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MDRN - Comité spécial

Modernisation du Sénat (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial
sur la Modernisationdu Sénat

Fascicule n° 1 - Témoignages du 9 mars 2016


OTTAWA, le mercredi 9 mars 2016

Le Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat se réunit aujourd'hui, à 11 h 2, pour examiner les façons de rendre le Sénat plus efficace, plus transparent et plus responsable dans le cadre constitutionnel actuel.

Le sénateur Tom McInnis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs, j'aimerais tout d'abord souhaiter la bienvenue au grand public à cette première séance télévisée du comité.

Le comité spécial a été créé le 11 décembre 2015 dans le but d'examiner les façons de rendre le Sénat plus efficace, plus transparent et plus responsable dans le cadre constitutionnel actuel. Au terme de son étude, un rapport, assorti de recommandations, sera déposé au Sénat.

Ce matin, nous avons le plaisir de recevoir, M.David Smith, de l'Université Ryerson. Soyez le bienvenu, monsieur Smith.

M.Smith a enseigné à l'Université de la Saskatchewan pendant plus de 40 ans. Il a rédigé des ouvrages sur les trois parties constituantes du Parlement, dont un sur le Sénat qui s'intitule The Canadian Senate in Bicameral Perspective, et qui a été publié en 2003. Son plus récent livre est Across the Aisle: Opposition in Canadian Politics.

Monsieur Smith, veuillez commencer votre exposé, et ensuite, je suis certain que les sénateurs auront des questions à vous poser.

David E. Smith, chercheur émérite invité, Université Ryerson, à titre personnel : Merci beaucoup. Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui pour discuter de la question importante du Sénat du Canada au XXIe siècle.

J'ai quelques observations à faire, mais sachez que le document que je vous ai remis est l'aboutissement de plusieurs mois de réflexion sur la Chambre haute dans le contexte du renvoi à la Cour suprême du Canada de 2014.

J'aimerais aussi parler de ce qu'on pourrait appeler une «démocratie avec auditoire». Bref, les gens regardent — au sens propre comme au figuré — ce qui se passe ici. Ils suivent les travaux du Sénat, de la Chambre des communes, et je pense même, de la Couronne.

Pendant la majeure partie de notre histoire, cela n'a peut-être pas toujours été le cas, mais ce n'est plus vrai. On pourrait rédiger plusieurs thèses pour expliquer ce qui s'est passé. Cependant, quel que soit le nombre, elles porteraient surtout sur la question de confiance et les définitions de ce terme.

Je vous recommande A Question of Trust, écrit par Onora O'Neill et lancé par la BBC dans le cadre de sa série «Reith Lectures 2002». C'est assez bref, mais très intéressant, à mon avis.

En ce qui concerne le Sénat, il a retenu l'attention du public, non seulement à cause du procès du sénateur Duffy, mais aussi de la controverse entourant certaines dépenses. La création d'une société de responsabilisation, et pas seulement au Canada, se trouve partout: les agents du Parlement, et le vérificateur général en particulier; la Commission Gomery; la Charte canadienne des droits et libertés; l'affaire Omar Khadr; les Premières Nations; le gouverneur général, les pouvoirs de prérogative et la question de la prorogation; et l'environnement. Les gens ont été sensibilisés à la politique, au gouvernement et aux institutions dans une mesure encore jamais vue jusqu'ici. Ce phénomène a été appuyé par les médias sociaux, qui sont devenus, pour des raisons bonnes ou mauvaises, une explication par défaut — que je ne trouve pas satisfaisante, car je ne comprends pas très bien les médias sociaux, mais les gens ne cessent de dire à quel point ils sont importants, et je n'en doute pas —, mais je ne crois pas qu'on connaisse bien les liens qui les unissent. Le monde est rempli d'opinions. Il en a toujours été ainsi, mais aujourd'hui, on peut les exprimer et les publier avec une rapidité fulgurante.

Dans ce nouvel environnement, le Sénat a un nouveau rôle à jouer, et il ne doit pas se contenter d'être une pâle imitation de la Chambre des communes. Je ne suis pas certain si j'ai utilisé cette métaphore — et sachez que j'ai un faible pour les métaphores — dans ce document: la métaphore de la piscine. On dit souvent que le Parlement est comme une piscine. La partie profonde représente la Chambre des communes et la partie peu profonde, le Sénat. Je ne suis pas d'accord avec ça. Je pense que la piscine a la même profondeur des deux côtés. Ce qui diffère, c'est la température de l'eau à une extrémité par rapport à l'autre. Selon moi, il est important que la partisanerie et toute la passion que les débats suscitent soient plus intenses dans une partie que dans l'autre.

La décision de la Cour suprême rend explicites les facteurs à l'origine d'un Sénat moderne. Il est question de fédéralisme, de bicaméralisme, d'indépendance et de la méthode de sélection des sénateurs. Dans ce nouveau monde, je dirais qu'il est hypocrite, et même méprisant, de décrire le Sénat comme Preston Manning l'a fait, et je le cite :

À Ottawa, il y a une institution qui est le rêve de tout humoriste. Lorsqu'on y examine ses occupants et ses activités, on y voit des possibilités infinies de ridicule, de sarcasme, de rires, de larmes — bref, toute la gamme des émotions. Cette institution s'appelle le Sénat du Canada.

Si cela vous intéresse, vous pouvez trouver la suite dans Canadian Pie, de Will Ferguson, paru en 2011, ou dans The Penguin Anthology of Canadian Humour — plutôt surprenant d'y trouver cette citation.

Je dis hypocrite et méprisant, mais je pense aussi que cette citation est intéressante puisqu'elle se termine par «cette institution s'appelle le Sénat du Canada.» Je ne suis pas certain, mais j'ai l'impression que lorsqu'on parle du Sénat — et je ne fais pas strictement allusion à M.Manning — on a recours à l'anthropomorphisme. Autrement dit, on attribue des qualités humaines au Sénat, alors qu'en fait, il y a 105 sénateurs. Je pense que, depuis toujours, au Canada, les détracteurs ont tendance à parler «du Sénat» comme s'il s'agissait d'une assemblée sans individualité. Naturellement, nous parlons aussi de la Chambre des communes, mais je pense que cette dernière est davantage perçue comme une institution composée de personnalités. On considère presque le Sénat comme un groupe abstrait, ce qui mène à une mauvaise compréhension de leur réalité.

Robert Baldwin, ce grand réformateur du XIXe siècle au Canada, a affirmé lors d'un débat au Parlement du Canada-Uni que l'objet de son idolâtrie était le Canada. Je crois que je suis d'accord avec lui, et si vous avez lu Coming to Terms, vous savez que j'aime beaucoup l'histoire. Malheureusement, je ne représente pas bien mes concitoyens.

Si on laisse tomber l'impérialisme, en dehors du Québec, je pense qu'il y a très peu d'intérêt pour l'histoire canadienne. C'est très malheureux, surtout pour le Sénat et surtout lorsqu'on parle du Sénat. Plus que toute autre institution nationale, le Sénat a été au service de l'histoire, en permettant à la Confédération de voir le jour.

Le grand écrivain William Faulkner a déjà dit: «Le passé n'est pas mort. Il n'est même pas encore passé.» Je suis d'accord avec lui, surtout lorsqu'on parle des institutions, en particulier au Canada. Le moment présent fait en quelque sorte partie du passé. C'est l'avenir du passé dans le présent.

On pourrait abolir le Sénat, bien que ce serait très difficile, comme nous le savons, mais on ne pourrait pas abolir les raisons qui justifient d'avoir un Sénat. On n'y arriverait pas. On a beau se débarrasser de l'institution; les raisons justifiant cette institution demeurent.

Le Sénat est une institution originale et très différente de la Chambre des lords. Certains de mes amis politicologues le comparent à la Chambre des lords. Ils ont tort et ont toujours eu tort. Ils ont encore plus tort aujourd'hui qu'à l'époque où ils le disaient.

Après 1832 et la Loi sur la réforme, lorsque la classe moyenne a obtenu le droit de vote en Grande-Bretagne, la Chambre des lords a commencé à disparaître, et en 1910, à des fins législatives, les lords se décidèrent à céder.

Le Sénat est original et son histoire diffère de la Chambre des lords. Pour cette raison, il est trompeur de dire que la Constitution du Canada repose sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni, et c'est ce que stipule la première ligne du préambule de la Loi constitutionnelle. Je suis en train d'écrire un livre pour réfuter ça. Je considère que c'est trompeur. Le Canada est très différent.

En revanche, si le Sénat est original, la Chambre des communes, quant à elle, serait une copie de la Chambre basse de Westminster. Bien qu'elle ne soit pas identique, elle tire manifestement son origine du Parlement de Westminster. Parmi les différences, il y a le fait qu'il s'agit d'une fédération et que les sièges y sont attribués selon les provinces, ce qui n'est pas le cas en Grande-Bretagne. Par ailleurs, avec le temps, le Sénat en est venu à représenter les différences régionales, linguistiques, religieuses, ethniques, culturelles et économiques.

Patrick Boyer, un ancien député de la Chambre des communes, qui a aussi beaucoup écrit sur la démocratie directe au Canada, a rédigé, il y a quelques années, un ouvrage intitulé Our Scandalous Senate. Je ne veux pas le critiquer — il est capable de se défendre lui-même —, mais je considère que ses arguments sont tout à fait représentatifs du genre d'arguments qu'on nous sert toujours. C'est ce que j'appellerais des arguments extérieurs. Selon lui, le Sénat fait partie d'un honorable récit de la création, une sorte de genèse politique canadienne.

Je crois qu'il se trompe complètement. Il n'a pas examiné ce qui s'est produit. Le Sénat joue le rôle que les Pères de la Confédération ont prévu pour lui à l'origine. Le Sénat n'est pas une institution sans importance; il est un élément central. Les détracteurs du Sénat ont tendance à le percevoir comme un simple symbole, mais il n'en est pas un. Il est essentiel pour comprendre la création du Canada.

Anthony King, un politicologue britannique, a écrit un livre l'an dernier intitulé Who Governs Britain, dans lequel il y présente la Chambre des lords comme un organe accessoire, qui n'est pas au centre de la politique britannique.

