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MDRN - Comité spécial

Modernisation du Sénat (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur la
Modernisation du Sénat

Fascicule n° 12 - Témoignages du 10 mai 2017


OTTAWA, le mercredi 10 mai 2017

Le Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat se réunit aujourd'hui à 12 h 1, pour examiner les façons de rendre le Sénat plus efficace dans le cadre constitutionnel actuel.

Le sénateur Thomas J. McInnis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Soyez les bienvenus. Pendant cette phase de ses travaux, le comité se penche sur le rôle du Sénat dans la gouvernance canadienne et sur ses rapports avec la Chambre des communes. Nous examinons notamment comment le Sénat peut au mieux compléter les travaux de la Chambre des communes, sans les reproduire ni occuper une place dominante. Aujourd'hui, nous examinerons le rôle du Sénat dans l'étude des projets de loi afin de nous assurer qu'il est conforme à la Charte canadienne des droits et libertés. Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui deux experts de la Charte.

James B. Kelly est professeur de la Faculté de sciences politiques à l'Université Concordia, et détient un doctorat de l'Université McGill ainsi qu'un diplôme de premier cycle de l'Université de Toronto. Il a été professeur invité à l'Université McGill et à l'Université de Melbourne, en Australie. Sa recherche vise la judiciarisation de la politique associée à l'adoption de déclarations des droits par les systèmes parlementaires tels que ceux du Canada, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni. M. Kelly est auteur et coauteur de quatre ouvrages, y compris Governing with the Charter, qui a été publié en 2005. Il travaille actuellement sur un deuxième livre sur le même thème.

Roberto De Luca est avocat-conseil de l'Association canadienne des libertés civiles, une organisation nationale à but non lucratif et non partisane qui œuvre afin de protéger les droits et libertés garantis par la Constitution pour le compte de tous les habitants du Canada. Me De Luca travaille essentiellement sur les programmes de l'organisation portant sur la sécurité nationale et les libertés fondamentales. Il est membre du barreau de l'Ontario et détient un doctorat en jurisprudence de l'École de droit de l'Université Stanford, un doctorat en études gouvernementales de l'Université du Texas d'Austin, ainsi que des diplômes de premier et de deuxième cycle de l'Université de l'Alberta. Ses recherches ont porté sur les théories libérales du multiculturalisme et les droits collectifs, ainsi que sur les questions constitutionnelles et normatives liées aux conflits entre les droits et libertés.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Je ne sais pas qui veut passer en premier. Vous pourrez faire une déclaration, le cas échéant, et ensuite nous vous poserons des questions.

James B. Kelly, professeur, sciences politiques, Université Concordia, à titre personnel : J'aimerais commencer en remerciant le comité sur la modernisation du Sénat de m'avoir invité à comparaître et à vous parler d'une plus grande transparence par rapport à la Charte des droits et libertés. Le mémoire que j'ai soumis au comité se fonde sur les résultats des recherches présentées dans mon livre publié récemment, Parliamentary Bills of Rights : The Experiences of New Zealand and the United Kingdom. J'ai coécrit ce livre avec Janet Hiebert de l'Université Queen's, et il a été publié par Cambridge University Press en 2015.

Dans la courte déclaration que je vais vous faire aujourd'hui, je voudrais vous exposer quatre propositions de réforme fondées sur cette évaluation comparative des déclarations des droits et des réformes parlementaires de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni, ainsi que sur des recherches connexes que nous avons menées en Australie.

Deux de ces propositions de réforme portent sur le ministre de la Justice et son obligation de faire rapport aux termes du paragraphe 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Enfin, deux des réformes proposées dans ma déclaration portent directement sur le Sénat et sa place dans le cadre d'un processus d'examen renouvelé au regard de la Charte, mené individuellement et conjointement par les deux chambres du Parlement.

Avant de vous présenter ces quatre réformes, je souhaite souligner que l'actuelle ministre de la Justice, Jody Wilson- Raybould, a apporté un important changement en ce qui concerne l'obligation de faire rapport prévue par la Loi sur le ministère de la Justice. Désormais, le ministère de la Justice publie ce qu'il appelle des énoncés sur les répercussions possibles liées à la Charte sur les projets de loi que la ministre de la Justice présente à la Chambre des communes.

C'est une très bonne initiative, mais il y a un certain nombre de problèmes pratiques associés à l'approche actuelle que mon mémoire tente de régler.

Premièrement, il n'est pas clair si ces énoncés des répercussions possibles liées à la Charte sont officiellement soumis au Parlement. En Nouvelle-Zélande, au Royaume-Uni et en Australie, le ministre responsable joint au projet de loi déposé au Parlement un texte qui s'appelle une déclaration de compatibilité et qui devient la première partie du projet de loi. Cette déclaration de compatibilité explique au nom du ministre ou du gouvernement pourquoi le projet de loi en question est conforme à l'instrument national garantissant les droits au pays. Une telle pratique devrait être adoptée au Canada, et vous trouverez davantage d'explications à ce sujet dans mon mémoire.

Le deuxième problème associé à cette nouvelle approche, c'est que rien n'indique que la ministre de la Justice soumet ces déclarations de compatibilité ou énoncés sur les répercussions possibles liées à la Charte pour examen à un quelconque comité parlementaire. Encore une fois, la pratique veut, en Nouvelle-Zélande, au Royaume-Uni et en Australie, qu'un comité parlementaire désigné reçoive et examine ces déclarations de compatibilité pour, et c'est le plus important, transmettre au Parlement sa propre évaluation indépendante. J'y reviendrai plus tard.

Le troisième et dernier problème associé à la nouvelle approche préconisée par la ministre de la Justice, c'est que cette pratique ne vise que les projets de loi parrainés par la ministre de la Justice, de telle sorte qu'en ce qui concerne le projet de loi déposé au Parlement aujourd'hui, le projet de loi C-37, qui modifie la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et qui facilite l'accès aux sites d'injection supervisée, n'est pas assujetti à un énoncé au regard de la Charte. Ce sont trois problèmes associés à ce qui est, au final, une évolution importante et positive du processus.

Je vais vous présenter quatre changements afin d'instaurer une approche plus transparente pour ce qui est de l'examen à la lumière de la Charte effectué par le ministre de la Justice et du rôle du Sénat dans un processus législatif renouvelé. Je vais les décrire rapidement, mais j'en parle de façon plus détaillée dans mon mémoire.

Premièrement, je crois qu'il y a lieu de modifier l'obligation de faire rapport du ministre de la Justice aux termes de la Loi sur le ministère de la Justice. À l'heure actuelle, il s'agit d'une déclaration d'incompatibilité. Le gouvernement doit tout simplement indiquer si un projet de loi n'est pas conforme à la Charte des droits et libertés, et une telle déclaration n'a jamais été déposée auprès du Parlement en vertu du paragraphe 4.1. Une approche plus positive et transparente serait ce qui s'appelle des « déclarations de compatibilité ». Ce genre de déclaration existe, je le répète, dans les pays que nous avons étudiés dans notre livre. La différence entre une déclaration d'incompatibilité et une déclaration de compatibilité, c'est que dans ces pays, le gouvernement indique si un droit est violé. Dans un tel cas de figure, le gouvernement doit expliquer pourquoi la violation est raisonnable dans une société libre et démocratique. Voilà la différence. La déclaration de compatibilité est une explication plus détaillée de la position constitutionnelle du gouvernement par rapport à un projet de loi.

J'ajouterais que je suis d'avis, dans les cas où le Parlement légifère à la suite d'une invalidation judiciaire, comme le projet de loi C-14, Aide médicale à mourir, ou le projet de loi C-37, que la déclaration de compatibilité est essentielle, afin de préciser pourquoi le projet de loi gouvernemental est conforme à une décision judiciaire. Si le projet de loi n'est pas conforme, le gouvernement explique à ce moment-là pourquoi sa position est néanmoins constitutionnelle.

Le deuxième changement, qui concerne directement le Sénat, c'est qu'il doit y avoir un comité parlementaire désigné ayant comme unique mandat de recevoir et d'examiner les déclarations soumises par le gouvernement au nom du ministre concerné et d'en faire rapport. Ce mandat viserait également les projets de loi d'initiative parlementaire qui se rendraient au-delà de l'étape de la deuxième lecture.

Je propose que ce comité suive le modèle du Comité mixte des droits de la personne du Royaume-Uni et du Comité parlementaire mixte des droits de la personne de l'Australie. Ces deux comités ont comme mandat de recevoir et d'examiner les renseignements pertinents et ensuite d'effectuer une évaluation indépendante des projets de loi du gouvernement à la lumière de l'instrument garantissant les droits de la personne au pays concerné.

Dans un contexte canadien, ce comité mixte devrait avoir une structure similaire à celle qui a été adoptée pour le récent Comité spécial mixte sur l'aide médicale à mourir, comité mixte réunissant des représentants des deux chambres, parmi lesquels le gouvernement n'avait pas la majorité.

Le travail du comité spécial mixte a été impressionnant, car il a su étudier la question de façon bipartisane. L'esprit bipartisan découle peut-être de la nature délicate du dossier dont il avait été saisi, mais il n'en demeure pas moins que la nature bipartisane du comité était en partie attribuable au fait que les membres représentant le gouvernement étaient minoritaires au sein du comité. Je recommande que tout comité chargé d'examiner des projets de loi à la lumière de la Charte des droits suive le même modèle.

Ma troisième recommandation pour ce qui est d'un processus transparent et renouvelé des examens à la lumière de la Charte serait de modifier le paragraphe 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice afin d'obliger le ministre de la Justice à répondre aux évaluations de la compatibilité produites par le comité mixte spécial proposé.

