Délibérations du Comité sénatorial spécial
sur la Modernisationdu Sénat
Fascicule n° 7 - Témoignages du 23 novembre 2016
OTTAWA, le mercredi 23 novembre 2016
Le Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat se réunit aujourd'hui, à 12 h 1, pour examiner les façons de rendre le Sénat plus efficace dans le cadre constitutionnel actuel.
Le sénateur Tom McInnis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs, la séance du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat est ouverte. Notre séance d'aujourd'hui est publique.
Au cours des dernières semaines, nous avons entendu les dirigeants des différents groupes et caucus du Sénat. Dans l'invitation que j'ai transmise à chacun d'eux, je leur ai demandé de réfléchir aux questions suivantes, lesquelles ont été posées à chacun des leaders — je le souligne. Croyez-vous que les caucus des partis politiques ont un rôle à jouer au Sénat et croyez-vous qu'ils ont un avenir devant eux? Un Sénat moderne a-t-il besoin d'une représentation gouvernementale? Un Sénat moderne a-t-il besoin d'une opposition officielle ou de groupes d'opposition? Quels changements devrions-nous apporter à nos règles ou à nos usages?
Aujourd'hui, j'ai le plaisir d'accueillir nos prochains témoins, MM. Bruce Hicks et David Docherty. Chacun fera un bref exposé, après quoi nous tiendrons notre période de questions et de réponses sur les mêmes enjeux généraux.
Les recherches de M. Hicks portent principalement sur les institutions de gouvernance officielles, les constitutions, les législatures, les tribunaux, les gouvernements et le fédéralisme dans les pays développés comme le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les pays d'Europe. Il se penche plus particulièrement sur le changement institutionnel.
M. Docherty est le neuvième président de l'Université Mount Royal et il a signé de nombreux livres et articles sur la politique canadienne. Vous serez sans doute plusieurs à vous intéresser au chapitre qu'il a rédigé et qui est inclus dans une publication australienne intitulée Restraining Elective Dictatorship : The Upper House Solution. Il y explique qu'il serait avantageux d'avoir des Chambres hautes dans les provinces canadiennes. Nous n'allons pas laisser fuir cette information.
Messieurs, nous vous savons gré de votre présence aujourd'hui. Monsieur Docherty, je vous invite à nous présenter votre exposé, et M. Hicks suivra.
David Docherty, président, Université Mount Royal, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président. Dans mes études universitaires, mon premier amour a été l'étude des assemblées canadiennes, alors je vous remercie de m'avoir invité. J'admets que mon passage, il y a une douzaine d'années, au domaine administratif, d'abord en tant que doyen, puis en tant que président d'université, m'a empêché de continuer à me consacrer à mon premier amour, soit l'étude des législatures et des assemblées canadiennes.
Je tiens à préciser que je suis en excellente compagnie, aussi bien aujourd'hui, parmi vous, que parmi les universitaires que vous avez rencontrés et entendus dans le cadre de votre premier rapport. Ces personnes très intelligentes sont à n'en pas douter parfaitement au fait de tous les ouvrages sur la question, et ce, nettement plus que moi, en raison de mon rôle.
Mes propos sont donc principalement des observations et des pensées qui se fondent plutôt sur mes écrits et mon expérience antérieurs. Je ne donnerai pas beaucoup de précisions dans mon exposé, mais je donnerai des précisions sur ce que le comité étudie et je vais essayer de garder généralement le cap sur le Sénat et sur l'importance de ne pas changer les nombreuses caractéristiques et activités que j'estime très positives de la Chambre rouge. En fait, je pense que c'est l'aspect très important qui devrait nous préoccuper.
Je vais commencer par un commentaire. Il n'est pas question des élections américaines, mais je pense qu'il y a une tendance partout en Amérique du Nord, concernant les législatures et les élections. Je crois fermement que le Sénat du Canada devient rapidement le dernier bastion d'un discours politique civilisé en Amérique du Nord. Je crains que nous en soyons maintenant à un point critique dans l'évolution du Sénat du Canada, et j'espère que vous n'allez pas perdre cela et que vous allez continuer d'illustrer comment des personnes brillantes peuvent discuter d'idées avec dignité et dans le respect mutuel. Je vous encourage vraiment, dans vos efforts de changement et d'organisation, à mettre cela à l'avant-plan. Je crois que les Canadiens souhaitent que le respect règne dans les institutions qui les représentent, et c'est une formidable occasion pour le Sénat de faire montre du genre de respect qui devrait caractériser les discussions des représentants du Canada. Je vous demande de garder cela à l'esprit dans vos discussions sur ce que vous allez faire.
Pour répondre aux questions posées par le Sénat, j'adopte la perspective de la façon dont il peut faire ces choses et de la façon dont les changements auraient des effets sur ce que le Sénat fait si bien d'après moi.
Donc, très rapidement, qu'est-ce que le Sénat fait si bien, d'après moi? Je crois qu'il vérifie et, au besoin, modifie les projets de loi : sa fonction d'examen et de responsabilité. Vous ne peaufinez pas les projets de loi, mais vous les modifiez, en discutez et scrutez ce que le gouvernement fait.
La plupart du temps, l'expression d'un deuxième avis pondéré est plutôt l'oreille du peuple et la voix de la raison. Sans Sénat, il faudrait que cela se fasse ailleurs, et je crains que cela se fasse bien loin du regard du public. Je pense donc que ce que vous faites sur ce plan est très important. Dans bien des cas, le Sénat doit faire beaucoup plus que modifier les mesures législatives. Il y a quelques années, j'ai examiné des projets de loi importants, soit la Loi sur la clarté et les mesures législatives visant les tarifs relatifs aux magazines, et j'ai comparé les audiences des comités de la Chambre des communes et du Sénat sur ces questions.
Ce que j'ai constaté, même si cela ne me semblait pas nécessairement remarquable, c'est que les comités sénatoriaux ont entendu plus de témoins, parlé à plus de témoins, posé plus de questions et apporté plus de modifications proposées par toutes les allégeances politiques que les comités de la Chambre des communes, et ce, dans tous les cas. L'éloquence de votre greffier, Charles Robert, n'est pas étonnante, précisant que peu de gens trouvaient cela surprenant, plutôt que de se contenter de dire : « Je vous l'avais bien dit. »
Je crois que c'est important. Je crois que c'est ce que vous faites bien. Vous représentez les collectivités et, dans certains cas, c'est régional. Vous représentez des communautés d'intérêts et n'avez pas d'intérêts de nature territoriale. Je n'ai pas regardé les nombres, récemment, mais il ressortait clairement du travail que j'ai fait antérieurement que le Sénat était plus représentatif de la population canadienne que n'importe quelle assemblée élective, et j'estime que c'est important. Les sénateurs ont la responsabilité de représenter la population canadienne, aussi bien figurativement qu'en substance.
Je pense que les sénateurs ont aussi une occasion unique de représenter les intérêts stratégiques. En tant que sénateurs, vous avez une tribune importante que même les commissions royales envieraient. Historiquement, les sénateurs ont la formidable possibilité d'utiliser leur position et leurs ressources pour agir à titre d'experts-conseils stratégiques auprès du gouvernement du peuple canadien. De Keith Davey, avec son travail dans la presse écrite, au sénateur Kirby en matière de soins de santé, en passant par le sénateur Kenny en matière de sécurité, des sénateurs ont utilisé leur position pour informer les Canadiens.
Comparez simplement le rapport de la Commission Romanow sur l'avenir des soins de santé au Canada avec le rapport Kirby. Ce sont deux excellents rapports, très approfondis et utiles, mais je dirais que le rapport de la commission royale n'a pas eu la tribune lui permettant de demeurer présent dans l'esprit du public de la même façon que le rapport Kirby. C'est très important, et je crois que nous devons garder cela à l'esprit.
Compte tenu des défis auxquels le Sénat fait face, dans cette perspective, quels effets les changements auront-ils sur la capacité du Sénat d'accomplir ces tâches?
Est-ce que les caucus des partis politiques ont un rôle à jouer au Sénat et croyez-vous qu'ils ont un avenir devant eux? Simplifions les choses : est-ce que le nombre important est 2, 3 ou 105? Je pense que 105 représente probablement une façon déraisonnable d'organiser une institution, mais je crois qu'il faut se demander quel est le nombre approprié.
En ce qui concerne le travail que j'ai mentionné, je crois que le nombre n'est pas pertinent : 105 personnes peuvent accomplir le travail requis pour les trois choses importantes dont j'ai parlé, et ce, aussi bien que 2 ou 3 regroupements. Cependant, sur le plan de l'organisation, je pense que le nombre doit être inférieur.
Donc, un Sénat moderne a-t-il besoin d'une représentation gouvernementale, d'une opposition officielle ou de groupes d'opposition? Ce serait difficile, étant donné que le nombre important est 105. Je dirais que le Sénat a besoin de caucus, car il lui faut une façon de s'organiser officiellement, de doter les postes au Comité de la régie interne et au Comité de sélection, mais je ne crois pas nécessaire que cela se fonde sur les résultats d'élections qui désigneraient des représentants à la Chambre basse. C'est possible, mais ce n'est pas nécessaire. L'une des principales responsabilités du gouverneur général, par exemple, est de veiller à ce qu'il y ait, à la Chambre basse, un parti capable de faire fonctionner le gouvernement. Si ce n'est pas le cas, le gouverneur général peut déclencher des élections ou déterminer si un autre parti à la Chambre basse peut faire fonctionner le gouvernement.
Le gouverneur général ne s'adresse pas au Sénat pour cette fonction, parce que ce n'est pas le rôle du Sénat. Il n'est donc pas aussi crucial d'avoir au Sénat des caucus des groupes d'opposition ou du gouvernement, pour certaines responsabilités du Sénat.
Demander à des ministres de venir répondre aux questions du Sénat peut assurer la responsabilité sans caucus du gouvernement ou de l'opposition.
Qu'est-ce qui pourrait servir de base à une organisation en fonction de caucus? Ce pourrait être l'appartenance à un parti. Ce pourrait être une coalition de membres indépendants.
Ce pourrait être la région; après tout, l'une des responsabilités fondamentales du Sénat est de représenter les régions du Canada, alors ce serait justifié. L'une des conséquences de cela serait l'instauration d'un fédéralisme intraétatique au Canada, un peu comme aux États-Unis. Cela pourrait être un bon contrepoids à notre fédéralisme interétatique actuel, avec les premiers ministres qui représenteraient les provinces dans la capitale nationale.
Cependant, avec des caucus régionaux, les sénateurs seraient obligés de faire passer leurs liens idéologiques après les intérêts des régions, et je ne pense pas que ce serait nécessairement utile. Cela pourrait aussi être la cause de débats régionaux au Sénat, et je ne pense pas que ce soit utile pour les solutions pancanadiennes recherchées pour le pays non plus. Les régions ne sont pas homogènes, et les caucus pourraient finir par voter d'une manière partisane au sein des régions.
Je ne suis donc pas convaincu que des caucus régionaux seraient utiles. En fait, je crois que cela pourrait exacerber un problème.
Les caucus pourraient être flottants. Il faudrait pour cela une structure, ou la réorganisation de l'affectation des ressources aux caucus de sorte qu'elles soient plus fluides que stables.
Des caucus politiques sont aussi possibles, mais ils risquent d'être très diffus et de ne pas être utiles à des fins d'organisation.
