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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 30 novembre 2016

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 30, pour faire un suivi de l’évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet: Leviers économiques disponibles pour mieux faire respecter les droits de la personne, incluant la Loi sur les licences d’exportation et d’importation).

Le sénateur Jim Munson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bonjour. Je vois que nous avons le quorum, et je constate que nos deux invités, de Toronto et de Rotterdam, sont à l’écran. Nous allons commencer.

[Français]

Avant de commencer nos travaux, j'invite les sénateurs à se présenter.

[Traduction]

Les sénateurs vont se présenter eux-mêmes, puis je vous présenterai. Vous pourrez ensuite nous exposer vos déclarations préliminaires. Nous sommes très heureux que vous participiez à notre étude, qui est extrêmement importante. Nous allons commencer par la vice-présidente.

La sénatrice Ataullahjan: Salma Ataullahjan, de Toronto, en Ontario.

La sénatrice Nancy Ruth: Nancy Ruth, de l’Ontario.

Le sénateur Ngo: Sénateur Ngo, de l’Ontario.

La sénatrice Andreychuk: Sénatrice Andreychuk, de la Saskatchewan.

La sénatrice Omidvar: Sénatrice Omidvar, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Gagné: Raymonde Gagné, sénatrice du Manitoba.

[Traduction]

Le président: Je suis le sénateur Munson. Je viens de l’Ontario.

Nous poursuivons aujourd’hui avec notre premier groupe de témoins notre étude sur les leviers économiques disponibles pour mieux faire respecter les droits de la personne, incluant la Loi sur les licences d’exportation et d’importation. Nous avons eu des discussions fascinantes jusqu’à présent, et nous allons devoir produire un rapport sur le sujet.

Nous accueillons aujourd’hui Ronald J. Deibert, professeur de sciences politiques, de la Munk School of Global Affairs, de l’Université de Toronto. Nous accueillons aussi Walter Van Holst, Vrijschrift, de Droits numériques européens, qui participe aussi par vidéoconférence. Que celui qui est prêt commence, s’il vous plaît.

Walter Van Holst, Vrijschrift, Droits numériques européens: Je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole au nom de Droits numériques européens, une association qui représente 28 ONG dans le domaine des droits de la personne, et plus précisément dans le domaine numérique, partout en Europe, soit dans environ 19 pays européens. Notre travail ne se limite pas exclusivement à l’Union européenne; nous considérons l’ensemble du territoire couvert par le conseil de l’Europe comme étant notre chasse gardée.

Quant à la question de savoir de quelle façon la réglementation des exportations peut influer sur les droits de la personne ou non, la position commune de Droits numériques européens et de ses membres, c’est qu’il y a un réel besoin de réglementer l’exportation des technologies qui influent sur les droits de la personne, tout particulièrement lorsqu’il est question de technologies de surveillance, et surtout — de notre point de vue — vu les pratiques actuelles en Europe au titre de l’Arrangement de Wassenaar et la réglementation actuelle de l’Union européenne, qui fait l’objet d’un examen. Il est évident qu’il faut concilier le tout avec toute la gamme des droits de la personne en cause.

Principalement, il y a le droit à la liberté d’expression, et notamment le droit de gérer librement l’information, ce qui concerne très clairement le droit à la vie privée. Il y a aussi un lien avec les droits associés à la liberté de religion et la liberté de conscience. Il y a un aspect qu’on oublie parfois et qui a tendance à être aussi en cause lorsqu’il est question de liberté d’expression, et c’est la liberté d’échanger des connaissances. De notre point de vue, les connaissances au sujet des enjeux touchant la sécurité — surtout lorsqu’il est question de technologies de l’information — font encore partie de ce domaine.

Lorsqu’il est question de contrôle des exportations de technologies de surveillance, nous estimons d’abord et avant tout que l’accent mis sur de telles technologies devrait concerner l’assistance technique relativement à la mise en œuvre de telles technologies et ce qu’on appelle les « services de courtage », des parties jouant le rôle d’intermédiaires entre les fournisseurs de technologies et ceux qui utilisent ces technologies à d’éventuelles fins de surveillance locale dans des pays qui possèdent un cadre d’État de droit approprié. Toutefois, malheureusement, en pratique, beaucoup de technologies de surveillance sont exportées par des entreprises occidentales et vendues à des régimes qu’on ne peut de toute évidence pas décrire comme des démocraties où règne une primauté du droit mature.

Voilà donc, approximativement et rapidement, notre position sur ce sujet.

Le président: Merci beaucoup de votre exposé. Nous allons maintenant passer à M. Deibert, à Toronto.

Ronald J. Deibert, professeur de sciences politiques, Université de Toronto, Munk School of Global Affairs: Merci beaucoup. Je suis le fondateur et directeur du Citizen Lab de la Munk School of Global Affairs, à l’Université de Toronto, et mes commentaires s’appuient sur les activités de recherche réalisées dans ce laboratoire.

Notre mission consiste à produire des recherches fondées sur des données probantes concernant les enjeux touchant la cybersécurité qui sont associés à des préoccupations liées aux droits de la personne. Nous étudions de quelle façon les gouvernements et le secteur privé censurent Internet, les médias sociaux ou les applications mobiles. Nous avons produit d’importants rapports sur l’espionnage numérique ciblé dont est victime la société civile, et nous avons produit des rapports détaillés sur les entreprises qui vendent des logiciels espions de pointe, des instruments de surveillance des réseaux et d’autres outils et documenté leur potentiel d’abus afin de susciter des préoccupations concernant la responsabilité sociale des entreprises. Notre objectif est d’informer le public tout en respectant des normes élevées de rigueur en s’assurant que nos rapports sont examinés par des pairs du milieu universitaire.

Un domaine qui nous préoccupe tout particulièrement, c’est la mise au point, la vente et l’utilisation de ce qu’on appelle des technologies à double usage, qui permettent de surveiller des utilisateurs ou de censurer des renseignements en ligne au niveau des réseaux d’un pays. Nos recherches sur les technologies à double usage ont concerné deux catégories: les technologies qui touchent la gestion du trafic sur les réseaux, ce qui inclut l’inspection approfondie des paquets et le filtrage du contenu, et celles qui concernent l’intrusion des appareils et des activités de surveillance plus ciblée.

Pour ce qui est de la première catégorie de recherche, qui concerne l’inspection approfondie des paquets et les technologies de filtrage de l’Internet que les entreprises privées peuvent utiliser à des fins de gestion du trafic, mais qui peuvent aussi être utilisées par des fournisseurs de services Internet pour empêcher des populations entières d’avoir accès à des renseignements politiques de nature délicate en ligne ou encore être utilisées à des fins de surveillance de masse, plusieurs de nos rapports ont cerné la vente par des entreprises d’équipement et d’installations à des régimes qui ont de mauvais bilans en matière de droits de la personne, notamment Blue Coat, Websense, Fortinet et Netsweeper.

Puisque Netsweeper est une entreprise dont le siège social est situé au Canada et qu’elle est mentionnée souvent dans nos recherches sur ce sujet, je vais vous fournir de plus amples renseignements sur nos constatations la concernant.

Netsweeper est une entreprise de technologie privée, dont le siège se trouve à Waterloo, en Ontario, et qui offre principalement un produit et un service de filtrage du contenu sur Internet. L’entreprise a des clients, qui vont des établissements d’enseignement à des entreprises en passant par des fournisseurs d’accès et des entreprises de télécommunication. Les technologies de filtrage sur Internet sont beaucoup utilisées sur de tels réseaux Internet, mais, lorsqu’on les utilise à l'échelon national à des fins de filtrage du contenu sur Internet exigé par l’État, cela soulève des questions liées aux droits de la personne et tout particulièrement liées à l’accès à l’information et à la liberté d’expression.

Au cours des huit dernières années environ, nous avons utilisé une diversité de méthodes techniques, y compris des évaluations techniques à même le pays, des mesures liées aux réseaux et des analyses sur Internet. Cela nous a permis de découvrir avec assurance des installations de Netsweeper dans au moins sept pays qui affichent de très mauvais bilans en matière de droits de la personne: les Émirats arabes unis, le Yémen, le Koweït, le Pakistan, la Somalie et, plus récemment, le Bahreïn. Nous avons découvert l’utilisation de services de Netsweeper dans ces pays pour bloquer l’accès à un large éventail de contenu, y compris du contenu politique, du contenu qui critiquait les régimes au pouvoir, du contenu lié aux droits de la personne et du contenu concernant les confessions religieuses, entre autres.

Nous avons inclus dans ces rapports des lettres contenant des questions qui ont été envoyées à Netsweeper, dans lesquelles nous offrions aussi de publier dans leur intégralité toute réponse de l’entreprise. À part une plainte pour diffamation déposée en janvier 2016, et qui a par la suite été annulée entièrement le 25 avril 2016, Netsweeper ne nous a jamais répondu.

La deuxième catégorie de recherche qui concerne aussi la notion de technologie « à double usage » touche l’utilisation de logiciels malveillants, de logiciels malveillants utilisés pour intercepter illégalement de l’information. Au cours des dernières années, nous avons documenté de nombreux cas de défenseurs des droits de la personne et d’organisations de la société civile qui étaient la cible de logiciels espions commerciaux de pointe vendus par des entreprises comme HackingTeam, en Italie, FinFisher, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Suisse, et NSO Group, en Israël.

Nous avons aussi pu cartographier la prolifération de certains de ces systèmes et la relier à un nombre grandissant de clients mondiaux importants, dont beaucoup de gouvernements qui affichent de très mauvais bilans en matière de respect des droits de la personne.

Même si nos recherches ont eu des répercussions importantes dans le domaine, et je serai heureux de vous en parler, nos constatations ne font qu’effleurer une toute petite partie d’une situation générale très troublante. Le marché des technologies à double usage, y compris les logiciels espions, croît rapidement, et il n’est peut-être pas encore arrivé à maturité.

Même si, jusqu’à présent, les recherches du Citizen Lab n’ont pas encore permis d’identifier un fournisseur canadien de logiciels espions commerciaux qui vend ses produits à des pays qui violent les droits de la personne, nous savons qu’il existe des entreprises qui vendent ce type de technologies. De plus, la croissance du marché — à laquelle s’ajoutent d’autres circonstances — donne à penser qu’il est très probable qu’un fournisseur canadien se retrouvera bientôt dans une situation où il devra décider s’il vend ou non sa technologie et ses services à un pays qui viole les droits de la personne, si ce n’est pas déjà arrivé.

Pour ce qui est des mesures à prendre, je crois que c’est ici que le gouvernement du Canada peut jouer un rôle constructif. Des solutions efficaces pour encourager le respect des droits de la personne dépendront de deux composantes clés: la transparence du marché et la création d’une structure de mesures incitatives à laquelle réagiront les intervenants du secteur privé.

Pour ce qui est de la transparence, le véritable obstacle au progrès dans le dossier des technologies à double usage, c’est le manque de transparence dans ce marché. La plupart des entreprises dont nous parlons ne font pas preuve de transparence quant à la gamme des produits et services qu’elles offrent et à leurs clients. En outre, tout le secteur est enrobé de mystère. On pourrait exiger la transparence de différentes façons, mais il faudrait, au moins, exiger des fournisseurs de technologies à double usage qui offrent leurs produits et leurs services sur le marché qu’ils s’auto-identifient et déclarent leur existence, par souci d’intérêt public.

Un modèle sur lequel on pourrait s’appuyer ici serait celui du Groupe de travail des Nations Unies sur l’utilisation de mercenaires, qui a rédigé une proposition de convention qui pourrait aussi être applicable dans le domaine des technologies à double usage.

La transparence peut aussi découler de la recherche. En complément à l’obligation de transparence, le gouvernement du Canada pourrait encourager le type de méthode de recherches mixtes utilisée par le Citizen Lab pour se pencher sur la question des technologies à double usage, par l’intermédiaire d’organismes de financement comme le CRSHC, le CRSNG et le Programme des chaires de recherche du Canada. Il pourrait aussi adopter un texte législatif visant précisément à fournir une zone sûre à ceux qui réalisent des recherches liées à la sécurité dans l’intérêt public et qui intègrent des mesures de divulgation responsables.

En ce qui a trait aux mesures incitatives pour pousser le secteur privé à respecter les droits de la personne — comme l’indiquent clairement les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies —, les entreprises ont la responsabilité de respecter les droits de la personne reconnus à l’échelle internationale. Cependant, à l’heure actuelle, les entreprises qui fournissent et maintiennent des technologies à double usage ont peu de coûts à assumer, voire aucun, lorsque leurs technologies sont utilisées pour violer les droits de la personne.

Le changement majeur nécessaire à la structure incitative pour freiner les abus de cette industrie devra s’appuyer sur un savant mélange de réglementation, de politiques et d’accès à des réparations.

Pour ce qui est de la réglementation et des politiques, les contrôles à l’exportation constituent une première étape dans le cadre du processus réglementaire. Actuellement, le gouvernement du Canada a mis en place des mesures de contrôle à l’exportation liées aux systèmes et à l’équipement de surveillance des réseaux de communications IP. Il y en a aussi concernant les logiciels de détection des intrusions.