Dans le cas des projets de loi ministériels, si jamais le comité mixte n'était pas d'accord avec la déclaration de compatibilité du ministre, le ministre de la Justice devrait alors soumettre un deuxième rapport lorsqu'il dépose le projet de loi pour, admettons, la troisième lecture qui tient compte du désaccord concernant la compatibilité entre la déclaration de compatibilité de la ministre et l'évaluation indépendante faite par le comité mixte proposé.

À ce moment-là, le désaccord concernant la compatibilité obligerait le ministre de la Justice à déposer deux rapports auprès du Parlement. Le premier lorsque le gouvernement dépose son projet de loi, et ensuite peut-être à la troisième lecture, une fois que le comité mixte proposé aurait terminé son évaluation indépendante de la question de la compatibilité avec la Charte et en aurait fait rapport à la Chambre des communes.

Dans le deuxième rapport, la ministre de la Justice pourrait répondre à la question du désaccord sur la compatibilité soulevée par le comité mixte, le cas échéant.

Je vous propose comme quatrième réforme le fait de repenser les relations législatives entre les deux chambres du Parlement à la lumière de la Charte des droits et libertés. Contrairement à l'Australie et au Royaume-Uni, le Parlement du Canada ne dispose d'aucun mécanisme permettant de résoudre les désaccords de nature législative entre le Sénat et la Chambre des communes. Il me semble que cette faiblesse est évidente à la lumière des deux projets de loi ministériels bien en vue qui ont été amendés par le Sénat au courant des dernières années, à savoir le projet de loi sur l'aide médicale à mourir, le projet de loi C-14, et le projet de loi C-37, qui a fait l'objet d'amendements et a été renvoyé à la Chambre des communes.

Nous devons repenser la structure législative, en nous inspirant de ce que font d'autres pays, notamment l'Australie et le Royaume-Uni. Dans le cas de l'Australie notamment, s'il y a un désaccord sur un dossier législatif entre les deux chambres pour ce qui est de modifier un projet de loi, la Constitution australienne permet une séance conjointe réunissant les deux chambres. Au Royaume-Uni, il y a la doctrine de Salisbury visant les projets de loi ministériels qui font partie de la plateforme électorale du parti au pouvoir. Nous ne disposons d'aucun de ces mécanismes de résolution de différends à l'heure actuelle, que ce soit en vertu d'un principe ou d'une procédure. Comme je l'ai indiqué dans ma courte déclaration, les projets de loi C-14 et C-37 montrent bien qu'à l'époque où le Sénat se veut plus indépendant et non partisan, et où il est chargé d'assurer le rôle de chambre de second examen objectif et s'en acquitte bien, il faut examiner l'absence de ces mécanismes de réconciliation entre les deux chambres.

Je vous remercie de votre attention et je me ferais un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup.

Roberto De Luca, avocat-conseil, Programme des libertés fondamentales, Association canadienne des libertés civiles : Je remercie les membres du comité d'avoir donné à l'Association canadienne des libertés civiles la possibilité de comparaître aujourd'hui. C'est un honneur.

Fondée en 1964, l'ACLC est un organisme national indépendant et non gouvernemental voué à la protection des droits et libertés qui sont chers aux Canadiens et qui sont inscrits dans la Constitution du pays.

Nous nous réjouissons particulièrement de pouvoir parler du rôle plus actif que pourrait jouer le Sénat dans l'examen des projets de loi afin d'en assurer la conformité avec la Charte. Au cours des dernières années, l'ACLC est devenue de plus en plus préoccupée par le nombre de lois clairement vulnérables sur le plan constitutionnel qui ont pu être facilement proposées et adoptées par le Parlement pour être ensuite contestées et, dans certains cas, invalidées par les tribunaux du fait qu'elles violaient la Charte canadienne des droits et libertés.

L'ACLC a donc publié son rapport intitulé Charter First, qui cherche à trouver des solutions à ce que nous croyons être des lacunes criantes du processus législatif fédéral sur le plan de la reddition de comptes et de la transparence, solutions qui permettent l'adoption de lois qui pourraient être qualifiées d'inconstitutionnelles.

Nous sommes particulièrement préoccupés du fait qu'il n'y a pas un seul point dans le processus actuel où nos ministres ou parlementaires sont tenus de défendre publiquement la constitutionnalité des projets de loi proposés dans le cadre d'une analyse juridique rigoureuse. Qui plus est, la plupart des parlementaires n'ont tout simplement pas les ressources requises ou l'expertise nécessaire pour bien évaluer la constitutionnalité des lois qu'ils doivent adopter.

Cette situation a contraint les personnes et organisations d'intérêt public touchées, comme l'ACLC, à lancer des contestations fondées sur la Charte puisqu'il s'agit de leur seul recours. Cela est regrettable, car certaines de ces contestations coûteuses auraient probablement pu être évitées si le Parlement avait disposé des ressources nécessaires pour remplir son obligation de respecter la Charte. Nous décrivons plusieurs exemples de ces échecs constitutionnels dans notre rapport Charter First. Pendant que ces longues contestations sont entendues par les tribunaux, les lois en question demeurent en vigueur et briment injustement les droits et libertés fondamentales des Canadiens.

Pendant ce temps, les garanties limitées dont nous disposons ne fonctionnent tout simplement pas.

Comme il a été dit, en vertu de l'article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice, le ministre de la Justice doit faire rapport au Parlement s'il estime qu'un projet de loi du gouvernement est incompatible avec la Charte, mais les représentants ministériels ont laissé entendre que le ministre a seulement besoin de faire rapport quand il n'y a pas d'argument crédible pour appuyer la constitutionnalité d'un projet de loi. Ce critère est si peu exigeant qu'aucun rapport faisant état de préoccupations quant à la conformité avec la Charte n'a jamais été présenté au Parlement.

Bref, l'ACLC se préoccupe surtout d'un système défaillant, plutôt que d'un gouvernement ou d'une personne en particulier. Notre campagne Charter First a comme objectif de mettre en place de nouveaux mécanismes de contrôle dans le processus législatif du Canada, des mesures qui rehausseront les normes de vérification de la conformité avec la Charte en ce qui concerne les projets de loi déposés et adoptés au Parlement. Ces mécanismes augmenteront la transparence et la reddition de comptes aux yeux des Canadiens, et fourniront plus d'information et de ressources aux parlementaires dans l'examen des questions relatives à la Charte.

Le nouveau processus législatif proposé dans notre rapport intitulé Charter First comprend un nouveau processus pour les projets de loi ministériels présentés au Sénat et pour les projets de loi d'intérêt public du Sénat, mais ultimement, il faudra, comme le préconise le rapport, un plan global qui nécessitera à la fois des changements législatifs et procéduraux à la Chambre des communes et au Sénat.

Par conséquent, nous recommandons au comité de saisir cette occasion non seulement pour envisager un rôle plus important pour le Sénat à titre d'entité législative capable de promouvoir un processus d'examen plus actif quant à la Charte, mais aussi pour préconiser une réforme plus globale du processus législatif qui permettrait au Parlement de s'acquitter de son obligation d'appliquer la Charte, qui est le garant fondamental des droits et libertés individuels.

Dans le temps qu'il me reste, j'aimerais discuter des cinq propositions de réforme législative mises de l'avant de façon plus détaillée dans notre rapport intitulé Charter First.

Premièrement, le Sénat et la Chambre des communes devraient revoir leurs règles respectives en matière de recevabilité des amendements de manière à permettre aux comités de débattre et de mettre aux voix des amendements qui traitent de préoccupations concernant la Charte même s'ils dépassent « la portée et le principe » du projet de loi.

Deuxièmement, le Parlement devrait modifier l'article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice, qui est inefficace, de manière à ce que le ministre de la Justice soit tenu de publier une déclaration détaillée concernant la compatibilité avec la Charte de tout projet de loi du gouvernement présenté au Parlement. La déclaration devrait énoncer la position de principe du gouvernement quant à la façon dont le projet de loi, dans l'ensemble, est conforme aux objectifs et aux dispositions de la Charte.

Troisièmement, le Parlement devrait créer un poste d'agent responsable des droits de la Charte, qui aurait le personnel et le mandat requis pour faire des évaluations indépendantes de la conformité des projets de loi avec la Charte, et de conseiller les parlementaires et les comités parlementaires au sujet des questions relatives à la Charte.

Quatrièmement, pour tous les projets de loi du gouvernement, l'agent responsable des droits de la Charte devrait publier une évaluation indépendante de la conformité avec la Charte, idéalement avant la deuxième lecture à la Chambre des communes ou au Sénat. Si des amendements sont apportés par la suite, l'agent devrait publier des addenda, idéalement avant les votes finaux.

Cinquièmement, pour tous les projets de loi d'initiative parlementaire et tous les projets de loi d'intérêt public du Sénat qui franchissent l'étape de la deuxième lecture respectivement à la Chambre des communes et au Sénat, l'agent responsable des droits de la Charte devrait publier une évaluation indépendante de la conformité avec la Charte. Si des amendements sont apportés par la suite, l'agent devrait publier des addenda, idéalement avant les votes finaux.

L'ACLC remercie encore une fois le Comité de lui avoir permis de contribuer à l'importante tâche qu'est la modernisation du Sénat du Canada et la recherche de façons de jouer un rôle plus actif dans l'examen des lois pour garantir leur conformité avec la Charte.

Le président : Merci.

