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MDRN - Comité spécial

Modernisation du Sénat (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur la
Modernisation du Sénat

Fascicule n° 11 - Témoignages du 3 mai 2017


OTTAWA, le mercredi 3 mai 2017

Le Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat se réunit aujourd'hui, à 12 h 2, pour examiner les façons de rendre le Sénat plus efficace dans le cadre constitutionnel actuel.

Le sénateur Thomas J. McInnis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat. Au cours de cette phase, le Comité se concentre sur le rôle du Sénat dans la gouvernance du Canada et sa relation avec la Chambre des communes. Plus particulièrement, nous examinons la façon dont le Sénat pourrait servir de complément à la Chambre des communes sans la copier ou la dominer.

Grâce à ces séances, le comité espère élaborer un ensemble de principes ou de critères qu'un Sénat moderne et indépendant pourrait mettre en application de manière constante et en toute transparence pour s'acquitter du mandat que lui confère la Constitution au sein du processus législatif.

Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui comme témoins deux spécialistes de la Constitution.

John Whyte est agrégé supérieur de recherches en politiques à l'Institut de politiques publiques de la Saskatchewan ainsi que professeur émérite à la faculté de droit de l'Université Queen's et à la faculté des arts de l'Université de Regina. Il est diplômé de l'Université Queen's et de l'Université Harvard et titulaire d'un doctorat avec mention honorifique de l'Université York.

M. Whyte a commencé sa carrière universitaire en 1969, à la faculté de droit de l'Université Queen's, où il a été doyen de 1987 à 1992. M. Whyte a aussi travaillé pour le gouvernement, d'abord comme directeur à la Division du droit constitutionnel du ministère de la Justice de la Saskatchewan de 1979 à 1982 puis comme sous-ministre de la Justice et sous-procureur général de la Saskatchewan de 1997 à 2002.

M. Whyte a écrit sur différents sujets, comme le fédéralisme et le Sénat. Il a aussi comparu devant le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat en 2006.

Nous accueillons également Adam Dodek. M. Dodek est professeur de common law à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa. Il est diplômé de l'Université Harvard et de l'Université de Toronto, et il a été stagiaire à la Cour suprême d'Israël, à la Cour d'appel des États-Unis pour le neuvième circuit, ainsi qu'à la Cour suprême du Canada.

Avant d'intégrer la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, M. Dodek a fait partie du groupe de travail en droit public chez Borden Ladner Gervais LLP et a été directeur des politiques et chef du personnel pour le procureur général de l'Ontario. M. Dodek a écrit deux livres, The Canadian Constitution et Solicitor-Client Privilege. Il est aussi l'auteur de nombreux articles sur la réforme et la modernisation du Sénat publiés dans des revues universitaires et d'autres publications.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Vous pouvez nous présenter vos exposés, après quoi nous passerons aux questions des membres. Je suis convaincu qu'ils auront des questions à vous poser.

Adam Dodek, professeur, faculté de droit, Université d'Ottawa, à titre personnel : Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à participer à cette séance. Comme vous pouvez l'imaginer, c'est un grand honneur pour moi de partager cette scène, disons, avec M. Whyte, un modèle de rôle incroyable et un mentor au cours de ma carrière académique. C'est merveilleux de le souligner et de savoir que cela figurera au hansard.

[Français]

Mon témoignage aujourd'hui sera fait en anglais, mais si vous avez des questions en français, je vais essayer d'y répondre en français.

[Traduction]

Mon témoignage d'aujourd'hui ne reflète que mes opinions personnelles et non ceux d'un groupe ou d'une organisation. J'ai remis un mémoire au comité. Je crois qu'il a été traduit. Ma présentation tournera autour de quatre points.

Premièrement, on ne peut dissocier de la question de la légitimité du Sénat les considérations concernant les relations qui doivent exister entre le Sénat et la Chambre des communes.

Deuxièmement, le Sénat devrait imposer lui-même des limites à l'exercice de ses pouvoirs pour retarder l'examen de projets de loi ou pour opposer son veto.

Troisièmement, le Sénat devrait faire preuve d'une plus grande vigilance pour analyser et scinder les projets de loi omnibus.

Quatrièmement, le Sénat devrait examiner plus attentivement les projets de loi d'initiative parlementaire comparativement aux projets de loi ministériels.

Commençons là où toute discussion sur une possible réforme ou modernisation du Sénat doit commencer, soit la légitimité de la chambre. Honorables sénateurs, j'affirme qu'on ne peut dissocier de la question de la légitimité du Sénat les considérations concernant les relations qui doivent exister entre le Sénat et la Chambre des communes. J'ai déjà fait valoir ailleurs que le Sénat vit un triple déficit : un déficit d'intégrité, un déficit de légitimité et un déficit démocratique. Le déficit démocratique est celui qui est le plus évident et qui peut être réglé rapidement. Le Sénat n'est pas élu et est par conséquent un corps législatif complémentaire plutôt qu'un rival de la Chambre des communes.

La Cour suprême a reconnu, dans le Renvoi relatif à la réforme du Sénat, que cette caractéristique du Sénat façonnait son rapport avec la Chambre des communes. À cet égard, rien ne changera dans un avenir prévisible. Toutefois, le Sénat a le pouvoir de s'attaquer aux deux autres déficits qui influencent aussi les relations entre le Sénat et la Chambre des communes.

Le Sénat souffre d'un déficit d'intégrité en raison de l'idée selon laquelle les sénateurs ne font pas un travail particulièrement exigeant, mais surtout en raison des scandales récents qui se sont ajoutés à d'anciens scandales, à l'égard desquels le Sénat n'a pas suffisamment réagi. Le Sénat souffre ensuite d'un déficit de légitimité en raison de son déficit d'intégrité et des nominations partisanes qui ont marqué son histoire.

Pour dire les choses clairement, je ne crois pas que les changements amorcés par le gouvernement actuel au processus de nomination sont une réponse suffisante au déficit de légitimité. À mon avis, ce que les sénateurs font une fois qu'ils sont nommés est beaucoup plus important que la façon dont ils sont nommés au Sénat.

C'est la raison pour laquelle je crois que le Sénat ne peut dissocier les questions de déontologie et de conflits d'intérêts de celles que le Comité étudie en vue de moderniser le Sénat. Le succès ou l'échec des tentatives de modernisation du Sénat dépendra de la volonté du Comité de se pencher sur le déficit de légitimité du Sénat. Pour être franc, si le Sénat ne règle pas énergiquement et rapidement les actes répréhensibles qui lui ont été reprochés et s'il n'adopte pas et ne fait pas respecter les normes de déontologie les plus rigoureuses possible, je ne pense pas qu'il réussira à exercer adéquatement son rôle de Chambre législative complémentaire au sein du Parlement du Canada.

À cet égard, j'ai été encouragé de lire le rapport du Comité sénatorial sur l'éthique publié hier. Je remarque que le vice-président de ce comité, le sénateur Joyal, est également vice-président du Comité sur l'éthique. Sénateur Joyal, je vous félicite, vous et vos collègues du Comité sur l'éthique, pour ce rapport. J'espère que le Sénat dans son ensemble y réagira rapidement, car je ne crois pas que ce Comité pourrait faire beaucoup sans une réaction rapide du Comité de l'éthique.

Quelles sont quelques-unes des mesures que pourrait recommander le Comité? Regardons mon deuxième point : Restrictions législatives volontaires.

Pour exercer plus efficacement ses fonctions constitutionnelles, le Sénat devrait imposer lui-même des limites à l'exercice de ses pouvoirs constitutionnels. Comme vous le savez, en droit constitutionnel, le Sénat dispose pratiquement des mêmes pouvoirs que la Chambre des communes, sauf qu'il ne peut pas présenter de projet de loi de finances.

J'appuie l'adoption d'un « veto suspensif » inspiré du modèle qui existe à la Chambre des lords du Parlement du Royaume-Uni et, pour le Sénat, qui s'applique en vertu de l'article 47 de la Loi constitutionnelle de 1982 sur les modifications constitutionnelles. Je suis d'avis qu'en balisant ses propres pouvoirs, le Sénat sera en mesure d'exercer plus efficacement son rôle constitutionnel de chambre de second examen objectif.

Le professeur Andrew Heard, de l'Université Simon Fraser, a fait valoir qu'en limitant lui-même ses pouvoirs, le Sénat pourrait, paradoxalement, devenir plus dynamique et plus efficace.

Un veto suspensif fixerait une limite raisonnable à la période de temps pendant laquelle le Sénat peut retarder l'adoption d'un projet de loi de la Chambre. Le Sénat perdrait son droit de veto absolu, mais acquerrait probablement le pouvoir d'influencer plus souvent le libellé des projets de loi de la Chambre.

Mon troisième point est que le Sénat devrait mieux affirmer ses pouvoirs pour analyser et scinder les projets de loi omnibus. Le comité a signalé le problème que présentent les projets de loi omnibus dans son rapport d'octobre 2016. Inutile pour moi de répéter les problèmes signalés par le comité à la page 27 du rapport concernant les projets de loi omnibus.

J'appuie sans réserve les recommandations du comité, qui invitait le Sénat à affirmer plus fermement ses pouvoirs afin d'étudier plus efficacement les projets de loi omnibus. J'ai été surpris et déçu de voir que le Comité du règlement n'a pas suivi la recommandation de votre comité. À mon avis, cela soulève deux possibilités : soit, comme le croit le Comité du règlement, le Sénat possède déjà suffisamment de pouvoirs, mais ne s'en est pas servi au cours des 15 dernières années, soit le Comité du règlement fait erreur et le Sénat n'a pas les outils nécessaires pour intervenir plus rigoureusement dans le cas de projets de loi omnibus.

Peu importe, cela témoigne d'un manque de volonté politique et d'un défaut d'agir dans de l'intérêt public pour restreindre sans doute les pires violations du processus démocratique à la chambre basse.

Enfin, quatrièmement, le Sénat devrait examiner attentivement les projets de loi d'initiative parlementaire dans le cadre de son rôle de protecteur des minorités et défenseur de la primauté du droit. Les projets de loi d'initiative parlementaire ne sont pas assujettis au rigoureux processus d'examen, d'approbation, d'analyse des risques, d'analyse d'impacts réglementaires, d'analyse réglementaire et d'analyse constitutionnelle dont font l'objet les projets de loi d'initiative ministérielle.

