Délibérations du Comité sénatorial spécial
sur la
Modernisation du Sénat
Fascicule n° 18 - Témoignages du 23 mai 2018
OTTAWA, le mercredi 23 mai 2018
Le Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat se réunit aujourd’hui, à 12 h 1, pour examiner les façons de rendre le Sénat plus efficace dans le cadre constitutionnel actuel.
Le sénateur Stephen Greene (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, mesdames et messieurs, et bienvenue au Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat. Je confirme que cette réunion se déroule en public. Aujourd’hui, nous continuons à examiner les façons de rendre le Sénat plus efficace dans le cadre constitutionnel actuel.
Le témoin que j’ai le plaisir d’accueillir aujourd’hui est l’honorable sénateur Peter Harder, représentant du gouvernement au Sénat.
Le sénateur Harder est bien connu de ses collègues pour avoir occupé pendant de nombreuses années des postes de sous-ministre dans divers gouvernements, depuis 1991, mais certains ignorent peut-être qu’il fréquente la Colline du Parlement depuis longtemps, avant même d’avoir été nommé au Sénat. En effet, le sénateur Harder a fait ses débuts sur la Colline comme stagiaire, il y a plus de 40 ans. Par la suite, il a été l’assistant de Flora MacDonald, avant de devenir chef de cabinet du très honorable Joe Clark qui était alors chef de l’opposition officielle à l’autre endroit. Il a également été chef de cabinet de l’ancien vice-premier ministre Erik Nielsen pendant les années Mulroney. J’ignore les circonstances qui l’ont amené à s’associer aux libéraux, mais c’est ça, la politique.
Le sénateur Harder est ici à l’invitation du comité, invitation qui a été lancée à tous les partis et chefs de groupe du Sénat pour répondre à la question suivante : les statuts pertinents que sont la Loi sur le Parlement du Canada, les règles de procédures, les règles administratives et les politiques du Sénat reflètent-ils de façon appropriée la nouvelle réalité du Sénat? Je vais maintenant donner la parole au sénateur Harder.
L’honorable Peter Harder, C.P., représentant du gouvernement au Sénat : Merci beaucoup, monsieur le président, chers collègues.
Permettez-moi de présenter quelques commentaires pour commencer, avant de répondre à vos questions. Je désire vous remercier de votre invitation et de l’occasion qui m’est donnée de contribuer aux importants travaux que votre comité a entrepris. Comme l’a expliqué le président, vous avez été chargés par le Sénat d’étudier des moyens de le rendre plus efficace dans le cadre constitutionnel actuel. Votre mandat demande d’explorer le nouvel environnement du Sénat et de veiller à ce que chaque voix compte vraiment. Il ne s’agit pas d’une tâche facile, en particulier parce que la composition du Sénat évolue et qu’il établit des précédents dans l’histoire de la démocratie parlementaire de type britannique. Vos délibérations et vos recommandations sont cruciales pour l’avenir du Sénat, un organe que la Cour suprême du Canada reconnaît depuis 2014 comme l’« une des institutions politiques fondamentales du Canada ». J’espère, par conséquent, que vous ne ressentez pas trop de pression.
Chers collègues, on m’a demandé d’exposer mon point de vue sur le Règlement du Sénat du Canada. Mes observations d’aujourd’hui ne viseront pas des points particuliers du Règlement. J’ai jugé plus utile de parler d’un large éventail de principes qui, d’après moi, devraient guider votre étude et vos recommandations.
Tout d’abord, je voudrais évoquer le contexte dans lequel vous menez ces importants travaux. La modernisation du Sénat n’est plus un concept abstrait. Nous la vivons. L’allure du Sénat a complètement changé en deux années à peine. Il n’y a pas si longtemps encore, il était impensable d’imaginer une Chambre haute où plusieurs membres ou la majorité d’entre eux ne s’aligneraient pas sur un parti politique. Les quelques sénateurs siégeant à titre d’indépendants constituaient une anomalie. C’est maintenant de plus en plus la norme et, compte tenu du nombre de sièges à pourvoir, cela demeurera la norme pour les prochaines années.
La prochaine élection ne se déroulera cependant que dans un peu plus d’un an et on peut penser qu’elle apportera encore d’autres changements au Sénat. À la différence du Règlement du Sénat, c’est entièrement hors de notre contrôle. Peu importe le résultat des élections, une dynamique globale s’appliquera à la révision de notre Règlement. Il ne s’agit plus d’une expérience. Le nouveau Sénat demeurera pour une très longue période, peu importe le parti qui sera porté au pouvoir.
Envisagez trois résultats différents de la prochaine élection.
Si le Parti conservateur forme le gouvernement et respecte l’intention exprimée par M. Scheer de revenir à des nominations partisanes, nous verrons probablement le retour d’un caucus gouvernemental au Sénat, mais nous ne savons pas quel groupe, le cas échéant, occupera le rôle de l’opposition au Sénat. Cependant, à moins de nouveaux développements au cours des années à venir, ce n’est pas comme si un gouvernement conservateur pouvait simplement revenir en arrière. Il y aura encore une très grande majorité de sénateurs n’appartenant pas au caucus national d’un parti politique. Il faudra près d’une décennie pour renverser cette situation, et le Règlement doit tenir compte de ce fait pour que le Sénat honore ses obligations constitutionnelles.
Si le Parti libéral l’emporte, il poursuivra le processus qu’il a instauré et continuera à procéder à des nominations par l’entremise du Comité consultatif indépendant, avec un poste de représentant du gouvernement au Sénat plutôt qu’un caucus gouvernemental. Toutes choses demeurant égales par ailleurs, il nous faut reconnaître et respecter le fait qu’un caucus conservateur existera encore et fera probablement partie du caucus national du Parti conservateur. Ce groupe continuera de vouloir exercer ce qu’il conçoit comme le rôle légitime du caucus de l’opposition.
Si le Nouveau Parti démocratique forme le gouvernement à la suite de la prochaine élection, M. Singh devra concilier la promesse de son parti d’abolir le Sénat et la décision rendue en 2014 par la Cour suprême. Cela n’est bien sûr que pure spéculation de ma part, mais je suis prêt à parier qu’une fois devant l’impossibilité probable d’appliquer la politique privilégiée par le NPD, c’est-à-dire d’abolir le Sénat, M. Singh pourrait s’accommoder du processus de nomination instauré par le présent gouvernement.
Quel que soit le résultat de la prochaine élection, nous savons que la plupart d’entre nous seront encore ici, à titre de sénateurs nommés, et que nous travaillerons à proposer un second regard attentif, chacun à notre façon, afin de faire honneur à une institution en laquelle nous croyons tous.
Nous savons aussi que, une fois tombé le rideau de l’élection de 2019, le Sénat comptera encore des groupes nombreux et diversifiés. Ce qui importe, c’est que le Règlement devrait nous permettre à tous de participer pleinement sur un pied d’égalité, peu importe où et avec qui nous siégeons.
Cela étant dit, je crois que trois grands ensembles de principes pourraient contribuer à éclairer votre étude.
En premier lieu, j’ai entendu le sénateur McInnis dire à plusieurs occasions que, quelle que soit la décision du comité, il faudra pouvoir la gérer à long terme. Je crois que c’est un bon conseil. Afin d’y arriver, le Règlement doit nécessairement être souple et suffisamment habilitant pour satisfaire tous les sénateurs, quel que soit le parti politique au pouvoir. Nous ne devrions pas aborder cette étude comme un jeu à somme nulle, avec des gagnants et des perdants.
Sur ce point, je voudrais citer la conclusion du deuxième rapport du comité, qui traitait du système de Westminster :
[...] le Sénat a la liberté de penser sa modernisation avec ouverture, en se concentrant sur la façon dont il peut, à la lumière de l’évolution de sa composition, servir au mieux l’intérêt de la population canadienne — à titre de chambre de second regard attentif chargée d’améliorer les projets de loi; de mécanisme de surveillance du gouvernement; de représentant des intérêts des régions; de tribune indépendante pour l’examen des politiques; et d’espace d’expression des minorités et de ralliement de l’opposition.
Je partage totalement cette opinion. Nous sommes maîtres chez nous et le Règlement du Sénat existe pour nous servir et non pas pour paralyser un groupe ou un sénateur en particulier. Rétrospectivement, nous savons maintenant que notre Règlement n’était pas suffisamment souple et habilitant pour composer avec les nombreux changements intervenus ces dernières années, ce qui a entraîné des mécontentements, des rappels au Règlement et des négociations prolongées indéfiniment qui ont trop souvent détourné notre attention de notre travail d’examen législatif.
Nous ne devrions pas répéter l’histoire en apportant des changements qui fonctionneraient seulement dans la dynamique actuelle. Il nous faut une solution qui respectera la pluralité des points de vue présente au Sénat et qui nous permettra à tous de nous acquitter de notre responsabilité constitutionnelle collective en tant que Chambre de second regard attentif. Les affaires menées à la Chambre du Sénat et dans les salles des comités sont nécessaires pour que notre pays fonctionne et que le gouvernement s’acquitte de ses engagements à l’égard des Canadiens. À ce moment de l’histoire du Sénat, la dernière chose dont nous ayons besoin est une camisole de force.
Je n’ai pas de réponse toute faite sur la manière détaillée de procéder. Néanmoins, c’est dans le but de procéder à une modernisation durable et à long terme du Sénat que j’ai plaidé pour la création d’un comité de gestion des affaires, comme d’autres l’ont fait à l’intérieur et à l’extérieur du Sénat. Ce comité, qui serait semblable au Bureau parlementaire en Écosse et au Comité des travaux en Nouvelle-Zélande, proposerait des échéanciers et des plans de travail souples au Sénat. Toute décision du comité de gestion des affaires du Sénat serait soumise au Sénat pour être approuvée, ce qui permettrait de s’assurer que le dernier mot revienne à la Chambre. Tous les groupes siégeraient à la table et les délibérations publiques conféreraient de la transparence à l’élaboration du plan de travail du Sénat.