Le sénateur Joyal : Monsieur Kelly, monsieur De Luca, bienvenue. Mon premier commentaire porte sur la position intenable dans laquelle se retrouve le ou la ministre de la Justice en vertu de l'article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Jamais un ministre de la Justice du Canada ne présentera un rapport avisant le Parlement ou le gouvernement qu'un projet de loi proposé contient des dispositions contraires à la Charte. Jamais un ministre n'agira ainsi. Donc, penser qu'un ministre de la Justice du Canada présente un jour une évaluation indépendante faisant état des lacunes, des manquements ou des répercussions incertaines d'un projet de loi sur l'article premier de la Charte, la limite raisonnable d'une société libre et démocratique, c'est rêver en couleurs. J'ai siégé pendant 20 ans au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, et je n'ai jamais vu cela auparavant. J'ai également fait partie du Cabinet pendant quatre ans, et cela n'est jamais arrivé non plus. Par conséquent, je ne crois pas qu'on puisse avoir, dans ce système, la certitude que le ministre de la Justice peut, en toute indépendance, conseiller les parlementaires quant à leur rôle et leur capacité de déterminer si un projet de loi est conforme à la Charte. Je suis navré de vous le dire, mais je n'y crois pas.

Comment peut-on régler ce problème? Y aurait-il une façon pour les parlementaires de contester le rapport du ministre de la Justice sur la conformité d'un projet de loi? Des gouvernements ont indiqué, dans le passé, qu'ils estimaient que leur projet de loi était conforme, qu'ils avaient des raisons de le croire et que les parlementaires ou les citoyens qui n'étaient pas de cet avis n'avaient qu'à se tourner vers le système judiciaire et contester le projet de loi devant les tribunaux.

Donc, de quelle façon peut-on aborder la question? Nous avons entendu deux propositions, celle de M. Kelly et la vôtre, monsieur De Luca.

Monsieur Kelly, je doute que votre proposition soit pratique, car pour contester un projet de loi en vertu de la Charte, il faut être spécialiste. Il n'est pas donné à tout le monde de lire un projet de loi et de conclure qu'une de ses dispositions contrevient à la Charte.

Quel genre de mécanisme permettrait aux parlementaires de contester la validité d'un projet de loi? Je crois davantage en l'approche de M. De Luca, où une personne aurait un rôle semblable au directeur parlementaire du budget qui, comme vous le savez, est un agent de confiance, indépendant, disposant des moyens nécessaires pour examiner les chiffres du ministère des Finances et pour déterminer si un programme donné coûtera 10 milliards de dollars, 5 milliards ou 2 milliards, et cetera. Cela nous donne à tout le moins l'avis d'un tiers de l'extérieur des cercles gouvernementaux. À mon avis, tenter de le faire de l'intérieur des cercles gouvernementaux est un échec.

Prenez le projet de loi C-14 comme exemple, monsieur Kelly. Le comité mixte a présenté un rapport — je le sais, car je siégeais à ce comité — qui était, selon nous, conforme à la Charte. Le gouvernement a ensuite présenté un projet de loi qui, à mon avis, n'était pas conforme à la Charte. Le gouvernement a refusé de soumettre le projet de loi à l'examen de la cour, même s'il y avait des preuves suffisantes pour croire que le projet de loi n'était pas conforme. Quelle a été la réponse du gouvernement? Il nous a invités à saisir les tribunaux de la question si nous n'aimions pas le projet de loi. La cause est en instance, et nous avons lu le mémoire qui a été présenté par le ministère de la Justice pour faire valoir la constitutionnalité du projet de loi ou sa conformité à la Charte.

Autrement dit, le système est conçu de façon à forcer l'adoption des mesures législatives proposées par le gouvernement. Selon moi, nous devons instaurer un contrepoids, semblable au rôle du directeur parlementaire du budget, pour avoir l'avis d'une personne de l'extérieur des cercles gouvernementaux pouvant présenter des arguments crédibles, plutôt que de simplement dire aux parlementaires qu'ils n'ont qu'à s'adresser aux tribunaux s'ils sont contre, ou qu'ils doivent se plier à la volonté de la majorité élue. Au Sénat, ceux d'entre nous qui estimaient que le projet de loi était contraire à la Charte se sont fait dire : « Fermez les yeux et adoptez-le, car la Chambre des communes a choisi de porter atteinte aux droits des citoyens garantis par la Charte. »

À mon avis, le système ne peut pas fonctionner ainsi, à moins qu'on décide de maintenir l'incapacité des parlementaires ordinaires, qu'ils soient au Sénat ou à la Chambre des communes, de déterminer si un projet de loi est conforme à la Charte.

Votre suggestion, monsieur De Luca, me semble beaucoup plus réaliste, étant donné ce que nous avons vu au Parlement depuis l'entrée en vigueur de la Charte en 1982. Je pense que les faits se passent de commentaires. Je parle des réactions de l'ensemble des parlementaires à l'égard des violations de la Charte, et pas seulement celles du gouvernement. On entend même, au Sénat, que nous devrions ignorer les violations de la Charte lorsque la Chambre des communes décide d'adopter la mesure législative en question. Il nous reste donc des problèmes à résoudre concernant la conformité à la Charte.

À mon avis, votre proposition me semble plus adaptée au contexte qu'on observe au Canada depuis 40 ans, soit depuis que la Charte sert de guide aux parlementaires pour maintenir la crédibilité, car il y a un prix à payer lorsqu'un projet de loi n'est pas conforme à la Charte et que la Cour suprême juge qu'il va à l'encontre de la volonté exprimée par le Parlement. On fait ensuite marche arrière et on accuse les tribunaux d'activisme judiciaire et d'aller à l'encontre de la volonté des parlementaires. Il conviendra, un jour, de trancher. Qui a cette responsabilité? Si les parlementaires ne l'assument pas, elle incombe alors aux tribunaux, mais notre réaction consiste à dire que les tribunaux font preuve d'activisme et vont à l'encontre de la volonté du Parlement.

Les Canadiens croient en leurs droits, et le seul instrument dont ils disposent pour les protéger est la Charte et non la volonté du gouvernement; la Charte et les tribunaux, en fait. Quel est notre rôle dans ce système? Quel est le rôle des parlementaires? Voilà la question à laquelle il faut répondre, à mon avis. Le Sénat doit définir les mesures qu'il doit prendre lorsqu'un nombre raisonnable de sénateurs conclut qu'un projet de loi viole la Charte. Après avoir lu votre mémoire — un très bon mémoire, en passant —, j'ai conclu qu'il convient à tout le moins de proposer des solutions de rechange à la situation dans laquelle nous sommes actuellement.

M. De Luca : Je vous remercie de vos commentaires et de la question. D'abord, je souscris entièrement au point fondamental selon lequel il est irréaliste, dans le cadre actuel, de s'attendre à ce que le ministre de la Justice présente un rapport remettant en question la constitutionnalité de mesures législatives qui sont subséquemment présentées par le gouvernement; c'est à l'œuvre qu'on reconnaît l'artisan. Qu'aucun rapport n'a été présenté depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur le ministère de la Justice, avec cette disposition, en 1985 démontre, à mon avis, que le système actuel ne fonctionne pas. Voilà pourquoi nous préconisons — outre le renversement de l'exigence et l'inclusion dans la loi d'une disposition visant à contraindre le ministre de la Justice à produire un rapport — d'exiger la démonstration de la conformité à la Charte, selon la prépondérance des probabilités. Pour ce faire, il faut d'abord exiger du ministre de la Justice qu'il produise une déclaration de conformité.

Toutefois, la raison pour laquelle nous proposons la création d'un poste d'agent des droits garantis par la Charte découle de deux préoccupations. Premièrement, une deuxième entité chargée de l'examen des rapports de conformité que pourrait présenter le ministre de la Justice qui serait intégrée aux comités parlementaires pourrait être trop politisée. Deuxièmement, la composition politique des comités pourrait favoriser l'argumentation et la politisation des questions liées à la Charte. La création d'un comité indépendant et d'un poste permanent d'agent des droits garantis par la Charte favoriserait un examen adéquat des rapports qui seraient présentés par le ministre de la Justice. On miserait à long terme sur une expertise en matière constitutionnelle et sur un regard plus indépendant et objectif, de façon à éviter les pressions politiques qu'on pourrait autrement observer au sein d'un comité parlementaire. Voilà le principe sous-jacent de la création d'un poste d'agent indépendant des droits garantis par la Charte.

M. Kelly : J'aimerais répondre aux questions du sénateur Joyal en soulevant deux ou trois points. À l'instar de l'Association canadienne des libertés civiles, je n'appuie pas l'utilisation de rapports sur l'incompatibilité. Je reconnais qu'ils ne sont pas applicables. Ils sont probablement contraires à la Constitution en vertu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Je préconise plutôt le recours aux déclarations de conformité, pour les raisons que vous avez mentionnées.

J'aimerais parler des rapports sur l'incompatibilité. L'idée n'est vraiment pas irréaliste, et je vais le démontrer en utilisant l'exemple de la Nouvelle-Zélande, qui a une loi appelée la New Zealand Bill of Rights Act 1990. Aux termes de l'article 7 de cette loi, le procureur général est tenu de faire rapport au Parlement lorsqu'un projet de loi est incompatible avec la New Zealand Bill of Rights Act. En guise de contexte, je souligne qu'en Nouvelle-Zélande, le procureur général est un député et un membre du Cabinet.

Depuis 1990, le procureur général de la Nouvelle-Zélande a présenté plus de 70 rapports sur l'incompatibilité, dont 35 portaient sur des projets de loi d'initiative ministérielle, je crois. Aucun procureur général de la Nouvelle-Zélande n'a démissionné du Cabinet en raison de ces rapports sur l'incompatibilité. Donc, ce que je tente de faire valoir, c'est que cela pourrait être lié à la perception ou à la définition du rôle du procureur général ou du ministre de la Justice.

