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MDRN - Comité spécial

Modernisation du Sénat (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial
sur la Modernisation du Sénat

Fascicule n° 10 - Témoignages du 29 mars 2017


OTTAWA, le mercredi 29 mars 2017

Le Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat se réunit aujourd'hui, à 12 h 4, pour examiner les façons de rendre le Sénat plus efficace dans le cadre constitutionnel actuel; puis à huis clos, pour examiner un projet d'ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur Tom McInnis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : La séance est ouverte. Chers sénateurs, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat. Au cours de cette partie de nos travaux, le comité se penche sur le rôle du Sénat dans la gouvernance canadienne et sur la relation entre le Sénat et la Chambre des communes. Nous examinons en particulier la façon dont le Sénat peut le mieux compléter la Chambre des communes sans en dédoubler les activités ni la dominer. Conformément à la Charte, le comité souhaite explorer comment le Sénat pourrait, en modernisant ses règles et procédures, jouer un rôle plus important dans l'examen de la législation afin de s'assurer que les lois sont conformes à la Charte, une chose que la Chambre des communes est peut-être moins en mesure de faire.

Nous accueillons aujourd'hui notre témoin Gary William O'Brien, ancien greffier du Sénat et greffier des parlements. Il connaît bien beaucoup des sénateurs à la table. Diplômé du Collège universitaire Glendon, à l'Université York, il a poursuivi ses études à l'Université Carleton, où il a obtenu une maîtrise et un doctorat en sciences politiques.

Il a commencé sa carrière à la Bibliothèque du Parlement en 1975, s'est joint à la Chambre des communes en 1978, puis est passé au Sénat en 1980, où il a occupé les postes de chef des Journaux anglais, de directeur des Comités, de sous-greffier et de greffier du Sénat et greffier des parlements. Il a pris sa retraite du Sénat en 2015, après 37 années au service du Parlement du Canada.

M. O'Brien a publié de nombreux articles sur la procédure parlementaire, y compris un document qui s'intitule L'étude des projets de loi à la lumière de la Charte des droits : examen des pratiques et des procédures du Sénat du Canada. L'article a été présenté en 2005 à l'occasion de l'édition canadienne de la Conférence des présidents des parlements qui s'est tenue à Halifax. Une copie vous a été distribuée.

Monsieur O'Brien, vous pouvez commencer votre exposé. Je suis persuadé que les membres du comité auront ensuite des questions à vous poser.

Gary W. O'Brien, ancien greffier du Sénat, à titre personnel : Merci beaucoup. Je suis heureux d'être avec vous aujourd'hui. Merci de m'avoir invité à comparaître.

Vous avez passé en revue les nombreuses questions que notre comité doit aborder alors qu'il tente de se pencher sur la modernisation, y compris le rapport entre le Sénat et la Chambre des communes, la façon dont le Sénat pourrait mieux organiser son travail dans l'intérêt du Parlement et des Canadiens, ainsi que les rôles que devraient jouer les différents intervenants de la famille du Sénat.

Je voudrais aujourd'hui me concentrer sur un seul aspect de votre étude, à savoir ce que l'appartenance à une institution bicamérale signifie, et si le Sénat doit dédoubler les travaux de la Chambre des communes.

Je ferai valoir cet après-midi que tandis que vous étudiez le rôle du Sénat et sa relation avec la Chambre, vous ne devez jamais oublier que le bicaméralisme est l'une des grandes idées du gouvernement. Comme beaucoup l'ont noté, ses origines remontent à l'époque classique des Romains, qui avaient deux consuls pour la prise des décisions, ainsi qu'à l'idée d'une « constitution équilibrée » qui a été incarnée dans la Révolution glorieuse de 1689. Comme la professeure Janet Ajzenstat de l'Université McMaster l'a déclaré :

Il n'en demeure pas moins que le régime parlementaire de freins et de contrepoids, garant du bicaméralisme, est la plus grande invention qui soit sur le plan politique.

Même s'il n'y a pas un seul modèle de bicaméralisme et que chaque modèle découle des conceptions nationales et constitutionnelles propres à la dynamique politique particulière de chaque pays — j'étais en compagnie du sénateur John Stewart au Cap, en novembre 1988, dans le cadre de l'atelier sur la mise en œuvre de la nouvelle Chambre haute, le Conseil national des provinces, lorsqu'il a dit aux Sud-Africains qu'il faut façonner le soulier pour qu'il convienne au pied —, selon moi, le mot « bicaméralisme » n'est vraiment pas une notion à la recherche d'une théorie. Il a sa propre signification.

Il ne faut pas oublier que le bicaméralisme n'a jamais été proposé comme la théorie du meilleur système gouvernemental. Dès le début, il a suscité les critiques. L'objectif initial était d'essayer de prévenir les pires types de gouvernements. Ses premiers défenseurs de l'ère moderne, James Harrington, en 1659 — je suis persuadé que vous connaissez la philosophie sous-jacente du bicaméralisme —, et Charles-Louis Montesquieu, en 1748, y voyaient une façon de décourager le despotisme parlementaire en exigeant un deuxième avis en matière de politiques. Harrington a déclaré qu'il n'était pas sage de créer une assemblée populaire sans Sénat. Montesquieu, qui a poursuivi le travail de Harrington, s'intéressait aussi à l'équilibre des pouvoirs entre les deux chambres et à l'amélioration de la législation. Montesquieu a écrit qu'il ne peut pas y avoir de liberté lorsque les pouvoirs législatif et exécutif sont réunis.

Je pense que ces deux thèmes décrivent, comme les philosophes classiques le diraient, la nature du bicaméralisme. Les Grecs de l'Antiquité étaient toujours intéressés par la nature de la justice, de la vertu et de la royauté. Que signifie le fait d'être un roi? Essayons donc de déterminer la nature du bicaméralisme au moyen de cette approche.

Je pense que la question se résume tout simplement à deux principes : il faut d'une part prévenir le despotisme parlementaire, qui inclut la protection contre la démagogie populaire et ceux qui gouvernent dans l'oppression et, d'autre part, améliorer les lois.

Pour ce qui est de la prévention du despotisme parlementaire, c'est probablement John Stuart Mill qui l'a dit le mieux :

Le facteur qui joue le plus, selon moi, en faveur de la création de deux chambres [...], c'est l'effet néfaste qui frappe l'esprit de toute entité détentrice d'un pouvoir — une personne ou une assemblée — qui n'a qu'elle-même à consulter.

Pour ce qui est du rôle de la deuxième chambre dans l'amélioration des projets de loi, l'une des déclarations les plus importantes, et peu connue, dans la liste des bibliographies des parlementaires canadiens, a été prononcée par Sir Edmund Head, gouverneur général de la province du Canada de 1854 à 1861. Head était un très bon administrateur qui avait fréquenté Oxford. Il avait précédemment été lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick et avait pavé la voie dans cette province à la mise en place d'un gouvernement responsable. Après sa nomination au poste de gouverneur général, il est devenu gouverneur de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Dans sa longue dépêche de 1856 sur le conseil législatif à l'intention de l'Office des colonies, il a écrit ce qui suit :

Il est quasiment inutile de faire valoir l'opportunité de créer deux chambres afin d'assurer l'analyse complète et juste de chaque mesure législative et de s'élever contre la précipitation, qui est susceptible de découler d'un sentiment populaire favorable à une loi précise : la nécessité d'une telle mesure tombe rapidement sous l'évidence après la création d'un gouvernement représentatif. Il n'est pas rare qu'une mesure prise par une assemblée, qui voit là une solution à certains problèmes, soit, au bout du compte, néfaste à ceux qui, au départ, la réclamaient. Ce qu'une saine structure gouvernementale exige, c'est le temps nécessaire pour soumettre un projet de loi à une évaluation ou à l'examen d'un agent [...]. Si on peut procéder ainsi et que suffisamment de temps passe, le sens commun reprend généralement le dessus, et la volonté du peuple sera susceptible, au bout du compte, d'œuvrer dans son véritable intérêt [...]. La meilleure façon d'atteindre cet objectif, comme je l'ai dit, c'est grâce à une deuxième chambre et de le faire dans des conditions qui lui accordent le temps nécessaire et l'occasion d'en discuter librement et de façon délibérée.

Sur le plan constitutionnel, le Parlement du Canada est une institution bicamérale, et les théories initiales liées à la nature du bicaméralisme restent pertinentes. Ces théories sont reprises dans l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui dit que :

Il sera loisible à la Reine, de l'avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada [...].