La Déclaration canadienne des droits oblige le ministre de la Justice à examiner chaque projet de loi d'initiative ministérielle pour déterminer si l'une ou l'autre de ses dispositions est incompatible avec les fins et dispositions de la Déclaration canadienne des droits et pour signaler toute incompatibilité à la Chambre des communes. La Loi sur le ministère de la Justice impose une obligation semblable au ministre en ce qui concerne l'examen de tous les projets de loi d'initiative ministérielle pouvant présenter des incompatibilités avec la Charte canadienne des droits et libertés. Les projets de loi d'initiative parlementaire sont soustraits à cet examen.

Le Sénat devrait donc assujettir les projets de loi d'initiative parlementaire à un examen plus poussé pour vérifier leur conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés et la Déclaration canadienne des droits, pour bien jouer son rôle de protecteur des minorités et de défenseur de la primauté du droit. Les projets de loi d'initiative parlementaire devraient être à l'abri de tout droit de veto suspensif exercé par le Sénat. Car ils ne font pas l'objet du processus de contrôle auquel les projets de loi d'initiative ministérielle sont assujettis.

Cette exemption devrait également empêcher toute tentative gouvernementale visant à contourner les exigences de la Déclaration canadienne des droits et de la Loi sur le ministère de la Justice par l'appui de mesures controversées contenues dans des projets de loi d'initiative parlementaire.

John Whyte, agrégé supérieur de recherche en politique, Institut de politiques publiques de la Saskatchewan, à titre personnel : Tout comme M. Dodek, j'aimerais d'abord souligner que c'est un grand honneur pour moi d'être invité à témoigner devant ce comité important. Il s'agit sincèrement d'un privilège de pouvoir parler à la moitié de l'organe législatif du pays, ou au tiers, si l'on tient compte du GG. C'est merveilleux d'avoir été invité et de voir que le comité souhaite examiner s'il est possible d'améliorer le travail législatif au pays. Les opinions diffèrent quant aux idéaux d'un bon État, surtout ceux ayant toujours dicté la gouvernance du Canada. L'organe législatif joue un rôle central dans l'atteinte d'un bon État, un phénomène politique de plus en plus rare dans le monde.

J'aimerais d'abord parler des origines du Sénat. L'idée du Sénat a d'abord été abordée à Charlottetown, au Québec, et à Westminster dans le cadre de discussions sur le pouvoir législatif. Même si le Canada n'a pas profité des idées des grands théoriciens de l'art de gouverner qu'étaient Alexander Hamilton, John Jay Madisson ou Jefferson, il a profité de celles de grands lecteurs qui ont lu les ouvrages de John Locke et John Stuart Mill, notamment, des ouvrages sur le bien-fondé de la salle de l'assemblée législative.

À vrai dire, selon Mill, une seconde salle d'assemblée législative n'était pas nécessaire. Il disait qu'il n'était pas vraiment nécessaire d'ajouter à tout organe législatif digne de ce nom qui examine, puis réexamine et réexamine. Mill s'opposait également à l'idée d'un autre organe législatif démocratique constitué de manière semblable où les mêmes intérêts seraient défendus et qui serait assujetti aux mêmes pressions et aux mêmes tentations de corruption. Il voulait un organe différent, mais pas d'un organe de second examen; il parlait plutôt d'un organe qui ferait un examen différent. Il voulait un organe constitué de personnes ayant un certain statut.

C'est un terme explosif, je le sais. Le statut se bâtit dans la société, par la manipulation, et est axé sur la classe sociale. Il faut donc faire attention. Tout au long de ses conférences, Mill demandait à ses lecteurs d'aborder la question. Je vais maintenant lire mon exposé.

L'examen du cas de Mill relativement à une Chambre législative nommée n'a pas pour objectif d'insister sur le fait qu'une Chambre haute nommée est une source indispensable de jugement législatif ni qu'un tel organisme présente une sagesse supérieure, mais seulement de faire valoir que, compte tenu de la structure dont nous avons hérité, nous devrions cesser de ne voir que des objections à cette façon de faire et reconnaître les avantages décisionnels que les membres d'une Chambre nommée pourraient apporter, à savoir l'expérience, la sagesse de la vie, la pensée impartiale et l'indépendance du processus décisionnel.

Il est peu probable que les fondateurs du Canada aient vraiment pensé que le Sénat pourrait un jour revendiquer davantage de légitimité, de suprématie ou d'autorité dans le processus législatif canadien. Toutefois, il semble probable qu'ils espéraient qu'il serait amélioré par l'indépendance et l'expérience de ses membres afin que ceux-ci puissent agir progressivement et prudemment, et exercer un contrôle salutaire du zèle des majorités élues de façon démocratique. Soit dit en passant, l'adverbe « progressivement » est un mot important dans le texte de Mill. Il s'agit du bon mot, mais il n'est pas aussi effrayant que l'on pourrait le croire.

La question fondamentale est la suivante : quels aspects de la vertu, des opinions éclairées, de la représentativité et de la légitimité le Sénat devrait-il apporter au processus législatif canadien, ainsi qu'au processus visant à tenir responsable l'administration gouvernementale? La réponse n'est ni le renforcement de la loyauté des partis politiques ni le fait de fournir un processus qui soit l'apanage des élites. Sa meilleure fonction doit certainement être, comme c'était le cas au moment de sa création, de présenter des jugements nuancés différemment, reposant sur l'expérience du public et le savoir social, au Parlement dans le cadre de son rôle d'adoption de lois.

Mill a eu cette idée au XIXe siècle : des membres du public, des universitaires, croyez-le ou non, et, peut-être, d'anciens ministres. L'idée n'était pas aussi générale que l'on pourrait le croire aujourd'hui, mais elle s'appuyait sur l'expérience acquise en matière de gouvernance et d'intervention et sur les dangers associés à la précipitation, à la passion, à la facilité et à la non-complexité pour pousser la Chambre des communes à bien réfléchir à la façon de réglementer une société, d'abord, et à comprendre ce qui ne va pas dans la société actuelle et à apporter les ajustements qui s'imposent.

En lisant le document, il ne fait aucun doute — et Janet Ajzenstat et un jeune universitaire en science politique de l'UBC en ont rendu compte — que les créateurs de la Constitution ont été influencés par cette idée. Je ne crois pas que l'on fait erreur en parlant de la chambre de second examen objectif, mais ce n'est pas le terme employé par Mill. Il parlait plutôt d'expérience, d'équilibre et de jugement.

Il a aussi dit au sujet du Sénat qu'il le voyait, pour utiliser de nouveau le mot progressiste, comme inclusif et comme une manière d'inclure les gens dans le processus législatif qui ne sont pas inclus par les élections. Il voyait le Sénat comme représentatif et comme une manière de tenir compte des intérêts qui ne sont pas bien représentés à la Chambre des communes. Il voyait le Sénat comme démocratique et libéral, parce que cela pouvait faire office de contrepoids à la tyrannie toujours possible d'un régime majoritaire; c'est vrai non seulement à Istanbul, mais aussi vraiment partout. Je ne sais pas pourquoi je viens de parler d'Istanbul; j'essaie seulement d'éviter de parler de Washington. Il s'agit d'une force légitime qui tire sa puissance de ses connaissances et de sa sagesse. Soit dit en passant, des sources laissent entendre que c'est exactement ce que voulaient Macdonald et Cartier. Ils voulaient que le Sénat ait son propre mandat.

Je remarque dans votre premier rapport que vous parlez énormément de la représentation des régions. Ce n'est pas exactement ce qui ressort de ce bilan. Le 24-24-24 équivaut à s'inquiéter de l'endroit d'où proviennent les juges de la Cour suprême. Vous n'avez pas l'impression de faire partie intégrante du pays ou de ses processus centraux lorsque votre région ne semble pas être admissible à occuper un poste ou le pouvoir. Cependant, cela ne signifie pas pour autant que le Sénat est un instrument du fédéralisme intra-État. Je mentionne au passage que cette idée est très peu probable. Les provinces détesteraient cette idée. À tout le moins, les premiers ministres provinciaux la détesteraient, et je vais en rester là.

Je répète que je ne pense pas que c'est faux de dire que la représentation confère une certaine légitimité au Sénat. Je ne crois pas que c'est faux de parler de la sagesse que cette origine apporte au processus législatif. Je ne crois pas que ces deux éléments soient faux, mais il ne s'agissait pas traditionnellement d'un aspect important. Ce ne l'était pas parce que Macdonald et Cartier ne voulaient pas d'un Sénat avec une véritable légitimité fondée sur un fédéralisme intra-État.

Pourquoi ne voulaient-ils pas d'une légitimité fondée sur un fédéralisme intra-État? C'était parce qu'ils n'étaient pas réellement des fédéralistes purs et durs. Ils ne voulaient pas que la Chambre des communes et le Parlement du Canada se sentent restreints par leur origine.

Qu'est-ce que cela a à avoir avec la situation actuelle? Je viens d'arriver là où Adam avait débuté de manière beaucoup plus efficace. Les nominations sont importantes. Si nous prêtions attention aux propos de Mill, nous redoublerions d'efforts relativement aux nominations. Nous essaierions d'obtenir un tel équilibre, une telle expérience, une telle sagesse éprouvée, une telle représentativité, une telle inclusion, un tel dévouement à l'égard des libertés civiles et des droits et une telle inclusion pour endiguer les ravages des impulsions despotiques présentes chez les législateurs et pratiquement tout le monde, et nous chercherions des dirigeants de cette trempe.

Peut-être que nous le faisons; peut-être que c'est le cas. Cependant, qu'est-ce qui a mal tourné avec l'idée de Mill? Nous avons eu trop de nominations partisanes. Lorsque les nominations sont partisanes, la joute politique s'invite au Sénat. Le rôle le moins utile pour un sénateur est de servir de paravent pour l'un des partis politiques nationaux. Lorsque le Sénat devient l'endroit utilisé pour gagner des points plutôt insignifiants contre le parti au pouvoir ou les partis d'opposition, les Canadiens remettent rapidement en question la valeur du Sénat.

Les nominations sont importantes. Mon collègue Adam a dit que les nominations sont importantes, mais l'important est ce que les sénateurs font du Sénat. Je crois que c'est juste; il est question de ce que nous devons faire.

J'aimerais très rapidement traiter d'autres éléments. J'ai pris le temps de rédiger un petit quelque chose qui n'a pas été distribué aux membres du comité, mais qui a été remis aux interprètes. Cela porte sur le recours aux caucus plutôt qu'aux partis et son importance pour le Sénat. Selon moi, je crois qu'il est faux de penser que les partis ne sont pas présents au Sénat. Tout premier ministre pourra revenir à la méthode d'avant Justin Trudeau. Je ne suis pas convaincu que nous réviserons la Constitution pour modifier le processus de nomination, mais nous verrons bien. Rien n'est coulé dans le béton. Même si des premiers ministres revenaient à l'ancienne méthode, cela ne veut pas pour autant dire qu'ils feront fi des idées de Mill, mais ils sauront tout de même ceux qui sont leurs alliés. Il se trouve que c'est instinctif chez les humains.