Cependant, un des principaux problèmes liés aux contrôles à l’exportation concerne le besoin de définir la portée des éléments à contrôler de façon appropriée et prévisible, en évitant d’inclure trop ou pas assez de choses. Par exemple, pour ce qui est des produits associés aux logiciels de détection des intrusions, certaines technologies qui risquent d’être visées, vu la portée des mesures de contrôle, sont aussi utilisées à des fins de recherche légitime sur la sécurité. Parallèlement, les contrôles de l’Arrangement de Wassenaar de 2013 ne visent pas les technologies de filtrage sur Internet et d’autres technologies, par exemple, qu’on appelle des technologies liées à « la qualité des services et qui ont des répercussions importantes du point de vue des droits de la personne ». Pour terminer, je dois souligner que l’avenir de l’Arrangement de Wassenaar est maintenant incertain, vu que les États-Unis ont signalé leur intention de le renégocier, ce qui, j’en suis sûr, aura un impact sur d’autres pays.

Un deuxième défi est lié au processus d’attribution des licences d’exportation réalisé au niveau national. Même lorsque les technologies à double usage sont assujetties à des contrôles, le processus de licence doit être calibré de façon appropriée pour tenir compte des utilisateurs finaux et des utilisations finales préoccupantes du point de vue des droits de la personne. Le besoin de tenir compte de ces éléments exige un processus d’évaluation en constante évolution combiné à une volonté politique de réduire l’accès dans un groupe important de pays — dont plusieurs ont peut-être une importance stratégique pour le Canada — et de limiter les ventes de sociétés nationales.

Pour ces raisons et d’autres encore, les mesures de contrôle à l’exportation, même si elles sont importantes, constituent seulement un des moyens qui permettent au gouvernement du Canada de limiter l’utilisation inappropriée des technologies à double usage. À de tels efforts peuvent s’ajouter des mesures réglementaires et stratégiques supplémentaires, y compris les politiques d’approvisionnement gouvernemental et les politiques sur les crédits à l’exportation ou l’aide à l’exportation, qui exigent des fournisseurs de technologies à double usage qu’ils prouvent leur engagement à l’égard de la diligence raisonnable en matière de droits de la personne, l’amélioration des lois sur la protection des consommateurs et des efforts proactifs au sein des organismes de protection des consommateurs pour lutter contre les cas de mésusage des technologies à double usage. On peut aussi miser sur un cadre réglementaire de surveillance et de responsabilisation adapté précisément aux technologies à double usage et favoriser un dialogue structuré avec les entreprises de la société civile concernant l’autorégulation de l’industrie.

Passons à l’accès aux réparations. Lorsque des entreprises de technologies à double usage fournissent des produits et des services qui sont utilisés pour compromettre les droits de la personne, il est approprié que les victimes d’une telle activité demandent réparation auprès de ces entreprises. Le droit canadien pourrait s’assurer que des poursuites criminelles ou civiles sont possibles dans de telles situations, y compris grâce à l’établissement d’une compétence claire touchant les entreprises qui exercent leurs activités au niveau transnational ou qui peuvent avoir des liens avec des États.

En conclusion, le gouvernement du Canada appuie fermement la liberté sur Internet et les droits de la personne et est un membre de tous les organismes internationaux pertinents où l’on discute de ces sujets. Cependant, le fait que le Citizen Lab a documenté au moins sept pays où les fournisseurs d’accès à Internet utilisent ou ont utilisé les services d’une entreprise canadienne pour censurer du contenu sur Internet qui est protégé par des accords internationaux reconnus en matière de droits de la personne est une fausse note embarrassante pour tous les Canadiens.

Même si nous n’avons aucune preuve qu’un fournisseur canadien de logiciel d’intrusion, d’inspection approfondie des paquets ou de contrôle des adresses IP ait vendu ses services à un pays qui viole les droits de la personne, cela ne signifie pas que ce n’est pas arrivé ou que ça n’arrivera pas. En voyant de façon proactive à la réglementation des technologies à double usage — comme je l’ai décrit —, le gouvernement du Canada pourrait mettre ses actes en cohérence avec ses déclarations et s’assurer que les entreprises prennent des décisions en tenant compte de façon appropriée des préoccupations liées aux droits de la personne. Merci beaucoup.

Le président: Merci, monsieur Deibert, et merci, monsieur Van Holst. La présente étude est le résultat des efforts du sénateur Ngo; c’est donc à lui que revient la première intervention.

Le sénateur Ngo: Merci, monsieur Deibert, et merci, monsieur Van Holst, de nous avoir présenté vos exposés.

J’ai deux questions. La première est destinée à M. Deibert. Selon vous, y a-t-il assez de restrictions en matière d’exportation et de normes de transparence dans le cadre des processus d’autorisation pour prévenir que des entreprises canadiennes vendent — sciemment ou non — des marchandises à double usage à des gouvernements répressifs dont il est bien connu qu’ils répriment l’opposition légitime? La Loi sur les licences d’exportation et d’importation devrait-elle exiger que le gouvernement fasse preuve de diligence raisonnable en ce qui concerne des entreprises commerciales ciblées?

Ma deuxième question est destinée à M. Van Holst. Le 28 septembre 2016, la Commission européenne a annoncé une proposition pour moderniser ses contrôles à l’exportation. La proposition a pour effet d’ajouter une dimension liée à la sécurité humaine au cadre de contrôles à l’exportation de l’Union européenne. Le changement proposé va plus loin que le changement qui permettrait d’harmoniser le cadre de contrôle des exportations de logiciels canadiens avec l’exigence révisée au titre de l’Arrangement de Wassenaar. Le Canada devrait-il contrôler l’exportation de logiciels précis, lorsque de tels systèmes ont été exportés dans des pays qui affichent des bilans problématiques en matière de droits de la personne? Dans l’affirmative, y a-t-il un seuil de risque précis en matière de droits de la personne au-dessus duquel il faudrait interdire les exportations?

M. Deibert: Merci, monsieur le sénateur. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration de vive voix et dans mon témoignage écrit, je crois que les contrôles à l’exportation constituent l’un des outils importants qu’il faut avoir. Vous avez demandé précisément si les contrôles à l’exportation sont actuellement structurés d’une façon satisfaisante et s’ils permettent de cerner les cas d’exportation de technologies à double usage suscitant des préoccupations en matière de droits de la personne.

Selon moi, ce n’est pas le cas actuellement. Le Canada est l’un des signataires de l’Arrangement de Wassenaar et, après 2013, lorsque des modifications ont été apportées à l’Arrangement afin d’y inclure les technologies de contrôle des réseaux IP et les logiciels d’intrusion, le Canada a bien sûr ajouté ces catégories aux contrôles à l’exportation.

Cependant, un des problèmes, c’est que, tel qu’ils sont définis actuellement, ces contrôles n’incluent pas au moins deux autres technologies que je juge préoccupantes. En effet, les technologies de filtrage sur Internet et de censure d’Internet, comme celles exportées par Netsweeper — et nous avons documenté de nombreux cas de pays où ces technologies étaient utilisées pour violer des droits de la personne reconnus à l’échelle internationale —, ne sont pas actuellement visées par les contrôles à l’exportation.

Le deuxième élément concerne ce qu’on appelle « la qualité de service et l’inspection approfondie des paquets », des choses qui figurent précisément dans la définition du contrôle de réseaux IP de l’Arrangement de Wassenaar. Cependant, nous avons constaté dans un certain nombre de dossiers troublants dans certains pays que ce type de technologies d’inspection approfondie des paquets peut être utilisé pour manipuler et ralentir le trafic sur Internet et prévenir l’accès à certains protocoles associés à des outils réseaux permettant d’accroître la protection de la vie privée et l’anonymat.

Dans la mesure où c’est un problème qui ira en grandissant — et je crois que c’est le cas —, nous devons donc, selon moi, envisager de modifier nos contrôles à l’exportation pour inclure ces deux catégories de technologies.

M. Van Holst: Oui. Tel que j’ai compris la question, elle concerne les définitions précises des technologies que nous jugeons préférables, ce à quoi devrait ressembler le seuil en matière de droits de la personne et le moment où il faudrait imposer des contrôles à l’exportation.

Pour ce qui est des technologies précises, je dirais pour commencer que nous sommes probablement tout à fait d’accord avec M. Deibert sur le fait qu’il faudrait inclure les outils de censure.

Ensuite, je tiens aussi à souligner que la définition actuelle de technologie d’intrusion dans l’Arrangement de Wassenaar comporte de graves lacunes dans la mesure où elle entraîne une surréglementation et une sous-réglementation. Elle met indûment l’accent sur ce qu’on appelle la modification du chemin d’exécution normal d’un logiciel, ce qui est une définition trop générale qui freine des activités de recherche légitimes en matière de sécurité des TI.

Je crois qu’on peut dire sans se tromper que, si nous avons besoin d’une définition des logiciels d’intrusion, il faudrait mettre l’accent sur l’exfiltration de données. C’est non pas nécessairement l’intrusion d’un système qui est l’aspect intéressant, mais plutôt les données obtenues grâce à l’intrusion. Ce serait approprié parce que cela change l’équation de façon importante lorsqu’il est question de recherches sur la sécurité tout en ayant un impact majeur sur l’exportation de ces technologies.

Pour ce qui est du seuil précis concernant le risque de violation des droits de la personne, dans le contexte de la nouvelle proposition réglementaire touchant les contrôles à l’exportation de la Commission européenne, en fait, l’une des choses que nous aimons dans la proposition, c’est qu’elle n’établit pas un seuil précis, mais exige plutôt des exportateurs qu’ils fassent preuve de diligence raisonnable afin de déterminer s’il y a un risque prévisible de violation des droits de la personne grâce à ces technologies.

L’industrie n’apprécie pas beaucoup cette mesure, mais je crois que c’est une avenue et une orientation intéressantes et qu’il faut réfléchir à cette idée d’imposer un fardeau de la preuve, parce que, en particulier, on ne peut pas dire sans broncher qu’on ignore la situation, par exemple, à Bahreïn et qu’on n’a jamais entendu parler et qu’on ne connaît rien du sort de la minorité chiite et que les exportations vers ce pays ne posent absolument aucun problème. Tous ceux qui œuvrent dans le domaine de la surveillance et de l’interception devraient savoir qu’il y a un risque très élevé dans ce pays précis, et c’est la même chose en Éthiopie et dans d’autres pays dont on sait qu’ils utilisent des technologies fournies par l’Occident dans ces domaines.

Le sénateur Ngo: J’aimerais maintenant poursuivre avec M. Deibert. Si c’est le cas, de quelle façon le ministère des Affaires étrangères devrait-il calibrer son évaluation de façon appropriée pour tenir compte des utilisateurs finaux de telles marchandises — comme vous dites —, du point de vue des droits de la personne?

M. Deibert: C’est ici, selon moi, que vous devez envisager des contrôles à l’exportation, qui constituent l’un des outils à votre disposition. Selon moi, le problème, c’est en partie la nature très opaque dans ce domaine, et c’est aussi en raison du type de services dont on parle, dont une bonne partie est de nature délicate. Et il y a la clientèle aussi; les acheteurs de tels équipements ont tendance à être des services de sécurité étatiques et des organismes d’application de la loi. Par conséquent, nous savons très peu de choses au sujet du marché et des clients, à part les recherches réalisées par des journalistes d’enquête, des ONG ainsi que les recherches réalisées par le Citizen Lab.

Selon moi, il faut adopter un point de vue holistique. Par conséquent, lorsque vous me demandez ce que Affaires étrangères pourrait faire afin de mieux calibrer le système, je crois qu’il faudrait en partie assurer la transparence du marché, afin que nous connaissions les entreprises qui doivent le plus être dans notre mire.

La transparence pourrait être exigée par le gouvernement du Canada de diverses façons, et j’ai souligné le modèle du Groupe de travail sur l’utilisation des mercenaires des Nations Unies, qui exigerait la déclaration volontaire des entreprises.

Pour ce qui est du calibrage des contrôles à l’exportation en tant que tel, je crois qu’il faut arrêter d’essayer de définir les contrôles à l’exportation en fonction de certaines catégories de technologies — des choses, en d’autres mots — et parler davantage d’utilisateurs finaux et d’utilisation finale. C’est très important, parce que les technologies changent rapidement. Nous avons aussi découvert, au moment de la première mouture de l’Arrangement de Wassenaar, que certaines catégories de logiciels d’intrusion, tout particulièrement, comme mon collègue Walter l’a souligné, sont aussi utilisées à des fins de recherche légitimes sur la sécurité. Il y a donc un risque d’inclure trop ou pas assez de choses.

Si on met moins l’accent sur les choses et plus sur les utilisations finales et les utilisateurs finaux, cela exigerait des entreprises qu’elles soient plus transparentes au sujet de la façon dont leurs produits sont utilisés. En d’autres mots, elles devraient connaître leurs clients.

Puis, de plus, il y a d’autres leviers que le gouvernement pourrait utiliser, y compris s’assurer de ne donner aucun crédit ni aucun soutien gouvernemental quelconque à des entreprises qui ne respectent pas les règlements et les politiques sur les droits de la personne.

Par exemple, l’entreprise que j’ai mentionnée, Netsweeper, a reçu des subventions du gouvernement, a participé à des foires commerciales où le gouvernement du Canada assurait une certaine facilitation sur place. Ces genres de choses ne sont pas appropriés lorsque les produits de l’entreprise sont utilisés pour violer des droits de la personne que, en surface, nous défendons.