L'article 91 est important à deux égards. Premièrement, l'article affirme que le Sénat a un pouvoir constitutionnel égal à celui de la Chambre des communes en ce qui a trait à l'adoption des lois. Nonobstant l'article 47 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui permet de modifier la Constitution sans résolution du Sénat, et malgré les tentatives de le faire, comme l'accord de Charlottetown, les pouvoirs législatifs du Sénat n'ont jamais été limités comme l'ont été les pouvoirs de la Chambre des lords par les Lois parlementaires de 1911 et 1949. Il a été suggéré que le Sénat devrait s'imposer une règle selon laquelle il aurait seulement un veto suspensif relativement aux textes législatifs de la Chambre des communes. Je ne recommande pas une telle option, qui constituerait un dévoiement par rapport à la signification initiale du bicaméralisme. Plutôt qu'être sur un pied d'égalité du point de vue législatif, le Sénat aurait seulement le pouvoir de demander à la Chambre des communes de réfléchir, fonction qui pourrait revenir à n'importe quel organisme consultatif, que ce soient des agents du Parlement ou l'Association du Barreau canadien. Cependant, le Sénat est un corps législatif, pas un organisme consultatif. Comme le précise l'article 91, d'un point de vue constitutionnel, le Sénat est sur un pied d'égalité avec la Chambre des communes et libre en ce qui a trait à son étude des projets de loi, qui est la fonction principale du Sénat.

Pour ce qui est de la façon dont le Sénat utilise ses pouvoirs dans le système bicaméral, c'est là une question différente, mais d'une importance cruciale. Un bref examen de l'influence législative du Sénat au cours des dernières années, peut-être jusqu'à la dernière élection, montre selon moi qu'il peut fonctionner dans trois modèles différents. Le premier est ce qu'on pourrait appeler un modèle constitutionnel, selon lequel le Sénat, puisqu'il n'est pas élu, a tendance à proposer des modifications de forme plutôt que des modifications de fond. Le deuxième est un modèle plus fonctionnel, où le Sénat et plus particulièrement ses comités délaissent les fonctions décisionnelles, comme la modification de projets de loi, au profit de fonctions non décisionnelles, où on considère plus important d'approfondir les enjeux politiques. En science politique, le troisième modèle s'appelle un modèle de négociation, et certains parleront même d'un modèle de négociation non coopérative. Pendant la période de 1984 à 1991, lorsque le sénateur MacEachen était chef de l'opposition, on a tenté de maximiser l'utilité politique du parti d'opposition officielle en entamant un processus de négociation stratégique pour avoir une influence législative.

Pendant cette période, comme beaucoup d'entre vous s'en souviendront très bien, tout comme moi, des modifications de fond ont été proposées en 1986 à la Loi sur la libération conditionnelle, en 1987 à la Loi sur les brevets concernant les médicaments, en 1988 à la Loi sur l'immigration, en 1989 à la Loi sur l'assurance-chômage, et en 1989 aussi à la Loi de l'impôt sur le revenu. Aussi, un certain nombre de projets de loi ont été abandonnés à l'étape du comité, à savoir le projet de loi sur le libre-échange entre le Canada et les États-Unis en 1988, le projet de loi sur le Centre canadien de gestion en 1988, la Loi sur la radiodiffusion en 1988, un projet de loi sur les services de garde en 1988, et un projet de loi sur le Port de Québec en 1991. Un comité avait également divisé un projet de loi majeur en deux projets de loi distincts se rapportant à l'Agence de promotion économique du Canada atlantique en 1988, puis proposé en 1989 une modification à la Loi portant affectation de crédits, qui était un projet de loi de crédit de la Chambre des communes. Ces mesures dépassaient manifestement la portée de simples modifications de forme.

Il y a eu plusieurs de ces occasions où la Chambre des communes a eu l'impression que sa suprématie était contrariée, se plaignant du fait que le Sénat avait trop de pouvoirs et menaçait la marche d'un gouvernement responsable. Une impasse législative semblait imminente. Évidemment, ni le gouvernement ni la Chambre des communes n'aiment ce genre de situations, où le Sénat lui vole constamment au-dessus de la tête comme un essaim d'abeilles. Le projet de loi C-22 de 1987 sur les brevets de médicaments en est un bon exemple. Le projet de loi est passé d'une chambre à l'autre trois fois. Le Sénat l'a enfin approuvé le 19 novembre, 195 jours civils après l'avoir reçu. Le sénateur MacEachen, chef de l'opposition, avait dit au Sénat que son parti allait accepter les amendements apportés par la Chambre des communes aux amendements du Sénat et n'allait pas renverser le projet de loi C-22 parce que :

Le rejet du projet de loi aujourd'hui pourrait devenir une victoire pour le gouvernement. [...] Le gouvernement blâmerait le Sénat d'avoir refusé au peuple les avantages allégués du projet de loi C-22. Dans ces circonstances, et vu notre système, il est beaucoup plus approprié que le gouvernement assume la responsabilité liée aux répercussions d'une loi plutôt qu'il revienne au Sénat de le faire.

Dans le cas du projet de loi C-22, le Sénat agit de façon politique et partisane. Même s'il a fait concurrence à la Chambre des communes pour tenter d'influencer la législation, il n'a pas utilisé son pouvoir constitutionnel officiel afin d'avoir préséance sur l'autre Chambre. Il a fini par céder.

Il a cependant réussi à obtenir des concessions du gouvernement dans la version définitive du projet de loi sur les domaines suivants : les définitions; le calcul des paiements aux provinces; la proclamation du projet de loi; les pouvoirs du Conseil d'examen du prix; l'information que les titulaires de brevet doivent remettre au conseil; et l'information à fournir dans le rapport annuel du conseil.

Comme on peut le voir, le Sénat a utilisé différents modèles théoriques d'action pour composer avec les dispositions législatives de la Chambre des communes. Dans les années à venir, d'autres modèles pourront être employés selon la dynamique du Sénat. Il semble tout à fait approprié que votre comité se penche là-dessus.

Je sais que la question est loin d'être simple pour vous. Le sénateur Hays citait toujours Machiavelli, en disant que la chose la plus difficile dans la vie est l'instauration d'un nouvel ordre des choses. Je sais que vous vous en occupez, et que vous aurez peut-être des questions là-dessus par la suite.

Après avoir passé 37 années au service du Parlement, j'ai du mal à ne pas me considérer comme un traditionaliste, mais je reconnais que l'intérêt du système de Westminster est sa souplesse. Les différents parlements ont diverses façons de faire avancer les choses dans leurs chambres, et ils présentent des cadres et des vitrines différents à bien des égards. Par exemple, jusqu'à très récemment, la Chambre des lords n'avait même pas de Président. Elle résolvait les questions de procédure au moyen de l'autoréglementation, mais elle est allée un peu plus loin. La chambre accepte qu'il y ait une discussion sur la procédure. Ensuite, le leader du gouvernement se lève en disant : « Je pense que nous en avons assez entendu. Je crois que nous devrions procéder ainsi. Voici donc ce que je propose à la chambre. » La discussion se poursuit ensuite. Les députés ont accepté ce genre de convention, étant donné qu'il faut un peu d'ordre dans la façon de procéder. Il doit y avoir de l'ordre quant à la procédure.

Au Nouveau-Brunswick, le premier ministre McKenna a été élu. Si ma mémoire est fidèle, aucun député de l'opposition ne l'a été. La chambre comptait seulement des députés ministériels, mais elle continuait pourtant à suivre les règles parlementaires. Nous pouvons revenir là-dessus, mais je pense vraiment qu'on peut s'adapter à la dynamique d'une législature. J'aurai autre chose à dire sur le sujet dans un instant.

Monsieur le président, permettez-moi de poursuivre en disant que le deuxième aspect important de l'article 91 de la Constitution, c'est que, pour être adoptées, des versions identiques des projets de loi doivent être adoptées par les deux chambres. L'article 91 sous-entend donc le mode de fonctionnement du Sénat. La redondance est une valeur clé du bicaméralisme, et sa méthode principale d'améliorer les lois est d'assurer un deuxième examen objectif. Le travail législatif de la Chambre des communes doit être dédoublé au Sénat. Si ce n'est pas le cas, le Sénat ne s'acquitte pas de ses devoirs constitutionnels.

Le génie des parlements de style Westminster, c'est la procédure législative. Selon The Procedure of the House of Commons de Josef Redlich — ouvrage que l'ancien greffier de la Chambre des communes britannique, Sir Courtney Ilbert, a qualifié d'« indispensable pour toute personne qui étudie les institutions parlementaires anglaises » —, ce sont non pas la responsabilité du gouvernement, la suprématie de la Chambre des communes, le pacte de confiance ni une opposition loyale qui sont les caractéristiques déterminantes d'un système de Westminster, mais plutôt ses pratiques législatives. Comme Redlich l'a écrit à la page 4 du premier volume de son livre : « Les procédures liées au projet de loi sont, encore aujourd'hui, le signe distinctif du système parlementaire anglais et de tous ses descendants [...]. »

Le chevauchement est enchâssé dans la façon dont les assemblées législatives de style Westminster fonctionnent. Les deux chambres évaluent sans arrêt les propositions pour s'assurer que les décisions prises par l'important organisme de parlementaires sont les plus adéquates possible. Un projet de loi fait l'objet d'une première lecture, puis d'une deuxième. Seulement certains types d'amendements sont permis à ces étapes, y compris l'examen subséquent du projet de loi six mois plus tard. Le projet de loi est ensuite renvoyé à un comité, qui peut proposer des amendements et des sous-amendements à certaines dispositions avant de présenter ses constatations à la Chambre, avec ou sans amendement. S'il y a des amendements, ceux-ci doivent être approuvés à l'étape d'un débat officiel. Le projet de loi est ensuite envoyé pour une troisième lecture, étape à laquelle on peut adopter un amendement visant à retourner le projet de loi aux comités pour qu'ils en poursuivent l'étude. Une fois approuvé en définitive, le projet de loi est envoyé à l'autre chambre pour un examen similaire. Les clauses peuvent à nouveau être modifiées ou d'autres clauses peuvent être ajoutées, et ces modifications ou ajouts sont communiqués à la Chambre aux fins d'examen.