Le comité servirait à officialiser une approche couronnée de succès liée aux délibérations et aux débats, que nous avons mise en application dans le cadre de deux affaires importantes émanant du gouvernement. Je crois que les expériences que nous avons tirées de l’étude du projet de loi C-14 au Sénat, il y a deux ans, de même que l’approche novatrice actuellement adoptée par le Sénat pour l’étude du projet de loi C-45, démontrent comment nous pouvons travailler ensemble afin de traiter les projets de loi de manière plus moderne, transparente et prévisible, de sorte qu’ils soient plus accessibles pour les Canadiens. Plus important encore, dans le cas des projets de loi C-14 et C-45, l’approche adoptée a permis de protéger le droit qu’ont tous les sénateurs de prendre part à un débat sur un projet de loi, d’examiner un projet de loi, d’y proposer des amendements et de s’y opposer.
Je crois qu’un comité de ce type fonctionnerait bien, peu importe l’orientation prise après les prochaines élections. Si un caucus gouvernemental conservateur est de retour au Sénat, un tel comité pourra s’assurer que les voix indépendantes au Sénat ne sont pas englouties par un cadre reposant sur un duopole qui n’existe plus.
Votre comité pourra fournir un cadre formel au comité de gestion des affaires du Sénat, par exemple, grâce à l’ajout proposé d’un nouvel article au chapitre 12 du Règlement.
En second lieu, comme le sénateur Woo l’a exposé de manière plus éloquente que je ne pourrais le faire, lors de son dernier passage ici, votre examen du Règlement devrait être guidé par les principes de l’équité et de l’égalité de tous les sénateurs. Je crois que le sénateur Woo a bien démontré que le Règlement ne rend pas compte de la réalité actuelle du Sénat, au sein duquel le groupe le plus nombreux et à la croissance la plus rapide n’est affilié ni au gouvernement ni à l’opposition.
Je ne répéterai pas textuellement les arguments précis que le sénateur Woo a apportés au nom du Groupe des sénateurs indépendants, mais je crois qu’il a bien démontré la nécessité de procéder à un examen pragmatique de certains processus, en particulier le processus de sélection des membres du comité sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs et l’invocation par le gouvernement d’une attribution de temps. Le GSI est fondamentalement invisible pour ces deux processus. Les libéraux indépendants du Sénat ne sont pas inclus dans le processus concernant le comité sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs. À cet égard, j’estime qu’il nous faut établir un processus assurant que tous les sénateurs, sans exception, aient un droit de vote relativement à la composition de ce comité.
Cela nous amène à une question plus vaste : Il nous faut veiller à ce que notre Règlement accorde des droits équitables et égaux à tous les sénateurs, y compris à ceux appartenant à un parti ou un groupe parlementaire reconnu et aux autres. Lorsqu’il est question du Règlement, le traitement des sénateurs indépendants devrait être au cœur de nos délibérations et ne pas être considéré comme accessoire. Ces principes d’équité et d’égalité n’ont pas été pris en compte au cours de la dernière série de négociations sur la composition du comité. Il est tout simplement contraire à l’esprit d’un Sénat plus indépendant de créer un club fermé où seuls ceux ayant choisi de s’affilier ont le droit de participer pleinement. Comme la sénatrice Bellemare l’a souligné par le passé, bien avant que nous, novices, ayons été nommés, l’ancien sénateur Wallace s’est battu bec et ongles pour les droits des sénateurs indépendants. Je crois que nous devrions travailler à le rendre fier. Après tout, nous sommes fiers du devoir constitutionnel qui nous est confié de donner une voix aux minorités. Ce principe ne devrait-il pas s’appliquer également à notre fonctionnement interne?
Enfin, tout changement apporté au Règlement doit tenir compte de l’importance des affaires du gouvernement dans la charge de travail du Sénat. L’examen des affaires gouvernementales est la plus importante mission du Sénat. En principe, votre étude devrait prendre en compte la diversité des responsabilités assumées par le Sénat, qui comprennent naturellement celles de mon bureau ayant trait aux affaires gouvernementales.
Quels que soient les changements que le comité recommande, je propose qu’il s’assure que le Règlement continue à faciliter et à mettre au premier plan les affaires gouvernementales, ainsi qu’à préserver la capacité du gouvernement à se prononcer dans les débats entourant son propre ordre du jour et l’établissement de ses propres priorités.
Par exemple, le gouvernement a un intérêt légitime et direct dans les décisions portant sur la durée de la sonnerie et le report d’un vote sur la législation gouvernementale. Ces pouvoirs existent notamment afin de prévenir des résultats indésirables et potentiellement dommageables, tels que le rejet involontaire d’un projet de loi gouvernemental. Sans la possibilité de reporter un vote ou de demander une sonnerie d’une heure, par exemple, le gouvernement pourrait perdre un vote sur un projet de loi budgétaire. En disant cela, je reconnais et j’accepte complètement les points soulevés par le sénateur Woo la semaine dernière. Il est étrange que le plus grand groupe au Sénat n’ait pas de contrôle procédural à jouer dans ces décisions. Nous pouvons sans contredit convenir que la direction du GSI a un intérêt légitime à s’assurer que les membres du GSI ont la chance d’exprimer leur vote, qui est l’élément central du report des votes et de la durée de la sonnerie.
Les membres nommés d’office constituent un autre exemple. Sur cette question, je presse le comité de tenir compte des incidences pratiques de ses recommandations sur le bureau du représentant du gouvernement. Notre collectif de trois sénateurs n’est affilié à aucun groupe et, aux termes de l’ordre sessionnel, ne fait partie d’aucun comité du Sénat. Lorsqu’un comité étudie un projet de loi du gouvernement, il est essentiel que le gouvernement ait accès aux délibérations et conserve la capacité de présenter une motion par l’entremise d’un de ses représentants, comme je l’ai fait par le passé.
En bref, alors que le Sénat est passé rapidement à une indépendance accrue par rapport au pouvoir exécutif, nous devons nous rappeler que notre travail quotidien est d’une importance cruciale pour le gouvernement du Canada. Bien sûr, par la force des choses, notre ordre du jour est en grande partie celui du gouvernement du Canada. Par conséquent, dans la mesure où le comité examine les aspects pratiques de notre travail, je prie ses membres de tenter d’étudier les questions du point de vue du gouvernement.
En dernier lieu, je m’en voudrais de ne pas mentionner la Loi sur le Parlement du Canada, à laquelle, je le sais, beaucoup d’entre vous pensent. On pourrait soutenir que la loi actuelle n’est pas harmonisée avec le nouveau Sénat. On pourrait, par exemple, démontrer que la loi n’est pas suffisamment souple ou habilitante. Cependant, tout changement à la loi exigerait le consentement des deux Chambres du Parlement. En outre, dans la mesure où tout changement exige une recommandation royale, la législation devrait être déposée devant la Chambre des communes dans le cadre d’un projet de loi du gouvernement. Du fait que le Sénat est un organe autonome, ce n’est cependant pas au gouvernement de procéder unilatéralement avec sa propre interprétation des modifications à apporter à la Loi sur le Parlement du Canada, qui pourrait nuire au fonctionnement interne du Sénat.
En avril de cette année, dans une entrevue au Hill Times, le sénateur Joyal a déclaré que l’examen de la Loi sur le Parlement du Canada est un objectif important et que, si l’on apporte des changements, le Sénat devrait se charger du processus de rédaction des changements recommandés par l’entremise du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, puis les transmettre à la Chambre des communes afin de les intégrer à un projet de loi. Je suis totalement d’accord avec le vice-président du comité.
En réponse aux questions du comité, le sénateur Woo a déclaré, voilà deux semaines, qu’il devrait y avoir un processus sur lequel le gouvernement s’appuie pour nous faire part de son intention et de son désir de modifier la Loi sur le Parlement du Canada, et qu’un autre processus devrait ensuite nous permettre à nous tous de travailler sur la nature des changements à apporter.
Chers collègues, le 24 février 2016, l’honorable Dominic LeBlanc, qui était alors leader du gouvernement à la Chambre des communes, avait témoigné devant le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement. Le ministre LeBlanc avait alors déclaré ce qui suit :
Je serais disposé à entendre les suggestions des sénateurs ou à connaître le processus que vous, madame la présidente, ou vos collègues jugez approprié […]
Vous comprendrez que ce n’est pas à un député de la Chambre des communes de dire aux sénateurs de quelle façon changer ou adapter leur propre règlement […] Je serais donc heureux de travailler de façon collective ou collégiale pour faire en sorte que, si le gouvernement propose un projet de loi visant à modifier la Loi sur le Parlement du Canada, nous puissions en même temps corriger, amender ou mettre à jour de façon efficace et dans un seul projet de loi gouvernemental tous les éléments que vous et vos collègues jugez importants.
Je considère cette déclaration comme une invitation de longue date faite au Sénat d’aller de l’avant et de formuler à l’intention du gouvernement des recommandations de changement à la Loi sur le Parlement du Canada. C’est notamment en tenant compte des commentaires du sénateur Woo et de la proposition du sénateur Joyal que j’ai réitéré ce message dans une récente lettre à vos instances, en déclarant clairement que le gouvernement continue d’être favorable à une étude du Sénat sur la question. Ce n’est pas à moi ou au gouvernement de décider comment ou par qui cette étude devrait être effectuée. Cette décision revient à la Chambre haute, par renvoi à un ou plusieurs comités. Je crois, cependant, qu’une étude serait un pas dans la bonne direction et qu’elle devrait être entreprise le plus rapidement possible.