Je ne propose pas que les caucus remplacent tous les partis ou qu'il y ait des caucus des partis; je dis plutôt qu'un caucus devrait avoir 12 sénateurs. Vous dites 9; je dis 12 pour deux raisons. Nous voulons encourager fortement les gens à se regrouper plutôt qu'à s'isoler. La fragmentation est une mauvaise chose pour un organisme législatif ou politique. Une sorte de structure idéologique est conseillée, et un caucus de 12 sénateurs réduit le nombre de caucus à 8, 7 ou 6, selon leur grosseur.

Il devient ensuite possible de les gérer parce qu'il peut y avoir un petit comité de gestion. Vous ne voulez pas d'un comité de gestion auquel siègent un grand nombre de personnes. Je dirais que huit membres, ce serait probablement bien assez. Un comité de gestion est nécessaire en raison des attributions, comme vous le savez et comme vous l'avez également rappelé dans votre premier rapport. Je propose un nombre plus élevé.

Par ailleurs, l'un des aspects intéressants de la démocratie est d'arriver à un terrain d'entente. En politique, il ne vient pas naturellement aux politiciens de trouver un terrain d'entente, à moins d'y être incités. Il y a des caucus, et les caucus sont financés. Ils sont pratiquement inefficaces s'il n'y a pas de membres. C'est également une bonne idée d'encourager les gens à faire partie du meilleur caucus pour eux, mais ce groupe n'a pas besoin de correspondre parfaitement à leurs intérêts; les sénateurs ont tout simplement besoin de trouver un endroit où ils sont parfois écoutés.

J'aime l'idée de toujours inciter les politiciens à la conciliation entre eux et entre les caucus; voilà pourquoi j'aime l'idée d'avoir des caucus plus gros. Je sais que vous avez écrit neuf et que c'est peut-être maintenant coulé dans le béton, mais c'est une bonne chose d'avoir un grand caucus.

J'aimerais également traiter de ce que le Sénat devrait faire. Il y a deux éléments, et j'aimerais commencer par l'aspect le plus irresponsable, pour le dire ainsi. Le Sénat devrait se charger de la réforme constitutionnelle. Je sais que vous n'êtes que l'un des 11 et que ce n'est pas vraiment le nombre réel de toute façon. Nous avons les peuples autochtones, et la réalité de leur consentement est incertaine. C'est certes le cas maintenant, si ce ne l'est pas par écrit. Le Sénat devrait commencer par la deuxième Chambre haute.

Vous avez déjà dit dans votre rapport qu'il était essentiel d'abroger la qualification des sénateurs en matière de propriété. C'était un élément agaçant lors des nominations faites par Trudeau. Je connais des gens qui ont acheté une maison. Ils ne sont pas au Sénat. Je peux vous en parler parce que ce ne sont pas vos collègues. Ils ont acheté une maison, mais ils n'ont pas été nommés au Sénat. Dans un cas en particulier, cette situation a eu de graves conséquences.

Cela fait partie de la perception que le Sénat est l'apanage de l'élite. La disposition de la Constitution qui permet au premier ministre de nommer des sénateurs surnuméraires met en évidence que le Sénat existe seulement pour être manipulé et utilisé en vue d'en tirer un avantage politique. Cela vise uniquement à rendre plus facilement accessible au Sénat le programme du gouvernement aux fins de manipulation. Cela envoie tout simplement un message négatif.

La durée des mandats devrait être limitée. Je pense à 12 ans. Proposez-vous 9 ans de votre côté? La limite de 9 ans pour les mandats des sénateurs faisait partie de la réforme de 2006 de Harper. La seule raison pour laquelle je propose 12 ans plutôt que 9 ans, c'est que ce n'est pas renouvelable. Si nous limitons les mandats à 9 ans, vous perdez une grande partie de vos réseaux et de vos liens et une longue période de votre vie. Voilà pourquoi la limite de 75 ans est bonne. Je sais que des gens qui arrivent à 75 ans ont envie de reprendre leur vie. Cela ne sonne pas le glas de votre vie, mais plus vous restez longtemps au Sénat et moins grand est le prix à payer pour être ici et retourner ensuite à votre ancienne vie. Je crois qu'avec 12 ans nous avons une sorte de compromis en la matière. Neuf ans, c'est suffisant long pour ne pas vraiment pouvoir revenir à ce que vous faisiez avant, mais vous êtes probablement trop jeune pour vous dire : « Je ne peux plus faire quoi que ce soit. » C'est un point plutôt technique.

Je recommandais également dans mon rapport un veto suspensif. Le problème évident avec un veto suspensif est que le Sénat deviendra si actif, si puissant et si visible que cela soulèvera encore la question de sa légitimité. La timidité et la retenue ont grandement permis au Sénat de passer inaperçu. Avec un veto suspensif, une partie de ce qui incite à la timidité et à la retenue volera en éclat et deviendra visible. Que cela puisse être renversé aura peut-être une incidence sur le programme, s'il y en a un. L'avantage d'un veto suspensif est que cela ouvre la porte à la conciliation, qui est une grande pratique démocratique. C'est l'aspect intéressant d'un veto suspensif; ce n'est pas vraiment la solution à la question de la légitimité, mais cela force la Chambre des communes et le Sénat à trouver un terrain d'entente dans le cas de projets de loi au sujet desquels la Chambre haute exprime des réserves.

Le dernier point dont j'aimerais brièvement parler est le rôle du Sénat en matière de politiques. Je sais que le Canada compte de nombreux centres de décision et ministères chargés de l'établissement de politiques au gouvernement, mais l'orientation au pays réside dans les programmes du gouvernement et des centres de décision. Nous n'avons pas au pays une forte tradition en la matière qui vise à écouter, à poser des questions et à réfléchir à des réponses novatrices.

Le Sénat peut offrir au Canada une vaste gamme de services divers et enrichissants relativement aux politiques et faire preuve d'une plus grande ouverture d'esprit que d'autres. Je ne sais pas à quel point c'est raisonnable, mais je crois qu'il devrait y avoir des comités des politiques. Lorsque les sénateurs sont nommés, ils expriment leur préférence et sont affectés au comité pertinent en temps opportun. Ils examinent les politiques en matière de justice, les droits et même des éléments visés par l'article 92.

Ils se penchent sur des aspects comme la santé. Je sais que tout le monde pense à la santé, mais vous comprendriez l'ampleur des réformes encore nécessaires en santé au pays si vous aviez écouté ce matin les discussions sur la santé à l'émission The Current. Nous devons lutter contre les changements climatiques parce que cela concerne les gens et que le Sénat peut donner une voix à ceux qui n'ont pas l'impression de participer à l'élaboration des politiques.

Qui plus est, le Sénat devait commencer à élaborer une politique sur les blessures de l'être humain qui sont omniprésentes, comme la pauvreté, la maladie mentale, la formation insuffisante, les dossiers criminels, et cetera. C'est un aspect de la vie canadienne qui nous coûtera plus cher que tout ce que nous possédons.

Le Sénat devrait adopter un ambitieux programme pour examiner les politiques, écouter les suggestions et formuler des recommandations.

Le président : Je vous remercie tous les deux énormément de vos exposés très intéressants. Pour attester ce fait, j'ai une longue liste d'intervenants. Nous commencerons comme toujours par le vice-président, le sénateur Joyal, et la parole sera ensuite à l'autre membre du comité de direction, la sénatrice McCoy.

Le sénateur Joyal : Bienvenue, messieurs Dodek et Whyte. J'aimerais me concentrer sur vos suggestions concernant le pouvoir du Sénat. Monsieur Whyte, vous proposez un veto suspensif, tout en nous mettant en garde contre les impulsions despotiques de la majorité, et M. Dodek a parlé de la tyrannie d'un régime majoritaire. Vous avez également fait allusion à la Charte des droits et libertés et à la Déclaration canadienne des droits relativement aux projets de loi d'initiative parlementaire.

Je suis d'avis que le Parlement canadien a une responsabilité particulière à l'égard de la Charte étant donné qu'il s'agit d'une démocratie parlementaire. Nous ne pouvons pas faire confiance à 100 p. 100 à la ministre de la Justice lorsqu'elle affirme qu'un projet de loi est casher, si vous me permettez l'expression, sénateur Gold, ou qu'un projet de loi respecte bel et bien la Charte étant donné que le ministère de la Justice ne publie jamais son avis juridique sur la conformité d'un projet de loi à la Charte. La ministre affirme tout simplement : « Oh, selon l'avis que j'ai reçu, le projet de loi est conforme à la Charte. Certains avocats défendent le projet de loi, et d'autres s'y opposent, mais je crois que le projet de loi est conforme à la Charte. Dans le cas contraire, les tribunaux finiront bien par nous le dire un jour. »

Par exemple, si les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles concluent majoritairement qu'un projet de loi viole les droits d'une minorité ou contrevient à la Charte, j'estime que c'est le rôle du Sénat de s'opposer à ce projet de loi ou, du moins, à ces articles du projet de loi et de l'amender ou de surseoir aux articles en question jusqu'à ce que les tribunaux canadiens se prononcent à cet égard. Je ne suis pas un ardent partisan du veto suspensif sans réserve. Voilà mon premier point.

Deuxièmement, le veto suspensif équivaut à se prévaloir du droit de grève. Si vous n'avez pas le droit de grève, vous pouvez négocier aussi longtemps que vous le voulez, mais l'une ou l'autre des parties à la négociation aura tôt ou tard le dernier mot, et c'est la partie qui aura le plus de pouvoir qui l'aura. Si vous voulez négocier avec la Chambre des communes en vue d'apporter certains amendements, vous devez pouvoir déclencher une grève, c'est-à-dire voter contre le projet de loi.

Je ne pense pas que le Sénat devrait opposer son veto à tout projet de loi. Par le passé, le Sénat a opposé son veto à des projets de loi sur diverses questions pour des raisons très claires. Je regarde du côté de mon collègue, le sénateur Tkachuk. Lorsque le Sénat a opposé son veto au projet de loi sur l'aéroport Pearson qui enlevait aux parties au contrat le droit d'intenter des poursuites contre le gouvernement pour recevoir une indemnisation, à mon avis, le Sénat a bien fait d'opposer son veto à ce projet de loi, et le gouvernement a fini par accepter la proposition du Sénat.