On ne peut pas dire ça à propos du Canada. En fait, c'est plutôt l'inverse. Je dirais que le Sénat est au cœur de la politique canadienne. Sans le Sénat, il n'y aurait pas de Canada. C'est pourquoi il leur a fallu six jours, comme nous le savons, pour en arriver à une entente.

Qui plus est, le gouvernement britannique est un gouvernement strictement représentatif. William Riker, un politicologue américain, a affirmé, il y a quelques décennies, que le Royaume-Uni était en fait unicaméral depuis 1910.

Ce n'est pas vrai au Canada. Le bicaméralisme est une caractéristique indispensable de notre Constitution et un principe fondamental de la décision de la Cour suprême de 2014. Pour cette raison, la complémentarité des Chambres est une condition essentielle au fonctionnement du Parlement. Le gouvernement ne peut pas abandonner le Sénat. Les pouvoirs du Sénat sont limités dans une certaine mesure, mais cela dit, je considère que c'est quelque chose de très important.

Les décisions d'une assemblée politique bicamérale nécessitent la convergence ou la fusion des points de vue. Un parlement bicaméral est une conciliation des points de vue de la Chambre basse et de la Chambre haute qui nous permet de mettre en œuvre les politiques.

Le Sénat n'est pas un organe consultatif, et ce serait une grave erreur que d'employer un tel mot. C'est un organe législatif continu, ce qui n'est pas le cas de la Chambre des communes, où il y a des changements après chaque élection. Le Sénat est permanent. Évidemment, cette continuité peut faire l'objet de critiques, mais c'est ainsi que ça fonctionne. C'est un organe continu où on peut maintenir le dialogue, ce qui fait contrepoids à l'exécutif. C'est une Chambre de second examen objectif, non seulement pour le Sénat, mais aussi pour la Chambre basse.

Tout le monde conviendra qu'il ne peut pas renverser un gouvernement, mais très rarement, et malgré la controverse, il pourrait et même devrait remettre en question le gouvernement. Selon moi, c'est le rôle de la deuxième Chambre.

Soit dit en passant, je me demande quelle importance on accordera au bicaméralisme lorsqu'un projet de loi sur la réforme électorale sera déposé au Sénat. Chose certaine, ce sera une question très controversée.

Le Sénat et la Chambre des communes sont contigus sur le plan géographique, mais distincts sur le plan philosophique. Cela découle en partie de l'isolement du Sénat. Il a toujours été isolé. Après l'élection d'un gouvernement responsable, les gouverneurs et le gouverneur général ont compté presque exclusivement sur l'Assemblée législative pour maintenir le gouvernement au pouvoir, ce qui est très différent de l'époque coloniale.

Il est isolé sur le plan intellectuel. Si on pense aux trois auteurs d'ouvrages sur le Sénat du XXe siècle, MacKay, Kunz et Campbell, ces trois universitaires ont étudié le Sénat de façon isolée et, en fait, ils ont compartimenté leurs propres recherches.

Il n'y a eu personne comme Norman Ward, qui a passé toute sa vie à étudier la Chambre des communes, les députés, les dépenses électorales, le redécoupage et les règles de la Chambre. Personne d'autre ne s'est penché aussi sérieusement sur la question. Ce qui est intéressant à propos de MacKay, Kunz et Campbell, c'est que leurs trois ouvrages étaient en fait des thèses de doctorat. Ils n'avaient jamais écrit sur le Sénat auparavant, mis à part un article par Kunz, et n'ont jamais réécrit sur le sujet. C'est différent de Norman Ward, qui a consacré sa vie à examiner la Chambre des communes.

Ensuite, pour ce qui est de l'isolement, je pense que le Sénat est isolé sur le plan politique. C'est une terra incognita pour la plupart des citoyens. À quelques exceptions près, les sénateurs ne sont pas connus du public, et leurs travaux, c'est-à-dire leurs délibérations, ne sont pas reconnus.

On pourrait soutenir que le problème du Sénat est, en fait, la Chambre des communes — que le public et les médias considèrent que le Sénat n'est qu'un simple écho de la Chambre des communes. Il y a toute la question de la partisanerie et de l'ombre qui plane constamment — du moins dans l'esprit des détracteurs — sur le Sénat.

La décision de la Cour suprême de 2014 remet en question cette interprétation en raison de l'importance qu'elle accorde à l'indépendance du Sénat. Elle examine en long et en large la question de l'indépendance au sein d'un Parlement bicaméral.

Enfin, c'est à peu près tout ce que j'avais à dire. Je peux parler de mon document, mais la décision, à mon avis, est une analyse remarquable de la deuxième Chambre et de la place qu'elle occupe au Canada. Elle indique clairement que le Sénat est une institution canadienne qui veille aux besoins typiquement canadiens. Les juges n'ont pas examiné la façon dont on pourrait amener le public à reconnaître l'importance de la Chambre haute, mais je pense que c'est extrêmement important, et qu'en fait, il serait essentiel que le Sénat acquière une reconnaissance du public.

Voilà pour mes observations préliminaires. Je serai ravi de répondre à vos questions ou de vous en dire davantage au sujet du document que je vous ai remis. Il est divisé en sections, celles dont traite la Cour suprême — le fédéralisme, le bicaméralisme. Selon moi, et je ne voudrais pas avoir l'air du vieux grognon, mais la définition du fédéralisme que nous avons toujours entendu dans les universités canadiennes n'est pas tout à fait exacte. On a tendance à parler du fédéralisme américain.

Un Australien du nom de Wheare a écrit un célèbre livre intitulé Federal Government en 1945 ou en 1946. Il a dit que le principe fédéral est ce qu'il est aujourd'hui parce que les États-Unis sont devenus ce qu'ils sont, et que la Constitution canadienne est quasi fédérale. À la limite, elle serait quasi américaine, mais cela ne fait pas d'elle une Constitution moins fédérale pour autant. C'est une fédération différente.

Ce que la Cour suprême dit clairement, c'est que les défenseurs de la proposition triple E voulaient une représentation égale des provinces, mais les provinces ne sont pas les pierres d'assise du Canada. Ce sont les régions, les divisions sénatoriales, qui étaient au nombre de trois à l'origine: l'Ontario, le Québec, puis les Maritimes. On a ensuite reconnu les quatre provinces de l'Ouest comme la quatrième division. Si le fédéralisme est une question d'équilibre, c'est de là que vient l'équilibre.

Il y a un équilibre dans la vie économique et dans la vie professionnelle au Canada. Pourquoi la politique serait-elle différente? Pourquoi aurions-nous un système comme celui des États-Unis? La raison est simple: on n'a jamais conclu d'entente en vertu de laquelle toutes les provinces seraient traitées à égalité, et les provinces n'ont jamais été traitées équitablement, à commencer par la Chambre des communes. On a tenu de vastes négociations. C'est grâce au redécoupage si on s'est retrouvé, entre autres, avec cette formule byzantine d'attribution des sièges.

Ainsi, j'ai mentionné dans mon document les modifications constitutionnelles de 1915, qui devraient maintenant faire l'objet d'un consentement unanime en vertu de la formule d'amendement, suivant lesquelles aucune province ne peut avoir moins de députés qu'elle compte de sénateurs. Si vous appliquiez la même logique sans en déroger, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick auraient dix députés à la Chambre des communes alors que la Saskatchewan et le Manitoba, deux provinces plus peuplées, n'en auraient que six parce qu'elles n'ont pas davantage de sénateurs. Les choses ne se sont pas nécessairement déroulées de cette manière, mais le lien ainsi établi entre la Chambre des communes et le Sénat est très important. J'en traite d'ailleurs abondamment dans mon document. Le Sénat est une garantie de représentation pour les petites provinces.

J'ai l'impression que l'importance de cette corrélation ressort de plus en plus. En effet, les efforts déployés depuis une vingtaine d'années par les commissions de redécoupage pour en arriver à une égalité arithmétique quant au nombre de sièges dans les différentes provinces ont fait en sorte que des provinces comme le Nouveau-Brunswick et la Saskatchewan ont vu leur poids sénatorial prendre de l'ampleur comparativement à d'autres régions du pays. D'un point de vue proportionnel, des provinces comme la Saskatchewan, compte tenu de l'augmentation du nombre de sièges à la Chambre des communes... C'est d'ailleurs un autre élément à considérer. Le nombre de sièges ajoutés à la Chambre des communes au cours des 100 dernières années correspond au nombre total de sénateurs. En 1916-1917, il y en avait environ 220, et on en compte maintenant plus de 330. Les seuls sièges ajoutés au Sénat l'ont été lors de l'admission des territoires et de Terre-Neuve-et-Labrador. Chaque voix au Sénat prend donc une importance accrue.

J'ai enseigné pendant 40 ans. Mes étudiants ne pouvaient pas m'interrompre, mais vous pouvez certes le faire.

Le président : Il est très difficile de vous interrompre, car tout cela est fort intéressant. Je suis persuadé que vous pourrez nous en dire davantage en répondant aux nombreuses questions que les sénateurs ne manqueront pas de vous poser.

Le sénateur Joyal : Je vous souhaite encore une fois la bienvenue, monsieur Smith.

J'aimerais que nous réfléchissions ensemble à la question de l'indépendance du Sénat par rapport à la Chambre des communes, car c'est un peu ce qui ressort de votre exposé. Il y a deux entités au Parlement. Vous avez parlé de bicaméralisme. Aucune des deux Chambres n'est inférieure ou supérieure à l'autre; les deux sont sur le même pied quant à leurs rôles et leurs fonctions législatives.

À mon sens, l'un des éléments clés de l'arrêt de la Cour suprême est la reconnaissance de l'indépendance de notre institution. J'ai l'impression qu'il y a différents niveaux d'indépendance. Il y a d'abord l'indépendance du Sénat par rapport à la Chambre des communes étant donné que, comme vous l'avez indiqué, leurs rôles sont complémentaires. Pour danser, il faut être deux. C'est un peu comme le yin et le yang; les deux sont nécessaires pour assurer l'unité du Parlement — sans compter Sa Majesté, mais c'est un autre sujet que j'espère pouvoir aborder un de ces jours.