Je vous remercie de votre attention et je me tiens prêt à répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.
Le président : Merci. Les commentaires que vous venez de nous présenter nous seront très utiles.
Le sénateur McInnis : Je vous remercie d’être venu témoigner et pour l’énergie que vous avez mise dans la rédaction de votre exposé.
Ma question porte sur les modifications qui sont formulées au Sénat et renvoyées à la Chambre des communes. Normalement, lorsque j’examine un texte de loi, je lis les discours qui sont prononcés devant l’autre Chambre et en particulier les témoignages et les questions qui sont posées dans les comités pertinents. Sans vouloir manquer de respect aux législateurs de la Chambre des communes, je constate qu’ils ont tendance à laisser percer une certaine influence politique plus facilement que nous le faisons ici dans les comités sénatoriaux. Nous reconnaissons tous que nos comités font un excellent travail. Par conséquent, lorsqu’ils présentent des modifications, je ne suis pas certain que ces dernières reçoivent la crédibilité qu’elles méritent lorsque nous les renvoyons à la Chambre des communes. En fait, je ne suis même pas certain qu’elles soient prises en considération avant de nous être renvoyées.
Depuis que je suis ici, j’ai constaté que de nombreuses modifications vraiment crédibles ne parviennent pas à s’imposer à la Chambre des communes. Il y avait autrefois un processus — que je ne recommande pas, car il ne fonctionnait pas si bien que cela — qui permettait, en cas de difficulté, de réunir un certain nombre de sénateurs et de députés pour en discuter.
Comment procède-t-on? Sans mentionner l’autre Chambre, ne pensez-vous pas que nous faisons un travail valable en rencontrant les témoins, en posant des questions et en analysant les résultats et les rapports qui parviennent au Sénat?
Le sénateur Harder : Cher collègue, permettez-moi de préciser d’entrée de jeu que je partage votre point de vue au sujet des travaux des comités sénatoriaux. Comme je l’ai déjà dit, lorsque j’étais sous-ministre et que je comparaissais devant un comité du Sénat plutôt que devant un comité de la Chambre des communes, je m’assurais d’être mieux préparé, car les questions provenant des sénateurs étaient plus pertinentes, venant de la part de parlementaires qui connaissent sans doute mieux le cadre législatif, étant donné qu’ils sont en fonction depuis plus longtemps et qu’ils attachent moins d’importance aux grands titres du Globe and Mail.
Voilà mon point de vue. Cela dit, j’aimerais signaler aux sénateurs que, au cours des deux dernières années, le gouvernement a accepté volontiers les modifications présentées par le Sénat à propos d’un projet de loi, lorsque le premier ministre lui soumet un texte législatif. Vous savez sans doute que depuis deux ans, le gouvernement a accepté de multiples amendements apportés à 10 projets de loi. Ces amendements ont été acceptés, quelle que soit leur origine, qu’ils aient été proposés par des sénateurs conservateurs, indépendants, libéraux indépendants ou d’autres groupes de sénateurs. À l’occasion, le gouvernement a même manifesté en comité la volonté du gouvernement de recevoir un amendement ou, comme mon rôle m’amène à le faire, j’ai moi-même proposé des amendements au nom du gouvernement sur des questions aussi importantes qu’un projet de loi budgétaire, tenant compte de la vision du gouvernement à la suite des préoccupations soulevées au Sénat, avant même le renvoi du texte législatif à la Chambre basse.
À cet égard, je prends très au sérieux mon rôle de représentant du gouvernement au Sénat; il me donne l’occasion et même l’obligation de soulever les préoccupations exprimées par les comités du Sénat à l’égard des amendements potentiels et de collaborer avec les parrains du projet de loi en vue de les intégrer.
Vous avez demandé ce qui se passe lorsqu’un projet de loi est présenté à la Chambre des communes avec des amendements. Nous avons vécu plusieurs situations dans ce domaine. Techniquement, bien entendu, le gouvernement doit décider, après examen par le Cabinet, quels sont les amendements qu’il juge acceptables. Une fois que ce processus a eu lieu, le gouvernement formule son point de vue et le présente à la Chambre des communes par le processus du message.
Comme je l’ai dit, ce processus a permis de faire accepter les amendements que nous avions proposés dans le cas de 10 projets de loi. Tout récemment, les amendements que nous avions proposés au projet de loi C-49 ont été acceptés et, comme le veut la tradition, le Sénat a reçu le message de la Chambre des communes et a, dans tous les cas, accepté ce message, sans insister sur nos amendements, à l’exception du message que nous avons reçu hier.
Voilà le rôle complémentaire qui s’exerce dans un système bicaméral qui comprend une institution dont les membres sont nommés et une autre dont les membres sont élus. En vertu de ce rôle, les deux Chambres ont le devoir d’examiner les textes législatifs, de se prononcer à leur sujet et de proposer des recommandations visant à les améliorer. Le gouvernement a l’obligation de les prendre en considération et nous, l’obligation d’exercer nos responsabilités.
Permettez-moi de souligner que ces chiffres marquent un écart certain par rapport aux pratiques antérieures. Sans vouloir poser un jugement, je constate que les gouvernements antérieurs n’étaient pas souvent enclins à accepter régulièrement les amendements substantiels présentés par le Sénat. Je tiens simplement à souligner que le Sénat que je décris est plus adapté et plus conforme à l’arrêt prononcé par la Cour suprême en 2014 qui évoquait pour le Sénat un rôle complémentaire plutôt qu’en opposition avec celui de la Chambre des communes.
Le sénateur McInnis : Mais si nous sommes meilleurs, et si effectivement nous avons la possibilité de trancher sur ces questions et, bien entendu, c’est notre rôle de le faire, dans ce cas, nous avons sûrement le droit d’insister jusqu’à un certain point pour que nos modifications soient acceptées. Je comprends votre point de vue, et je reconnais qu’il s’agit d’un nombre important, 10 modifications ou quel qu’en soit le nombre exact, ont été acceptées. Toutefois, il ne devrait pas s’agir d’une sorte de concours. Au contraire, si nos commentaires sont justifiés, et si nous croyons vraiment à notre travail à titre de sénateurs, dans ce cas, est-ce qu’il n’existerait pas un mécanisme que nous pourrions mettre en place pour pouvoir insister davantage?
Le sénateur Harder : Sénateur McInnis, je pense que les mécanismes relatifs à la responsabilité politique existent déjà par le truchement du vote, et qu’ils existent dans la Chambre où les députés sont élus. Ils existent dans la plateforme, et dans ce que vous avez décrit comme une approche plus partisane dans l’autre Chambre. C’est tout à fait approprié.
Ce qui est acceptable, c’est un jugement de valeur de la part des gouvernements élus qui doivent tenir compte de l’intérêt public dans un large éventail de domaines, et qui assument la responsabilité d’en rendre compte en définitive.
C nous ne disposons pas d’une telle possibilité dans une institution dont les membres sont nommés, comme la nôtre. Nous avons, à mon avis, la responsabilité, effectivement, d’exercer notre jugement, de chercher à faire valoir nos arguments en vue d’apporter des améliorations aux projets de loi, et, en passant, de ne pas nous opposer aux projets de loi, mais plutôt de les améliorer et de prendre en compte les points de vue de l’autre Chambre.
Le sénateur Joyal : J’éprouve quelques réserves quant à votre suggestion au sénateur McInnis, selon laquelle le fait de ne pas avoir été élu pourrait constituer un obstacle au droit d’insister ou, du moins, de bloquer un projet de loi. Et je vais vous dire pourquoi.
J’ai pris part à des initiatives au Sénat qui ont bloqué des projets de loi du gouvernement, et à juste titre. Il s’agissait d’un projet de loi du gouvernement Harper sur la réforme du Sénat. Je vous mentionne cela avec la plus grande déférence envers les sénateurs conservateurs qui sont ici, autour de la table.
Je vais vous décrire le contexte. Le gouvernement Harper avait été élu avec la promesse et l’engagement non remplis, qui remontaient à l’origine de son parti, issu de l’Alliance canadienne et du Parti réformiste, et qui consistaient à modifier la structure du Sénat — de manière à ce que les sénateurs soient élus et à ce qu’ils aient des mandats d’une plus courte durée.
Le gouvernement en a fait une priorité de son mandat. De fait, et je m’en souviens très bien, M. Harper lui-même est venu témoigner devant le comité spécial de la Chambre pour défendre son projet. Vous savez, c’était un fait sans précédent; le premier ministre, immédiatement après l’élection, s’est présenté devant la Chambre et a plaidé en faveur de la réforme de cette dernière.
Le projet de loi a été présenté au Sénat. Il a été renvoyé au Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Après un débat approfondi et l’étude du projet de loi, la majorité — qui était une majorité libérale — des sénateurs en vinrent à la conclusion que le projet de loi entraînait d’importantes répercussions sur le plan constitutionnel et que ces répercussions devaient être portées à la connaissance de la Cour suprême parce qu’elles modifiaient la structure du Parlement du Canada.
Le gouvernement et le comité recommandèrent que le projet de loi soit maintenu tant que la Cour suprême ne se serait pas prononcée à son sujet. Le gouvernement a ensuite présenté le projet de loi à la Chambre des communes. Le projet de loi est demeuré inscrit au Feuilleton à la Chambre des communes parce qu’il s’agissait d’un gouvernement minoritaire, et que le projet de loi est tombé en même temps que le gouvernement.