Il s'agit d'une situation exceptionnelle, mais cette possibilité devrait tout de même exister étant donné que nous vivons dans une démocratie parlementaire et que les droits des citoyens sont importants. Nous ne pouvons pas être à la merci des impulsions despotiques de la majorité, comme vous le dites, ou des impulsions partisanes et despotiques à des fins électorales de l'autre endroit; autrement, la tyrannie du gouvernement majoritaire élu l'emportera toujours. Ce n'est pas l'esprit de la Charte, et l'esprit de la Charte a modifié le fonctionnement de l'institution parlementaire.

Voilà ce que je pense de votre approche et de votre proposition d'un veto suspensif. Selon moi, un veto suspensif est seulement efficace si vous pouvez dire non. Si vous n'avez pas le pouvoir de dire non, pouvoir que vous utilisez avec parcimonie et sagesse, je crois que vous n'êtes rien d'autre pour le gouvernement que deux mois de plus avant l'entrée en vigueur du projet de loi. Le gouvernement à l'autre endroit respecte des échéanciers stricts. Il dit : « Oh, le projet de loi doit être envoyé au Sénat. Combien de temps son examen par le Sénat prendra-t-il? Eh bien, trois mois, tout au plus. Merci. Bonjour. Dans trois mois, le projet de loi entrera en vigueur. »

Je crois qu'un veto suspensif peut être une option intéressante, mais je ne suis pas convaincu que ce soit l'utilisation la plus judicieuse du pouvoir du Sénat compte tenu du système dans lequel nous travaillons.

M. Whyte : Vous avez mentionné le projet de loi sur l'aéroport Pearson. Mon exemple préféré est la Loi sur les profits découlant de la notoriété en matière criminelle; la Chambre des communes avait adopté le projet de loi avant d'en saisir le Sénat. Vous avez entendu des points de vue. Vous avez en fait entendu le point de vue d'un avocat de la Saskatchewan qui a plus tard défendu la validité de la loi saskatchewanaise contre Colin Thatcher dont les fondements étaient discutables, pour le dire ainsi. J'imagine que j'essaie ici de me protéger contre une plainte pour diffamation.

Le sénateur Joyal : Ce que vous dites est protégé par le privilège parlementaire; vous n'avez pas à vous inquiéter à ce sujet. Vous pouvez parler sans crainte d'être poursuivi.

M. Whyte : Quoi qu'il en soit, le Sénat a reçu son conseil et d'autres conseils et il a décidé de ne pas agir, parce qu'il pensait que cela allait à l'encontre de la liberté de parole, ce qui était le cas. C'était un autre grand moment et la loi n'est jamais allée de l'avant.

Ce qu'il faut cependant jauger, c'est à quel point le Sénat sera gênant ou importun. Dans quelle mesure la Chambre des communes suppliera-t-elle d'être débarrassée de la voix dérangeante du Sénat et des problèmes que le Sénat met en évidence? La Chambre basse est-elle disposée à faire son bout de chemin? Est-elle disposée à être conciliante au sujet des problèmes cernés par le Sénat? Est-ce une bonne chose pour le Canada que les lois mises de l'avant par la Chambre des communes soient ultimement adoptées par elle, mais seulement après avoir été améliorées par un Sénat qui défend ses principes?

Je rêve peut-être en couleur, mais votre version en noir et blanc est moins attrayante que la mienne, c'est-à-dire qu'elle reprend les propos de la Chambre des communes : « Eh bien, attendons trois mois jusqu'à ce qu'ils disparaissent et nous irons de l'avant à ce moment-là. »

Oui, c'est un problème. Je n'ai pas de solution à proposer. Comme nous le savons, nous faisons des suppositions sur les impératifs qui accompagnent le pouvoir. Comme nous avons vu certains gouvernements aller trop loin avec le pouvoir qu'ils avaient à la Chambre des communes, votre prédiction au sujet de la Chambre vaut son pesant d'or et elle pourrait susciter des préoccupations et une volonté d'en brider la teneur.

M. Dodek : Je vais essayer de répondre rapidement afin de pouvoir passer aux points sur lesquels nous sommes tout à fait d'accord. Je conviens que la Charte des droits et libertés a transformé l'environnement parlementaire, mais peut- être pas autant qu'elle aurait dû. Je conviens que le fait qu'un ministre de la Justice garantisse qu'un projet de loi émanant du gouvernement est conforme à la Charte et à la Déclaration canadienne des droits ne veut pas nécessairement dire grand-chose étant donné l'interprétation que tous les ministres de la Justice et tous les procureurs généraux du pays ont donnée à l'article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice depuis l'entrée en vigueur de la Charte en 1982.

Ils en ont fait une interprétation si minimaliste que le processus n'a pratiquement plus de signification. Malheureusement, la Chambre des communes a mis cela en veilleuse et elle s'est abstenue de mettre en place un mécanisme indépendant qui aurait pour fonction de se prononcer sur la constitutionnalité des projets de loi émanant du gouvernement ou de tout autre projet de loi présenté à la Chambre. Cet état de fait donne une occasion au Sénat de mettre en place un mécanisme qui viendrait fortifier le Comité sénatorial de la justice et qui permettrait à la Chambre haute d'observer de plus près la constitutionnalité des projets de loi qui lui sont confiés.

En ce qui concerne le veto suspensif, nous ne voyons évidemment pas les choses de la même façon. Je crois que le Sénat ne renoncerait pas à grand-chose en imposant une restriction sur la limite de temps dont il dispose pour retarder un projet de loi ou y opposer son veto. Il est arrivé à quelques reprises que le Sénat exerce son droit d'imposer son veto à un projet de loi de la Chambre des communes. Je crois que chacune de ces occasions crée une possibilité de conflit de légitimité entre les deus Chambres. Selon, moi, cela pourrait permettre d'améliorer l'efficacité du Sénat et sa légitimité à disposer du veto suspensif.

La sénatrice McCoy : Je ne sais pas par où commencer. Tout d'abord, je vous remercie de votre présence. Les perspectives que vous apportez sont très intéressantes. J'hésite à aborder le sujet du veto suspensif sans parler de la ribambelle de conventions parlementaires dont nous disposons et dont nous nous sommes servis régulièrement depuis 150 ans. Je ne vais pas m'aventurer de ce côté, mais j'aimerais toutefois parler des idées que Mill a lancées concernant la possibilité d'exercer un contrôle démocratique sur la tyrannie de la majorité. J'aimerais toutefois en parler dans un contexte légèrement différent. En effet, je ne ferai pas référence à la tyrannie de la majorité que pourrait imposer la Chambre des communes, mais plutôt à celle que pourrait imposer un groupe particulier au sein du Sénat.

Je trouve intéressant que nos observateurs des milieux universitaires ne se soient pas creusé les méninges à ce sujet, même si vous, monsieur Whyte, semblez souscrire à l'idée d'avoir plus de deux caucus au Sénat. Pourriez-vous nous en dire un peu plus long à ce sujet, nous dire pourquoi nous devrions en avoir au moins trois et pourquoi nous devrions veiller à ce qu'aucun d'eux n'ait la majorité absolue? À certains égards, cela pourrait avoir un effet atténuant sur la tyrannie de la majorité. En outre, cette répartition aurait un effet stimulant sur les discussions et, peut-être, sur les négociations. On encouragerait en cela l'attitude de conciliation dont vous vantez les mérites en affirmant qu'il s'agit d'une attitude très saine à avoir pour les politiciens. Enfin, cela permettrait à une plus grande diversité d'opinions de se faire entendre au sein même de la Chambre haute.

M. Whyte : Lorsque j'utilise le terme « caucus », je me fais l'idée de gens qui viennent au Sénat avec une sorte de mission. Il pourrait s'agir de l'autodétermination et de la modernisation sur le plan constitutionnel. « Je vais siéger au Sénat. Je vais voir s'il est possible de faire en sorte que la structure des gouvernements canadiens soit un peu mieux en mesure de s'adapter à la nature changeante de la politique, des partis et de la démocratie dans le monde. » D'autres diront plutôt : « Je veux absolument faire partie d'un caucus qui cherchera à remettre les valeurs de la social- démocratie à l'ordre du jour, peut-être pas dans une forme virulente, mais, à tout le moins, dans une forme qui défendra la propriété publique et les services publics. Voilà comment je compte orienter mon travail au Sénat. » D'autres tiendront ce discours : « Je veux axer mon travail sur la place qu'occupe le Canada sur la scène internationale. La planète a besoin de l'aide du Canada. Nous devrions essayer de trouver comment nous pourrons offrir cette aide sans y laisser nos vies et sans pêcher par inefficacité. »

Il y aurait aussi des caucus libéraux, néo-démocrates, conservateurs et verts. Un caucus vert serait particulièrement nécessaire; il nous faut un caucus pour dire que nous allons mourir si nous ne faisons rien. Il aurait été bon que quelqu'un martèle cette idée. Lorsque les gens arrivent au Sénat, ce serait une bonne chose s'ils y trouvaient un groupe de gens qui font autre chose, qui font tout ce qu'ils sont censés faire, mais qui s'efforcent aussi d'être présents concrètement pour discuter d'enjeux qui n'obtiennent pas toute la reconnaissance officielle qu'ils devraient obtenir, comme c'est le cas pour l'environnement et la santé mentale.

Il y a trop d'enjeux pour avoir un caucus pour chacun d'eux. Il faut trouver une façon de conceptualiser cette dynamique. Je crois que les sénateurs devraient se joindre à des groupes afin d'avoir une voix qui porte. Le fait d'être 10 au sein d'un groupe — c'est un exemple — serait suffisant pour qu'on puisse compter sur eux pour défendre un point de vue donné, tant pour l'élaboration des politiques que pour les approbations législatives. Je ne sais pas si cela vous éclaire, mais j'estime que les caucus devraient stimuler les débats stratégiques au Sénat et permettre aux membres de s'ouvrir aux politiques.

La sénatrice McCoy : Très bien. Je vois où vous voulez en venir. Je vous ferai peut-être valoir mon point de vue « hors ligne », car je crois qu'il faudrait qu'un plus grand nombre de nos intellectuels discutent des différents types d'abus de pouvoir qui peuvent exister et des façons de nous en prémunir.