La question de l'indépendance est au cœur des considérations relatives au rôle du Sénat et au statut des sénateurs. Comme les sénateurs sont nommés en vertu d'une proclamation royale lue à leur arrivée en fonction, c'est cette proclamation qui définit leur statut, même si leur nomination a été recommandée par un premier ministre qui se trouve à être le chef du parti politique ayant la majorité des voix à la Chambre des communes ou qui est à la tête d'un gouvernement minoritaire. C'est ainsi qu'entrent en jeu différentes considérations quant au genre de travail attendu d'un sénateur dans l'examen des lois, car nous sommes essentiellement une Chambre d'examen. Nous sommes une Chambre législative qui se penche sur les projets de loi une fois que la Chambre des communes s'est déjà prononcée.

Comment percevez-vous cette indépendance de l'institution elle-même et des différents sénateurs dans leurs rôles respectifs? À mon avis, il y a deux niveaux d'indépendance par rapport au statut des sénateurs. Une fois que l'on aura bien défini ce cadre d'indépendance qui caractérise l'institution, je reviendrai au rôle des partis politiques au Sénat.

M.Smith : C'est une question complexe, notamment en raison de la terminologie utilisée. Le mot «indépendance» est à lui seul porteur de sens, et parfois de messages assez contradictoires. Je souligne dans mon document que la guerre d'Indépendance américaine a mené à la rupture des liens avec la Grande-Bretagne, mais qu'il y a d'autres manifestations d'indépendance qui n'aboutissent pas nécessairement à une rupture. Je cite à cet effet l'évolution de l'empire vers le Commonwealth et l'ouvrage de Peter Oliver. Le résultat est parfois une fusion.

L'une des difficultés, qui est en fait attribuable à l'existence de deux Chambres, vient du fait que le gouvernement, le pouvoir exécutif, siège au sein d'une seule de ces Chambres. Il n'y a pas actuellement de ministres provenant du Sénat, n'est-ce pas? La Chambre basse est la seule habilitée à prendre un vote de confiance. Où intervient alors l'indépendance? Et pour revenir à la question précédente, dans quelle mesure la Chambre haute peut-elle être indépendante?

À mon sens, l'indépendance du Sénat lui vient notamment du fait qu'il n'est pas assujetti à des directives quant à ses conclusions. Celles-ci peuvent aller à l'encontre de celles de la majorité à la Chambre basse, sans toutefois nécessairement les invalider. Ce n'est pas que purement théorique; nous parlons ici de mesures législatives bien concrètes. Il s'agit de voir comment les différentes opinions exprimées peuvent mettre en lumière les points faibles et les points forts d'un projet de loi. J'ai l'impression que c'est la manière dont l'indépendance se manifeste pour la seconde Chambre. Comme je le disais précédemment, personne ne s'attend, dans un régime parlementaire comme le nôtre, à ce qu'une Chambre formée de non-élus invalide le travail d'une Chambre qui doit rendre des comptes à la population, notamment dans le cadre du processus électoral.

À mon point de vue, le Sénat est indépendant dans la mesure où les gens ne le voient pas comme une institution dirigée de l'extérieur. Le Sénat n'est pas l'agent de qui que ce soit, l'un des grands avantages au fait que le Sénat soit isolé. Il peut ainsi se pencher en toute autonomie sur les questions dont il est saisi.

Comment concilier tous ces enjeux lorsque la partisanerie politique entre en ligne de compte? C'est une source de tension depuis bien longtemps déjà. Comme je l'indique dans mon document, la partisanerie ne me pose pas de problème particulier. Les choses se compliquent toutefois lorsque les orientations partisanes font obstacle à l'indépendance de jugement. C'est cependant une distinction très subtile qu'il est difficile d'établir à l'avance. Comme vous le savez beaucoup mieux que moi, la prise de décisions dans le cadre d'un processus législatif est le fruit de discussions, de la recherche d'un consensus et d'échanges de points de vue. J'estime que la seconde Chambre doit apporter sa contribution en exerçant en toute indépendance son jugement sur ces questions.

Est-ce que je suis trop vague?

Le sénateur Joyal : Non, mais je veux faire le lien avec le statut des sénateurs. Comment un sénateur tout à fait autonome et indépendant de la Chambre des communes et n'attendant pas de directives de celle-ci peut-il assumer son rôle au Sénat à l'intérieur d'un régime où le statut des partis politiques définit pour une bonne part le fonctionnement de la Chambre des communes? Comment concilier cette réalité avec les débats devant être tenus au Sénat, une Chambre d'examen qui, comme vous l'avez souligné, n'est pas nécessairement liée par les décisions prises par la Chambre des communes à l'égard d'un projet de loi donné?

M.Smith : La légitimité de la Chambre des communes lui vient du fait que les députés sont élus et ont un lien politique avec les citoyens qui forment le corps électoral. Ce n'est pas le cas pour le Sénat. C'est d'ailleurs la question qui semble revenir sans cesse: d'où le Sénat tire-t-il sa légitimité? À mon avis, elle lui vient du fait qu'il peut exercer son jugement expert en toute objectivité. Ce n'est pas l'obligation de rendre des comptes à la population qui fait du Sénat une institution légitime. Les critiques font d'ailleurs valoir depuis 50, 60 ou 100 ans que ce serait plutôt considéré comme une faiblesse. On pourrait toutefois voir cela au contraire comme un point fort du fait que le Sénat peut jeter un regard objectif sur les enjeux dont il est saisi.

Qu'est-ce que cela signifie exactement? Je ne sais pas. Dans le dossier de l'aide médicale à mourir, les sénateurs n'ont pas à justifier auprès de leurs commettants les points de vue qu'ils ont exprimés, mais ils doivent tout de même expliquer leurs prises de position. C'est cependant une façon différente de faire les choses qui s'inscrit dans le concept de double perspective dont je parlais. C'est à mon sens ce que permet le bicaméralisme. Ce n'est pas comme si le Sénat ne l'avait jamais fait; c'est simplement que la cour a conclu qu'il devrait le faire davantage. D'après la cour, c'est ce que les Canadiens attendent de vous.

Il n'est pas possible de reculer en disant qu'on le fera plus tard, car j'estime que le jugement de la Cour suprême est un point tournant. Vous vous devez d'agir. Les sénateurs doivent donner suite au jugement de la cour en s'assurant de former à l'intérieur d'un régime bicaméral une seconde Chambre égale en tout point, si ce n'est que ses membres ne sont pas élus et qu'elle ne peut pas prendre de vote de confiance. Comme les sénateurs n'ont pas de comptes à rendre à la population, il ne vous est pas possible de renverser un gouvernement, mais, exactement pour cette même raison, vous pouvez soulever toutes sortes de questions et faire en sorte que le gouvernement ait à justifier ses actions. Je pense ici aux enjeux que les députés ne sont pas à l'aise d'aborder en raison de leurs loyautés partisanes ou parce qu'ils les maîtrisent moins bien, contrairement aux sénateurs dont le mandat est plus long. Vous êtes en effet mieux en mesure que les députés de développer une expertise et d'accumuler des connaissances. Comme plusieurs d'entre vous le savez pertinemment, il y a aussi le fait que les députés doivent se préoccuper de leur réélection.

Les sénateurs ont toujours joui d'une grande liberté quant à l'utilisation qu'ils faisaient de leur temps. Les gens qui suivent vos activités pourraient nommer différents sénateurs qui sont devenus des experts en agriculture, en pêcheries, en santé ou dans un autre domaine, et qui sont souvent cités. Il serait d'ailleurs bon que les citoyens soient mieux au fait de vos activités. C'est un autre élément à considérer. Je pense que la population devrait en savoir davantage sur ce qui se passe ici, mais je ne sais pas comment vous pouvez vous y prendre pour y arriver.

Comme je le disais tout à l'heure, le fait que le Sénat soit conçu pour être isolé — tout au moins partiellement — rend les choses difficiles. Sans lien avec une circonscription, il devient impossible d'aller voir les gens pour leur présenter vos réalisations. À qui allez-vous vous adresser? Qui sont vos commettants? Vous n'en avez pas, si ce n'est la population canadienne en général. C'est la grande difficulté d'autant plus que la cour a indiqué que vous n'aviez d'autre choix que de remplir ce rôle bicaméral et complémentaire, et que vous ne pouviez pas vous contenter de vous taire en laissant les autres décider. La cour a plutôt conclu que vous devez jouer un rôle équivalent au sein du processus législatif, malgré le fait que votre Chambre ne puisse pas prendre de vote de confiance.

Les juges ont traité abondamment du fédéralisme et du régionalisme au Canada ainsi que du fait que la structure du Sénat lui permet, à certains égards, de mieux représenter cette réalité que la Chambre des communes. On compare en fait la représentation de quelque 330 circonscriptions à celle de cinq régions. Il est vrai que les sénateurs viennent de différentes provinces et parlent bien sûr en leur nom, mais ils sont censés intervenir dans une plus vaste perspective. Ils sont là pour traiter de tous les enjeux.

Environics a mené il y a quelques années un sondage fort intéressant intitulé AmericasBarometer dont les résultats permettaient à bien des égards de conclure que les caractéristiques du Sénat correspondent presque mieux aux attentes de la population que celles de la Chambre des communes. Les Canadiens ne s'intéressent pas tant que cela aux questions qui touchent les différentes circonscriptions. Ils n'y sont pas indifférents, mais le monde ne s'arrête pas aux limites d'une circonscription. Le vieillissement de la population, la santé, les langues, la religion et l'aide médicale à mourir sont autant de préoccupations qui peuvent intéresser les gens. Elles ne concernent pas une circonscription en particulier; ce sont des questions d'intérêt pour tous les Canadiens. Ce ne sont même pas des considérations régionales.

Le Sénat permet d'examiner ces questions dans une perspective plus large. Je ne suis pas en train de dire qu'il ne sert à rien pour un député de parler à ses commettants de la circonscription de Saskatoon-Humboldt, par exemple. C'est un aspect important du travail de député, mais il y a toujours la discipline de parti qui entre en ligne de compte. Comment doit réagir un député dans ce contexte? Vous n'avez heureusement pas à vous poser la question de ce côté-ci pour l'instant, mais c'est loin d'être toujours évident.