Plus tard, le gouvernement est revenu à la charge avec son projet de loi, et finalement, après trois ans, le gouvernement, a déféré la question à la Cour suprême, une très sage décision, selon moi, et c’est ainsi que nous avons obtenu la décision de la Cour suprême que vous avez mentionnée.
La conclusion de toute cette histoire est que si le Sénat ne s’y était pas opposé, et ce, en dépit d’un engagement électoral clair, vous ne seriez pas assis ici aujourd’hui. Ce serait un autre sénateur qui représenterait le gouvernement parce que les sénateurs auraient été élus, et non nommés par le gouvernement, à titre indépendant ou autre. Il aurait pu s’agir d’un sénateur du Parti vert, ou d’un parti de l’Ouest, ou de tout autre parti.
La conclusion que j’en tire est la suivante : il n’est pas vrai que le Sénat doive toujours céder à la Chambre des communes, et particulièrement lorsqu’une question comme la définition de la structure du Parlement du Canada est en jeu.
Permettez-moi de vous citer un autre exemple. Le gouvernement Chrétien s’était fait élire sur la promesse qui figurait dans son livre rouge d’annuler le contrat pour l’aéroport Pearson. Il avait déposé un projet de loi visant à annuler le contrat, et qui comportait une clause pour empêcher l’entrepreneur de poursuivre le gouvernement en vue d’obtenir une compensation, à l’encontre de la Charte — autrement dit, qui abolissait le droit de s’adresser aux tribunaux. Le projet de loi en question est arrivé devant cette Chambre, et à l’époque, les conservateurs étaient majoritaires, mais les libéraux se sont unis aux conservateurs majoritaires pour exiger la suppression de cette clause du projet de loi, et nous l’avons renvoyé à l’autre endroit.
Dans ce cas aussi, il s’agit clairement d’une initiative du Sénat face à une loi du gouvernement sanctionnée par le vote des électeurs du Canada, mais qui allait à l’encontre de la Charte des droits et libertés.
Je pense que la décision rendue par la Cour suprême en 2014 reconnaît clairement à la Chambre le droit de s’opposer dans certaines circonstances bien particulières, par exemple si la Constitution du Canada est en jeu, ou si la Charte des droits et libertés est en jeu. Tant que je serai sénateur, je me porterai à la défense de ce principe. Cela ne signifie pas pour autant que le Sénat peut, dans tous les cas, s’opposer au gouvernement malgré l’engagement pris par ce dernier devant l’électorat. Je ne le prétends pas, mais en revanche, je prétends que même si le gouvernement a reçu un mandat électoral clair, si l’interprétation qu’en fait le gouvernement va à l’encontre de la Constitution ou de la Charte, le Sénat est fondé à s’y opposer. En dernier recours, ce sont les électeurs ou les tribunaux qui en décideront. En fin de compte, il y a un arbitre pour établir ce qui doit advenir.
Je ne suis pas partisan de l’abus de la capacité du Sénat d’apposer son veto. Si la Cour suprême était arrivée à la conclusion que le Sénat ne devrait pas exercer son droit de veto pour annuler la composante démocratique de la Constitution telle qu’elle est interprétée par l’existence de l’élection, elle l’aurait dit. Toutefois, elle ne l’a pas fait. La Cour suprême a déclaré que le Sénat est le détenteur légitime du pouvoir qu’il exerce dans certaines circonstances bien précises.
Je pense que nous sommes fondés, en tant qu’institution, à l’utiliser, mais pas à en abuser. Si nous en abusons, nous savons ce qui va se produire. Ces circonstances particulières ne se sont pas produites au XIXe siècle — elles se sont produites il y a 3 ans ou il y a 10 ans de cela, alors que la sénatrice Verner et moi étions membres du gouvernement de l’époque.
Je pense qu’il faut faire des nuances. C’est la raison pour laquelle je pense que lorsque nous nous interrogeons à savoir si nous devrions exercer notre pouvoir, notre pouvoir législatif, je pense qu’en fin de compte, la réponse est oui. Cependant, cela n’autorise pas le gouvernement à adopter une position sur la base des principes, comme le premier ministre l’a fait en déclarant, il y a quelque temps : « Pas d’amendements de la part du Sénat, merci beaucoup; nous avons fait notre travail à la Chambre des communes. »
La ministre de la Justice de l’époque, Anne McLellan, a comparu devant ce comité au sujet du projet de loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Elle était venue témoigner au sujet de cette importante modification au Code criminel. Elle est arrivée, et elle a dit : « Écoutez, la Chambre des communes a apporté 18 modifications au projet de loi. Il est parfait, merci beaucoup; adoptez-le et c’est tout. » Malgré cela, nous avons apporté une modification visant à protéger les adolescents autochtones. À l’époque, la protection des droits des Autochtones ne figurait pas à l’ordre du jour du gouvernement, comme c’est le cas aujourd’hui — à juste titre, selon moi. Je ne dis pas cela parce que le gouvernement se montrait insensible aux peuples autochtones de manière générale, mais en relation avec le projet de loi, qui ne reflétait pas le sort des adolescents autochtones. Nous avons adopté une modification qui a été transmise à l’autre endroit. Le gouvernement s’est retrouvé face à un dilemme : doit-on reconnaître le statut des peuples autochtones? Et en fin de compte, le gouvernement l’a acceptée.
Si nous avions accepté les paroles de la ministre de la Justice de l’époque, nous aurions répondu, merci, c’est suffisant, et nous aurions renvoyé le projet de loi. Lorsqu’un gouvernement se présente et déclare, non merci, n’apportez pas d’autres modifications à ce projet de loi, je ne pense pas que c’est montrer beaucoup de respect envers les droits du Sénat.
L’opinion publique peut nous juger, et trouver que nous abusons de nos droits, ou pas, ou encore, si nous sommes fondés à insister, comme dans le cas des adolescents autochtones, pour une minorité qui n’avait pas la possibilité de se faire entendre où que ce soit. Vous savez le jugement rendu par le Tribunal des droits de la personne concernant les enfants placés dans les familles d’accueil, et la condamnation des Nations Unies en regard de cette situation. Vous le savez mieux que moi.
Je ne pense pas que le gouvernement devrait adopter une position sur la base des principes pour un projet de loi — merci, peut-être la prochaine fois, mais pas pour ce projet de loi-ci. Ce n’est pas ainsi que l’institution doit exercer ses activités. L’institution doit fonctionner sur les mérites de l’analyse que nous faisons et sur l’expertise que nous entendons ici, autour de la table où vous êtes assis. C’est ainsi que nous tirons ces conclusions.
Bien entendu, toutes les modifications ne revêtent pas la même importance. À mon avis, lorsque les modifications concernent les droits de minorités ou les droits de Canadiens qui sont considérés comme marginalisés dans le tissu social canadien, je pense que le Sénat est en droit d’insister. Dans ces circonstances, j’espère être encore au Sénat lorsque surviendra une situation dans laquelle nous insisterons en nous fondant sur le principe des droits découlant de la Charte ou de la Constitution du pays. Je serai prêt à insister n’importe quand, à me rendre sur n’importe quelle plateforme, conférence de presse, entrevue à la télévision ou avec un journaliste, pour expliquer pourquoi le Sénat a insisté. Il faut que nous le comprenions bien, et je pense que le gouvernement devrait insister pour bien le comprendre lui aussi. Parce qu’autrement, nous assistons à une mise en scène du Sénat. « Discutez-en tant que vous le voudrez, mais en définitive, c’est terminé, et nous déciderons du moment, et de l’occasion, où vous en aurez terminé ». Le système est beaucoup plus nuancé que cela, et la Cour suprême l’a très bien saisi lorsqu’elle a rendu cette décision.
Je comprends votre position. Et je ne m’adresse pas à vous personnellement. Vous êtes le gouvernement; vous exprimez les points de vue du gouvernement. En vous communiquant cette expression, je tenais à ce que le gouvernement le comprenne bien, parce que certains de ses membres pourraient avoir oublié ce qui s’est passé il y a 3 ans, 10 ans, 15 ans, lorsque le Sénat a opposé son veto.
Le sénateur Harder : Monsieur Joyal, vos commentaires méritent une réponse bien réfléchie. Je partage largement votre conclusion, soit dit en passant, et le document que j’ai distribué récemment sur la complémentarité aborde la question de façon assez approfondie, plus longuement que je n’ai pu le faire dans ma déclaration d’aujourd’hui. Par exemple, j’y explique pourquoi je suis contre l’opposition d’un veto suspensif dans le contexte canadien, parce que nous devons nous montrer plus nuancés dans notre compréhension de nos principes, parce qu’ils ne sont pas des carcans. En effet, à un certain moment, j’ai posé la question : mais qu’est-ce qu’une retenue convenable? La réponse brève : c’est compliqué. Et ce l’est parce qu’il faut tenir compte des circonstances du moment afin de déterminer le mieux possible comment le Sénat devrait exercer son pouvoir très réel à la lumière de son rôle complémentaire.
Je ne suis pas offusqué le moins du monde par votre description des circonstances; il est certain qu’elles sont discutables. En passant, en définitive, c’est la majorité du Sénat qui détermine si nous devons insister ou non. Je sais que pour le projet de loi C-14, par exemple, lorsque le message est arrivé, un certain nombre de sénateurs — vous y compris — n’auraient pas accepté le message en provenance de l’autre endroit pour de très bonnes raisons et pour les arguments que vous venez de faire valoir, mais il ne s’agissait pas de l’opinion de la majorité du Sénat. L’opinion de la majorité était d’accepter, et de ne pas insister.