Donc, quelles sont les solutions? Mesdames et messieurs les sénateurs, je dirai ceci : je suis évangélique quand il est question du rôle du Sénat, mais je suis plutôt agnostique concernant la façon dont vous devriez vous organiser.
En tant que président d'une université, voici ce que je peux vous dire. Le Sénat me fait beaucoup penser à mon corps professoral : vous avez dans une pièce un grand nombre de personnes brillantes, mais fort difficiles à organiser. Cependant, si vous faites la bonne chose avec un grand nombre de personnes brillantes, elles vont répondre à leurs propres questions et vont faire de l'excellent travail.
La question est donc de savoir comment fournir la bonne structure et le bon cadre qui permettront aux gens de faire le travail qu'ils essaient de faire. Je pense que c'est ce qu'il faut avoir à l'esprit, car le travail que vous faites m'anime énormément.
Je crois qu'il faut une forme d'organisation. Je pense qu'une organisation de nature partisane est tout à fait correcte et pertinente. C'est peut-être la façon la plus simple, mais je ne suis pas nécessairement convaincu qu'il vous faut une organisation mettant en présence le gouvernement et l'opposition, car nous savons par expérience que les sénateurs représentant le gouvernement ont souvent été minoritaires, et que cela peut beaucoup bouger. Je crois que pour l'avenir, une organisation de nature partisane conjuguée à d'autres façons de tenir le gouvernement responsable serait valable.
C'est ce que j'avais à vous dire en guise de déclaration liminaire. Je suis impatient d'entendre les propos de M. Hicks et de participer à la discussion qui suivra. Merci, monsieur le président.
Bruce Hicks, professeur adjoint, École d'affaires publiques et internationales de Glendon, Université York, à titre personnel : J'espère que mes propos ne chevaucheront pas trop ceux de mon collègue. Il est un administrateur d'université, alors son allocution semblait toute tapée, tandis que moi, je n'ai que de petites notes. J'espère qu'elles vont se réunir en quelque chose de constructif.
Quand je faisais ma maîtrise, j'avais un professeur qui enseignait la théorie de la recherche empirique. Au dernier cours, il a sondé les étudiants pour savoir ce qu'ils estimaient être le mot le plus mal utilisé en science politique. Après discussion, les étudiants se sont mis d'accord pour dire que c'était « démocratie ». Comme le dit Bernard Crick, professeur à l'Université d'Oxford, ce terme sous-entend beaucoup de promiscuité. Nous l'utilisons pour justifier toutes sortes de choses, que ce soit la règle de la majorité, les droits des minorités ou un système de gouvernement. Nommez un pays communiste qui n'a pas le mot « démocratique » dans son nom.
Je dirais que l'expression qui arrive tout de suite après, c'est « gouvernement responsable ». Nous utilisons cette expression aussi bien pour masquer une multitude de péchés que pour justifier des résultats.
Ce qui me préoccupe, c'est la surutilisation et la mauvaise utilisation de cela.
Au bout du compte, on parle de « gouvernement responsable » pour la formation d'un gouvernement. A. V. Dicey, qui était un professeur de droit au Royaume-Uni et qui a été plutôt prolifique, a écrit tous les principaux textes pour l'école de droit et a pu, par conséquent, influencer plusieurs générations d'avocats. Il était fermement d'avis que vous pouviez abouter les principes démocratiques à un système qui avait émergé à l'ère médiévale. Nous voyons donc l'émergence de conventions constitutionnelles qui restreignent le gouverneur général ou la couronne, dans le cas de l'Angleterre, concernant les prises de décisions.
Cependant, en fin de compte, ces conventions, quand il est question du gouvernement, sont liées à la Chambre des communes et à la formation du gouvernement. Le principe premier est, d'abord et avant tout, que le premier ministre doit avoir la confiance de la Chambre des communes.
Puis on croit aussi qu'il devrait y avoir un gouvernement en attente, une opposition officielle qui pourrait, en théorie, prendre le relais si le gouvernement perdait la confiance de la Chambre. Au Canada, en fait, nous n'avons jamais changé de parti politique; nous tenons des élections parce que les premiers ministres préfèrent lancer les dés. Mais il s'agit là du principe derrière un gouvernement formé par l'opposition, à la Chambre des communes.
Rien ne justifie cette structure à la Chambre haute, outre le fait qu'elle soit simple. Les gens connaissent cela, que ce soit les personnes formées à l'école de droit qui aiment l'approche conflictuelle où les deux côtés débattent d'une question, ou les personnes qui se sont fait les dents dans des partis politiques ou, même, à la Chambre des communes, et connaissent ces structures. Très longtemps, quand les deux caucus étaient ensemble, c'était pratique, sur le plan de la structure, car ils pouvaient se communiquer de l'information sur les mesures législatives.
Cependant, ce n'est pas à la Chambre haute que le gouvernement responsable siège, et rien n'exige de façon inhérente que ces structures existent au Sénat.
Ce qui importe, ce sont les principes législatifs que Bourinot et Beauchesne soulignent au tout début de leurs ouvrages sur le parlementarisme. Les deux plus importants principes, d'après moi, sont de réaliser d'une manière accélérée les affaires émanant du gouvernement tout en veillant au respect des droits des minorités de la Chambre. Il devrait s'agir des principes directeurs de la structure qui émergera, concernant la décision relative aux personnes qui siégeront à des comités, et la façon dont les ressources seront affectées.
Dans cette même veine, doit-on avoir un leader du gouvernement au Sénat? Je vous dirais que le Président du Sénat a toujours été le leader du gouvernement. Du point de vue constitutionnel, cette personne est en fait nommée sur la recommandation du premier ministre. Mais si on remonte à l'époque coloniale, le Président participait aux réunions du Cabinet. Le lord chancelier assumait la même fonction au sein de la Chambre des lords. Cette personne était payée par le gouvernement et, par conséquent, elle devait s'assurer que les affaires du gouvernement étaient présentées à la Chambre.
On a donc besoin d'un mécanisme pour présenter des projets de loi au Sénat, que ce soit par l'intermédiaire du Président ou d'un représentant du gouvernement, ce qui est une nouveauté; ou on fait simplement appel à des parrains qui vont saisir le Sénat de mesures législatives au nom du gouvernement, en supposant que les règles prévoient une certaine période de temps chaque jour pour traiter prioritairement des affaires du gouvernement, mais aussi une petite période de temps pour discuter des projets de loi d'initiative parlementaire et veiller à ce que les intérêts de la minorité soient représentés.
Par conséquent, je ne crois pas qu'on ait besoin d'une opposition, du moins, d'une opposition officielle au Sénat. Il y a des gens qui vont s'opposer. Cela fait partie de notre histoire législative. En fait, qu'il s'agisse de l'Angleterre pendant la guerre civile ou du Canada à l'époque coloniale, c'était généralement la Chambre basse qui s'opposait à la Couronne dans beaucoup de cas, et il y avait une division entre les deux Chambres, puisque la Chambre basse représentait la population et la Chambre haute représentait la Couronne.
Il y aura toujours une certaine forme d'opposition, surtout lorsque les gens conservent leur poste jusqu'à l'âge de 75 ans. Je soupçonne qu'il ne manquera pas de gens au sein de cette institution pour contester les mesures législatives et les idées proposées par le gouvernement du jour, quelle que soit son allégeance politique.
Cela nous amène à la question plus large des partis politiques. Je suis d'accord avec le professeur Docherty pour dire que les partis politiques sont un moyen facile d'organiser les sénateurs. Je pense que c'est ce qui explique pourquoi c'est si attrayant. Si les dirigeants des partis siègent au Comité de la régie interne ou au Comité de sélection, ils décident de la répartition des sièges au sein des comités et des ressources, et c'est relativement simple.
Par contre, on a souvent vu les whips et les chefs de gouvernement punir leurs membres pour ne pas s'être comportés de façon adéquate, que ce soit au moment de voter sur un projet de loi ou simplement par manque d'esprit d'équipe. Je pense notamment au bureau du pauvre John Turner, qui était situé dans le grenier de l'édifice de la Confédération, parce que David Dingwall avait jugé qu'il avait tenu des propos déplacés.
Ce n'est pas nécessairement l'exception ni la règle, mais cette pratique existe. Les whips et les dirigeants des partis ont pu exercer leur contrôle sur les ressources et le programme pour punir des gens. C'est le côté moins reluisant du système.
Les partis politiques sont un phénomène relativement récent. Au Royaume-Uni, ils ont refait surface après l'adoption de la Loi sur la réforme. Ils étaient des mécanismes permettant d'élire des gens à la Chambre basse, de lever des fonds, et à mesure que le droit de vote s'étendait, qu'il n'y avait plus de bourgs pourris et qu'il fallait mener de bonnes campagnes électorales, les partis politiques ont commencé à s'établir comme le pivot central de la structure organisationnelle, du moins pour la Chambre basse.
Si on remonte à 1867, et même avant, sachez que lorsqu'on va sur le site web du Parti conservateur ou du Parti libéral, on peut retracer leur histoire jusqu'à la Confédération et même au-delà. J'ignore si c'est encore le cas, mais sur leur site web, les libéraux affirmaient être le parti de George Brown, et les conservateurs, celui de sir John A. Macdonald.
Sir John A. Macdonald aurait été contre cette idée. Presque toute sa carrière, il a prétendu être le chef d'un gouvernement de coalition, que ce soit à l'époque du Canada-Uni ou après la Confédération, lorsqu'il était le premier premier ministre, et qu'il se considérait lui-même comme un libéral-conservateur.
Les premières personnes qui ont été nommées à la Chambre haute venaient des conseils législatifs des provinces. La plupart d'entre elles étaient des libéraux-conservateurs. Il avait promis, dans le cadre des débats sur la Confédération, qu'il nommerait les personnes en respectant les divisions au sein de chacune des assemblées législatives provinciales. Alexander Mackenzie, lorsqu'il est enfin arrivé au pouvoir, s'est plaint que cet engagement n'avait pas été respecté, mais au moins, il avait fait un effort.
Bon nombre des conseillers législatifs servaient aux deux endroits, dans la Chambre haute provinciale et dans la Chambre haute fédérale. Le Sénat du Canada fonctionnait à une époque où les partis étaient encore mal définis et a grandement contribué à la création d'une nouvelle nation.
Je ne sais pas si on peut défendre l'existence des partis politiques, mais tout comme le professeur Docherty, je ne m'oppose pas fermement au concept. Les gens se réuniront ou formeront des regroupements en fonction de leurs idéologies. Si on prend le Congrès américain, par exemple, il y a un caucus sur le pétrole, un caucus noir, un caucus de femmes, bref, un caucus sur presque tous les enjeux qui préoccupent les gens. Je pense qu'il est naturel d'avoir des organisations pour discuter des politiques et des lois.
On a abordé l'idée des caucus régionaux. Je respecte la préoccupation du sénateur Pratte sur le fait que les régions de l'Ontario et du Québec poseraient problème parce qu'elles s'alignent sur les volontés de la province, et on court le risque que le gouvernement provincial ait une influence indue sur le caucus de leur province. Je ne crois pas ce soit vrai pour les sénateurs de l'Atlantique ou de l'Ouest, mais dans le cas de l'Ontario et du Québec, je crois qu'il en est ainsi.
