mieux que quiconque, ils sont capables d’établir un prix juste en tenant compte des pressions du marché pour que ce prix ne soit pas trop élevé. Si vous autorisez une exception dans l’application de l’article 4, nous sommes persuadés que les prix continueront d’être équitables. Nous exhortons le comité à modifier le projet de loi S-201.

Monsieur le président, je voulais simplement vous dire que sept minutes, c’est bien peu pour traiter d’une question aussi complexe que celle de l’assurance. Nous vous avons présenté nos observations préliminaires, mais j’aimerais bien pouvoir disposer encore de quelques minutes pour traiter de certains des aspects discriminatoires du projet de loi.

Le président: Merci de votre exposé. Il nous reste encore 35 minutes de discussion, et vous aurez sans doute l’occasion d’aborder ces aspects.

La sénatrice Frum: Madame Heim-Myers, merci beaucoup d’être des nôtres.

J’ai remarqué que trois des quatre exemples de discrimination que vous nous avez donnés proviennent du domaine de l’assurance. Convenez-vous avec moi que la problématique de la discrimination touche d’abord et avant tout l’industrie de l’assurance?

Mme Heim-Myers: Je conviens que l’industrie de l’assurance est celle qui fait le plus mauvais usage des résultats des tests génétiques et qui se rend le plus souvent coupable de discrimination.

La sénatrice Frum: M. Boudreau vient tout juste de proposer un amendement au projet de loi qui prévoirait des exemptions pour l’assurance-vie, l’assurance-maladie et l’assurance invalidité. Dois-je présumer que cela ne serait pas acceptable à vos yeux?

Mme Heim-Myers: Ce ne serait pas acceptable. Lorsque la loi américaine est entrée en vigueur en 2008, on a exempté l’assurance-vie pour acheter la paix avec l’industrie, mais plusieurs États ont adopté depuis des mesures de protection beaucoup plus complètes. C’est sans doute la Californie qui donne le ton à ce chapitre, en intégrant notamment l’assurance-vie. Alors, pour répondre à votre question, je n’accorderais pas une telle exemption.

On semble oublier qu’une grande partie des décisions qui sont prises relativement aux contrats d’assurance dans différents secteurs sont fondées sur la perception que l’état de santé pourrait se détériorer. Les données génétiques n’ont pas une valeur prédictive aussi grande que l’on voudrait bien le croire. Elles peuvent être utiles à bien des points de vue, mais reste quand même qu’il y a très peu de maladies monogéniques pour lesquelles il risque d’y avoir un impact.

On ne devrait pas empêcher quelqu’un de prendre soin de sa santé tout au long de sa vie du fait qu’il se sait prédisposé à développer une maladie ni expulser un enfant de cinq ans de son école sous prétexte qu’il a peut-être quelques marqueurs génétiques de la fibrose kystique, alors qu’il ne souffre pas de cette maladie parce qu’il n’a pas tous les marqueurs, mais c’est pourtant ce qu’on fait. Il faut protéger cette information pour qu’elle ne tombe pas entre les mains de gens qui ne sont pas capables de la comprendre et de se rendre compte que tout ce régime est davantage fondé sur les perceptions que sur la valeur prédictive de l’information qui n’est pas aussi grande que certains voudraient bien le croire.

La sénatrice Frum: Vous avez cité le député ontarien Mike Colle qui verrait d’un bon œil l’adoption de ce projet de loi, bien qu’il en ait lui-même présenté un semblable devant la législature de ma province.

Mme Heim-Myers: Il a en effet déposé un projet de loi précédemment, mais c’était juste avant la prorogation du gouvernement ontarien, tant et si bien qu’il a franchi seulement l’étape de la première lecture. Nous devons toutefois nous rencontrer à nouveau pour préparer la présentation d’un autre projet de loi.

La sénatrice Frum: Vous semblez consacrer tout votre temps et toute votre énergie à ce dossier, mais je me demande pour quelle raison vous concentrez vos efforts sur l’adoption d’une loi fédérale, plutôt qu’une loi provinciale.

