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MDRN - Comité spécial

Modernisation du Sénat (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial
sur la Modernisationdu Sénat

Fascicule n° 6 - Témoignages du 26 octobre 2016


OTTAWA, le mercredi 26 octobre 2016

Le Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat se réunit aujourd'hui, 12 h 4, pour examiner les façons de rendre le Sénat plus efficace dans le cadre constitutionnel actuel.

Le sénateur Serge Joyal (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Honorables sénateurs, c'est avec plaisir que je vous souhaite la bienvenue aujourd'hui au nom du président, le sénateur McInnis, qui est à l'extérieur de la capitale pour parcourir l'Est du Canada dans le cadre des travaux du comité des pêches. Il m'a demandé, à titre de vice-président du comité, de présider aujourd'hui nos délibérations.

C'est avec plaisir que je souhaite la bienvenue à l'ancien sénateur Hugh Segal, que ceux qui nous écoutent et nous connaissons très bien parce qu'il était très actif dans ses fonctions, non seulement pour ce qui est de la question du Sénat, mais aussi dans de nombreux autres dossiers, et il a continué de s'intéresser à l'évolution de notre institution.

Je rappelle à nos téléspectateurs que le 21 septembre dernier, les anciens sénateurs Hugh Segal et Michael Kirby ont publié un rapport stimulant qui comporte des recommandations sur l'avenir de l'institution en s'appuyant sur les paramètres que nous reconnaissons tous, je crois, comme les contraintes auxquelles nous faisons face dans le cadre constitutionnel actuel.

Le Sénat n'est pas condamné à l'inaction. Le Sénat est une institution qui évolue, et elle évolue dans le respect des paramètres de la Constitution canadienne, à laquelle le sénateur Segal a grandement contribué dans une ancienne vie, alors qu'il faisait partie du cabinet du premier ministre Davis, à l'échelle provinciale.

C'est un grand honneur de vous souhaiter la bienvenue, sénateur Segal. Votre présence témoigne de votre intérêt à l'égard de l'institution, et nous sommes impatients d'entendre votre exposé et de discuter avec vous. Vous pouvez vous attendre à ce que les membres du comité aient des commentaires, des interventions et des questions pour vous. Nous allons donc avoir une charmante discussion avec vous, et j'espère que ce sera constructif pour la suite de nos travaux.

Vous avez la parole, sénateur Segal.

[Français]

L'honorable Hugh Segal, ancien sénateur, à titre personnel : Je vous remercie, monsieur le président. Je suis très reconnaissant de votre invitation à participer à vos audiences et de me permettre de faire une présentation dans le but de contribuer au succès de vos travaux.

Votre décision de former ce comité et de dédier votre rapport à l'honorable Pierre Claude Nolin mérite d'être saluée.

[Traduction]

Après avoir été nommé à la Chambre haute par le premier ministre au cours de l'été 2005, on m'a invité à assister à une réunion du caucus conservateur à Halifax. C'est le sénateur Nolin qui a eu l'obligeance de prendre à part le sénateur débutant de l'Ontario pour lui expliquer le fonctionnement du Sénat. Ses conseils étaient solides, son point de vue, sage, et sa décence, manifeste.

Je me souviens — comme beaucoup d'entre vous, j'en suis sûr — de la fréquence à laquelle il parlait du renouvellement et du rajeunissement de la Chambre haute du Canada et de la sincérité dont il faisait preuve à l'égard de ces questions. Il était également un important parlementaire de l'OTAN ainsi qu'un fier Québécois. Que nous soyons en accord ou en désaccord, mon respect à l'égard de sa motivation fondamentale demeure indéfectible et très profond.

Chers sénateurs, mon but aujourd'hui est de respecter le travail que vous avez accompli et le travail qu'il vous reste à accomplir. Je parlerai brièvement et sans détour de dispositions de votre rapport que j'aimerais que vous reconsidériez.

Puis-je respectueusement vous proposer le principe suivant, qui corrobore la déférence que je vous témoigne aujourd'hui : pour le meilleur ou pour le pire, l'actuel gouvernement du Canada a clairement reçu des électeurs le mandat de réduire les influences, le contrôle et la gestion des partis au Sénat en les remplaçant par un cadre de fonctionnement qui repose sur l'indépendance des sénateurs, qu'ils se soient eux-mêmes déclarés indépendants ou qu'ils aient été nommés ainsi, conformément au nouveau cadre d'examen des candidats mis en place par le nouveau gouvernement. C'est ce qui a été proposé aux Canadiens avant et pendant les élections il y a environ un an. Il n'y avait aucun subterfuge ni faux-fuyant. En octobre dernier, le gouvernement actuel a obtenu une nette majorité dans le cadre du système uninominal majoritaire à un tour.

Les électeurs se sont exprimés de manière claire et précise au sujet du renforcement de l'autonomie des sénateurs indépendants ou non affiliés et de la protection de l'ensemble de leurs droits. Je crois également qu'on devrait respecter la convention de longue date du Sénat qui consiste à donner suite aux propositions pour lesquelles les gouvernements ont reçu un mandat public. Vos recommandations concernant la proportionnalité et la formation de caucus qui ne reposent pas uniquement sur les affiliations politiques sont très encourageantes, mais j'estime qu'elles manquent de fermeté et de mordant, qu'elles sont trop édulcorées.

Elles semblent viser le report et la dilution de ce que les électeurs ont exprimé et de ce que le gouvernement a promis lorsqu'il était dans l'opposition, plutôt qu'une mise en œuvre mesurée et équilibrée. Dans les arénas de hockey de Kingston, nous aimons dire qu'il y a une différence entre faire avancer la rondelle et niaiser avec la rondelle. Tout contrôle partisan continu exercé sur le comité de sélection, par exemple, le comité de la régie interne, ne fait que réduire le nombre de sénateurs dont la candidature a été soigneusement examinée, ce qui fait en sorte qu'on se retrouve avec des participants peu solides dont le rôle est uniquement déterminé par ceux qui ont hérité du contrôle partisan d'une législature précédente.

Je n'enlève rien à votre intention d'être constructifs au moyen des nombreuses recommandations de votre rapport réfléchi et éclairé sur le choix d'un Président, le fractionnement des projets de loi omnibus, l'augmentation des déplacements dans les régions et ainsi de suite. À cet égard et pour ce qui est d'autres questions, le rapport est excellent.

Par contre, l'échéancier des progrès semble, si je puis dire, un peu relâché. Votre comité exhorte d'autres comités à présenter des propositions pour poursuivre l'étude. Votre rapport doit être renvoyé au Sénat où il sera examiné davantage en vue de régler la question, et il faudra facilement attendre encore deux ou trois ans avant que des changements concrets soient apportés.

À titre d'exemple, je rappelle que le président du Comité de sélection a récemment proposé d'ajourner le débat sur une motion présentée au Sénat il y a quelques jours par mon bon ami, et le vôtre, le sénateur Eggleton, au sujet de la proportionnalité dans les comités. J'espère que c'était dans le but de faciliter l'adoption rapide et le règlement de la question au Sénat.

Je respecte le choix du gouvernement de ne pas intervenir en laissant la Chambre haute apporter ses propres changements, ce qui est louable. Cependant, la façon d'agir de ce simple citoyen semble loin d'être constructive lorsqu'il retarde davantage ces changements et affaiblit la pluralité à la Chambre haute.

Nous ne sommes donc pas vraiment d'accord pour ce qui est du fond, de la rapidité et de l'intensité des changements, ainsi que de la nécessité de donner à tous les sénateurs exactement les mêmes droits pour voter, intervenir, se remplacer entre eux aux comités ainsi qu'intervenir et voter au sein des comités sans devoir respecter les consignes de quelqu'un, encore moins d'un parti politique.

En tant que citoyen, je vous suis reconnaissant des nombreuses heures de travail que vous avez consacrées à cet important dossier de modernisation et de votre engagement à poursuivre vos efforts en ce sens. Je tenais à le souligner. J'espère respectueusement et sincèrement que vous allez rompre à un moment donné le cercle qui consiste pour votre comité à demander à d'autres comités de formuler des recommandations aux fins d'étude.

Espérons que le premier ministre du Canada donnera bientôt au gouverneur général une nouvelle liste de candidats qui deviendront officiellement sénateurs. Nous nous dirigeons progressivement vers une pluralité et une majorité d'indépendants, mais nous progressons beaucoup trop lentement pour ce qui est de faciliter la pleine participation de ces sénateurs indépendants. À mon avis, il est inconvenant et non constructif d'avoir une chambre dans laquelle pas moins de 60 p. 100 des sénateurs occupent 17 p. 100 des places au sein des comités. Je pense que la plupart des Canadiens seraient d'accord pour dire que cette situation n'est pas du tout constructive.

Toutes les décisions des majorités partisanes au Sénat qui ne visent pas à se défaire immédiatement du terme « parti reconnu », que le Règlement du Sénat définit comme un caucus enregistré conformément à la Loi électorale du Canada, constituent une véritable trahison des électeurs du Canada qui se sont prononcés en octobre 2015. Ce n'est peut-être pas votre intention, mais, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est la conséquence.

Cette définition partisane empêche actuellement les sénateurs indépendants de participer pleinement aux travaux des comités et d'avoir accès à des fonds pour faire de la recherche. De plus, s'ils décident de se regrouper par régions sénatoriales à des fins administratives, les règles actuelles ne leur donnent pas les mêmes avantages qu'aux caucus partisans.

On pourrait donc conclure que nous sommes dans la situation suivante : tous les sénateurs sont égaux, mais conformément aux règles actuelles, différents niveaux d'égalité semblent les séparer. Il faut présenter une mesure législative, de préférence au Sénat, pour modifier la Loi sur le Parlement du Canada dans le but d'éliminer ou de remplacer les occurrences du terme « parti reconnu » pour toutes les raisons susmentionnées. Il serait également nécessaire de modifier la loi pour remplacer tous les termes qui définissent le Sénat comme une institution partisane, c'est-à-dire les termes comme « leader du gouvernement au Sénat », « leader de l'opposition », « whip » et ainsi de suite.

Je vous prie de comprendre qu'après avoir été moi-même sénateur partisan très longtemps et après avoir eu l'honneur de siéger en tant que sénateur conservateur de l'Ontario pendant neuf ans, je continue d'avoir un profond respect pour la force constructive, l'élaboration des politiques, l'organisation législative, la responsabilisation et le lien avec les communautés de nos partis politiques, maintenant et à l'avenir, au sein de notre démocratie canadienne. C'est on ne peut plus pertinent pour nos assemblées législatives et nos Parlements.

Or, l'imposition d'un tel contrôle des partis politiques par rapport à tout ce qui concerne le Sénat, où les parlementaires ne sont pas élus — l'ordre du jour, qui dépense quoi, qui intervient et à quel moment, qui a un droit de vote et qui a un droit de parole au sein des comités — est une pratique qui s'est développée au fil des décennies, mais qui ne sera pas pour autant juste ou appropriée dans un avenir qui sera défini par une nouvelle approche d'examen des candidats sénatoriaux et un nouveau groupe progressif de sénateurs plus indépendants.