Redlich souligne que, en 1848, pas moins de 18 questions différentes, chacune associée à sa division correspondante, devaient être posées pour qu'un projet de loi soit adopté par la Chambre des communes britannique. Nous le savons, la modernisation de la procédure parlementaire a été entreprise sous l'impulsion de l'adoption des Reform Acts de 1832 et 1867, ainsi que la politisation de procédures illustrée par l'obstruction des nationalistes irlandais durant les années 1880, événements qui ont provoqué une tendance à la simplification des procédures et à l'élimination de ce que beaucoup considéraient comme des motions redondantes et inutiles. Heureusement, il reste beaucoup de redondance au sein du système de Westminster, système que le Parlement canadien a modifié et adopté. Par conséquent, sauf si le Sénat du Canada prévoit arrêter de procéder à trois lectures distinctes des projets de loi, éliminer l'étape des comités ou abandonner le droit d'un sénateur de proposer des amendements ou des sous-amendements ou de ne plus procéder à l'examen minutieux et détaillé des textes des projets de loi de l'autre chambre, j'ai de la difficulté à croire que le Sénat s'écarte trop du système de Westminster.

Pour améliorer les pratiques législatives du Sénat, je proposerais d'adopter une recommandation envisagée par le Comité du Règlement lorsque le sénateur Austin était président, voulant que, lorsqu'il fait rapport d'un projet de loi, un comité fournisse une liste de contrôle des enjeux semblable à la liste que contiennent les mémoires au Cabinet. La liste de contrôle contiendrait les constatations du comité sur les divers critères importants en matière de politique publique, comme l'incidence que le projet de loi peut avoir sur le développement régional, les probabilités que le projet de loi enfreint des droits garantis par la Charte et le coût général de la proposition. En procédant ainsi, on pourrait renforcer le processus législatif du Parlement du Canada.

Merci beaucoup.

Le sénateur Joyal : Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur O'Brien. En vous écoutant attentivement, je me disais qu'il serait bien qu'une université canadienne se serve de votre expertise et de votre sagesse, cumulées au fil des années passées au Parlement, pour mieux éduquer la prochaine génération d'étudiants au sujet du fonctionnement des institutions parlementaires.

Ma question a trait à un commentaire général que l'on entend au sujet de la nomination d'un grand groupe de sénateurs indépendants et du fait — reconnu, bien sûr — que le Sénat pourrait être plus indépendant à l'avenir, mais qu'il devrait aussi s'abstenir d'exercer ses pouvoirs, que vous avez décrits et qui sont enchâssés à l'article 91, et qu'il ne devrait jamais faire obstacle à la majorité élue. J'ai mon opinion personnelle à ce sujet, mais j'aimerais obtenir votre commentaire au sujet des pouvoirs qui émanent du statut d'égalité du Sénat par rapport à la Chambre des communes, sous la forme du pouvoir de retarder et du pouvoir d'amender.

L'exemple de l'ancien leader de l'opposition, le sénateur MacEachen, illustre bien le pouvoir d'amender. Je soutiens que le pouvoir d'amender trouve toute son utilité dans les mains du parti de l'opposition; il en va de même pour le pouvoir de retarder. Le pouvoir de voter en faveur des lois ou d'appuyer le gouvernement revient à la majorité que le gouvernement tente d'influencer, que ce soit de façon directe par l'entremise d'un caucus gouvernemental ou de façon indirecte en interpelant les sénateurs individuels par les actions des ministres de la Couronne. Il est évident que le gouvernement ne peut être passif lorsqu'il s'agit des lois. Le gouvernement doit obtenir l'appui du Sénat et il peut se fonder sur les arguments et les relations personnelles qu'il entretient avec les sénateurs. Je crois que cette dynamique est présente et qu'elle pourrait changer s'il n'y avait plus de parti de l'opposition pour faire face au gouvernement au quotidien dans le cadre de l'étude des lois.

Ainsi, à mon avis et comme vous l'avez fait valoir, si nous tenons au chevauchement, à un examen minutieux et à une réelle amélioration des lois, il faut exercer ces pouvoirs. On ne peut se limiter à une société de débat ou, comme vous l'avez dit, à un organisme consultatif.

Comment voyez-vous l'évolution de l'institution en ce sens?

M. O'Brien : Le Sénat... Je ne suis pas d'accord. Sur le plan constitutionnel, les deux chambres sont égales. Le fait de dire que le Sénat doit reconnaître la suprématie de la Chambre des communes... La Chambre des lords doit reconnaître la suprématie de la Chambre des communes par une loi du Parlement, mais pas ici. Il ne faut pas oublier cela.

Votre institution est bicamérale. Le bicaméralisme n'est pas la théorie la plus populaire au monde. Il ne vise pas à créer le meilleur gouvernement, mais bien à nous protéger contre le pire gouvernement.

Le Sénat ne doit jamais avoir peur d'utiliser son pouvoir pour nous protéger contre un gouvernement cruel et abusif. Vous êtes ici pour protéger. C'est l'une de vos fonctions.

L'autre fonction, bien sûr, vise l'amélioration des lois, et vous vous penchez sur la façon de le faire. C'est au cœur de votre débat sur la dynamique du Sénat.

C'est une question difficile et je ne sais pas si je peux y répondre. Je vous dirais toutefois ceci : peu importe le modèle que vous choisirez, n'oubliez jamais les principes du bicaméralisme. Je vous dirais aussi de ne jamais faire fi des principes ou des lois de la procédure parlementaire, notamment le droit relatif à la publicité, qui vise à éviter les surprises.

Vous devriez donc savoir comment fonctionne le système. Il ne doit y avoir aucune incertitude quant aux rôles des divers intervenants au fil de l'adoption des lois. Voilà le grand avantage de ce système dont vous avez hérité, le système existant, qui prévoit le rôle du président. Le président connaît son rôle, tout comme le leader du gouvernement et les membres de l'opposition. Ces rôles sont prévus en fonction des pouvoirs. Lorsqu'un sénateur se présente au Sénat, il sait plus ou moins comment sera traité le projet de loi.

Le cœur de la question est de savoir qui étudiera le projet de loi. Quelle est la meilleure dynamique permettant la critique et l'examen détaillé que nous voulons d'une institution bicamérale? Votre défi consiste à trouver la façon de faire.

Bien sûr, vous êtes d'avis que l'opposition constitue le meilleur moyen de le faire. Je ne suis pas en désaccord avec cela, mais je suis ouvert à d'autres idées.

Le sénateur Joyal : Comme je l'ai dit, le pouvoir d'amender est essentiellement lié au droit de veto. Il faut un outil de négociation pour inciter le gouvernement à accepter un amendement. Comment peut-on inciter le gouvernement à accepter un amendement si on n'a pas le pouvoir de refuser de voter la loi ou de la retarder jusqu'à ce qu'elle soit retirée du Feuilleton avant la dissolution? Il semble que nous devons voir la façon dont on exerce le pouvoir d'un point de vue pratique.

Si vous ne faites qu'exprimer le souhait d'apporter certaines modifications à loi, vous n'influencerez pas le gouvernement. Le gouvernement acceptera une décision s'il croit qu'il peut perdre la loi par l'entremise d'un vote ou parce qu'elle « mourra de soif » à la fin de la session.

Il faut établir clairement que la modification de la composition du Sénat aura aussi une incidence sur l'utilisation des pouvoirs du Sénat. On pourrait donc se retrouver avec 105 sénateurs indépendants qui ne pourraient pas faire obstacle au gouvernement. Vous devriez céder à la volonté de la majorité élue à la Chambre des communes, même si, pour la question en jeu, le gouvernement n'a jamais eu le mandat électoral de remplir cette promesse. C'est le principe voulant que le Sénat demeure asservi à la majorité élue à la Chambre des communes.

Je suis certain que vous avez entendu cet argument lorsque vous étiez le greffier de cette institution. En tenant compte de notre évolution, il faut se demander si nous allons remettre en question les pouvoirs du Sénat.

M. O'Brien : Je n'ai pas de commentaire à faire à ce sujet.

La sénatrice McCoy : Monsieur O'Brien, nous sommes heureux de vous recevoir à nouveau. Je suis désolée d'être arrivée en retard. J'assistais à une autre réunion.

Vous avez parlé de certaines des principales règles du droit parlementaire, la première étant la publicité. Pourriez-vous rapidement énumérer les trois autres?

M. O'Brien : Je pourrais vous demander de le faire, madame la sénatrice.

La sénatrice McCoy : Je vous le demande. Vous êtes mieux placé que moi pour le faire.