Il faut savoir qu'en Nouvelle-Zélande, en vertu d'une convention constitutionnelle, le procureur général présente un rapport au Parlement non pas à titre de membre du Cabinet, mais plutôt à titre de premier conseiller juridique de l'État. Je comprends donc l'intervention du sénateur Joyal sur les problèmes que posent les rapports sur l'incompatibilité. Le problème n'est pas tant le caractère théorique ou abstrait de la solution que je préconise. Il pourrait plutôt être lié à notre perception, au Canada, du rôle du ministre de la Justice ou du procureur général. Dans un article que j'ai rédigé avec M. Matthew Hennigar, paru dans la publication International Journal of Constitutional Law, nous faisons valoir qu'une des façons de régler ce problème, dans le contexte canadien, serait de séparer les deux fonctions, pour avoir un procureur général qui agit à titre de... Je répète qu'il pourrait s'agir d'un parlementaire, d'un membre du Cabinet. Au Royaume-Uni, le procureur général est un membre du Cabinet, mais cela ne l'a pas empêché, pour divers dossiers importants, de présenter un rapport contre le gouvernement en place, indiquant que la mesure en cause était inconstitutionnelle. Donc, je ne suis pas prêt à dire que la proposition est irréaliste. À mon avis, il conviendrait peut-être d'examiner certaines des pratiques que nous avons mises en place au Canada. À ma connaissance, nous sommes le seul pays où le ministre de la Justice exerce simultanément le rôle de procureur général. Cela pourrait simplement être une caractéristique héritée de la Province unie du Canada, dans lequel le codirigeant du gouvernement exerçait le rôle de procureur général. J'ai rédigé un article à ce sujet il y a quelques années, encore une fois en collaboration avec M. Matthew Hennigar. Je ne propose pas d'avoir des rapports sur l'incompatibilité. Je pense, à l'instar de l'Association canadienne des libertés civiles, que l'approche la plus avantageuse serait d'exiger que la Loi sur le ministère de la Justice exige du gouvernement qu'il énonce les motifs pour lesquels il estime qu'un projet de loi donné est conforme à la Charte canadienne des droits et libertés. Cela dit, encore une fois, c'est très différent d'un rapport sur l'incompatibilité. J'aimerais, à l'instar de l'Association canadienne des libertés civiles, aborder la question de la capacité, soit la question de savoir si les parlementaires ou les sénateurs pourraient s'acquitter d'une telle tâche.

Mon mémoire comprend une suggestion. Le Comité mixte des droits de la personne du Royaume-Uni comprend un conseiller juridique à temps plein et deux conseillers juridiques à temps partiel qui appuient le comité dans l'examen de la compatibilité des projets de loi d'initiative ministérielle. Je ne préconise pas que cette responsabilité relève exclusivement des parlementaires; il convient manifestement de les appuyer. Je crois que le comité mixte du Royaume- Uni représente un bon modèle quant aux ressources qui pourraient être offertes aux parlementaires pour les examens de ce genre.

Le dernier point dont je souhaite discuter est le suivant : je suis convaincu que les parlementaires ont les compétences requises pour examiner les questions relatives à la Charte canadienne des droits et libertés. L'aspect le plus important, à mon avis, est de déterminer s'il y a atteinte au droit ou à la liberté en question — ce qui requiert évidemment une certaine connaissance du droit —, mais personnellement, à titre le politicologue, l'aspect le plus important de l'examen de la conformité à la Charte est de savoir si l'atteinte est raisonnable dans le cadre d'une société libre et démocratique. Je ne crois pas qu'il faut avoir un diplôme en droit pour définir les valeurs d'une société libre et démocratique.

À cet égard, sénateur Joyal, je suis en désaccord sur cette partie de votre intervention. Je ne dis pas que ce rôle devrait uniquement incomber aux parlementaires. Je suis d'accord avec la position de l'Association canadienne des libertés civiles, mais je n'irais pas jusqu'à proposer la création d'un poste d'agent des droits garantis par la Charte. Je pense que cette fonction devrait simplement être celle d'un conseiller juridique nommé, à titre permanent, au comité proposé.

Par ailleurs, les valeurs d'une société libre et démocratique ne se limitent pas aux seuls principes juridiques. Je crois donc que les parlementaires des deux chambres sont tout à fait équipés pour débattre de ces enjeux.

La sénatrice McCoy : Vous avez un peu répondu à ma question. Je voulais savoir si vous aviez participé aux discussions et aux études menées quant à savoir si nous, parlementaires, ne sommes pas en train de renoncer petit à petit à notre rôle en nommant sans cesse de plus en plus d'agents du Parlement, ce qui nous évite d'assumer les responsabilités que l'on nous a confiées en nous élisant ou en nous nommant. Ma question s'adresse à vous deux.

M. De Luca : C'est une question importante. Peu importe que vous préconisiez de confier aux comités parlementaires l'évaluation de la constitutionnalité ou de créer à cette fin une instance indépendante comme l'agent des droits garantis par la Charte que nous proposons, il s'agit d'abord et avant tout de pouvoir continuer à saisir le Parlement des enjeux liés à la Charte pouvant être en cause, et ce, en misant sur une expertise juridique suffisante pour permettre une analyse approfondie. Cela contribuerait donc notamment à favoriser le dialogue au sein des deux chambres qui seraient régulièrement tenues au fait des questions pouvant se poser relativement à la Charte ou des éléments à considérer pour assurer une approche équilibrée dans le contexte du projet de loi à l'étude.

En outre, nous ne verrions pas nécessairement l'agent des droits garantis par le Charte comme une instance faisant autorité dans l'évaluation de ces questions, mais plutôt comme un organe institutionnel auquel les parlementaires peuvent s'adresser pour obtenir des conseils. Son rôle serait donc davantage consultatif. En ce sens, il ne s'agirait pas vraiment d'une délégation des responsabilités liée à l'analyse des répercussions relatives à la Charte par rapport au projet de loi à l'étude, mais plutôt d'un mécanisme visant à favoriser le dialogue relativement aux enjeux touchant la Charte et la Constitution.

Nous citons dans notre mémoire différents exemples de projets de loi qui ont été adoptés malgré les problèmes qu'ils posaient relativement à la Charte. Nous nous préoccupons non seulement du fait que ces lois ont été adoptées en dépit de lacunes constitutionnelles qui auraient pu être évitées si le système était mieux conçu, mais aussi en raison de l'impossibilité pour les parlementaires d'en débattre suffisamment sur une tribune publique. La nouvelle entité proposée contribuerait donc en fait à favoriser ce dialogue.

M. Kelly : Merci pour votre question. S'il y a un élément du rapport Charter First de l'Association canadienne des libertés civiles avec lequel je ne suis pas d'accord, c'est la proposition de nommer un agent des droits garantis par la Charte. Le but visé n'est peut-être pas de créer un nouveau poste d'agent du Parlement, mais c'est l'aspect de cette recommandation qui me préoccupe.

Dans mon mémoire, je préconise plutôt que l'on assigne un conseiller juridique permanent qui appuierait directement le travail du comité proposé, plutôt que de s'en remettre à un agent des droits garantis par la Charte qui fournirait en quelque sorte une évaluation indépendante sur laquelle le comité pourrait se fonder. En ma qualité de politologue, je crois qu'il est préférable de conférer davantage de pouvoirs aux institutions parlementaires elles-mêmes, plutôt que d'élargir le rôle des agents du Parlement.

Je diffère donc d'opinion avec l'Association canadienne des libertés civiles sur ce point, mais j'estime tout de même nécessaire qu'un intervenant quelconque puisse appuyer le comité pour ses évaluations de la compatibilité des projets de loi.

Je traite dans mon mémoire du Comité parlementaire mixte des droits de la personne du Royaume-Uni qui a fait ses preuves depuis de nombreuses années et qui pourrait nous servir de modèle si nous devions choisir de créer un tel comité en envisageant le recours à un conseiller juridique. Le comité britannique a toujours nommé à ce poste un expert de premier plan en droit public. Le plus connu parmi eux a été David Feldman, professeur de droit à Cambridge.

Je répète que je conviens avec l'Association canadienne des libertés civiles que le Sénat, ou le comité mixte proposé, doit avoir accès à une ressource semblable pour pouvoir évaluer la position du gouvernement en matière de compatibilité ou être capable d'en débattre. Nous ne sommes toutefois pas d'accord quant à l'endroit où cette ressource doit s'intégrer au système. À la lumière des recherches que nous avons effectuées pour notre ouvrage, Parliamentary Bills of Rights, la désignation d'un conseiller juridique auprès du comité concerné est l'approche la plus axée sur la contribution des parlementaires.

La sénatrice McCoy : Je dois avouer que je suis impressionnée par votre détermination à tous les deux à nous encourager à en faire davantage pour ce qui est de la Charte.

Je ne suis par contre pas d'accord avec vous lorsque vous indiquez dans votre mémoire que nous n'avons pas de mécanisme pour régler les différends. Je peux vous dire à ce titre que nous appliquons la convention de Salisbury. Il y a d'ailleurs à ma connaissance quatre autres conventions parlementaires qui sont en vigueur. Elles n'ont sans doute pas été invoquées très fréquemment, certainement pas tout au moins au cours des 10 dernières années. D'après ce que nous avons pu observer, il y a eu en effet très peu d'amendements qui, depuis 1960, ont été renvoyés à la Chambre des communes avant d'être acceptés.

Vous avez certes toutefois pu constater que le nombre de ces amendements a augmenté au cours de la dernière année. J'imagine donc que ces conventions et les débats à leur sujet à la Chambre des communes comme au Sénat sont appelés à prendre de plus en plus de place sur les tribunes publiques. Nous allons probablement ainsi devenir de mieux en mieux aptes à régler les divergences d'opinions de la sorte.