Comme la Cour suprême a limité la façon dont le Sénat peut être modifié en recourant au contenu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et à la formule de modification sur laquelle se sont entendus Ottawa et les provinces lorsque la Loi constitutionnelle, qui comprend la Charte des droits et libertés, a été rapatriée au début des années 1980, l'ancien sénateur Kirby et moi avons examiné la Constitution du Canada pour répondre à la demande du Forum des politiques publiques qui voulait se faire une idée du fonctionnement possible d'un Sénat dominé par des membres non partisans et non affiliés. Dans la Constitution, le libellé original concernant la composition du Sénat faisait état de divisions régionales, pour éviter que les représentants de l'Ontario ne prennent le dessus sur ceux des provinces moins populeuses. De plus, cette composition faisait en sorte que la minorité francophone au Canada ne pouvait pas être assujettie à l'énorme majorité ontarienne.

Les majorités dominent à la Chambre des communes conformément à la formule de la représentation selon la population, comme il se doit, mais ce n'est pas ainsi au Sénat. Sans cette entente conclue avant 1867, nous n'aurions pas eu de Confédération, et j'estime que nous n'aurions pas eu de Canada.

Le point de vue partagé par le sénateur Kirby et moi est simplement que les délégations sénatoriales régionales explicitement mentionnées dans la Constitution seraient excellentes après l'élection d'un nouveau Parlement pour prendre ces décisions organisationnelles, par l'entremise de leurs délégués, en ce qui a trait aux comités, à la structure et à la gestion de l'ordre du jour, qui sont tous essentiels au fonctionnement du Sénat au cours d'une législature.

Nous n'avions prévu aucune cohérence régionale à l'égard des politiques ou des tactiques limitant le droit de chaque sénateur de voter en fonction de sa propre expertise ou de sa propre conscience ou le droit de mettre sur pied des groupes de travail saisis de dossiers ou de préoccupations qui vont à l'encontre d'une proposition du gouvernement ou qui la soutiennent d'une façon qui pourrait être jugée appropriée.

Notre proposition n'appuyait pas la régionalisation aux fins politiques, mais simplement une structure organisationnelle régionale conforme à la Constitution du Canada pour organiser, après l'élection d'un nouveau Parlement, la structure et le cadre de fonctionnement de la Chambre haute.

Je serai ravi, monsieur le président, de répondre à vos questions ou à vos attaques personnelles.

Le vice-président : Merci beaucoup, sénateur Segal. Je suis certain que ce que vous nous avez présenté dans votre mémoire ou cet après-midi suscitera beaucoup de questions. J'ai déjà une liste de sénateurs qui veulent vous en poser ou discuter avec vous.

Le sénateur Massicotte : Merci beaucoup de votre exposé, monsieur Segal. C'est toujours intéressant et très stimulant, comme l'a dit le vice-président.

De toute évidence, vous faites allusion à l'organisation du Sénat à l'échelle régionale à des fins administratives, car le débat constitutionnel a eu lieu il y a 150 ans. Avez-vous examiné d'autres formes d'organisation? Le but de toute organisation est évidemment que tout le monde fasse de son mieux pour obtenir les meilleures décisions et les meilleures lois possible, et il existe toutes sortes d'autres organisations. Les Nations Unies sont une organisation différente. En avez-vous examiné d'autres? Vous dévalorisez le modèle de Westminster parce qu'il est trop partisan. Vous parlez de régions. Qu'en est-il d'autres modèles? En avez-vous examiné d'autres?

M. Segal : Nous avons examiné, par exemple, l'idée de groupes de travail qui seraient mis sur pied dans un Sénat pour faire progresser avec cohérence certains points de vue sur des questions comme la pauvreté, la croissance économique et la politique étrangère, et nous pensons que c'est excellent. J'ajoute que je pense que les recommandations de votre propre rapport concernant cette formation de groupes, de temps à autre lorsque c'est nécessaire, sont excellentes.

Nous avons répondu à la question, car c'est celle qu'on nous a posée, sénateur Massicotte, à savoir comment l'institution peut s'organiser elle-même de manière à tenir compte de la nouvelle réalité d'une pluralité croissante et, à un moment donné, d'une majorité de sénateurs non affiliés. Nous étions d'avis que lorsqu'un nouveau Parlement faisait en sorte que le Sénat devait organiser son cadre et ses principes de fonctionnement, la meilleure façon de procéder était de recourir à un processus régional.

Or, la notion voulant que cette façon de faire se traduise par un phénomène comme celui des transfuges — ce qui fait maintenant partie intégrante du modèle de Westminster — ne nous a aucunement préoccupés. Je sais que vous avez étudié la question. Vous avez planché sur une approche multipartisane de la réforme du Sénat. Au Royaume-Uni, aucun gouvernement n'a eu de majorité à la Chambre des lords depuis de nombreuses années. En fait, ce sont les transfuges qui ont joué le rôle dominant. Les gouvernements doivent donc avoir l'appui de transfuges d'une manière ou d'une autre, dans un contexte de veto suspensif, pour faire adopter leurs projets de loi à la Chambre des lords.

Nous pouvons tous penser à des exemples de projets de loi, comme le projet de loi du gouvernement Blair concernant la longueur de la période pendant laquelle une personne peut être détenue avant de comparaître devant un tribunal. Le premier ministre Blair pensait avoir trouvé un excellent compromis. La Chambre des lords en a été saisie, et ils ont dit qu'ils sont la nation de la Magna Carta et qu'ils n'allaient pas maintenir quelqu'un en prison pendant une période déraisonnable sans que ses droits soient respectés. Le projet de loi a été rejeté très rapidement par un mélange de transfuges et de membres du Parti travailliste et du Parti conservateur à la Chambre des lords. L'idée d'avoir une certaine définition de parti dans l'équation ne pose pas problème tant que les principaux principes organisationnels ne proviennent pas du parti au pouvoir à la Chambre ou du parti qui détient la majorité à cause d'un processus de nomination antérieur au Sénat à la suite d'élections.

Le sénateur Massicotte : Vous employez les mots « partis » ou « partis politiques » ainsi que « partisanerie ». Vous semblez donner une connotation péjorative au mot, et vous laissez entendre que cela ne s'applique pas au Sénat. Voulez-vous aborder cette question? Que nous apprend notre histoire récente à ce sujet?

M. Segal : Sénateur Massicotte, le problème n'est pas la présence de groupes partisans qui se consacrent activement aux enjeux du Sénat. Cette pratique fait partie de notre tradition démocratique, et je m'opposerais à tout ce qui la rendrait impossible ou en diminuerait le potentiel.

D'autres personnes à la table qui ont participé à l'histoire ont leur propre point de vue. Lorsqu'il faut prendre une décision au sein du Comité de la régie interne, notamment sur la pertinence de certaines dépenses, ou sur le fait que des gens doivent être réprimandés ou non d'une façon ou d'une autre, je ne crois pas que les considérations partisanes aient leur place dans la discussion, ou qu'il convienne que les sénateurs se sentent obligés de voter d'une façon ou d'une autre en raison de l'orientation partisane de l'autre chambre. Cela va selon moi à l'encontre de l'idée que Sir John A. Macdonald et d'autres se faisaient du Sénat : le Sénat ne doit pas reprendre les délibérations de la chambre, mais il doit plutôt être un lieu de réflexion sereine et attentive où des voix indépendantes se font entendre de sorte que la loi soit techniquement correcte; et les principes de justice et de présomption d'innocence, entre autres, doivent être respectés et conformes à notre Constitution.

Dans ce contexte, qu'il provienne de l'opposition ou du gouvernement, tout contrôle partisan est à mon avis préjudiciable et non constructif, ou entrave la légitimité du Sénat. Un tel contrôle peut à l'occasion discréditer le Sénat lui-même, ce qu'aucun d'entre nous ne souhaite.

Le sénateur Greene : Je suis tellement d'accord avec vous que je suis un peu embarrassé de critiquer une chose à laquelle je ne souscris pas.

Je suis certes d'accord sur ce que vous dites à propos du Comité de sélection et du Comité de la régie interne, et sur vos grandes déclarations concernant le rythme du changement. Je conviens tout à fait que nous accusons un retard par rapport à là où nous devrions être à ce stade-ci.

Je suis tout à fait d'accord avec vos positions concernant l'égalité, et avec votre allusion au fait qu'il y a une égalité au sens technique, mais que ce concept compte divers degrés. J'en conviens.

La chose qui a soulevé des questions, voire une opposition, c'est l'emploi des régions comme mécanisme d'organisation du Sénat. Je regarde les régions proposées, et deux d'entre elles sont des provinces, ce qui pose un certain problème à mes yeux. Une région conserve une certaine identité géographique, historique, culturelle, économique, et ainsi de suite. Les Maritimes forment une région conformément à cette définition. L'Ontario est-elle une région? La province compte de nombreuses régions, mais s'agit-il d'une région en soi? J'ai du mal à me rallier à ce concept.

Comme nous le savons tous, et comme le sénateur Pratte l'a souligné, le Québec pose un risque qui pourrait éventuellement entraîner des problèmes au Sénat.

Dans le cas de l'Ouest, de la Colombie-Britannique et du Manitoba, il y a un manque d'uniformité.

La seule façon d'assurer la réussite d'une organisation régionale, c'est de créer de nouvelles régions qui respectent véritablement la définition d'une région, plutôt que d'employer la formule prévue à la Constitution, ce qui est inadéquat pour de nombreuses raisons. Mais d'un point de vue pratique, cela pourrait être la bonne façon de faire.

J'aimerais que vous répondiez à ces remarques.

M. Segal : Bien sûr, sénateur Greene. Je vous remercie de votre question et de vos observations. J'ai un bon souvenir de l'époque où nous étions voisins de siège à la chambre, et où j'ai eu le privilège de servir à vos côtés. Je vous suis grandement reconnaissant du document sur la réforme du Sénat que vous avez publié il y a quelques semaines. Il reflétait certaines des meilleures hypothèses et des suppositions les plus convaincantes concernant la façon dont la chambre que vous servez et que j'ai eu le privilège de servir peut être au service des citoyens canadiens le plus efficacement possible. En tant que citoyen, je vous en remercie.

Comme c'est souvent le cas, l'interprétation du terme « région » dans le document va légèrement au-delà de notre intention, au sénateur Kirby et à moi-même. Voici simplement ce que nous en pensons.

Permettez-moi de parler d'un groupe que vous connaissez tous très bien. Le Comité de sélection se réunit après l'élection des membres d'une nouvelle législature. En fonction des négociations entre ses membres, le comité décide qui présidera les différents comités. Les votes y sont toujours unanimes. Il n'y a jamais d'affrontement étant donné que les différents partis politiques ont échangé sur la façon dont les choses doivent se passer. Lorsque c'est fait, le Comité de sélection ne se réunit plus jamais, à moins d'un imprévu. Les comités de la chambre poursuivent alors leurs travaux en toute simplicité. Lorsque des remplacements sont nécessaires, les whips des deux partis suivent la procédure adéquate, comme votre expérience vous l'a appris.