M. O'Brien : Je n'ai pas mes notes, mais si je me souviens, la deuxième règle — selon Jeremy Bentham, bien sûr — est l'impartialité du président. Le Sénat ne peut fonctionner s'il y a un quelconque doute sur la façon dont le président dirigera les délibérations.

Plus on examine ces règles, plus on tire de conclusions. La troisième vise la façon de prendre une décision, c'est-à-dire par l'entremise d'une proposition ou d'une motion. Il y a un débat puis on prend une décision. C'est ainsi que fonctionne le Sénat, sur le plan de la procédure... par l'entremise d'une motion. Les questions font l'objet d'un débat. On ne peut débattre que d'une seule question à la fois et on doit en débattre jusqu'à ce qu'une décision soit prise, mais on peut bien sûr ajourner le débat. Ensuite, on passe à une autre question.

Je crois que cette règle vise à établir l'ordre au Sénat et à l'Assemblée législative. On ne peut se retrouver en situation de désordre. Voilà pourquoi tous les membres ont le droit de faire un rappel au Règlement. Il ne revient pas seulement au Président de faire régner l'ordre au Sénat; c'est la responsabilité de tous les sénateurs. Ils ont le droit de faire un rappel au Règlement; on suspend alors les travaux. C'est à ce point important.

La quatrième règle a trait à la liberté d'expression, qui est le fondement ou le cœur du privilège parlementaire. Le Sénat ne peut pas fonctionner sans ce privilège parlementaire, qui vise à protéger la liberté d'expression. Encore ici, on interrompt les travaux du Sénat lorsqu'un sénateur soulève une question de privilège. La liberté d'expression est à ce point importante. Si on ne peut parler librement, tout perd son sens. Il faut qu'on puisse avoir librement recours à l'intelligence des membres de sorte qu'on prenne la meilleure décision qui soit. C'est ce que vise le bicaméralisme, bien entendu.

La cinquième règle est le principe de la majorité. Bien qu'on y débatte, le Parlement n'existe pas seulement à cette fin : il faut aussi agir. À un certain moment au cours des délibérations, il faut prendre une décision et la majorité doit l'emporter.

Voilà, comme vous le savez, les principales règles.

La sénatrice McCoy : La marque distinctive du modèle de Westminster, c'est l'étude des projets de loi. Nous créons les lois par l'entremise des trois lectures des projets de loi. Si l'on ajoute à cela les cinq règles du droit parlementaire, on obtient nos principes directeurs.

Je veux parler d'une décision de la Cour suprême de 2014. Ma mémoire me fait parfois défaut. Je crois qu'il s'agit du Renvoi relatif à la réforme du Sénat. Selon mon souvenir, les deux principales conclusions dans cette affaire étaient que le Sénat du Canada était un organisme complémentaire à la Chambre des communes. Nous n'avons pas toujours à être d'accord, mais nous sommes complémentaires. De plus, au paragraphe 58 de la décision, la Cour fait valoir que nous ne sommes pas égaux. Est-ce que mon souvenir est bon?

M. O'Brien : Je n'ai pas la décision devant moi et je dois être prudent en raison de mon opinion personnelle.

Cela dépend de ce que signifie le terme « complémentaire ». Est-ce qu'on parle de compléter le travail de la Chambre? Si c'est le cas, je dirais oui, absolument. Le Sénat est là pour compléter le travail de la Chambre des communes, qui n'est pas complet sans l'intervention et les décisions du Sénat. Cela ne signifie pas que le Sénat est soumis à la Chambre des communes. Je trouve cette interprétation un peu indigeste.

En ce qui a trait à l'égalité, je me demande où dans la Constitution on dit que le Sénat doit être un organisme complémentaire. Je ne trouve cela nulle part.

Dans sa décision, la Cour suprême dit des choses qui me surprennent. Au paragraphe 20, elle dit que « [...] le Sénat n'a pas beaucoup changé depuis sa création. » Je trouve cet énoncé très bizarre. Comme vous le savez, en 1867, il n'y avait que quatre provinces. En 1870, la Loi sur le Manitoba, une loi constitutionnelle, a permis au Manitoba d'être représenté au Sénat. En 1871, les Conditions de l'adhésion de la Colombie-Britannique visaient l'ajout de trois sénateurs. L'Île-du-Prince-Édouard est entrée dans la Confédération en 1873 et a obtenu quatre sénateurs. Les lois de l'Alberta et de la Saskatchewan ont permis aux deux provinces d'avoir quatre sénateurs. Ensuite, la Constitution Act de 1915 leur a donné six sénateurs. Terre-Neuve s'est jointe à la Confédération en 1949; les territoires ont ensuite pu être représentés.

Même à cet égard, le code législatif — les responsabilités des sénateurs — a énormément changé : alors qu'il n'y avait que quatre provinces en 1867, on aborde aujourd'hui des questions relatives à l'agriculture, aux zones côtières et au Nord. Les responsabilités législatives des sénateurs ont énormément changé. De plus, en 1929, l'affaire « personne » a permis aux femmes d'occuper un siège au Sénat.

Je dois dire que l'un de mes plus grands plaisirs en tant que greffier a été d'accrocher un portrait de la sénatrice Cairine Wilson dans la salle de lecture du Sénat pour montrer qu'on n'était plus dans le club des vieux copains. On voulait également reconnaître sa nomination et la participation de toutes les femmes au Sénat.

Je crois que cette phrase de la décision de la Cour suprême aurait pu être changée et qu'elle donnait une autre impression. Il ne faut pas non plus oublier les changements administratifs qui ont été apportés et le régime de déontologie qui a été mis en place. L'institution ne ressemble plus du tout à celle de 1867.

La sénatrice McCoy : Je vais m'arrêter là et laisser les autres sénateurs intervenir.

Le sénateur McIntyre : Monsieur O'Brien, vous avez joué divers rôles à la Chambre des communes et au Sénat. Vous avez publié de nombreux articles sur le Sénat, le Parlement et le processus législatif. Vous êtes donc bien placé pour répondre à nos questions sur la relation entre le Sénat et la Chambre des communes.

Ma question porte sur la résolution des différends législatifs. Cela ne se produit pas tout le temps, mais il arrive que le Sénat et la Chambre des communes s'affrontent concernant des mesures législatives. Par exemple, le Sénat reçoit un projet de loi de la Chambre des communes, et il peut adopter le projet de loi, l'amender ou le rejeter, ou en différer le vote.

Vous avez parlé de divers modèles, mais pouvez-vous suggérer des mécanismes, par exemple des conférences entre les chambres qui faciliteraient une meilleure résolution des différends?

M. O'Brien : Certainement. Je sais que le sénateur Hays a parlé de cela dans un article publié dans la Revue parlementaire canadienne, il y a quelques années, et je conviens que c'est un processus qui est prévu dans nos documents. Il ne sert pas. Il a servi peu de temps après la guerre. Durant la période précoloniale, ce processus servait constamment. C'est ainsi que les chambres arrivaient à s'entendre. On le fait au Congrès américain, et des articles publiés par des chercheurs montrent le grand succès remporté par les comités habilités à adopter des lois qui dénouent les impasses entre les deux chambres.

Nous avons parlé du projet de loi C-22. Il y a presque eu une conférence. La proposition en avait été faite. Je pense que la Chambre des communes a rejeté l'idée, mais j'ai demandé au sénateur Stewart, après coup : « Est-ce que cela signifie la fin des conférences? » Ce à quoi il m'a répondu : « Non. Pas du tout. »

Cela demeure un mécanisme de la procédure parlementaire traditionnelle. Ce n'est rien de nouveau. Les sénateurs ne devraient pas avoir peur de demander une conférence libre pour que certains des gestionnaires puissent essayer de trouver un compromis afin d'ensuite en faire rapport aux chambres.

Un dialogue dans les Débats du Sénat ou le hansard est différent d'une discussion où l'on prend le temps d'expliquer les préoccupations. Parce que vous êtes des personnes de marque — vous êtes toutes des personnes de marque dans vos propres vies professionnelles, des personnes respectées et bien informées —, cette idée devrait demeurer ouverte. Ce qu'on espère, c'est qu'on en vienne à ce que la Chambre des communes accepte les amendements proposés par le Sénat ou consente au moins à les étudier convenablement — je pense qu'elle le fait, car il y a des questions de politique publique en jeu —, et ne les rejette pas a priori. Je recommanderais le recours au processus de conférence.

Le sénateur McIntyre : Si le Sénat amende un projet de loi émanant du gouvernement et que les amendements sont partiellement ou entièrement rejetés par la Chambre des communes, à quel moment le Sénat devrait-il insister pour obtenir les amendements qu'il propose?

M. O'Brien : Il y a un message qui dit que la Chambre des communes a rejeté les amendements du Sénat, et le Sénat doit alors déterminer s'il accepte la décision ou s'il insiste. Souvent, ce n'est pas immédiat. Le Sénat renvoie les amendements de la Chambre des communes à un comité qui va réexaminer le dossier. Le ministre doit comparaître, et le dialogue se poursuit. Les amendements ne sont pas rejetés en bloc. Souvent, un nouvel ensemble d'amendements peut-être un peu plus acceptables sera proposé.