Je suis tout à fait ravie de vous entendre parler du rôle stratégique. Or, je vais peut-être avoir l'air de me vanter, mais je vais le dire quand même. J'ai eu la même idée que vous lorsque je suis arrivée ici. J'ai d'ailleurs consacré une section complète de mon site web à cela — la section s'appelle « Brains Trust » —, car je suis convaincue que le Sénat a joué exactement ce rôle pour le Canada au cours de son histoire. Pour la suite des choses, il nous faudra discuter et proposer des solutions aux graves problèmes auxquels le Canada devra faire face au cours du XXIe siècle. Je suis tout à fait d'accord avec vous à cet égard.

M. Whyte : Je sais que le Sénat est actif sur le plan des politiques. Je sais qu'il a des comités et que ces comités font un travail considérable à cet égard. Je ne prétends pas avoir trouvé quelque nouvelle fonction pour le Sénat. J'essaie d'étendre son champ d'action. Ce qui m'inquiète, c'est que les politiques sont trop assujetties au programme du gouvernement. Bien souvent, les besoins stratégiques d'une nation existent à l'extérieur du programme du gouvernement. Dans cette optique, le Sénat pourrait être appelé à signaler les lacunes dans l'idée que nous nous faisons des défis à relever.

La sénatrice McCoy : C'est exact. C'est ce que nous devrions faire.

M. Dodek : Je crains les efforts déployés pour bouter la politique hors du Sénat ou pour sortir la politique de ce qui est, de façon inhérente, une institution politique. Je ne suis pas de ceux qui disent que les partis politiques ou le fait d'appartenir à un parti politique sont une mauvaise chose, et que nous devrions sortir les partis politiques du Sénat.

La tyrannie de la majorité peut s'exercer par association avec des partis politiques. Elle peut aussi s'exercer par l'association de caucus. Plus les réformes tendent à créer une institution peuplée d'indépendants, plus ces indépendants se font dire que cette institution est indépendante, plus la tension monte quant au rôle constitutionnel du Sénat en tant que Chambre législative complémentaire. L'idée de dépolitiser le Sénat est à mon sens très problématique.

La sénatrice McCoy : Si vous me le permettez, je tiens à préciser que je ne parlais pas des partis politiques. Les gens qui sont autour de cette table sont fatigués de m'entendre dire que je suis très favorable aux partis politiques. Cela fait partie de ce qui m'a formée. Je voulais parler du nombre de caucus ou du nombre de groupes parlementaires attachés à telle ou telle idée. Si je vous ai induit en erreur, je m'en excuse, car je ne cherchais absolument pas à aller dans cette direction.

Le sénateur Eggleton : Je vais saisir la balle au bond pour vous demander si vous croyez qu'il devrait y avoir un caucus qui s'appellerait « opposition officielle ». Il n'y a plus de caucus du gouvernement. Nous avons un représentant du gouvernement. Il serait intéressant de connaître votre point de vue à ce sujet.

Cependant, la grande question sur laquelle je voulais vous entendre, c'est celle du veto suspensif. J'aurais tendance à être du même avis que le sénateur Joyal à cet égard, et j'aimerais savoir ce que vous penseriez d'utiliser une alternative au veto suspensif. Avec le veto suspensif, je crois que la Chambre pourrait laisser tourner l'horloge et ne pas prêter attention à ce qui pourrait être de très bons amendements en provenance du Sénat.

Au cours de la dernière année, nous avons traité de deux mesures législatives qui pourraient peut-être illustrer mon propos. Il y a un an, nous avons été saisis du projet de loi sur l'aide médicale à mourir. Nous avons proposé plusieurs amendements. La Chambre des communes en a retenu quelques-uns, mais certains des plus importants ont été rejetés, notamment ceux qui s'accordaient avec notre point de vue quant aux aspects constitutionnels et à la décision de la Cour suprême. La Chambre est revenue avec une note de service nous informant qu'elle aimerait que nous acceptions certaines modifications mineures, mais pas les principaux amendements que nous avions demandés. Croyant peut-être que c'était son rôle « complémentaire » de le faire, le Sénat a acquiescé à cette demande et a donné son aval à l'adoption du projet de loi.

Il y a quelques mois, nous avons été saisis d'un autre projet de loi qui, cette fois, concernait la Gendarmerie royale du Canada, la GRC. Je ne me souviens pas de tous les aspects dudit projet de loi, mais je sais que cela avait à voir avec un syndicat. Nous avons trouvé ce projet de loi particulièrement bancal, alors nous y avons apporté de nombreux amendements, puis nous l'avons renvoyé à la Chambre. La Chambre n'a pas encore donné sa réponse. Je ne sais pas exactement de quoi cela dépend. Ils veulent peut-être se concentrer sur d'autres choses. Si nous avions eu un veto suspensif, nous arriverions à près de six mois de délai. Voyant cela, la Chambre aurait donc pu adopter le projet de loi sans égard pour tous les amendements que nous avons proposés.

Une meilleure solution ne serait-elle pas d'avoir une sorte de mécanisme de coordination, un peu comme un comité qui serait chargé de voir aux questions en suspens afin d'éviter un trop grand nombre d'allers-retours? Ce serait peut- être une meilleure solution qu'un veto suspensif. J'aimerais vous entendre là-dessus ainsi qu'au sujet d'un caucus de l'opposition officielle.

M. Dodek : Permettez-moi de vous parler des deux exemples que vous avez donnés. Tout d'abord, de mon point de vue d'observateur du processus parlementaire — processus que j'étudie et au sujet duquel j'écris —, la loi sur l'aide médicale à mourir est un exemple positif des deus Chambres qui s'écoutent l'une l'autre et qui travaillent ensemble. Ce serait merveilleux si tous les projets de loi recevaient le même traitement, mais ces exemples ne sont pas légion. Concernant le deuxième exemple que vous avez donné, celui sur la GRC, disons que les choses ne sont pas encore tout à fait claires.

Votre idée d'avoir un organe de coordination — que ce soit un comité mixte ou un comité permanent pour les deus Chambres — est une excellente proposition. Le fait de réunir des membres des deus Chambres sur un même comité enrichit le processus parlementaire et le processus démocratique, et c'est quelque chose qui devrait être encouragé.

En tant qu'universitaire, je crois que vous pourriez imaginer ce que cela aurait donné pour l'aide médicale à mourir. En fin de compte, les sénateurs ont choisi de se plier à la volonté démocratique de la Chambre des communes et à sa décision d'accepter certains amendements proposés par le Sénat, mais d'en rejeter d'autres. Certains sénateurs n'étaient pas d'accord avec cela.

Que serait-il arrivé si un nombre suffisant de sénateurs s'étaient tenus debout pour soutenir que le projet de loi était toujours boiteux? Que serait-il arrivé si, à cause de cela, le gouvernement avait manqué de temps pour se conformer à la décision de la Cour suprême?

Je crois que ce processus a fonctionné à cause du principe, à cause de la bonne volonté des intervenants et à cause de la communication entre les deus Chambres, tout cela avec le cautionnement et la participation du gouvernement. Je ne crois toutefois pas que cela pourra toujours se dérouler de cette façon.

M. Whyte : Pour ce qui est de la première question, ma réponse est oui, bien entendu. Il pourrait y avoir un caucus qui s'appellerait l'opposition officielle. C'est là toute la beauté des caucus. Les sénateurs peuvent se regrouper en fonction des intentions des différents caucus. Il n'y a rien d'établi. Je ne dis pas qu'il faut absolument qu'il y ait un caucus de l'opposition officielle, mais l'on pourrait croire qu'il y aurait souvent plus de raisons d'en avoir un que d'avoir un caucus du gouvernement. En démocratie, un caucus du gouvernement est en quelque sorte un besoin moins pressant qu'un caucus de l'opposition officielle parce que nous tenons à ce que l'opposition soit organisée et efficace. Du moins, c'est ce que j'espère. Oui, il y aura un caucus de l'opposition officielle, pour peu que les gens y souscrivent.

Dans ces situations, l'un des problèmes c'est que la Chambre des communes répond en fonction de ce qu'elle croit que la population pourra accepter. En fin de compte, je crois que les sénateurs vont réfléchir à cela, si ce n'est que pour réaliser qu'ils ne sont pas vraiment en mesure de jauger ce sentiment avec exactitude. Je suis certain que les sénateurs ne se disent pas : « Cette idée est à couper le souffle! » Je pense plutôt qu'ils diront qu'ils doivent aussi tenir compte de l'opinion publique.

La Chambre des communes a quelque chose en cours que vous n'avez pas. Je suis convaincu que c'est en marche. Cela voudrait dire que les sénateurs seraient disposés à faire des compromis si, dans un monde parfait ou dans un monde où l'équilibre serait mieux compris, les choses ne devaient pas se passer comme prévu. C'est très démocratique lorsque les sénateurs se plient à l'idée de la Chambre des communes selon laquelle il y aurait trop d'opposition pour aller aussi loin à propos des syndicats ou de l'aide à mourir.

Les choses se compliquent. On pourrait se demander s'il n'y aurait pas lieu de créer une obligation. Une fois que le Sénat a officiellement informé la Chambre des communes qu'il n'adoptera pas le projet de loi tel que présenté, il pourrait y avoir une règle parlementaire pour que soit constitué un comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat qui serait chargé de discuter des différences entre les positions de chacun et d'arriver à une position consensuelle dont il ferait rapport.

C'est difficile. Peut-être que lorsqu'ils viendront au comité, les deux côtés n'arriveront pas à dégager un consensus, mais on pourrait stipuler dans le Règlement qu'ils sont tenus de prendre toutes les mesures nécessaires pour tenter de le faire. Cela aurait pour effet de donner un élan assez marqué aux Communes et de veiller à ce qu'on ne fasse pas fi du Sénat et des points qui y ont été soulevés.

J'ignore, au bout du compte, dans quelle mesure les règles des chambres du Parlement sont applicables. Qu'arrive-t- il si quelqu'un hurle qu'il y a urgence, que l'exercice est presque terminé et que le gouvernement Harper n'a rien fait? Que se passe-t-il si nous sommes au pied du mur ou quelque chose du genre? J'invente, bien sûr. Il ne s'agirait pas d'une mauvaise règle concernant les conférences.

Le sénateur Tkachuk : Je veux soulever certaines questions que le sénateur Joyal a abordées. Nous sommes issus de partis politiques. J'estime que c'est un avantage d'amener ce point de vue au Sénat. Personne ne comprend le processus démocratique mieux que les membres de partis politiques qui ont frappé aux portes des maisons dans des petites villes de Saskatchewan ou dans les diverses banlieues de Montréal ou de Vancouver pour parler aux électeurs en personne.