Nous pensons que les responsables des prétendues délégations régionales doivent se réunir une fois le Parlement élu pour tenir une discussion semblable sur les divers enjeux relatifs au cadre, qui doivent être abordés afin que l'organisation puisse aller de l'avant et être bien organisée.

Je ne considère pas que deux régions votent contre une autre, mais plutôt qu'une même recherche de consensus a lieu. En revanche, plutôt que de décider qui est à la table de façon partisane, ce sont les responsables élus dans chaque région constitutionnelle désignée qui s'en chargent et qui siègent au nom des régions. Il est évidemment possible que ces gens se réunissent par la suite, mais c'est probablement inutile une fois que les organes du Sénat sont en place et qu'une représentation et une proportionnalité équitables sont respectées dans le fonctionnement des comités et au sein des autres modes de délibération de la chambre.

À mes yeux, la région n'existe pas au-delà de ce processus organisationnel fondamental. Je ne considère pas que les voix du Québec, des Maritimes, de l'Ouest ou de l'Ontario soient concurrentes. Il s'agit plutôt de responsables élus par leurs collègues qui siègent aux côtés d'autres intervenants clés du Sénat, et qui tirent des conclusions à propos du cadre, un point c'est tout. C'est ce que je réponds à votre question très légitime.

Le sénateur Greene : Merci beaucoup. Je vais y réfléchir. Ce n'est pas ce que j'avais compris dans votre témoignage. C'est peut-être une solution.

[Français]

La sénatrice Tardif : C'est un plaisir de vous revoir, sénateur Segal, même si ce n'est que par vidéoconférence. J'aimerais soulever un point que vous n'avez pas mentionné dans votre présentation, mais qui fait partie de votre rapport A House Undivided. Dans votre rapport, vous recommandez l'élimination de l'âge minimal de 30 ans. Dans plusieurs pays, il y a des restrictions liées à l'âge. Par exemple, aux États-Unis, je crois qu'il faut être âgé de 35 ans pour devenir président et de 30 ans pour devenir sénateur.

Tout d'abord, sur quoi vous basez-vous pour proposer ce changement? Deuxièmement, étant donné que l'élimination de l'âge minimal pourrait faire en sorte que le mandat d'un sénateur soit plus long, croyez-vous que l'assentiment des provinces soit requis?

M. Segal : Je suis aussi tout à fait ravi de vous revoir, même si ce n'est que par téléconférence.

Le processus qui a été mis en place par le gouvernement fait en sorte qu'il y a maintenant un processus de vérification des candidats considérés par le premier ministre en fonction de leur expérience de vie, par exemple dans le secteur de l'éducation, comme dans votre cas, à la lumière de votre carrière impressionnante, dans le secteur public, en médecine ou dans le monde des affaires. Ceux qui n'ont pas acquis une expérience importante ne seront sans doute pas considérés par le comité de vérification avant que celui-ci ne soumette la liste des candidats au premier ministre dans le but de combler les sièges vacants au Sénat. Il resterait alors ceux qui ont une certaine expérience et qui sont âgés de plus de 30 ans.

Le fait d'imposer une limite d'âge aux jeunes Canadiens et Canadiennes les rendrait non admissibles, bien qu'ils soient, par exemple, des étoiles dans une discipline sportive ou qu'ils aient travaillé de façon incroyable à sauver des vies. On leur dirait alors qu'ils ne comptent pas s'ils sont âgés de moins de 30 ans. À mon avis, on peut conserver comme critère l'importance d'avoir de l'expérience, dans le cas des candidats qui sont nommés par la population lorsque ces personnes se distinguent clairement par leurs qualités et leurs accomplissements, sans toutefois établir une règle formelle selon laquelle les candidats qui ont moins d'un certain âge ne sont pas admissibles.

La sénatrice Tardif : Vous croyez donc que c'est par l'intermédiaire du comité de nomination que l'on pourra vérifier l'étendue de l'expérience d'une personne qui aurait moins de 30 ans?

M. Segal : Oui. Si je comprends bien, sénatrice Tardif, les critères sur lesquels se base le comité pour choisir, parmi les nominations, les meilleurs candidats de chaque province dont les dossiers seront présentés au premier ministre sont les critères liés à l'accomplissement, à l'expérience, au travail et à la compétence académique. Ce processus permettra tout de même de recueillir un certain nombre de candidats, sans tenir compte de leur âge, qui répondront aux critères liés à leurs idées et au travail qu'ils auront accompli au cours de leur vie.

La sénatrice Bellemare : Bonjour, honorable ex-sénateur Segal. Je suis aussi très heureuse de pouvoir échanger avec vous.

Je suis d'accord avec plusieurs des choses que vous avez dites. En guise d'introduction à ma question, je dirai ce qui suit. Dans ma réflexion sur la réforme du Sénat, j'ai toujours pensé qu'un des premiers thèmes à aborder et qu'une des premières corrections à apporter avaient trait au bipartisanisme. Au Canada, contrairement à bien des sénats dans le monde, nous n'avons que deux partis. Ainsi, la tentation existe pour la Chambre des communes et le gouvernement de tenter d'obtenir une majorité absolue au Sénat. Comme les sénateurs siègent pendant plusieurs années, cela risquerait d'entraîner des dysfonctions, ce qui cause parfois de gros problèmes.

Je dois vous avouer qu'après avoir cerné cette problématique liée au fait qu'il nous fallait d'autres groupes, sur le coup, je n'étais pas favorable à l'idée de créer des caucus régionaux. Je partageais l'avis de plusieurs d'entre nous selon lequel, au sein des quatre régions, il n'est pas évident de partager des affinités.

Ce n'est que plus tard, en sachant que, comme nous n'avons pas de caucus du gouvernement à l'heure actuelle, nous ne pouvons donc pas avoir de caucus de l'opposition, que je me suis posé la question à savoir comment nous pourrions organiser quelque chose qui soit durable. J'ai trouvé ma réponse dans les éléments que vous avez présentés dans votre rapport, dans les idées qui avaient été présentées par la sénatrice Ringuette, et dans la Constitution. L'article 22 de la Constitution est très clair. Il dit ce qui suit :

22. En ce qui concerne la composition du Sénat, le Canada sera censé comprendre quatre divisions [...]

Et on les nomme. On ne parle pas de quatre régions, mais de quatre divisions.

C'est alors que ma réflexion a commencé à évoluer. Je me suis dit, oui, pourquoi pas. Je suis sénatrice du Québec, d'autres représentent différentes régions. Pourquoi ne ferions-nous pas partie automatiquement, dès notre nomination, d'un groupe qui s'appelle une division, soit la division constitutionnelle prévue à l'article 22? Il y en aurait quatre et on répartirait les territoires. Chacune de ces divisions s'occuperait du travail administratif.

En y réfléchissant de plus en plus, je me suis posé la question à savoir en quoi constitue le travail administratif. Il s'agit de sélectionner les sénateurs pour les comités, de s'occuper des remplacements, de la discipline, des liens avec les provinces; en d'autres mots, il faut s'occuper d'un tas de petites choses qui, dans un caucus partisan, peuvent parfois être utilisées en guise de punitions ou de récompenses. Pourquoi ne pas procéder ainsi et avoir, à un autre niveau, des groupes fondés sur les affinités — ce dont vous parlez dans votre document. On pourrait former un groupe selon les affinités du Parti conservateur et de tous les partis, et un groupe d'affinités qui n'a rien à voir avec un parti politique. Le sénateur qui voudrait faire partie d'un groupe d'affinités en particulier s'inscrirait pour une période donnée et pourrait renouveler son adhésion. Éventuellement, peut-être qu'on pourrait proposer un budget propre au groupe d'affinités.

Est-ce que ma compréhension de votre modèle s'accorde à l'image d'une organisation structurelle du Sénat qui serait fondée, non pas sur ce qu'on appelle un « caucus » — et c'est là où mon opinion diffère de la vôtre, car je réserverais le mot « caucus » aux groupes d'affinités —, mais sur une structure organisationnelle basée sur quatre divisions en vertu de l'article 22 de la Constitution?

J'aimerais avoir vos commentaires sur cette façon de présenter les choses.

M. Segal : Votre perception du rapport est tout à fait juste. Je suis d'accord avec votre compréhension et vos propos à ce sujet.

Je n'ai rien contre les groupes partisans, qu'ils soient bleus, rouges ou néo-démocrates, ou qu'ils soient formés en fonction d'intérêts particuliers comme l'agriculture, les pêches ou les affaires étrangères. Pourquoi pas? Toutefois, les décisions administratives pour l'organisation de la Chambre ne doivent pas être prises par des groupes partisans. Ce travail doit être dirigé par des divisions, comme vous le précisez, qui sont saluées dans la Constitution du Canada comme la base fondamentale de l'institution où vous travaillez maintenant.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Bienvenue, sénateur Segal. Comment allez-vous aujourd'hui? C'est un plaisir de vous voir parmi nous.

Vous ne serez pas surpris d'apprendre que je suis en désaccord avec à peu près tout ce que vous avez dit. J'aimerais tout de même poser quelques questions.

Comment savez-vous qu'un plus grand nombre de sénateurs indépendants seront nommés?

M. Segal : Je le sais parce que nous avons, pour encore au moins trois ans et demi ou quatre ans, un gouvernement majoritaire à la chambre des communes qui s'est engagé à nommer des sénateurs indépendants. À ce jour, le gouvernement en a nommé quelques-uns, et rien ne me permet de croire qu'il abandonnera cette pratique.

Compte tenu du cycle normal des départs à la retraite et d'autres changements, nous aurons ainsi une majorité réelle de sénateurs indépendants ou non affiliés d'ici les prochaines élections. Il convient donc de se demander quels seront les droits opérationnels de ces sénateurs par rapport à ceux qui appartiennent à des caucus partisans d'ici les prochaines élections.

Le sénateur Tkachuk : Il me semble que si les choses se passent ainsi, je suis un peu plus libre et indépendant par rapport à ce que les sénateurs choisissent de faire. Pour ma part, j'ai pris un engagement. Un premier ministre conservateur a téléphoné pour me nommer au Sénat sous la bannière conservatrice, et j'ai l'intention de terminer mon mandat à titre de sénateur conservateur, ce qui est mon droit.

Peu m'importe si tous les sénateurs sont indépendants. Si des sénateurs indépendants sont nommés, ils formeront bientôt la majorité et pourront obtenir ce qu'ils désirent. Ils seront nommés au sein des comités. Puisqu'ils y seront majoritaires, ils s'organiseront comme un caucus politique et feront ce qu'il faut pour faire adopter les projets de loi du gouvernement.