Il n'est jamais tout à fait clair qu'un projet de loi est mort. J'ai parlé de cela avec Bob Marleau pendant l'étude du projet de loi C-22. Il est retourné trois fois. À quel moment estime-t-on que le projet de loi est mort? Cela n'a jamais été défini. Il y a toujours une possibilité de sauver le projet de loi.

Le sénateur Eggleton : À ce sujet, en ce moment, on dirait que c'est à qui va cligner de l'œil en premier.

Je crois que votre idée des conférences servant à dénouer les impasses est excellente. De telles conférences n'ont peut-être pas été nécessaires pendant des années, mais à la façon dont les choses vont en ce moment, elles pourraient être utiles à l'avenir.

J'ai deux questions. Je veux premièrement revenir sur le rôle d'organe complémentaire, plutôt qu'égal, et sur la question de savoir s'il y a réellement des différences et, dans l'affirmative, ce qu'elles sont. Vous avez dit que vous ne voyez pas « complémentaire » dans la Constitution. Nous avons entendu que cela avait été mentionné dans l'arrêt de la Cour suprême. Parfois, nous revenons à ce que pensaient les Pères de la Confédération, et il semble qu'on ait vu le Sénat comme étant un organe complémentaire. Par exemple, John A. Macdonald a dit quelque chose dans le genre — je ne le citerai pas correctement — que la chambre haute, le Sénat, ne devrait jamais faire obstacle à la volonté du peuple, soit celle qui est exprimée par le gouvernement dûment élu à la Chambre des communes. Que dites-vous de cela en ce qui concerne le statut d'organe complémentaire?

M. O'Brien : Je trouve qu'il y a eu beaucoup de révisionnisme de ce qui s'est produit en 1867. Pour vous donner le contexte, il y a eu jusqu'en 1867, comme vous le savez, la Province du Canada qui, depuis 1855, avait un Sénat élu. John A. Macdonald a donné son appui à cette élection. Après l'adoption de la Loi d'indemnisation pour le Bas-Canada de 1849, pour laquelle le Conseil législatif a été complètement dépassé, les gens se sont indignés contre la Chambre haute. Cependant, plutôt que de travailler à son abolition, ils ont choisi la réforme. Ils ont proposé un Sénat élu dont l'actuel Sénat a la plupart des caractéristiques : 24 sénateurs pour représenter chaque division qui avait ce droit. C'est le modèle qui a été utilisé pour le Sénat.

À l'aube de la Conférence de Québec, John A. Macdonald a dit : « Écoutez, je suis toujours ouvert. Je suis très pragmatique, et je suis ouvert à un Sénat élu. Je suis prêt à entendre ce que les gens ont à dire. »

George Brown maintenait catégoriquement qu'en aucun cas le Sénat, la Chambre haute, ne devait être élu. Il était un émule de Robert Baldwin. Comme nous le savons, Baldwin soutenait fermement qu'il ne pouvait y avoir, comme chez les Américains, une Chambre haute élue. Brown l'appuyait, et cela faisait partie de l'entente avec le Grand ministère pour réaliser la Confédération. Cela faisait partie des exigences de Brown, et bien sûr, il a fait pencher la balance, même si l'Île-du-Prince-Édouard, qui avait aussi un Sénat élu, a quitté la conférence, ce qui n'a pas constitué un obstacle majeur.

Lors du grand débat sur les résolutions relatives à la Confédération, on a parlé avec insistance d'indépendance; le Sénat devait être indépendant. Ce dont ils parlaient en réalité, c'était des problèmes de l'ancien Conseil législatif. Les membres en subissaient nettement l'influence du gouverneur. Il y avait le ministre des Postes, et il y avait des membres qui recevaient des honoraires parce qu'ils faisaient partie de la structure gouvernementale et qu'ils siégeaient au Conseil législatif. Bien entendu, ils n'étaient pas indépendants. Ils subissaient de l'influence.

Cela a donc déclenché un grand mouvement dont le but était de le rendre indépendant; les membres seraient nommés à vie. C'était le grand enjeu : corriger les horreurs liées à l'ancien Conseil exécutif. Ils voulaient que le Sénat soit indépendant, tout comme la Chambre des communes est indépendante. Les députés doivent être indépendants de l'État, lequel ne doit pas influencer leurs décisions.

Macdonald a ajouté sa voix à celle de Brown pour l'obtention d'une Chambre haute non élue, et bien entendu, ils ont adopté des points de vue différents concernant la vérification par rapport à la volonté populaire. C'était un politicien pragmatique, alors je ne sais trop quelle était son opinion à ce sujet.

Le sénateur Eggleton : Mon autre question porte sur le cheminement des projets de loi d'initiative parlementaire dans les deux chambres. Nous avons en fait un excellent exemple de projet de loi d'initiative parlementaire qui a émané du Sénat, qui a été adopté à la Chambre des communes et qui est sur le point de devenir loi. C'est le projet de loi S-201, sur la discrimination génétique, qui a été proposé par l'ancien sénateur Jim Cowan. Cela semble exceptionnel, toutefois. Il semble difficile de faire cheminer un projet de loi d'initiative parlementaire à la Chambre des communes. Ils ont des règles différentes sur la façon de traiter les projets de loi d'initiative parlementaire. Que suggérez-vous pour améliorer les choses et faire en sorte que les projets de loi d'initiative parlementaire soient traités avec plus de respect quand ils passent d'une chambre à l'autre?

M. O'Brien : Je crois que la question des changements procéduraux est toujours pertinente, quand il s'agit de veiller à ce que les projets de loi de chacune des chambres soient étudiés en toute équité. Je ne sais pas; on pourrait créer un comité mixte qui s'attaquerait à ces différences alors que les deux chambres font face à une réforme parlementaire, car c'est manifestement un élément très important du processus législatif.

Le Canada s'est énormément éloigné de l'attitude de la Chambre des communes britannique. Quand j'y suis allé en affectation, je leur ai posé des questions sur les projets de loi d'initiative parlementaire émanant de la Chambre des lords et sur la façon dont la Chambre des communes du Royaume-Uni les traite, et selon leur attitude : « Les lords peuvent bien attendre. »

Le sénateur Eggleton : Je crois que l'attitude est la même ici. Ils ne nous appellent pas « lords », cependant.

Le sénateur Tkachuk : Si un projet de loi émanant du Sénat est présenté à la Chambre des communes, il doit être étudié, n'est-ce pas? Ce n'est pas une loterie. N'importe quel député peut proposer un projet de loi émanant du Sénat, alors que leurs propres projets de loi sont soumis à un système de loterie et tirés au hasard. Ils doivent parfois attendre très longtemps avant de pouvoir présenter un projet de loi. En fait, les projets de loi émanant du Sénat sont traités d'une façon relativement efficace, bien que ce soit une tout autre chose une fois qu'ils ont été proposés.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Merci d'avoir accepté de comparaître à cette séance de notre comité, monsieur O'Brien. Je trouve vos propos très intéressants et plutôt rafraîchissants.

Ce qui m'intéresse le plus, c'est votre idée d'établir une liste d'éléments à traiter. Bien évidemment, dans le contexte d'un Sénat moins partisan, les résultats du processus législatif semblent représenter pour vous le critère numéro 1 par rapport à un qualificatif de Westminster pour le Sénat canadien. Le processus législatif semble être la caractéristique fondamentale.

Selon ce processus, si les sénateurs sont partisans, il est possible de connaître un peu mieux le résultat, étant donné l'existence des lignes de parti, alors que si les sénateurs sont moins partisans, le résultat est plus difficile à prédire, même si les préférences individuelles peuvent transparaître des propos de chacun et du processus de prise de décisions.

Je partage votre idée d'établir une liste d'éléments à examiner lors de l'étude d'un projet de loi. J'ai d'ailleurs proposé cette approche dans le cadre d'une motion. Au sein des comités, le Sénat devrait à tout le moins poser des questions au sujet d'un certain nombre de points pour l'aider à déterminer si le projet de loi peut être amélioré et, le cas échéant, de quelle façon il peut l'être. Cela aiderait également les sénateurs à laisser de côté leurs préférences individuelles. On le sait, il y a aussi la question de la « volonté du peuple », dont le sénateur Eggleton a parlé, mais John Stuart Mill en a parlé également. Étant donné que vous l'avez lu, vous vous en souvenez sans doute. Cependant, cette liste d'éléments à traiter, croyez-vous qu'on devrait la structurer à l'intérieur de la procédure liée aux comités? Devrait-on en faire une convention?

Comme vous le savez, un comité peut simplement rapporter qu'il a fait rapport sans amendements, alors qu'il y a eu des tentatives d'amendements, ce qui fait qu'on n'en est pas au courant. Croyez-vous utile de demander aux comités d'annexer, à tout le moins, des observations par rapport à une liste d'éléments à traiter?

M. O'Brien : Oui, c'était l'idée du sénateur Austin, alors qu'il était président du Comité du Règlement, d'avoir un règlement fixe qui décrit les critères selon lesquels les comités devraient au moins émettre quelques commentaires. Cette règle doit forcer le comité à traiter les questions, alors que les témoins sont devant eux, sur des sujets, peut-être quatre sujets, surtout la question de l'impact sur le développement régional. Je sais que l'ancien sénateur Pierre De Bané, qui a été l'un des premiers à être ministre, au sein d'un gouvernement, chargé de la responsabilité du développement régional, était très favorable à cette idée d'inclure ce critère dans le cadre d'un règlement lié aux rapports des comités.