Je veux aborder la question du pouvoir du Sénat que vous avez tous les deux soulevée. À l'heure actuelle, il semble que nous cherchions une façon de composer avec le fait que certaines personnes essaient d'éliminer la structure des partis politiques au Sénat, donc l'idée d'un droit de veto, de six mois et tout cela. Personne n'est plus à l'écoute de notre responsabilité à l'égard des élus que les personnes membres de caucus politiques.

Le dernier projet de loi qui a été rejeté en 1993 a été le projet de loi sur l'aéroport Pearson. Avec un caucus gouvernant qui n'existe pas à l'heure actuelle, s'ils veulent susciter suffisamment d'appui, ils ont recours à la clôture. Nous avons une façon de faire avancer les projets de loi du gouvernement sans problème, mais la clôture a au moins pour effet de contraindre le parti à justifier ses actes, et les gens peuvent ensuite juger du bien-fondé de la décision, et personne d'autre, dans le cadre du processus démocratique.

En éliminant un caucus gouvernemental, on élimine la clôture, si bien que tout le monde cherche maintenant une façon de faire avancer les projets de loi. Ils disent : « Modifions la loi pour pouvoir avoir un droit de veto de six mois et ensuite nous adopterons les projets de loi ». Nous avons une façon de faire avancer les projets de loi et nous l'avons toujours eue. Les projets de loi ne meurent pas au Feuilleton au Sénat, sauf ceux d'initiative parlementaire. Ce n'est pas le cas des projets de loi du gouvernement.

J'aimerais me prononcer sur ce point et continuer dans cette veine.

M. Dodek : Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne la valeur de l'expérience politique. Elle ne devrait pas être un prérequis pour être nommé au Sénat et elle ne devrait certainement pas disqualifier un candidat. Comme j'ai cru comprendre que c'était votre cas, je me préoccupe aussi de la tentative de créer un Sénat post-politique ou post- partisan.

Pour ce qui concerne le pouvoir du Sénat et le fait d'être en phase avec la volonté démocratique, j'ai parlé brièvement des projets de loi omnibus. Nous pouvons revenir en arrière pour voir comment les projets de loi omnibus sont devenus les énormes projets de loi omnibudgétaires qui existent aujourd'hui. Les choses qui ont commencé il y a au moins une quinzaine d'années s'étendent maintenant sur trois gouvernements de deux différents partis. Nous devons nous poser la question démocratique suivante : comment cela est-il arrivé? Ni la Chambre des communes ni le Sénat, à titre de chambre complémentaire de second examen, ne peut examiner minutieusement un projet de loi de plusieurs centaines de pages qui modifie parfois des dizaines de lois. Comment la Chambre des communes et le Sénat ont-ils permis que cela se produise?

Vous parlez du dernier projet de loi du gouvernement qui a été rejeté en 1993. La montée des projets de loi omnibus les plus aberrants a commencé, selon moi, autour de 2004. Dans un certain nombre de cas, le Sénat aurait dû dire « attendez » ou « non ». Peut-être que cela aurait stoppé le processus et peut-être pas. Cela aurait certainement créé des tensions entre les deus Chambres. C'est un domaine où un veto suspensif aurait pu ralentir le processus, car le Sénat et la Chambre des communes ont échoué entièrement à cet égard.

À mon sens, il y a plus d'occasions et de possibilités de protéger le processus démocratique sur la question des projets de loi omnibus au Sénat qu'à la Chambre.

M. Whyte : Premièrement, avec un veto suspensif, une chose est certaine : le Sénat sera plus actif au plan politique, plus visible et plus engagé dans le processus législatif. Il n'hésitera pas à peaufiner les projets de loi, à les modifier ou à en éliminer des éléments profondément problématiques. J'ignore ce que donnera cette mesure, mais elle sera active, et ce, dans le cadre d'un bon modèle de conciliation qui profitera probablement au Canada.

Deuxièmement, je ne veux pas critiquer le gouvernement, l'opposition ou les caucus des partis, mais il faut tenir compte de deux choses qui se passent. Il y a le processus de Justin Trudeau, et nous avons maintenant des sénateurs qui sont moins intéressés — voir pas du tout — à s'identifier à un parti. Il est probable qu'ils soient de plus en plus nombreux et qu'ils dominent.

Vous devez construire un modèle de participation dans les affaires du Sénat qui permette aux gens d'entrer à l'intérieur de toutes les fonctions sénatoriales, pas seulement en chambre, mais aussi aux comités, et de s'organiser pour être efficaces en groupe. Le modèle Trudeau fait en sorte qu'il soit impératif de créer une structure de participation au Sénat, auquel un modèle exclusivement fondé sur les partis ne répond pas.

Troisièmement, je ne sais pas si je suis sérieux, mais les partis politiques disparaissent. Les humains ne créent pas de liens politiques entre eux par le truchement de partis. Nous en aurions pour le reste de la matinée à discuter de ce phénomène, alors je vais m'arrêter là.

Le sénateur Tkachuk : J'ai des tonnes de questions à poser, mais je crois comprendre que nous sommes 20 ici.

Le président : Nous avons le temps.

Le sénateur Tkachuk : J'essaie d'être un bon soldat.

Le sénateur Gold : C'est un véritable plaisir de vous accueillir aujourd'hui. J'ai deux questions brèves à poser : une à M. Dodek et une à M. Whyte.

Monsieur Dodek, pourriez-vous vous prononcer sur l'utilisation de limites de temps à divers stades du processus législatif, qu'il s'agisse de la deuxième lecture ou des délibérations des comités? Entre parenthèses, j'ai tendance à abonder dans le même sens que le sénateur Joyal et d'autres en ce qui concerne le veto par rapport au veto suspensif. Quoi qu'il en soit, moi qui suis relativement nouveau au Sénat, j'ai remarqué que nombre de nos collègues se plaignent parfois du temps que les choses prennent et du manque de débats en temps réel à cause des reports. Avez-vous quelque chose à dire là-dessus?

Monsieur Whyte, en ce qui concerne la partisanerie au Sénat, je pense que vous avez tous les deux fait valoir que le Sénat complète la Chambre des communes et quoi que nous fassions d'autre, nos actions ne devraient pas refléter la partisanerie électorale à la Chambre des communes. Ce n'est pas notre rôle principal. Comment faire pour réduire, sinon éliminer, la tentation ou la tendance au Sénat d'estimer parfois que nous ne faisons que reproduire à la Chambre haute la partisanerie de la Chambre des communes? Y a-t-il moyen de désinstitutionnaliser le niveau de partisanerie qui n'a pas sa place au Sénat?

Je ne parle pas des caucus politiques ou de quelque chose du genre, comme la sénatrice McCoy l'a souligné à juste titre.

M. Dodek : Ma réponse à votre question pourrait nous ramener à la question que vous avez posée à M. Whyte. J'ai passé beaucoup plus de temps à étudier et à observer les débats à la Chambre des communes que ceux au Sénat. Les trois années que j'ai passées à écouter les débats de l'Assemblée législative de l'Ontario et à y assister m'ont fait beaucoup de peine pour notre processus législatif. À mon sens, la qualité des débats à l'Assemblée législative de l'Ontario et à la Chambre des communes était médiocre et très décevante. Les gens avaient tendance à lire des textes, des remarques rédigées par d'autres. Je ne pense pas qu'il était avantageux d'avoir des limites de temps plus longues, du moins à la Chambre des communes et à l'Assemblée législative de l'Ontario.

Le bon côté des limites de temps, que ce soit en cour, en classe, dans une assemblée législative ou en comité, est qu'elles forcent les gens à se concentrer et à présenter des arguments de façon encore plus succincte. Le danger est d'essayer de faire adopter des mesures législatives ou des initiatives particulières à toute vitesse. Un équilibre peut être une bonne chose. Il peut être désavantageux d'imposer des limites de temps simplement pour mener quelque chose à bien. J'ignore comment on peut y arriver. J'espère que M. Whyte a la réponse.

Le sénateur Tkachuk : Vous pouvez toujours aller au Kremlin, à Cuba ou au Venezuela. Il n'y a aucune partisanerie, comme à bien d'autres endroits.

M. Whyte : Je pense que la question de la partisanerie est sérieuse. On a tort de dire que les candidats ne sont nommés que par loyauté, par gratitude de la part d'un parti ou pour être récompensés et qu'une participation active auprès d'un parti mène à la partisanerie. Je pense qu'on a tendance à le faire et qu'il n'est pas utile de dire tout cela, car des alliances se forgent dans tous les groupes.

Si vous êtes au Sénat et que des alliances se forgent, ce ne sera pas autour de la question de savoir si vous aimez Toronto ou Montréal, mais plutôt celle de savoir aux idées de qui au gouvernement et à l'opposition les vôtres correspondent le mieux, si bien que vous deviendrez partisan. Vous commencerez à vous identifier à une certaine idéologie ou à un certain point de vue. Même tous les candidats non affiliés que M. Trudeau a nommés se cantonneront dans des positions qui sont celles des partis, c'est clair. Les partis et la partisanerie seront présents.

Quelle est la réponse? Si tout ce qui se passe au Sénat est que les gens servent au gouvernement ou à l'opposition à marquer des points, la réponse superficielle est qu'ils devraient arrêter, car personne ne porte attention de toute façon. Je ne dis pas que personne ne fait attention au Sénat. Personne ne le fait à moins que ce soit pour accorder une attention négative. C'est une mauvaise manœuvre sur le plan de relations publiques de vous associer habilement aux membres loyaux du parti.

Que faire à cet égard en général? Je mise sur l'effet stimulant des caucus qui ne sont pas associés à des partis et sur les contributions que ces gens feront. Ils seront en périphérie des partis, c'est clair, mais sans devoir payer le prix de la loyauté et ils pourraient servir de modèle aux gens qui discutent de la question, à ceux qui explorent, et à ceux qui essaient de dire pourquoi c'est une mauvaise idée et pourquoi elle viole la Charte.

Je suppose que j'espère que quelque chose viendra stimuler les sénateurs passionnés d'un certain type d'intégrité politique. Cela implique-t-il que vous n'entendiez pas? Ce n'est pas ce que je dis. Je pense que le Sénat se porte bien. Le changement qui s'opère est un changement international et social. C'est, en fait, une excellente occasion d'amener le débat politique — et je vais utiliser le mot encore une fois — dans un cadre potentiellement plus conciliant.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Dodek, avant de vous poser une question, j'attire votre attention sur les quatre dernières lignes du deuxième paragraphe à la page 2 de votre présentation :

Pour être franc, si le Sénat ne règle pas énergiquement et rapidement les actes répréhensibles qui lui ont été reprochés et s'il n'adopte pas et ne fait pas respecter les normes de déontologie les plus rigoureuses possible, je ne pense pas qu'il réussira à exercer adéquatement son rôle de Chambre législative complémentaire au sein du Parlement du Canada.