Mme Heim-Myers: Je suis également PDG de la Société Huntington du Canada, et j’estime qu’il est préférable de cibler mes efforts du côté du gouvernement fédéral pour qu’une loi soit adoptée. Si l’on considère ce qui se passe ailleurs dans le monde, on voit par exemple que l’adoption d’une loi comme GINA à l’échelon fédéral aux États-Unis a entraîné une réaction en chaîne au niveau des États. Comme le soulignait le député Mike Colle, les choses deviennent ainsi un peu plus faciles pour les législateurs provinciaux. Nous traitons de nos enjeux prioritaires avec les différentes provinces, et je peux vous dire que l’on me demande toujours d’entrée de jeu ce qui a été décidé au niveau fédéral.

La sénatrice Frum: À votre connaissance, est-ce que des mesures sont prises à ce chapitre à l’échelon provincial? Est-ce qu’il y a un projet de loi en préparation en Ontario?

Mme Heim-Myers: Non, pas encore.

La sénatrice Frum: Monsieur Naumann, vous avez indiqué qu’il y a des groupes qui espèrent pouvoir tirer parti financièrement de l’adoption de ce projet de loi et qui s’organisent déjà en conséquence. Pouvez-vous nous expliquer comment ils s’y prendraient?

M. Naumann: Je ne peux pas vous nommer les groupes en question. Il n’est pas bien difficile de comprendre les possibilités de gains financiers pouvant découler de ce projet de loi. Je suis conscient qu’il y a des personnes derrière tout cela, mais il est parfois difficile de distinguer l’aspect humain de l’aspect financier. Après tout, l’assurance n’est rien d’autre qu’un accord conclu entre un individu et une institution financière.

Voici un peu comment cela peut fonctionner. L’âge moyen d’une personne qui contracte une police d’assurance-vie est de 40 ans. Cette personne est censée vivre jusqu’à environ 85 ans. Grosso modo, les primes payées par cette personne doivent être suffisantes pour défrayer son indemnité de décès à 85 ans.

Certaines anomalies génétiques peuvent faire en sorte que l’espérance de vie n’est que de 10 ou 20 ans. Il suffit de faire le calcul, et vous verrez que ces sommes peuvent permettre un rendement de 30 à 50 p. 100. Dans un contexte où les taux d’intérêt sont aussi bas qu’actuellement, c’est très intéressant. S’il y a une façon de tirer parti de cette situation, les investisseurs vont la trouver. Je suis déjà au fait d’un cas semblable. Il faut simplement en être conscient.

Dans l’ensemble, ce projet de loi est tout à fait louable. Je crois seulement qu’il vous faut prendre conscience de cette ouverture additionnelle que vous créez pour les investisseurs, tout au moins dans une perspective publique.

Le sénateur Cowan: Bienvenue à tous. Je suis heureux de vous revoir.

Vous connaissez les rapports du Commissariat à la protection de la vie privée. Deux études actuarielles ont été menées. Voici un court extrait de ce rapport publié le 10 juillet 2014:

Ces experts s’accordent pour dire que le fait d’interdire à l’industrie des assurances de personnes d’utiliser les résultats des tests génétiques n’aurait pas à l’heure actuelle ou dans un proche avenir de répercussions importantes sur les assureurs ou le fonctionnement efficient des marchés de l’assurance...

D’après les conclusions de ces experts, la collecte et l’utilisation des résultats des tests génétiques par les compagnies d’assurances ne semblent donc pas nécessaires pour les besoins légitimes de l’industrie à l’heure actuelle.

En quoi feraient-ils fausse route? Monsieur Swedlove, pourquoi cette conclusion diffère-t-elle autant de celle que vous nous avez présentée tout à l’heure?

M. Swedlove: Je crois que la conclusion de ce rapport était fondée sur les résultats d’une étude britannique dont M. Naumann vous a déjà parlé.

Peut-être que M. Zinatelli pourrait vous fournir de plus amples détails.

M. Zinatelli: C’était en effet le principal fondement de cette conclusion. Nous constatons maintenant qu’une étude s’appuyant sur des hypothèses similaires en arriverait à des conclusions semblables à celles présentées par l’ICA, à savoir qu’il y aurait une forte augmentation des primes.

Le sénateur Cowan: Vous faites allusion à l’étude de Macdonald?

M. Zinatelli: Tout à fait.

Le rapport du Commissariat à la protection de la vie privée conclut que l’on ne peut pas être certain de la fiabilité des tests génétiques, mais que l’on devrait les utiliser une fois que cette fiabilité aura été établie. Si mon souvenir est exact, vous trouverez cela dans la conclusion de leur rapport.