La deuxième question qui intéresse les sénateurs, ici, au Sénat, est la question de la Charte des droits.

[Traduction]

Pour moi, c'est très important, et c'est une question très délicate pour les sénateurs. Je sais qu'il y a un Comité des droits de la personne et que le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles s'intéresse beaucoup à cela, mais comme vous le savez, chaque projet de loi peut comporter des liens avec la Charte. Par conséquent, chaque comité, quand il est saisi d'un projet de loi, doit être au fait de cela. C'est un aspect que le Parlement ne maîtrise toujours pas, d'après de nombreux spécialistes; ce n'est pas qu'une question intéressant les tribunaux.

On estimait généralement que le Parlement devait se pencher sur les droits en général, alors que les tribunaux veillaient aux droits individuels. Cependant, nous savons que les sénateurs en particulier s'intéressent à cela parce qu'ils représentent les minorités et veillent à ce que les droits garantis par la Charte ne soient pas violés.

Bien entendu, c'est avant que le projet de loi soit adopté. Ce n'est pas une loi, alors vous ne savez pas comment les tribunaux vont trancher. Cela semble causer de l'insatisfaction, parce que le ministre peut déposer un projet de loi — je ne sais même pas s'ils le font, mais je pense que la loi exige qu'ils le précisent si des dispositions contreviennent à la Charte. Et le débat au ministère ne porte pas tant sur le fait qu'il y aura violation de la Charte, mais sur les risques de violation. Est-ce 20 p. 100 de risque, ou 80 p. 100? Le Parlement doit savoir cela et faire sa propre estimation.

Comment pouvons-nous faire cela? Je pense qu'on pourrait en confier le mandat au Bureau du légiste. De toute évidence, il faudra plus de ressources, mais il en vaudrait la peine que le Bureau du légiste ait le mandat de fournir à chaque comité, au moment où le comité est saisi d'un projet de loi, une évaluation de l'aspect particulier des enjeux relatifs à la Charte qui touchent le projet de loi en question. Je pense que ce serait très utile. Cela ralentirait un peu les choses, mais encore là, cela nous ramène au bicaméralisme. Vous êtes ici pour améliorer les lois, et je pense qu'il serait très utile d'avoir une façon systématique de le faire.

On pourrait aussi ajouter à cette liste l'effet produit sur les relations fédérales-provinciales. Le Sénat est lié aux provinces, et la Cour suprême a très clairement exprimé, en 2014, les intérêts des provinces concernant le Sénat et son fonctionnement. Elles tiennent les cartes pour ce qui est de toute modification importante qui va de l'avant. Je sais que les relations fédérales-provinciales, quand j'y étais, relevaient du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Encore là, tout projet de loi peut avoir des effets sur les relations fédérales-provinciales, et cet aspect devrait aussi faire l'objet d'une évaluation.

Alors je suis d'accord avec vous. Dans un contexte moins partisan, on serait plus ouvert à ce genre de liste. Est-ce que cela va retarder l'adoption de lois? Peut-être, mais cela en vaudrait la peine, pour que l'information soit transmise au Sénat et aux Canadiens, ce qui est plus important encore.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Dans l'optique d'une liste, au sujet des experts qui viennent témoigner aux séances des comités —

[Traduction]

Avez-vous des conseils à nous donner sur la façon de choisir les experts, les personnes qui viennent témoigner au comité quand nous étudions des projets de loi? Si nous avons une liste, est-ce que cela change quelque chose? Dans l'affirmative, que nous diriez-vous, ou que nous conseilleriez-vous sur la façon de choisir de bons témoins?

M. O'Brien : Eh bien, vous ne pouvez certainement pas entendre tout le monde. L'une des choses que j'entends toujours à propos du Sénat, c'est que les Canadiens en ont assez du Sénat, ne l'aiment pas et veulent qu'il soit aboli. Cependant, quand j'étais directeur des comités, les gens faisaient la queue pour comparaître. Tellement de gens voulaient comparaître. Les comités sénatoriaux représentent un élément très dynamique et utile du Sénat, et il ne manque pas de témoins. C'est un choix difficile qui incombe habituellement au comité directeur. Est-ce que cela change quelque chose? Oui. Manifestement.

Voulez-vous les mêmes personnes qui ont comparu devant le comité de la Chambre des communes? Peut-être pas, puisque leurs observations sont déjà consignées. Mais vous voudriez peut-être les interroger sur les observations qu'ils ont faites devant le comité de la Chambre des communes, alors je ne rejetterais pas automatiquement cette possibilité. Toutefois, il serait bon d'entendre des personnes différentes.

La sélection des témoins est très importante. Je sais que les gens de la Bibliothèque du Parlement connaissent bien ces gens et font de l'excellent travail; ils savent ce qu'ils peuvent apporter aux discussions, alors il n'y a pas de surprises. Je sais qu'ils parlent parfois aux témoins avant leur comparution. Je peux vraiment compter sur la Bibliothèque du Parlement. Nous avons la meilleure direction de recherche entre toutes, et nous utilisons leurs services.

Le sénateur Dean : Merci d'être avec nous aujourd'hui, monsieur O'Brien. Ma question tombe bien, car la discussion a dévié sur le thème de la qualité et de l'efficacité, et la façon dont le Sénat emploie son temps.

Vous avez parlé de redondance, et je vais parler d'un point de vue personnel. La redondance au Sénat ne m'empêche pas de dormir, en ce moment. Ce qui trouble un peu mon sommeil, c'est la qualité et l'efficacité, et c'est ce qui m'amène à ma question.

Je signale que de temps en temps — et vous savez de quoi je parle —, une liste de contrôle nous serait utile, de même qu'une approche plus systématique concernant les projets de loi. Ce serait en soi d'excellentes choses, mais si nous continuons d'avoir ce que j'appellerai une « approche tronquée dans le temps » à l'égard des projets de loi, en échelonnant notre travail et en le réalisant petit à petit sur des semaines ou des mois, une liste de contrôle et une approche plus systématique ne nous seront pas utiles.

J'ai fait cela en discutant avec un groupe d'étudiants, à London, en Ontario, au début de la semaine. Nous avons discuté du débat sur l'aide médicale à mourir. Nous avons tous tendance à donner cela comme excellent exemple d'une discussion intégrée de grande qualité qui a permis aux citoyens de voir que leurs points de vue étaient représentés lors de débats de qualité, et ce, sur une période relativement courte.

Comment pouvons-nous nous attaquer aux projets de loi, du moins aux plus importants, compte tenu de ce que nous avons vu et de ce que d'autres ont vu dans le débat sur l'aide médicale à mourir, de manière à ce que cela devienne plus courant au Sénat? Cela ne devrait pas être un exemple d'une chose formidable qui s'est produite une fois. J'aimerais que ce soit courant. Je pense que c'est aussi le cas de mes collègues. Je suis sûr que vous aimeriez que cela se produise plus régulièrement parce que nous nous organisons pour qu'il en soit ainsi. C'est une de mes questions.

Ma deuxième question n'est pas liée à cela, mais je pense qu'elle porte aussi sur la qualité. Vous avez souligné la liberté de parole au Sénat. Est-ce que la liberté de parole et la liberté d'expression signifient qu'on peut voter à l'abri d'une influence indue et sans craindre d'éventuelles sanctions? C'est une question distincte, sur un sujet distinct, mais cela revient au principe du vote libre. Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de cela aussi?

M. O'Brien : Il a toujours été frustrant d'amorcer le débat en deuxième lecture pour être freiné par un ajournement et devoir attendre que de nombreuses séances passent sans que rien ne se produise. Le comité aurait accompli beaucoup de travail; il aurait préparé son rapport et l'aurait présenté, et on passerait au débat en troisième lecture. Il s'écoulerait ensuite des semaines et des semaines, après le rapport, et ils diraient : « Qu'est-ce qu'il y avait, dans ce rapport? Nous ne nous en souvenons pas très bien, parce qu'il y a eu tant de rapports. »

Au Royaume-Uni, les lords avaient des problèmes avec cela. Les responsables prévoyaient une journée particulière pour le débat en deuxième lecture d'un projet de loi important. Ce n'était pas nécessairement le lendemain, mais deux semaines après que le projet de loi soit soumis aux lords, le débat avait lieu. Cela signifie que le parrain fait un discours.

Selon nos règles, le parrain a le droit de répondre, en deuxième lecture. C'est fondamental. Cependant, le droit de réponse vient des semaines après le dépôt, ce qui fait qu'il n'est pas nécessairement à la chambre quand quelqu'un fait son discours, ce qui fait que le débat est un peu une mascarade.