Il y a environ un mois, j'ai écrit un article dans la Gazette de Montréal, dans lequel je disais que l'unique raison pour laquelle nous avons 24 régions électorales au Québec, c'est parce qu'Alexander Galt, comme condition pour nommer un Sénat canadien, voulait s'assurer que les anglophones sont représentés dans la Chambre haute. Par définition, dans le caucus sénatorial du Québec, les anglophones sont en minorité. Il vaudrait peut-être mieux qu'ils travaillent avec d'autres sénateurs de différentes régions — d'autres sénateurs en situation minoritaire, par exemple, comme les Acadiens ou les Manitobains francophones — afin de défendre les droits des minorités linguistiques, n'est-ce pas?
Par conséquent, il y a d'autres moyens d'y parvenir. Avant de passer aux questions, j'ajouterais qu'il y a des façons de procéder qui ne nécessitent pas une structure officielle prévue dans le Règlement, lorsqu'il s'agit du caucus et du partage des tâches. Ce sera une période de transition. Le Sénat évolue lentement. Sa composition d'aujourd'hui ne sera pas celle des 10 prochaines années. On pourrait revenir à une autre formule, selon qui sera le premier ministre à l'avenir, ou on pourrait continuer d'avoir de plus en plus de sénateurs indépendants et assister à la disparition du caucus libéral.
Je ne crois pas qu'il faut régler tous les problèmes tout de suite. Parallèlement, il y a des moyens créatifs de résoudre les problèmes. Par exemple, les deux plus importants comités qui préoccupent la plupart des sénateurs indépendants sont le Comité de la régie interne, des budgets et de l'administration et le Comité de sélection. On pourrait facilement opter pour un mode de scrutin à vote unique transférable — comme la Canada West Foundation avait recommandé pour la Chambre haute, et comme c'est le cas en Australie —, qui est un système électoral qui permet de veiller à ce que toutes les différentes factions soient représentées et de créer un groupe au sein de ces deux comités qui, à son tour, choisira les membres des autres comités et affectera les ressources.
Nous pouvons être créatifs. Pour ceux d'entre nous qui examinent les systèmes électoraux — et malheureusement, cela ne semble pas inclure la Chambre des communes —, nous répétons souvent qu'il n'y a pas de système électoral idéal et qu'il y a autant de systèmes que de gens qui les conçoivent. Je pense qu'il faut faire place à la créativité dans l'affectation des ressources et dans la sélection des membres des comités.
L'une des solutions, possiblement la plus facile, étant donné que tout le monde la connaît bien, est d'utiliser les partis politiques et d'avoir des caucus pour les sénateurs indépendants. C'est une solution simple qui cadre bien avec le système que la plupart des gens connaissent.
Par ailleurs, des gens créatifs, et il n'en manque pas dans cette enceinte, peuvent proposer d'autres types de solutions, surtout si on cherche des solutions qui peuvent s'appliquer à court ou à moyen terme, plutôt qu'à résoudre tous les problèmes du Sénat pour les générations à venir.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Hicks.
Nous avons une longue liste de gens qui veulent poser des questions, comme vous pouvez sans doute vous l'imaginer. Je vais lire les noms, puis je vais céder la parole au sénateur Joyal, vice-président du comité. Il y a donc le sénateur Joyal, la sénatrice McCoy, le sénateur McIntyre, la sénatrice Frum, le sénateur Tannas, le sénateur Tkachuk, le sénateur Wells, le sénateur Eggleton, la sénatrice Cools et le sénateur Mockler.
Permettez-moi de souhaiter la bienvenue à deux nouveaux sénateurs, le sénateur Cormier, du Nouveau-Brunswick, et la sénatrice Bovey, du Manitoba.
Le sénateur Joyal : Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux, messieurs Hicks et Docherty.
J'aimerais revenir sur ce qu'a dit M. Docherty sur le fait que nous avons un système de gouvernement bicaméral. Il y a deux Chambres, et la Cour suprême, dans sa décision d'avril 2014, l'a dit clairement. Cela signifie que chaque Chambre a un rôle précis à jouer dans notre système démocratique. Monsieur Hicks a parlé du gouvernement responsable à la Chambre, et nous savons tous qu'au fil des ans — et il y a une longue bibliographie à ce sujet —, l'exécutif a pris le pouvoir dans cette enceinte.
Le système de partis à la Chambre des communes est dominé. Le caucus ministériel est totalement sous la domination du premier ministre. Je l'ai moi-même vécu lorsque j'y étais. J'ai été ministre et député, et je ne crois pas que la situation se soit améliorée au fil des années. Au contraire, l'emprise de l'exécutif du gouvernement à la Chambre des communes n'a fait que s'accroître au cours des années, au point où le rôle du député est devenu assez limité. J'allais même dire insignifiant, mais je n'irai pas aussi loin.
Le Sénat a certainement un rôle à jouer pour faire contrepoids à la Chambre des communes. On parle ici de l'exercice d'un pouvoir. C'est essentiellement ce que c'est. Dans la conception de ce pouvoir du Sénat, nous devons réfléchir à la façon dont nous pouvons utiliser au mieux ce pouvoir afin d'obliger le gouvernement à rendre des comptes à la population canadienne.
Comme vous l'avez dit, lorsque les projets de loi sont adoptés dans l'autre Chambre — vous avez donné l'exemple de la Loi sur la clarté, et il y a d'autres projets de loi qu'on pourrait trouver dans les archives —, les débats sur les projets de loi plus difficiles se sont toujours mieux déroulés au Sénat qu'à la Chambre des communes. Il y a une raison pour cela. Je pense notamment au projet de loi C-14. L'examen du projet de loi au Sénat était beaucoup plus exhaustif et ouvert, puis à la fin, le vote était beaucoup mieux réparti des deux côtés du Sénat qu'au sein du gouvernement. Si on compare le vote des députés ministériels et celui des libéraux soi-disant indépendants, on constate une différence assez marquée.
Selon moi, il est très important qu'au Sénat, on conserve cette capacité d'exiger des comptes au gouvernement. Comme vous l'avez dit, si on éparpille les 105 membres du Sénat, comment un seul membre peut-il s'opposer au pouvoir excessif de l'exécutif du gouvernement? C'est une vision un peu poétique.
Il s'agit ici de l'exercice d'un pouvoir, et le pouvoir est l'affrontement de différentes façons de voir une solution à un problème. Selon moi, il est important de comprendre que par le passé, le gouvernement du jour — le nouveau gouvernement — était confronté à un Sénat qui était en majorité représenté par le parti qui avait perdu les élections. Comme vous le savez, les statistiques dans mes livres et dans vos écrits sont très claires : pendant un certain temps, le Sénat est la véritable opposition du gouvernement, parce qu'il est composé en majorité de sénateurs qui ont une allégeance au parti qui compose maintenant l'opposition.
Il me semble qu'on doit garder à l'esprit le contexte de cette dynamique si on veut revoir la façon dont le Sénat exerce son pouvoir de demander des comptes au gouvernement sur son administration au quotidien et ses mesures législatives. On peut voir comment les projets de loi sont traités à la Chambre des communes maintenant et comment ils seront traités au Sénat.
Comme vous l'avez dit, la valeur du débat démocratique au Canada ne consiste pas à compter le nombre d'amendements que le Sénat a présentés, mais plutôt à voir la profondeur de l'étude qui a été faite, de façon à ce que tout le monde puisse voir les divers aspects et les conséquences des mesures législatives qui ont été débattues. Et les tribunaux, qui doivent interpréter notre Constitution et notre Charte, peuvent retourner consulter les Débats du Sénat. Mon collègue, le sénateur Baker, qui est un expert de la question, peut vous dire que les tribunaux consultent beaucoup plus souvent les Débats du Sénat que ceux de la Chambre des communes. C'est là où se trouve la démocratie. La démocratie est essentiellement l'expression de l'opposition et une façon de forcer le gouvernement à préciser ses intentions et à comprendre les conséquences des projets de loi pour les Canadiens. C'est à cela qu'on mesure la santé d'une démocratie.
Par conséquent, il ne faut jamais perdre de vue le fait qu'on a un système bicaméral, et si on diminue la capacité d'une Chambre de maintenir l'autre au niveau auquel elle s'est engagée, on va changer un élément fondamental de notre système démocratique. Voilà donc ce que je voulais vous présenter, parce que selon moi, c'est un principe fondamental de nos décisions et de la structure de notre travail.
M. Docherty : Merci. Je ne conteste pas l'idée générale de votre argument. En fait, je suis entièrement d'accord avec vous. Mais je pense qu'il ne faut pas oublier qu'on n'a pas reconnu la souplesse ni l'adaptabilité du système parlementaire de Westminster. À plus petite échelle, nous avons deux gouvernements inspirés du modèle de Westminster au Canada dans deux des territoires, et ils n'ont pas de partis. Les gens sont élus comme indépendants et ils votent pour ceux qui feront partie du Cabinet, et cela semble bien fonctionner. Je ne sais pas si cela pourrait fonctionner au Sénat, mais cela démontre à quel point le modèle de Westminster est souple.
Je ne crois pas qu'en modifiant la façon dont on organise le Sénat, en ce qui a trait au comité de la régie interne ou au comité de sélection, on va nécessairement influer sur les votes multipartites et non idéologiques tenus sur les divers projets de loi, si le Sénat va à l'encontre des vœux d'un gouvernement qui pourrait avoir un plus grand contrôle sur son institution que le Sénat sur la sienne.
Je ne crois pas qu'un nouveau mode de fonctionnement du Sénat ait nécessairement sur ça des conséquences négatives. C'est un rôle important du Sénat, mais notre système est très souple, et le Sénat peut trouver moyen de s'organiser pour essayer, par exemple, de se passer des partis politiques pour faire siéger des experts des politiques publiques dans les bons comités qui examinent les projets de loi. Ça peut se faire à l'extérieur comme à l'intérieur de la structure des partis.
M. Hicks : Je suis plutôt d'accord avec ces deux affirmations. Aux États-Unis, par exemple, le Sénat est très puissant. Les sénateurs sont redevables à peu de personnes, et les manigances sont nombreuses. De plus, les sénateurs, qui peuvent avoir une longue carrière, acquièrent beaucoup de compétences en matière de politiques publiques. L'un des avantages d'une Chambre où la retraite sonne à 75 ans est de pouvoir accumuler beaucoup de compétences et de mémoire sur les institutions.
Pour revenir à la dernière affirmation de M. Docherty, la nécessité de de peupler les comités de personnes à la hauteur, passionnées, les sénateurs qui ont entrepris des études l'ont souvent fait parce qu'ils étaient passionnés par le sujet, comme Jack Marshall, par exemple, pour les anciens combattants. Ce n'est pas parce qu'il faisait partie du comité de la défense et qu'il s'ennuyait. Il éprouvait vraiment une véritable passion pour les anciens combattants du Canada et pour les marins de la marine marchande qu'il a voulu faire reconnaître.