C’est le débat que nous devrons tenir. Ce que j’aimerais suggérer toutefois, c’est que ces débats n’ont pas lieu avec toutes les mesures législatives. Ils se produisent avec les projets de loi dans les domaines que vous venez de décrire. Nous devons faire en sorte que notre expérience reflète cette réalité.
Je le répète, nos méthodes et nos principes ne sont pas un carcan. En un sens, la retenue reconnue est, franchement, un outil puissant lorsque l’on est aux prises avec des circonstances qui justifient un Sénat plus militant.
La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie, sénateur Harder. Je vais revenir à votre exposé, en fait, parce que j’aimerais que vous développiez un peu votre idée d’un comité de gestion des affaires. Il me semble que créer une autre bureaucratie au sein du Sénat ne fait qu’ajouter potentiellement à la bureaucratie existante. Je me demande si le comité de gestion des affaires que vous suggérez n’existe pas déjà — c’est tout simplement qu’il n’a pas de nom —, car tous les groupes et les sénateurs indépendants se réunissent — à l’exception des indépendants les plus indépendants — et l’on y décide de l’ordre du jour, l’on négocie sur les divers projets de loi. Je ne suis pas certain de bien comprendre ce que vous suggérez finalement. Si cette suggestion était adoptée, selon moi, votre bureau pourrait se retrouver sévèrement amputé de membres de son personnel parce que vous n’auriez plus besoin d’autant de gens que ceux que vous avez déjà.
Comment voyez-vous son mode de fonctionnement? Occupe-t-il une position supérieure à celle du comité permanent de la régie interne?
Le sénateur Harder : Merci de votre question. Permettez-moi de vous en dire un peu plus et de vous aiguiller vers un exemple qui mérite considération. Allez sur le site web du Parlement écossais, où on…
La sénatrice Stewart Olsen : J’y suis allée. Désolée de vous interrompre, mais j’aime bien ce que nous avons déjà ici.
Le sénateur Harder : Je vais y revenir. Je voulais seulement dire qu’il s’agit d’un exemple qui donne de bons résultats sans être terriblement bureaucratique et qu’il permet à ceux qui observent ou qui légifèrent au sein du Parlement écossais de disposer d’un certain degré de prévisibilité dans l’établissement des horaires des débats et de ce qu’ils décrivent comme le « moment de prendre une décision ».
Ce que je suggère en fait, c’est de tirer parti des discussions que tiennent déjà les leaders au cours desquelles ils échangent certainement des renseignements, mais arrivent rarement à un accord sur la manière dont un projet de loi donné sera traité et selon quel échéancier. Nous en sommes arrivés à un accord semblable dans le contexte des projets de loi C-14 et C-45, que j’ai mentionnés dans mes commentaires en expliquant qu’un comité de gestion des affaires s’inspirerait de cette expérience.
Je ne pense pas qu’à cette occasion nous ayons utilisé un processus bureaucratique. Nos suggestions ont été proposées au Sénat, comme le savent les sénateurs, et acceptées. Elles ont en effet fourni un cadre de travail au comité ainsi qu’au Sénat au complet pour la tenue du débat en deuxième et en troisième lecture. Cela nous permettrait d’adopter un rythme de travail plus régulier et d’éviter la ruée du mois de juin et du mois de décembre; nous pourrions ainsi tenir nos délibérations de manière moins précipitée, et cela devrait se refléter dans une utilisation plus judicieuse de notre temps.
Il ne s’agit pas d’un concept révolutionnaire. Et cela ne signifie pas que nous aurions moins de travail à abattre. Non, cela signifie simplement que nous pourrions adopter une gestion plus ciblée du travail que nous avons à accomplir.
La sénatrice Stewart Olsen : Autrement dit, si on compare à ce qui se passe aujourd’hui, vous souhaiteriez ajouter de nouvelles règles ou apporter des changements qui établiraient un échéancier, donc il y aurait une règle à suivre. On nous présente une disposition législative, et la règle dit que nous devons en débattre? J’essaie de mieux comprendre.
Le sénateur Harder : Cela fonctionnerait au cas par cas.
La sénatrice Stewart Olsen : Comme nous le faisons actuellement?
Le sénateur Harder : Oui, mais avec l’avantage d’avoir adopté une approche convenue pour une disposition législative particulière, autrement dit, pendant combien de temps nous en discuterions et, peut-être même que nous pourrions déterminer les journées afin que ceux qui s’intéressent à cette question plus particulièrement n’aient pas à suivre toute la discussion sur tous les projets inscrits au Feuilleton.
Ce n’est pas une intervention terriblement importune. En revanche, cela pourrait représenter une amélioration sensible de notre capacité à gérer notre temps et nos études, et à planifier notre manière de délibérer et de décider.
La sénatrice Stewart Olsen : Je vois où vous voulez en venir. Toutefois, pour ma part, je trouve que c’est ce que nous faisons déjà, dans la mesure du possible, puisque nous devons nous entendre au sujet de projets de loi que vous-même, en tant que représentant du gouvernement, nous désignez comme importants, et que nous devons y arriver dans un certain délai, et ensuite nous nous réunissons tous ensemble. Sans disposer d’un comité de gestion des affaires officiel, nous tenons néanmoins des réunions au cours desquelles les sénateurs négocient, et il est vrai que l’on n’obtient pas toujours ce que l’on souhaiterait, mais nous négocions. C’est comme cela que je vois les choses, mais je peux me tromper. Merci.
La sénatrice Lankin : J’aimerais faire deux ou trois commentaires sur une partie des discussions qui ont eu lieu auparavant, et j’aimerais vous poser une question, sénateur Harder.
Sénateur Joyal, j’ai écouté ce que vous avez dit, et si j’ai bien compris, dans ces situations, compte tenu de la portée de notre travail, telle que la Cour suprême l’a indiquée, il pourrait bien y avoir des occasions où notre devoir consiste à... Donc, je suis d’accord, et je ne pense pas que quiconque soit en désaccord avec cela.
Je voudrais seulement signaler, comme vous l’avez mentionné, que cela arrive rarement et que, par conséquent, on n’en abuse pas. Habituellement, comme nous l’avons vu tout à l’heure, et l’histoire de notre institution pourrait nous renseigner à ce sujet, il n’y a pas beaucoup de ministres qui agissent comme le ministre Garneau l’a fait, et qui viennent nous dire : « Voici le projet de loi, je ne veux aucune modification, et il me le faut avant Noël. » Heureusement qu’ils ne sont pas nombreux à agir comme cela, parce que son attitude a provoqué toute une réaction. J’ai vu comment les gens réagissaient à la requête du ministre.
Je pense qu’il ne faut pas abuser de la situation dans les deux cas. De telles circonstances vont sans doute se reproduire à un moment ou à un autre, mais ce qui compte pour moi c’est la portée du travail indiquée par la Cour suprême, et c’est dans ce cadre que nous devrions évoluer. Je dirais que, avec le projet de loi C-49, nous avons été les témoins d’une saga au cours de laquelle une série de modifications, dont certaines avaient été acceptées, nous ont été retournées — c’est l’exercice auquel nous a contraint un sénateur, en nous demandant de les renvoyer de nouveau, après quoi elles sont revenues, et tout un groupe de sénateurs ont voté pour que nous les retournions encore une fois, et ce, même si elles avaient été rejetées. Il ne s’agit certainement pas d’un comportement responsable, et il aurait frôlé l’abus, s’il avait été couronné de succès.
Je pense que ce qui explique cette situation, c’est l’expérience de ce qui se produit lorsqu’un groupe d’indépendants ne votent pas nécessairement en harmonie. Ils ne s’entendent pas pour voter de manière concertée. Deux ou trois occasions au cours desquelles vous parvenez à obtenir une ou deux concessions, et l’équilibre change. On voit ensuite des gens se congratuler parce qu’ils ont l’impression d’avoir marqué un point contre le gouvernement. En ce qui me concerne, rien de tout cela ne traduit le rôle du Sénat, ce ne sont que de petits jeux de coulisses.
Ce n’est pas que je sois contre toute opposition. Je tiens à ce qu’une opposition réfléchie se manifeste de tous les points de vue. Cependant, certaines personnes m’avaient confié comment elles se sentaient à l’idée de renvoyer le projet de loi encore une fois. Je les ai pourtant vues se lever et voter, en face de moi, de la même manière. Pourtant, toutes ces personnes m’avaient confié ne pas être à l’aise avec ce qu’elles étaient en train de faire.
Alors, sénateur McInnis, je reviens à vous. Si nous faisons mieux les choses, le gouvernement devrait nous écouter davantage. Toutefois, bien franchement, je trouve que certaines des choses que nous faisons ne constituent pas une amélioration. Naturellement, mon expérience est plus courte, et de ce fait, mon point de vue est limité. Vous m’en voyez désolée. Néanmoins, j’ai déjà comparu devant un comité sénatorial par le passé, et je reconnais qu’il se fait du bon travail au sein des comités. Cependant, trop souvent j’ai constaté, pendant l’étude d’un projet de loi, que des gens arrivent avec la même liste de questions qu’ils font circuler, et ce, sans tenir compte de ce que dit le témoin. Seulement quelques-uns agissent de la sorte, mais c’est un fait. Je pense qu’il y a lieu de nous interroger sur notre niveau de professionnalisme. À l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-45, j’ai entendu trois sénateurs affirmer que, avec ce projet de loi, il devenait légal pour des adolescents de 12 ans de se procurer du cannabis. Trois sénateurs. Ce n’est pas exactement ce que j’appellerais un second regard attentif. Ce n’est pas du tout ce que dit la loi. Et pourtant, trois sénateurs se sont levés et ont déclaré cela. Je pense qu’il y a beaucoup de place à l’amélioration en ce qui nous concerne.