Donc, si on est d'accord, on en fait l'annonce. Les personnes que le projet de loi intéresse sont à la galerie, ou ailleurs, et ils savent à quelle date on va faire la deuxième lecture du projet de loi X. Le député, ou le ministre — peu importe — fait un discours. L'opposition réplique. Tous les députés peuvent alors réagir, et à la fin, le débat est clos. Le Président se lève et dit : « Si le sénateur prend la parole maintenant, cela signifie que le débat est clos. » C'est donc dire que le débat est terminé, parce qu'il a tout entendu; la chambre a tout entendu, et on passe à l'étape suivante. C'est leur façon de fonctionner pour la troisième lecture.

Je pense que la qualité s'améliorerait. Je pense qu'il y aurait moyen de montrer comment une bonne assemblée législative fonctionne, et ce serait considérable.

Bien entendu, comme l'a dit le gouverneur général, le temps est important; le temps nécessaire pour digérer la teneur du projet de loi. Le temps est un élément important du Parlement. Nous ne brusquons pas les choses, alors il faudrait un compromis sur la question du temps — ne pas brusquer les choses, mais ne pas prendre une éternité. Je pense que ce serait bon.

C'est une suggestion que j'ai déjà faite, et comme c'est le cas de bon nombre de mes suggestions, elle n'a pas été adoptée, mais je pense qu'il vaut la peine d'y réfléchir.

Quelle était l'autre question?

Le sénateur Dean : Elle portait sur les votes libres.

M. O'Brien : Honnêtement, pendant mes 37 années d'expérience, les sénateurs votaient librement. Je ne me souviens que de très rares cas où les gens avaient un fusil à la tempe. Je sais que le sénateur Molgat a vécu une situation de ce genre quand il était le Président. Le Président peut voter, et on exerçait des pressions sur lui pour qu'il vote dans un certain sens, en tant que Président, et il était presque en larmes quand il m'en a parlé. J'étais le greffier adjoint à cette époque, et il m'avait dit : « Vous ne pouvez pas imaginer ce que je vis. »

Un sénateur : Et il a refusé de voter.

M. O'Brien : Il a agi selon sa conscience. Je pense que bien des sénateurs qui se sentiraient comme lui feraient la même chose parce qu'ils croient en ce qu'ils font. Ils faisaient partie d'un caucus, c'est vrai, mais ils avaient leurs convictions.

Il y a eu de nombreux exemples de sénateurs qui ont quitté leur caucus. Même à l'époque du rapatriement de la Constitution, je pense que 13 sénateurs libéraux l'on fait; Elsie Inman en faisait partie. Elle a dit : « John A. Macdonald voulait que je sois indépendante, et je vais être indépendante. » Elle était là à perpétuité, et elle n'allait pas plier devant quiconque.

En ce qui concerne l'appartenance à un parti qui oblige les sénateurs à faire des choses contre leur gré, j'ai très rarement vu cela.

Le sénateur Dean : J'ai une question supplémentaire. Il n'y aurait pas de mal à enchâsser un tel droit dans le Règlement du Sénat si c'est ainsi que nous fonctionnons depuis des décennies.

M. O'Brien : Inscrire que chaque vote est un vote libre?

Le sénateur Dean : Oui.

M. O'Brien : C'est quelque chose de politique — je ne voudrais pas commenter là-dessus.

Le sénateur Dean : Je pense que votre réponse dit tout.

[Français]

Le sénateur Forest : Je vous remercie, monsieur O'Brien, de nous faire profiter de votre longue expérience. Je suis un tout jeune sénateur. Cela ne paraît pas quand vous me regardez, mais j'apprends énormément de vos propos.

Ma question peut vous paraître simpliste, mais ce que je comprends de la mission du Sénat depuis que j'ai été nommé, c'est qu'il doit porter un second regard attentif sur les projets de loi qui lui sont soumis afin de les étudier de façon objective et non partisane, dans l'intérêt des Canadiens et des Canadiennes, et particulièrement dans l'intérêt des régions — l'une de mes grandes préoccupations — et des minorités. C'est donc ma compréhension de l'essence même de la grande institution qu'est le Sénat canadien. Ai-je tort de penser ainsi ou ai-je une bonne compréhension de l'institution?

M. O'Brien : Vous êtes dans le champ! Non, vous avez une très bonne compréhension de l'institution.

Le sénateur Forest : Vous m'inquiétez quand vous me dites que je suis dans le champ. Donc, j'ai une bonne compréhension?

[Traduction]

M. O'Brien : Oui, et votre région est très importante.

Sur le plan constitutionnel, vous représentez votre province et vous devez porter ce second regard attentif sur les projets de loi.

En ce qui concerne l'appartenance à un parti, vous allez devoir inclure cela dans votre façon de procéder, mais je crois objectivement que c'est une bonne façon de le faire. L'appartenance à un parti ne signifie pas nécessairement que vous n'êtes pas objectif. Vous envisagez quand même les choses en fonction de ce qui est le mieux pour votre région et pour les Canadiens, comme vous venez de le dire. Je crois que vous avez parfaitement raison.

[Français]

Le sénateur Forest : J'écoutais avec beaucoup d'attention les propos du sénateur Joyal hier en Chambre, et encore aujourd'hui, où il semble faire le postulat que l'indépendance des sénateurs vient atténuer les pouvoirs de l'institution, ou que celle-ci abdiquerait ses pouvoirs de refuser, d'étudier ou de reporter, ou peu importe. Je n'arrive pas à m'expliquer cette conclusion, et je crois que l'inverse pourrait être plus menaçant.

À titre d'exemple, je regarde ce que le Sénat a fait en décembre où, à l'initiative du sénateur Pratte, il a fait modifier le projet de loi C-29 en fonction des intérêts de l'ensemble des Canadiens. Je pense être là davantage pour défendre la région et les minorités, mais je ne me sens pas obligé de faire partie d'un caucus partisan pour assumer pleinement ce rôle. Quand j'essaie de m'imprégner de l'esprit du Sénat, je pense qu'à l'origine, il n'y avait pas cette notion de partisanerie.

[Traduction]

M. O'Brien : Je ne suis pas en désaccord avec ce que vous dites. Vous n'avez pas besoin d'un parti pour représenter vos propres intérêts. Individuellement, c'est tout à fait sensé.

Je crois que le sénateur Joyal parle peut-être de la dynamique de l'institution en général. Si vous n'y êtes pas, qu'arrive-t-il alors? Le grand avantage des partis, ou des caucus, c'est que cela répartit le travail et que vous avez la certitude que d'autres vont prendre votre place si vous n'y êtes pas. Vous formez une équipe et vous travaillez dans une direction dont vous avez convenu. La dynamique manque, sans caucus. On ne connaît absolument pas l'effet de cela sur l'institution et sur le processus législatif.

[Français]

Le sénateur Forest : Ce que je comprends de vos propos et de votre longue expérience, c'est que l'organisation à l'intérieur d'un caucus est plus efficace au niveau de l'opération des travaux qu'au niveau de l'idéologie; le caucus partisan ne se consacre pas à une idéologie, mais constitue plutôt un aménagement beaucoup plus efficace sur le plan opérationnel.

[Traduction]

M. O'Brien : Je le crois.

[Français]

Le sénateur Massicotte : On a déjà répondu à ma question.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Merci beaucoup, monsieur O'Brien. C'est bien de vous voir en enseignant. Vous jouiez ce rôle comme greffier aussi. Nous vous savons gré de votre participation, aujourd'hui. J'ai quelques observations à faire à propos de votre exposé.

Nous discutons constamment de partisanerie, et il arrive même que l'appartenance se fasse sentir ici aussi, mais vouloir quelque chose ou ne pas vouloir quelque chose, c'est également partisan. On dirait toujours que ce qui est négatif est partisan, et que le projet de loi comme tel ne l'est pas. C'est le projet de loi. Vous êtes partisan parce que vous ne voulez pas du projet de loi. Mais vouloir quelque chose, c'est la même chose que de ne pas vouloir quelque chose, alors vous avez deux luttes égales.

Vous parliez de certains des effets que le Sénat a produits sur les lois dans les années 1980. Je crois que c'est parce que le Sénat était majoritairement libéral, et qu'il s'opposait au gouvernement. Je sais qu'en 2006, quand les conservateurs ont proposé le projet de loi sur la responsabilité, les libéraux étaient contre la façon dont ce projet de loi était structuré. Nous avons eu toute une discussion à ce sujet. Il y a eu de nombreux projets de loi, quand nous étions la minorité à la Chambre. Nous étions nettement une minorité au Sénat jusque vers 2010 ou 2011, alors il s'est fait beaucoup de compromis pour ce projet de loi. Il y a eu beaucoup de discussion.

Si nous modernisons réellement le Sénat, la question de l'indépendance dépend complètement de la partisanerie. C'est tout. Autrement dit, si nous limitions le nombre de sénateurs du gouvernement qui peuvent être nommés, nous aurions un Sénat réellement indépendant, car le seul moment où le Sénat est indépendant du gouvernement, c'est lorsqu'il y a des sénateurs pour et contre, autrement dit dans les années 1980. Dans le cadre du projet de loi sur la responsabilité, plus de 100 amendements ont été proposés. Si 80 sénateurs appartiennent au même parti qu'à la Chambre des communes, ils ne peuvent pas être indépendants, qu'ils participent au caucus ou non. Faudrait-il adopter une loi pour obliger un gouvernement qui a atteint 60 p. 100 à nommer des sénateurs d'un parti de l'opposition au Sénat? Est-ce une possibilité? Il s'agirait certainement d'une modernisation concrète.