Certaines des études les plus intéressantes sont dues à des sénateurs qui se sont fait les champions de la question de leur propre chef et qui, par conséquent, ont reçu l'appui du comité, de leur propre personnel ou se sont servis du système D pour réaliser ce genre de travail. Je pense que c'est essentiel. J'ignore si c'est nécessairement le résultat de la décision d'un parti qui, souvent, affectera un député à un comité pour le récompenser ou le sanctionner plutôt que de lui reconnaître une compétence. Ça ne signifie pas que les partis se fourvoient souvent, mais ils ne placent pas nécessairement les sommités du droit ou de la Constitution dans le comité des affaires constitutionnelles. Ça arrive parfois, et je pense que c'est ce qui se révèle utile à l'institution.
Mais j'ignore si on peut imputer à la direction du parti, du fait qu'elle existe, la compétence des membres des comités. Les membres des comités sont compétents parce que nos sénateurs le sont et que, coûte que coûte, certains d'entre eux se retrouvent dans des comités qui examinent des questions pour lesquelles ils sont passionnés et où ils peuvent donner leur mesure.
C'est, je pense, l'essentiel. Ce n'est pas inhérent à un système de partis, mais je vois que c'est essentiel pour ce que M. Docherty a dit, au début, c'est-à-dire que le Sénat se focalise sur ce qu'il fait bien.
Au Canada, nous avons cette chance particulière maintenant que l'opinion donne un peu de liberté au Sénat. Elle attend en quelque sorte de voir comment il se réorganisera. Les médias ne réagissent pas de la façon irréfléchie que nous avons vue, par le passé, après des nominations à la Chambre haute.
Je pense que s'offre au Sénat la chance de retourner au genre de travail qui lui a mérité une réputation enviable chez le petit nombre de savants qui en étudient des moments particuliers de son histoire.
Le sénateur Tkachuk : Ça fait près de 24 ans que je suis sénateur, et d'autres ici présents le sont depuis plus longtemps ou aussi longtemps, et tous les membres de tous les comités dont vous avez parlé, qui ont fait du travail exceptionnel, et il y en a beaucoup d'autres, ont été nommés à l'intérieur du système des partis. Chacun d'eux. Je n'ai jamais vu un chef de parti essayer d'affecter à un comité une personne incompétente et ignorante.
Pendant toutes mes années passées ici, des deux côtés de la Chambre, je savais, quand j'allais participer à une séance d'un comité, que ses membres éprouvaient un intérêt marqué pour ce comité et qu'ils y travaillaient volontiers. Je le sais, parce que le parti a une histoire; il connaît les antécédents, les accomplissements, les études, les intérêts professionnels ou commerciaux, et ainsi de suite, de ses recrues. Quand on fait fi de tout ça, on se retrouve vraiment dans le pétrin.
Le président : Qu'en dites-vous, très rapidement?
M. Hicks : Je n'en disconviens pas...
Le sénateur Tkachuk : J'ignore quel problème nous essayons de résoudre.
M. Hicks : À ce que je sache, ce n'est pas inhérent à un système de partis. À la Chambre des communes, par exemple, au bout du couloir, les postes de porte-parole changent fréquemment; un député pourrait se découvrir le porte-parole pour un dossier qui, la veille, ne l'intéressait pas. Il acquiert des compétences sur la question parce que le chef lui en a confié la mission. Mais ça lui permet de faire partie d'un comité.
J'ignore seulement si c'est inhérent à un parti politique. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas vraiment eu de personnes compétentes au Sénat et à la direction du Sénat, laquelle a pourvu les comités en membres compétents.
Le sénateur Tkachuk : Parfois, les gens sont simplement futés et arrivent à comprendre comment ça marche.
M. Hicks : Oui, mais je ne vois pas de causalité entre la structure des partis et la compétence des membres d'un comité.
Le président : Nous nous égarons. Un peu plus de rigueur, s'il vous plaît.
La sénatrice McCoy : Je vais essayer de ne pas jouer au témoin avant de poser ma question.
Dans vos propos, à vous deux, j'apprécie votre approche fonctionnelle. Vous dites que le résultat que nous cherchons est un Sénat capable d'examiner les projets de loi et de les accepter, les amender et les défaire, mais, dans tous les cas, les améliorer, au besoin, et de le faire avec le concours de personnes enthousiastes et bien informées. À cette fin, voyons au moins les possibilités de confier la tâche à des personnes efficaces. Est-ce que je paraphrase bien votre position?
Je voudrais savoir ce que vous en pensez, mais certains d'entre nous ont prétendu que, particulièrement au cours des 15 dernières années, je dirais, parce qu'il n'y a eu que deux caucus politiques au Sénat, ce bipartisme a plutôt encouragé les partis à user parfois de ce que vous avez décrit comme l'opposition entre la récompense et la punition, au rebours de la fonction assumée brillamment dans le passé, c'est-à-dire confier la bonne tâche à la bonne personne.
Ceux qui le disent ont proposé de créer au moins trois groupes au Sénat pour diminuer le risque de dérapage, si vous me passez le mot. Je vous le demande donc : serait-il utile de créer au moins trois groupes au Sénat, en gardant à l'esprit que nous avons tous, je pense, la même opinion sur la nécessité de nous organiser pour bien faire notre travail?
M. Docherty : La réalité est que vous êtes déjà trois groupes. Sur la page web du Sénat, je distingue des indépendants, des libéraux et des conservateurs, trois groupes.
La question est comment le troisième groupe s'organise-t-il de manière efficace? quel rôle a-t-il? devrait-il être le plus nombreux? ou quel groupe devrait l'être? devrait-il contrôler le Sénat? À ces questions, je répondrais non.
Je tiens, madame, à être clair. Je n'y vois pas de problème en ce sens que je ne recommande pas la fin des caucus des partis. La question à laquelle, précisément, je répondais était s'il devait y avoir un caucus du parti ministériel ou de l'opposition et je ne suis pas trop certain de sa nécessité. C'est assez évident pour moi. Il y a d'autres façons de conserver la fonction d'examen qu'exerce le Sénat sur le gouvernement. Je ne suis pas contre les caucus des partis, mais je dis qu'il existe aussi d'autres solutions.
La sénatrice McCoy : Sur ce point, nous sommes d'accord.
Monsieur Hicks?
M. Hicks : À tout le moins, la réalité, à court terme, sera que les sénateurs indépendants s'organiseront et je pense que vous avez essayé de le faire. Ils commenceront à s'organiser par nécessité, seulement pour obtenir une part du gâteau, que ce soit la participation aux comités ou l'obtention de ressources. C'est un peu médiatisé, quand les médias daignent s'intéresser au Sénat, ce qui arrive peu souvent, mais les discussions en coulisses ont des échos au grand jour.
À court terme, ça signifie qu'il y aura trois groupes, peut-être même quatre. Ensuite, au fil du temps, alors que les ex-libéraux deviendront d'ex-sénateurs et que le nombre de sénateurs conservateurs diminuera, il y aura plus d'indépendants, parce que Trudeau continuera d'être premier ministre, ou il pourrait y avoir un renversement complet, si les conservateurs reviennent au pouvoir. Dans ce cas, tous les rôles nous paraîtront sous un éclairage différent.
Mais, à court terme, dans un souci de simplicité, la façon la plus facile d'allouer les ressources est de le faire entre trois ou quatre caucus.
Comme je l'ai dit dans mes remarques, les scénarios ne manquent pas. Les sénateurs peuvent s'organiser en fonction du premier ministre qui les a nommés. Nous les accusons déjà de lui être loyaux, n'est-ce pas? Les caucus pourraient être organisés selon ce critère.
Plusieurs sénateurs ont dit que les caucus régionaux sont la solution.
Différentes solutions sont possibles. Mais, à court terme, il semble émerger, si j'essaie d'anticiper vos décisions internes, trois caucus à tout le moins, peut-être quatre. Le comportement des deux groupes qui tiennent le haut du pavé à l'égard du troisième groupe décidera peut-être du nombre de sénateurs qui adhéreront au groupe des indépendants.
La participation de ces nouveaux sénateurs est indispensable au bon fonctionnement du Sénat et à la prévention de l'animosité. Ça signifie les occuper dans des comités, leur confier des tâches et profiter de leurs compétences. Il faudra un mécanisme à cette fin.
La sénatrice McCoy : Encore une petite question, simplement pour souligner et répéter ce que, je crois, vous avez dit tous les deux. Vous pourriez l'avoir dit plus clairement, monsieur Hicks, qu'il n'existe aucun besoin inhérent, dans le modèle de Westminster, d'avoir un caucus du parti ministériel et un caucus de l'opposition dans la Chambre haute.
Le sénateur Tkachuk : Une dictature douce.
M. Docherty : Je pense que c'est moi qui l'ai dit.
Le sénateur McIntyre : Merci, messieurs, d'être ici et de répondre à nos questions. Vous avez visiblement répondu à beaucoup d'entre elles en peu de temps. J'en viens donc au fait.
Le sénateur Joyal a fait allusion à l'arrêt de la Cour suprême d'avril 2014 et je voudrais que vous en disiez un peu plus à son sujet. L'avis communiqué par la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la réforme du Sénat a-t-il des répercussions sur les partis politiques au Sénat?
M. Hicks : Dans un souci de transparence, j'ai rédigé une opinion experte pour le gouvernement du Québec dans son renvoi à la Cour d'appel du Québec. Quand la Cour suprême en a été saisie, les deux côtés m'ont cité, ce qui fait que je ne suis pas sûr de la position où j'ai abouti en réponse à cette question.
D'après moi, aucune contrainte ne découle de ce renvoi sur la façon dont le Sénat organise ses activités à l'interne. Les deux Chambres sont maîtres chez elles. Elles fixent leurs propres règles. Les tribunaux ne sont même pas censés examiner les règles et les procédures des Chambres lorsqu'ils examinent les lois et les autres textes. Je ne vois rien dans cet arrêt qui limiterait un hybride entre l'opposition et un gouvernement maintenu et des caucus et un hybride de cette nature. Rien dans l'arrêt ne l'empêcherait.
La sénatrice Frum : D'abord, je vous remercie tous les deux pour vos exposés très intéressants.
Je pense que vous avez tous les deux dit qu'on n'a pas nécessairement besoin, au Sénat, d'un caucus du parti ministériel et de l'opposition. Que pensez-vous du modèle actuellement proposé par le leader du gouvernement au Sénat, qui est de n'avoir qu'un caucus du parti ministériel, sans autre caucus, ou d'autres caucus mais pas d'opposition officielle? En d'autres termes, je vous entends bien dire que nous n'avons pas besoin de caucus, du parti ministériel ou de l'opposition, mais qu'en est-il d'un caucus uniquement du parti ministériel?
M. Docherty : Personnellement, je pense que ce serait problématique.
La sénatrice Frum : Heureuse de vous l'entendre dire.
M. Docherty : Et vous, qui êtes un sénat sérieux, vous déciderez de votre organisation. Mais je ne prétends pas que vous pouvez n'avoir qu'un caucus du parti ministériel. Si vous avez ce caucus, vous aurez peut-être besoin de deux caucus.
Mais ce caucus de l'opposition pourrait se constituer naturellement. Il pourrait rassembler tous les sénateurs qui ne font pas partie du caucus du parti ministériel. Je ne dis pas que c'est la voie à suivre.
La sénatrice Frum : C'est exactement ce qui est proposé.
M. Docherty : Oui, mais je donne mon opinion sur ce qui devrait se passer ensuite, qu'il se formerait une opposition naturelle au caucus du parti ministériel, qui pourrait se matérialiser dans une ou deux organisations.