Après mes quatre années au Sénat, ces quatre lignes sont pour moi une douce mélodie. Je vous félicite de l'avoir dit, car je suis entièrement d'accord avec vous.

Votre exposé s'articule autour de quatre points. Au quatrième point, vous parlez de l'examen des projets de loi d'initiative parlementaire. Comme vous l'avez souligné, ces projets de loi ne sont pas soumis au même examen que les projets de loi du gouvernement, principalement en raison de la Déclaration canadienne des droits et de la Loi sur le ministère de la Justice.

Il est indéniable qu'un sénateur ou une sénatrice qui souhaite parrainer un projet de loi a du pain sur la planche. Normalement, les projets de loi du gouvernement l'emportent, si bien que les projets de loi d'initiative parlementaire meurent au Feuilleton, au Sénat ou à la Chambre des communes, ce qui m'amène à ma question.

Comment le Sénat peut-il travailler efficacement avec la Chambre des communes dans le cadre de l'examen des projets de loi d'intérêt public du Sénat? Le Sénat devrait-il traiter les projets de loi d'initiative parlementaire différemment des projets de loi ministériels ou simplement dire : « Non, il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire et j'y crois », et le faire passer de force? Pourriez-vous me donner vos vues à ce sujet?

M. Dodek : Comme je l'ai mentionné, étant donné qu'un projet de loi d'initiative parlementaire n'a pas été soumis au processus d'approbation auquel les projets de loi du gouvernement sont ou doivent être soumis, le Sénat a l'occasion, et je dirais la responsabilité, de les soumettre à un examen plus rigoureux.

On s'inquiète, si l'on peut dire, de tuer les projets de loi d'initiative parlementaire à cause des délais, car ils sont déjà moins prioritaires que les projets de loi du gouvernement. Cependant, dans les faits, nous avons un système de gouvernement responsable dans lequel le gouvernement rend des comptes à la Chambre des communes et élabore la plupart des mesures législatives. C'est à la Chambre des communes qu'il revient d'examiner rigoureusement, d'adopter et de modifier ces mesures législatives pour le rôle complémentaire du Sénat.

Nous n'avons pas de système de type Congrès américain dans lequel chaque sénateur est un super législateur. Notre système n'est tout simplement pas comme cela. Je suis, dans un sens, moins ouvert au plan constitutionnel à l'idée que nous puissions retarder et peut-être même tuer les projets de loi d'initiative parlementaire par négligence ou en menant des examens plus astreignants. La principale tâche de la Chambre des communes et du Sénat est d'examiner, d'étudier, de modifier et de voter sur des projets de loi du gouvernement ainsi que de finir par les adopter dans la plupart des cas. Les projets de loi d'initiative parlementaire sont un aspect secondaire de cette tâche.

Je ne dis pas qu'il n'y a pas de grandes idées et d'importantes mesures de politique publique qui ressortent des projets de loi d'initiative parlementaire, mais c'est décidément une fonction secondaire ou tertiaire des deus Chambres du Parlement.

La sénatrice Gagné : Monsieur Whyte, vous avez mentionné dans votre présentation que le Sénat devrait s'efforcer de devenir un précieux mécanisme stratégique pour le Canada. J'aimerais en revenir à ce rôle stratégique.

Pour jouer ce précieux rôle stratégique, sur quoi devrions-nous faire fond? Comment pouvons-nous y arriver? Faut- il revoir la structure de nos comités et les mandats des comités permanents? Faut-il investir dans la recherche de qualité ou, comme vous l'avez mentionné, investir dans la recherche ou être guidés par les spécialistes en comité? J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Whyte : En vérité, je n'ai pas une bonne idée de la mesure dans laquelle le Sénat a entrepris un programme stratégique indépendant et s'est aventuré dans le monde des politiques. Le seul exemple que je connaisse est celui de la Commission Kirby sur les soins de santé. Il s'agissait d'un processus d'initiative sénatoriale hautement observé, peut- être parce qu'il a choisi de croiser le fer avec Roy Romanow, ce qui l'a peut-être aidé, mais probablement pas M. Romanow.

J'ai, en fait, ce type de chose à l'esprit. J'ai parlé de deux structures différentes, notamment les caucus, et je parle d'enveloppes stratégiques, qui est le terme que j'utiliserais. Il existe des enveloppes stratégiques auxquelles les sénateurs s'attachent lorsqu'ils sont nommés. Ensuite, ils songent aux questions qui doivent être traitées.

J'envisage un Sénat qui élabore un organe administratif bien à lui en matière de politique, ou des comités individuels qui le font de leur côté. Malheureusement, pour ce faire, il faut un budget. Il est nécessaire d'écouter en politique, chose qu'on ne fait pas dans cette pièce. Il faut aller partout au pays, ce qui demande du temps et de l'argent, alors que vous devriez être ici à faire des travaux législatifs.

Je suis vraiment pour que le Sénat dise : « Nous devrions ouvrir les portes aux gens afin d'entendre leurs idées sur ce que les gouvernements et le secteur privé du Canada devraient faire pour lutter contre les changements climatiques. Nous devrions publier une déclaration qui repose sur les témoignages que nous avons entendus, mais à la lumière des analyses de spécialistes. » Je sais qu'il s'agit surtout d'un problème qui relève de l'article 92, mais nous devrions en parler et créer une tribune nationale où il est possible de discuter des enjeux qui placent le Canada dans une situation précaire. Il y a peut-être trois sujets : les changements climatiques et, je le répète, les blessures de l'être humain, ainsi que notre capacité de gérer une économie diversifiée.

Ce ne sont là que trois exemples, mais il pourrait y en avoir d'autres. Je ne vois pas pourquoi le Sénat ne peut pas apporter une contribution au Canada en étudiant ces questions avec les citoyens. Le fait même de se pencher sur un dossier met en valeur l'enjeu. Voilà de quoi agacer les gouvernements, et c'est tant mieux.

Au fond, ce serait là un des objectifs premiers. Pouvez-vous agacer les 11 ou 13 gouvernements du Canada? Pouvez- vous leur montrer qu'il y a des questions importantes qui nécessitent une réflexion approfondie et une approche globale et que c'est au Sénat que cela se passe? Le but n'est pas de dicter les politiques de l'ancien gouvernement. Il s'agit simplement de créer un environnement politique plus riche, sans être pris en otage par les intérêts et les politiques du gouvernement, lesquels sont souvent limités par l'idée qu'il faut agir sans se faire du tort.

[Français]

Le sénateur Forest : Merci beaucoup de votre présence à notre réunion. Je suis un nouveau sénateur qui est encore « sous la garantie ». J'ai été nommé dans le cadre de la nouvelle approche, et je ne suis pas étonné de constater que les compétences de mes collègues nourrissent nos travaux. Les sénateurs ont décidé de s'investir avec beaucoup de sérieux et d'énergie dans le cadre de la modernisation du Sénat. Il y a un constat selon lequel on doit redonner une certaine crédibilité au Sénat et moderniser une institution fort importante au sein du système parlementaire canadien.

Selon moi, il est clair que l'enjeu — en dépit du peu d'expérience que j'ai — est la question de la dynamique partisane dans le cadre de nos travaux. Quand on évoque les grands faits d'armes lorsqu'on souhaite vanter les mérites du Sénat, souvent, ces grandes décisions ont été prises au-delà de la partisanerie. Nous avons mis de côté nos intérêts partisans, ce qui est très légitime, en faveur de l'intérêt des Canadiens et des Canadiennes et, à ce moment-là, le Sénat a fait de grandes choses.

Lorsqu'on examine aujourd'hui l'environnement législatif du Sénat, on s'aperçoit qu'il s'agit d'un environnement qui, au fil des ans, a été construit, autant d'un point de vue législatif qu'administratif, en tenant compte de la dynamique des différents caucus, notamment le caucus du parti au pouvoir et le caucus de l'opposition. Nous partageons tous, à des degrés très différents, la volonté de rénover cette institution, et la modernisation du Sénat dépend de la façon dont nous pouvons créer une nouvelle dynamique. À titre d'exemple, du point de vue législatif et selon votre expérience, comment pourrait-on arriver à se doter d'une gestion du programme législatif au sein de la Chambre sans cette dynamique partisane?

À l'heure actuelle, nous composons avec un représentant du gouvernement qui n'est pas le leader d'un caucus, mais qui représente le gouvernement et qui a la responsabilité de maintenir un équilibre entre le programme législatif de l'autre endroit et celui du Sénat. Comment, selon vous, pourrait-on arriver à migrer vers un fonctionnement efficace, efficient et crédible au Sénat en transformant cette dynamique caractérisée par la présence d'un représentant du gouvernement et d'un représentant de l'opposition officielle?

M. Dodek : Il s'agit d'une question très importante et à laquelle il est très difficile de répondre. À mon avis, nous en sommes maintenant à une période charnière, à une période de transformation, mais nous ne savons pas quel en sera le résultat. Il est très difficile de créer un plan de transformation sans avoir une idée du résultat de ce plan. Nous sommes vraiment dans cette période charnière et, à mon avis, il est très difficile de créer des règles de gestion pour cette Chambre, parce que ce sont les pratiques adoptées par les sénateurs et les sénatrices qui créeront une nouvelle atmosphère au Sénat. Vous avez posé une question importante, mais je n'ai pas la réponse ni la solution.

Le sénateur Forest : Votre pensée se résume à ce que vous nous dites; ce n'est pas la façon dont les sénateurs sont nommés qui est importante, mais plutôt ce qu'ils feront.

M. Dodek : Oui.

Le sénateur Forest : Les bottines doivent suivre les babines.

M. Dodek : Oui.

La sénatrice Dupuis : Ma question s'adresse d'abord au professeur Whyte, et peut-être ensuite au professeur Dodek. Merci à vous deux d'être parmi nous. Merci aussi de nous renvoyer, professeur Dodek, à la responsabilité que nous avons comme sénateurs de travailler à cette transformation. Je ne suis pas certaine que, de toute manière, en ce qui a trait aux activités humaines, nous sachions quel sera le résultat en fin de compte.

M. Dodek : Vous avez raison.

La sénatrice Dupuis : J'essaie peut-être de me rassurer, mais disons que je ne suis pas convaincue que l'on perçoive toujours le résultat très clairement devant nous.

Professeur Whyte, j'ai aimé la référence que vous avez faite à la noblesse, à la page 4 de votre texte, c'est-à-dire au fondement de la réflexion de M. Mill sur la perspective du XIXe siècle et la tolérance pour la noblesse de cette époque .