Je ne pense pas que ces sénateurs seront indépendants. Ils seront plutôt des sénateurs du parti gouvernemental. Ils n'adhéreront peut-être pas au Parti libéral, mais ils seront tout de même dans le parti ministériel.

M. Segal : Permettez-moi de dire deux choses. Tout d'abord, vous et moi savons que nous avons été en désaccord sur bien des choses pendant les neuf années où j'ai eu le privilège d'occuper un bureau près du vôtre, ce qui n'a pas eu la moindre incidence sur notre amitié ou notre relation. Le fait que nous continuons d'être en désaccord signifie simplement que l'amitié est aussi forte que toujours.

Pour ce qui est du droit de respecter la prémisse de votre nomination, je suis d'avis que votre affiliation au Parti conservateur doit demeurer intacte sans être ni contestée ni remise en doute, point à la ligne. Je suis loin d'être en désaccord. Voici plutôt ce que je dis : la possibilité que les organes prenant des décisions organisationnelles et administratives au Sénat soient définis par la partisanerie des membres constitue une erreur dans le cadre actuel, comme le démontre l'engagement clair du gouvernement en place.

Votre prémisse selon laquelle les gens sont indépendants ou pas est un point de vue tout à fait légitime. Je dirais simplement que si vous songez au débat récent concernant le projet de loi sur l'aide médicale à mourir, de même qu'à d'autres débats antérieurs, vous constaterez que certains des plus beaux moments du Sénat sont survenus lorsque des sénateurs ont donné non pas le point de vue de leur parti sur la question, mais plutôt leur propre avis libre de toute partisanerie, et dans l'intérêt public.

Nous l'avons constaté dans le cas du projet de loi sur l'aide médicale à mourir. En tant que citoyen qui ne voit pas les dossiers aussi directement que vous, étant donné que je ne suis pas sur place, j'aimerais conclure en disant que l'esprit d'indépendance des sénateurs est encore bien vivant. Il reste à déterminer comment adopter des règles au Sénat pour encourager une telle indépendance chez les sénateurs qui choisissent d'être nommés selon cette prémisse ou qui se proclament eux-mêmes indépendants, comme certains l'ont fait ces dernières semaines.

Le sénateur Tkachuk : Il n'en demeure pas moins qu'au sein d'une organisation politique comme le caucus conservateur du Sénat, lorsque nous décidons comment répartir nos membres au sein des comités, et quels noms proposer aux postes de présidents ou de vice-présidents, cela ne regarde que nous. Si un sénateur ne veut pas participer à cette procédure, il a déjà le droit de devenir indépendant et de ne plus faire partie du caucus, en d'autres termes.

J'ignore en quoi le fait d'obliger les sénateurs à être une chose qu'ils ne sont pas favorisera l'indépendance du Sénat. Quelqu'un doit faire adopter les projets de loi gouvernementaux; quelqu'un va le faire et s'organiser en conséquence, sans quoi ils ne seront jamais adoptés.

M. Segal : Dans le cas des divisions dont la sénatrice Bellemare a parlé, si une division représentait les sénateurs de l'Ouest canadien, plusieurs d'entre eux seraient en ce moment affiliés au Parti conservateur. C'est la réalité.

Par conséquent, la nouvelle division régionale qui consulterait les autres à des fins organisationnelles ne pourrait pas échapper à cette réalité. C'est ainsi, et il faut reconnaître et accepter cette réalité.

Je dis simplement que si un sénateur ne souhaite pas participer à la nomination des participants à divers comités au sein du caucus conservateur, ou s'il veut le faire d'une façon qui le met à l'aise, c'est acceptable. Mais je dirais respectueusement que cela ne doit pas être la prémisse qui détermine la participation aux comités de sénateurs qui ne font pas partie du caucus. Cette pratique doit être encadrée différemment et demeurer à l'abri de toute partisanerie.

Le sénateur Tkachuk : J'ai un autre argument à faire valoir. Si j'ai adhéré à un parti politique, c'est pour éviter de succomber exclusivement aux intérêts régionaux. Je me suis joint à un parti politique pour discuter des enjeux qui touchent le Canada, et pour que tous les membres s'entendent sur les politiques qui ont une incidence sur l'ensemble du pays.

Je ne veux surtout pas siéger à un caucus et ne représenter que les intérêts régionaux. Je souhaite représenter les intérêts du Canada du point de vue du Parti conservateur et de l'Ouest canadien.

Je crois que c'est ce que tous les sénateurs veulent faire dans leur for intérieur. Ils ne veulent pas simplement représenter le Québec. À quel point la situation sera-t-elle pitoyable si le Québec, l'Ontario, l'Ouest du Canada et les Maritimes se disputent entre eux? Ce qui explique la réussite de notre pays, c'est la présence de partis nationaux. Rejeter ces partis revient à nous priver de l'essence même du pays et du système parlementaire.

M. Segal : Je conviens qu'il s'agirait d'une terrible erreur si chaque enjeu soumis au Sénat — qu'il s'agisse d'une politique étrangère, budgétaire ou sociale — était défini par l'opposition entre deux régions. Ce serait une erreur.

Je me souviens de vos travaux sur des questions comme les relations entre le Canada et le Japon et la protection des Canadiens contre les activités terroristes à l'étranger, où vous mettiez l'intérêt national au-dessus du reste en tout temps.

Cela dit, il est selon moi préférable que les régions se réunissent en division au début d'un nouveau Parlement pour déterminer le cadre organisationnel au sein duquel les sénateurs pourront faire valoir le point de vue qu'ils souhaitent, plutôt que ces décisions initiales fassent seulement l'objet d'une partisanerie arbitraire, comme c'est le cas actuellement.

Le sénateur Tkachuk : Je conviens que nous sommes en désaccord. Je vous remercie.

La sénatrice Frum : D'après votre réponse à l'intention du sénateur Greene sur les mérites de l'organisation en caucus régionaux, j'en comprends que cela respecterait les principes d'égalité et de proportionnalité chez les sénateurs. Mais le problème évident, c'est que la proportionnalité entre les régions au sein du Sénat est totalement déconnectée de la réalité. Vous le savez aussi bien que quiconque. La région de l'Atlantique compte 30 sénateurs, alors que la région de l'Ouest en a 24. Voilà qui représente un problème pour bien des gens de l'Ouest. Ces chiffres ne reflètent manifestement pas la proportionnalité au pays.

Pour ce qui est du principe de proportionnalité, je ne comprends pas en quoi il nous serait bénéfique de répartir les sénateurs entre les comités en fonction d'une « proportionnalité » des régions qui n'a rien de proportionnelle.

M. Segal : Sénatrice, vous avez tout à fait raison de dire que la représentation des différentes régions du pays constitue une grave lacune. Je crois comprendre que la seule façon de remédier à la situation serait d'adopter un amendement constitutionnel, et la Cour suprême nous a imposé de sérieuses contraintes à ce chapitre.

Le sénateur Kirby et moi-même nous sommes efforcés dans cette étude de veiller simplement à ce que tous les sénateurs soient traités équitablement, sans égard à leur affiliation politique, à leur absence d'affiliation ou aux divisions établies par la Constitution. L'élection de porte-parole par les sénateurs indépendants — comme cela se fait à Westminster — serait une façon constructive de procéder pour prendre les dispositions initiales nécessaires.

Pour les raisons que vous avez vous-même si bien énoncées, nous n'avons pas recommandé que ces divisions régionales continuent à jouer un rôle pour ce qui est des politiques et des autres enjeux. De fait, il serait préoccupant de voir le Sénat adopter un tel mode de fonctionnement. Il doit cependant y avoir au départ un processus permettant de déterminer qui siège au sein des différents comités et comment assurer le respect des droits des sénateurs, qu'ils représentent ou non un parti. Nous sommes d'avis qu'il est préférable pour ce faire de s'en remettre à un processus fondé sur les divisions régionales, plutôt qu'à un mécanisme basé sur des considérations partisanes.

La sénatrice Frum : Vous trouvez équitable que la région de l'Atlantique soit toujours mieux représentée au sein des différents comités?

M. Segal : Ce n'est pas ce que j'ai dit. En fait, notre rapport prévoyait l'élection par la région de l'Atlantique d'un porte-parole qui rencontrerait ses homologues de l'Ontario, du Québec et de l'Ouest en même temps que les mandataires du Sénat pour décider d'un cadre permettant d'assurer la proportionnalité au sein des différents comités. On essaierait ainsi, en toute bonne foi, d'en arriver à une composition se voulant un reflet fidèle de celle du Sénat. Il peut être intéressant de noter qu'une région compte 30 sénateurs et qu'une autre en a 24, mais je ne pense pas que cela aurait une incidence sur les décisions prises à ce niveau.

La sénatrice Frum : Je vois. Merci.

[Français]

Le sénateur Mockler : Sénateur Segal, merci pour votre présentation. J'ai eu la chance de lire A House Undivided : Making Senate Independence Work, que vous avez écrit en collaboration avec Michael Kirby. Je n'ai aucun doute que beaucoup d'encre coulera dans les prochaines années en ce qui concerne la modernisation de notre institution.

Chacun de nous, d'une manière ou d'une autre, est devenu un étudiant du changement, et lorsqu'on considère ce que les Canadiens nous disent d'est en ouest et du nord au sud, je suis, pour ne pas dire préoccupé, mais un peu inquiet face aux changements qui pourraient menacer les minorités. Comme parlementaires, nous fonctionnons selon le système de Westminster, et dans ce système, le rôle de l'opposition est un rôle important.

J'aimerais savoir, premièrement, si vous croyez que les sénateurs devraient tous être élus?

Deuxièmement, face à tous ces changements, si on décidait d'ignorer Westminster, quelle serait la prochaine étape constitutionnelle?

M. Segal : Merci, monsieur le sénateur, pour vos questions. Premièrement, en ce qui a trait à la question des sénateurs élus, comme vous le savez, nous sommes plusieurs, moi y compris, à avoir débattu de la manière d'élire les sénateurs. Malheureusement, la Cour suprême a rendu une décision qui met de côté ce propos pour longtemps, sauf s'il survenait un accord constitutionnel qui, à mon avis, serait très difficile à établir.

Sur la question du rôle de l'opposition, j'accepte profondément l'idée que chaque sénateur et sénatrice a le droit de continuer à agir selon le droit traditionnel du Sénat et de représenter les minorités linguistiques, sexuelles ou autres. C'est important. C'est une idée clé de la deuxième Chambre.

Dans la tradition de Westminster, un membre élu par des sénateurs dans une région travaille avec les élus des autres régions. Quand vient le temps d'organiser les comités, ils prennent au sérieux l'importance d'avoir des sénateurs qui représentent les minorités francophones, par exemple, ou les minorités culturelles. À mon avis, on doit absolument garantir la représentation des minorités, et rien dans notre rapport ne vient amoindrir le rôle fondamental de protéger les minorités dans la deuxième Chambre du Parlement du Canada.