Où commence et où s'arrête l'indépendance d'un député? On peut entendre bien des théories à ce sujet. La théorie de la démocratie parlementaire par délégation est une hérésie. Les députés sont censés pouvoir porter des jugements sur ce qu'ils entendent, mais leur parti a toujours son mot à dire. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la révocation est inconstitutionnelle. C'est illégal. Il ne peut pas y avoir de révocation au Canada. Le Parlement est une citadelle où il y a une Couronne, un Sénat comme organe de réflexion dans une perspective large, et une Chambre des communes formée de représentants élus qui parlent au nom de la population.

La sénatrice Stewart Olsen : Nous sommes peut-être en désaccord sur quelques points. À la décharge de PrestonManning, je dois dire que ses propos sont une réflexion de ce que pensent les Canadiens, une sorte de mise en garde à l'égard d'un organisme non élu qui siège en bénéficiant de fonds publics.

Vous partez de l'hypothèse que nous n'avons pas de comptes à rendre à qui que ce soit. Il est possible que je fasse erreur, mais je suis totalement en désaccord.

Quant à votre comparaison entre les régions et les provinces, je crois que le Canada est rendu plus loin que ce concept de région. Nous nous efforçons de nous adapter au monde moderne et aux nouvelles façons de voir les choses de manière à ce que notre travail soit pertinent pour les gens qui paient nos salaires. Il n'est pas question de revenir à l'époque où le Sénat a été créé.

J'ai aussi noté vos commentaires au sujet de la capacité d'exercer son jugement de manière totalement objective. Je pense qu'il n'y a personne au monde capable de vraiment y parvenir. Peut-être qu'un juge peut y arriver, mais encore là, il ne peut pas entièrement s'empêcher de faire intervenir ses croyances au moment de rendre une décision.

Je ne crois pas que c'était l'intention de nos pères fondateurs, et je ne pense pas non plus que les Canadiens souhaitent nous voir siéger ici en n'ayant de comptes à rendre à personne et en évaluant les projets de loi uniquement en fonction de nos convictions personnelles. Nous devons nous demander si ces mesures sont profitables pour nos provinces respectives. Nous devons parler à nos concitoyens.

Voilà autant d'éléments dont notre comité doit débattre pour définir exactement le but de notre présence ici. Si vous deviez rédiger une description de fonctions pour un sénateur dans le contexte actuel, que pourrait-on y lire?

M.Smith : Comme je n'ai pas eu beaucoup de temps pour y réfléchir, je vous dirais qu'il faut viser un rôle d'examen dans une perspective générale pour le Sénat, c'est-à-dire sans se limiter aux circonscriptions. Vous avez parlé d'une optique nationale, et je suis assez d'accord avec vous. Je ne veux pas dire par là que la Chambre des communes dans son ensemble ne peut pas adopter une telle optique nationale, mais je m'attendrais à ce que les sénateurs puissent offrir une perspective semblable lorsque vient le temps de se pencher sur des modifications au Code pénal ou sur tout autre sujet en fait. Les sénateurs doivent se demander ce qui est avantageux ou souhaitable pour bonifier le Code criminel, améliorer les conditions de détention ou réaliser n'importe quel autre objectif. Ils ne parlent pas au nom d'un groupe en particulier et n'ont pas l'impression d'avoir des comptes à rendre à qui que ce soit. Les sénateurs ne sont pas les agents d'une autre instance. Ils sont eux-mêmes responsables à part entière.

La sénatrice Stewart Olsen : Mais ne croyez-vous pas, compte tenu du fait que ce sont les contribuables qui paient nos salaires... C'est notre travail après tout. Je viens du Nouveau-Brunswick et je ne peux pas appuyer quelque mesure que ce soit sans me demander si elle est bénéfique pour ma province, en laissant plutôt intervenir uniquement mes convictions personnelles. On peut entendre toutes sortes d'arguments de part et d'autre, notamment en faveur de l'indépendance des sénateurs.

Je ne pense pas que l'on puisse venir travailler dans un endroit comme celui-ci sans comprendre que l'on n'est pas là pour sa propre satisfaction. Nous ne sommes pas ici pour mettre de l'avant nos idées ou nos intérêts personnels. Nous sommes ici à titre de représentants de la portion du pays qui nous a délégués au Sénat, qu'il s'agisse d'une province ou d'une région. Je préfère parler de provinces, car je crois que c'est ainsi que les Canadiens voient désormais les choses.

Quoi qu'il en soit, je crois que vous pouvez voir quel est notre dilemme.

M.Smith : On ne trouvera pas de solution du jour au lendemain. Vous avez parlé de «représentants». Je n'utiliserais jamais ce terme pour décrire les sénateurs.

La sénatrice Stewart Olsen : Mais les Canadiens pensent que nous devrions...

M.Smith : Il est possible qu'ils le pensent, et c'est problématique. Le concept de représentation est sans doute le plus complexe qui soit en sciences politiques. S'il y a une instance que j'aurais de la difficulté à qualifier de représentative, c'est bien le Sénat. Représentative de quoi au juste? Sinon des valeurs canadiennes ou d'autres notions semblables, de façon très générale. Le problème avec le concept de représentation, c'est qu'il nous amène directement à celui de reddition de comptes.

La sénatrice Stewart Olsen : Vous avez raison.

M.Smith : C'est là où se situent les députés de la Chambre des communes. C'est un processus en deux étapes. Ils se font élire et doivent ensuite rendre compte de leurs actes. Après coup, ils reviennent devant l'électorat et risquent de perdre leur siège. Vous n'avez rien à craindre à ce sujet.

La sénatrice Stewart Olsen : J'estime toutefois qu'une élection n'est pas la seule façon de rendre des comptes. Quoi qu'il en soit, vos arguments m'amènent à croire que vous pencheriez plutôt du côté de l'abolition...

M.Smith : Certainement pas. Je me suis probablement mal fait comprendre.

Le sénateur Wells : Merci, monsieur Smith, pour votre contribution à nos discussions d'aujourd'hui ainsi que pour l'ensemble de votre travail. J'ai une question au sujet de l'idée même de réformer le Sénat. C'est comme un cri de ralliement que nous entendons depuis des années. On réclamait une telle réforme, même avant que Stephen Harper soit premier ministre. Quand il est question de réformer le Sénat, j'ai l'impression que les gens se demandent surtout si nous devrions être élus ou nommés, et de quelle durée devrait être notre mandat.

Vous avez dit que le Sénat a été créé dans le but d'offrir un jugement indépendant exercé en toute objectivité. Vous avez aussi parlé, tout comme le sénateur Joyal, d'une Chambre d'examen. Je ne crois pas que ces principes aient changé depuis 150 ans, et c'est encore ce qui motive notre présence ici.

Dans ce contexte, je dois d'abord vous poser une question très simple: est-il nécessaire de procéder à une réforme du Sénat? Il peut sembler hérétique de s'interroger à ce sujet dans la conjoncture actuelle, car le cri de ralliement demeure le même. Faut-il vraiment procéder à une réforme alors que nous respectons toujours les grands principes qui sont la raison d'être du Sénat? Faut-il procéder à une réforme, ou devrions-nous plutôt mieux informer nos détracteurs?

M.Smith : Lorsque j'ai rédigé cet ouvrage il y a 20 ans, le mouvement en faveur d'un Sénat triple E battait son plein. Il y a toujours deux questions que l'on doit se poser lorsqu'il s'agit de réformer le Sénat. Premièrement, que voudrions-nous que le Sénat soit en mesure de faire? Deuxièmement, comment pouvons-nous créer un Sénat capable d'atteindre cet objectif?

La première question est la plus importante. Que voulez-vous que le Sénat soit capable de faire? En réfléchissant à la question du Sénat au fil des ans, je me suis souvent dit qu'il y avait beaucoup trop de réponses et pas assez de questions. C'est ce que nous devons faire.» «C'est ce dont nous avons besoin.» Mais on ne se demande jamais pour quelles raisons on devrait pouvoir le faire. Comme l'indiquait la Cour suprême dans sa décision relativement à la loi gouvernementale dont elle a été saisie, j'ai l'impression qu'il faut surtout retenir de la formule triple E qu'elle créerait une assemblée élective. Vous pouvez remonter aussi loin qu'au début du XIXe siècle en Nouvelle-Écosse pour lire des délibérations et d'autres déclarations à l'effet que nous ne devons pas avoir une Chambre haute élue, car elle remettrait en question la pertinence de la Chambre basse et ainsi de suite. L'histoire se répète encore et encore.

D'une certaine manière, le terme «réforme» est en lui-même presque trop simple. Il nous amène en quelque sorte à nous demander: pour faire quoi exactement? Il serait préférable de préciser ce qui doit être fait — et je ne saurais moi- même vous le dire — pour modifier le mandat ou n'importe quoi d'autre, selon les souhaits qui seront exprimés. On pourrait alors se concentrer sur cet objectif, mais il faudrait ensuite déterminer si cela nous donnerait un meilleur Sénat qu'actuellement.

La difficulté vient ensuite de la foule des critiques par rapport à la poignée de défenseurs. Les propos des critiques sont tous des réactions primaires stériles. Chez les nombreux chauffeurs de taxi et les nombreux inconnus avec qui je prends l'avion et à qui je parle, croyez-moi, nous n'avons pas beaucoup d'amis.

Le sénateur Wells : J'en ai pris, de ces taxis.

M.Smith : Je n'essaie pas de leur faire changer d'opinion, mais simplement de comprendre. Les sujets de leurs plaintes sont souvent incohérents. C'est, pour reprendre les propos de la sénatrice Stewart Olsen: «On les paie à ne rien faire» ou «Ils ne sont jamais à Ottawa, où ils devraient être». Leurs idées s'arrêtent là. Jamais de statistiques. Mais l'opinion générale est qu'ils se la coulent douce. Qu'est-ce qui vous permet de l'affirmer?

Bref, le Sénat est isolé. Personne ne sait ce qu'il fait. Mais à quel point sait-on ce qui se passe à la Chambre, sauf que les politiciens sont toujours sur le devant de la scène, sous l'œil des médias?