Le sénateur Cowan: Je ne crois pas que quiconque essaie de faire valoir qu’une personne voulant contracter une police d’assurance ne devrait pas avoir à divulguer ses problèmes de santé, les médicaments qu’elle prend, ses séjours à l’hôpital, les causes du décès de ses proches et tous les renseignements de la sorte. Il est tout à fait raisonnable que ces renseignements soient demandés. Il n’est pas question ici d’un problème de santé ou d’une maladie qui existe dans les faits. Nous parlons plutôt d’une prédisposition à développer un tel problème à l’avenir. Ce n’est pas la même chose.

M. Zinatelli: Oui.

Je vous invite à considérer le travail du tarificateur d’assurance au moment où une police est contractée. L’assureur doit prendre dès cet instant une décision en prévision d’un contrat qui pourrait s’échelonner sur 30 ou 40 ans. Une fois ce contrat signé, l’assureur ne peut pas revenir en arrière si des résultats de test sont défavorables. C’est un engagement que nous prenons, et nous le respectons. Nous nous engageons donc au départ en signant le contrat, et nous devons prendre toutes les précautions nécessaires dans l’évaluation des risques à venir. C’est la raison pour laquelle nous faisons appel à des tarificateurs d’assurance. C’est leur profession. Ils doivent prendre la bonne décision au moment où la police est contractée.

Le sénateur Cowan: Monsieur Swedlove, supposons que nous avons tous les deux le même matériel génétique. Disons que je passe un test génétique dont les résultats indiquent des risques de maladie cardiaque supérieurs à la moyenne, alors que vous décidez de ne pas passer un test semblable. Je ne peux pas contracter d’assurance, ou bien je dois verser des primes considérablement plus élevées en raison de ces résultats que je serais tenu de divulguer à la compagnie d’assurances. Je décide toutefois de changer mon mode de vie. Je m’assure de bien manger, de faire de l’exercice régulièrement et de perdre du poids. Tout cela me permet de déjouer les pronostics. Je ne développe pas de maladie cardiaque et je vis pendant très longtemps.

De votre côté, vous ne faites pas attention à votre santé. Comme vous ne passez pas le test, vous ne savez pas à quoi vous en tenir. Vous ne changez pas votre mode de vie. Vous contractez une assurance-vie, puis vous succombez à une crise cardiaque à 45 ans. En quoi cela peut-il être bénéfique pour vous, pour moi, pour la société ou pour les compagnies d’assurances? Je ne comprends tout simplement pas.

M. Swedlove: D’abord et avant tout, je vous rappelle que si vous voulez contracter une police d’assurance sans avoir passé au préalable un test génétique, il va de soi que les résultats d’un tel test n’entrent pas en ligne de compte. Si vous passez un test génétique après coup et qu’il révèle une anomalie, vos primes ne seront pas touchées, car elles sont fixées par contrat pour le reste de votre vie. Si vous voulez vraiment souscrire une assurance et que vous vous inquiétez des résultats d’un test génétique, vous devriez contracter l’assurance avant de passer le test.

Aux fins de l’assurance, si ni vous ni moi ne présentons un risque particulièrement élevé par rapport à l’ensemble de la population et si nos antécédents familiaux n’indiquent pas que nous pourrions mourir prématurément, nos primes seront similaires. Quant aux comportements que chacun pourrait avoir, on se base en quelque sorte sur une moyenne générale.

Si votre situation personnelle change après que vous avez souscrit de l’assurance, par exemple parce que vous avez adopté un mode de vie plus sain en arrêtant de fumer notamment, vous pouvez toujours annuler votre police dont les primes sont devenues trop élevées et en contracter une nouvelle sur la base des changements intervenus, et peut-être même en faisant valoir les résultats de votre test génétique.

C’est en quelque sorte un pari dont l’assureur est le seul à assumer les risques. Nous contractons une obligation pour une période de 40 ans. Pendant toute la durée du contrat, nous n’allons jamais augmenter vos primes même si un test génétique produit un résultat défavorable, ou peu importe ce qui peut arriver d’autre. Mais si un test génétique est pour vous porteur de bonnes nouvelles, vous pouvez toujours annuler votre police et en contracter une autre en invoquant ce résultat.