Le sénateur Mockler : J'ai eu le plaisir de participer à une table ronde dans la région de Moncton - et je tiens à souligner le rôle que vous avez joué lorsque vous avez représenté l'Acadie, car vous avez toujours été présent. Je tiens à le souligner, parce que vous l'avez fait avec grande distinction.

Ma dernière question est la suivante : selon Westminster, si on effectue rapidement les changements envisagés, ce mécanisme n'affaiblirait-il pas le rôle que les parlementaires jouent pour protéger les minorités, par exemple?

M. Segal : Cette question est importante, comme toutes les autres d'ailleurs. À mon avis, il doit y avoir deux voies : une voie pour modifier la Loi sur le Parlement du Canada afin d'éviter le processus partisan; et une voie pour apporter des changements aux procédures du Sénat, ce que vous avez la compétence de faire, tous les sénateurs, pour respecter la proportionnalité qui est en processus de changement présentement. La façon dont on travaille doit tenir compte de l'importance des minorités.

Selon les principes de Westminster, ceux qui sont nommés à la Chambre des lords représentent toutes les religions, tous les groupes linguistiques, tous les groupes culturels, tous les scientifiques, ceux qui travaillent dans les universités, ceux qui travaillent avec des réfugiés. La Chambre des lords est très représentative de la grande diversité britannique. Le fait que la Chambre des lords agisse généralement de façon non partisane est l'une des raisons pour lesquelles elle est traitée avec grand respect par la population britannique.

[Traduction]

Le sénateur Tannas : Sénateur Segal, je vous prie de m'excuser si vous avez déjà dû répondre à des questions à ce sujet, mais je suis arrivé avec un peu de retard en provenance d'un autre comité.

Comme le dit une maxime que j'aime bien, il faut s'éloigner de la tyrannie du « ou » pour épouser le génie du « et ». Je crois que c'est ce que nous avons fait dans notre rapport de comité en préconisant comme solutions pour l'avenir de l'administration et de l'organisation du Sénat des caucus s'articulant autour d'activités partisanes « et » la possibilité pour les sénateurs ne représentant pas un parti de former des groupes pouvant compter aussi peu que neuf personnes.

Je ne sais pas trop quoi penser, si ce n'est que nous avons tous tendance à nous en tenir aux solutions que nous avons nous-mêmes élaborées. Comme notre rapport a malheureusement été rendu public après le vôtre, nous nous y attaquons au même problème et je crois que nous en sommes arrivés à deux solutions distinctes. Nous pourrions débattre quant à savoir laquelle est la meilleure. Je dois dire que je penche du côté de la solution que j'ai contribué à mettre en œuvre. Quoi qu'il en soit, ne diriez-vous pas que l'idée d'avoir à la fois des organisations non partisanes pour aider les sénateurs à s'acquitter de leurs tâches et des organisations partisanes aux mêmes fins soit en l'espèce une solution aussi valable que celle que vous préconisez en misant sur des caucus régionaux?

Soit dit en passant, c'est ainsi que fonctionne actuellement la Chambre des lords au sein du modèle de Westminster. On y trouve des organisations partisanes et des organisations non partisanes. Les sénateurs ont le choix entre les deux, et tout fonctionne très bien.

Si ma mémoire est fidèle, le porte-parole des Pairs non inscrits a indiqué lors de son témoignage que la situation serait chaotique en l'absence d'activités partisanes et d'une représentation pour l'opposition et le gouvernement. Je crois me souvenir que c'est ce qu'il nous a dit, et je l'ai gardé à l'esprit. En toute franchise, si nous considérons notre mode de fonctionnement actuel, c'est tout à fait conforme à la réalité. Je me demande si vous défendriez avec autant de passion votre solution des caucus régionaux si vous aviez pu d'abord analyser le contenu de notre rapport.

M. Segal : J'ai eu l'occasion de lire votre rapport. Comme je l'ai indiqué au début de la séance alors que d'autres fonctions publiques vous accaparaient, de nombreux éléments de ce rapport, y compris les références aux caucus sont exemplaires et fournissent des orientations tout à fait probantes. Je veux qu'il soit bien clair que nous en convenons tous les deux.

Vous avez parlé de l'opposition entre le « et » et le « ou ». Je ne suis pas en train de vous dire que la seule vérité réside dans le document de travail que le sénateur Kirby et moi-même avons produit. On nous a demandé de rédiger ce document pour lancer le débat à l'égard de différentes idées. J'ai donc l'intime conviction que le Sénat, dans sa grande sagesse, pourra trouver une formule préférable à celle proposée dans notre document lorsque viendra le temps d'apporter des changements. Mais — et je dis bien « mais » — et il y a une différence entre « et » et « ou »... et « mais ». Tant et aussi longtemps que les caucus partisans — ceci dit en tout respect — décident de la composition des comités et de l'utilisation des budgets du Sénat, il n'y a pas de « et » ou de « ou » qui tienne; il y a seulement un grand « mais ». Et ce « mais » vient du fait qu'en l'absence d'affiliation à un parti, vous êtes considéré comme un citoyen de troisième zone. Ce n'est pas le but que vous visez dans votre rapport, mais j'estime que si les dispositions nécessaires ne sont pas prises plus directement, il y a fort à craindre que ce sera effectivement le résultat, ce que personne ne souhaite, bien évidemment, même si c'est la situation actuelle.

L'obligation pour un sénateur d'accepter l'autorité du whip d'un parti politique pour pouvoir siéger comme indépendant n'était certes pas l'objectif visé, autant par vous-même que par d'autres. Mais dans l'état actuel des choses, si vous voulez que l'on vous désigne un remplaçant parce qu'il vous est impossible de siéger au sein d'un comité, il faut qu'une motion soit déposée au Sénat à cette fin. Ainsi, les caucus des deux partis peuvent déterminer si un tel remplacement sera possible ou non. C'est une violation non délibérée du droit de chaque sénateur indépendant de participer pleinement aux activités de l'institution. C'est tout ce que nous voulions faire valoir. J'estime toutefois très constructive votre suggestion de recherche d'un terrain d'entente.

[Français]

Le sénateur McIntyre : J'aimerais revenir sur la question des caucus régionaux. Dans votre rapport intitulé A House Undivided, vous proposez le remplacement des caucus de partis par des caucus régionaux.

Cela dit, j'attire votre attention sur les recommandations 7 et 8 du comité, lesquelles permettraient aux sénateurs non partisans de former des caucus reconnus par le Règlement aux fins de l'attribution équitable du financement et des droits procéduraux. Ces recommandations seraient-elles une solution aux caucus permanents purement partisans?

M. Segal : Premièrement, le rapport du sénateur Kirby parle des divisions régionales qui existent dans la Constitution. Le but ultime de ceux qui font partie de ces divisions régionales, c'est de nommer un représentant chargé d'organiser le Sénat à la suite d'une nouvelle élection. Les recommandations 6 et 7 sont, à mon avis, très positives et vont nous permettre d'avoir un Sénat qui reflète bien toutes les proportionnalités.

Toutefois, sans proposer une modification à la Loi sur le Parlement du Canada qui rejette cette idée de contrôle partisan, qui met en place les caucus que vous avez suggérés et qui redéfinit le rôle des divisions régionales, il y aura un problème sur le plan de la reconnaissance de la capacité des sénateurs indépendants de jouer un rôle réel au Sénat.

Le sénateur McIntyre : Gardons à l'esprit cette question des caucus régionaux. Je pense aux enjeux d'envergure nationale et aux questions particulièrement épineuses ou controversées qui transcendent les frontières provinciales. Comment une structure comme les caucus régionaux permettrait-elle au Sénat de faire valoir son expertise reconnue sur ces enjeux?

M. Segal : Je suis d'accord avec les perspectives avancées par votre collègue, le sénateur Tkachuk, selon lesquelles les sénateurs veulent avoir la liberté d'agir dans l'intérêt national, sans être limités par un caucus régional.

C'est pour cette raison que notre suggestion est très claire. Les divisions régionales doivent être consultées seulement dans le cas des questions d'ordre administratif. Par la suite, la disparité régionale n'a rien à voir avec les opérations des débats, avec leur contenu ou avec les sujets traités au sein des comités.

Tout cela sera traité de la même façon qu'auparavant, mais en ce qui concerne l'organisation du Sénat et le contrôle des dépenses, il faudra un processus régional et non un processus divisé par l'esprit de partisanerie.

[Traduction]

Le sénateur Wells : Merci, sénateur Segal, de votre comparution.

Dans le contexte des changements qui sont envisagés, vous avez traité dans votre récente publication des modifications pouvant être apportées au Sénat pour en améliorer le fonctionnement. Bon nombre des choses que le Sénat a pu réaliser au fil des 150 dernières années, autant dans le cadre de débats comme celui mené récemment sur le projet de loi C-14, un de nos faits d'armes selon plusieurs, que dans le contexte du travail des comités, témoignent de la flexibilité pour laquelle notre institution est reconnue en raison de sa capacité d'ajuster ses façons de faire au fur et à mesure. Je dois d'ailleurs dire que vous avez vous-même su mettre à contribution cette flexibilité pour faire avancer vos propres stratégies et dossiers.

J'ai deux questions à vous poser. Ne croyez-vous pas que le resserrement du Règlement du Sénat risque de nous faire perdre cette flexibilité qui nous a permis d'évoluer progressivement pour devenir une organisation essentiellement très efficace?

M. Segal : Sénateur Wells, vos préoccupations seraient à mon avis tout à fait justifiées et pertinentes si nous laissions entendre de quelque manière que ce soit dans notre rapport que les divisions régionales proposées devraient jouer un rôle déterminant dans les débats, l'examen des lois et des enjeux, et la production des rapports. Dans les faits, le sénateur Kirby et moi-même proposons seulement que l'on s'en remette aux divisions régionales établies dans la Constitution lorsque les sénateurs doivent se réunir pour discuter d'aspects fondamentaux comme la composition des comités et le mode d'élection des présidents. Une fois ces éléments établis, ces divisions n'auraient plus aucun rôle à jouer quant au mode de participation des sénateurs indépendants, qu'ils souhaitent se regrouper en fonction de leur appartenance à un parti ou autrement.

Cette flexibilité dont vous parlez est l'un des plus grands atouts du Sénat. Vous avez raison de dire que je suis un de ceux qui en ont bénéficié, et je tiens à en reconnaître toute l'importance. Cela dit, je m'inquiète, dans le contexte actuel de la nomination d'un plus grand nombre de sénateurs non affiliés, de voir les droits de ces sénateurs être amoindris comparativement à ceux dont bénéficient les membres des caucus partisans. Je ne suis pas en train de dire que c'est le but que vous visez ou que visent d'autres sénateurs membres de ces caucus, mais c'est l'effet qui sera ressenti à moins que la Loi sur le Parlement du Canada ne soit modifiée.

Le sénateur Wells : Merci beaucoup.