Le sénateur Wells : La réforme du Sénat est-elle nécessaire, s'il continue de satisfaire aux principes auxquels il adhère depuis 150ans?

M.Smith : Je ne parlerais pas de réforme du Sénat, mais de la décision de la Cour suprême, qui affirme que ce sont les caractéristiques nécessaires au Parlement canadien. Ensuite, nous, les sénateurs, ou le Sénat nous devons renforcer notre manière de remplir le rôle fédéral; notre rôle de sénat; notre indépendance et nos actions; notre rôle de sélection.

Insistez sur la légitimité qu'a donnée la Cour suprême. La Cour suprême l'a exaltée. Tous les contestants de cette légitimité, on devrait les envoyer lire ce jugement, avant de nous dire quel est le problème. En fait, la Cour suprême préconise un Sénat plus visible.

Le sénateur Joyal s'est interrogé sur l'indépendance. Ça me semble, si ce n'est des énigmes, des sujets plutôt difficiles, et il faudrait organiser des séminaires sur la façon de l'obtenir. Annoncez-la: «Voici le Sénat qui agit de manière indépendante; le voici qui s'exprime en sa qualité d'institution du Parlement fédéral; le voici, l'égal de la Chambre des communes dans un Parlement bicaméral.» Restaurez un centre d'intérêt, un point de vue, une dimension perdus, parce que les députés doivent s'occuper de 300 et quelques circonscriptions.

Je ne me prétends pas conseiller auprès des corps législatifs sur la marche à suivre. Je préconise d'abandonner le plus rapidement possible l'expression «réforme du Sénat», parce qu'elle est lourde de sens. Elle soulève toutes sortes d'opinions préconçues et fausses.

Le sénateur Wells : Bien sûr. Merci.

Le sénateur Greene : Merci beaucoup d'être venu témoigner. Je l'apprécie beaucoup.

Tout au long de son histoire, le Sénat a essentiellement été bipartite. Nous sommes à l'aube d'une ère nouvelle, alors que les indépendants sont nombreux, des indépendants pas tous interchangeables. Certains sont près d'être nommés. D'autres le sont par choix, ayant quitté un parti pour des raisons particulières. D'autres y ont été obligés, après avoir été exclus du caucus ou suspendus pour une raison quelconque. Des libéraux indépendants ont été exclus par le premier ministre pour une raison ou une autre. Dans le caucus conservateur, on trouve des esprits indépendants qui, un jour suivent les souhaits du caucus mais qui, le lendemain, pour une raison que j'ignore, font le contraire. Le Sénat, maintenant et ce qu'il se prépare à devenir, est hétérogène et plus différent que jamais.

Par le passé, nous n'avons modifié que quelques projets de loi chaque année. En fait, il pouvait se passer une année ou deux sans que nous le fassions. Pensez-vous que c'est à la veille de changer? C'est sûrement hypothétique, mais pourriez-vous émettre des hypothèses sur la qualité du travail d'un Sénat peuplé de tant d'indépendants, comme jamais auparavant, alors qu'ils ne sont pas tous pareils?

M.Smith : C'est une question très fondamentale. Si nous revenons à ce que j'ai dit au début — que le Sénat est isolé, qu'on ignore ce qu'il fait, et cetera —-, et nous avons aussi discuté de reddition de comptes et ainsi de suite. Si le Sénat est maintenant considéré comme indépendant, eh bien ça confirme presque cette opinion.

Vous devez donc légitimer l'indépendance. C'est une contribution nécessaire, bénéfique, politique. J'ai dit que je n'étais pas opposé à l'adhésion à un parti. C'est ainsi que le Parlement a évolué. Tout parlement libre, de base, a habituellement accueilli des partis. Cela découle de l'alignement politique spontané des citoyens. Sinon, son fonctionnement devient plutôt chaotique, à ce qu'il me semble. C'est impossible pour les grands enjeux, parce que le pays est trop complexe, trop étendu et trop populeux. Nous ne sommes pas une cité grecque ou ce genre de démocratie. Les partis jouent donc un rôle très important.

En même temps que les critiques contre le Sénat, nous avons entendu beaucoup de critiques contre les partis politiques, ce qui est différent du Sénat. La population ne semble pas comprendre cette question-là non plus. Nous savons que le nombre de membres de partis a notablement diminué au cours des 40dernières années. Il y a ensuite l'aspect de l'âge et ce genre de choses.

C'est une question complexe, et je sais que je n'y réponds pas tout à fait. Comment justifier l'indépendance? Il me semble que la justification découle de l'action, qui doit être autonome, parce que le Sénat n'a pas avec les Canadiens le même genre de relation que les députés qui doivent se représenter et qui doivent se démarquer.

Ces questions vous donnent beaucoup de pain sur la planche, mais elles sont très difficiles.

Le sénateur Greene : J'ai encore une petite question. Pour revenir aux questions du sénateur Joyal sur la nature de l'indépendance, et cetera, on parle aussi beaucoup d'«autonomie». D'après vous, ces deux mots sont-ils des synonymes absolus ou peut-on parfois être autonome sans être indépendant ou vice versa?

M.Smith : Nous, les Canadiens, nous ne les confondrions jamais. Le Canada est autonome au sein du Commonwealth de l'Empire britannique. Le Mouvement pour l'autonomie de la Saskatchewan était provincial. Le mot indépendance, pour la plupart des gens, a une signification très précise. Je pense qu'autonomie a un sens moins tranché. Dans l'histoire de notre pays, le mot «indépendance» s'est fait plutôt discret. Nous n'avons pas été indépendants. Nous nous sommes seulement alignés ou nous avons cessé de le faire, mais nous n'affirmons pas beaucoup notre indépendance au Canada.

Le sénateur Greene : Est-ce que l'autonomie va mieux avec la notion de complémentarité?

M.Smith : À mon avis, oui. En Saskatchewan, les conservateurs, avant qu'ils aient porté ce nom, il y a longtemps, au début, portaient le nom de Mouvement autonomiste provincial, et ils étaient les adversaires des libéraux de WilfridLaurier. L'autonomie provinciale, dans leur esprit, avait une signification particulière. Ils voulaient être Canadiens, mais ne pas être un territoire.

Le sénateur Greene : Au lieu de «réforme du Sénat», pensez-vous que «modernisation» convient mieux à ce qui s'en vient?

M.Smith : Encore une fois, tous ces mots en «-isation» posent toujours un problème. Ils sont plutôt flous. Le mot «réforme», bien sûr, est beaucoup plus explicite, mais, comme je l'ai dit, l'histoire l'a tellement chargé de sens, qu'il convient mal au Sénat. Je l'éviterais. Peut-être auriez-vous besoin d'un scrutin préférentiel, un troisième, pour «modernisation».

[Français]

La sénatrice Bellemare : J'hésite à savoir si je vais m'exprimer en français ou en anglais. Je vais d'abord commencer en français.

J'aimerais poursuivre la réflexion sur la notion d'indépendance. J'ai lu attentivement un article dans votre livre, édité par le sénateur Joyal, dans lequel vous formulez des recommandations assez précises sur la modernisation du Sénat. J'ai été frappée par la notion d'indépendance du Sénat qui, pour vous, est fondamentalement importante. Cela m'a amenée à faire des comparaisons à l'échelle internationale, parce que j'aime examiner ce qui se passe ailleurs.

Après avoir lu votre article, j'ai avancé une hypothèse et j'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. On sait que la partisanerie au Canada est une caractéristique qui est reprochée au Sénat depuis fort longtemps. Or, vous dites — comme d'autres qui connaissent l'histoire — que depuis toujours, le Sénat est perçu comme étant une institution partisane. À la page30 de la version française, vous dites que la partisanerie n'a jamais été une problématique importante au Royaume-Uni. En examinant les sénats ailleurs dans le monde, on se rend compte que c'est seulement au Canada et aux États-Unis que le Sénat est composé de deux groupes. Lorsqu'il y a seulement deux groupes, il y en a toujours un qui détient la majorité absolue des sièges.

Il est arrivé très souvent dans l'histoire que le parti politique au pouvoir à la Chambre des communes était celui qui détenait aussi la majorité absolue au Sénat. On est porté à croire que la tentation est très forte pour le parti au pouvoir de contrôler à la fois la Chambre des communes et le Sénat. Cependant, dans les pays où il y a plusieurs groupes — au Royaume-Uni, entre autres, où on retrouve un groupe de sénateurs indépendants —, il y a plusieurs caucus. À ce moment-là, la Chambre haute — c'est mon hypothèse — devient plus indépendante en raison de sa nature structurelle, puisqu'il n'y a pas de parti politique qui la contrôle.

J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet, parce que vous expliquez dans votre article pourquoi le Sénat canadien est devenu partisan. Selon votre hypothèse, Macdonald n'aurait jamais pensé qu'un parti pouvait durer longtemps et nommer tout le temps des sénateurs du même parti. J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'hypothèse suivante: un Sénat composé de sénateurs qui auraient des affiliations politiques, mais qui serait indépendant, compte tenu de sa structure et de sa composition.

[Traduction]

M.Smith : Comme ce à quoi il a été fait allusion, plus tôt, dans quelle mesure la composition du Sénat dépend-elle du système électoral pour la Chambre basse et dans quelle mesure le reflète-t-elle? Comme vous le savez, on a lancé une discussion sur le passage du système politique canadien du pluripartisme à une forme quelconque de non- pluripartisme. Est-ce que ça aurait un effet sur le Sénat? Je l'ignore, mais il me semble y avoir un rapport, ici.

Dans la politique canadienne, comme je le dis dans l'article, d'après ma lecture de sir John A. Macdonald et de ses semblables, et je le dis sans dérision, personne n'a compris ce qui arrivait. Grâce à Macdonald, on obtient soudain — qui aurait pu le prévoir après toutes ces années d'instabilité des ministères, qui se succédaient rapidement? —, une espèce de stabilité, de rigidité cadavérique, et elle durera des décennies.