La sénatrice Ataullahjan: J’ai une question qui compte deux volets. Récemment, j’ai lu un article selon lequel le Canada possédait une des pires structures de surveillance qui soient en ce qui a trait à la façon dont ses organismes de renseignement nationaux peuvent surveiller les citoyens. Pouvez-vous formuler quelques commentaires à ce sujet? Je crois que c’était un article de la CBC.

M. Deibert: Madame la sénatrice, cette question m’est-elle adressée ou est-elle adressée à mon collègue Walter?

La sénatrice Ataullahjan: Elle vous est adressée à vous, monsieur Deibert, puisque vous découvrez des logiciels espions et que vous faites les manchettes à l’échelle internationale presque chaque semaine.

M. Deibert: Lorsqu’il est question de pays libéraux, démocratiques et industrialisés, le Groupe des cinq comme on les appelle — il s’agit d’une alliance d’agences de renseignement électromagnétique dont le Canada fait partie —, je crois effectivement que nous assurons vraiment la moins bonne surveillance en ce qui a trait au contrôle de notre organisme de renseignement électromagnétique. Assurément, notre cadre de surveillance est loin d’être aussi solide que celui des États-Unis, même si ce système a ses lacunes.

Nous possédons un organisme qui recueille des renseignements électromagnétiques très bien doté en ressources et qui, actuellement, pour ce qui est de la surveillance, est associé à un bureau de commissaire, le commissaire du CST, qui procède à un examen annuel. Ce n’est pas une vérification, on ne regarde absolument pas au-dessus de l’épaule des opérateurs pour voir ce qu’ils font. C’est un examen qui porte sur une sélection d’activités pour s’assurer que le gouvernement respecte sa propre interprétation secrète des lois secrètes.

Actuellement, à part le commissaire du CST, qui présente un rapport au ministre de la Défense, lequel présente un rapport au Parlement, il n’y a aucune surveillance parlementaire de nos organismes de renseignements électromagnétiques. Les responsables de ces organismes n’ont tout simplement pas à comparaître devant des comités comme le vôtre s’ils choisissent de ne pas venir. Ils n’ont pas à répondre à des questions, et les parlementaires n’ont aucun moyen d’exiger qu’ils fournissent de l’information. Je suis heureux de voir que la situation est actuellement réévaluée. Il y a un projet de loi devant le Parlement, le projet de loi C-22, qui permettrait d’assurer un genre de surveillance parlementaire de nos organismes de sécurité.

Je crois qu’il faut aller beaucoup plus loin pour s’assurer que nos organismes, même s’ils font du travail très important pour protéger la sécurité des Canadiens et des intérêts canadiens, ne s’adonnent pas à des activités inappropriées. Actuellement, nous n’avons tout simplement pas de structure de surveillance appropriée pour s’assurer que c’est le cas.

La sénatrice Ataullahjan: Ma deuxième question concerne le fait que nous semblons perdre le contrôle de nos permis lorsque les exportations quittent notre pays. Un témoin antérieur a mentionné que le gouvernement a besoin d’orientation à cet égard, car la plupart des technologies exportées doivent faire l’objet d’un service après-vente, c’est-à-dire que les machines ont bien souvent besoin de bénéficier de services d’entretien, de services techniques et de mises à niveau logicielles pendant 20 ans pour bien fonctionner.

À quel point est-il important pour le gouvernement de continuer à surveiller l’impact sur les droits de la personne une fois l’exportation autorisée?

M. Van Holst: Tout d’abord, lorsque nous parlons d’outils de surveillance et d’outils de censure, le cycle de vie de ces outils tend à s’étendre sur une période beaucoup plus courte que des décennies, on parlerait plutôt de plusieurs années. Néanmoins, il est extrêmement important pour les exploitants du logiciel de continuer de recevoir des mises à jour et du soutien. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai affirmé, dans ma déclaration préliminaire, que nous devrions, d’abord et avant tout, mettre l’accent sur l’assistance technique.

En fait, il serait relativement facile pour une personne vraiment déterminée d’assembler nombre de ces technologies grâce à de l’information facilement accessible. La plupart des organisations concernées, qu’il s’agisse des forces de l’ordre ou des services de renseignement, ne veulent tout simplement pas se casser la tête; elles veulent une solution clé en main qui est tenue à jour et entretenue par le fournisseur. C’est un aspect relativement facile à contrôler, même après une vente. Bref, oui, il est très important de continuer de contrôler l’exportation de services après la vente.

M. Deibert: Je suis d’accord avec mon collègue, et j’ajouterais que, s’il est important que le gouvernement surveille ce qui se produit après l’exportation, il importe également que les entreprises elles-mêmes aient une obligation selon les normes internationales existantes. Les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme prévoient clairement que les entreprises ont l’obligation d’assurer un suivi à l’égard de l’utilisation de leurs produits et services.

Dans notre recherche, nous avons constaté que la situation peut changer de façon spectaculaire. Je vais vous donner un exemple. Pendant nombre d’années, nous savions que les fournisseurs de services Internet du Yémen utilisaient Netsweeper pour filtrer le contenu. Bien entendu, une guerre civile fait rage au Yémen depuis longtemps, et à un moment donné durant ce conflit armé, un groupe de rebelles armés — les houthis — ont pris le contrôle de la capitale, Sanaa, et, par extension, du fournisseur de services Internet YemenNet. Ensuite, ils ont mis en place le régime de censure d’Internet le plus draconien que j’aie jamais vu dans ma carrière professionnelle. Ils exigeaient que soit bloqué l’accès à tout site web, à tout domaine se terminant par .il, principal domaine israélien.

Lorsqu’une situation change à ce point sur le terrain, l’entreprise a l’obligation de repenser ses services, et je crois que l’omission de faire cela constitue un manquement aux normes internationalement reconnues en matière de droits de la personne. Il importe que le gouvernement et les entreprises soient tous deux tenus de suivre à la trace les produits et services après qu’ils ont quitté le pays.

La sénatrice Andreychuk: J’aimerais avoir quelques éléments d’information.

Vous parlez de droits de la personne, et vous venez de faire allusion aux normes internationales en matière de droits de la personne. Je crois que c’est là le problème que nous avons en ce qui concerne les technologies nucléaires que nous fournissons et pratiquement tout autre domaine où nous assurons une surveillance.

Des violations des droits de la personne surviennent dans tous nos pays: c’est une question de degré et de complexité. Où se situe le point à partir duquel nous ne devrions pas vendre ou l’entreprise devrait avoir la responsabilité de déclarer qu’elle a soit signalé les violations, soit interrompu, d’une façon ou d’une autre, la prestation de services à cette entreprise? Comment analysons-nous les droits de la personne?

Je suis un peu déroutée par vos deux témoignages. Parlez-vous carrément de ventes de biens et technologies ou parlez-vous de ventes de biens et technologies à double usage? La Commission européenne prend des mesures à l’égard des biens à double usage, et c’est une grosse partie du problème: on dit qu’on va utiliser le bien à une fin particulière, puis le bien se retrouve entre les mains d’une autre partie qui l’utilise à une autre fin. Je me demande si votre témoignage ne porte que sur les biens à double usage ou si vous tenez compte de l’ensemble des exportations et des ventes. Je m’adresse à vous deux.

M. Deibert: Merci, madame la sénatrice. Je vais répondre à votre première question, qui est excellente et importante.

Lorsqu’on envisage le paysage global — commençons par la censure d’Internet, quoique cela pourrait s’appliquer aux logiciels d’intrusion —, on peut certainement penser à des raisons légitimes pour lesquelles des pays voudraient mettre en place les types de technologies dont nous parlons, et c’est précisément pourquoi on parle de « technologie à double usage ».

En ce qui concerne la censure d’Internet, je soulignerais qu’il y a des circonstances où des pays mettent en place une censure à l’échelle nationale: elle est transparente et soumise à une reddition de comptes, et les citoyens sont conscients de son existence. Pensez à ces pays qui bloquent l’accès à du contenu relatif à l’exploitation sexuelle des enfants.

Il y a d’autres pays, toutefois, où il n’y a ni transparence ni reddition de comptes et où le type de contenu qui est bloqué est considéré comme protégé en vertu d’accords internationalement reconnus en matière de droits de la personne — donc, du contenu relatif aux nouvelles, à la politique ou à des organismes de protection des droits de la personne — ou, dans l’exemple du Yémen que je viens de mentionner, du contenu lié à l’ensemble du registre de domaines d’un pays donné. Ce sont des exemples extrêmes, mais, malheureusement, c’est la norme dans de nombreux pays du monde, et c’est assurément la norme dans les sept pays que j’ai mentionnés qui utilisent les services de Netsweeper.

Dans ces cas, je crois qu’il est plutôt manifeste que les produits et services offerts facilitent la violation des droits de la personne, et c’est précisément pourquoi nous devons trouver des façons de réglementer les entreprises, d’apporter une plus grande transparence au marché et d’amener les entreprises à faire preuve d’une plus grande transparence à l’égard de leurs activités.

Je vais vous donner un autre exemple. Dans certains pays, il n’est pas rare pour un utilisateur d’Internet qui tente d’accéder à du contenu frappé d’interdiction de se buter à une page offrant un certain degré de transparence, peut-être quelque chose comme ceci: Désolé, l’accès à ce contenu est interdit, voici un lien vers la loi et vers le ministère qui a fait adopter cette loi. J’ai vu des cas où une page bloquée invitera la personne à exprimer son désaccord en soumettant une requête pour que l’interdiction soit levée.

Cependant, nous avons vu des circonstances où les fournisseurs de services Internet bloquent l’accès à l’information au moyen des services de Netsweeper pour que s’affiche quelque chose qui ressemble à une page d’erreur; autrement dit, on amène l’utilisateur à croire qu’il y a un problème à l’égard d’Internet. À mon avis, c’est une forme de tromperie. Alors, cela va au-delà du blocage de l’accès à du contenu légitime lorsqu’on fait croire à l’utilisateur qu’il y a un problème avec Internet au lieu de lui faire savoir que l’accès à cette information lui est refusé.

C’est une question de degré. On doit exercer un certain jugement, mais force est de constater qu’il y a des cas extrêmes où la plupart des gens conviendront du fait qu’il s’agit d’une violation des droits de la personne.

M. Van Holst: Pour la première question, cela nous ramène à la prévisibilité. Je vais vous donner un exemple très clair: le Hacking Team est une entreprise italienne qui fournit des logiciels d’intrusion à des régimes comme l’Éthiopie; or, l’application d’un logiciel d’intrusion à une partie non consentante est interdite par la Convention sur la cybercriminalité; elle est considérée comme un acte criminel.

Ces technologies peuvent être utilisées par les forces de l’ordre à certains endroits, mais le simple fait que l’utilisation de ces outils par tout autre intervenant que les organes d’application de la loi soumis à un contrôle judiciaire adéquat, entre autres, soit considérée par tous les signataires de la Convention sur la cybercriminalité comme un crime grave devrait porter les exportateurs à réfléchir, surtout à la lumière des enjeux problématiques bien connus relativement au régime éthiopien.

Vu que la simple utilisation de la technologie que vous vendez est, fort probablement, illicite pour les citoyens de votre pays, c’est une indication assez claire que des choses douteuses pourraient se produire si elle finit entre les mains des mauvaises personnes.

Pour votre deuxième question, au sujet du fait d’insister sur les biens à double usage ou sur des biens particuliers, pour ainsi dire, la plupart des technologies de l’information se prêtent, de par leur nature, à un double usage. Par exemple, l’inspection des paquets en profondeur peut avoir des utilisations légitimes aux fins du diagnostic touchant les éléments fondamentaux de votre réseau, s’il y a des problèmes à ce chapitre. Cela dit, de façon générale, l’inspection des paquets en profondeur est très souvent utilisée à des fins de mise en forme du trafic susceptibles de violer les règles ou de mener carrément à la censure ou à la surveillance.

Par conséquent, il faut exercer son jugement. Je dirais que, dans la plupart des cas, ces technologies ont un double usage. Toutefois, à l’instar de M. Deibert, je dirais qu’il faut s’attacher davantage aux utilisateurs qu’à des technologies particulières.

La sénatrice Andreychuk: Nous parlons de la vente et du service après-vente ainsi que du détournement de cette technologie.

Êtes-vous au courant de situations où la technologie a été piratée? Autrement dit, la technologie arrive dans un pays… Nous savons que de nombreux dispositifs de cybersécurité ont été achetés par d’autres pays qui ont fini par comprendre son fonctionnement et mettre au point leurs propres technologies pour l’utiliser dans d’autres pays ou chez eux.

Avez-vous observé une telle capacité de pirater le savoir lié à l’équipement que vous vendez et d’ensuite le produire afin de ne plus avoir besoin de recourir à nous?

M. Deibert: Je n’ai pas eu connaissance d’une situation qui reflète précisément ce que vous décrivez. Toutefois, je dirai que le marché de la surveillance des logiciels espions et d’Internet et des technologies de censure connaît une croissance rapide. Il se mondialise. Il y a des entreprises dans d’autres administrations qui font concurrence à certaines des entreprises dont nous parlons. Le problème, c’est que l’ensemble des intervenants sur ce marché mènent leurs activités dans le plus grand secret. Il est donc difficile de même commencer à répondre à votre question, car nous savons très peu de choses au sujet du fonctionnement du marché.