Le sénateur Cowan: Mais le fait demeure — nous avons entendu des témoignages à cet effet, et je suis certain que vous ne voulez pas les remettre en question — que bien des gens vont renoncer à passer un test génétique parce qu’ils craignent de faire l’objet de discrimination. Ils ne peuvent pas ainsi avoir accès aux soins médicaux qui pourraient leur permettre de vivre en meilleure santé. Plus il y a de gens qui vivent en meilleure santé, moins la société doit dépenser pour leur prodiguer des soins. Tout bien considéré, il ne fait aucun doute que la société en ressort gagnante. Peut-être que c’est différent pour la compagnie d’assurances, mais c’est mieux pour la société dans son ensemble.

M. Swedlove: Sénateur, nous n’avons rien contre le fait que les gens puissent passer un test génétique. Je ne sais d’ailleurs pas pour quelle raison certains laissent entendre que nous nous y opposons. Ce n’est pas le cas. Nous disons simplement que si une personne connaît les résultats d’un test génétique qui indiquent clairement une probabilité accrue de maladie ou de mort prématurée par rapport à la population en général, elle devrait nous transmettre cette information pour toutes les raisons soulevées par l’ICA. Sinon, ce sont les 99 p. 100 de Canadiens qui n’ont pas de résultats de tests défavorables qui vont en faire les frais en voyant leurs primes augmenter de façon marquée, comme nous avons pu l’entendre. Cette hausse aura également pour effet que de nombreux Canadiens renonceront à contracter une assurance et se retrouveront ainsi sans protection. Qu’adviendra-t-il de ces gens-là?

Le président: La sénatrice Ataullahjan est la suivante sur ma liste, mais j’aimerais d’abord laisser à M. Boudreau de l’Institut des actuaires du Canada l’occasion de compléter ce qu’il avait à nous dire.

Vous disiez ne pas avoir suffisamment de temps pour traiter des enjeux liés à la discrimination. Vous pouvez le faire maintenant.

M. Boudreau: Merci.

Lors de notre comparution en septembre 2014, la sénatrice Andreychuk a fait montre d’une grande perspicacité en demandant au sénateur Cowan pour quelle raison il établissait une distinction entre un test génétique et tous les autres tests médicaux qui sont souvent exigés pour contracter une assurance-vie. Il faut retenir que c’est une mesure extrêmement discriminatoire.

Nous nous retrouvons avec deux catégories de personnes. Il y a celles qui découvrent par le biais d’un test génétique que leur espérance de vie est menacée, et qui ne seraient pas tenues de le divulguer si ce projet de loi était adopté; et il y a les autres qui apprennent la même chose en passant l’un ou l’autre des autres tests habituels, et qui devraient en informer l’assureur. C’est tout ce qu’il y a de plus inéquitable. C’est surtout ce déséquilibre que je souhaitais mettre en lumière.

Il y a aussi le fait que les primes vont augmenter. Suivant ce qui est proposé actuellement, les coûts supplémentaires devront être assumés par les gens qui contractent une assurance. Je ne vois pas comment on peut considérer que c’est équitable. Comment se fait-il que l’on ne demande pas aux gens qui ne souscrivent pas une assurance parce qu’ils n’en ont pas besoin ou qu’ils ont déjà une assurance collective, ou pour quelque autre raison que ce soit, d’éponger une partie des coûts de l’antisélection? On ne peut justifier ce fardeau imposé aux gens qui contractent une assurance qu’en invoquant des raisons subjectives, lesquelles ne sont pas vraiment valables.

Voilà deux éléments foncièrement injustes du projet de loi, à mon avis.

Le président: Les témoins ne doivent pas hésiter à intervenir, même pour exprimer une opinion contraire.

La sénatrice Ataullahjan: Monsieur Swedlove, vous avez dit que les assureurs sont sensibles aux besoins des Canadiens. Dites-moi quelles mesures vous avez prises pour les rassurer.

M. Swedlove: L’année dernière, l’industrie a adopté pour ses membres un code obligatoire, qui énumère diverses façons de traiter le dossier de personnes pénalisées. Il propose des pratiques exemplaires, qui s’inspirent en grande partie du code de notre industrie en Australie, où, comme je l’ai mentionné, on a choisi de ne pas adopter de lois dans ce domaine, pour les motifs exprimés aujourd’hui.