Du jour au lendemain, la politique canadienne a changé, et le Sénat, qui était nommé par la Couronne sur l'avis du premier ministre, est devenu un organe très structuré. L'une des remarques importantes que je formule dans l'article est que ce n'est pas seulement que les sénateurs soient nommés par le conseiller auprès de la Couronne. Ces conseillers arrivent et partent, mais les sénateurs restent. Un décalage bizarre finit par s'instaurer. C'est comme si les sénateurs étaient représentatifs de couches sédimentaires anciennes, dont on se souvient simplement à les regarder.

Le sort du Canada est intéressant. Je ne suis spécialiste ni de l'Irlande ni d'Israël, où règne le pluripartisme, mais, comme vous le dites, plusieurs partis existent maintenant au Royaume-Uni. C'est intéressant, parce que, encore une fois, il existe un décalage à la Chambre des lords. On y dénombre, proportionnellement, beaucoup plus de travaillistes ou de démocrates libéraux qu'à la Chambre des communes. C'est canadien en quelque sorte. J'ai pensé qu'il serait intéressant de rédiger un article sur la «canadianisation» de la politique britannique, qui semble adopter de plus en plus de caractéristiques de la politique canadienne, et la Chambre des lords en est un exemple. Toute cette histoire au sujet de la diversité, qui semble le moteur de tout, est que le Sénat canadien est tout à fait diversifié, et il a été conçu pour l'être.

À ce sujet, comme je l'ai dit, je suis en train de rédiger un livre, et je ne m'étais pas aperçu des dates, mais nous entendons tellement parler de l'affaire «personne» et de la nomination de femmes au Sénat. Quand la première femme a-t-elle été nommée à la Chambre des lords? En 1958, une nomination à vie. La première pairesse héréditaire n'a pas été nommée avant 1963 ou 1966.

La sénatrice Cools : Agnes Bernard a fait partie de la Chambre des lords dans les années 1890. Elle était baronne d'Earnscliffe, quelque chose comme ça. Elle était Jamaïcaine.

M.Smith : À ce que je sache, le changement survenu à la Chambre des lords coïncide avec le moment où il a été décidé que les pairs pouvaient renoncer à leur pairie à vie. Je pense que c'est arrivé à peu près à la même époque.

La sénatrice Cools : Et quand ils ont établi plus de nominations à vie en 1856.

Je souhaite la bienvenue à cet excellent professeur et je le remercie pour les années qu'il a consacrées à l'étude et au savoir. J'ai lu beaucoup de ses travaux.

On nous considère comme un sénat, comme un corps, comme une assemblée constitutionnelle, ce que nous sommes, avec les nombreuses hérésies que nous abritons parmi nous, depuis de nombreuses années, et je veux connaître votre opinion ou, plutôt, vos observations. Des ministres ont fait croire au public que le Sénat était une institution illégitime. Ils y ont mis beaucoup d'effort pour inculquer une fausseté. Une autre de leurs idées était que notre Constitution accorde le pouvoir d'élire le Sénat, mais, encore une fois, notre Constitution ne dit rien de tel.

Je vois très bien que tous ceux qui font ces insinuations, celles de l'illégitimité d'un Sénat non élu, n'iraient jamais jusqu'à la notion d'un droit de suffrage. Souvenez-vous du slogan «représentation proportionnelle à la population». Il allait de pair avec le droit au suffrage qui a évolué sur plusieurs centaines d'années pour déboucher sur, enfin, le suffrage universel. Au Canada ça n'a été qu'en 1960, mais cela a été majoritairement acquis avant les années 1920.

Personne n'a vraiment sérieusement traité de la question de l'impossibilité, pour deux Chambres du Parlement, de s'appuyer sur la même base pour se faire élire. La représentation en fonction de la population a été ce que la Confédération a accepté d'accorder, et les Pères de la Confédération savaient ce que cela signifiait et, aussi, ce que signifiait la représentation par région.

Avez-vous une opinion sur la façon dont de telles notions fallacieuses s'enracinent dans l'esprit de la population, sans l'appui d'aucune loi ni de celui de la Constitution, des notions totalement imaginaires, qui ne s'appuient sur aucune recherche ni autorité? Ça m'a beaucoup dérangé parce que, curieusement, cela a mené à la dernière saisine de la Cour suprême sur la réforme du Sénat. Je dois vous dire que certains avocats du procureur général se sont révélés extrêmement créatifs en tentant parfois l'impossible pour formuler des élucubrations.

Avez-vous une opinion ou des observations à faire à ce sujet. Pour moi, le Sénat est une institution aimée, et c'est peut-être à cause de mon expérience à moi, mais je n'ai éprouvé aucune difficulté à obtenir un appui solide du public depuis que je suis sénatrice. Les seuls comités parlementaires à pouvoir faire salle comble dans les hôtels d'ailleurs au pays étaient des comités sénatoriaux. Cela a particulièrement été le cas du Comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur le divorce et la garde des enfants. Partout au pays, chacune de ses séances a fait salle comble.

J'ai été scandalisée par les insinuations des ministres, et je dois attribuer au génie de notre Constitution sa longévité de 150 ans. Cette Constitution a été imaginée, alors qu'en toile de fond se profilait la faillite de celle de nos voisins du sud et les risques qui pouvaient s'en suivre. J'ignore si beaucoup de mes collègues le savent, mais Abraham Lincoln avait un secrétaire d'État, un certain Seward, et ils étaient déterminés à détourner le Canada du dossier de leur guerre. Je suis sûre que vous l'avez lu. Il y a eu beaucoup d'hésitations, et il y avait un risque de guerre. La frontière entre les deux pays est la plus longue frontière non défendue du monde. Eh bien, cette frontière a souvent risqué de s'embraser.

Ça fait partie du génie de notre Constitution. Les Pères de la Confédération ont pu mettre de côté ce qu'ils ont considéré comme des différences mineures. Un homme comme GeorgeBrown, qui a proposé, à la conférence de Québec, la motion pour des élections selon le principe de la représentation proportionnelle à la population, a pu faire volte-face et affirmer qu'il était heureux que les Haut-Canadiens aient accordé aux Bas-Canadiens l'égalité au Sénat. Cette grande intelligence, ce génie ont permis à la Constitution de durer 150 ans.

Beaucoup de ces réformateurs en puissance ont une tâche herculéenne sur les bras, parce que, d'abord, ils doivent imaginer des propositions qui pourront plaire au pays, puis ils doivent convaincre beaucoup de personnes comme moi que leur projet pourrait durer encore 150 ans. Dans la vie d'une constitution, 150ans, c'est l'éternité. C'est une rareté.

Je vous en demande peut-être trop. Qu'en pensez-vous? Je crois, bien franchement, que le projet des pères de notre Constitution a été extrêmement bien réussi. Nous devrions les en louer.

M.Smith : Quand j'ai parlé de l'isolement du Sénat, j'ai omis un fait, que peut-être chacun connaît, mais qui distingue le Canada, peut-être, parce que c'est, à ma connaissance, la seule fédération dont le Parlement central est bicaméral, mais où les parlements des États constitutifs ne le sont pas, contrairement à l'Australie, où tous les États, sauf le Queensland, sont bicaméraux et remontent à au moins un siècle, jusqu'à l'époque coloniale.

Une partie de la mystification dont sont victimes les Canadiens au sujet des fonctions et de la raison d'être du Sénat provient du fait qu'ils n'ont jamais vu de sénats. Ils n'en ont aucune expérience. C'est un exercice intéressant que de présumer de ce qui aurait pu se produire si, ces 20 ou 30 dernières années, l'Alberta ou la Saskatchewan avaient eu des sénats. En tout cas, je pense qu'une partie de l'incompréhension sur le rôle des sénats provient de leur inexistence.

Vous avez évoqué les déplacements des comités à travers le pays, et ils en ont fait. Dans quelle mesure les comités se déplacent-ils? Il y a eu une période, dans les années 1960 et 1970, quand ils semblaient visiter beaucoup l'Ouest du pays. Je ne m'en souviens pas, mais personne ne vient à Niagara-on-the-Lake. J'ignore donc ce qui se passe là-bas.

Je pense que l'asymétrie des corps législatifs, fédéral et provinciaux, est un élément important du Canada, qu'on tend à passer plutôt sous silence.

La sénatrice Cools : Je voudrais poser la question de la confiance. Vous avez répété à quelques reprises que le Sénat n'est pas une Chambre habilitée à prendre un vote de confiance, et cette opinion est répandue.

Je tiens à vous dire que j'étais sénatrice pendant le débat sur la TPS, et lorsque nous nous sommes engagés dans cette bataille, nous n'avions aucun doute sur nos objectifs. Lorsque la course a été déclenchée, si vous vous rappelez, pour la production de notre rapport au Sénat et son adoption alors que le premier ministre essayait de nommer ses huit nouveaux sénateurs, nous savions bien que notre mission était de faire tomber ce gouvernement, pour de nombreuses, excellentes et graves raisons. À l'époque, ces sénateurs étaient les personnes les plus engagées qui soient, des leaders extrêmement doués. La volonté y était et, en même temps, nous jouissions de l'appui du public.

Rappelez-vous. Ce sont des situations politiques. Je peux vous affirmer qu'aucun doute n'effleurait nos esprits et nous étions déterminés à siéger 24 heures par jour, plusieurs jours de suite, ce qui est un signe de cette détermination. Nous pensions qu'il s'était produit ou qu'il était en train de se produire quelque chose de très condamnable. Ça fait maintenant partie de l'histoire, mais je tenais à vous le dire. C'était clair pour nous que nous essayions d'obliger le gouvernement à démissionner.

Le sénateur McCoy : Était-ce sous la direction du sénateur libéral MacEachen?

La sénatrice Cools : Lui-même.

Nous étions déterminés, et le gouvernement l'était. Ç'a été un fier combat.

M.Smith : Un phénomène que je n'ai pas étudié mais auquel j'ai réfléchi a été abordé par Phillip Norton, un politiste britannique. Je lisais un article de lui sur les défaites du gouvernement et les lords, qui deviennent plus fréquentes. Il est ensuite passé à la structure de l'opposition à la Chambre des communes, en Grande-Bretagne.

Il m'arrive parfois de me représenter les deux corps législatifs comme étant hermétiquement séparés. Ils ne les sont pas vraiment, et il est sûr que, pour la Grande-Bretagne, l'argument de Norton est que la volonté des pairs de défaire le gouvernement est en quelque sorte reliée à un degré de faiblesse ou de force du gouvernement à la Chambre des communes elle-même et à la structure de l'opposition.