Je vous remercie.

Le sénateur Eggleton : Vos deux propositions ont leurs avantages. À mes yeux, il semble ressortir de vos exposés qu'il faut surtout s'assurer de rendre publics ces énoncés de compatibilité ou d'incompatibilité, en les soumettant d'abord aux débats parlementaires, avant que les deux chambres n'adoptent les projets de loi visés.

Par ailleurs, il faut obtenir un deuxième avis. Le ministère de la Justice doit se prononcer au départ, mais quelqu'un doit ensuite analyser cette prise de position pour indiquer s'il est d'accord ou s'il croit qu'on fait fausse route pour telle ou telle raison. C'est ce que pourrait faire l'agent des droits garantis par la Charte comme vous le proposez, mais cela pourrait également être confié à une ressource affectée directement au comité à l'interne. On pourrait aussi faire appel à l'occasion à des juristes de l'extérieur pour obtenir un autre son de cloche fondé sur une expertise différente par rapport au processus législatif.

Je suis d'accord avec le sénateur Joyal. Le gouvernement ne va pas émettre des avis d'incompatibilité à l'égard de ses propres projets de loi, mais il pourrait le faire dans d'autres situations. J'aimerais savoir si vous croyez que le gouvernement devrait se prononcer sur tous les projets de loi, qu'ils soient d'initiative parlementaire ou qu'ils proviennent du Sénat. Il y a aussi des projets de loi du gouvernement qui sont présentés au Sénat. Dans certaines de ces situations, il est possible que le ministère émette un avis d'incompatibilité.

La création d'un nouveau comité m'apparaît intéressante si on parvient à le structurer sur le modèle du comité sur l'aide médicale à mourir, c'est-à-dire que le gouvernement n'y serait pas majoritaire, notamment grâce à la participation de sénateurs indépendants, ce qui assurerait que le comité demeure maître de sa propre destinée. Je crains par ailleurs que l'on prolonge ainsi la durée du processus législatif. Il m'apparaît logique qu'une telle analyse précède tout autre examen par le comité du mérite et de la teneur du projet de loi, car il faut régler d'abord la question constitutionnelle.

Vous pourriez nous dire ce que vous en pensez également, car il importe surtout d'obtenir un deuxième avis. Cela pourrait se faire directement par l'entremise du comité chargé d'étudier le projet de loi, plutôt qu'en passant tel que proposé par un comité mixte spécial. Les deux options sont envisageables.

Qu'en pensez-vous? J'aimerais surtout savoir si vous croyez que tous les projets de loi, d'initiative parlementaire ou autre, devraient être soumis à ce processus.

M. Kelly : Merci pour votre question. Je vais d'abord vous répondre que je ne crois pas que tous les projets de loi devraient être visés, et je vais vous expliquer pourquoi.

La loi devrait exiger un énoncé de compatibilité pour tout projet de loi présenté en réponse à une décision d'un tribunal invalidant une disposition législative. Je pense notamment au projet de loi C-14, la Loi sur le respect des collectivités, présenté par l'ancien gouvernement Harper relativement à l'installation de sites d'injection supervisée. Il aurait été bon que nous puissions comprendre les raisons pour lesquelles le gouvernement estimait que la solution législative proposée était conforme à l'arrêt de la Cour suprême. Un énoncé de compatibilité devrait donc être exigé dans ces circonstances où un gouvernement donne suite à une décision judiciaire qui invalide des mesures législatives.

La Nouvelle-Zélande a choisi d'exiger une déclaration de compatibilité pour tous les projets de loi. Comme il fallait s'y attendre, c'est problématique du fait que le ministère de la Justice et le bureau de la Couronne en Nouvelle-Zélande doivent y consacrer des ressources trop considérables, alors même que ce ne sont pas tous les projets de loi qui soulèvent des enjeux relatifs au respect des droits. En Nouvelle-Zélande, on en est rendu au point où un projet de loi visant à réglementer l'industrie des pêches exige un énoncé de compatibilité alors qu'il y a tout lieu de s'interroger sur son lien avec la déclaration des droits de ce pays.

Il faut procéder de façon stratégique pour déterminer quels projets de loi seront soumis à ce processus. Il serait de toute évidence bénéfique d'émettre un énoncé de compatibilité pour tout projet de loi du gouvernement provenant du ministère de la Justice. Il en irait de même de la sécurité publique et de la santé notamment, mais ce serait beaucoup moins important dans le cas d'autres ministères.

Pour ce qui est des projets de loi d'initiative parlementaire, je recommanderais que seuls ceux qui ont franchi l'étape de la deuxième lecture soient assujettis à l'exigence d'un énoncé de compatibilité.

Je vais vous expliquer pourquoi je préconise une telle approche. J'ai publié l'été dernier un article où je constatais que l'ancien gouvernement Harper avait recours plus fréquemment qu'auparavant à des projets de loi d'initiative parlementaire pour modifier le Code criminel. Depuis la Confédération, je crois qu'il y a eu seulement 23 ou 21 amendements au Code criminel qui ont été apportés via des projets de loi d'initiative parlementaire. Je ne pense donc pas que tous les projets de loi devraient être soumis à ce processus. Cela devrait être réservé à ceux faisant suite à l'invalidation de mesures législatives, à certains projets de loi d'initiative parlementaire qui visent à modifier nos lois pénales, et bien évidemment à ceux qui sont présentés par le ministère de la Justice.

M. De Luca : Merci pour la question. Je suis d'accord en grande partie avec ce que M. Kelly vient de dire. Il y a toutefois une distinction à noter dans notre rapport. Notre organisation n'a pas pris position à l'égard de l'exigence d'une déclaration de compatibilité dans le cas des projets de loi d'initiative parlementaire et nous ne formulons donc pas de recommandation à cet effet.

Nous préconisons plutôt, à l'instar de M. Kelly, qu'une évaluation du respect des droits garantis par la Charte se fasse uniquement lorsqu'un tel projet de loi franchit l'étape de la deuxième lecture. La question soulève notamment un problème de ressources. En fixant le seuil à partir de la deuxième lecture, on limite considérablement le nombre de projets de loi d'initiative parlementaire qui exigeraient des observations et une évaluation en fonction de la Charte.

Nous ne recommandons pas non plus que la ministre de la Justice émette l'énoncé de compatibilité.

Le sénateur Eggleton : Voyons si je comprends bien. Vous dites que si un projet de loi quelconque franchit l'étape de la deuxième lecture, il devrait y avoir automatiquement une déclaration de compatibilité?

M. Kelly : Pour les projets de loi d'initiative parlementaire.

Le sénateur Eggleton : Oui, d'accord.

M. Kelly : Je veux répondre à la question du sénateur Eggleton. Vous avez souligné avec justesse qu'il faudrait qu'un plus grand nombre de ces énoncés relatifs à la Charte soient rendus publics, et nous constatons un certain effort en ce sens de la part du ministère de la Justice qui y consacre une partie de son site web. Il faudrait en outre — comme je le recommande dans mon mémoire — que la ministre de la Justice soit tenue de répondre à une évaluation provenant d'un comité parlementaire. C'est une proposition que je formule à la lumière de notre étude sur la situation en Australie. Suivant le processus mis en place là-bas, des énoncés de compatibilité sont exigés pour les projets de loi, et les ministres sont obligés de répondre lorsqu'un comité exprime son désaccord relativement à un tel énoncé.

Je parle plus précisément de la situation dans l'État de Victoria où l'on éprouve certaines difficultés du fait que rien n'est prévu quant au moment où le ministre doit répondre au comité. Dans un article que j'ai publié il y a trois ou quatre ans dans l'Australian Journal of Political Science, nous soulignions que les ministres répondent bel et bien aux comités, mais généralement une fois que le projet de loi est déjà adopté. Je dirais donc qu'il est important que ces énoncés de compatibilité soient rendus publics et que le comité concerné puisse ensuite se prononcer à ce sujet, mais je crois qu'il importe surtout que le ministre qui parraine le projet de loi soit tenu par la loi de répondre au comité.

Dans mon mémoire, je recommande que le ministre ait l'obligation, au moment où le projet de loi est présenté de nouveau à l'étape de la troisième lecture, de répondre aux points de désaccord soulevés par le comité concernant la compatibilité.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Monsieur De Luca, j'aimerais comprendre la motivation, du point de vue du Sénat, en ce qui concerne la création d'un poste d'agent des droits. Du point de vue de votre organisation, ou de n'importe quelle organisation de citoyens qui s'intéresse à la conformité à la Charte, la création d'un tel poste permettrait d'obtenir une opinion juridique extrêmement utile lorsqu'il s'agit de préparer une contestation judiciaire à un projet de loi pour le non-respect de la Charte.

Dans votre mémoire, vous dites qu'il y a, à l'heure actuelle, des règles pour la Chambre des communes et le Sénat qui devraient être changées. J'aimerais que vous soyez plus clair. Autrement dit, le Sénat a une responsabilité de législateur. Je comprends qu'il y a une crise de confiance à l'égard du législateur, qu'il s'agisse de la Chambre des communes ou du Sénat. En créant un agent indépendant, on se donne peut-être un outil potentiel qui augmenterait la confiance au moyen d'un examen plus complet et détaillé de la conformité à la Charte. Pourriez-vous être plus précis sur ce que le Sénat pourrait faire pour renforcer son propre examen de la Charte, peu importe si l'on crée ou non le poste d'agent indépendant?

[Traduction]

M. De Luca : Merci pour vos observations. Si on veut entrer dans les détails des modalités de fonctionnement que nous préconisons, il faut savoir que tout cela va de pair avec la présentation de rapports relativement au respect de la Charte par l'instance qui sera mise en place, au fur et à mesure que des amendements sont reçus, ce qui peut être à l'étape de l'étude en comité ou du rapport.

