Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

Rapport du comité

Le vendredi 2 juin 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l’honneur de déposer son

QUATORZIÈME RAPPORT

Votre comité, qui a été autorisé à examiner la teneur des éléments des sections 30, 31, 34 et 39 de la partie 4, et de la sous-section B de la section 3 de la partie 4 du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023, a, conformément à l’ordre de renvoi du jeudi 27 avril 2023, examiné ladite teneur du projet de loi et en fait maintenant rapport comme il suit :

Le comité a tenu cinq heures de réunions, en mai 2023, au cours desquelles il a entendu les témoins suivants : l’honorable David Lametti, ministre de la Justice et procureur général du Canada; des représentants du ministère de la Justice du Canada; des représentants du ministère des Finances; Philippe Dufresne, commissaire à la protection de la vie privée du Canada; Jennifer Poirier, cheffe d’équipe, conseillère juridique principale, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada; Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada; Anne Lawson, sous-directrice générale des élections, Affaires régulatoires, Bureau du directeur général des élections; Rachel Huggins, coprésidente du comité consultatif sur les drogues de l’ACCP, Association canadienne des chefs de police; Jean-Pierre Larose, chef, Nunavik Police Service; Jonathan Noonan, avocat, Noonan Piercey; Michael Rowe, membre du comité sur les amendements législatifs de l’ACCP, Association canadienne des chefs de police.

Observations générales

Le comité réitère les préoccupations dont il avait fait état dans son dernier rapport sur un projet de loi d’exécution du budget (le projet de loi C-19, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022 et mettant en œuvre d’autres mesures; Cinquième rapport, 44e législature, 1re session) en ce qui concerne des changements et ajouts substantiels aux lois criminelles proposés dans cette mesure législative. Les modifications aux lois criminelles soulèvent d’importantes questions constitutionnelles et juridiques qui nécessitent une étude minutieuse en comité et un débat approfondi au Sénat. Ces préoccupations s’appliquent tout autant aux modifications proposées aux lois électorales qui engagent également de grandes valeurs démocratiques et suscitent des questions juridiques.

Le projet de loi C-47 compte 430 pages. Il n’y a pas eu suffisamment de temps ou d’occasions de recevoir de témoignage pour analyser en profondeur ses dispositions renvoyées au comité et l’impact de ses amendements. Cela ne rend pas service au processus législatif et au mandat du comité qui comprend l’examen des affaires juridiques et constitutionnelles. Ceci est particulièrement préoccupant en ce qui concerne les amendements au Code criminel et à la Loi électorale du Canada.

Le comité recommande que ce type de modifications fasse l’objet de projets de loi distincts.

Le Comité a déjà fait rapport de plusieurs décennies de modifications sporadiques au Code criminel qui ont mené à des dispositions complexes et parfois répétitives ou inconsistantes ainsi que de la nécessité d’entreprendre un examen complet et une réforme du Code (voir par exemple les pages 47 à 49 du rapport du Comité de 2017 intitulé « Justice différée, justice refusée »). Le Comité réitère sa recommandation qu’un organisme indépendant soit chargé de mener un examen exhaustif du Code criminel. La Commission du droit du Canada, nouvellement rétablie, pourrait entreprendre une telle évaluation qui comprendrait une étude de toutes les dispositions du Code criminel relatives à la violence envers les femmes, en particulier la violence entre partenaires intimes et la violence familiale.

Section 30 de la partie 4 – Loi sur la Société canadienne des postes

Cette section modifie le paragraphe 41(1) de la Loi sur la Société canadienne des postes en réponse à la décision de la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador dans l’affaire R. v. Gorman (2022 NLSC 3) pour limiter le pouvoir de la Société canadienne des postes d’ouvrir les envois, à l’exclusion des lettres. La modification établit une norme objective basée sur un soupçon raisonnable pour justifier l’ouverture de tout envoi autre que des lettres. Le comité prend note du témoignage de M. Jonathan Noonan, avocat de l’accusé dans l’affaire R. c. Gorman, qui estime que l’amendement rendra cet article conforme à la Constitution.