Je n'ai jamais vraiment eu cette réflexion, mais si on parle de changer le Sénat et si on parle d'indépendance, et cetera, c'est un facteur ou une caractéristique importante — l'indépendance dans un système qui n'en a pas eu et ses conséquences non voulues. Je ne crois pas qu'on puisse prévoir exactement les conséquences, mais c'est très évident qu'il y en aura.

Contrairement à plusieurs autres pays, on retrouve depuis longtemps plus de deux partis politiques à la Chambre des communes du Canada.

La sénatrice McCoy : À titre de précision, si j'ai bien compris, sur la question de la TPS, le chef libéral à la Chambre des communes a demandé aux sénateurs libéraux de se battre, car, à l'époque, M.Turner n'avait pas beaucoup de députés...

Le sénateur Joyal : Il n'en avait pas suffisamment.

La sénatrice McCoy: ... à la Chambre.

Je ne suis pas convaincue que la thèse de M.Norton est pertinente, mais je prends note de ce que vous dites, que les Chambres ne sont pas hermétiques. Après tout, la Cour suprême du Canada a dit qu'elles étaient complémentaires.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Smith, pour votre exposé et le bon travail que vous faites.

Nous avons un Parlement bicaméral; d'un côté, la Chambre des communes, de l'autre, le Sénat. Les députés sont élus, alors que les sénateurs sont nommés. Nous avons des partis politiques et la force organisationnelle des partis politiques. Les partis politiques maintiennent une discipline de parti. La plupart diront que cette discipline de parti assure la reddition de comptes au public. Je suis convaincu que vous partagez cet avis.

Dans votre document — qui fait 46 pages —, vous parlez de la discipline de parti. Toutefois, vous dites que celle-ci ne devrait s'appliquer qu'à la Chambre des communes, et non au Sénat, car elle trahit la raison d'être du Sénat, puisqu'elle nuit à sa capacité à représenter correctement les minorités et les divisions sénatoriales. J'ai été un peu surpris de lire cela et j'aimerais avoir plus de détails, s'il vous plaît.

M.Smith : Au moment de rédiger ce document, je me disais que la discipline de parti s'étend de la Chambre basse à la Chambre haute et invalide ainsi l'indépendance du Sénat. Mais, même si l'on adopte le point de vue de la Chambre haute, il y a moins de raisons valables pour justifier l'application de la discipline de parti au Sénat, car celui-ci n'est pas un organisme tenu de rendre des comptes. On pourrait presque rédiger un ensemble d'arguments parallèles sur la question de la discipline pour les deux Chambres. C'était mon point de vue lorsque j'ai rédigé ce document.

Le sénateur McIntyre : Plus tôt, la sénatrice Cools a parlé de «confiance». J'aimerais vous poser une question sur la confiance du public. Les juges sont nommés, tout comme les sénateurs. Pourriez-vous nous parler de la confiance du public à l'égard des juges nommées par rapport aux sénateurs nommés?

M.Smith : Certainement. C'est une très bonne question.

La réponse rapide, c'est qu'il s'agit d'une question de partisanerie. Aux yeux du public, les juges ne font pas preuve de partisanerie dans leurs jugements. On pourrait dire qu'il y a une certaine partisanerie, puisqu'ils sont nommés, mais de façon générale, ce n'est pas le cas. Donc, la magistrature est considérée comme étant indépendante et elle l'est.

Le sénateur McIntyre : Et le public semble avoir une plus grande confiance envers la magistrature.

M.Smith : Oui, car elle est indépendante. C'est un aspect très important. Vous avez raison de soulever la question. Les gens ont plus confiance en la magistrature, car elle est perçue comme étant indépendante. C'est un vrai casse-tête, non? Pourquoi est-ce ainsi?

Nous avons une monarchie constitutionnelle. J'ai écrit un livre qui s'intitule The Republican Option in Canada, Past and Present sur l'absence d'un sentiment républicain au Canada. Depuis la rébellion du Bas-Canada où les gens voulaient prendre le contrôle de l'Assemblée législative et où la seule façon d'y arriver était de passer par des élections, il n'y a pas eu de sentiment républicain. Dès qu'un gouvernement responsable est élu, ce sentiment disparaît.

Comment expliquer l'absence d'un sentiment républicain au Canada? S'il existe, il est si faible et mal articulé, qu'il ne va nulle part. Il s'agit d'une caractéristique particulière et importante au Canada, voire une caractéristique centrale.

L'indépendance de la magistrature est très importante dans le cadre de cette discussion sur l'indépendance du Sénat.

La sénatrice Stewart Olsen : J'aurais une question complémentaire sur la magistrature par rapport au Sénat. Les juges sont considérés comme étant très indépendants, car ils ont une description de travail. Ils ont des lois à respecter, donc ils n'ont pas beaucoup de marge de manœuvre pour exprimer leurs idées et leurs opinions. Vous semblez dire que c'est une bonne chose et que les Canadiens ont une opinion plus favorable des juges et ont plus confiance en la magistrature. Donc, ne devrait-on pas définir le rôle des sénateurs? Je ne m'exprime peut-être pas assez clairement, mais la différence est évidente. Je ne suis pas convaincue que l'on peut comparer aussi facilement les deux institutions.

M.Smith : Je ne les comparerais pas. Ma conjointe est juge de la Cour d'appel. La confiance du public envers la magistrature canadienne est très frappante. Est-ce en raison de l'indépendance des juges? Je l'ignore, mais c'est certainement une caractéristique importante et peut-être que c'est ce qui explique cette confiance. C'est très important.

Vous parlez d'une description de travail. Un collègue à l'Université Ryerson m'a dit qu'il connaissait quelqu'un qui avait soumis sa candidature pour devenir sénateur. J'ignorais qu'il y avait un affichage semblable, mais j'aimerais bien voir le formulaire de demande d'emploi, car, une des questions prioritaires qu'il faut se poser, à mon avis, c'est: «Quels sont les critères recherchés? Quel genre de candidats recherchez-vous?»

Le travail de juge est complètement différence de celui de sénateur. On compare souvent les deux, mais les juges travaillent dans le droit pendant des décennies avant de devenir juges — habituellement, mais pas toujours. Ce n'est pas le cas pour les sénateurs.

C'est un élément important. Les décisions prises par les juges seront très importantes, surtout au début.

Le sénateur Joyal : J'aimerais rester sur le sujet, car c'est une des principales questions qu'il faudrait aborder en comité.

Pouvez-vous imaginer un temps où les 105 sénateurs seront tous indépendants, sans allégeances politiques ni affiliations politiques passées? C'est l'orientation que semble vouloir adopter le gouvernement par rapport au Sénat.

M.Smith : Non. Je ne veux pas me débattre avec cette question, mais elle laisse présumer que le Sénat fonctionne en vase clos. Le Sénat se penche sur des sujets et l'indépendance des sénateurs dépend du sujet abordé. Ce sont les sujets qui entraînent la partisanerie. Les libéraux ont une opinion sur le suicide assisté, tout comme les conservateurs et le NPD. Cela ne changera pas et n'empêchera pas un sénateur, indépendant ou non, de s'aligner sur la position d'un des partis. Le nombre de positions que l'on peut prendre sur la question du suicide assisté est limité. Par conséquent, même sans avoir une allégeance politique particulière, l'opinion des sénateurs sera alignée sur celle d'un des partis.

À mon avis, l'indépendance pure qui existe en vase clos est impossible dans ce contexte. L'indépendance est difficile à atteindre. Ce n'est pas un sujet. Le jour où ma conjointe est devenue juge, un autre juge lui a dit: «Vous savez, dorénavant, vous n'avez plus d'opinion.» Il n'a pas précisé: «À la maison.»

Le sénateur Joyal : Faites attention, elle nous écoute.

M.Smith : L'indépendance est très importante, mais elle est nuancée. Elle varie en fonction du sujet. Les gens ne sont pas seulement indépendants dans la rue. Ils ont une opinion indépendante sur un sujet donné, comme le mariage entre personnes de même sexe et le Partenariat transpacifique. C'est là où l'on retrouve l'indépendance des gens. Vous pouvez dire que vous êtes indépendants, en ce sens que vous prenez vos propres décisions, mais peut-être que ces décisions s'alignent sur celles d'un des partis à la Chambre des communes.

Le sénateur Joyal : Dans votre rapport, vous établissez une distinction claire entre l'allégeance politique, qui est selon moi une vision commune du monde de façon générale, comme vous l'avez dit, et la discipline de parti, qui est une autre façon de plus ou moins encadrer votre liberté d'analyse ou de pensée sur un enjeu.

M.Smith : Cela ne concorde pas avec mon interprétation des propos de la Cour suprême, à savoir que les sénateurs sont soumis à la discipline. Je ne peux pas vraiment imaginer que quelqu'un d'autre vous dise quoi faire, en quelque sorte. Il me semble simplement y avoir une rupture entre les deux images.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, vous n'avez pas l'impression qu'il y a un whip au Sénat, une personne veillant à ce que ceux qui prêtent allégeance au même parti votent nécessairement pour les mêmes choses.

M.Smith : J'en doute. Je n'ai jamais eu de charge élective, de sorte que je n'ai jamais été exposé au travail des whips. J'ai seulement lu sur leurs fonctions. J'hésite donc un peu à généraliser. D'après ma compréhension du fonctionnement de la discipline dans les Chambres législatives de style britannique, voici ma réaction intellectuelle aux propos de la Cour suprême: je crois qu'il y a une divergence entre, d'une part, l'indépendance ainsi que la décision d'être complémentaire à la première Chambre et, d'autre part, la soumission des gens à la discipline.

Pour revenir à une question précédente, si la discipline provient en quelque sorte de la Chambre basse, c'est encore plus problématique par rapport aux propos de la Cour suprême.