Par exemple, les foires commerciales où nombre de ces technologies et leurs fournisseurs sont présentés — et où les clients sont courtisés — ne sont pas habituellement accessibles au grand public. Il faut être un représentant accrédité d’un service de police ou d’un service du renseignement pour avoir accès à la foire commerciale.

Un point susceptible d’être pertinent à l’égard de ce que vous dites — et qui, selon moi, vaut la peine d’être souligné — est l’existence d’un marché de revendeurs tiers très étendu qui mérite qu’on s’y attarde.

Si vous regardez les courriels publiés dans WikiLeaks au sujet du Hacking Team, l’un des fournisseurs dont nous avons parlé, vous verrez les échanges entre des clients éventuels et des représentants des ventes du Hacking Team; or, il est question dans ces séries de courriels de tiers fournisseurs, de revendeurs et d’autres intervenants du genre. C’est un aspect qu’il faut documenter et comprendre davantage, car c’est peut-être une façon pour les entreprises de se soustraire à leurs responsabilités et d’opposer un certain démenti plausible à l’égard de l’utilisation finale de leur produit.

Nous n’avions aucune idée que le produit s’était retrouvé dans tel pays, puisque c’est un revendeur tiers qui a livré le produit dans le pays en question. Par exemple, dans le cadre d’une recherche que nous faisions au sujet de l’entreprise américaine BlueCo, nous avons constaté que sa technologie d’inspection des paquets en profondeur s’était retrouvée en Syrie. Après la présentation de notre rapport, et après une enquête approfondie, le Congrès et le gouvernement des États-Unis ont fait enquête et ont finalement infligé une amende à un tiers revendeur de la technologie de BlueCo en Syrie.

Le président: Monsieur Van Holst, avez-vous une opinion sur cette question?

M. Van Holst: J’ai quelques remarques à faire. On ne devrait pas se donner pour but d’empêcher toute possibilité de vente de ces technologies. Il est judicieux de veiller à ce que les entreprises occidentales n’exportent pas activement des outils permettant de s’attaquer aux valeurs démocratiques, à la primauté du droit et aux droits fondamentaux de la personne.

Les démocraties industrialisées de l’Occident ne peuvent empêcher des exploitants russes de vendre ces outils, bien entendu. Lorsqu’il est question d’outils piratés, c’est un phénomène qu’on ne peut empêcher. Toutefois, à ma connaissance, plusieurs de ces fournisseurs ont activement cherché à empêcher cela de se produire, établissant des régimes de gestion des droits numériques ainsi que des régimes d’octroi de licences et des services; d’ailleurs, l’exploitant typique ne veut pas utiliser des outils piratés, car l’outil lui-même est à peu près aussi important que le service hors marché qu’il reçoit. À moins que le fournisseur ayant piraté l’outil n’offre également les services, les forces de l’ordre et les services du renseignement ne vont généralement pas s’intéresser à ces outils piratés.

La sénatrice Omidvar: Je n’ai jamais entendu parler de Netsweeper; je regarde son site à l’instant, et je comprends ce que vous dites au sujet de l’utilisateur final. On voit sur le site web qu’au cours des 24 dernières heures, le service a bloqué — j’imagine que c’est ce qu’on signale — 535 pages où l’on tient un discours haineux. On a bloqué 564 pages relatives à la toxicomanie et 203 pages concernant l’avortement. Je ne sais pas vraiment si on est pour ou contre.

Il est intéressant de parcourir ce site web: c’est très sommaire. On ne met pas l’accent sur un fournisseur particulier, mais puisque ce terme a été utilisé, il n’est question nulle part sur ce site web de valeurs, et je trouve cela intéressant parce que sur celui de la plupart des organisations au Canada où on pratique une gouvernance moderne — c’est le cas du moins de la plupart des sociétés —, on trouvera un énoncé de valeurs, comme: « Nous croyons que nos produits vont améliorer le monde. » Il n’y a rien de ce genre ici.

Vous avez dit que nous devons faire passer notre attention du produit à l’utilisateur final et que nous pouvons faire cela, d’une part, en faisant la promotion de la transparence. Vous avez tous deux beaucoup parlé de cela, mais vous avez aussi parlé d’incitatifs.

Pourriez-vous nous donner quelques idées de mesures incitatives et peut-être dissuasives? La peur a un effet dissuasif fantastique. La stigmatisation est un outil fantastique. Pourriez-vous nous parler plus en détail des mesures incitatives et dissuasives?

M. Deibert: Certainement. En ce qui concerne les incitatifs, pour ces deux catégories de technologies, je pense que le gouvernement pourrait mettre en place des mesures réglementaires et stratégiques permettant de pénaliser certaines entreprises ou de structurer leurs relations d’affaires d’une façon qui les force, en quelque sorte, à prendre en compte des enjeux qu’ils semblent vouloir éviter.

Je suis content que vous ayez parlé du site de Netsweeper. En effet, il ne contient absolument aucun énoncé relatif à la responsabilité sociale de l’entreprise ou à une forme quelconque de diligence raisonnable. Je vous rappellerais, si vous jetez un coup d’œil à mon mémoire, qu’il y a des liens permettant d’accéder à nos rapports. Dans certains de ces rapports, il est indiqué que nous avons envoyé à cette entreprise des questions très détaillées afin de déterminer si elle fait preuve de diligence raisonnable et avons offert de publier ses réponses sur son site web; elle n’a toujours pas répondu à nos questions, mais elle a toutefois intenté une poursuite en diffamation contre l’Université de Toronto et moi-même, puis l’a abandonnée complètement par la suite.

Au sujet des mesures incitatives, le gouvernement a des leviers à sa disposition, comme les politiques régissant les marchés publics ainsi que le crédit et l’aide à l’exportation. Pourrions-nous exiger des entreprises voulant bénéficier de ce type de crédit ou vendre leurs produits au gouvernement… et j’ignore dans quelle mesure les produits de Netsweeper, par exemple, sont utilisés par des organismes gouvernementaux. Je sais qu’ils sont utilisés de façon étendue dans les bibliothèques publiques. Afin de pouvoir vendre des produits et services à des organismes gouvernementaux, à divers niveaux, on doit exiger que l’entreprise applique une sorte de processus de diligence raisonnable explicite à l’égard des droits de la personne. En outre, ces entreprises ne devraient pas être admissibles à participer aux marchés publics ni à bénéficier d’un quelconque soutien, et par cela j’entends les salons commerciaux.

Selon moi, nous pourrions aussi mettre en place des cadres réglementaires précis pour la surveillance et la reddition de comptes inspirées du modèle que j’ai mentionné, à savoir le forum des mercenaires et des entrepreneurs privés, qui établirait des exigences pour la reddition de comptes, énoncerait les activités qui sont interdites, et cetera. Je crois qu’on pourrait exiger une sorte de dialogue structuré avec les entreprises de la société civile. C’est tout à fait distinct des contrôles à l’exportation, lesquels, selon moi, pourraient certainement s’appliquer dans ce domaine; on pourrait tout simplement exiger que des entreprises — comme Netsweeper — voulant offrir leur produit à un fournisseur de services Internet dans un autre pays, à l’extérieur du Canada, démontrent qu’elles ont pris des mesures de diligence raisonnables en matière de droits de la personne et publient les résultats sur leur site web.

Le président: Merci beaucoup. Monsieur Van Holst, avez-vous quelque chose à dire sur le sujet?

M. Van Holst: Oui. Sur la question des incitatifs, il y a déjà pas mal de précédents dans les règles régissant les marchés publics dans la plupart des pays industrialisés, où une violation des règles antitrust peut mener à l’exclusion d’une entreprise du processus de marchés publics. Il y a un parallèle évident ici.

Au sujet de la transparence, mon opinion diverge un peu de celle de M. Deibert. En effet, dans le cas de Blue Coat, l’entreprise a en fait vu l’intérêt pour ses services s’accroître énormément lorsqu’on a fait la lumière sur ses activités. En fait, l’entreprise a reçu davantage de demandes de prix de régimes peu recommandables que jamais auparavant.

Je crois que l’accent sur la transparence devrait viser le processus d’octroi de permis. Si vous détenez des permis d’exportation, cette information devrait toujours être publique. Si vous avez des permis d’exportation, ils devraient toujours avoir une durée de validité assez courte et pouvoir faire l’objet de mesures de redressement dans l’intérêt public. Ce sont d’autres mécanismes que je songerais à établir.

Le président: C’est un commentaire extrêmement utile.

Le sénateur Ngo: J’ai une question qui s’adresse à la fois à M. Deibert et à M. Van Holst.

Je comprends qu’il est très difficile, vu notre norme actuelle en matière de transparence, de recenser les fournisseurs canadiens qui vendent des logiciels de cybersécurité à des pays violant les droits de la personne. Nous savons que des entreprises qui offrent ce type de technologie existent effectivement, mais il est difficile de trouver des preuves.

Selon l’OpenNet Initiative, des régimes autoritaires en Asie, comme la Chine, avec sa grande muraille pare-feu — la semaine dernière, on a découvert de la censure dans des applications chinoises de diffusion en continu en direct — et le Vietnam avec son Barrage vert, maintiennent certains des régimes les plus envahissants et perfectionnés de filtrage et de contrôle de l’information d’Internet dans le monde.

Croyez-vous que les lignes directrices et les dispositions actuelles de la politique régissant les exportations canadiennes peuvent aider à favoriser un commerce libre et équitable ainsi que la protection des droits de la personne?

Auriez-vous des recommandations à faire pour ce qui est de renforcer le régime canadien de contrôle des exportations en ce qui concerne les logiciels qui pourraient être utilisés à l’échelle internationale pour porter atteinte aux droits de la personne qui sont protégés?

M. Deibert: Merci, monsieur le sénateur. Votre question consiste à déterminer si les contrôles à l’exportation prennent en compte vos préoccupations de façon adéquate, et je peux vous répondre, très simplement, que non. Si vous parlez de la censure d’Internet, les deux principales technologies préoccupantes seraient le filtrage sur Internet et l’inspection des paquets en profondeur, qui sont des technologies de type « qualité du service ».

Nous avons Netsweeper, entreprise canadienne, peut-être le chef de file des services de censure d’Internet, à en croire notre recherche étendue; Netsweeper est certainement un chef mondial pour ce qui est de fournir des services à des pays dont les FSI utilisent cette technologie pour violer les droits de la personne.

Sous leur forme actuelle, les contrôles à l’exportation ne couvrent pas la vente de cette technologie en particulier. Il y a peut-être des aspects touchant l’exportation de technologies de chiffrage où ils s’appliquent. Je ne m’y connais pas énormément à ce sujet, mais il est certain que l’offre de ce produit et l’utilisation qu’on en fait ne sont pas visées. À mon avis, il faudrait revoir le régime de contrôles à l’exportation de façon à ce qu’il tienne compte de l’utilisateur final et de l’utilisation de technologies de censure d’Internet et d’inspection des paquets en profondeur pour violer les droits de la personne.

Je répète que je ne préciserais pas un type de technologie particulier, car il faut mettre l’accent sur l’utilisateur final et sur l’utilisation du service en question si on veut obtenir les résultats escomptés.

Le président: La sénatrice Ataullahjan fera la dernière intervention. Monsieur Van Holst, si vous voulez répondre à cette question avant que la sénatrice Ataullahjan prenne la parole, vous pouvez y aller.

La sénatrice Ataullahjan: Monsieur Deibert, vous reliez divers intervenants sur Internet, comme les gouvernements, la sécurité, les ingénieurs et les défenseurs des droits de la personne. J’apprends constamment de nouvelles choses. J’ai entendu un nouveau terme; je l’ai appris de ma fille, qui se trouvait à être dans l’un de vos cours. C’est le terme « cyberactivisme ». Êtes-vous tous relié les uns aux autres partout dans le monde afin d’échanger de l’information sur ce qui se passe et sur ce que font les différents pays? Y a-t-il un groupe qui suit ce qui se passe sur Internet?

M. Deibert: Je dirais qu’il y a effectivement une communauté de personnes se décrivant comme des chercheurs, des défenseurs des droits, des ONG. Mon collègue et moi-même — je suis sûr qu’il est d’accord avec moi — faisons partie de cette communauté. Nous échangeons de l’information. Nous essayons de collaborer, lorsque la situation s’y prête. Nous tirons certainement avantage de certaines des mêmes fondations qui soutiennent la recherche et la défense des politiques dans cet environnement.

Je dirais que la communauté est en croissance, mais elle fait face à des défis extraordinaires ces temps-ci, surtout dans les domaines dont nous parlons: la surveillance, la censure, la militarisation et l’arsenalisation du cyberespace. Les obstacles au progrès dans cet environnement ne font que s’accroître, mais j’estime certainement faire partie d’une communauté étendue, et le Citizen Lab occupe au sein de cette communauté un petit créneau en matière de recherche de pointe.