Ma deuxième question fait suite à la question de la sénatrice Stewart Olsen sur le rôle d’un éventuel comité de gestion des affaires. J’approuve cette approche, non seulement parce que je pense — et à la lumière de ce que j’ai connu au cours de cette législature en tant que whip et leader à la Chambre — que ce n’est pas des leaders que nous parlons, mais plutôt de ceux qui ont la responsabilité de nous faire passer en revue ces projets de loi. Les luttes se déroulaient autour de la table, et certains étaient remontés parce qu’ils avaient des attentes.
Lorsque les leaders se réunissent, puis qu’ils retournent s’entretenir avec leur groupe, et qu’ils reviennent encore, nous ne nous dirigeons pas vers une résolution, parce que d’autres facteurs sont à l’œuvre.
Qu’est-ce qui ne va pas avec le système actuel? Pourquoi ne nous permet-il pas d’obtenir le résultat final que nous souhaitons? Est-ce que le problème tient à ce que certains n’assument pas le rôle de leadership qui leur est confié, en ne prenant pas de décision au départ, et en retournant devant un autre groupe pour rediscuter de la question et finir par trouver une solution? En quoi cela serait-il différent de ce que nous avons déjà? Qu’est-ce qui ne fonctionne pas actuellement, et en quoi ce que vous proposez pourrait-il le corriger?
Le sénateur Harder : Bien entendu, la réussite dépend des gens et de leur bonne volonté. Dans la boîte à outils d’un représentant du gouvernement ou d’un leader du gouvernement au Sénat, l’outil le plus puissant est celui de l’attribution du temps. Cet outil était utilisé très régulièrement dans le cadre du duopole de représentants partisans au Sénat à titre de massue ultime lorsque les conversations bilatérales ne débouchaient pas sur un accord.
Comme les sénateurs le savent, je ne me suis pas servi de cet outil. J’ajouterai rapidement que ce n’est pas l’envie qui m’a manqué, mais il est difficile avec un caucus de trois personnes d’affirmer avec aplomb : « Voici ma massue. » Je pense que je suis passé bien près de le faire en une occasion en raison des discussions que j’avais eues, mais je n’ai pas eu besoin de le faire finalement parce que nous nous sommes entendus sur un échéancier que je trouvais parfaitement approprié. Ce ne fut peut-être pas aussi rapide que je l’aurais souhaité, mais ce ne fut pas non plus aussi long que certains l’auraient voulu.
Il est de beaucoup préférable d’obtenir un accord par la discussion que de se servir de cet outil qui n’a pas été entièrement conçu pour un Sénat indépendant.
C’est pourquoi j’échangerais avec joie une attribution du temps théorique contre un moyen pratique de gérer les affaires du gouvernement qui permettrait un débat convenable, mais aussi d’en arriver à une conclusion et de tenir des délibérations, et de fixer le moment de prendre une décision. Et tout cela ne devrait pas se dérouler au cours de la dernière semaine du cycle parlementaire.
La sénatrice Lankin : J’aimerais poser une autre brève question sur le comité de gestion des affaires. Jusqu’à maintenant, nous avons parlé de ce qui se passe dans la Chambre. J’en suis aussi arrivée à l’opinion que le travail des comités qui s’effectue pendant que la Chambre siège diminue la valeur des débats et des études. J’aimerais entendre ce qu’en pensent mes collègues. J’ai tendance à rester, chaque fois que je peux le faire, c’est-à-dire lorsque je ne suis pas obligée de me rendre à une réunion de comité, au Sénat, parce que c’est à ce moment-là que j’ai la chance d’entendre ces idées. L’un des problèmes tient au fait que je ne sais pas nécessairement avant l’après-midi où j’arrive, et le moment où je consulte les notes du greffier qui s’exprimera sur quel projet de loi. Je ne sais pas si cinq personnes s’exprimeront sur le projet de loi qui m’intéresse ce jour-là.
J’ai aussi l’impression, lorsque nous tenons une série de réunions ponctuelles et qu’il y a de grands écarts entre chacune, que ce n’est pas considéré comme des débats. Nous n’entendons pas parler les uns des autres.
Est-ce que ce comité de gestion des affaires se pencherait sur la question de la gestion de la charge de travail des comités et de la charge de travail de la Chambre, et est-ce qu’il pourrait l’examiner?
Le sénateur Harder : Merci, sénatrice Lankin. Oui, tous les projets de loi du gouvernement sont renvoyés aux comités, les uns découlent des autres, n’est-ce pas? Si un comité se retrouve avec une récolte exceptionnelle, cela nuit à la capacité de ce comité de fournir un second regard attentif, et c’est précisément la raison pour laquelle j’aimerais que l’on tienne compte de la charge de travail des comités lorsque l’on attribue les projets de loi aux comités. Après tout, ils constituent simplement un sous-groupe du Sénat. Ainsi, nous pourrions nous doter d’une certaine prévisibilité.
La question des horaires est très importante. Nous avons eu des discussions, qui ont même eu des échos à la Chambre récemment, concernant le nombre de présidents de comités qui demandent la permission de s’absenter des séances du Sénat parce que leur comité siège en même temps ou doit se déplacer.
Le Règlement du Sénat a pour objet, à juste titre selon moi, de protéger les horaires de séance du Sénat. Notre Chambre est unique : nous sommes peu nombreux et nous restons en poste très longtemps, ce qui nous permet d’apprendre à nous connaître. Lorsque nous débattons, c’est visible, mais cette expérience s’acquiert seulement si nous passons du temps au Sénat.
J’oserais dire que nous devrions choyer cet environnement, cette tribune. Les travaux des comités, dont je ne nie aucunement l’importance, devraient se dérouler à l’extérieur de nos heures normales de séance, sauf pour l’examen des projets de loi. À tout le moins, la charge de travail des comités devrait être mieux équilibrée qu’elle ne l’est parfois.
Pensez seulement aux débats les plus intéressants que vous avez connus au Sénat. Je suis à peu près certain que ce qui vous vient à l’esprit ne sont pas les chapelets de discours, mais plutôt les échanges d’opinions contraires, qui ont probablement contribué à élever le débat. C’est ce que nous avons vécu dernièrement au sujet du projet de loi Trans Mountain. Ce projet de loi d’intérêt public émanait du Sénat, mais il suscitait des points de vue divergents que nous avons entendus les uns après les autres avant de voter. Où est le problème?
On pourrait s’imaginer que... La même chose s’est produite pour d’autres projets de loi qui me viennent à l’esprit… Les divergences de vues étaient profondes. Le temps pressait et les délibérations ont été assez courtes, mais une décision a finalement été prise.
Le sénateur Massicotte : Sénateur Harder, je vous remercie d’être parmi nous.
Tout d’abord, je tiens à saluer la déclaration très convaincante et sans équivoque du sénateur McIntyre concernant les avantages manifestes d’une approche moins partisane pour le Sénat. Je vous remercie d’avoir dit cela au sujet des comités.
Cela dit, sénateur Harder, dans la lettre que vous nous avez envoyée, et concernant les propositions d’amendements, j’imagine que vous vous faites le porte-parole du gouvernement et de son ouverture, que ce n’est pas uniquement un point de vue personnel. Étant donné que la Loi sur le Parlement du Canada et le Règlement du Sénat prévoient beaucoup de désignations et de nominations par voie de décret du gouverneur en conseil ou par la Couronne, cela suppose qu’ils ont leur mot à dire. Il y a même un débat actuellement, comme vous le savez, sur la question de savoir si le leader des indépendants doit être consulté.
J’aimerais pousser un peu loin sur cette question, et plus particulièrement sur le sujet de la nomination du Président du Sénat. J’imagine que vous savez ce que le gouvernement en pense. Serait-il prêt à apporter des modifications qui permettront aux sénateurs de nommer leur propre président sans droit de regard de la Chambre des communes?
Le sénateur Harder : Ce n’est pas une question que j’ai abordée avec le gouvernement. Le Sénat a reçu un rapport du comité, mais il ne l’a pas encore examiné et il ne s’est pas prononcé sur son contenu. Un autre projet de loi d’intérêt public émanant du Sénat porte sur le même sujet. Je suis certain qu’un examen par le Sénat du rapport sur la modernisation, peut-être pas dans les trois prochaines semaines, mais quand le moment sera venu, contribuera à élargir le débat.
Le gouvernement ne s’est pas encore prononcé sur cette question. Pour ce qui est des nominations par décret qui relèvent de lui, le gouvernement a simplement fait savoir que les candidatures devaient provenir de partout au pays. Le processus de sélection doit être transparent, public et rigoureux. Beaucoup de nominations ont été faites selon ce processus, mais, comme vous avez pu le constater récemment, il n’a pas été appliqué pour le poste de Président, pour de très bonnes raisons. Le sénateur Housakos a expliqué au Sénat pourquoi il s’opposerait à votre proposition. Pour l’instant, comme le Sénat n’a pas vraiment abordé ce sujet ni exprimé son point de vue, il serait prématuré de ma part de chercher à connaître celui du gouvernement.
Le sénateur Massicotte : Permettez-moi de proposer quelques hypothèses. Je pourrais peut-être en trouver une qui expliquerait pourquoi nous faisons du sur-place dans ce dossier.
Selon notre compréhension — je crois que c’est ce qui est ressorti des discussions —, et tel que me l’a confirmé directement le ministre LeBlanc lorsqu’il est venu nous rencontrer… Quand nous avons eu ces discussions, le ministre est venu nous dire que son gouvernement était très ouvert à la nomination du Président par le Sénat. Toutefois, il m’est revenu ensuite pour me dire que le gouvernement avait reçu un avis juridique selon lequel l’approbation des deux Chambres du Parlement ne suffirait pas. Selon cet avis juridique, l’approbation des provinces est nécessaire pour opérer un changement aussi important.