La volonté de voir le gouvernement représenté le mieux possible au Sénat ne date pas d'hier, mais nous engage sur la voie d'une diminution incessante du nombre de sénateurs dans l'opposition. Notre régime se caractérise notamment par l'interaction entre les proposants et les opposants, ce qui nous procure l'équilibre recherché dans l'adoption des lois au Canada.

Le gouvernement ne cessera jamais d'être représenté. Le rôle de l'opposition ne sera pas nécessairement amoindri, mais sa capacité de bien remplir ce rôle se trouvera diminuée du fait de la nomination d'un plus grand nombre de sénateurs non affiliés, et il va de soi que l'opposition conservatrice ne va pas prendre de l'ampleur dans le régime actuel.

J'ai l'impression que cette nouvelle dynamique va faire passer le Sénat du rôle de chambre de second examen objectif à celui de chambre obéissante. Comment envisagez-vous l'évolution des choses au cours des quatre, cinq ou six prochaines années?

M. Segal : Sénateur Wells, je comprends très bien votre inquiétude. Je suis un de ceux qui croient qu'une opposition vigoureuse est fondamentale à la démocratie, un point c'est tout.

Cela étant dit, l'efficacité serait selon moi accrue du fait que le gouvernement au pouvoir devrait travailler avec plusieurs groupes de sénateurs à la fois — qu'il s'agisse de groupes affinitaires de conservateurs, de défenseurs des droits des agriculteurs ou des pêcheurs, de disciples de la productivité économique ou du juste équilibre entre développement énergétique et environnement — et que les représentants de ce gouvernement devraient mobiliser leurs collègues de ces différents groupes pour qu'une loi puisse être adoptée. Aucun gouvernement ne devrait pouvoir simplement imposer sa volonté, comme ce fut le cas par le passé pour les gouvernements détenant une majorité suffisante.

Cela permettrait d'accroître la pertinence du Sénat en même temps que les pouvoirs des différents sénateurs, car ceux qui veulent appuyer un projet de loi ou s'y opposer avec un maximum d'efficacité pourraient ainsi mettre leurs budgets en commun. Les sénateurs auraient aussi la possibilité d'élargir la portée d'une étude en comité pour s'intéresser à des questions qui n'ont pas été prises en considération par le gouvernement au pouvoir, ce que nos contraintes partisanes actuelles ne permettent pas vraiment.

Je vous soumets donc qu'une opposition qui ne serait pas liée à l'appartenance à un parti, mais plutôt à une mobilisation à l'encontre d'un projet de loi à bloquer ou à modifier aurait pour effet d'accroître la pertinence du Sénat et le respect que les Canadiens lui vouent, et qu'il mérite tout à fait à mon humble avis.

La sénatrice Cools : Je veux souhaiter la bienvenue à mon ancien collègue, le sénateur Segal. Comme c'est sous ce nom que je vous connais depuis toutes ces années, j'ai de la difficulté à vous appeler autrement.

Mes questions portent sur les facteurs mêmes qui sont à l'origine de l'existence des partis politiques. Ceux-ci ont vu le jour à titre de mécanismes de recrutement afin de canaliser l'appui aux mesures gouvernementales en fonction de principes et d'idées, plutôt que d'intérêts personnels. On voulait donc que les principes et idées préconisés par le parti politique guident le vote des membres du parti à l'égard de différents enjeux en ayant préséance sur leurs intérêts privés et personnels.

Je suis très inquiète de voir ce qui se passe au Sénat, car il continue de se fragmenter en groupuscules de plus en plus nombreux. On attend d'ailleurs une nouvelle fournée de sénateurs. Je ne vois pas comment il sera possible de les mobiliser pour appuyer les mesures dont le Sénat est saisi et pour voter en conséquence. Je ne pense pas que l'on obtiendra des résultats en s'en remettant ainsi uniquement aux croyances et aux points de vue personnels. Je ne comprends pas comment il se fait que les partis politiques soient reconnus comme des institutions utiles à la Chambre des communes, mais pas au Sénat.

Je suis vraiment très préoccupée de voir toutes ces idées de changement qui émergent un peu partout, dans toutes sortes de situations, car je ne pense pas que ce soit la manière de procéder à une telle réforme.

Les deux chambres du Parlement ont toujours rejeté les innovations. On y apprécie surtout les précédents établis, les preuves concrètes, les coutumes, les lois et les pratiques bien rodées, reconnues et respectées. Nous sommes bombardés d'innovations, mais je ne vois tout simplement pas comment cela peut fonctionner dans notre contexte. Le morcellement incessant de l'institution ne cesse de m'inquiéter. Pour mobiliser les gens, il faut des principes, des idées et un débat. Ce n'est pas ce que j'entrevois avec la direction que le Sénat semble vouloir prendre. Je vois plutôt davantage de groupuscules de sénateurs se coalisant en fonction de motivations dont ils décident eux-mêmes. C'est un problème grave.

Le gouvernement et l'opposition ont un rôle bien établi au Sénat depuis longtemps déjà. Je suis certaine de ne rien vous apprendre, sénateur Segal. À l'époque de la Déclaration des droits de 1689 et peu de temps après les révoltes jacobites, des progrès importants ont été réalisés grâce au roi William III et à la reine Mary II qui ont jeté les bases fondamentales à la notion de gouvernement responsable. Ils ont ainsi tranché en faveur de la Chambre des communes alors qu'un conflit parlementaire faisait rage. Le roi a alors accepté de choisir ses ministres parmi les membres des deux chambres, en échange de quoi celles-ci s'occuperaient de ses affaires. Cela ne se ferait pas via l'intervention personnelle du roi, mais plutôt par le truchement de ses ministres qui devaient agir comme chefs de file au sein des deux chambres.

Je ne comprends donc pas pourquoi on souhaite rejeter ou mettre de côté un processus ou un système qui a produit d'aussi bons résultats, en faisant abstraction des malheureux abus de pouvoir dont certains dirigeants se sont rendus coupables au cours des dernières années. Ces écarts de conduite n'enlèvent rien au fait que les principes fondamentaux sont solides et tout à fait valables. À ma connaissance, personne n'a mis de l'avant des principes qui seraient meilleurs. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

M. Segal : Certainement.

Sénatrice, je ne souscris pas au point de vue voulant que le rôle des partis politiques devrait être encadré ou restreint dans l'une ou l'autre des deux chambres du fait qu'ils doivent se limiter aux affaires du roi ou de la reine.

Vous avez parlé de certaines situations désagréables que nous avons dû vivre. J'estime toutefois que moins les considérations partisanes seront prises en compte dans les décisions du Sénat sur des questions administratives et d'autres enjeux semblables, le mieux on se portera. Si je puis me permettre, je vous ai vu servir avec grande distinction sous la bannière d'un parti politique au Sénat. Je vous ai également vu servir en tant que membre d'un autre parti. Je vous ai vu aussi siéger comme indépendante. Dans chacun de ces rôles, votre sagesse, votre bon jugement et votre dévouement vers les Canadiens ne se sont jamais démentis, surtout lorsque vous défendiez les plus vulnérables.

Les autres sénateurs ne vont pas nécessairement offrir une contribution aussi sentie que la vôtre, mais ils pourraient avoir la capacité de le faire, peu importe qu'ils siègent comme conservateurs, dans l'opposition officielle, représentants du gouvernement ou indépendants. Pour le meilleur ou pour le pire, nous assistons maintenant à l'arrivée massive de nouveaux sénateurs indépendants, sans affiliation politique. Le sénateur Kirby et moi-même faisions simplement valoir à ce sujet que nous avons besoin d'un cadre permettant à chacun de participer pleinement aux activités de l'institution.

Croyez-le ou non, lorsque j'ai rencontré le sénateur Kirby pour discuter du contexte de notre étude, j'ai posé la question à laquelle je croyais devoir répondre aujourd'hui : Qu'advient-il de la prérogative royale si nous empruntons cette avenue? Je sais à quel point cet aspect est primordial à vos yeux. Je ne crois pas que personne ait consacré plus de temps que vous à débattre de l'importance de cette prérogative.

Il incombe à ce représentant du gouvernement au Sénat d'agir en fonction de cette prérogative royale pour veiller à ce que les décisions prises à la Chambre des communes soient considérées et étudiées comme il se doit par la Chambre haute. C'est la tâche qui lui revient en même temps qu'à ses collègues. Je ne sais pas si le maintien des anciennes structures partisanes est nécessairement bénéfique dans le contexte actuel.

La sénatrice Cools : Le problème vient du fait que s'il y a effectivement un leader du gouvernement au Sénat, celui-ci n'est toutefois pas membre du Cabinet. Pendant longtemps, il a toujours fallu qu'un membre du Cabinet, un membre du gouvernement, soit là pour indiquer que tel ou tel dossier relève des affaires du gouvernement. C'est une situation qui me préoccupe.

J'ai même envisagé la possibilité de présenter une adresse à Son Excellence le gouverneur général pour que ce soit un membre du Cabinet, un ministre autrement dit, qui soit nommé leader du gouvernement au Sénat.

Ce sont des questions aussi importantes que complexes. Nous sommes toujours limités par notre propre nature. Un être humain ne peut pas donner naissance à un reptile, et l'inverse est également vrai. Pour être capable de faire avancer les affaires du gouvernement, il faut que le leader du gouvernement au Sénat soit un membre du Cabinet. C'est la raison pour laquelle pendant toutes ces années, les leaders du gouvernement au Sénat étaient des membres du gouvernement. Ce n'est pas suffisant d'en faire un membre du Conseil privé; il doit être membre du gouvernement. Je suis persuadée que vous avez réfléchi à la question.

M. Segal : Je l'ai effectivement fait, sénatrice. Je me souviens de votre contribution aux débats lorsque le rôle de leader a été confié au sénateur Carignan, sans qu'il ne fasse partie du Cabinet, quels que soient les motifs invoqués à l'époque. Vous aviez soulevé à ce moment-là des préoccupations assez semblables à celles dont vous venez tout juste de nous faire part.

Pour le meilleur ou pour le pire, nous nous retrouvons maintenant dans une situation où un gouvernement dûment élu a choisi de désigner comme leader au Sénat quelqu'un qui n'est pas membre du Cabinet. C'est peut-être une décision que les historiens en viendront à remettre en cause. Il se peut qu'elle soit à l'origine de certains problèmes. Avec un maximum de soin et de respect, nous avons cherché à déterminer la façon optimale de fonctionner dans ce contexte particulier.

Le Bureau du Conseil privé a fourni au sénateur Carignan les ressources nécessaires pour accomplir le travail de leader du gouvernement au Sénat sans être un ministre de la Couronne. Je ne crois pas que le titulaire actuel de ce rôle ait accès à des ressources semblables, ce qui rend à mon sens la situation encore plus problématique que ce que vous venez de décrire.