Le comité note que les restrictions imposées sur l’ouverture du courrier sont plus sévères pour Postes Canada que pour les autres transporteurs privés exerçant des activités au Canada, et que la Loi sur la Société canadienne des postes prévoit des protections de la vie privée différentes pour les lettres que pour les autres envois traités par Postes Canada. De plus, ces règles empêchent la police d’ouvrir et de saisir toute lettre ou tout autre courrier pris en charge par Postes Canada.

L’Association canadienne des chefs de police a déclaré ceci :

[Si] la police a des motifs raisonnables de croire qu’un paquet contenant du fentanyl ou une arme prohibée est envoyé par la poste, elle ne peut légalement prendre possession du paquet ou l’ouvrir tant que celui-ci n’a pas été livré à son destinataire… Les lois canadiennes doivent être modernisées et prévoir la surveillance judiciaire nécessaire pour protéger la vie privée, mais aussi protéger les citoyens contre le trafic de matériel dangereux par la poste. [traduction des bleus]

Le comité prend note du témoignage des représentants de l’ACCP et de la police du Nunavik qui ont déclaré qu’il est urgent de s’attaquer au problème du trafic de produits de contrebande par l’entremise de Postes Canada, dont les produits expédiés dans du courrier de format lettre. Le comité s’inquiète particulièrement des risques pour la sécurité publique et des conséquences du trafic de fentanyl en utilisant Postes Canada, notamment dans les collectivités éloignées.

Le comité prend note également aux déclarations des représentants de l’ACCP et de la police du Nunavik selon lesquelles la modification proposée par le projet de loi C-47 à la Loi sur la Société canadienne des postes ne permet pas aux inspecteurs de Postes Canada d’ouvrir les lettres du régime intérieur pour intercepter des objets de contrebande, comme ils sont autorisés à le faire pour le courrier autre que les lettres. Par conséquent, les changements proposés ne permettent pas de régler le problème du trafic de marchandises de contrebande, en particulier le fentanyl, envoyées par lettre en passant par Postes Canada.

Le comité note que l’Assemblée des chefs du Manitoba, qui représente 62 Premières Nations, a demandé que des modifications soient apportées au paragraphe 41(1) de la Loi sur la Société canadienne des postes afin de permettre aux inspecteurs de Postes Canada d’ouvrir le courrier pour rechercher des produits de contrebande, lorsqu’il existe des motifs raisonnables de le faire. Le comité note également que les agents des douanes canadiennes ont été autorisés à ouvrir le courrier venant de l’étranger pour intercepter des produits de contrebande, après l’adoption, en 2017, du projet de loi C-37, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Le comité recommande donc que le Parlement et le gouvernement du Canada s’intéressent de toute urgence à ces questions afin de les régler.

Section 31 de la partie 4 – Loi sur les titres royaux de 2023

Cette section édicte la Loi sur les titres royaux de 2023, qui stipule que le Parlement du Canada consent à l’établissement des titres et des styles royaux du roi Charles III pour le Canada. Il s’agit de :

Charles Trois, par la grâce de Dieu, Roi du Canada et de ses autres royaumes et territoires, Chef du Commonwealth.

Cette loi est similaire à la précédente Loi sur les titres royaux, L.R.C. (1985), ch. R-12, adoptée après l’accession de la reine Élisabeth II en 1953, sauf qu’elle n’inclut pas le titre de “Défenseur de la foi” et ne fait pas référence au Royaume-Uni.

Le comité n’a pas reçu de mémoires ni de témoignage concernant la section 31 de la partie 4 au cours de son étude.