J’ai demandé une copie de l’avis juridique, mais je ne l’ai jamais reçue. Je pense que nous devrions faire un suivi pour avoir l’heure juste et savoir ce qui est possible pour nous. Autrement, nous ne pourrons jamais clore le débat. C’est ce qui explique pourquoi nous faisons du sur-place. Peut-être devrions-nous pousser notre examen pour savoir si le gouvernement serait ouvert à ce changement? Existe-t-il une solution à ce problème, si problème il y a?
Le sénateur Harder : Je discuterai volontiers de cette question avec vous ou avec quiconque sera intéressé en aparté. La Cour suprême a donné des directives sur la non-limitation des prérogatives du premier ministre — même pour ce qui est de la nomination des sénateurs, la prérogative est protégée d’une certaine façon. Bref, si vous me demandez mon avis, je ne crois pas que qui veut la fin trouve toujours les moyens, mais je ne suis pas au courant des avis juridiques ni de ce que pensent les ministres de la question.
[Français]
Le sénateur Maltais : Merci, sénateur Harder, de votre présentation. Je me demandais si vous auriez la gentillesse de nous donner un exemplaire de votre document dans les deux langues. Vous avez très bien expliqué l’idée du gouvernement à cet égard. Cela pourrait servir de guide aux membres du comité.
Sénateur Harder, la réforme du Sénat nous obligera à modifier la Loi sur le Parlement du Canada. Dans votre préambule, vous dites que le ministre LeBlanc est réceptif à cette idée. Nous n’avons pas eu d’engagement ferme, car nous ne sommes pas rendus à cette étape. Toutefois, si l’on modifie le fonctionnement du Sénat en apportant des modifications fondamentales à la loi, ne faudrait-il pas consulter les provinces pour savoir ce qu’elles en pensent?
Le Sénat fonctionne en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 qui a été renouvelée en 1982. Les gouvernements qui ont essayé de faire des modifications se sont fait rebuter par la Cour suprême. Il faudrait peut-être connaître le point de vue des provinces. La façon dont on fonctionne à l’intérieur d’un groupe, c’est faisable. La loi actuelle n’est pas conçue en ce sens, et ce n’est pas la faute des sénateurs. Lorsque le gouvernement actuel a changé la façon de nommer les sénateurs, il n’a pas pensé à son fonctionnement. Le problème est là. Il faut tenir compte du fonctionnement du Sénat, et on doit obtenir l’unanimité de l’ensemble des sénateurs, qu’il s’agisse des indépendants, des libéraux indépendants ou des conservateurs. On veut modifier en profondeur le fonctionnement du Sénat. Je ne dis pas que ce n’est pas possible, mais actuellement ce n’est pas facile à gérer. Je le concède aussi pour mes collègues indépendants : ce n’est pas facile de travailler dans ce système.
Le présent gouvernement ne pourrait-il pas demander à ses ministres de nous rencontrer pour nous expliquer comment ils perçoivent le fonctionnement du Sénat? Les ministres seraient-ils prêts à consulter l’ensemble des provinces pour savoir ce qu’elles en pensent? Je me demande également quelle place auront les autochtones dans les années à venir?
[Traduction]
Le sénateur Harder : Merci de poser la question. Je vous répondrai en disant que la manière dont le gouvernement canadien envisage la modernisation du Sénat pour en faire une tribune moins partisane et plus indépendante s’inscrit dans l’esprit et les fondements de l’arrêt rendu par la Cour suprême en 2014. Cet arrêt décrit clairement le rôle constitutionnel du Sénat. Le comité et, en fait, l’ensemble du gouvernement du Canada souhaitent une réforme du Sénat dans le cadre constitutionnel actuel. Je suis convaincu que personne ici ne veut s’engager dans une réforme constitutionnelle qui toucherait seulement le Sénat. Ce ne serait pas la meilleure façon d’utiliser notre temps.
Le comité peut s’avérer très utile pour l’atteinte d’un consensus. Tous les groupes et tous les caucus de notre Chambre y étant représentés, c’est le lieu idéal pour mettre en lumière les enjeux qui, dans un esprit de réforme, sont susceptibles de rallier un large consensus.
J’espère que cela se reflétera dans le Règlement, et notamment sur les éléments que j’ai soulevés tout à l’heure, en n’oubliant pas que le Règlement et la Loi sur le Parlement du Canada sont interreliés.
Curieusement, nous avons été aussi lents à nous attaquer à notre Règlement que le gouvernement à la Loi sur le Parlement du Canada. En fait, comme je l’ai déjà dit, j’ai écrit une lettre dans laquelle j’explique que le gouvernement est ouvert à recevoir, dans un cadre plus formel, les propositions du Sénat sur la réforme de la loi, étant entendu que les modifications proposées devront être mises en relation avec celles qu’il est disposé à apporter à son propre Règlement.
Comme je l’ai déjà dit, nous devrons trouver un modèle souple et habilitant, qui ne nous enfermera pas dans une camisole de force. C’est crucial compte tenu de ce qui nous attend.
Je sais que nous sommes encore dans les spéculations, mais je suis quand même convaincu que la balle est dans le camp du Sénat. C’est lui qui doit proposer et mettre en œuvre des modifications à son Règlement, et faire des recommandations concernant la Loi sur le Parlement du Canada, que je transmettrai volontiers au gouvernement. Même si un projet de loi du gouvernement et une recommandation royale sont nécessaires, nous devrons faire preuve de créativité pour que le Sénat ait son mot à dire avant le dépôt à la Chambre des communes.
[Français]
Le sénateur Maltais : Je comprends très bien votre rôle, sénateur Harder, qui est de le rendre fonctionnel et vivable au goût du gouvernement. Je vous invite à relire les débats d’un autre comité qu’il y avait cette semaine concernant les recommandations de l’ancien juge Binnie, de la Cour suprême, qui nous a clairement dit : Lorsque vous modifiez des règles du Sénat, vous devez être très prudents, parce que ça peut facilement se ramasser devant la Cour suprême si les provinces et les territoires n’ont pas donné leur accord.
Je ne vous dis pas que ça va se passer comme ça, mais je vous fais part de la recommandation que nous avons eue. Quelqu’un qui a siégé à la Cour suprême est une personne qualifiée pour nous donner ces mises en garde. Je ne vous dis pas qu’il a la science infuse, mais il a un peu plus de diplômes que moi. La seule chose qui m’inquiète dans ce que vous avez dit et ce que j’ai pu retenir, c’est le facteur du gouvernement. Vous êtes là comme représentant du gouvernement avec un leader adjoint et un whip. D’ailleurs, je me pose toujours la question, que fait votre whip? Le Groupe de sénateurs indépendants n’en a pas, car il n’est pas structuré de cette façon.
Je comprends que vous ayez un message du gouvernement pour ce comité qu’il faut qu’il en arrive à une recommandation qui fera l’affaire du gouvernement. C’est votre rôle, et je ne le dénigre pas, bien au contraire. Sauf que les hommes ne sont pas éternels, mais les institutions durent longtemps. Faire bouger un gouvernement, une institution, ça prend du temps. J’aimerais encore une fois que vous ayez l’avis officiel du gouvernement à ce sujet, quelqu’un qui viendrait témoigner et nous expliquer comment le gouvernement voit ça.
Le problème est arrivé parce que le gouvernement a décidé de changer la façon de nommer les sénateurs. S’il n’y avait pas eu de changement, il n’y aurait pas eu de problème. Maintenant, nous avons ce problème-là. Comment le règle-t-on? Je pense que quelqu’un du gouvernement devrait venir nous l’expliquer — je ne dis pas que vous ne représentez pas bien le gouvernement, loin de là —, par la Chambre des communes soit un ministre ou son président ou quelqu’un d’autorité qui viendrait nous dire comment il le voit. Ce serait un grand service que vous rendriez à ce comité.
[Traduction]
Le sénateur Harder : Merci, sénateur. Je commencerai par vous promettre de lire avec beaucoup d’intérêt le témoignage du juge Binnie. Il est toujours de bon conseil.
Cela dit, je suis fermement convaincu, sénateur, que le gouvernement a très clairement exprimé sa vision du rôle du Sénat au sein d’un Parlement canadien bicaméral. Le Sénat est perçu comme un complément à la Chambre des communes, qui intervient de manière moins partisane et qui, sur le plan structurel, est indépendant du pouvoir exécutif. Les sénateurs doivent faire preuve d’indépendance de jugement, c’est-à-dire qu’ils doivent laisser à la porte les considérations partisanes qui ont tendance à paralyser le débat dans l’autre lieu.
Le processus de nomination incarne cette vision. Le premier ministre a déjà nommé 33 sénateurs qui ont accepté de siéger comme indépendants. Toutefois, j’ai tendance à penser comme vous que le changement est d’ordre culturel. Il touche les règles et les procédures, mais il faut aussi penser au temps et aux gens. Les règles et les procédures relèvent du comité, et je vous recommande humblement d’agir au plus vite pour harmoniser les règles et le Règlement avec la réalité d’aujourd’hui.
Nous avons fait quelques aménagements au fil du temps, mais il s’agit essentiellement de règles supplémentaires. À mon avis, il faut trouver un moyen de ne pas entraver l’évolution des modèles. Ils devront être habilitants et respectueux des points de vue divergents sur certaines de ces questions qui évolueront au fil du temps et des changements culturels. Je peux seulement faire des hypothèses sur ce qui se passera dans les cinq prochaines années, comme je l’ai expliqué. Cependant, même si nous ne connaissons pas vraiment l’avenir, nous pouvons quand même essayer d’adopter un Règlement le plus efficace possible et harmonisé avec la Loi sur le Parlement du Canada, pour nous assurer que celle-ci sera habilitante et laissera au Sénat toute la latitude voulue pour appliquer ses propres règles.