L'une de nos recommandations les plus importantes vise à faire en sorte qu'un amendement concernant le respect de la Charte puisse être présenté après la deuxième lecture, sans se heurter à l'interdiction de proposer un changement touchant l'objet ou la portée du projet de loi. À toutes fins utiles, la Charte devrait toujours pouvoir être au cœur des discussions. Je ne crois pas que ce soit nécessairement une exigence dans le contexte des autres mécanismes que nous proposons, mais cela devient en quelque sorte essentiel, car il y aurait vraiment lieu de s'interroger sérieusement en l'absence de ces évaluations et de l'obligation pour la ministre de la Justice de fournir des rapports sur la compatibilité. La situation peut devenir problématique si des gens qui s'opposent au projet de loi font simplement référence à la Charte dans le seul but de retarder les procédures. Cela fait donc partie des changements que nous préconisons. Il faut par contre se demander dans quelle mesure cela constitue une exigence pour les autres instances.

Dans le même ordre d'idées, des interdictions semblables s'appliquent aux amendements pouvant être apportés au préambule, ce qui est une considération très importante dans le contexte d'une analyse constitutionnelle. Ces interdictions s'expliquent notamment du fait que le préambule expose souvent directement l'objet du projet de loi en fixant des limites raisonnables quant aux droits garantis par la Charte et en exposant les visées du Parlement dans cet exercice. C'est d'ailleurs justement pour cette raison que les restrictions quant aux amendements pouvant être apportés au préambule devraient céder le pas aux préoccupations soulevées relativement à la Charte, notamment quant à l'ajustement des limites considérées raisonnables en précisant les justifications du gouvernement à cet égard.

La sénatrice Stewart Olsen : Loin de moi l'idée de susciter la controverse, mais je vous dirais qu'il est plutôt facile de trouver deux avocats qui vont être en total désaccord au sujet de la Charte. Pour moi, aucun gouvernement ne va aller de l'avant avec un projet de loi s'il croit qu'il n'est pas compatible à la Charte.

On risque de créer une certaine paralysie au sein du gouvernement si toutes ces mesures deviennent nécessaires pour pouvoir faire adopter un projet de loi. À titre d'exemple, lorsque nous avons voulu changer les règles du Sénat, à l'époque du gouvernement Harper, notre expert constitutionnel disait une chose alors que la Cour suprême affirmait le contraire. Je ne suis pas certaine que ce soit très efficace comme façon de procéder.

M. Kelly : Vous dites que l'on pourra toujours trouver deux avocats qui ne seront pas d'accord. Je vous répondrai que l'on ne peut pas vraiment affirmer une telle chose dans le cadre du processus actuel.

Comme l'affaire Schmidt nous l'a démontré — et l'exposé de l'Association canadienne des libertés civiles y faisait référence —, le seuil fixé par le gouvernement en matière d'incompatibilité est si bas que le processus n'est jamais enclenché. Je pense que c'est l'un des éléments du problème. Il est ressorti de l'affaire Schmidt qu'un projet de loi est considéré compatible si les risques qu'il soit jugé inconstitutionnel sont inférieurs à 5 p. 100. À mon sens, il ne s'agit pas d'un seuil raisonnable.

Deux avocats peuvent effectivement être en désaccord concernant la constitutionnalité et la compatibilité, mais je ne crois pas qu'il y ait de désaccord possible avec un seuil aussi bas. Je ne recommande pas que les gouvernements soient tenus de révéler les cas d'incompatibilité. Je demande simplement qu'ils soumettent les raisons pour lesquelles ils estiment que le projet de loi est compatible de manière à alimenter un débat parlementaire plus exhaustif sur les mérites du projet de loi. À mon avis, aucun gouvernement ne l'a encore fait; qu'il soit libéral, conservateur ou peu importe.

Je vous parlais tout à l'heure de la Loi sur le respect des collectivités. C'est une mesure prise en réponse directe à un jugement de la Cour suprême du Canada. J'estime que le gouvernement — et c'est la raison pour laquelle je préconise les énoncés de compatibilité — est tenu de justifier son projet de loi à la lumière de la décision de la Cour suprême. Ce n'est toutefois pas ce que prévoit notre processus législatif.

Selon moi, c'est à ce niveau qu'un énoncé de compatibilité peut être avantageux. Ainsi, le gouvernement doit divulguer, non pas les raisons pour lesquelles il estime un projet de loi incompatible... Je suis bien conscient encore une fois que de telles attentes sont irréalistes, malgré que la Nouvelle-Zélande ait démontré que c'était chose possible. Il faut selon moi que les gouvernements justifient leurs actions à la lumière de la Charte des droits en montrant en quoi elles sont compatibles.

Dans le cas du projet de loi C-14, je crois que la ministre de la Justice avait tout à fait raison de dire qu'il n'est pas nécessaire de se conformer exactement à un arrêt de la Cour suprême pour qu'un projet de loi soit compatible, en ce sens qu'il n'a pas à être une simple copie conforme du jugement rendu. Cela étant dit, j'estime toutefois essentiel que les gouvernements justifient leurs mesures législatives à la lumière de la Charte des droits, ce que permet de faire un énoncé de compatibilité. C'est l'avantage que présente un tel énoncé, et c'est ce que je recommande.

M. De Luca : J'aurais quelques éléments à ajouter. Je veux revenir à l'affaire Schmidt c. Canada. Il faut noter que le libellé de la Loi sur le ministère de la Justice indique que le ministre doit faire rapport de toute incompatibilité.

C'est donc une interprétation du ministère de la Justice lui-même qui est à l'origine de cette norme de l'argument crédible et de toutes ces autres normes internes qui sont si peu élevées au sein de ce ministère. Je pense que cela nous ramène au problème que vous avez soulevé quant au manque d'incitatifs. Il est difficile de forcer un gouvernement à discuter des lacunes d'un projet de loi qu'il vient de déposer.

Comme le disait M. Kelly, nous recommandons notamment que le gouvernement soit tenu de fournir des justifications à l'égard de ses propres projets de loi, ce qui constituerait une forme d'engagement de sa part.

Je crois également que si le gouvernement était obligé par la loi de prouver, sur la base de la prépondérance des probabilités, qu'un projet de loi est conforme à la Charte, il pourrait toujours, si la compatibilité était mise en doute du point de vue de la Constitution ou de la Charte, avoir recours à l'autre mécanisme qui s'offre à lui, à savoir l'article 33 de la Charte et la clause dérogatoire.

Il est ressorti notamment du débat entourant l'affaire Schmidt que les articles 1 et 33 de la Charte s'appuient en partie sur une logique voulant qu'il soit envisageable de s'autoriser certains écarts par rapport à la Charte au sein d'une société libre et démocratique, mais qu'il faudrait que cela se fasse d'une manière plus ouverte et transparente. En intervenant dans cette affaire, nous avons fait valoir que l'absence de rapports depuis 1985 montre bien que la structure constitutionnelle en place ne convient pas à tout le monde, alors même que les articles 1 et 33 sont censés favoriser une plus grande ouverture.

La sénatrice Stewart Olsen : Vous dites que la norme au ministère est d'environ 5 p. 100 ou moins, mais comment le savez-vous? Je n'ai jamais entendu personne établir une norme dans un ministère et dire : « Oh! c'est conforme à la Charte à 50 p. 100, donc nous pensons que ça peut passer. » Je n'ai jamais rien entendu de tel.

M. Kelly : Edgar Schmidt a créé un site web intitulé CharterDefence.ca, sur lequel il a publié divers documents liés à son litige. L'un de ces documents est un manuel caviardé du ministère de la Justice sur l'évaluation fondée sur la Charte et la compatibilité; il présente une série de seuils. Le seuil de 5 p. 100 figurait dans ce document et faisait partie de l'argumentaire de Schmidt, qui soutenait que le gouvernement ne respectait pas son obligation en vertu de la Loi sur le ministère de la Justice. C'est de là que vient le chiffre que je cite.

[Français]

La sénatrice Gagné : Si le Sénat adopte ce système d'analyse unilatéral, devra-t-il systématiquement bloquer un projet de loi que la Chambre des communes veut faire adopter s'il considère le projet de loi incompatible? Comment concilier le rôle de protection des minorités du Sénat, en tant que gardien de la Charte, avec la déférence que l'on doit accorder à la Chambre élue?

[Traduction]

M. Kelly : Je vous remercie de cette question. J'y répondrai à la lumière de l'approche préconisée par le Comité mixte des droits de la personne du Royaume-Uni, parce que ce comité fournit des déclarations de compatibilité ou des évaluations de l'incompatibilité.

Au Royaume-Uni, un rapport négatif du Comité mixte des droits de la personne ne bloque pas un projet de loi, parce que ce n'est pas l'intention des rapports du comité mixte. Il a plutôt pour intention soit de publier un rapport favorable à la position du gouvernement, soit de se positionner contre le gouvernement, auquel cas il visera simplement à influencer ou à informer les parlementaires quand le projet de loi sera de nouveau soumis à la Chambre des communes ou à la Chambre des lords, si c'est d'où il vient.

Ces rapports ne se veulent pas un mécanisme de blocage ou de veto. Les déclarations de compatibilité se veulent plutôt un effort afin de faciliter le dialogue entre les parlementaires sur les droits et, avant tout, de faire l'évaluation critique de la position du gouvernement, qui juge le projet de loi compatible. Si le comité est en désaccord avec cette position, il visera à informer les parlementaires en général des problèmes de compatibilité potentiels. Si l'on se réfère aux travaux de Hogg and Bushell, qui plaçaient ce modèle de dialogue en contexte canadien, le but ultime était que ce soit le Parlement qui décide au final quelle évaluation il admet et s'il modifiera ou non le projet de loi.