Je veux dire que vous n'avez pas nécessairement besoin d'un caucus du parti ministériel et d'un caucus de l'opposition, l'observateur de l'extérieur que je suis ne serait pas ravi d'un Sénat qui n'aurait qu'un caucus du parti ministériel.
La sénatrice Frum : On nous propose actuellement un caucus du parti ministériel, officiel, constitué de trois membres, qui commandent pour eux-mêmes, les trois, des budgets d'au moins un million de dollars. Les autres sénateurs pourront ensuite décider, tout à fait librement, s'ils le veulent, de s'organiser en une force de l'opposition ou en une force complémentaire. Voilà le système préconisé.
Qu'en pensez-vous, monsieur Hicks?
M. Hicks : À long terme, c'est une éventualité. C'est l'histoire du Parlement de Westminster à Londres. L'histoire aussi de nos législatures coloniales. La communauté des intérêts déterminera la formation de caucus. C'est ce qui arrivera, je pense.
Si le gouvernement laisse entendre que son parti de trois représente le gouvernement, point final!, je ne crois pas qu'il condamne les autres à l'inaction. Si j'ai bien compris le premier rapport, il y est question d'affectation des ressources en fonction du nombre, auquel cas, si les sénateurs voulaient se regrouper en fonction de leur idéologie commune ou de leur conservatisme social ou fiscal, ils pourraient mettre leurs ressources financières en commun et constituer un caucus bien financé. S'ils voulaient continuer à s'identifier à un parti, ils le pourraient. On finira par s'unir contre le gouvernement, quoi qu'il arrive, particulièrement dans une Chambre comme celle-là.
La sénatrice Frum : Seulement pour que ça soit clair, il est proposé d'accorder au caucus du parti ministériel des ressources sans égard à la proportionnalité, trois sénateurs, pour la raison que c'est le caucus du parti ministériel, donc un million de dollars et plus. Ensuite, chaque sénateur disposerait d'un budget personnel. Et, effectivement, les sénateurs peuvent s'unir et collaborer, mais ils n'auront jamais le pouvoir ni les ressources d'une opposition officielle protégée.
M. Hicks : Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, il n'est pas nécessaire qu'il y ait une opposition inspirée du modèle de Westminster, car ce n'est pas dans cette Chambre-ci que le gouvernement est formé.
Est-ce qu'une opposition surgira? Oui, car les gens s'opposent. Les gens sont libres de penser ce qu'ils veulent et s'opposeront au gouvernement à divers égards.
Si l'on regarde les divers parcours des gens, certains seront pour le suicide médicalement assisté, d'autres seront contre. Peu importe ce que souhaite le gouvernement, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas regrouper les budgets des ressources et créer des bureaux de recherche ou même confier à la Bibliothèque du Parlement la tâche de mener des activités de recherche comparables à ce qu'elle faisait il y a quelques années, comme le service de recherche du Congrès américain, qui peut fournir un service adapté aux besoins sans égard aux partis ou aux groupes politiques.
La sénatrice Frum : J'ai une dernière observation. Le régime de Westminster est entièrement fondé sur la protection d'une loyale opposition. C'est le régime de Westminster. Il s'agit de protéger non pas le gouvernement, mais bien l'opposition. Ce n'est qu'une observation.
Le sénateur Tannas : Je vous remercie tous les deux de votre présence. Nous en avons beaucoup entendu parler, et vous avez donné votre point de vue quant à déterminer s'il est nécessaire d'avoir des groupes organisés de gens qui proposent et de gens qui s'opposent pour générer un débat.
Concernant le régime de Westminster, il inclut toujours l'équivalent de notre Sénat — soit la Chambre des lords —, qui comprend un gouvernement et une opposition, un groupe de gens qui proposent et un groupe d'opposants.
Je vous ai entendu parler des territoires. Chaque territoire a une population qui est inférieure à celle de Medicine Hat, en Alberta. Je crois que nous pouvons peut-être les inclure dans la catégorie des administrations municipales. Allons-y avec un million d'habitants. Pouvez-vous nommer un pays dont le système est un parfait exemple de système ne comprenant pas de gens qui proposent d'un côté et de gens qui s'opposent de l'autre côté et qui fonctionne bien? Pourriez-vous nous donner des exemples que nous pourrions examiner?
M. Docherty : Peu importe le nombre de personnes qu'il y a dans un pays, les partis politiques sont un très bon moyen de mobiliser...
Le sénateur Tannas : Je ne parle pas des partis politiques. Je veux seulement parler du système fondé sur l'opposition et la proposition, l'idée d'un groupe organisé de gens qui propose et d'un groupe qui forme l'opposition. Laissons de côté les partis un instant. Y a-t-il un gouvernement quelque part dans le monde qui fonctionne sans avoir adopté ce type de fonction organisée? Si c'est le cas, dans quel pays? Cela nous permettrait d'en apprendre à ce sujet?
M. Docherty : Avec tout le respect que je vous dois, sénateur, je vous répondrais tout d'abord « non ». Ensuite, je ne sais pas trop si c'est pertinent dans le cadre de notre présente discussion, car les partis politiques, l'opposition, la position gouvernementale servent à mobiliser des appuis dans la population pour différentes initiatives. Le Sénat joue un rôle de contrepoids, et il est excellent à cet égard. Il n'a pas nécessairement besoin de partis pour exercer cette fonction.
Le sénateur Tannas : Je n'ai pas obtenu de réponse à ma question. Je cherche vraiment un exemple où personne n'est chargé de stimuler le débat d'un côté comme de l'autre. Voilà de quoi il est question. Il se trouve simplement que nous en discutons en parlant de partis.
Supposons que nous avons décidé qu'il y aurait quatre caucus et aucun parti. Serait-il logique que l'un des quatre caucus soit responsable de l'organisation? Il y aura toujours un gouvernement, n'est-ce pas? Ils ne renonceront jamais à cela. Ils l'ont dit bien clairement. Concernant les trois autres caucus, pensez-vous qu'il y aurait une sorte de responsabilité et des ressources pour l'organisation d'un débat, à votre avis? Si c'est le cas, pouvez-vous nommer un pays dont le fonctionnement se rapproche de ce dont nous parlons ici?
M. Docherty : Non, à moins que je ne comprenne vraiment pas ce que vous dites. C'est possible. Si je peux me permettre, si nous revenons aux premiers principes concernant le Sénat, c'est que les caucus minoritaires ne soient pas traités injustement, quel que soit le système. C'est la question essentielle. Je ne connais aucun pays où il n'y a pas d'organisation quelconque. Je pense donc que pour le Sénat, il faut déterminer si les caucus minoritaires peuvent être traités équitablement et avoir les ressources dont ils ont besoin. Lorsque j'ai lu le premier rapport du comité et la recommandation visant à ce qu'un caucus soit considéré comme étant un groupe de neuf sénateurs, je dirais que ce type de caucus devrait disposer d'un minimum de ressources. C'est ce que je vous répondrais. J'ignore si c'est utile.
Le sénateur Tkachuk : Nous avons toujours eu pour règle de reconnaître les groupes qui voulaient se structurer, et c'est prévu dans la Loi électorale. À ma connaissance, il n'a jamais été question au Sénat de refuser aux indépendants une représentation juste au sein d'un comité. Je pense que c'est tout simplement sensé.
Si nous avons une période d'attente, c'est que dans notre comité, par exemple, notre Comité des banques, nous sommes en train de mener des études. Un an s'est écoulé. De nouveaux sénateurs ont été nommés pendant ce temps, et j'ai été nommé de la même façon. On ne retirera pas des membres actuels du comité pour intégrer de nouveaux sénateurs au beau milieu d'une étude ou de l'examen d'un projet de loi ou d'une Loi d'exécution du budget. Cela n'arrivera pas. Voilà pourquoi les règles ont été établies telles qu'elles le sont.
Or, personne ne nie que s'il y a une prorogation, on se basera sur le nombre d'indépendants, de libéraux et de conservateurs. C'est de cette façon que les choses fonctionnent.
J'aimerais obtenir votre opinion sur un certain nombre de questions qui ont été soulevées. C'est la première fois que j'entends dire que le Sénat a été créé pour obliger le gouvernement à rendre des comptes. Le Sénat est là pour veiller à ce que la Chambre des communes ne bafoue pas les intérêts régionaux. Voilà pourquoi le Sénat existe.
Il y a peut-être eu, en 1867, sur le plan intellectuel, une idée qui justifiait les 4 000 $, pour faire en sorte que les députés ne deviennent pas fous, et il y avait en quelque sorte une aristocratie terrienne qui s'en occupait. Or, c'est l'opposition de la Chambre des communes qui demande des comptes au gouvernement. De notre côté, nous collaborons dans le travail législatif. Notre rôle consiste à nous assurer que les mesures législatives sont bonnes et à les étudier en profondeur, pour veiller à ce qu'on laisse mijoter un peu les choses après les avoir lancées, comme l'a dit Macdonald. Voilà notre raison d'être. Notre rôle ne consiste pas à obliger le gouvernement à rendre des comptes. Je ne sais pas d'où est sortie cette idée, mais ce n'est assurément pas de cette façon que je vois mon rôle.
J'aimerais obtenir votre point de vue à ce sujet, car il en a été question au comité. Je ne sais pas s'il s'agissait de vous deux ou du sénateur Joyal. Puisque le sénateur Joyal parle comme un universitaire, je vous confonds. Pourriez-vous intervenir là-dessus? Je pense que nous avons tort de nous engager dans cette voie.
M. Docherty : Nous pouvons parler des termes et des définitions, mais puisqu'il s'agit de faire contrepoids à la Chambre basse élue, nous pouvons parler de contrepoids. Nous pouvons parler de second examen objectif. Nous pouvons dire qu'il s'agit d'examiner les mesures législatives, une partie de l'application des lois ou l'action gouvernementale au fil de leur progression dans le processus législatif.
Le sénateur Tkachuk : Très bien.
Le sénateur Wells : Merci, messieurs Hicks et Docherty. Monsieur Hicks, vous avez parlé de la protection des droits de la minorité. Je veux vous poser des questions à ce sujet.
La majorité règne, et nous comprenons tous l'idée. Nous vivons sous ce régime. Puis, la minorité doit être entendue, et c'est une partie importante de notre travail au Sénat. Généralement, l'opposition forme la minorité. C'est certainement le cas au Sénat présentement.
Vous avez dit également que le Sénat fait contrepoids au pouvoir. Je crois que le sénateur Tkachuk est de cet avis. Notre rôle n'est pas de dominer ou de demander des comptes à qui que ce soit. Nous mettons un frein au pouvoir, et voilà pourquoi on nous donne les pouvoirs que nous avons en tant qu'opposition.
Compte tenu de cette responsabilité fondamentale que nous avons, et il s'agit, entre autres, de la fonction de remise en question, que pensez-vous des efforts qui visent à modifier la Loi sur le Parlement du Canada pour réduire les pouvoirs de toute opposition au Sénat de sorte que le gouvernement soit capable de gouverner avec la tyrannie de la majorité?
M. Hicks : Je pense que le Sénat a toujours fait preuve de retenue. Je ne connais aucun cas de crise où le Sénat est allé trop loin.