M. Van Holst: Il s’agit effectivement d’une communauté. Je ne dirais pas vraiment que le Citizen Lab occupe un petit créneau: c’est un joueur important dans cet environnement. J’ajouterais que cette communauté est, de bien des façons, vulnérable. Une bonne part de la recherche qui est menée contrevient souvent — de façon sans équivoque — à la Convention sur la cybercriminalité, laquelle est déjà un exemple de réglementation ayant une portée trop étendue. Parallèlement, un plus grand nombre de ces intervenants de mauvaise foi — appelons-les comme ça — qui sont sur ce marché sont affectés par leurs propres recherches et deviennent eux-mêmes une cible. Vu leurs liens avec des régimes ayant moins de modération, ces personnes deviennent de plus en plus vulnérables.

Le président: J’ai une dernière question, monsieur Deibert. Je serai bref. Vous avez parlé du fait de chercher à établir des mesures de redressement contre les entreprises qui ont peut-être fermé les yeux sur les considérations liées aux droits de la personne. De quel genre de mesures parliez-vous, en deux mots? S’agirait-il d’accusations criminelles, de poursuites civiles, ce genre de choses?

M. Deibert: Oui, monsieur le sénateur. Plus précisément, je parlais des préjudices causés par les logiciels espions et des mesures de redressement qu’on pourrait prendre pour les victimes ou les cibles de l’utilisation illégale de logiciels espions. Mon collègue a mentionné la Convention sur la cybercriminalité. De nombreux pays ont des lois relatives à l’interception, à l’écoute en ligne, et cetera. Ces lois ont peut-être besoin d’être modifiées.

Il y a également des lois relatives à l’espionnage de réfugiés dans certains pays d’Europe du Nord qui seraient peut-être pertinentes ici, puisque beaucoup de nos rapports concernent les réfugiés ou la diaspora — donc, des gens qui sont dans d’autres pays — qui sont ciblés par le gouvernement de leur pays. L’exemple de l’Éthiopie en est un bon: des journalistes aux États-Unis ont été ciblés par les services de sécurité éthiopiens au moyen de logiciels espions venant d’Europe de l’Ouest.

Le gouvernement éthiopien est impliqué dans un litige en cours aux États-Unis; cela pourrait servir de modèle, alors j’encouragerais les sénateurs à explorer un peu plus cette avenue. Vous trouverez des liens vers de l’information connexe dans mon mémoire.

Le président: Nous tenons à vous remercier beaucoup. Vos témoignages apporteront une contribution excellente à notre rapport. Nous espérons produire très bientôt un rapport qui encouragera le gouvernement à en faire davantage.

Au cours de notre deuxième table ronde aujourd’hui, nous poursuivons notre étude de l’analyse comparative entre les sexes dans l’établissement des politiques et lois fédérales. Nous sommes heureux d’accueillir Jean-Denis Fréchette, directeur parlementaire du budget, et Peter Weltman, directeur principal de l’Analyse des coûts et des programmes au Bureau du directeur parlementaire du budget. Nous accueillons également une délégation du ministère des Finances du Canada constituée des personnes suivantes: Richard Botham, sous-ministre adjoint, Direction du développement économique et des finances intégrées, Martine Lajoie, conseillère senior, Direction du développement économique et des finances intégrées; et Harriet Jackson, directrice générale, Direction de la politique économique et budgétaire.

Tout d’abord, nous voulons remercier la sénatrice Nancy Ruth d’avoir mené l’offensive sur cette question. Nous pensons que c’est extrêmement important. La sénatrice Nancy Ruth prendra bientôt sa retraite. Je sais qu’elle n’aime pas que je le dise, mais j’espère que notre rapport fera partie de son héritage.

Je ne sais pas qui voudrait commencer, mais je présume que c’est le directeur parlementaire du budget.

[Français]

Le président: Je vous souhaite la bienvenue à notre comité, monsieur Fréchette.

Jean-Denis Fréchette, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget: Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous pour discuter de ce concept à la fois important et complexe qu'est l'analyse comparative entre les sexes. Je suis accompagné de mon collègue, Peter Weltman, directeur principal de l’Analyse des coûts et des programmes.

Lorsqu’il a été présenté il y a 20 ans, cet outil analytique est entré lentement dans les habitudes au cours des premières années, mais comme c'est souvent le cas avec certaines nouvelles approches gouvernementales, l'effet de nouveauté s'est estompé avec le temps.

[Traduction]

Il y a environ 10 ans, l’analyse sexospécifique a reçu une deuxième vie. Cette deuxième vie s’est concrétisée sous la forme de deux vérifications effectuées par le BVG, au printemps 2009 et à l’automne 2015, par un plan d’action du gouvernement renouvelé en 2015 et, enfin — plus récemment — par un engagement pris par le gouvernement dans le récent énoncé économique de l’automne, dont je cite l’extrait suivant, tiré de la page 41: le gouvernement

soumettra le budget de 2017, et tous les budgets subséquents, à une analyse plus rigoureuse en réalisant et en publiant une analyse comparative entre les sexes de l’incidence des mesures budgétaires.

J’ai également remarqué qu’à la page 38 du même document, le gouvernement s’est engagé à renouveler le mandat du directeur parlementaire du budget afin qu’il se concentre sur l’établissement des coûts et sur l’analyse financière, y compris l’analyse du budget fédéral et des coûts liés aux propositions du programme électoral.

Une nouvelle loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada doit encore être déposée, ce qui signifie que nous ne savons pas encore exactement ce que supposera cette réforme pour le directeur parlementaire du budget. Toutefois, quoi qu’il en soit, mon équipe et moi-même avons hâte de fournir aux sénateurs et aux députés une analyse supplémentaire des mesures budgétaires du gouvernement, qui pourrait comprendre une analyse comparative entre les sexes, si le Parlement le souhaite.

De plus, si l’établissement des coûts lié au programme électoral était ajouté au mandat du directeur parlementaire du budget, on s’attend à ce que certains partis politiques puissent exiger la tenue d’une analyse sexospécifique. Pour l’instant, et malgré les ressources limitées, nous avons intégré cette analyse dans le processus d’établissement de la portée des rapports du directeur parlementaire du budget.

À cette fin, l’équipe de la haute direction du bureau du directeur parlementaire du budget a participé à une formation sur l’analyse sexospécifique offerte par Condition féminine Canada. Nous recensons toutes les considérations relatives à l’analyse comparative entre les sexes que pourrait soulever le projet et veillons à ce que ces considérations se reflètent dans le cadre de référence du projet, c’est-à-dire, si nous avons accès à toutes les informations ou les données requises.

Est-ce toujours facile? Bien sûr que non. La capacité du directeur parlementaire du budget de mener une analyse sexospécifique dépend de l’accès à l’information concernant les conséquences sexospécifiques des choix en matière de politique fiscale. J’espère que l’engagement du gouvernement concernant l’examen des conséquences sexospécifiques des mesures budgétaires signifiera qu’un plus grand nombre de ces données seront accessibles au directeur parlementaire du budget auprès des ministères et organismes.

Je profiterai de l’occasion pour mentionner que notre relation et le degré de collaboration avec Finances Canada se sont améliorés au cours des dernières années et qu’il sera essentiel de maintenir des communications fructueuses si le budget de 2017 comprend une analyse sexospécifique relative aux mesures budgétaires.

Lorsque nous recensons les considérations liées à l’analyse comparative entre les sexes, nous nous efforçons d’intégrer l’analyse dans les rapports que nous avons nous-mêmes amorcés ainsi que dans ceux qui émanent de demandes présentées par des sénateurs ou par des députés, qu’ils demandent ou non aux directeurs parlementaires du budget d’avoir recours à une analyse comparative entre les sexes.

Plus particulièrement, le directeur parlementaire du budget a intégré des considérations sexospécifiques dans son analyse des propositions fiscales du gouvernement, notamment l’élimination du crédit d’impôt pour les familles et les modifications récemment apportées aux programmes de transfert, comme la création de l’Allocation canadienne pour enfants.

De même, la récente évaluation du marché du travail effectuée par le directeur parlementaire du budget faisait ressortir les différences au chapitre des taux d’emploi et des heures de travail chez les hommes et chez les femmes, y compris les tendances relatives aux travailleurs jeunes et âgés.

Le directeur parlementaire du budget a hâte de commencer à pouvoir accroître l’utilisation de l’analyse comparative entre les sexes dans le cadre de son propre travail et de surveiller l’inclusion par le gouvernement des résultats de l’analyse comparative entre les sexes dans les documents budgétaires des années à venir.

Sur cette note, monsieur le président, mon collègue et moi-même serions heureux de répondre à toute question que vous pourriez nous poser concernant l’analyse comparative entre les sexes effectuée par le directeur parlementaire du budget ou sur toute affaire relative au mandat du directeur parlementaire du budget.

[Français]

Richard Botham, sous-ministre adjoint, Direction du développement économique et des finances intégrées, ministère des Finances Canada: Je vous remercie, monsieur le président, de m'avoir invité à comparaître devant votre comité aujourd'hui. Je suis sous-ministre adjoint de la Direction du développement économique et des finances intégrées du ministère des Finances du Canada. Je suis également le champion de l'analyse comparative entre les sexes pour le ministère. Je suis accompagné aujourd'hui de Harriet Jackson, directrice générale, Direction de la politique économique et budgétaire, et de Martine Lajoie, qui dirige le travail réalisé par notre ministère sur l'analyse comparative entre les sexes.

On constate un engagement renouvelé au gouvernement fédéral à l'égard de l'Analyse comparative entre les sexes, connue sous les acronymes ACS ou ACS+, afin de veiller à son intégration aux propositions de politiques, de programmes et de financement présentées aux fins d'étude par le Cabinet et dans le cadre du processus budgétaire. Des représentants du Bureau du Conseil privé et du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada ont collaboré avec Condition féminine Canada afin de s'assurer que l'ACS est mise en application aux propositions étudiées par le Cabinet. Cet engagement contribuera à garantir que tous les ministères feront de la mise en œuvre de l'ACS une priorité.

Plus récemment, dans son énoncé économique de l'automne 2016, le gouvernement s'est engagé à soumettre le budget de 2017 et tous les budgets subséquents à une analyse plus rigoureuse en réalisant et en publiant une analyse comparative entre les sexes de l'incidence des mesures budgétaires. Il s'agit là d'une nouvelle étape importante afin de s'assurer que le processus décisionnel budgétaire se fonde sur une analyse plus rigoureuse et plus inclusive, qui tient compte des répercussions selon le sexe et d’autres facteurs de diversité.

[Traduction]

Finances Canada tient compte des conséquences sexospécifiques et des autres conséquences liées à la diversité dans le cadre de l’élaboration des politiques et de l’analyse des propositions budgétaires, s’il y a lieu, et si des données sont produites depuis un certain temps.

Je suis heureux de vous parler de certaines des initiatives qui ont déjà été mises en œuvre au ministère des Finances en ce qui a trait à l’analyse sexospécifique ainsi que d’initiatives plus récentes qui soutiennent la mise en œuvre de l’analyse sexospécifique dans le processus décisionnel budgétaire.

Le ministère des Finances est la principale source gouvernementale d’analyse et de conseils sur les affaires économiques et financières du Canada.

Dans certains domaines stratégiques, le ministère est le chef de file au sein du gouvernement du Canada. Le ministère est le principal responsable de l’élaboration des politiques sur les lois fiscales et tarifaires, les transferts fédéraux importants vers les provinces et les territoires, le cadre législatif réglementaire pour le secteur financier et la représentation du Canada au sein des institutions financières internationales.

Le ministère fournit également des analyses et des conseils sur le mérite économique et sur les conséquences financières des politiques et des programmes proposés par d’autres ministères.

Les responsables ministériels sont membres d’une vaste équipe de représentants fédéraux du Bureau du conseil privé et du Secrétariat du Conseil du Trésor, qui examine les options et les conséquences — y compris les conséquences sexospécifiques — des propositions qui sont présentées au Cabinet. En tant que dirigeant de certains domaines stratégiques et d’organisme central, je constate que ces deux rôles ont modelé les activités du ministère relatives à l’analyse comparative entre les sexes.

Cette analyse est un outil stratégique clé pour l’évaluation des conséquences potentielles des politiques, des plans et des programmes proposés sur les gens de divers sexes et présentant d’autres facteurs interreliés, comme la race, l’âge, l’identité autochtone, la scolarité, la langue, la culture et le revenu, et sert à appuyer un processus décisionnel éclairé.

Le ministère des Finances procède à une analyse comparative entre les sexes à l’égard de toutes les nouvelles propositions de politique, y compris les mesures fiscales et relatives aux dépenses, s’il y a lieu, et si des données sont produites depuis un certain temps.

Le sexe et les autres facteurs interreliés sont intégrés dans tous les aspects du processus budgétaire fédéral. Nos consultations prébudgétaires sont tenues annuellement et sollicitent le point de vue de divers intervenants, y compris les points de vue sexospécifiques ainsi que ceux d’autres groupes de diversité.

Dans le cadre de son rôle de remise en question, le ministère des Finances examine les propositions budgétaires présentées par les autres ministères et organismes et donne au ministre des Finances des conseils sur les décisions relatives au financement. Nous exigeons des ministères et organismes qu’ils tiennent compte de tous les facteurs pertinents, y compris le sexe, au moment d’élaborer une politique ou un programme à prendre en considération dans le budget. Lorsque des ministères et des organismes soumettent leurs propositions budgétaires, nous exigeons que leur analyse comparative entre les sexes fasse partie des documents de la proposition.