Encore une fois, l'intention n'est pas de créer de goulot d'étranglement dans le processus législatif, ni de permettre à un comité ou à un groupe de parlementaires de bloquer un projet de loi s'ils en font une évaluation négative; c'est plutôt d'assurer un contrepoids dans le dialogue continu qui fait partie du processus législatif quand un projet de loi est soumis à l'examen des deux chambres.

M. De Luca : Dans notre modèle, nous sommes aussi d'avis que le rapport de compatibilité et les évaluations de l'agent des droits garantis par la Charte ne bloqueraient pas un projet de loi. Il faudrait d'abord démontrer si le projet de loi déposé répond ou non à la norme de la prépondérance des probabilités.

Pour revenir à une observation que j'ai faite plus tôt, ce genre de dialogue pourrait nous obliger à reconnaître que si cette obligation n'est pas respectée, le Parlement a encore d'autres outils pour adopter le projet de loi; ce genre d'argumentation pourrait être plus robuste si ce dialogue avait lieu. Cela ne bloquerait pas totalement un projet de loi, mais il faudrait reconnaître que l'article 33 a été invoqué ou qu'on peut faire clairement la démonstration que les limites de l'article 1 établies par le Parlement ont été atteintes.

La sénatrice McCoy : Vous avez peut-être déjà répondu à la question que je souhaitais vous poser sur la Nouvelle- Zélande. Je crois me rappeler que vous avez dit qu'il y avait eu 70 déclarations, dont 35 étaient des déclarations d'incompatibilité.

M. Kelly : C'était toutes des déclarations d'incompatibilité, mais 35 portaient sur des projets de loi gouvernementaux.

La sénatrice McCoy : Qu'est-il arrivé après le dépôt de ces déclarations?

M. Kelly : Je pourrais vous dire « achetez mon livre », parce que nous en parlons dedans.

La sénatrice McCoy : Auriez-vous l'obligeance de l'autographier pour moi?

M. Kelly : Sans aucune hésitation.

La sénatrice McCoy : Une première édition peut prendre beaucoup de valeur pour nos petits-enfants.

M. De Luca : Ce livre est intitulé Parliamentary Bills of Rights : The Experiences of New Zealand and the United Kingdom, et nous soulignons dans ce livre que même s'il y a des mécanismes de divulgation en place dans ces pays, il y a des déclarations de compatibilité et des comités parlementaires spéciaux chargés de les recevoir, qui peuvent présenter des contre-arguments. Nous avons constaté peu de cas où le résultat législatif s'en est trouvé altéré. Cela s'explique par diverses raisons. Je peux vous les nommer brièvement.

Il y a la théorie du modèle, puis il y a la pratique. Nous avons constaté que dans la pratique — et quand je dis « nous », j'inclus ma coauteure Janet Hiebert —, le gouvernement était généralement avisé par le procureur général de l'incompatibilité de projets de loi, mais ces projets de loi étaient généralement tout de même adoptés dans la forme que le gouvernement voulait bien leur donner.

Est-ce que cela vient discréditer nos conclusions? Non. Je crois que nous soulignons dans ce livre que chaque parlement est différent. En Nouvelle-Zélande, il y a un mode de scrutin proportionnel mixte. La charte des droits du pays ne fait pas partie de sa constitution, c'est une simple loi. Les tribunaux ne sont pas habilités à déclarer les lois inconstitutionnelles. Il y a donc des différences constitutionnelles qui peuvent expliquer que même si le procureur général met le Parlement en garde, les projets de loi sont adoptés dans la forme que le gouvernement veut bien leur donner.

Nous soutenons que c'est peut-être à cause de la faiblesse de leur charte des droits, si l'on veut. Les tribunaux ne peuvent pas invalider une loi, si bien qu'il n'y a aucun coût politique pour le gouvernement à déposer des rapports contre ses propres projets de loi ou à publier des déclarations de compatibilité qui pourraient être contestées. C'est la même chose au Royaume-Uni. Malgré la United Kingdom Human Rights Act adoptée en 1998, les tribunaux ne peuvent pas faire de déclarations d'inconstitutionnalité. Ils ne peuvent faire que des déclarations d'incompatibilité, qui n'ont pas force de loi.

Peut-être l'expérience de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni, qui prescrivent des obligations de rapport robustes à effet limité, peut-elle s'expliquer par le pouvoir que leurs chartes confèrent aux tribunaux. Je suis d'avis que ces limites exposées dans notre livre n'existent pas au Canada et que par conséquent, des obligations de rapport robustes pourraient mener à des modifications législatives. Pourquoi? En raison du pouvoir dont jouit la Cour suprême d'imposer une modification des projets de loi considérés incompatibles ou dont les motifs de compatibilité sont contestés — et nous savons que cela n'arrivera pas —, parce que nos tribunaux ont le pouvoir suprême d'annuler des projets de loi ou d'en imposer la révision.

J'en parle dans mon mémoire. Même si l'expérience de ces autres chartes des droits n'est peut-être pas très positive, je ne suis pas convaincu que le résultat serait le même au Canada, parce qu'il y a des différences importantes dans notre système.

M. De Luca : Je suis d'accord avec tout ce que M. Kelly a dit. C'est vraiment l'expert du domaine, donc je n'essaierai pas de contester ses connaissances.

Je dirai toutefois que même dans les cas, comme en Nouvelle-Zélande, où ce type de rapports a peu d'effet, en ce sens que le projet de loi est tout de même adopté, il y a souvent des énoncés d'opposition au projet de loi faisant renvoi à ces rapports.

D'une certaine façon, le résultat est le même, puisque le projet de loi est adopté malgré les préoccupations exprimées dans le rapport et malgré les députés d'arrière-ban qui le citent, par exemple. Il est toutefois plus difficile de prévoir quelles seraient les conséquences à long terme de la citation d'un rapport dans le contexte canadien, et peut-être même en Nouvelle-Zélande. Si cette citation est relevée par un tribunal lors d'un incident subséquent, elle pourrait avoir des effets à long terme sur le dialogue, qui ne sont pas faciles à prévoir selon que le projet de loi a été adopté ou non.

La sénatrice McCoy : Est-il vrai qu'après avoir analysé ces différents processus, vous affirmez que le temps qui s'écoule entre le dépôt du projet de loi et son adoption finale n'est pas influencé par ces déclarations? Est-ce que vous l'avez observé?

M. Kelly : Nous n'avons pas remarqué que les projets de loi visés prenaient plus de temps à être adoptés par le Parlement. En Nouvelle-Zélande, c'est un peu différent, mais au Royaume-Uni, il y a un comité parlementaire spécial chargé de s'en occuper. En Nouvelle-Zélande, les évaluations de la compatibilité relèvent de tous les comités spéciaux. Ce n'est qu'une des fonctions du comité. Ces évaluations ne retardent ni ne prolongent le processus d'adoption d'un projet de loi.

Le sénateur Eggleton : Y a-t-il des préoccupations concernant l'agent des droits garantis par la Charte, et bien sûr les fonctionnaires du ministère de la Justice, puisqu'ils font partie de la même entité, du gouvernement du Canada, qu'ils ont le même trésorier. Je suis conscient que l'agent des droits garantis par la Charte pourrait être un agent indépendant du Parlement. Son statut pourrait s'apparenter un peu à celui du directeur du budget, mais je trouve que dans ce cas-ci, il pourrait y avoir des conflits plus vifs entre les fonctionnaires du ministère de la Justice, qui donnent une opinion juridique, et cette autre personne qui donnerait une contre-opinion juridique. Est-ce inquiétant pour vous ou croyez- vous que cela fonctionnerait bien?

M. De Luca : Nous croyons que cela fonctionnerait bien. C'est certain qu'il y a un risque de friction. Il y a énormément d'expertise au sein du ministère de la Justice, si bien que l'agent des droits garantis par la Charte se trouverait dans une position un peu délicate lorsqu'il remettrait ses analyses en question. Je pense qu'il serait important de veiller à ce que l'institution jouisse d'assez d'indépendance pour ne pas simplement devenir un prolongement du ministère ou corroborer ses positions.

J'ajouterais également une chose sur le processus de nomination que nous avons en tête : nous ne décrivons pas en détail comment l'institution serait composée. Le mécanisme de nomination que nous avons en tête s'apparente à celui utilisé pour désigner le vérificateur général, celui d'une résolution des deux chambres et avec l'accord de tous les chefs des grands partis. Je pense que le but, c'est de parvenir à un certain consensus sur son indépendance, ce qui aiderait, à mon avis. Mais je comprends bien votre point de vue.

M. Kelly : Quand Janet Hiebert et moi avons mené nos recherches, nous avons réalisé un certain nombre d'entrevues au Royaume-Uni avec des avocats du gouvernement, de même que des membres du comité mixte spécial. L'une des tensions que nous avons observées n'était pas une tension conflictuelle. Cette tension venait plutôt du fait que le comité doit s'assurer que le gouvernement prenne sa position très au sérieux. Voici ce que je veux dire. L'une des difficultés auxquelles ce type de comité parlementaire est confronté, c'est que quand un ministre comparaît devant le comité pour justifier un projet de loi, comme nous le savons tous, le ministre a l'appui du ministère, qui fait l'évaluation du projet de loi, alors que ce genre de comité ne se fie souvent qu'à l'avis d'un ou deux conseillers juridiques. C'est souvent le défi auquel ce genre de comité est confronté. Le gouvernement dit : « Nous avons demandé à 50 avocats d'examiner notre projet de loi et d'en évaluer la compatibilité. Pourquoi devrions-nous accepter la position d'un seul conseiller juridique? »

C'est vraiment la difficulté. Au Royaume-Uni, on a essayé de contourner le problème en nommant un personnage public de renom, comme David Feldman, au titre de conseiller juridique du comité. Il y aura donc toujours une tension entre le comité, d'un côté, et le ministre et son ministère, de l'autre. Je ne sais pas trop comment on peut éviter le problème autrement qu'en suivant le modèle du comité mixte du Royaume-Uni.