Frank Zinatelli pourra vous fournir plus de détails.

M. Zinatelli: Tout d’abord, je tenais à dire que nous nous sommes munis d’exemplaires du code de notre industrie. Nous serons heureux de le distribuer à tous les sénateurs, en souvenir.

Le code expose des mesures aussi utiles que possible pour expliquer le processus aux consommateurs qui envisagent de souscrire une assurance. Nous essayons de les rencontrer pour qu’ils comprennent vraiment les conséquences des tests génétiques.

Le code prévoit notamment que, si on refuse d’assurer quelqu’un à cause du résultat d’un test génétique, nous devons le lui expliquer et lui expliquer d’autres façons d’obtenir une autre forme de protection. Le cas échéant, les assureurs lui fourniront donc ce service.

Le code prévoit aussi, dans le cas d’une personne qui veut se faire assurer et qui annonce à l’assureur qu’elle envisage de se soumettre à un test génétique, que l’assureur est tenu de lui remettre une déclaration écrite et aussi de la prévenir que ce test risque d’avoir diverses conséquences pour elle, sa santé, sa famille, et cetera. La personne doit donc faire attention, y réfléchir et consulter une personne compétente pour prendre la bonne décision, une décision informée, si c’est celle de se soumettre au test.

Notre code comporte sept ou huit autres mesures pour aider les consommateurs dans ce contexte.

La sénatrice Frum: Madame Heim-Myers, je vous ai questionnée, tout à l’heure, sur l’existence de lois applicables qui seraient en vigueur en Ontario. Savez-vous si des lois de ce genre sont en chantier dans d’autres provinces?

Mme Heim-Myers: Nos priorités sont le Québec, l’Ontario, la Colombie-Britannique et l’Alberta. Actuellement, l’Alberta a d’autres problèmes.

Donc, à part le dialogue avec ces administrations provinciales et le fait d’entrer en rapport avec elles pour connaître leurs intentions, aucun projet de loi n’est à la veille d’être déposé devant les législatures provinciales.

La sénatrice Frum: Vous travaillez à ce dossier depuis de nombreuses années. Quelle est la résistance des provinces à l’adoption de lois contre la discrimination génétique?

Mme Heim-Myers: Je ne parlerais pas de résistance. Nous devons plutôt nous adapter aux changements de gouvernement dans les provinces avec qui nous collaborons. Par exemple, en Alberta, on était très près de collaborer avec nous pour le dépôt d’un projet de loi, mais des élections ont amené un changement de gouvernement. Les provinces ont leurs propres priorités. Actuellement, ce n’est pas la discrimination génétique.

Je préciserai qu’on ne nous a pas fermé la porte au nez lorsque nous avons voulu en discuter. La réaction a été positive et on voulait s’informer. Et c’est ce dont nous avons besoin pour tous les Canadiens. Il s’agit seulement de trouver le bon moment dans les provinces et de recommencer la sensibilisation quand les gouvernements sont remplacés.

La sénatrice Frum: Monsieur Swedlove, vous avez dit posséder l’opinion des conservateurs sur la constitutionnalité du projet de loi. Pourriez-vous laisser au greffier de notre comité le document en question, pour que nous puissions, nous aussi, le consulter?

M. Swedlove: Oui. Cette opinion est actuellement en cours de rédaction et nous la communiquerons à votre greffier.

La sénatrice Frum: Auriez-vous l’amabilité de nous livrer vos pensées sur les motifs de la résistance manifestée dans les provinces? Vous étiez d’accord pour dire que c’était de leur ressort. Pourquoi, alors, les provinces ne se sont-elles pas attaquées au problème? Ce n’est pas par amour des assureurs, n’est-ce pas?

M. Swedlove: C’est vrai. Elles ne nous aiment probablement pas tant que ça, mais elles comprennent l’industrie. Elles comprennent le principe important de la symétrie de l’information entre le souscripteur d’une assurance et l’assureur. Voilà pourquoi ce principe est intégré dans chaque loi provinciale. Si elles adoptaient ce projet de loi, elles iraient en fait à l’encontre de leurs propres lois sur les assurances.