En ce qui concerne les nouvelles politiques, les nouveaux plans ou les nouveaux programmes qui proviennent de Finances Canada, les analystes du ministère effectuent une analyse sexospécifique afin de déterminer si la proposition entraînera des répercussions importantes sur divers groupes de femmes et d’hommes. Cette analyse peut être brève si une évaluation initiale permet de conclure qu’il n’y aura probablement aucune répercussion importante sur les sexes ou qu’il y en aura peu, ou l’analyse peut être longue, si une évaluation initiale indique qu’il pourrait y avoir d’importantes répercussions selon les sexes. L’analyse sexospécifique peut comprendre une analyse statistique ou une simulation budgétaire des répercussions sur les sexes. Un résumé des résultats de l’analyse sexospécifique est inclus dans les conseils budgétaires adressés au ministre des Finances.

Compte tenu de l’engagement pris dans l’Énoncé économique de l’automne 2016 du gouvernement, le budget de 2017 sera le premier à publier les résultats de cette analyse. Cet engagement complète bien les autres efforts déployés actuellement au sein du gouvernement fédéral. Ensemble, ces efforts contribueront à renforcer la mise en œuvre de l’analyse sexospécifique dans l’ensemble des ministères.

Finances Canada dirige cet engagement dans le cadre de sa responsabilité de base de livrer le budget fédéral. L’approche est en cours d’élaboration, et le ministère collabore étroitement avec Condition féminine Canada, étant donné son expertise considérable sur ce sujet. Cette collaboration nous aidera non seulement à honorer l’engagement pris par le gouvernement dans le budget de 2017, mais aussi à étudier des façons de faire en sorte que le sexe et d’autres questions touchant la diversité puissent mieux éclairer le processus décisionnel relatif au budget dans l’avenir.

En dehors du processus budgétaire, le ministère des Finances travaille avec les ministères et les organismes afin de s’assurer que l’analyse comparative entre les sexes a été pleinement prise en compte durant l’élaboration des mémoires au Cabinet.

Au ministère, nous avons mis en œuvre un certain nombre d’initiatives visant à appuyer la mise en œuvre d’analyses sexospécifiques rigoureuses et à nous assurer que nos analyses comparatives entre les sexes sont pertinentes et classées dans un ordre de priorité adéquat.

Pour les analystes et les cadres supérieurs qui exercent la fonction de remise en question ou qui participent à l’élaboration des politiques et des programmes, nous avons rendu obligatoire le cours en ligne Introduction à l’analyse comparative entre les sexes plus offert par Condition féminine Canada.

Nous offrons une formation propre au ministère sur l’analyse sexospécifique afin que nos analystes et nos économistes soient qualifiés pour mener des analyses sexospécifiques dans le cadre de l’élaboration des propositions dirigées par le ministère des Finances ou lorsqu’ils examinent des analyses sexospécifiques fournies par d’autres ministères ou organismes.

Nous avons conçu des outils propres au ministère des Finances à utiliser pour effectuer une analyse sexospécifique à l’égard de toutes les propositions budgétaires. Ces outils intègrent également l’établissement des caractéristiques démographiques des divers groupes de femmes et d’hommes, comme la race, l’âge, l’identité autochtone, l’éducation, la langue, la culture et le revenu, afin d’élargir les analyses sexospécifiques pour qu’elles englobent également les répercussions liées à la diversité.

Nous prenons part à des groupes de travail interministériels sur l’analyse sexospécifique aux échelons du sous-ministre adjoint et des subalternes afin de nous assurer que nous apprenons les pratiques exemplaires d’autres ministères et organismes.

En outre, nous observons chaque printemps la Semaine de sensibilisation à l’analyse comparative entre les sexes du gouvernement et organisons des communications et activités spéciales afin d’accroître davantage la sensibilisation à l’analyse comparative entre les sexes et les connaissances à ce sujet.

Les engagements relatifs à l’analyse sexospécifique sont intégrés dans les ententes de gestion du rendement de l’ensemble des cadres de direction du ministère. Plus précisément, les cadres de direction sont tenus de respecter les engagements du ministère afin de permettre l’étude par le ministère des répercussions sexospécifiques potentielles des initiatives stratégiques proposées. Ils sont également tenus de veiller à ce que les employés — s’il y a lieu — aient suivi le cours en ligne obligatoire de Condition féminine Canada.

Le ministère des Finances n’a pas fait partie du dernier audit portant sur la mise en œuvre de l’analyse comparative entre les sexes, mais il avait pris part à l’audit précédent, mené en 2009. Depuis, nous travaillons à l’amélioration de nos outils et processus relatifs à l’analyse sexospécifique — que j’ai décrits précédemment — afin de nous assurer que nous respectons les engagements que nous avons pris à cet égard.

Dans la réponse du gouvernement au quatrième rapport du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes, déposé en juin 2016, le ministère, ainsi que d’autres organismes centraux, s’est également engagé à étudier des façons de mieux communiquer publiquement le rôle et la valeur ajoutée de sa fonction de remise en question relativement à l’analyse sexospécifique. Ces travaux sont en cours.

L’obstacle le plus important auquel nous faisons face relativement au fait de procéder à une analyse comparative entre les sexes tient aux données ventilées par sexe. Nos collègues de Statistique Canada produisent le rapport Femmes au Canada, qui présente certaines des meilleures données ventilées par sexe sur un certain nombre de sujets, comme la santé des femmes, les femmes sur le marché du travail ainsi que les familles et la situation des particuliers dans les ménages, lesquelles servent de preuve à utiliser dans le cadre de nos analyses. Toutefois, il reste des lacunes.

Un grand nombre de ministères et d’organismes partagent aussi cette préoccupation. Nous étudions ensemble des façons d’améliorer la collecte des données et l’accès aux données. Dans le cas des propositions fiscales élaborées au sein du ministère des Finances, les analystes de la Direction de la politique de l’impôt ont recours à un éventail de sources de données, y compris des données liées à des renseignements qui permettent une analyse détaillée des facteurs sexospécifiques et d’autres facteurs de diversité.

Un autre obstacle, c’est le fait que les ministères et les organismes sont responsables de la mise en œuvre de l’analyse sexospécifique à l’égard des propositions présentées par leur ministre respectif et que, comme nous le savons — à la lumière des rapports du vérificateur général —, ces analyses ont été mises en œuvre de façon inégale et sans uniformité. Du point de vue de la fonction de remise en question, cela signifie que nous recevons de chaque organisme fédéral des commentaires dont la forme, le style et la profondeur diffèrent; ainsi, il peut être difficile d’intégrer cette information dans nos conseils d’une manière significative.

Nous avons pris acte des nouveaux outils mis au point par le Bureau du conseil privé, comme la liste de contrôle des considérations stratégiques. En tant qu’organismes centraux, nous allons travailler ensemble afin de tenter d’harmoniser la façon dont nous demanderons aux ministères et organismes de rendre compte de leur analyse sexospécifique, étant donné que nous utilisons tous cette information d’une manière semblable afin de donner des conseils au ministre.

J’espère vous avoir donné une idée claire du mandat et du rôle du ministère des Finances en ce qui a trait à l’analyse comparative entre les sexes. Grâce à nos efforts collectifs, nous veillons à ce que des conséquences liées au sexe et à d’autres éléments de diversité soient intégrées de façon significative dans le processus décisionnel du ministère et du Cabinet et que ces décisions soient sensibles aux répercussions potentielles sur divers groupes d’hommes et de femmes.

La sénatrice Nancy Ruth: Merci beaucoup. Je sais qu’il s’agit d’un processus. Je sais qu’il a fallu des décennies pour en arriver jusque-là. J’espère qu’il ne faudra que quelques années pour l’améliorer.

L’absence de données ventilées par sexe pose un énorme problème. Je sais que le BCP a produit certains rapports sur les familles monoparentales, mais vous n’avez pas séparé les données, alors je ne sais pas combien de familles ont un homme ou une femme à leur tête. Je sais que Kevin Page a joué avec l’idée de procéder à une analyse sexospécifique, il y a très longtemps, mais qu’il ne l’a pas fait. On cherche toujours à apporter des améliorations.

La formation en ligne offerte par Condition féminine ne me branche vraiment pas particulièrement. Ce n’est pas que l’instrument n’ait pas de valeur, mais il est extrêmement difficile de mesurer quels en sont les résultats. On peut former les gens, et alors? Quelles politiques ont changé? Comment le fait-on?

Monsieur le sous-ministre adjoint, votre rapport contient beaucoup de commentaires au sujet de prendre les commandes, de passer à l’action, et ainsi de suite, mais je ne sais pas ce que cela signifie. Je vous serais très reconnaissante si vous ou certains de vos représentants pouviez me dire ce qui se passe vraiment et s’il s’agit de la division de l’impôt ou d’une autre division de votre ministère. Qu’est-ce qui se passe, et qu’est-ce que cela change — le cas échéant — relativement au cours en ligne qui est suivi?

Je veux aussi savoir — cette question s’adresse aussi au bureau du budget — si Condition féminine possède les ressources nécessaires pour vous aider, disons, relativement à une question fiscale, à une question de politique sociale ou à autre chose?

J’ai écouté les propos qu’a tenus le sous-ministre de la Santé, l’autre jour, au sujet de l’analyse sexospécifique au sein de son ministère. À ce que j’ai cru comprendre, même s’il est maintenant question d’une conversation par courriel, l’analyse sexospécifique a presque été appliquée à la fin de l’élaboration de la politique. C’est tout à fait absurde. Si elle n’est pas effectuée au début de l’élaboration de la politique, cela ne fonctionnera pas.

Il y a une autre question dont je veux connaître la réponse: avez-vous regardé ce que font l’Argentine et la Suède, et ainsi de suite? Je me pose un tas de questions au sujet de la façon dont cela fonctionne vraiment.

M. Botham: Essentiellement, mon interprétation de votre question, madame la sénatrice, est la suivante: pourquoi faisons-nous ce que nous faisons, et est-ce que cela change les choses?

La sénatrice Nancy Ruth: Oui. Je comprends bien que vous ne disposez pas de suffisamment de données pour être aussi rigoureux que nous le voudrions tous.

M. Botham: Oui. Tout d’abord, je reviens sur un des éléments mentionnés dans ma déclaration au sujet du genre d’engagement qu’a pris le ministère.

De mon point de vue, pour que notre ministère soit plus efficace…

La sénatrice Nancy Ruth: Je ne veux pas entendre parler d’engagements. Je veux entendre parler de résultats.

M. Botham: Très bien. Ce que j’espère, c’est que mes commentaires vous amènent à des résultats, mais, si je ne réponds pas à la question de façon satisfaisante, je sais que vous ferez un suivi.

Pour être efficace et pour obtenir des résultats, il faut désigner quelque chose en tant que priorité. Si ce n’est pas une priorité, les gens ne prendront pas de mesure à cet égard. C’est là que je commence par l’engagement.

Ainsi, une priorité a été établie. C’en est une pour tous les cadres de direction du ministère, de même que pour les employés.

Si l’on veut obtenir un résultat, le deuxième volet consiste à s’assurer que les gens disposent des outils nécessaires pour prendre les mesures nécessaires à l’obtention de ce résultat. En réalité, le début de ce volet, c’est la formation en ligne. Sans diminuer la valeur de cet outil, c’est celui dont nous disposons; alors, une fois que nous avons établi pour le ministère qu’il s’agit des choses que les analystes devraient intégrer dans leur travail quotidien, nous devrons nous assurer qu’ils sont capables de faire cela, d’où la formation en ligne et le fait que l’on veille à ce que tous les analystes aient accès à cette formation. Nous l’avons rendue obligatoire afin qu’ils la reçoivent.

Le troisième volet, en ce qui concerne les objectifs et les résultats, c’est la mesure dans laquelle nous procédons efficacement à la mise en œuvre de cette priorité, et vos commentaires sur les données ainsi que les miens ne visent qu’à souligner qu’il s’agit d’un processus que nous devons suivre. Comme tout type de conseil stratégique que nous donnons au ministre, nous devons commencer par les données qui sont accessibles. Nous découvrons où se situent les lacunes et comment nous devons améliorer ce processus. Il s’agit vraiment d’un processus. C’en est un que nous avons intégré dans notre travail, mais que nous intégrerons plus pleinement cette année, puis dans le cadre des budgets subséquents.

Vous avez également mentionné l’importance de l’intégration de cette analyse à l’avant-plan du processus stratégique, alors, je pense que, là où nous le faisons, c’est au moment des deux poussées de nos activités ministérielles auxquelles j’ai fait allusion. La première, c’est dans le cadre de nos travaux en tant qu’organisme central exerçant la fonction de remise en question, alors, c’est vraiment à l’avant-plan du processus stratégique. C’est dans le cadre de l’élaboration des mémoires au Cabinet que présentent les ministres.

C’est intégré à l’avant-plan, puis aussi dans notre propre travail interne, dans le cas des choses dont Finances Canada est l’unique responsable à l’intérieur du gouvernement du Canada. C’est intégré à l’avant-plan du processus stratégique parce que cette analyse éclaire nos conseils à l’avant-plan, quand des conseils sont adressés au ministre concernant des propositions précises, dans le cadre du processus budgétaire ou en dehors de ce processus.

La sénatrice Nancy Ruth: Pourriez-vous simplement me raconter une histoire, me donner un exemple? Cela fait beaucoup de mots — ce que vous avez dit —, mais je ne sais toujours pas ce que vous voulez dire.