C'est lié en quelque sorte à ce que vous souleviez. Il y en a peu, mais les gens qui ont écrit au sujet du bicaméralisme essaient d'établir une théorie à cet égard, en vain. Ils ne peuvent s'entendre sur une théorie commune, qu'il s'agisse d'examiner la question en comparant différents systèmes bicaméraux, ou de revenir aux écrits d'Aristote et de Platon et d'essayer de construire quelque chose.
Le comité Bryce, en 1916, je crois, a essayé de donner une explication sur la Chambre des lords. Il a indiqué que la Chambre des lords existait pour examiner les mesures législatives, mais il a fait un pas de plus et a affirmé que dans les rares cas où la population n'avait pas eu le temps d'exprimer son point de vue convenablement sur des mesures législatives, il est là pour repousser les choses suffisamment longtemps pour que la Chambre des communes soit forcée de faire face à l'électorat et de le consulter. C'est ce que nous avons observé dans le débat sur la TPS et le libre-échange. Nous l'avons vu les rares fois où le Sénat a utilisé les pouvoirs qui existent.
Je ne suis pas convaincu qu'il doit y avoir un veto suspensif ou un frein, car je ne crois pas qu'il y a eu beaucoup de cas où le Sénat a outrepassé ses pouvoirs.
Le sénateur Wells : C'est fait par convention et par accord.
M. Hicks : Oui, et je pense que la plupart des sénateurs le croient. Il y a probablement des gens au gouvernement qui sont terrifiés par la nouvelle approche. C'était là l'objectif des huit sénateurs dans l'article 26. Lorsqu'il y a une impasse, c'est là qu'on commence à réfléchir au mécanisme de résolution des différends. Or, il n'y a pas encore de fossé permanent entre la Chambre des communes et le Sénat. Je pense donc que nous essayons de régler un problème qui n'existe pas encore.
Le sénateur Wells : Je suis d'accord avec vous. Monsieur Docherty?
M. Docherty : Bruce l'a dit mieux que moi.
Le sénateur Eggleton : Si l'orientation actuelle consistait à continuer pendant un certain nombre d'années, nous pourrions nous retrouver, du moins en théorie, avec 105 sénateurs indépendants, ce qui effraie certaines personnes. Cependant, je viens du monde municipal, et c'est de cette façon que les municipalités fonctionnent. En fait, le conseil municipal de Toronto est la sixième structure de gouvernance en importance au pays sur le plan du budget.
Les conseils municipaux ne manquent jamais de peser le pour et le contre sur toute question. Ils n'ont pas à se structurer selon un système de parti pour pouvoir le faire. Ils le font, tout simplement. Certaines personnes peuvent penser qu'ils ne le font pas particulièrement bien comparativement aux parlements, mais je ne suis pas de cet avis.
Mis à part cela, je me demande ce que vous pensez de cette façon de procéder en quelque sorte. Une correction à cette orientation, qui aura probablement lieu, c'est la formation de quelque chose qui ressemble à un parti politique — peut-être pas aux partis politiques traditionnels. Parmi les arguments évoqués — et je serais ravi de connaître votre point de vue à ce sujets —, l'un des problèmes que posent les partis traditionnels — et c'était certainement le cas lorsque je suis arrivé ici —, c'est que les deux principaux partis appartenaient au caucus national de leurs partis respectifs. J'ai passé 15 ans au caucus national du Parti libéral du Canada, à la Chambre et au Sénat, et je peux vous dire que c'est contrôlé par les gens de l'autre côté. À l'heure actuelle, nous avons un parti qui fait toujours partie d'un caucus national, et il s'agit des conservateurs. Nous ne faisons plus partie du caucus national libéral. Nous avons décidé de les expulser, ou était-ce l'inverse?
Quoi qu'il en soit, j'aimerais connaître votre point de vue sur la formation de nouveaux types de groupes politiques basée sur des convictions et des valeurs communes, par exemple — et peut-être un groupe indépendant de gens qui se rassemblent plutôt pour des raisons d'organisation. Quelle est votre opinion à cet égard?
M. Docherty : J'ai essayé de le dire dans ma déclaration préliminaire. Je ne vois pas nécessairement de problème à cet égard. Il y aura une structure quelconque; il est difficile de s'organiser à 105 personnes. C'est trop difficile, et il y aura une forme d'organisation. Elle peut être basée sur les partis, sur une idéologie. Elle peut n'avoir rien à voir avec les partis de la Chambre basse; cela ne poserait aucun problème. Je ne vois pas pourquoi il faudrait qu'il y ait un lien avec la Chambre basse.
Pour revenir à ce qu'a dit la sénatrice Frum, je trouverais préoccupant qu'un seul groupe soit lié au gouvernement sans qu'il y ait d'opposition. À part cela, les regroupements pourraient être basés sur une idéologie, et non sur un parti, par exemple. Voilà pourquoi j'aime la recommandation qui figure dans le premier rapport sur la modernisation du Sénat, soit qu'il s'agisse de groupes de neuf sénateurs — et il peut s'agir d'un nombre différent, comme 10 sénateurs. Il faudrait seulement que tout groupe, qu'il soit formé de 9 ou 10 personnes, ait le nombre minimum de ressources qui convient, mais il doit y avoir une certaine forme d'organisation. Il serait un peu plus difficile pour 105 personnes de se constituer en groupe.
M. Hicks : Je suis conscient que la constitution d'un groupe pose des difficultés.
Je signale que 105 personnes, cela représente un plus petit groupe que des caucus majoritaires que nous avons connus du côté de la Chambre des communes, qu'il s'agisse de l'époque de Mulroney ou de Chrétien. Leur caucus politique était en général composé d'un plus grand nombre de personnes. Cela ne veut pas dire que c'était une excellente façon de s'organiser, mais ils étaient capables de s'organiser, d'élire un président de caucus, de se diviser en fonction des régions et de faire toutes ces choses.
Je crois que la comparaison avec Toronto est intéressante. Dans les universités, nous avons un sénat et des conseils d'administration. Il n'y a pas de parti politique, et voilà pourtant des assemblées délibérantes qui débattent de grandes questions relatives aux politiques et aux critères académiques. On a généralement tendance à se réunir en caucus — les étudiants et les administrateurs le font, et c'est la faculté qui décide.
L'une des choses que nous aimons au sujet de ce qui se fait au Royaume-Uni et de ce qui existe en Australie, c'est la question des pairs non inscrits, car maintenant, des décisions sont prises non pas par les deux principaux partis, mais par ces voix indépendantes qu'il faut courtiser pour obtenir leur appui.
Je pense qu'il y a une tendance à réduire le contrôle. Je suis peut-être idéaliste, mais je pense que 104 personnes plus le Président pourraient parvenir à s'organiser, car ce sont des gens intelligents, et à former des structures.
Je ne m'oppose pas à une certaine forme de structure. J'aime l'idée qu'il n'y ait pas de lien direct entre les partis de la Chambre des communes et la Chambre haute. À la Chambre des communes, les partis politiques n'ont qu'un seul but : faire élire des députés à la Chambre, recueillir des fonds et organiser des travailleurs. Depuis des dizaines d'années, je suis agacé de voir des sénateurs ajouter le nom d'une circonscription après leur nom plutôt que de seulement inscrire le nom de leur province, car ils sont nommés pour représenter une province. Cependant, parce qu'ils veulent avoir une place au sein d'un parti politique, ils s'approprient également une circonscription représentée à la Chambre des communes pour être des membres d'office aux congrès d'orientation, aux votes et ainsi de suite. Je pense que c'est une pratique déplacée que je n'ai jamais vraiment aimée.
Je pense qu'il serait sain de couper leur sorte de lien ombilical avec les gens qui dictent ce qui se passe à la Chambre des communes.
Il est toutefois nécessaire d'avoir une structure organisationnelle — bien entendu, pourvu que nous revenions à ce que je disais plus tôt. Dans cette structure, il faut reconnaître les intérêts minoritaires de certaines personnes qui ne veulent pas faire partie d'un caucus ou adhérer à un caucus, qu'il s'agisse d'un groupe sénatorial indépendant ou du caucus d'un parti politique. Les sénateurs concernés doivent également participer aux discussions, être pris en considération pour siéger aux comités et mettre à profit leur expertise.
Le sénateur Eggleton : Une autre chose toute récente est le système du représentant du gouvernement au Sénat. Il y en a trois. Je ne suis pas d'accord avec la sénatrice Frum quand elle dit qu'ils forment un caucus. Ils ne dictent certainement pas l'issue d'un grand nombre de votes. Ils n'exercent une influence que sur eux trois. Il leur arrive parfois de se qualifier d'indépendants, mais je ne les appellerais pas ainsi. Ils sont là pour représenter le gouvernement, et nous les appelons donc le G3.
Le gouvernement devrait peut-être payer leur budget. Ils forment une sorte d'équipe d'ambassadeurs au Sénat. Le gouvernement devrait peut-être payer leur budget.
Le président : Merci, sénateur Eggleton. Je ne pense pas que vous vouliez obtenir une réponse. Nous allons donc poursuivre.
La sénatrice Cools : J'aimerais d'abord remercier les témoins d'être ici, et je tiens certainement à vous remercier de votre bonne bourse d'études et des travaux universitaires que vous avez publiés au fil des ans. Je lis énormément, comme le savent la plupart d'entre vous.
À propos de la question d'avoir un gouvernement responsable, je veux revenir à ce qui a été dit au sujet de la notion du représentant du gouvernement au Sénat, qui est une idée plutôt originale. Je pensais que nous pourrions peut-être revenir en arrière et examiner une chose que le rapport Durham — lord Durham — et vous pouvez probablement m'aider à comprendre un peu. Lord Durham n'a pas hésité à dire la vérité dans son rapport. En gros, il a dit clairement et avec éloquence que les réformistes — c'est ainsi qu'on les appelait à l'époque — ne formaient rien de moins qu'un gouvernement responsable à part entière, comme celui des Britanniques. Je crois qu'ils ont parlé d'un gouvernement à l'image de celui de la Grande-Bretagne.
À cet égard, le rapport sort encore du nombre lorsqu'on tient compte des résultats auxquels il a mené. Les Canadiens ont montré très tôt dans leur évolution constitutionnelle qu'ils voulaient un gouvernement responsable, ce qui nous amène à la notion de gouvernement responsable. J'ai déjà dit au comité que cette notion a vu le jour peu de temps après les guerres de courte durée et Cromwell — à compter du règne de William et Mary, et à la suite de l'abdication de James. Nous le savons tous.
La notion de gouvernement responsable a marqué l'évolution constitutionnelle. Dès lors, il donne suite au développement du libéralisme britannique; c'est toutefois un sujet dont nous reparlerons un autre jour.
Le fait est que, dans le cadre de ce processus, le roi était prêt à renoncer au gouvernement en intervenant personnellement. En contrepartie — et c'est un échange constitutionnel fantastique —, il n'allait pas gouverner lui-même, mais par l'entremise de ses ministres, qui allaient être choisis dans les deux Chambres du Parlement, pas une seule.
J'espère que je m'exprime clairement. La notion de gouvernement responsable signifie que les deux Chambres sont censées être dirigées par des ministres, c'est-à-dire le Conseil des ministres. On ne peut pas être membre du gouvernement à moins d'être membre du gouvernement. La seule façon de l'être est de faire partie du Conseil des ministres.