M. O'Brien : Eh bien, que ce soit par loi ou par convention, nous savons qu'au Royaume-Uni, le premier ministre doit partager la nomination des lords avec les autres partis. Il n'y a pas si longtemps, on a convenu que la part des nominations à laquelle un parti aurait droit refléterait le vote populaire de la dernière élection, c'est-à-dire que si le gouvernement obtenait 40 p. 100 des voix, il obtiendrait seulement 40 p. 100 des lords et l'opposition se partagerait le reste.

Je crois que David Cameron a laissé tomber cette idée lorsqu'il a constaté que les lords rejetaient son projet de loi. C'est seulement mon opinion, car je ne suis pas certain.

En ce moment, le premier ministre, en vertu du décret du Conseil privé adopté sous Mackenzie King, est la seule personne en mesure de formuler des recommandations au gouverneur général relativement à la nomination de sénateurs. Cela n'a pas changé. Il faudrait que cela change. Il faudrait modifier ce décret de 1935 pour permettre à d'autres personnes de formuler des recommandations relatives aux nominations. Je ne sais pas comment on organiserait la répartition, mais on pourrait faire quelque chose si on modifiait ce décret.

Le sénateur Tkachuk : J'ai une autre question. Je sais que tout le monde adore le débat sur l'aide médicale à mourir, mais ce débat a seulement été lancé parce que si nous ne le faisions pas, la Cour suprême s'en chargerait. Nous devions donc rédiger une loi ou renoncer à notre responsabilité et laisser la Cour suprême s'en occuper. Nous avons donc été obligés de mener ces débats. Toutefois, personne ne veut l'indépendance lorsque les sénateurs agissent de façon indépendante, et le parti de l'opposition n'est pas pressé d'adopter une mesure législative, mais les autres y tiennent. Le gouvernement a la capacité de clore le projet de loi, n'est-ce pas?

M. O'Brien : Au Sénat? Je crois que ces règles existent toujours.

Le sénateur Tkachuk : Bien sûr.

Il s'ensuit que le débat qui vous préoccupe, sénateur Dean, pourrait se produire s'il y avait une motion de clôture, c'est-à-dire si le gouvernement jugeait que le projet de loi était tellement important qu'il ne devrait plus se trouver au Sénat et faire l'objet d'un débat par des gens comme nous.

Le sénateur Gold : Même si c'est presque impossible, je vais tenter de résister à la tentation de participer à une discussion sur la partisanerie et sur l'indépendance de ceux d'entre nous qui ont été nommés récemment, sauf que j'ajouterai que je ne me reconnais pas dans ces étiquettes qu'on nous attribue régulièrement, à savoir que nous sommes de simples membres d'un parti politique ou des libéraux déguisés ou des personnes nommées par le gouvernement. Ce n'est pas vrai. Cela ne constitue pas vraiment une question de privilège, et je ne dirai donc rien de plus. Ce n'est tout simplement pas le cas. Mais le temps nous le confirmera.

Je veux m'assurer de bien comprendre une chose que vous avez dite. J'apprécie beaucoup — si je peux utiliser cette expression — l'approche fonctionnelle que vous adoptez, c'est-à-dire que vous vous concentrez sur l'essence du rôle législatif du Sénat. En effet, le rôle législatif est au centre de ce que vous avez appelé les Parlements bicaméraux du modèle de Westminster.

Vous ai-je bien compris lorsque vous avez dit qu'aussi longtemps que la réforme du Sénat conserve ces caractéristiques ou lois essentielles — la publicité, la liberté d'expression et d'autres que vous avez énumérées —, ainsi que plusieurs lectures des projets de loi, notre structure de comités, la capacité de recommander des amendements à diverses étapes du processus, et cetera, nous ne nous éloignerons pas trop de ce que vous avez appelé des Parlements bicaméraux du modèle de Westminster? Vous ai-je bien compris à cet égard?

M. O'Brien : Absolument.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Monsieur O'Brien, merci d'être avec nous aujourd'hui afin de nous aider à réfléchir sur la modernisation du Sénat. J'ai une question à vous poser, car vous avez parlé de l'aspect historique de l'établissement du système de Westminster, mais vous avez aussi mentionné la flexibilité de ce système de Westminster, qui fait en sorte que différents Parlements ont ajusté des règles à leur réalité politique, si je comprends bien.

Pour ma part, je n'ai pas de réponse aux questions de partis politiques, qu'ils soient partisans ou pas partisans, et en ce qui concerne les indépendants. Mais il y a une réalité, il me semble, dans l'évolution de la situation politique canadienne, et c'est dans cet esprit que j'estime que la décision politique a été prise d'élargir la représentation au Sénat pour inclure des sénateurs indépendants. C'est, entre autres, parce que les points de vue des femmes n'étaient jamais représentés, puisqu'elles n'avaient même pas le droit de siéger au Sénat. C'est, entre autres, parce que les points de vue des minorités, quelles qu'elles soient, y compris les minorités économiques, n'étaient jamais représentés au Sénat. C'est aussi parce que les règles font en sorte que, sur le plan économique, cela suppose qu'il y ait un minimum d'aisance financière pour y siéger. Dans ce sens-là, est-ce que votre approche de la fonction de sénateur, à l'intérieur de cette institution, n'est pas essentielle pour répondre à la question de savoir comment s'arbitrent les questions politiques, partisanes ou non, de la représentation au Sénat?

[Traduction]

M. O'Brien : Les fonctions du Sénat sont très importantes. Il est essentiel de conserver ces éléments. La partisanerie ou la non-partisanerie fait partie du lot, je présume, mais l'élément fondamental, c'est que le travail du Sénat consiste à améliorer les lois. Il revient au Sénat de décider comment y arriver.

Ce matin, je tiens à vous persuader de ne pas oublier que l'article 91vous donne un rôle à jouer au sein du Parlement du Canada relativement à l'amélioration des lois et à la protection contre la démagogie. Ce sont vos rôles principaux. Ce sont les tâches que vous devez accomplir. Vous pouvez utiliser différentes méthodes pour y arriver. Certaines méthodes sont peut-être meilleures que d'autres, mais vous devriez toujours privilégier et honorer les principes du bicaméralisme.

[Français]

La sénatrice Tardif : Bonjour, monsieur O'Brien. C'est toujours un plaisir de vous revoir.

M. O'Brien : Vous aussi.

La sénatrice Tardif : Merci d'être avec nous aujourd'hui. L'un des mécanismes que le gouvernement utilise parfois, c'est de demander au Sénat de faire une étude préalable de certains projets de loi afin d'accélérer le processus et de s'assurer que le projet de loi pourra être adopté. Le Sénat, se voyant comme une chambre de second examen, a eu tendance par le passé à refuser la demande du gouvernement, sauf dans le cas des projets de loi qui traitent de questions financières, tels que les budgets. Quel est votre point de vue sur l'utilisation de ce mécanisme d'étude préalable comme moyen pour le Sénat de proposer des recommandations au gouvernement avant qu'il reçoive le projet de loi au Sénat? Est-ce que c'est une façon d'avoir cette conférence, si on veut, entre la Chambre des communes et le Sénat?

[Traduction]

M. O'Brien : J'ai toujours été convaincu du bien-fondé des études préalables. C'est une très bonne façon pour le Sénat de participer dès le début d'un projet de loi. Souvent, on ne voit pas cela d'un bon œil, car le travail accompli par les sénateurs n'est pas réellement reconnu à la Chambre. Lorsque le projet de loi arrive au Sénat, il semble que le Sénat ne fait que l'approuver automatiquement, malgré le fait que les sénateurs ont passé de nombreuses semaines à l'étudier.

Il est préférable de consacrer plus de temps à l'amélioration d'une mesure législative. C'est dans le Règlement. C'est une excellente procédure à suivre, et je vous encourage certainement à le faire.

La sénatrice McCoy : Monsieur O'Brien, j'apprécie également beaucoup l'approche fonctionnelle que vous utilisez pour préciser nos deux rôles principaux, à savoir l'amélioration des lois et la protection contre la démagogie. C'est très concis.

Plus tôt, vous avez parlé de la façon de procéder sur le plan organisationnel, d'une façon presque purement mécanique. Vous avez mentionné que les caucus l'ont déjà fait de manière efficace. Mais j'aimerais obtenir quelques éclaircissements. Selon vous, un caucus doit-il être formé d'un parti politique?

M. O'Brien : Non.

La sénatrice McCoy : Non? Un caucus pourrait-il être un groupe parlementaire sans affiliation politique?

M. O'Brien : Je le pense certainement.

Le président : Monsieur O'Brien, au nom des membres du comité, je vous remercie beaucoup d'avoir comparu aujourd'hui, de nous avoir communiqué vos vastes connaissances et d'avoir répondu aux questions de façon experte. Nous vous sommes très reconnaissants. J'aimerais également remercier les membres du comité d'avoir posé d'excellentes questions.

(La séance est levée.)

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