M. Botham: J’ai un peu de difficulté à vous donner un exemple réel.

La sénatrice Nancy Ruth: Donnez-en un d’il y a deux ans ou quelque chose.

M. Botham: Parce que tous nos exemples réels concernant le processus budgétaire sont liés au budget. Il y a des cas où la question concerne une politique. Tous les enjeux liés à des politiques sont étudiés, alors il y a des cas où la question est étudiée. On procède à une évaluation initiale, puis on détermine que le sexe n’est pas un facteur important dans le dossier de la politique en question. Je pourrais choisir un exemple pour lequel une personne sera en mesure d’établir une conséquence liée au sexe dont je ne suis pas au courant, mais, dans le cas d’une question d’espèce à risque — si un oiseau est à risque dans une certaine région du pays —, en général, il faudrait que nous procédions à une analyse comparative entre les sexes à ce sujet. Toutefois, notre évaluation initiale ne nous permettrait probablement de conclure à aucune conséquence liée au sexe.

Un autre cas serait un enjeu touchant le marché du travail. S’il s’agit d’un problème lié à la formation, on procède à une évaluation initiale. Je pense que, dans un cas comme celui-là, on déterminerait clairement qu’il s’agit d’un enjeu qui aura probablement des conséquences liées au sexe. Ensuite, nos analystes sont tenus d’approfondir leur réflexion au sujet des nombreuses dimensions de cet enjeu, d’un point de vue sexospécifique, afin d’établir quels sont les éléments et de trouver des données pertinentes qui éclairent le ministre au sujet de ces divers aspects. On remplit un long formulaire d’analyse et on l’intègre dans notre compte rendu général sur l’enjeu en question, et ce compte rendu est présenté simultanément au ministre afin qu’il se penche sur cette question.

La sénatrice Nancy Ruth: Pouvez-vous nous parler un peu de ce long formulaire? Que contient-il?

M. Botham: Nous avons un modèle standard qui est mis à la disposition de tous les analystes. Nous offrons également des séances d’information afin qu’ils comprennent comment les utiliser.

Elle commence par la nature de l’initiative. Il est question du fait qu’une analyse comparative entre les sexes a été effectuée ou non par un autre ministère afin que nous puissions nous en inspirer, de déterminer si elle était satisfaisante, si des problèmes ont été manqués et d’effectuer un suivi si nous estimons que nous possédons des renseignements à mettre à profit à ce sujet.

Nous déterminons qui étaient les groupes cibles de l’initiative. Cela influera-t-il différemment sur divers groupes de femmes et d’hommes, de diverses manières? Le cas échéant, comment? L’initiative améliore-t-elle la situation pour tous ces groupes? Y aurait-il des conséquences imprévues, des effets négatifs? Y a-t-il des obstacles…

La sénatrice Nancy Ruth: S’agit-il de cadres à cocher, ou bien de paragraphes analytiques? De quoi s’agit-il?

M. Botham: Ce sont des paragraphes analytiques à l’intérieur d’un texte de conseils.

La sénatrice Nancy Ruth: Je me rappelle que, quand Sheila Fraser a effectué le premier audit d’analyse sexospécifique, elle n’a pas été très gentille envers le ministère des Transports. Le ministre de l’époque avait dit: « De quoi parle-t-elle? Les transports, ça n’a pas de sexe. » J’ai dit: « Non, les femmes vivent dans les villes; les pauvres vivent dans les villes. Si vous ne faites que construire des ponts et des routes, vous ne répondez pas aux besoins des gens du Canada. »

À mes yeux, votre premier exemple ressemble un peu à la construction de routes. Construisons-nous de nouvelles routes près de la centrale nucléaire de Pickering afin que nous puissions déplacer quoi que ce soit, et quelles seront les conséquences sur les femmes? Voilà où je veux en venir; laissez-moi l’expliquer ainsi. Je ne suis pas certaine que mes questions actuelles vont me mener où que ce soit, alors j’espère que certains des autres sénateurs reviendront là-dessus.

Je voulais toutefois savoir — je m’adresse au directeur parlementaire du budget —: vous relevez de la Bibliothèque du Parlement. Votre bureau a-t-il reçu de la bibliothèque des directives précises concernant l’analyse sexospécifique?

M. Fréchette: Non, parce que nous relevons de la Bibliothèque du Parlement uniquement à des fins administratives. Je veux dire par là seulement le budget. Le budget vient de la Bibliothèque du Parlement.

Nos activités sont indépendantes à l’intérieur de la Bibliothèque du Parlement, elle-même indépendante, alors elles sont fondées sur nos propres plans de fonctionnement. Comme je l’ai mentionné dans mon exposé, la bibliothèque a ses propres lignes directrices, et ainsi de suite. Je travaillais à la bibliothèque il y a 20 ans. Nous avions une formation, et c’est là qu’a commencé ma formation, il y a 20 ans. Le Bureau du directeur parlementaire du budget s’exploite lui-même; nous avons nos propres politiques, nos propres lignes directrices.

Vous avez parlé du résultat. La situation du Bureau du directeur parlementaire du budget est un peu différente de celle des ministères. Nous ne faisons pas d’élaboration de politiques. Ce que j’ai souligné dans mon exposé au sujet du budget de 2017, c’est que nous allons avoir besoin de collaborer et de communiquer avec les ministères, avec le Conseil du Trésor et avec le ministère des Finances. Ils possèdent les renseignements, comme l’a mentionné mon collègue, M. Botham. Ils ont les séances d’information qu’ils présentent au ministre. Ces séances d’information ne sont pas toujours publiques. À nos yeux, il sera essentiel d’avoir accès à ces documents dans l’avenir, si nous devons effectuer une analyse des mesures budgétaires incluses dans le budget de 2017. Cela dit — si je le puis, monsieur le président —, je voudrais ajouter quelque chose d’important. Nous parlons de priorités, d’accès à l’information et à des données, et ainsi de suite. On peut avoir toutes les priorités, et les ministères peuvent avoir toutes les lignes directrices qu’on voudra, mais il faut qu’il y ait du leadership quelque part.

Vous avez mentionné la Bibliothèque du Parlement. J’échange des renseignements avec ma collègue, la bibliothécaire parlementaire, et elle m’a fait part de certaines des suggestions que vous avez formulées.

En voici une:

Les présidents de comités et les membres de comités de direction doivent être des « champions » de l’analyse sexospécifique et des droits de la personne et s’assurer que cela a lieu dans le cadre des travaux de leur comité.

Je travaille avec des comités, alors je comprends cela, car j’ai besoin de ce champion. Je ne peux pas être le champion de l’analyse sexospécifique, car je ne suis qu’un agent au service des parlementaires. À mon avis, cette suggestion est essentielle.

La sénatrice Nancy Ruth: Je suis heureuse de l’entendre. Monsieur le président, si je puis simplement formuler deux choses de plus: je comprends qu’il s’agit d’une priorité. Bien entendu, je cherche à en faire une norme, pas une priorité, mais je voudrais obtenir certaines réflexions sur l’Argentine et sur la Suède. Y a-t-il des leçons que le ministère des Finances a tirées en ce qui a trait à leur expérience budgétaire?

M. Botham: À vrai dire, je ne connais pas bien ces cas. Peut-être qu’une de mes collègues pourrait vous en dire plus.

Harriet Jackson, directrice générale, Direction de la politique économique et budgétaire, ministère des Finances du Canada: Je vous remercie de la question. Actuellement, nous nous intéressons à diverses choses mises en œuvre dans d’autres pays, en particulier en Suède. Chaque année depuis 1988, je crois, on y publie une annexe au budget. Cette annexe comprend une analyse comparative entre les sexes applicable au budget ainsi que d’autres données qui brossent un portrait de la situation des femmes dans différents domaines.

Nous essayons de comprendre comment c’est fait. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec Condition féminine Canada là-dessus. Toutefois, d’après ce que nous savons, il n’existe pas de version traduite; il n’y a pas de version anglaise, mais nous nous intéressons quand même à ce qui est fait.

Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec l’OCDE. Cette organisation a toute un éventail de suggestions axées sur l’égalité entre les sexes relativement au budget et à la présentation de rapports. Nous en sommes encore aux étapes préliminaires, et nous allons collaborer aussi étroitement que possible avec Condition féminine Canada sur le contenu du rapport ainsi que sur la façon dont nous allons le préparer.

La sénatrice Nancy Ruth: Si vous comptez étudier ce qui se passe en Argentine, allez-vous présenter une demande — un mémoire — à l’ambassadeur pour vous procurer les ressources nécessaires d’Ottawa?

Mme Jackson: Bien sûr, nous allons demander toute l’aide et l’information que nous pouvons avoir pour préparer notre rapport.

La sénatrice Ataullahjan: Dans l’Énoncé économique de l’automne, le ministère des Finances du Canada a indiqué qu’il allait appliquer l’analyse comparative entre les sexes aux mesures budgétaires. Le ministère est-il doté de personnel ayant des connaissances spécialisées relativement aux droits à l’égalité et à l’égalité entre les sexes? Dans le cadre de l’analyse comparative entre les sexes des mesures budgétaires, allez-vous aussi vous pencher sur d’autres formes connexes de discrimination, par exemple la langue, la race ou l’orientation sexuelle?

M. Botham: Je vais commencer, puis je vais céder la parole à ma collègue.

En réponse à la première question, je ne crois pas qu’il soit juste de dire qu’un employé ou un autre du ministère a une expertise précise et spéciale dans ce domaine. C’est pour cette raison que nous collaborons avec Condition féminine Canada; cette organisation est, pour être honnête, notre centre d’expertise. En même temps, comme je l’ai mentionné, certains membres du personnel ont suivi une formation pour appliquer ces notions. En outre, comme Mme Jackson l’a mentionné, nous ne nous limitons pas à Condition féminine Canada pour ce nouvel engagement; nous savons que nous pouvons tirer des pratiques exemplaires d’autres organisations.

Mme Jackson: Il y a plusieurs personnes au sein de notre ministère qui sont très à l’aise pour préparer des modèles économiques complexes; elles consultent les données et étudient les impacts des différentes propositions stratégiques sur diverses catégories de femmes qui se trouvent dans différentes fourchettes de revenu. Dès que nous avons des données pertinentes, nous pouvons élaborer les modèles et les outils qui nous serviront pour l’analyse.

En même temps, M. Botham a dit vrai quand il a affirmé qu’il n’y a aucun expert en économie au ministère qui soit un spécialiste de l’égalité entre les sexes. C’est pourquoi nous travaillons en étroite collaboration avec Condition féminine Canada. Ensemble, je crois que nous avons l’expertise pour l’établissement de modèles, et Condition féminine Canada peut nous aider à voir les choses sous le bon angle.

La sénatrice Ataullahjan: Je peux comprendre la frustration de la sénatrice Nancy Ruth lorsqu’elle entend des choses comme « formation pour appliquer ces notions ». Qu’est-ce que cela veut dire? Faites-vous un suivi pour vous assurer que tout le monde fait ce qu’il est censé faire? Je ne sais pas. J’ai l’impression de ne pas obtenir de réponses. Pourquoi votre personnel ne compte-t-il pas d’experts en la matière?

M. Botham: Il y a deux éléments à votre question, si j’ai bien compris.

D’abord, nous faisons un suivi continu. Nous faisons un suivi pour veiller à ce que les gens suivent la formation, puis il y a une évaluation continue de l’efficacité de la formation; on veut que les gens appliquent ces compétences pour la préparation des documents d’analyse.

Pour être satisfaisante, l’analyse doit être exhaustive et doit pouvoir être utilisée par les cadres du ministère, au même titre que n’importe quelle autre analyse doit être exhaustive quant à sa portée, son contenu et sa pertinence. C’est un effort continu, et tous les conseils sont évalués de cette façon. On applique l’ACS à tous les conseils concernant les nouvelles politiques et l’élaboration de programmes. C’est quelque chose que nous ne manquons jamais de faire.

Pourquoi n’avons-nous pas formé ni engagé des experts dans d’autres domaines? Selon moi, c’est parce que nous avons l’impression, actuellement, d’être capables de remplir les engagements pris par le ministère.

Nous en sommes à une nouvelle étape, autant en ce qui concerne les analyses que les rapports publics connexes découlant de l’engagement pris dans l’Énoncé économique qui s’appliqueront au budget. Il viendra peut-être un moment où nous allons réaliser que nous n’avons pas l’expertise nécessaire pour remplir nos engagements. Le cas échéant, il va sans dire que nous allons adopter la même approche que nous utilisons pour tous les problèmes liés aux politiques. Si nous ne sommes pas en mesure de fournir des conseils de haute qualité, alors nous allons nous doter d’experts en conséquence.

Le ministère devra peut-être composer avec cela au cours des prochains mois, mais je ne crois pas que nous pouvons nous prononcer là-dessus actuellement.

La sénatrice Martin: Vous avez répondu en partie à la question que j’allais poser, mais pour donner suite à la question de la sénatrice Nancy Ruth et aux commentaires de la sénatrice Ataullahjan, je voulais savoir si vous examiniez toujours les choses sous le même angle, à chaque étape, et si cela allait garantir l’application permanente de l’ACS à tous les niveaux.