Mme Heim-Myers: Nous ne cessons de dire que c’est de l’information symétrique, mais ce n’est pas ainsi qu’elle est traitée. Si une personne se soumet à un test génétique, de crainte de souffrir d’un handicap plus tard, qui sait si ça se produira? Il y a de grandes chances que non. Mais les assureurs ou les employeurs disent que ça se produira. D’un côté, c’est inéluctable et, de l’autre, c’est une perception, d’après les résultats réels. Ce n’est pas symétrique.

M. Zinatelli: J’allais dire quelque chose, mais je laisse la parole à l’actuaire.

M. Boudreau: Ce n’est pas un hasard si les assureurs ne demandent pas de tests génétiques. La raison en est que ces tests ne marchent pas. Le pouvoir de prédiction — par la science de l’épigénétique, par exemple, nous savons que des gènes peuvent être activés par intermittence. Il a été question de quelqu’un qui découvrait, par exemple, qu’il risquait à 50 p. 100 de contracter une certaine maladie, ce qui semble inquiétant. Cependant, quand on comprend la notion de prévalence — par exemple, si, dans la population, la prévalence est de 1,4 p. 100 et qu’on vous dise que votre probabilité est de 2,1 p. 100, soit 50 p. 100 de plus, c’est sans importance pour les assureurs. Les assureurs ne s’en soucient pas. Ils ne s’en servent que pour quelques maladies monogéniques.

Prétendre qu’un assureur se servirait des résultats d’un test génétique, sauf les quelques exceptions que je viens de mentionner, et déciderait de fonder une évaluation sur ces résultats, c’est dire une fausseté. La pression artérielle, la corpulence et divers autres facteurs sont de bien meilleurs indices de la longévité.

M. Naumann: Et ils sont fondés sur des études scientifiques. Même le verso du document de Bob est couvert de références bibliographiques. Ce ne sont pas des chiffres en l’air, ils sont tirés de journaux et d’études scientifiques.

Karen peut parler du guide de la tarification qu’elle utilise dans sa compagnie. Il n’est pas fondé sur des impressions subjectives de la longévité d’un éventuel client, mais sur des renseignements scientifiques.

Le président: Avant de passer à Karen Cutler, que je n’ai pas présentée, deux autres sénatrices veulent vous interroger. Si vous pouvez être brefs, je voudrais céder la parole aux sénatrices Cordy et Nancy Ruth, qui n’ont pas encore posé de questions.

Mais allez-y, madame Cutler, avec votre version résumée.

Mme Karen Cutler, vice-présidente et tarificatrice en chef, Marchés de détail et marchés affinitaires, Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes: Pour l’élaboration de lignes directrices sur la tarification, nous nous fions beaucoup à la recherche médicale faite dans la collectivité, la population en général. Pour confirmer ce que disait Bernard, chacune de nos lignes directrices se fonde sur l’examen des publications médicales.

Autre chose à savoir: la tarification est un enchaînement de débits et de crédits. Dans la mesure où quelqu’un connaît une prédisposition génétique à la maladie, nous tenons compte du fait qu’il se soumet à des dépistages supplémentaires. Nous en tenons compte et nous accordons un crédit pour cela. Nous n’adoptons pas nécessairement un point de vue axé sur un résultat totalement prédictif. Tous les facteurs entrent en ligne de compte, et la génétique n’est que l’un d’entre eux, dans une demande d’assurance-vie, comme M. Boudreau l’a fait entendre.

La sénatrice Cordy: Ma fille est tarificatrice. Nous aurons donc une discussion intéressante à la maison, pendant la fin de semaine.

Monsieur Swedlove, vous avez dit qu’il n’y avait pas de problèmes parce qu’on peut simplement souscrire une assurance puis se soumettre à un test génétique, parce que tout retombera ensuite en place. Qu’en est-il des histoires que nous avons entendues au sujet de parents qui n’autorisent pas leurs enfants à participer à des projets ou à des études pilotes, de crainte qu’ils ne soient victimes de discrimination pour le reste de leur vie et ne puissent souscrire d’assurances? Qu’en est-il de ceux qui savent que s’ils autorisent le test génétique pour leurs enfants, peut-être qu’une intervention en bas âge et un meilleur mode de vie contribueront-ils à prolonger leur vie, mais qui décident de ne pas l’autoriser parce que les enfants risquent d’être victimes de discrimination pour le reste de leur vie? Je ne voudrais pas prendre cette décision comme parent. La souscription d’une assurance avant de se soumettre au test ne protège vraiment personne. Je l’imagine, si la personne est dans la vingtaine, la trentaine ou la quarantaine, mais pas si c’est un enfant de trois ou six ans. Qu’en dites-vous? Ça me hérisse de penser qu’un parent doit prendre la décision de sortir son enfant d’une étude parce qu’il ne veut pas qu’il soit victime de discrimination.

