Rapport du comité
Le jeudi 6 juin 2019
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a l’honneur de déposer son
DIX-NEUVIÈME RAPPORT
Votre comité, qui a été autorisé à examiner la teneur des éléments de la section 25 de la partie 4 du projet de loi C-97, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2019 et mettant en œuvre d’autres mesures, a, conformément à l’ordre de renvoi du jeudi 2 mai 2019, examiné ladite teneur du projet de loi et en fait maintenant rapport comme il suit :
Le 28 août 2017, le premier ministre a annoncé la dissolution du ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada et la création de deux ministères : Services aux Autochtones Canada et Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. Le processus visant à établir les deux ministères est en cours, mais le projet de loi C-97, s’il est adopté, officialiserait leur création.
Le gouvernement fédéral a fait savoir que ce changement au sein de l’appareil gouvernemental avait été recommandé dans le rapport final de la Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA), publié en 1996. Or, selon certains témoins, la dissolution du ministère n’était qu’un aspect mineur du plan proposé par la CRPA pour restructurer la relation entre les peuples autochtones et le Canada[1]. Par ailleurs, le Comité croit que, même si la CRPA a élaboré ses recommandations en concertation avec les peuples autochtones, le rapport final ne devrait pas remplacer un processus de consultation en bonne et due forme sur la dissolution du ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada.
Selon une lettre des ministres des Services aux Autochtones et des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, le gouvernement fédéral a tenu plus d’une centaine de séances de consultation sur la création des deux ministères depuis février 2018[2]. Certaines de ces sessions faisaient peut-être partie de l’engagement pris par le gouvernement fédéral d’élaborer un projet de Cadre pour la reconnaissance et la mise en œuvre des droits[3]. La lettre précise que les ministères ont travaillé avec des organisations telles que l’Assemblée des Premières Nations sur les modifications législatives proposées dans la section 25 de la partie 4 du projet de loi C-97[4]. Le Comité n’a été informé des amendements éventuels à la section 25 du projet de loi C-97 que par l’intermédiaire de la lettre des ministres, qu’il a reçue en soirée le 28 mai 2019. Ces amendements éventuels lui sont parvenus trop tard pour qu’il en tienne compte dans son étude préalable du projet de loi C-97[5].
Cependant, l’Assemblée des Premières Nations a informé le Comité qu’il n’y a pas eu de véritable consultation sur la création des deux ministères et possiblement d’un troisième ministère. D’autres témoins ayant comparu devant le comité, dont les représentants de l’Assemblée des chefs du Manitoba et de la Nation des Cris d’Onion Lake, ont exprimé les mêmes réserves. L’Assemblée des Premières Nations a ajouté estimer que « les gouvernements et les organisations représentatives des Premières Nations n’ont pas eu assez de temps pour examiner attentivement et analyser le projet de loi, pour obtenir des avis juridiques sur les questions abordées dans le projet de loi et pour produire des mémoires sur le sujet[6] ». Le manque de consultation a même amené certains témoins à affirmer que leurs droits issus des traités ont été violés[7], et d’autres témoins à recommander la suppression de la section 25 de la partie 4 du projet de loi C-97[8]. Le Comité est au fait, bien entendu, de l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), qui porte précisément sur la question de la consultation préalable à l’adoption de lois et sur le fait que le gouvernement fédéral n’a pas l’obligation légale de consulter durant le processus législatif. En revanche, le Comité est aussi au fait de l’engagement pris par le gouvernement fédéral à l’égard de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), qui demande expressément aux États de consulter pleinement les peuples autochtones au moment de rédiger des lois touchant leurs droits et d’obtenir leur approbation.
Le Comité est déçu d’entendre, encore une fois, qu’une mesure législative ayant des conséquences importantes dans la vie des Autochtones n’a pas fait l’objet d’une véritable consultation. La situation est d’autant plus inquiétante que le gouvernement fédéral a donné son appui à la mise en œuvre de la DNUDPA, qui prévoit le droit des peuples autochtones de participer aux processus de décisions qui les concernent, notamment à l’article 18, un droit qui n’a pas été respecté dans le cadre du projet de loi C-97. Le comité est conscient qu’il reste peu de temps avant la fin de la session parlementaire, mais, pour garantir la tenue de consultation en bonne et due forme des peuples, communautés et organisations autochtones, le comité recommande :
Recommandation 1
Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales amende le projet de loi C-97 en y supprimant la section 25 de la partie 4 et en la présentant dans un projet de loi distinct afin de favoriser la participation des titulaires de droits autochtones au processus législatif.
Recommandation 2
Que Services aux Autochtones Canada et Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada :
· mènent d’autres consultations auprès des peuples, des communautés et des organisations autochtones sur la création de deux ministères pour remplacer le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord et possiblement d’un troisième ministère des Affaires du Nord;
·fassent rapport au comité, d’ici un an, de l’état d’avancement du processus de consultation et des progrès réalisés pour s’attaquer aux questions soulevées, notamment par les Premières Nations au sujet des traités antérieurs à 1975, et de la nomination, facultative ou obligatoire, d’un ministre des Affaires du Nord.
[1] Sénat, Comité permanent des peuples autochtones [APPA], Témoignages, 1re session, 42e législature, 16 mai 2019 (Veldon Coburn, membre de la faculté, Écoles d’études autochtones et canadiennes, Université Carleton, à titre personnel; Scott Serson, ancien sous-ministre, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, à titre personnel).
[3] Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, Mobilisation nationale sur la reconnaissance des droits autochtones.
[6] Assemblée des Premières Nations, mémoire présenté au Comité sur le projet de loi C-97, 21 mai 2019.
[7] Assemblée des Premières Nations, mémoire présenté au Comité sur le projet de loi C-97, 21 mai 2019; APPA, Témoignages, 1re session, 42e législature, 16 mai 2019 (Craig Makinaw, chef, Nation crie Ermineskin).
[8] Assemblée des Premières Nations, mémoire présenté au Comité sur le projet de loi C-97; APPA, Témoignages, 1re session, 42e législature, 14 mai 2019 (Marcel Balfour, analyste principal des politiques, Assemblée des chefs du Manitoba); APPA, Témoignages, 1re session, 42e législature, 16 mai 2019 (Craig Makinaw, chef, Nation crie Ermineskin; Okimaw Henry Lewis, chef, Nation des Cris d’Onion Lake).
Respectueusement soumis,
La présidente,
LILLIAN EVA DYCK