La sénatrice Omidvar : Je suis très heureuse de vous voir, sénateur Segal. J'aurais seulement souhaité que nos mandats aient pu coïncider quelque peu, ce qui m'aurait permis de tirer de précieux enseignements de votre expérience.

Ma question porte sur la première partie de votre exposé. Tout comme vous, je ressens une certaine impatience relativement à la teneur, à la rapidité et à l'intensité des changements qui sont apportés à une institution tout simplement remarquable et dotée d'une histoire aussi riche. Ce patrimoine ne va toutefois pas sans une certaine manière de faire les choses s'appuyant sur des pratiques établies au fil des décennies qui deviennent vraiment difficiles à changer. Malgré tout le respect que j'ai pour notre institution, je me tourne également vers l'avenir avec un certain optimisme. Nous vivons une période de changement et de grandes transformations.

À votre avis, en ce qui concerne la proportionnalité et l'égalité de tous les sénateurs, que devrions-nous faire d'abord et quel serait le délai à prévoir, vu notre Constitution actuelle, qui ne prévoit aucune représentation régionale? Ensuite, quelles seraient vos recommandations pour ce qui est d'une réorganisation par région ou division?

M. Segal : Merci, madame Omidvar. Permettez-moi de vous dire deux choses.

Tout d'abord, je crois que les membres actuels du Sénat disposent des pouvoirs nécessaires pour apporter des changements pendant la session afin de conserver la proportionnalité. À mon avis, on devrait le faire tout de suite. Il n'y a aucun besoin d'hypothéquer quoi que ce soit ou de remettre cette démarche à plus tard. Ainsi, on s'assurerait que tous les sénateurs, qu'ils soient non affiliés ou partisans, bénéficient des mêmes droits.

Ensuite, je recommande fortement et respectueusement qu'un groupe de sénateurs, avec l'aide de votre comité, propose les amendements nécessaires à la Loi sur le Parlement du Canada afin d'instituer un nouveau cadre dans lequel évoluera le Sénat, conformément au principe d'égalité de tous les sénateurs. On s'éloignerait ainsi du contrôle partisan de tous les leviers du pouvoir.

Il se peut que le projet de loi ne soit pas adopté rapidement et qu'il y ait des retards. L'adoption du projet de loi pourrait être reportée maintes fois, conformément au pouvoir du Sénat, mais si les changements sont apportés pendant la session, nous ferons de réels progrès quantifiables qui auront une incidence à la fois sur l'existence des sénateurs ici présents ainsi que des nouveaux sénateurs indépendants qui n'ont pas encore été nommés, et ces progrès seront évidents.

J'aimerais du même coup dire à vos collègues qui pourraient s'opposer à ces changements qu'il serait avantageux de modifier le Règlement pendant la session, car si pour une raison malencontreuse cela ne fonctionne pas, on peut rectifier le tir à la prochaine session. L'avantage de modifier un projet de loi qui définit le Parlement du Canada par parti, c'est que s'il y a un problème, comme l'a laissé entendre la sénatrice Cools, on peut adopter un autre amendement pour remettre les choses comme elles l'étaient. Ce n'est pas un changement constitutionnel. Les changements ne seront pas permanents.

J'ai participé à de nombreux débats à bien des endroits, y compris au Sénat, et les gens voulaient essayer quelque chose qui semblait être logique maintenant, en sachant toutefois que d'ici deux ou trois ans, il se pouvait que l'on arrive à la conclusion que le résultat n'est pas aussi bon que prévu.

Or, le fait de progresser très lentement pour ce qui est de tout changement, afin que rien ne se passe et qu'une nouvelle cohorte de sénateurs non affiliés se fassent nommer et soient assujettis à la même réduction non voulue de leurs droits, me semble tout à fait impropre au type d'institution que vous-même et vos collègues ici présents servez de votre mieux.

Le sénateur Pratte : Sénateur Segal, ce qui me préoccupe par rapport aux caucus régionaux que vous proposez, tout comme le représentant gouvernemental, ce n'est pas la première étape, lorsque les caucus régionaux prendront des décisions administratives et non politiques, mais plutôt ce qui arrivera avec le temps. Au fil du temps, les caucus régionaux deviendraient les seuls centres de pouvoir au Sénat. Ils prendraient des décisions à l'égard des comités, des bureaux, de la présidence des comités et des déplacements. Ce serait les seuls centres de pouvoir, les seules structures permanentes, puisque les autres groupes affinitaires seraient probablement éphémères. Ainsi, les seuls centres de pouvoir et les seules structures permanentes seraient les caucus régionaux.

Au fil du temps, ces caucus subiraient probablement des pressions de la part des régions et des gouvernements provinciaux, qui s'attendraient à ce que ces caucus votent selon les intérêts régionaux. Ce que vous voyez comme étant des structures faibles et inoffensives pourrait avec le temps devenir plus puissant que vous ne le pensez, un peu comme les gouvernements provinciaux conçus en 1867, qui étaient perçus comme étant des poids plume par Sir John A. Macdonald et d'autres, et qui sont devenus des poids lourds.

Je me demande si nous ne pourrions pas réaliser le même objectif, c'est-à-dire un Sénat moins partisan, si c'est bel et bien cela que nous voulons, qui offrirait des scénarios moins risqués que ceux que vous présentez actuellement avec les caucus régionaux.

M. Segal : Merci, monsieur Pratte. Permettez-moi de vous dire à quel point je suis honoré comme Canadien de vous avoir au service du pays. Je sais que vous vous êtes forgé une carrière incroyable à titre de journaliste et d'éditorialiste distingué, et que vous avez fait preuve d'un grand courage face à des circonstances extrêmement difficiles. Vous êtes assis ici et vous servez le Sénat, et les Canadiens peuvent en être très fiers et encouragés.

J'ai bien lu votre analyse approfondie des risques d'un régionalisme accru au Sénat. J'en conviens que si ces divisions deviennent des instruments politiques, si elles deviennent des structures utilisées pour approuver chaque politique, les risques que vous avancez sont bel et bien vrais. Mais moi, je ne vois ces divisions que dans la structure organisationnelle, un point c'est tout. Bien que les premiers ministres des provinces puissent en ce moment téléphoner aux sénateurs pour discuter de certaines questions s'ils le veulent, et cela m'est arrivé lorsque je siégeais ici et je suis sûr que d'autres personnes ici présentes ont connu le même phénomène, cela ne veut pas dire pour autant qu'un sénateur est lié à une région particulière pour ce qui est de son avis sur la question, comme l'a dit le sénateur Tkachuk. Je m'opposerai donc fortement à la possibilité que ces divisions persistent après chaque législature, outre l'organisation initiale.

Certes, le risque que vous décrivez est tout à fait possible, le pouvoir associé à la présence peut parfois générer davantage de pouvoir et d'autorité que l'on ne l'avait prévu au départ, et je m'imagine qu'il y aurait des efforts pour compenser. Les gens qui choisissent de se constituer en groupes de travail partisans, les gens qui ont des opinions bien arrêtées sur l'économie et le fédéralisme, résisteraient à tout effort de la part des délégations des divisions régionales visant à exercer un pouvoir indu.

J'étais autrefois le président du comité de sélection, et bien franchement, je sais que si le comité avait agi d'une façon qui soit absolument injuste, qui ne tenait pas compte des régions du pays, des préoccupations diverses et du spectre politique, il y aurait eu une révolte de la part des autres membres du Sénat, qui aurait été justifiée.

La réaction serait la même si un comité constitué de porte-parole des divisions se comportait d'une façon qui soit détachée des intérêts du grand public et ne respectait pas le droit de chaque sénateur de faire son travail de la façon qu'il juge approprié et de travailler dans des groupes affinitaires au besoin.

Je comprends votre réserve, et il faudra en tenir compte. Cela dit, sauf votre respect, je crois que ma proposition est tout de même meilleure que la situation actuelle de notre institution, où les droits des sénateurs indépendants et non affiliés sont incertains, et c'est le moins qu'on puisse dire.

Le sénateur Pratte : Je vous remercie de vos observations. À mon avis, le jeu ne vaut pas la chandelle, et il me semble que nous ne sommes pas tenus de courir ce risque. D'autres solutions au problème existent.

Le sénateur Massicotte : Permettez-moi d'aborder un sujet dont vous n'avez pas parlé dans votre exposé. J'aimerais néanmoins connaître votre avis là-dessus, à savoir le droit de veto du Sénat du Canada par rapport aux projets de loi, c'est-à-dire que les deux chambres doivent approuver les projets de loi afin que ceux-ci entrent en vigueur. D'autres modèles organisent les pouvoirs un peu différemment, pour de bonnes et moins bonnes raisons.

Qu'en pensez-vous? Comme vous le savez, actuellement, si nous ne sommes pas d'accord avec la Chambre des communes, nous pouvons lui renvoyer le projet de loi. Nous pouvons également en saisir un comité mixte, et là encore nous pouvons exprimer notre désaccord. Au final, comme cela s'est déjà produit à bon nombre d'occasions, le Sénat s'est assuré de rejeter certains projets de loi. L'Angleterre a choisi de procéder d'une autre façon, vu que sa Chambre haute n'est pas élue.

Que pensez-vous donc quant à l'utilisation du droit de veto? Est-ce approprié, vu que nous ne sommes pas élus?

M. Segal : Sénateur, j'aime beaucoup le modèle de Westminster. Pour des raisons logiques et historiques, les Anglais en sont arrivés à la conclusion que la Chambre haute ne pouvait pas avoir la même autorité sur toutes les questions que la Chambre des communes.

Dans notre rapport, nous avons recommandé qu'au début de chaque législature, puisque nous ne pouvons modifier la Constitution pour des raisons évidentes, le Sénat adopte une résolution concernant le droit de veto suspensif. Cela veut dire que si le Sénat était saisi d'un projet de loi émanant de la Chambre des communes, les sénateurs pourraient, à la lumière de leur sagacité, décider que le projet de loi était mal structuré et constituait un travail bâclé et pas du tout approfondi. Vous et moi pouvons penser à certains projets de loi en matière d'impôt entre autres sur lesquels le Sénat du Canada a fait un excellent travail dans les intérêts du peuple canadien. Le fait de rejeter le projet de loi constituerait un veto de six mois. Il y aurait une conférence, comme cela se faisait à la fin des années 1940, animée par des membres du Sénat et des députés de la Chambre qui apporteraient les changements nécessaires pour que le projet de loi soit adopté. Au bout d'une période de six mois, si les démarches étaient infructueuses, c'est la volonté de la Chambre des communes qui l'emporterait.

Je crois que le veto est l'une de ces choses qui contribuent à la méfiance du public à l'égard d'une Chambre haute non élue, même si, soyons justes, ce veto n'a été manié que très rarement.

Un droit de veto suspensif qui permettrait aux membres responsables du Sénat de faire savoir au gouvernement que la Chambre des communes a fait une erreur évidente, et la période de six mois, laquelle donne aux Canadiens la possibilité de participer, constitueraient une façon très constructive d'améliorer la réputation du Sénat en réduisant son pouvoir constitutionnel de facto, non pas en modifiant la Constitution, mais en permettant au Sénat de s'autogouverner de cette façon.