M. Swedlove: Le code signé par tous nos membres dit précisément, en ce qui concerne les études scientifiques, que nous ne chercherons pas à connaître les résultats du test génétique tant qu’ils ne seront pas communiqués à la personne ou à son médecin. Si c’était une étude générale pour rassembler des résultats et que les participants n’étaient pas informés des conséquences génétiques, nous ne nous en mêlerions jamais. Je m’empresse de le faire remarquer.

Quand je parlais de souscrire une assurance avant de se soumettre à un test génétique, je ne parlais manifestement pas d’un enfant de cinq ans, parce que ça ne s’appliquerait pas. Dans ces circonstances, évidemment, des décisions doivent être prises, mais les temps changent. Comme je l’ai dit, on peut toujours s’adapter aux circonstances. Je ne suis pas sûr que des gens souscrivent des assurances pour des enfants de cinq ans, en tout cas. Quelle serait pour eux la situation de souscrire une assurance quand ils atteignent 30 ou 40 ans, après s’être soumis à un test génétique à 5 ans? Franchement, je trouve cet argument assez faible.

La sénatrice Cordy: En 2016, on dénombre 32 600 tests génétiques enregistrés. Il y en avait 100 en 2003. L’augmentation est considérable.

Ma prochaine question fait suite à celle de la sénatrice Frum à M. Naumann et concerne les groupes d’investisseurs qui en profiteraient. Je n’ai pas compris votre réponse à la sénatrice. Si le projet de loi est adopté, vous dites qu’il présentera des tas de risques pour les assureurs.

M. Naumann: Ce n’est pas des assureurs dont je parle. J’affirme que pour 99 p. 100 des souscripteurs qui paient la prime standard aujourd’hui, nous nous attendons à une hausse de cette prime.

La sénatrice Cordy: Pourquoi des investisseurs s’impliqueraient-ils? Sont-ils de nouvelles sociétés d’assurance?

M. Naumann: Non. Pour les sujets ayant donné une réaction positive à un test génétique pour l’une de ces malheureuses maladies, même s’ils n’étaient pas antisélection — disons qu’ils ne voulaient pas souscrire d’assurance — des investisseurs pourraient les appuyer et leur proposer de souscrire une police de 2 millions de dollars. Ils leur promettraient de mettre sur pied, pour eux, un programme d’appui, ils leur promettraient ces prestations d’assurance. Si la personne, malheureusement, meurt 15 à 20 ans plus tard, les liquidités engendreraient un taux de retour sur l’investissement de 40 p. 100. Dès qu’on crée ce genre de situation, ça finit par se savoir, particulièrement aujourd’hui, avec les médias sociaux.

Je me suis soumis au test d’ADN en trousse. Si on le fait en ligne, on peut former très facilement des communautés de personnes ayant des profils génétiques semblables. Très rapidement, ça se saura. Quand un placement peut produire du 40 p. 100, je m’attendrais à ce que certains voient à augmenter plutôt qu’à diminuer cette antisélection.

La sénatrice Nancy Ruth: Je comprends votre augmentation de 30 à 50 p. 100 des primes, du moins la théorie sous-jacente. Bob Howard nous a dit que, pour les polices souscrites par des hommes, l’augmentation serait de 30 p. 100 et, pour les femmes, de 50 p. 100. Pouvez-vous l’expliquer?

M. Naumann: Je ne connais pas exactement la raison. Je sais cependant que l’une des raisons était le gène BRCA1, qui touche les femmes plus que les hommes. J’ignore s’il expliquait la totalité de l’écart de 20 p. 100, mais je sais que c’est indéniablement l’un des facteurs de différence.

La sénatrice Nancy Ruth: Est-ce que cela équivaut à dire que les femmes portent plus de gènes néfastes que la population masculine?

M. Naumann: L’examen a porté sur 13 des 32 000 gènes qui semblent influer le plus sur la mortalité. Le gène BRCA1 était l’un d’entre eux.