Ces explications m'amènent maintenant à la question du nouveau phénomène constitutionnel que nous observons au Sénat. Rappelez-vous, chers collègues, que les Pères de la Confédération étaient des gars très brillants et très doués; ils savaient qu'ils devaient s'entendre. Et ne nous y trompons pas. Oui, aussi glorieuse qu'est et qu'a été la Chambre des communes, il n'en demeure pas moins que leur intention était que le Sénat — l'accent était mis sur le Sénat — existe aussi longtemps que le Canada en tant que Confédération. C'était sous-entendu.
Revenons maintenant à notre époque, et je me demande si vous avez une opinion, un point de vue ou une idée d'ordre constitutionnel à ce sujet. Nous avons un nouvel animal constitutionnel, un homme très bien, très érudit et très travaillant — sa personnalité et ses traits n'y sont donc pour rien — qui s'appelle le représentant du gouvernement au Sénat. Nous ne savons de quel genre de créature il s'agit. Nous savons ce qu'est un leader du gouvernement, car nous savons qu'avoir un gouvernement responsable signifie que les Chambres sont censées être dirigées par des membres du Cabinet.
Je vais faire une petite confession. Je ne vois pas comment ces nouvelles propositions fonctionneront. C'est ma propre opinion. Je ne vois pas comment elles fonctionneront, et je ne vois pas ce qui pourrait être mieux, bien franchement, que la notion de gouvernement responsable provenant des Britanniques, qu'on retrouve dans le système de Westminster. Je ne comprends tout simplement pas pourquoi bon nombre d'entre nous s'affairent à réinventer ce qui est déjà le meilleur système qui soit.
Cela me pose beaucoup de problèmes, mais on ne peut pas créer quelque chose qu'on n'est pas. On ne peut pas la reproduire. Autrement dit, un humain ne peut pas engendrer un reptile, tout comme un reptile ne peut pas donner naissance à un être humain. Par conséquent, comment un représentant du gouvernement au Sénat, peu importe ce que cela signifie, peut-il mener et annoncer les activités du gouvernement alors qu'il n'en est pas membre? On doit faire partie du gouvernement pour pouvoir dire ce qui constitue des initiatives ministérielles ou non.
Y avez-vous réfléchi? La notion est peut-être tellement nouvelle que les gens n'ont pas encore été capables de bien la saisir, mais je me demande tout simplement si vous y avez réfléchi.
M. Hicks : J'y ai réfléchi un peu. Dans ma déclaration liminaire, je pense que j'ai dit que je n'arrive absolument pas à comprendre pourquoi le Président du Sénat n'était pas investi des fonctions de représentant du gouvernement, car il a été nommé par le premier ministre; c'est une exigence constitutionnelle. Il était pénible de regarder le sénateur Harder faire des pirouettes intellectuelles pour expliquer comment il pouvait être indépendant tout en étant le représentant du gouvernement au Sénat. Je ne pense pas que qui que ce soit ait été capable de saisir ce qu'il en est, y compris lui-même, et certainement pas les journalistes à qui il a accordé une entrevue. Tout le monde a fini par tout simplement laisser tomber et accepter la situation parce que nous avons besoin de quelqu'un pour présenter les projets de loi.
Pour revenir à ce qu'a dit le sénateur Eggleton, si on acceptait tout simplement le fait que cette personne n'est pas comme les autres sénateurs indépendants, plutôt que d'essayer d'être trop malins, le Bureau du Conseil privé pourrait alors payer son budget, comme celui du ministre de la Réforme démocratique et ainsi de suite.
Cela dit, si le rôle de la personne est tout simplement de favoriser l'adoption des projets de loi en en facilitant l'étude et en essayant de convaincre individuellement les sénateurs d'accorder leur soutien, on peut faire valoir que cette fonction est nécessaire.
Je ne sais pas s'il est nécessaire d'avoir trois personnes, et je crois qu'il n'est probablement pas juste de dire qu'ils forment un caucus, car ce n'est pas le cas, et ils n'essaient pas de recruter des gens pour en former un. Je parle de personnes ayant des fonctions précises.
Tout dépendra de l'endroit où la roue touchera la chaussée. Dans le cadre des travaux du Sénat, qui serait responsable, entre autres choses, de la proposition des motions ou de l'attribution de temps? Les règles du Sénat étaient très peu officielles avant le débat sur la TPS, pendant lequel le climat est devenu assez malsain. Les conservateurs ne l'ont jamais pardonné aux libéraux, et les libéraux n'ont ensuite jamais pardonné aux conservateurs d'adopter un grand nombre de règles complexes. C'est dans ce climat de procéduralisme, à partir duquel une expertise a été mise au point, que les gens essaient maintenant de naviguer pour déterminer comment revenir à l'époque où c'était — excusez l'expression — un club de gentilshommes, où les choses pouvaient être faites de façon plus informelle. Je pense que c'est là que se situe le décalage.
Le comité aborde la question de la bonne façon, c'est-à-dire en examinant les principes fondamentaux. Les débats concernant l'Acte de l'Amérique du Nord britannique constituent de brillants traités sur la notion de gouvernement responsable et la théorie politique.
La sénatrice Cools : Génial.
M. Hicks : C'est le genre de discussion que nous devons avoir et que nous sommes en mesure d'avoir. Je pense que vous pourrez ensuite en arriver à des dispositions institutionnelles avec lesquelles les gens peuvent vivre plutôt que de devoir composer avec le genre de situation qui consiste à tenir une réunion ici alors que d'autres réunions ont lieu en même temps au bout du corridor pour déterminer, lors d'une séance de marchandage, combien de personnes supplémentaires siégeront à un comité.
Je pense que c'est la question qui ne peut être résolue à court terme qu'en marchandant, mais je crois que ce que nous faisons ici est le genre de chose qui fait la renommée du Sénat et qui ne peut être que saine pour la démocratie.
Le sénateur Mockler : Un autre parlementaire a affirmé que le Sénat est défaillant et qu'il faut remédier à la situation. Il a dit ce qui suit : « Si le Sénat a un rôle à jouer, c'est assurément de servir de contrepoids au pouvoir extraordinaire que détiennent le premier ministre et son cabinet, surtout dans le cas d'un gouvernement majoritaire. »
Notre comité a recommandé que le Sénat adopte un énoncé de mission et d'objet qui définit nettement l'indépendance du Sénat, l'indépendance des sénateurs, son rôle de complément de la Chambre des communes et sa qualité de Chambre de second examen objectif, comme vous l'avez correctement indiqué.
D'après vous, le gouvernement actuel ou la structure de représentants du gouvernement et de représentants de l'opposition du Sénat vont-ils contribuer ou nuire à la réalisation de la mission que nous voulons assumer?
M. Docherty : Je pense que cela a fonctionné au cours de l'histoire, et il serait donc difficile pour moi de dire que cela a été nuisible. Cependant, la réalité, c'est que le Sénat risque de passer de deux groupes organisés à peut-être trois. Je ne parle pas des trois sénateurs, mais plutôt des indépendants. La situation va donc changer.
De plus, je ne pense pas que le Sénat soit défaillant et qu'il faille remédier à la situation. Je dirais que le Sénat traverse une période de transition et que c'est une institution très polyvalente qui s'adaptera à ce genre de changements de manière responsable, en s'en tenant aux principes qui l'ont régie dans le passé.
Historiquement, l'institution a-t-elle constitué un obstacle? Je dirais que non de façon générale. Il est arrivé qu'elle soit trop partisane, mais a-t-elle constitué un obstacle de façon générale? Non, car je pense que le Sénat a néanmoins trouvé le moyen de faire des choses incroyables en fonctionnant ainsi, mais ce n'est pas la réalité à laquelle il est confronté aujourd'hui.
M. Hicks : Je ne trouve rien à redire. Je conviens que le Sénat a accompli des choses extraordinaires. Vous devez maintenant vous adapter, composer avec des crises de croissance, alors que vous êtres aux prises avec un nouveau groupe de personnes non alignées et que vous devez déterminer comment ficher des chevilles rondes dans des trous carrés. Les règles sont toutefois souples, et je pense que des solutions vont se présenter au bout du compte.
Le sénateur Mockler : Quelqu'un doit mentionner, avec la permission de la présidence, s'il vous plaît, que ces propos sont ceux tenus par Justin Trudeau en 2014 dans le cadre d'une interview accordée à St. John's, à Terre-Neuve.
Merci de vos réponses.
La sénatrice Lankin : L'observation qui vient tout juste d'être formulée n'était évidemment pas partisane. Je peux plaisanter un peu, monsieur le sénateur.
Je veux faire une observation. J'ai avisé la sénatrice Frum que j'allais mentionner que même si nous nous penchons au Sénat sur les mêmes aspects de l'évolution de l'institution, notre analyse et notre conclusion diffèrent grandement. C'est attribuable à la diversité des points de vue et des approches. La sénatrice a fait des déclarations très fermes à propos de ce qui se passe selon elle et de ce qu'elle affirme être les fonctions du représentant du gouvernement, et je tenais à dire que j'arrive à une conclusion différente de la sienne.
Au cours de son histoire, le Sénat a connu beaucoup de beaux moments. Je pense que la structure en place a souvent très bien fonctionné. Je n'ai pas tendance à dire que la partisanerie a toujours posé problème au Sénat. Je pense que nous avons de très bons exemples de l'exécutif qui va trop loin dans sa relation avec le Sénat pour essayer de contrôler ce qui s'y passe. Je crois que cela a nui à la crédibilité de l'institution aux yeux du public. Il y a toujours une cause et une réaction, et l'examen que nous effectuons est en partie une réponse à certains de ces exemples.
Le Sénat est-il défaillant? Faut-il remédier à la situation? Y a-t-il des problèmes? Un changement s'opère, et nous devons y faire face, s'y adapter et établir une marche à suivre.
L'une des choses avancées pour défendre le maintien de la structure dans laquelle des caucus, qu'ils soient associés à un parti politique ou non, exercent un contrôle sur les sénateurs, est que nous ne pourrons autrement pas avoir un Sénat fonctionnel en mesure d'étudier de manière efficace et efficiente les affaires émanant du gouvernement, peu importe le parti au pouvoir. En tant que nouvelle sénatrice, j'ai vu beaucoup de travaux être retardés, ce qui ne me semble pas efficace ni efficient, mais les choses sont ce qu'elles sont, et nous pouvons peut-être examiner la situation ensemble et l'améliorer.
Or, j'écoute des gens parler des conventions et des pratiques que le Sénat a observées et respectées dans le cadre de son rôle en tant que complément d'un gouvernement responsable démocratiquement élu, qui se range en définitive à la volonté de la Chambre démocratiquement élue et qui comprend que son rôle est de mettre en place une série de freins et de contrepoids, pas d'être l'instigateur de tout cela. Je ne comprends pas pourquoi les gens pensent qu'un certain nombre de sénateurs indépendants seraient moins déterminés à respecter ces conventions et ces pratiques ou les défendraient avec moins de conviction, ou pourquoi ils pensent que c'est seulement possible au moyen du contrôle exercé par un caucus et des whips qui infligent des sanctions à ceux qui ne votent pas comme le reste du groupe.