Vous avez dit que vous travaillez en étroite collaboration avec Condition féminine Canada, mais à quelle fréquence communiquez-vous? Discutez-vous en personne autour d’une table? Je sais que vous êtes toujours très occupés, mais je voulais savoir s’il vous arrivait souvent de discuter en personne.

Martine Lajoie, conseillère senior, Direction du développement économique et des finances intégrées, ministère des Finances du Canada: Nous faisons partie d’un groupe ou d’un réseau de représentants de différents ministères qui se rencontrent tous les trimestres.

Habituellement, c’est le champion de l’ACS ou le représentant de chaque ministère qui rencontre Condition féminine Canada, le Bureau du conseil privé, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada ainsi que notre ministère afin de faire le suivi, dans l’ensemble, des progrès de chaque ministère par rapport à la mise en œuvre de l’ACS, aux obstacles, aux difficultés et à la façon de tirer parti des leçons retenues par les autres ministères. Le but du processus est d’établir une base de connaissances pour tous les ministères.

Au cours des derniers mois, le renouvellement de l’engagement a eu pour effet d’accroître l’intérêt de tous les ministères; ils veulent s’assurer que nous tirons tous parti des pratiques exemplaires.

Condition féminine Canada a délaissé récemment ses réunions trimestrielles au profit de réunions sectorielles avec les différents ministères afin d’élargir les discussions sur les dossiers concernant plus d’un ministère — mais pas tous —, et nous participons également à ces réunions.

La sénatrice Martin: Tous les trois mois, c’est peu. En ce qui concerne les réunions sectorielles, je sais à quel point les semaines sont chargées. Je crois que cela témoigne de la nécessité d’avoir une personne permanente pour cela au sein du ministère. C’est ce que j’en conclus; merci d’avoir répondu à ma question.

Mme Lajoie: Permettez-moi d’ajouter quelque chose. Nous avons des réunions officielles avec Condition féminine Canada, mais nous tenons aussi des discussions lorsque l’une de nos analyses révèle l’existence d’un problème. Nous collaborons efficacement avec Condition féminine Canada pour nous assurer d’avoir les bons outils et de comprendre correctement les problèmes. Je sais aussi que Condition féminine Canada a aidé un certain nombre d’autres ministères à élaborer des propositions ainsi qu’à appliquer l’ACS.

Il y a aussi les réunions officielles des champions qui servent à faire un suivi et à vérifier où en sont les choses, mais, dans le cadre des activités quotidiennes, les discussions se font tout le long de l’élaboration des propositions.

La sénatrice Martin: D’accord, merci.

Le président: Merci beaucoup. Il nous reste encore environ 15 minutes pour cette discussion fascinante.

La sénatrice Omidvar: À l’instar de mes trois collègues qui ont pris la parole avant moi, je crois que les sénateurs ont de la difficulté à se représenter concrètement ce que vous faites en pratique, à comprendre l’impact de l’investissement gouvernemental. C’est pourquoi je vais poser des questions très concrètes.

Au cours des prochaines semaines, le Sénat va se pencher, espérons-le, sur le projet de loi C-2, un projet de loi qui prévoit une réduction d’impôt pour la classe moyenne. Votre ministère a-t-il effectué une analyse comparative entre les sexes de ce projet de loi? C’est ma première question.

Le cas échéant, pouvez-vous nous faire part de vos résultats afin de contribuer au débat sur ce projet de loi? Cela nous serait très utile. Ça nous apporterait du concret.

Ma deuxième question: pouvez-vous nous donner un exemple de cas où vous avez examiné, dans le cadre d’une analyse sur, disons, une politique sociale, le travail non rémunéré des femmes?

M. Botham: Par rapport au projet de loi, c’est certain. Il devrait y avoir eu une analyse comparative entre les sexes de la proposition avant qu’elle soit présentée au ministère des Finances, conformément au processus budgétaire.

Vous avez demandé si nous pouvions vous en faire part. C’est un document confidentiel du Cabinet, parce que cela fait partie de nos conseils budgétaires au ministère. Ce n’est pas quelque chose que je peux vous transmettre.

La sénatrice Omidvar: Nous pourrons nous débrouiller.

M. Botham: En réponse à votre dernière question, celle sur le travail non rémunéré et les politiques sociales, je suis désolé. Mon travail ne concerne pas les questions de politique sociale, alors je ne peux pas vous donner d’exemple concret et pratique pour affirmer que cela a été fait dans un cas donné ou dans l’ensemble des cas. Je ne connais pas assez bien les conseils formulés par rapport aux politiques sociales.

Toutefois, si le comité le souhaite, je pourrais faire le suivi auprès du ministère pour voir si je peux vous donner une réponse précise à votre question.

La sénatrice Omidvar: Vous pouvez aussi nous donner une réponse détaillée, mais je vous prie de nous donner une réponse plus tard.

M. Botham: Absolument.

La sénatrice Nancy Ruth: J’aimerais m’assurer que vous comprenez que le travail rémunéré des femmes doit toujours, toujours, toujours être pris en considération lorsqu’une analyse comparative entre les sexes est effectuée, peu importe la politique en question.

Je demanderais aux deux femmes qui vous ont accompagné: est-ce que cela a été fait au ministère des Finances?

Mme Lajoie: Comme M. Botham l’a dit, je ne connais pas assez bien l’élaboration des propositions relatives aux politiques sociales.

La sénatrice Nancy Ruth: Je parlais de l’analyse comparative entre les sexes. Il est impensable d’effectuer l’ACS, ou l’ACS+, sans prendre en considération la vie des femmes. La vie des femmes suppose encore, dans une grande mesure au Canada, beaucoup de travail non rémunéré.

À votre âge, je suis convaincue que vous en faites toutes deux beaucoup. Je voulais seulement m’assurer que cela était pris en considération, parce que je soupçonne que ce n’est pas le cas. Je veux encourager le ministère à le faire.

M. Botham: Monsieur le président, peut-être que je pourrais vous revenir là-dessus, en particulier pour cette question du travail non rémunéré. Nous allons devoir vérifier dans quelle mesure cela fait partie des diverses analyses que nous effectuons.

Le président: Quelque chose me dit que ce sera compris dans le rapport.

[Français]

La sénatrice Gagné: Je vais aborder la question d’une façon différente. Je comprends qu'il y a un engagement de la part du gouvernement à l’égard de ce dossier et qu’il en fait une priorité. Des outils seront mis à la disposition des gens pour faciliter l'approche préconisée. On voudra évaluer l'efficacité de sa mise en œuvre.

Il y a aussi la question du leadership. Un changement de culture organisationnelle au sein du gouvernement s’impose pour modifier les comportements et la façon de gérer le changement en ce qui concerne l'analyse comparative entre les sexes. Comment pouvons-nous, quotidiennement, par des gestes concrets qui reflètent les valeurs et les attitudes souhaitées, nous assurer de la réussite d’une transformation culturelle?

M. Botham: J'ai mentionné les outils fournis aux employés et les priorités du ministère, mais c'est avec la mise en œuvre d’une nouvelle approche publique que l’on pourra démontrer le succès ou l’échec. Le ministère doit prévoir les mesures dans le budget pour le démontrer, et il s’agit d’une nouvelle étape pour nous.

M. Fréchette: Je vais utiliser une analogie imparfaite avec les langues officielles. En matière de culture, la sénatrice Nancy Ruth a exprimé son désir d’en faire une norme. Une analyse sexospécifique fait partie des mœurs des gens, car c’est dans leur réflexe, mais parfois, les gens oublient de penser.

Jamais il ne viendrait à l'esprit des employés de la fonction publique de créer un document qui ne deviendrait pas éventuellement bilingue. Ils suivent des formations à ce sujet régulièrement, alors personne ne pense à rédiger un document qui ne sera jamais traduit. Il a fallu de nombreuses années pour réaliser ce changement dans le respect des langues officielles.

Ce changement de culture viendra aussi pour l'analyse comparative entre les sexes. Il faudra un certain temps. Cela fait 20 ans, alors c’est un processus relativement jeune.

La sénatrice Gagné: Je vous remercie de ce commentaire. Vous avez compris le fondement de ma question. Cela rejoint les propos de la sénatrice Nancy Ruth lorsqu'elle a utilisé l’exemple du ministre des Transports qui ne savait pas comment s'y prendre. Nous savons qu'une transformation de la culture est importante au sein d'une entreprise et d'un gouvernement. Cependant, il faut savoir la structurer de façon à pouvoir intervenir pour gérer et encourager ce changement. C'est un bon départ, et je suis consciente de l'effort soutenu qui est nécessaire pour le faire.

Prenons l'exemple de l'équité salariale, une cause à laquelle j'ai travaillé pendant 30 ans. Les défis sont encore présents. Il n’y a pas eu cette transformation de culture dont je parle.

Mme Lajoie: Le ministère mène des campagnes de sensibilisation sur la nécessité de mettre l’accent sur l'analyse comparative entre les sexes. Il offre des outils et de la formation, mais il a décidé de rendre certaines formations obligatoires, ce qui démontre son engagement. C'est une façon de sensibiliser davantage la population et d’apporter des changements à la culture aussi.

Chaque printemps, comme M. Botham l'a indiqué dans ses remarques initiales, nous célébrons la Semaine de l'analyse comparative entre les sexes. Il s’agit d’une semaine de sensibilisation où des activités sont organisées pour tous les employés afin qu’ils en apprennent davantage sur l'analyse comparative entre les sexes. Maintenant, les outils sont fournis, la formation est offerte et les analystes l'appliquent quotidiennement pour fournir des conseils au ministre.

Comme M. Botham l'a indiqué, toutes les notes d’information adressées au ministre comportent une section obligatoire sur les résultats de l'analyse comparative entre les sexes. Pour appuyer cette analyse, on dispose de documents dans lesquels les analystes rendent compte des réalisations des ministères ou effectuent leur propre analyse lorsqu'ils élaborent une politique. C'est un changement de culture, mais nous avons des outils et des mécanismes en place pour sensibiliser davantage les gens à l'ACS+.

[Traduction]

Le président: Merci. Rapidement, j’ai deux ou trois questions avant de conclure. Je veux rappeler aux sénateurs que nous allons passer à huis clos pendant cinq minutes après les délibérations publiques afin de discuter du Règlement administratif du Sénat.

Je tiens pour acquis que le Bureau du directeur parlementaire du budget et le ministère des Finances ont consulté le grand public afin de retenir des services d’experts et d’ainsi élaborer, disons, une ACS plus plus. Avez-vous fait cela? Avez-vous tenté de mobiliser des gens qui auraient davantage d’expertise dans ce domaine que ceux qui siègent à Ottawa?

M. Botham: De notre côté, nous sommes d’avis que Condition féminine Canada est le centre d’expertise pour cela au sein du gouvernement. Je ne sais pas si notre ministère a vraiment tenté de mobiliser d’autres groupes en particulier afin de nous aider à effectuer l’analyse comparative entre les sexes plus.

Peter Weltman, directeur principal, Analyse des coûts et des programmes, Bureau du directeur parlementaire du budget: Pour nous, cela dépend de chaque projet. Quand nous avons examiné les pensions, les soins de santé et les prestations pour les anciens combattants, nous avons retenu les services d’organisations qui avaient la capacité, dans une certaine mesure, d’effectuer l’ACS.

Le président: Nous ne pouvons ni vivre ni fonctionner de façon compartimentée. Je crois que la sénatrice Nancy Ruth l’avait déjà mentionné. Je m’adresse directement au patron du Bureau du directeur parlementaire du budget. Les parlementaires, moi y compris, doivent renforcer leur compréhension de la situation. Je viens de jeter un coup d’œil au sondage en ligne, et tout ce que je peux dire, en tant que parlementaire, c’est « aidez-moi ».

Comment comptez-vous aider les parlementaires? Nous demandons aux ministères de faire tout cela. Il y a 105 sénateurs et 338 députés. Je crois qu’un sondage en ligne va aider à amorcer le processus. Êtes-vous prêts à faire le travail, à tenir des séminaires pour aider les gens à comprendre, à offrir des formations de ce genre pour les parlementaires? L’objectif ultime est d’adopter des lois en appliquant l’ACS plus.

M. Fréchette: Ce n’est pas le Bureau du directeur parlementaire du budget qui va se charger de la formation. À ce chapitre, un problème se profile à l’horizon pour nous. Comme je l’ai mentionné, nous allons devoir composer avec des difficultés au cours des prochaines années par rapport à l’ACS appliquée aux mesures budgétaires.

Au sein du Bureau du directeur parlementaire du budget, la formation est un processus continu. Nous sommes une petite organisation. Nous comptons 14 analystes, c’est tout. Nous avons besoin de plus de ressources. C’est pourquoi j’espère que davantage de ressources nous seront accordées lorsque les nouvelles mesures législatives seront déposées. Il faut que cette nouvelle difficulté soit prise en considération dans le budget 2017.

Le président: Merci beaucoup. Nous sommes une équipe, et nous vous sommes très reconnaissants d’être venus témoigner aujourd’hui. Je crois que vous nous avez tous aidés. Nous allons bientôt avoir terminé notre rapport, et nous allons y ajouter le bon travail effectué par la fonction publique. Nous ne pouvons pas passer sous silence le travail important de la fonction publique. Nous vous en sommes très reconnaissants.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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