La sénatrice Cools : Merci encore, monsieur. La littérature décrit bien souvent l'indépendance en fonction de la présence de deux variables, à savoir l'inamovibilité et la sécurité financière. Ceux comme Peter Russell et d'autres qui ont beaucoup écrit sur les juges parlent toujours de ces deux éléments, ou dynamiques. Autrement dit, personne ne peut simplement geler leur salaire ou les congédier. Voilà pourquoi la nomination à vie est la plus élevée de toutes. C'est ce que signifie l'expression «inamovible». Pour ce qui est des juges nommés, la Loi constitutionnelle dit qu'ils devraient rester en poste à vie. Les articles 96, 97 et 99 de la Loi de 1867 sur l'Amérique du Nord britannique parlent de l'inamovibilité des juges, et disent que ceux-ci «occupent leur charge à titre inamovible». La position des juges est un peu inférieure à celle des sénateurs puisqu'ils dépendent encore de l'ancien jugement de 1692, lequel explique que le terme «durant bonne conduite» signifie un mandat à vie.

Tout le monde l'a oublié aujourd'hui, mais lorsque les Britanniques ont créé le Sénat et qu'on y portait beaucoup attention — c'est une histoire formidable —, 72 résolutions ont fini par devenir l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Vous remarquerez que le Sénat nous confère maintenant des privilèges non supérieurs à ceux dont bénéficie la Chambre des communes, mais il s'agissait à l'origine de la Chambre des lords. On craignait que le Canada souhaite à un moment donné créer une cour d'appel à la Chambre haute. On voulait que les choses soient claires pour que rien ne puisse jamais être confondu avec le Comité judiciaire du Conseil privé britannique, ou CJCP, de sorte que les choses doivent passer par la Chambre des communes.

Ceci vous intéressera, sénateur Joyal. Lorsque les pères ont eu terminé d'élaguer le texte de ce qui deviendrait bientôt l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, et de rendre le libellé le plus précis et clair possible, un des plus grands rédacteurs de l'histoire était un homme du nom de lord Thring. Les pères l'ont convaincu de jeter un coup d'œil au produit final et d'y apporter des correctifs, ce qui démontre le soin que ces hommes prenaient à choisir le moindre mot. Je crois sincèrement que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique a survécu aussi longtemps en raison, entre autres, de l'attention portée à la formulation précise et à l'explication la plus claire possible de chaque concept. Le document est vraiment facile à lire.

Ma question à l'intention du témoin porte sur le Sénat tel qu'il était au moment de sa création en 1867. À l'époque, il était énormément question de limiter les pouvoirs de la Chambre des lords au Royaume-Uni, surtout sur le plan financier. C'est ce qui était dit, mais cela n'a été concrétisé pleinement que dans la Parliament Act de 1911. Personne n'a tenu compte de ces réflexions lors de la création du Sénat canadien, et nous avons aujourd'hui bien plus de pouvoirs que la Chambre des lords en ce qui a trait à la législation financière. Voilà qui était en grande partie attribuable aux inquiétudes des pères, qui craignaient que les impôts soient perçus d'un côté de la rivière des Outaouais, une grande ligne de démarcation, puis dépensés de l'autre. Ils voulaient que le Sénat puisse tout faire relativement aux mesures financières, à part instaurer des lois. La situation est donc fort intéressante.

M.Smith : Vous soulevez un point très pertinent. Au moment même de la formation de la Confédération et de l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1867, il y a eu une deuxième reconnaissance du droit de vote en Angleterre la même année.

La sén`atrice Cools : C'est vrai.

M.Smith : La raison d'être de la Chambre des lords s'effritait avec chaque reconnaissance du droit de vote, pour la classe moyenne puis pour la classe ouvrière. C'est alors que le problème de la Chambre des lords à la fin du XIXe siècle est apparu: à quoi sert-elle? Le pays n'en a pas besoin. Comme j'ai dit dans ma déclaration d'ouverture, le gouvernement de l'Angleterre est représentatif, mais pas celui du Canada. Nous avons une deuxième Chambre qui n'a rien à voir avec la représentativité, à moins que vous ne vouliez employer ce mot. J'éviterais toutefois de le faire compte tenu de la nature unique de notre fédération.

Vous soulevez un point intéressant. Comme vous le dites, les Britanniques étaient bien conscients de ce qui se passait, mais ils n'ont pourtant eu aucune objection à créer une Chambre haute canadienne fort différente et bien plus puissante, de sorte que le régime parlementaire théorique n'y entre pas.

La sénatrice Cools : C'est tout à l'honneur de ces hommes.

M.Smith : Ils avaient un gros problème à régler. C'était la solution au démantèlement assez prévisible du Canada- Uni. Celui-ci n'aurait pas survécu beaucoup plus longtemps sans élargissement des pouvoirs du Sénat. Cette expansion et constitution est d'ailleurs un des motifs de l'histoire canadienne.

La sénatrice Cools : Une autre chose est intéressante, monsieur — le sénateur Joyal et moi étions des intervenants lors du dernier Renvoi sur le Sénat. Vous constaterez que bon nombre des témoins qui représentent les procureurs généraux des différentes provinces ont mentionné certaines des choses dont nous parlons. Plus particulièrement, les deux jeunes hommes du Nouveau-Brunswick ont dit expressément que l'attention était portée aux provinces — je pense qu'il a parlé des provinces les moins peuplées. Voilà un des éléments formidables. Peut-être que je vénère un peu trop ce temple, mais je trouve fort intéressant que ces documents soient tellement récents dans notre histoire et aussi facilement disponibles que ces jeunes hommes — deux très aimables jeunes hommes du Nouveau-Brunswick — y aient fait référence, et qu'ils aient ramené la cour en arrière à propos de ces éléments et considérations.

Lorsqu'on y songe vraiment, même les articles de la Loi constitutionnelle qui exigeaient un consentement unanime sont assez vastes, de sorte que la grande province de l'Ontario densément peuplée obtient un vote, tout comme le Nouveau-Brunswick ou l'Île-du-Prince-Édouard. Quelqu'un y a réfléchi sérieusement, et je pense que nous devrions respecter davantage notre Constitution.

M.Smith : Il faut également sauvegarder l'unité de l'anglais et du français au Canada, mais il était aussi question de créer un pays transcontinental. L'Australie n'a jamais rien eu de tel. Là-bas, un continent équivaut à un pays, et inversement. L'Australie a vu le jour en 1901. Au Canada, la frontière évolue. Il s'agit d'un territoire immense qui a pris forme incroyablement vite, à mon avis. Encore une fois, c'est une force de motivation à la constitution d'un territoire et d'un peuple.

La sénatrice McCoy : Merci. Je vous suis très reconnaissante d'être avec nous. Je suis avocate, et vous êtes politicologue, de sorte que nos interprétations seront peut-être différentes. Lors du dernier renvoi — pour lequel vous étiez intervenante, sénatrice Cools, et vous aussi, sénateur Joyal —, il me semble que la Cour suprême du Canada a refusé de modifier l'inamovibilité sous prétexte que cela priverait les sénateurs d'une sécurité qui leur permet de dire librement ce qu'ils pensent. Voilà qui était le point essentiel — nous permettre de dire ce que nous pensons librement.

M.Smith : Je n'ai pas compris la remarque préliminaire. Est-ce pour cette raison que l'idée de l'élection a été rejetée?

La sénatrice McCoy : Il s'agit de mandats fixes. Êtes-vous d'accord?

M.Smith : Oui.

La sénatrice McCoy : Et en ce qui a trait aux élections consultatives, la Cour suprême n'était pas d'accord non plus. Elle estime que nous formons une Chambre complémentaire à la Chambre des communes. Je n'ai pas la citation exacte sous les yeux, mais cela signifiait qu'il fallait être une instance non partisane, semble-t-il. Je crois que c'était un élément central de la complémentarité, aux yeux de la cour.

M.Smith : Je ne serais pas arrivé à cette conclusion. J'aurais besoin de relire le passage. Je ne me souviens pas qu'il ait été question de partisanerie. C'était peut-être une illusion que la partisanerie est...

La sénatrice McCoy : Je vais poser la question, et nous y répondrons entre nous. Je n'ai aucun problème à ce que des gens forment des groupes au Sénat, en fonction de leurs opinions communes. Je doute qu'il y ait des restrictions aux regroupements, qu'il s'agisse de caucus des régionaux, de caucus formés pour un enjeu donné, ou même de caucus partisans. Je ne crois pas que nous devions suivre un seul modèle en particulier.

J'aimerais dire une dernière chose. J'ai remarqué dans les remerciements de votre rapport que c'est avec gratitude que vous soulignez la contribution personnelle du sénateur Joyal dans l'élaboration de votre analyse. Je ne voulais pas manquer l'occasion de remercier le sénateur Joyal pour sa participation active dans ce rapport et, par conséquent, dans la séance d'aujourd'hui. Merci beaucoup, sénateur Joyal.

M.Smith : J'aimerais remercier plus particulièrement le personnel du sénateur. Je suis d'un âge où, même si je suis capable d'utiliser un ordinateur, je ne suis pas terriblement compétent non plus. Ces gens m'ont beaucoup aidé. Ils m'ont été d'un grand secours, moi qui vis à Niagara-on-the-Lake où je ne peux demander d'aide à personne.

Le président : Monsieur Smith, je vous remercie infiniment de votre participation. Nous n'avions pas prévu que ce serait aussi long, mais je crois savoir que vous entreprenez un voyage fort mérité demain matin.

M.Smith : Ce fut un plaisir. Merci.

Des voix : Bravo!

Le président : Vous avez certainement jeté d'excellentes fondations.

Chers sénateurs, nous avons quelques questions d'ordre administratif à régler avant de poursuivre à huis clos. À la dernière séance, la sénatrice McCoy a soumis un article du Hill Times, et elle souhaite qu'il figure au procès-verbal. Pour ce faire, nous avons besoin d'une motion à cet effet. Je laisse maintenant la parole à la sénatrice McCoy.

La sénatrice McCoy : Merci. Je propose que l'article qui s'intitule «Senate Modernization Committee formed, chairman Sen.McInnis chosen without election,» publié le 22 février 2016 dans le Hill Times, soit déposé en preuve.

Le président : Vous avez entendu la motion. Que ceux qui sont d'accord disent «oui».

Des voix : Oui.

Le président : Que ceux qui s'y opposent disent «non». Nous allons maintenant poursuivre à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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