Vous parlez du rôle du Sénat en ce qui a trait à l'élaboration de politiques publiques et d'un certain manque de réflexion ou d'espace de réflexion sur les politiques publiques, en dehors d'une politique publique rattachée ou découlant directement d'un programme gouvernemental; n'y a-t-il pas aussi un autre phénomène auquel le Sénat devrait s'intéresser?

Vous parlez du système du XIXe siècle qui nous a valu le système actuel, selon lequel on a un gouvernement et une opposition, soit deux groupes interreliés très étroitement et qui fonctionnent bien jusqu'à ce que quelqu'un décide d'ouvrir la porte. Il y a une marge de manoeuvre, à mon avis. On pourrait imaginer des caucus de bloquistes; cela pourrait être exotique, mais on pourrait imaginer des sénateurs bloquistes ou des sénateurs NPD qui voudraient se réclamer de la plateforme politique du NPD à côté d'un groupe de sénateurs qui se revendiquerait de la plateforme libérale ou conservatrice. Autrement dit, pour moi, la question est un peu plus large que cette seule espèce d'interrelation étroite dans le système qui, traditionnellement, a été conçu et bâti sur l'opposition de deux partis.

En ce sens, il me semble qu'on constate de plus en plus un certain déficit démocratique dans le fonctionnement de notre société, qui est établie sur ce mode d'élection qui prévoit un gouvernement et une opposition officielle, et qui laisse de côté une bonne partie de la population. Cette population est devenue scolarisée et a acquis une certaine expertise, et elle ne se retrouve pas nécessairement dans les canaux traditionnels de l'exercice du pouvoir politique au Canada.

Croyez-vous, dans ce que vous envisagez comme rôle pour le Sénat, que nous devrions assumer la responsabilité de l'élaboration de politiques, qui est aussi celle du Sénat de s'assurer... Car ce n'est pas pour rien que vous donnez les exemples de l'environnement, des gens dans la pauvreté ou qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale, et des enjeux très difficiles au sein de la société. Je crois que nous devons trouver une nouvelle façon de faire entendre des points de vue qui n'ont pas été entendus par le passé, parce qu'ils n'étaient pas dans l'intérêt de la noblesse.

[Traduction]

M. Whyte : Tout d'abord, je ferai écho à ce que M. Dodek a dit. Nous cherchons désespérément une façon d'instaurer une différente réalité politique. Ce n'est pas seulement à cause de la réalité politique représentée par Trump que les gens ont abandonné l'idéologie de leur parti et la démocratie sociale, sans compter la tension des capitaux disponibles. Il s'agit d'une identité politique qui se situe sur un plan beaucoup plus personnel.

La situation même d'une personne fait maintenant partie de la politique, par opposition aux grandes idées de l'État qui sont censées, on l'espère vaguement, répondre à nos propres besoins. Nous avons tout simplement abandonné cet espoir. En fait, comme on peut le lire dans le numéro de ce mois-ci de la revue Foreign Affairs, le libéralisme a échoué. J'espère bien que Foreign Affairs est dans l'erreur.

Bref, nous cherchons désespérément à trouver un moyen et, comme M. Dodek l'a dit, nous ne savons pas ce que cela signifie pour les institutions. En plus de ce phénomène, comme je l'ai dit à plusieurs reprises, il y a aussi la réforme du Sénat ou du processus de nomination au Sénat, lancée par le premier ministre Trudeau, ce qui a provoqué une nouvelle situation.

Vous avez parlé des autres partis politiques qui ne sont pas représentés : le Bloc, le Parti vert et le NPD. Peut-être qu'avant de passer aux caucus et aux intérêts particuliers, nous devrions penser à ces voix. On serait tenté de dire : « Non, ce n'est pas grave parce que cela n'est pas au cœur de la démarche actuelle pour l'élaboration de politiques. »

Je ne souscris pas vraiment à cette affirmation. Vous avez raison. Il y a un problème de légitimité. Je sais qu'il y a une diversité au Sénat et, maintenant, il y a même celle représentée par le « non-parti ». On se trouve devant un problème de légitimité lorsque des partis auxquels les gens tiennent profondément et qu'ils appuient, des partis qui ont des opinions sur l'avenir de notre pays, ne sont pas représentés au Sénat, même si leurs messages auraient très bien pu être exprimés ici. Je ne sais pas.

C'est un bon point. Étant donné le pouvoir de nomination en vertu de la Constitution et même celui prévu dans le cadre du nouveau processus de nomination, je ne sais pas s'il y a lieu de présenter un plan à l'autre endroit. C'est possible. Rien n'indique que les trois personnes dont les noms m'échappent, sauf celui du recteur de McGill, se mettraient à penser ainsi.

Y a-t-il une nouvelle façon de faire valoir des points de vue en dehors de ces partis perdus ou manquants? Je crois que oui. Malheureusement, à certains égards, c'est devenu une approche un peu plus théorique et peut-être un peu moins politique. Les gens souhaitent que leurs intérêts soient compris et exprimés. Il faut trouver un moyen de faire du Sénat le réceptacle des aspirations politiques des gens et de l'amener à défendre, de façon systématique et rigoureuse, des idées concernant les pratiques ou les mesures adoptées par le gouvernement. Voilà, me semble-t-il, une solution à certains des enjeux qui inquiètent beaucoup les gens.

C'est vague comme réponse. Il faut espérer que la dynamique de la société sera représentée au Sénat. D'ailleurs, c'est ce qui est indiqué dans le premier rapport. Je ne lis pas assez pour le savoir, mais dans le premier rapport du Sénat, qui risque de traiter de vieilles questions ennuyeuses, on explique un peu la façon dont l'expression politique se forme.

Le président : Êtes-vous satisfaite de cette réponse?

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je pense qu'il serait impoli d'insister pour que M. Dodek réponde à ma question, mais s'il a une réponse, je l'inviterais peut-être à nous la transmettre.

M. Dodek : D'après moi, le rôle en matière de politiques du Sénat n'est pas un nouveau rôle. Depuis les années 1960 ou 1970, le Sénat avait déjà un rôle politique très fort à jouer, avec la production de plusieurs rapports sur la réglementation, la santé mentale et la décriminalisation de la marijuana. Il ne s'agissait donc pas d'une question de modernisation ou de transformation, comme l'a mentionné le sénateur Forest. C'est plutôt une question d'agir plus rapidement quant à la création des compétences et des capacités liées au rôle en matière de politiques du Sénat, comme la création de nouveaux caucus, selon la suggestion de mon collègue, et ainsi de suite.

[Traduction]

La sénatrice Tardif : Ma question s'adresse à vous, monsieur Whyte, et c'est à propos de vos observations sur la représentation régionale. Vous avez dit que la raison d'être du Sénat n'était pas de créer un fédéralisme interétatique. La représentation régionale des provinces a joué un rôle important pour ce qui est de conférer une légitimité au Sénat en tant qu'instance nationale.

Par contre, vous avez ajouté que la répartition déséquilibrée des sièges a pour conséquence fâcheuse de réduire la légitimité. Même si d'aucuns préconisent la réduction du nombre de sénateurs et l'abolition du Sénat, vous recommandez l'ajout de 35 sénateurs. C'est une idée intéressante. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Whyte : Oui. Lorsque j'étais ici en 2006, j'avais proposé un modèle selon la formule 6-6, 4-4, 24-24, 4-4 et 10-10, d'est en ouest. Je trouvais qu'une telle répartition était assez bien équilibrée. Quel en était le total? C'était environ 100, donc un nombre moins élevé.

J'ai dit 35 parce que le Sénat devrait être grand, et ce, dans les deux sens du terme. Le Sénat devrait être un endroit que les Canadiens jugent propice à l'esprit d'initiative, à l'innovation et à l'écoute, même s'ils ne pourront pas voter pour les sénateurs, un endroit où les difficultés auxquelles fait face notre pays sont traitées grâce à une interaction très immédiate avec les gens. J'aimerais donc qu'il y ait des sénateurs sur le terrain à cette fin.

C'est peut-être une idée toute bête parce qu'il n'y a pas d'élection. Les gens finiront par se demander : « À quoi bon augmenter le nombre de sièges au Sénat? Pourquoi proposeriez-vous des mesures législatives? » La reddition de comptes du Parlement est déjà affaiblie par le manque de ministres, à moins que les représentants du gouvernement soient de bons substituts. Je n'en sais rien.

Toutefois, le rôle législatif du Sénat ne devrait pas être affaibli. Je rêve d'un Sénat où les gens ont un personnel chargé d'élaborer et de promouvoir des idées pour la nation. Selon moi, l'augmentation du nombre de sénateurs pourrait être un bon investissement, car c'est en voyant le Sénat faire des choses qui touchent la vie des gens qu'on en reconnaîtra la valeur.

La sénatrice McCoy : Sur une note positive, et pour saluer les efforts d'un caucus politique, j'aimerais parler du caucus ouvert. Je ne sais pas si vous connaissez bien ce dossier. Si non, je vous encourage à en prendre connaissance. Je suis fière d'une idée que le caucus ouvert a proposée, il n'y a pas si longtemps. C'était au sujet des prisons et des conditions terribles dans lesquelles vivent actuellement un grand nombre de détenus au Canada. Un de nos comités en a été saisi et a entrepris une étude là-dessus. Le Sénat, dans son ensemble, y a fait référence.

Le hasard fait parfois bien les choses : les sénatrices Pate et Bernard ont été nommées, et il s'agit là d'une de leurs grandes passions. Élaboration de politiques, étude de questions importantes et formulation de recommandations à l'intention des Canadiens sur des enjeux qui n'ont pas nécessairement été relevés par le gouvernement — voilà autant de choses qui se passent réellement.

Je me suis dit que nous pourrions terminer sur une note positive en évoquant certaines des façons moins évidentes dont le Sénat se rend utile. Voilà, à mon avis, de quoi emplir votre cœur de joie.

Le président : Au nom du comité, je remercie MM Dodek et Whyte de leur précieuse contribution à la séance de cet après-midi. Nous avons eu droit à une discussion très intéressante et fort utile.

Chers collègues, je tiens à vous rappeler que, mercredi prochain, nous poursuivrons notre étude en recevant deux autres témoins : M. James Kelly, de l'Université Concordia et Roberto De Luca, de l'Association canadienne pour les libertés civiles. Ils s'attarderont sur le rôle du Sénat pour ce qui est d'assurer la conformité à la Charte.

Sur ce, la séance est levée.

(La séance est levée.)

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