Le sénateur Joyal : J'ai écouté attentivement la réponse de M. Kelly à la question de la sénatrice McCoy, sur les différences qui existent entre les régimes de la Nouvelle-Zélande, de l'Australie et du Canada. Il y a à mon avis une différence fondamentale qui structure les deux types de régimes qu'on trouve dans la tradition britannique, c'est-à-dire que le Canada est une démocratie parlementaire, alors que l'Australie, la Nouvelle-Zélande et la Grande-Bretagne sont essentiellement des régimes de souveraineté du Parlement, dans lesquels le Parlement a le dernier mot. Ici, nous n'avons pas le dernier mot, puisque ce sont les tribunaux qui l'ont, et les tribunaux orientent nos mesures législatives. Comme vous l'avez dit à juste titre, nous avons l'article 1, qui établit la limite raisonnable, mais même la Cour reconnaît que le critère de la limite raisonnable évolue. Ce qui constitue une limite raisonnable aujourd'hui pourrait bien ne pas être considéré comme une limite raisonnable plus tard. Nous l'avons vu dans le cas du mariage civil. Je peux vous dresser une longue liste d'arrêts par lesquels la Cour suprême même a changé son opinion, notamment sur l'aide médicale à mourir. La Cour a changé son opinion par rapport à celle qu'elle avait au début des années 1990. Je ne parle pas du XIXe siècle, mais de 1992 et de l'affaire Sue Rodriguez. Le fait que le Parlement du Canada soit limité dans ses initiatives par l'obligation de respecter les droits et libertés de ses citoyens ajoute à la responsabilité des parlementaires, qui doivent se demander, lorsqu'ils adoptent un projet de loi, si ce projet de loi est conforme à la Charte. Quand la Loi sur le ministère de la Justice a été modifiée en 1995, par adjonction de l'article 4.1, qui oblige le ministre de la Justice à faire rapport de toute incompatibilité — et je vous lis l'extrait, puisque je l'ai sous les yeux — : « ... en vue de vérifier si l'une de leurs dispositions est incompatible avec les fins et dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés... »

Les fins et dispositions. « Les fins » renvoient à la nature correctrice de la Charte, comme vous le savez bien, monsieur Kelly. Le test décisif est donc très élevé pour ce qui est des critères que le ministère de la Justice doit respecter. Nous l'avons vu au cours des 40 dernières années, et cela n'a pas vraiment produit de résultats. Aucun parlementaire n'a jamais pu se fonder sur l'énoncé du ministère de la Justice pour préparer sa propre position sur le projet de loi, pour déterminer si le projet de loi devait être modifié ou rejeté parce qu'il contrevenait à la Charte. Nous avons vu — je ne dirai pas d'innombrables, mais — de nombreuses décisions de la Cour suprême, qui a annulé des lois adoptées par le Parlement, malgré le fait que les parlementaires savaient très bien qu'elles contrevenaient à la Charte. Je peux vous nommer la dernière. Vous savez mieux que moi de quoi il s'agit. À mon avis, le projet de loi C-51 n'était pas conforme à la Charte. Nous verrons comment il passera l'épreuve des tribunaux. Le projet de loi C-14 n'est pas conforme à la Charte. La ministre de la Justice du Québec soumettra le critère de la mort raisonnablement prévisible à l'examen de la Cour d'appel du Québec d'ici une trentaine de jours, probablement.

À titre de parlementaires, nous devons prendre de nombreuses décisions pour lesquelles nous devons nous demander si un projet de loi est conforme à la Charte. Quand je dis « Charte », je pense à ses fins et dispositions. Si nous n'avons pas l'aptitude, individuellement, de nous prononcer sur la chose — et nous avons l'obligation de nous prononcer, contrairement à nos homologues de la Nouvelle-Zélande ou de la Grande-Bretagne —, nous avons la responsabilité de nous demander quels outils nous aurons à notre disposition pour pouvoir nous prononcer. À mon avis, c'est la question essentielle que nous devons nous poser. Le Sénat, qui se veut la chambre du second examen objectif, devait-il bénéficier de ces outils, comme nous faisons un second examen et que nous sommes censés le faire d'une perspective plus vaste, approfondir la réflexion, jouir d'une plus grande indépendance, d'une plus grande objectivité, ainsi que de toutes les autres caractéristiques propres à notre travail législatif, que vous connaissez. À mon avis, c'est essentiellement la question que nous devons nous poser : sommes-nous satisfaits de la façon dont nous faisons notre travail ou en venons-nous à la conclusion qu'il faut fournir d'autres outils de base aux sénateurs afin qu'ils puissent, individuellement et collectivement, exercer leur devoir constitutionnel?

Autant je crois que c'est bien — et je ne remets absolument pas en question l'analyse comparative que vous avez faite, monsieur Kelly, avec la Nouvelle-Zélande et l'Australie; j'ai obtenu mon premier diplôme en droit comparatif, donc je sais ce que cela signifie que de comprendre ce que les autres font —, autant je crois que nous devons nous concentrer sur le propre du système canadien, sur ses défauts et les façons dont notre chambre pourrait améliorer ses évaluations du respect des fins et des dispositions de la Charte. Je pense que c'est essentiellement la question fondamentale qui occupe ce comité dans sa réflexion, en vue de son rapport au Sénat sur la formule renouvelée que nous devrions proposer pour évaluer la conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés des projets de loi qui nous sont renvoyés.

M. Kelly : Pour répondre à votre question, mon premier ouvrage s'intitulait Governing with the Charter. Comme vous vous en rappelez, je vous ai interrogé pour la rédaction de cet ouvrage.

Le sénateur Joyal : Voilà que nous avons un conflit d'intérêts.

M. Kelly : Non, mais dans ce livre, je déterminais — et je suis d'accord avec vous — qu'il est problématique que les parlementaires jouent un rôle actif dans l'examen des droits garantis par la Charte. Dans cet ouvrage, je m'inscrivais en faux contre la critique de la suprématie judiciaire ou de l'activisme judiciaire et soutenais que c'était peut-être la suprématie exécutive au sein du processus législatif qui serait la cause de l'activisme judiciaire, en ce sens qu'il n'existe pas de mécanismes appropriés dans notre système pour permettre aux parlementaires ordinaires des deux chambres d'examiner en profondeur le programme législatif du gouvernement. C'est la raison pour laquelle je disais que c'était peut-être la suprématie exécutive que nous devrions remettre en question dans le processus d'évaluation de la conformité avec la Charte. Je conviens tout à fait avec vous que vous devez être mieux outillés. Là où je suis peut-être en désaccord avec vous, c'est que je ne suis pas convaincu que la Constitution établisse un régime de suprématie judiciaire selon lequel les tribunaux auraient le dernier mot pour ce qui est de la Charte. Les tribunaux ont seulement le dernier mot sur la Charte des droits si les parlementaires leur permettent d'avoir le dernier mot sur la Charte des droits. Je ne suis pas en train de plaider pour le recours à l'article nonobstant. Je dis que si nous voulons que ce ne soient pas les tribunaux qui aient le dernier mot, nous devons accroître le pouvoir des parlementaires de remettre en question le programme législatif du gouvernement du point de vue des droits garantis par la Charte.

Je crois que l'expérience comparative est instructive pour le Canada, parce qu'on parle là de régimes qui ont essayé de faciliter l'examen des droits garantis par leur charte au sein de leurs organes législatifs, mais que cela n'a pas facilité les modifications législatives. Nous n'avons pas ces mécanismes au Canada. Il faut dire, à la décharge du Canada, que nous avons des particularités institutionnelles importantes, dont une cour forte et le pouvoir de déclarer une loi inconstitutionnelle, et que si ce pouvoir accru se concrétisait, nous pourrions obtenir des résultats législatifs différents.

Je conviens avec vous que les outils et les pouvoirs dont vous disposez sont très importants, mais je ne crois pas que nous devrions simplement déléguer l'examen des droits garantis par la Charte aux tribunaux.

Le sénateur Joyal : C'est la pire chose, à mon avis.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je poursuis dans la même veine que vous, monsieur Kelly, et je me demandais si vous pouviez revenir à votre deuxième recommandation. Vous avez parlé de la possibilité de créer un comité parlementaire mixte chargé d'examiner tous les projets de loi qui passent l'étape de la deuxième lecture. Quant au comité mixte sur la Charte, interviendrait-il avant la deuxième lecture? Comment cela fonctionnerait-il?

[Traduction]

M. Kelly : Je vous remercie de cette question. En fait, nous ne proposons pas que le comité mixte que nous recommandons n'intervienne qu'à l'étape de la deuxième lecture. Cela s'appliquerait qu'aux projets de loi d'initiative parlementaire. Comme nous le savons, la plupart des projets de loi d'initiative parlementaire sont rejetés après la première lecture. Cela visait seulement à mieux cibler ses efforts.

Le président : Au nom du comité, je souhaite remercier M. Kelly et M. De Luca de leurs observations précieuses et provocatrices. Elles nous donnent certainement matière à réflexion.

Honorables sénateurs, je dois vous rappeler que mercredi prochain, nous continuerons notre travail avec le témoignage du très honorable Ken Macintosh, président de séance du Parlement écossais.

La séance est levée.

(La séance est levée.)

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