Section 34 de la partie 4Code criminel (taux d’intérêt criminel)

Cette section modifie le Code criminel afin, notamment, de réduire le taux d’intérêt criminel et de limiter le coût d’emprunt. Elle permet d’abaisser le taux d’intérêt criminel d’un taux annuel effectif de 60 % à un taux annuel de 35 %. En termes réels, si le taux d’intérêt est exprimé en pourcentage annuel pour les deux, le taux réel diminue de seulement 47 % à 35 %. Cette section permet également au gouverneur en conseil de fixer, par règlement, une limite au coût total de l’emprunt dans le cadre d’une convention de prêt sur salaire ou à exempter le financement provisoire.

Le comité reconnaît la nécessité d’avoir un taux d’intérêt criminel clair et cohérent, fixé à un niveau raisonnable, afin de protéger les Canadiens contre les pratiques de prêt injustes ou problématiques. Les personnes qui utilisent des produits de crédit à coût élevé, assortis de frais d’intérêt élevés, ou qui sont vulnérables aux pratiques de prêt à des conditions abusives risquent de se retrouver piégées dans un cycle d’endettement. Le comité reconnaît également que de nombreux Canadiens ont la possibilité d’emprunter de l’argent à des établissements de crédit stables ou à différentes autres sources de crédit fiables. Cependant, même avec les amendements apportés au taux d’intérêt criminel - le réduisant de 47% à 35% - trop de personnes parmi les plus marginalisées sur le plan économique resteront isolées de ces institutions ou d’autres sources fiables de crédit et risquent de rester piégées dans des cycles d’endettement. Le comité recommande que plus d’étude soit entrepris sur autres moyens par lesquels le gouvernement pourrait aider davantage les personnes les plus marginalisées sur le plan économique à échapper à la pauvreté.

Section 39 de la partie 4 – Loi électorale du Canada

Le comité reconnaît que tous les partis politiques fédéraux doivent mettre en place des mesures de protection solides pour protéger les renseignements personnels des électeurs canadiens. Ces mesures de protection, ou leur absence, peuvent agir sur la confiance des Canadiens dans les partis politiques et, par extension, sur le processus électoral en général.

Cette section modifie la Loi électorale du Canada pour établir un régime national, uniforme, exclusif et complet applicable aux partis politiques enregistrés et aux partis admissibles relativement à la collecte, à l’utilisation, à la communication, à la conservation et au retrait de renseignements personnels par ceux-ci. L’amendement crée un cadre pour un futur régime potentiel. Il n’établit pas réellement un tel régime.

Le comité encourage l’établissement d’un régime national uniforme en ce qui concerne la collecte, l’utilisation, la communication et la conservation des renseignements personnels des électeurs par les partis politiques fédéraux.

Le comité insiste de nouveau sur le fait que les modifications à la Loi électorale du Canada devraient faire l’objet d’un projet de loi séparé pour être examinées de manière approfondie. Ces modifications à la Loi électorale du Canada ne devraient être entreprises qu’après consultation du Directeur général des élections et du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, ce qui n’a pas été le cas pour ce projet de loi.

Sous-section B de la section 3Code criminel (actifs numériques)

Cette section modifie le Code criminel et des lois connexes pour autoriser expressément la recherche, la saisie, la détention et la restitution d’actifs numériques qui sont des produits de la criminalité. Cette section allonge également la liste des infractions pour lesquelles le procureur général peut demander un mandat concernant la divulgation de renseignements relatifs à l’impôt sur le revenu pour les besoins d’une enquête criminelle.

Le comité a entendu des témoignages concernant les difficultés que posent pour les enquêtes criminelles les formes d’actifs et de monnaies numériques qui ne cessent d’évoluer.

Le comité n’a pas été en mesure d’évaluer l’adéquation des outils et des procédures nécessaires pour faire face aux défis en constante évolution inhérents aux fouilles et aux saisies dans le cadre d’enquêtes criminelles concernant des actifs numériques et les diverses formes de monnaies virtuelles, numériques et non traditionnelles.

Le comité insiste encore pour dire que les modifications aux lois criminelles devraient faire l’objet d’un projet de loi distinct afin d’en permettre une étude approfondie.

Respectueusement soumis,

Le président,

BRENT COTTER


Haut de page