Le sénateur Greene : Au début de votre exposé, vous avez mentionné le Bureau de régie interne, lequel, comme nous le savons tous, est un comité qui est grandement différent des autres comités permanents. Son mandat porte sur l'administration, tandis que tous les autres comités sont chargés de l'examen des projets de loi et de la politique publique.

Cette différence propre au Bureau de régie interne veut-elle dire que les membres de ce comité devraient être choisis pour des raisons différentes que ceux des autres comités? Ce n'est pas pour vous mettre des mots dans la bouche, mais à mon avis, il faudrait peut-être que les membres soient élus par tout le Sénat.

M. Segal : En fait, le gouvernement négocie avec l'opposition et propose des candidats au Bureau de régie interne qui sont élus comme il se fait normalement.

Voici mon avis là-dessus : tout d'abord, j'abonde dans le même sens que le vérificateur général, c'est-à-dire que la question des dépenses des sénateurs individuels devait être traitée par un organisme extérieur, et ne devrait pas être examinée ni autorisée par les membres du Sénat. Une telle démarche contribuerait à la crédibilité du processus et emboîterait le pas à Westminster, qui a créé le poste d'inspecteur général en raison des difficultés liées aux dépenses excessives imputées à la Chambre des lords.

Le rôle du Bureau de régie interne devrait être l'administration du Sénat en tant qu'institution, soit l'ensemble des politiques visant le personnel et les dépenses. L'audition de personnes qui pourraient se trouver dans des situations difficiles devrait avoir lieu à l'extérieur, cependant, afin que personne ne puisse être accusé d'une influence partisane indue, que ce soit pour ou contre la personne en question.

[Français]

La sénatrice Bellemare : J'aimerais revenir à la direction du Sénat, dans un modèle basé sur les quatre divisions. Vous avez dit que les quatre représentants des groupes se réuniraient avec le représentant du gouvernement pour gérer le Sénat. Quant au représentant du gouvernement, comment voyez-vous sa nomination? Le voyez-vous élu ou nommé?

M. Segal : Élu par les membres du Sénat, est-ce là votre question?

La sénatrice Bellemare : Oui, comment envisagez-vous le choix du représentant du gouvernement pour assurer son indépendance et la liaison entre les deux Chambres? Est-il nommé nécessairement pour obtenir la confiance du gouvernement du jour, ou est-il élu? Peut-être que vous n'avez pas réfléchi à cette question.

M. Segal : En respectant le principe souligné par la sénatrice Cools il y a quelques minutes, les représentants du gouvernement au Sénat doivent être nommés par le gouvernement. Cela permettra au moins d'établir un lien entre le représentant et les propos du gouvernement pour gérer la façon de tenir des débats sur les questions fondamentales au Sénat.

Deuxièmement, je pense qu'il est important que le représentant du gouvernement au Sénat travaille étroitement avec les représentants qui sont élus par les régions, et que ces représentants, avant de prendre des décisions, consultent les membres de leur groupe — les bleus, les rouges et les indépendants — pour qu'ils puissent représenter leurs perspectives d'une façon tout à fait équilibrée, comme lorsqu'ils travaillent sur les questions de gestion avec le représentant du gouvernement au Sénat.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Ce débat me dérange quelque peu. Je croyais que le Règlement du Sénat existait pour protéger les parties minoritaires. Le Règlement du Sénat ne protège pas vraiment le gouvernement et ce que je considère un parti majoritaire. Le Règlement protège les gens comme la sénatrice Cools qui, en tant qu'indépendante, a pu avoir son mot à dire sur les projets de loi en raison des dispositions du Règlement.

En réduisant le rôle de l'opposition officielle, ce que nous faisons ici, selon vos dires, et en cédant tout le pouvoir au représentant du gouvernement, ce que vous venez de décrire, on attribue à ce représentant le rôle de la personne qui se chargera de l'administration et qui consultera tous les représentants des régions. C'est du jamais vu.

Au sein du Parti conservateur, nous pouvons décider des membres qui font partie des comités. Nous proposons des candidats, nous prenons les décisions, nous tenons des réunions de caucus. Ces décisions ne sont pas prises par le représentant du gouvernement. Cela ne le concerne pas. C'est à nous de le faire à titre d'opposition officielle.

M. Segal : Je vous dirais que ce que vous pensez être votre devoir est absolument fidèle à la Loi sur le Parlement du Canada, qui gouverne le fonctionnement du Sénat, et vous en respectez entièrement les dispositions. Je le comprends et je le respecte. J'ai tout simplement proposé qu'à l'avenir, il faille modifier cette loi afin qu'il y ait, au Sénat et dans les comités, y compris les comités chargés de l'administration du Règlement du Sénat, une structure administrative qui accorde une proportionnalité non pas parce qu'un ou deux partis partisans décident que ce serait une bonne idée, mais parce que les représentants des divisions qui travaillent avec le représentant du gouvernement au Sénat tiennent compte de la volonté du Sénat quant au respect du Règlement. Ce n'est pas le groupe partisan A ou B qui prendra la décision en caucus à huis clos.

On peut bien le faire pour ce qui est des questions de politique, d'imposition ou autre dont s'est saisi le Sénat, mais l'organisation du Sénat devrait se faire sans aucune partisanerie. C'est un changement. Vous avez absolument raison de le souligner. Je comprends qu'il y ait des risques, mais il me semble qu'il est encore plus risqué de conserver le système actuel sans le modifier.

Le sénateur Tkachuk : C'est exactement ce que nous faisons maintenant. Lorsqu'il y aura un plus grand nombre de sénateurs indépendants, ils siégeront au Bureau de régie interne, comme ils le font actuellement, et ce, en nombre croissant, au fur et à mesure qu'ils seront nommés. Je ne vois pas comment ils ne seraient pas représentés, puisqu'ils seront représentés d'une façon proportionnelle.

Nous avons eu deux partis. Ce n'était pas trois, quatre, cinq et six partis. Nous devons nous y habituer, mais je suis sûr que c'est exactement de cette façon que les choses vont se dérouler et c'est ce que nous recommandons actuellement.

M. Segal : Permettez-moi de vous donner un exemple particulier. Si un membre indépendant du Sénat souhaite remplacer un sénateur qui n'est pas en mesure d'assister à diverses réunions d'un comité, en ce moment, ce sénateur indépendant doit se présenter devant les whips des deux grands partis du Sénat pour voir si ces whips présenteront une motion au Sénat afin que la personne en question puisse devenir membre du comité. En d'autres termes, le droit de la personne de siéger au comité au titre de son intérêt et de son mérite individuel est secondaire aux intérêts des organisations partisanes. À mon avis, il y a un affaiblissement grave des droits de chaque sénateur pour ce qui est d'un traitement juste et responsable sans égard à son affiliation partisane ou non partisane. Et vous-même et moi ne serons pas d'accord là-dessus.

Le sénateur Tkachuk : C'est certainement le cas.

La sénatrice Cools : Sénateur Segal, merci encore d'être venu.

Vous savez sans doute qu'en 1864, lorsque nos fondateurs se sont réunis pour discuter d'une fédération, la guerre civile ravageait les États-Unis et les Canadiens craignaient une annexion et de nombreux problèmes connexes. Là où je veux en venir, c'est que les Pères de la Confédération ont examiné ces questions, notamment le droit de veto suspensif. On leur a parlé de la tendance au Royaume-Uni à l'époque, visant à anéantir les pouvoirs de la Chambre des lords. Les Pères de la Confédération ont examiné toutes les possibilités et les ont rejetées, en choisissant de ne pas accorder au Sénat des droits de vote limités, suspensifs ou autres, en raison de la nature de la structure du pays, un État fédéral et non un État unitaire comme le Royaume-Uni.

Bon nombre de ces décisions ont vu le jour en raison de la nature de la fédération et des variations d'une province à l'autre. Les dirigeants à l'époque voulaient se protéger contre l'éventuelle adoption d'un projet de loi qui nuirait à une province particulière.

Souvenez-vous, ces hommes se sont réunis d'une façon fort admirable, avec un peu de méfiance, mais finalement, ils ont pu conclure une entente, ce qui est absolument formidable. Mais en arrivant à cette entente, ils ont examiné bon nombre des questions que vous soulevez. Ils voulaient que les membres d'une chambre soient capables de rejeter un projet de loi qui nuirait à une province. À l'époque, la province la plus souvent soulevée était celle du Québec.

Ce sont des protections fondamentales dont jouissent les Canadiens de différentes façons, et c'est la raison pour laquelle il est toujours important de tenir compte des raisons à l'origine de chaque loi et de chaque règlement.

Les articles 53 et 54 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, qui portent sur les pouvoirs financiers du Sénat, donnaient au Sénat tous les pouvoirs nécessaires pour ce qui est des projets de loi à caractère financier, y compris le pouvoir de les rejeter. La seule limite, c'est qu'un projet de loi à caractère financier doit émaner d'un ministre à la Chambre des communes.

Je crois que ce serait une mesure rétroactive ou contraire que d'utiliser la Constitution du Canada pour ramener le Sénat à une époque où il ne jouissait que d'un droit de veto suspensif à l'égard des projets de loi importants. Cela ne marcherait pas du tout.

M. Segal : Nous nous entendons sur le fait que je ne propose aucun changement à la Constitution pour limiter les pouvoirs du Sénat. Je n'en fais aucunement la recommandation. Toutefois, je vous dis que si les sénateurs choisissent d'utiliser un droit de veto suspensif, et je songe au sénateur Angus qui, au sein du Comité des finances, a arrêté un projet de loi mal ficelé qui changeait le traitement fiscal de l'industrie du cinéma pour en faire une censure rétroactive. Le Sénat a bloqué le projet de loi, non en le rejetant, mais en le retenant au comité pendant si longtemps que le gouvernement, ainsi éclairé, a supprimé la disposition. Le Sénat peut agir de maintes façons, et je ne crois pas qu'un droit de veto suspensif, qui sera adopté de façon volontaire par le Sénat en guise de bonne foi, serait forcément problématique.

La sénatrice Cools : Je me souviens du jour où le sénateur MacEachen nous a raconté la fois qu'il avait enterré un projet de loi en le gardant au comité. Ce sont des tactiques.

Le vice-président : Merci beaucoup, sénateur Segal. Chaque sénateur ici présent a beaucoup appris en vous écoutant. Je crois que les discussions auxquelles vous participez montrent à quel point nous voulons proposer la recommandation la plus indiquée et la plus éclairée en ce qui concerne tous les aspects de notre institution et de son rôle dans la fédération.

Sénateur Segal, merci beaucoup. Nul besoin de vous tenir au courant de nos travaux futurs. Je crois que vous pourrez en prendre connaissance très facilement.

(La séance est levée.)

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