Je me demande si vous avez réfléchi au point suivant. Au bout du compte, nous avons pu observer des cas, depuis que je suis ici, par exemple, où l'opposition officielle s'opposait peut-être, de façon idéologique, à quelques éléments de certains projets de loi, mais ses membres ont décidé de permettre au vote d'être favorable en calculant soigneusement les votes favorables et les absentions pour veiller à ce que la majorité remporte le vote favorable. Ils ont fait valoir un argument politique, mais ils ont permis aux travaux de progresser. Je ne sais pas s'il faut procéder de cette façon, et je pense que d'autres personnes peuvent parvenir à la même conclusion au bout du compte. À la toute fin du processus, j'ai voté pour le projet de loi C-14, même s'il me posait toujours des problèmes, car je respectais la convention et la pratique.
Avez-vous réfléchi au fait qu'aucune organisation ne dirigerait, ne contrôlerait et ne disciplinerait les membres?
M. Docherty : Je crois que j'ai tenté de répondre à cette question plus tôt, donc permettez-moi seulement d'ajouter une chose. Il y a quelques années, j'ai coécrit un article sur la réussite du Parlement, et je crois toujours fermement aux arguments que j'ai fait valoir à ce moment-là. On sait que toute assemblée législative, qu'il s'agisse d'une assemblée universitaire, du Sénat du Canada ou de la Chambre des communes, a réussi sa mission lorsque la population ou les électeurs de ce groupe ont davantage de respect pour l'assemblée législative à la fin de la session parlementaire qu'au début. Cela ne dépend pas du nombre de projets de loi adoptés, du nombre de votes partisans ou de l'élaboration des budgets. Il s'agit de savoir si la population a davantage de respect pour l'organisme à la fin de la session parlementaire qu'au début.
J'aimerais seulement rappeler à tous les sénateurs que vous êtes en période de transition, et que la façon dont vous gérerez les deux prochaines années déterminera si le Sénat a réussi ou non aux yeux des gens. Il est essentiel de conserver le respect de l'autre qui caractérise traditionnellement le Sénat pour bien réussir la session. J'aimerais demander à tous les sénateurs de privilégier ce principe au cours des prochains mois.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci. Je tenterai d'être brève.
Si vous voulez que vos suggestions et vos hypothèses fonctionnent, je crois que vous devez revenir sur le processus de sélection, car si ce processus est défectueux, il ne produira pas un système représentatif. Les sénateurs devraient être élus ou il faudrait établir des critères, car notre travail consiste à représenter le vaste groupe des Canadiens. Si vous établissez un système dans lequel on choisit seulement une certaine partie de la population, je crois que le système du Sénat indépendant est voué à l'échec. Pourriez-vous formuler des commentaires à cet égard?
M. Docherty : Je crois que le processus de sélection est important. Je ne dis pas que nous devrions faire ce qui suit, mais dans la Chambre des lords, on nomme souvent des membres de l'opposition. C'est une façon d'équilibrer les choses et de veiller à ce que les partis ne s'éloignent pas trop. Le processus de sélection permet-il de veiller à choisir des candidats représentant diverses opinions? Je crois que le Sénat pourrait formuler des commentaires à cet égard. Je pense que la diversité d'opinions serait très utile; il faudrait une diversité sur le plan démographique et une diversité d'opinions et d'idéologies. Tous ces éléments seraient utiles, et il faudrait s'assurer qu'ils fassent partie de la sélection. Le Royaume-Uni a tendance à le faire en se fondant sur les partis. Nous n'avons pas à le faire, mais il faut avoir une diversité.
Le président : Monsieur Hicks, avez-vous des commentaires?
M. Hicks : Oui. À des fins de divulgation, j'ai écrit un article dans l'Ottawa Citizen lorsque Justin Trudeau a laissé entendre qu'il voulait des sénateurs indépendants et a suggéré d'utiliser le processus actuel, qui se fonde sur le processus créé par Stephen Harper pour nommer les lieutenants-gouverneurs.
Si je devais revenir là-dessus et formuler des critiques, je dirais qu'en raison du type de personnes qui sont nommées, les antécédents socioéconomiques ont tendance à se ressembler et qu'il n'y a pas autant de diversité que je le souhaite, même si en général, j'aime la façon dont le processus a fonctionné. J'ai tout simplement manqué de vision en le fondant entièrement sur les curriculum vitae des candidats et sur les intérêts régionaux.
Le sénateur Greene : J'ai une brève question. Elle concerne l'article le plus récent du sénateur Harder qui a été publié il y a deux jours dans Options politiques. Je ne sais pas si vous l'avez lu. J'aimerais vous lire un paragraphe. Je ne sais pas ce que j'en pense, mais j'aimerais obtenir votre avis.
Toutefois, l'existence de mon bureau soulève une question intéressante : un Sénat composé de sénateurs indépendants devrait-il prévoir l'équivalent de mon propre rôle, c'est-à-dire un représentant de l'opposition au Sénat? Je crois que cette idée mérite d'être explorée et étudiée de façon approfondie. L'institution pourrait profiter d'un contrepoids au représentant gouvernemental, afin de servir de filet de sécurité pour les opinions politiques contraires. Tout comme le premier ministre nomme un représentant du gouvernement, le chef de la loyale opposition de Sa Majesté pourrait peut-être nommer un représentant de l'opposition. Étant donné que le représentant du gouvernement ne dirige pas un caucus discipliné, un représentant de l'opposition devrait exercer son pouvoir en vue de servir de voix à la persuasion morale, au lieu de servir de véhicule aux directives venant des échelons supérieurs. À cette fin, le représentant de l'opposition devra disposer de ressources suffisantes pour communiquer efficacement aux sénateurs le point de vue de l'opposition à l'égard des politiques du gouvernement.
Au début, j'étais perplexe, mais ensuite, je me suis dit que le représentant du gouvernement au Sénat est lié au Cabinet et au premier ministre, alors que le représentant de l'opposition au Sénat, comme il est souligné ici, est plutôt lié à la Chambre des communes. Il y a une différence entre ces deux notions.
Je ne sais pas si vous avez eu suffisamment de temps pour réfléchir à la question, mais j'aimerais entendre votre avis à cet égard.
M. Docherty : Je répondrai très brièvement. À mon avis, si on ne tient pas compte de la façon dont on choisit le représentant du gouvernement et de la structure en place, vous avez les deux ou vous n'avez aucun.
Le sénateur Greene : La question de savoir si le représentant du gouvernement fait partie du gouvernement revient un peu, à mon avis, à comparer des pommes et des oranges.
M. Docherty : Il faudrait que je réfléchisse à la question, mais je crois que c'est le même principe.
La sénatrice Tardif : Merci. On a déjà répondu à la plupart de mes questions, mais j'aimerais obtenir quelques éclaircissements. Monsieur Hicks, vous avez indiqué que rien ne justifiait la structure de gouvernement responsable au Sénat, mais que certains principes législatifs sont importants.
Vous avez parlé de deux principes. Tout d'abord, il doit exister une façon d'accélérer les travaux du gouvernement, et deuxièmement, les droits des minorités doivent être respectés. Comment définissez-vous le terme « minorité »?
M. Hicks : Je crois que dans la Jurisprudence parlementaire de Beauchesne : règlement annoté et formulaire de la Chambre des communes du Canada ou dans le Bourinot's Parliamentary Procedure, on utilise toujours ce terme pour parler d'une minorité législative. Il s'ensuit que si vous conservez une certaine structure fondée sur les partis ou les caucus, il s'agirait alors des plus petits partis et caucus et des indépendants qui ne veulent pas s'asseoir avec un caucus. Il faut leur donner l'occasion d'exprimer leur avis et de participer pleinement au débat, et limiter les outils sévères qui étaient autrefois utilisés seulement à la Chambre des communes, comme la clôture et l'attribution de temps, afin que les gens aient le temps d'étudier les projets de loi en détail et d'au moins ajouter leur avis au compte rendu.
La sénatrice Tardif : Vous avez mentionné les caucus minoritaires. À votre avis, auraient-ils tous le même statut?
M. Hicks : Non, car je crois aussi que si un sénateur était totalement indépendant et qu'il ne voulait pas se joindre à un caucus, il devrait être en mesure de participer. C'est un problème qu'on observe à la Chambre des communes, où le Parti vert est trop petit pour être reconnu.
Au Sénat, la règle précise qu'il faut cinq membres, et c'est mieux qu'à la Chambre des communes, où la règle précise qu'il faut 12 députés. Il est plus probable que vous puissiez participer au Sénat, mais je ne vois pas pourquoi on ne peut pas mettre en œuvre des mécanismes qui permettraient aux gens de participer pleinement au débat.
La sénatrice Tardif : Dans le système de Westminster, accordait-on une signification particulière au mot « minorité » lorsqu'on l'utilisait?
M. Hicks : Oui. Dans le modèle de Westminster, lorsqu'on parlait de ces principes fondateurs, on parlait réellement du fait que le gouvernement qui avait tendance à avoir la majorité à la Chambre des communes ne devait pas être en mesure d'écraser l'opposition. On devait donc restreindre la capacité du gouvernement d'utiliser les règles. Au fil du temps, cela s'est érodé un peu, mais c'était le principe de départ, qu'il s'agisse de l'opposition officielle, des autres partis ou des députés indépendants.
Il faut mettre en œuvre un certain type de mécanisme. C'est assez simple. Il s'agit de limiter le nombre de jours d'avis qu'il faut donner pour appliquer ces règles. Il faut organiser des débats d'ajournement et d'autres processus dans lesquels on peut explorer plus en détail des points qu'on a seulement effleurés pendant un débat animé. C'est le type d'éléments qu'on intègre aux règles pour protéger les intérêts de la minorité.
Le sénateur Massicotte : J'aimerais obtenir des éclaircissements, monsieur Docherty. J'aimerais m'assurer de bien comprendre la réponse que vous avez donnée au sénateur Greene, c'est-à-dire lorsque vous avez dit qu'on en avait un ou qu'on n'en avait aucun. En ce qui concerne la structure actuelle où trois personnes représentent le gouvernement, vous dites que parce que c'est le cas, il faut maintenant qu'une opposition officielle soit nommée et contrôlée par les collègues de la Chambre des communes ou le parti politique.
M. Docherty : Non, la façon de choisir peut être différente. Le point que je faisais valoir, c'est que par principe, je serais mal à l'aise s'il y avait des représentants du gouvernement au Sénat, mais aucun représentant de l'opposition. C'est le point que je faisais valoir.
Le sénateur Massicotte : Nommés par qui? Qui définit cela?
M. Docherty : Je crois que c'est la question épineuse à laquelle le Sénat devra s'attaquer. Par exemple, étant donné qu'il y a une opposition à la Chambre des communes, choisira-t-on cette opposition ou des sénateurs indépendants? C'est la question qu'il faut maintenant aborder.
Le sénateur Greene : Parce que selon l'article, ils sont liés à l'opposition officielle à la Chambre des communes.
M. Docherty : Je n'ai pas lu l'article, mais selon l'extrait que vous m'avez lu, cela me poserait un problème. Toutefois, j'ai seulement entendu l'extrait que vous avez lu, et je n'ai pas lu l'article au complet.
Le président : Merci beaucoup. Comme on l'a mentionné, c'est un enjeu délicat, mais extrêmement important, et il faut en discuter. Nous avons réellement entendu les meilleurs témoins sur le sujet aujourd'hui, à savoir M. Hicks et M. Docherty. Merci beaucoup d'être venus. La séance est levée.
(La séance est levée.)