La sénatrice Nancy Ruth: Est-ce que le groupe soumis au test était principalement constitué de personnes de race blanche?

M. Naumann: Je pense que oui. La référence est dans ce document.

Le sénateur Cowan: L’un de nos collègues, le sénateur Wells, a parlé de sa maladie, l’hémochromatose, un trouble génétique qui empêche la métabolisation du fer d’origine alimentaire. Comme vous le savez peut-être, cette maladie est facile à traiter et elle n’influe alors aucunement sur le mode de vie ou la longévité. Si elle n’est pas diagnostiquée et n’est pas traitée, si le malade ne change pas son mode de vie, elle peut conduire à toutes sortes d’issues malheureuses. Il a aussi parlé de la nécessité d’être sensibilisé à cette maladie.

Clare Gibbons est conseillère en génétique à l’hôpital général North York de Toronto. Dans son dernier témoignage devant le comité, elle a mentionné cette maladie. Elle a dit que c’est l’une des pathologies génétiques les plus faciles à prévenir et, pourtant, elle a entendu parler d’un certain nombre de Canadiens qu’on a refusé d’assurer, dans un cas c’était de l’assurance médicale, en raison d’un test génétique pour l’hémochromatose. Ne trouvez-vous pas cela étrange? Comment le conciliez-vous avec votre code de conduite?

Mme Cutler: Pour l’assurance médicale pour voyages, il est difficile de comprendre le contexte dans lequel la décision a été prise. Souvent, dans ce genre d’assurance, si le test s’est fait à une date assez rapprochée de la demande de souscription, habituellement c’est 90 jours ou quelque chose comme ça, dans les lignes directrices qui s’appliquent avant le voyage, ça risque de ne pas être couvert, et ce n’est pas seulement le cas des maladies génétiques. Ça pourrait être la découverte d’une pression artérielle élevée.

La simple possession du gène de l’hémochromatose ne constitue pas un facteur de risque pour nous, les assureurs. Je ne pourrai pas vous expliquer pourquoi ces décisions ont été prises, à moins que le diagnostic n’ait été très récent et que la maladie n’ait pas été traitée. Nos lignes directrices et, en général, celles de toute l’industrie ne conduisent pas à la prise de mesures contre l’hémochromatose.

M. Boudreau: Si je peux intervenir, ma mère en souffrait et mon grand-père en est mort. Par chance, je suis seulement porteur du gène. Je connais bien la situation.

C’est un exemple parfait de ce dont nous avons parlé tout à l’heure. Si quelqu’un se soumettait à une analyse de sang qui donnerait un taux de ferritine très supérieur à la fourchette normale, ce serait un signal d’alarme. Il est tout à fait possible qu’on refuse d’assurer quelqu’un dont le taux de ferritine est très élevé.

M. Naumann: Ça m’est arrivé. C’est vrai.

M. Boudreau: Encore une fois, si c’était les résultats d’un test génétique, il ne serait pas nécessaire de les communiquer à l’assureur. Par une analyse de sang, il faut les communiquer. Pour moi, c’est illogique. Pour quelqu’un souffrant d’hémochromatose et dont le taux de ferritine se trouve au niveau dangereux, vous pouvez comprendre pourquoi l’assureur refuserait de l’assurer tant que le taux n’est pas abaissé. La personne peut très bien présenter de nouveau sa demande après un certain nombre de saignées, qui abaisseront le taux de ferritine sous 300.

Il n’y a là rien d’odieux. Il s’agit simplement de reconnaître les personnes qui présentent un risque, par différents moyens. Le projet de loi interdirait la communication des résultats d’un test tout en autorisant la communication de ceux de toutes sortes d’autres tests, ce qui, encore une fois, me semble absolument injuste.

Le président: Je vous remercie d’avoir bien voulu comparaître devant notre comité. Nous en avons beaucoup appris. Je suis le nouveau président du comité et j’aurai besoin des conseils de tous les sénateurs de ce côté, y compris sur les décisions que nous aurons à prendre.

Nous avons reçu une note de la Colombie-Britannique. La province n’est aucunement désireuse de nous envoyer un mémoire pour le moment. J’attendrai l’avis d’autres provinces sur l’aspect constitutionnel.

(La séance est levée.)


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