Cela dit, ces efforts sont limités par le choix du gouvernement du Canada de ne pas s’aventurer dans une réforme et des débats constitutionnels qui forceraient l’entrée en scène des provinces et d’autres acteurs.
Le président : Il reste une quinzaine de minutes au sénateur Harder.
Le sénateur Eggleton : Sénateur Harder, je suis en grande partie d’accord avec vous, et j’espère vraiment que nous pourrons bientôt réaliser certaines de vos idées. Comme vous et comme d’autres avant vous nous l’ont répété, je pense qu’il sera très important d’adopter une approche souple. Comme nous avons eu l’occasion de le constater, le débat s’échauffe très rapidement. Les opinions sont très tranchées et souvent divergentes sur la manière dont tout cela doit être structuré.
Il faudra trouver une solution qui ralliera toutes les parties et que personne ne percevra comme une menace au fonctionnement de notre institution, peu importe le scénario retenu. Je pense que c’est possible.
J’aime bien votre idée de comité de gestion des affaires pour améliorer le fonctionnement du Sénat. Nous avons toujours ce problème de rapports qui attendent des mois avant d’être traités. Il arrive qu’un rapport soit soumis au vote et que je ne me souvienne plus sur quoi je dois voter au juste parce qu’il remonte à plusieurs mois.
Beaucoup de choses devront être réorganisées en vue du déménagement, le vôtre, pas le mien, de l’autre côté de la rue, où des caméras de télévision seront installées. Nous devons aller de l’avant, de manière honnête et responsable, sans perdre de vue le rôle véritable du Sénat.
C’est une autre raison — et je fais écho aux propos de la sénatrice Lankin — de limiter les conflits d’horaire entre les séances des comités et celles du Sénat. C’est différent de la Chambre des communes, où le whip du parti maintient la discipline et où les députés doivent suivre leur chef en tout temps. Les députés ne peuvent pas s’absenter pour participer aux travaux d’un comité et il ne peut pas y avoir quelques dizaines de personnes à la Chambre des communes. Ce n’est pas possible. Les sénateurs doivent littéralement être à deux endroits en même temps, surtout en raison du nombre d’indépendants.
Selon un rapport — je ne suis pas certain s’il a été officiellement inscrit à l’ordre du jour, mais il semble que le sujet ait bien fait son chemin dans les débats… Il s’agit d’un rapport du légiste. L’avez-vous lu? Il propose des modifications à la Loi sur le parlement du Canada qui pourraient régler certains des problèmes que vous et d’autres avez évoqués.
Avez-vous des commentaires à ce sujet? J’aimerais également que vous nous parliez des étapes suivantes. Quelles seront les priorités? Comment pouvons-nous mettre le train en marche? Bref, j’aimerais vous entendre au sujet des priorités, des étapes suivantes, et ce genre de choses.
Le sénateur Harder : Merci, sénateur.
Le président : Le document en question a été distribué à tous les membres du comité au nom du légiste.
Le sénateur Eggleton : Il y est aussi question de certains sujets dont il a parlé.
Le sénateur Harder : Sénateur, je trouve important que les personnes à qui j’ai transmis l’invitation que le gouvernement a faite au Sénat d’entendre ses points de vue cherchent un moyen de s’entendre, en créant un groupe spécial ou un comité, peu importe. J’ai transmis l’invitation au président de votre comité et à celui du comité du Règlement, pour les informer de l’occasion donnée à leurs comités de participer. Ce n’est pas au gouvernement de prendre une décision ou de choisir une démarche. En fait, il souhaite votre participation, connaître vos points de vue et, idéalement, que vous en veniez à un consensus sur les modifications souhaitées à la Loi sur le Parlement du Canada.
J’espère que ce travail s’amorcera avant les vacances et qu’il avancera quelque peu au cours de l’été. Ce serait déjà bien si nous pouvions former une équipe qui fera un suivi de vos travaux et qui préparera le terrain en vue de l’atteinte d’un consensus que nous pourrons faire connaître au gouvernement au cours de l’automne.
Entretemps, rien ne nous empêche de faire un travail qui relève entièrement de nous, et surtout du Comité du Règlement. Je parle bien entendu des modifications à notre Règlement qui auront une incidence sur les modifications que nous proposerons à la Loi sur le Parlement du Canada. Un peu de vigueur dans ce dossier ne ferait certainement pas de tort.
Le sénateur Eggleton : Vous nous invitez à proposer des modifications à la Loi sur le Parlement du Canada. Nous proposez-vous également de les soumettre au gouvernement et de les défendre en notre nom?
Le sénateur Harder : Je vais me risquer à décrire ce qui arrivera sans doute. Je dis bien sans doute, parce que rien ne m’a été confirmé du côté du gouvernement.
Tout dépendra de la force du consensus obtenu, c’est important de le répéter. Le projet de loi devra émaner du gouvernement ou, plus précisément, de la Chambre des communes. Cependant, comme il reflétera une position unanime du Sénat, il devrait susciter moins de controverse. Si des ajouts sont proposés, une forme quelconque d’étude préalable pourrait être requise avant le dépôt à la Chambre des communes. À mon avis, avant que la Chambre des communes statue, le Sénat devrait pouvoir se prononcer officiellement étant donné que le projet de loi reflétera ses intérêts eu égard à la Loi sur le Parlement du Canada.
Le sénateur Eggleton : Nous ne pouvons pas rédiger un projet de loi. Il s’agit d’une prérogative royale.
Le sénateur Harder : Ce serait un projet de loi de la Chambre des communes, mais il pourrait faire l’objet d’une étude préalable au Sénat avant même d’être soumis à un comité de l’autre Chambre. Par ailleurs, pendant que le comité de l’autre Chambre procéderait à son étude, il bénéficierait…
Le sénateur Eggleton : Le cadre d’examen serait exactement le même que pour un projet de loi de nature juridique. Vous ai-je bien compris?
Le sénateur Harder : Oui, tout à fait. Nous n’avons pas le choix. Nous parlons d’une réforme législative. Nous devrons trouver un mécanisme dont nous serons maîtres, mais qui sera également conforme aux processus dont le gouvernement a la prérogative et la responsabilité.
La sénatrice Frum : J’aimerais poursuivre sur cette lancée. Je comprends votre position quand vous nous dites qu’il ne vous appartient pas de proposer des modifications. Je suis également contente de vous entendre parler de souplesse et du fait que les solutions que nous proposerons devront viser plus loin que notre dynamique actuelle, qui, je suis certaine…
Le sénateur Harder : … habilitante.
La sénatrice Frum : Vous ne suggérez rien de précis. Toutefois, comme les choses changent, de façon plus marquée selon les époques, est-ce vraiment le meilleur moment pour amorcer cette réforme? Avons-nous assez d’expérience avec le modèle en place? Et nous savons tous qu’un autre gouvernement pourrait prendre le pouvoir et qu’il pourrait proposer une vision ou un modèle complètement différent de réforme du Sénat, ou qu’il pourrait préconiser le statu quo.
En fait, pourriez-vous nous parler de ce qui pourrait être fait à ce stade-ci, compte tenu de la dynamique actuelle? Sur quels aspects importants devrions-nous nous concentrer?
Le sénateur Harder : J’en ai déjà énuméré quelques-uns, que je vais répéter volontiers. De toute évidence, il faudra mener des consultations adéquates auprès de tous les groupes concernant les matières régies par la Loi sur le Parlement du Canada. Il faudra aussi sans aucun doute s’occuper de la rémunération de leaders d’autres groupes qui ne sont actuellement pas visés par la loi. Même dans le rapport sur un éventuel comité de surveillance, dont il a été question et qui est actuellement à l’étude — il faudra sans doute modifier la Loi sur le Parlement du Canada pour y prévoir un processus adéquat de consultation.
Tout cela, nous pouvons le faire dès maintenant, et ajouter... Je sais que le titre du leader, ou du représentant du gouvernement, fait beaucoup parler. Pourquoi tant de rigidité? Si le premier ministre souhaite que le leader du gouvernement soit appelé le leader du gouvernement, pourquoi l’en empêcher? S’il souhaite l’appeler le représentant du gouvernement, alors qu’il l’appelle ainsi, et de même du côté de l’opposition. Nous devrions avoir la maturité nécessaire pour faire preuve de souplesse et de respect les uns envers les autres, et ne pas voir dans la loi un instrument pour privilégier un groupe ou un autre. L’objectif est de donner à tous les groupes des possibilités égales de participer et de prendre part à nos activités, dans le respect de leur rôle de leaders et en assurant un traitement équitable à tous.
La sénatrice Frum : Au sujet des mécanismes, vous avez parlé de la sonnerie et de la décision quant à sa durée. Selon moi, il s’agit d’un enjeu politique, qui n’a rien à voir avec la logistique ou l’organisation. Autrement, les sonneries dureraient toujours 30 minutes, et tout le monde n’arriverait pas à temps.
Personne ne propose que la sonnerie dure toujours 30 minutes. Si la logistique était la seule préoccupation, c’est ce que vous proposeriez. La décision quant à la durée de la sonnerie a souvent un objectif politique. Et pour avoir un objectif politique, il faut faire de la politique, alors que la plupart des personnes ici présentes ne représentent aucun parti. Elles ne font pas de politique. Je ne comprends donc pas l’intérêt de certains membres qui souhaitent que le règlement sur la sonnerie change, puisqu’ils sont apolitiques.
Le sénateur Harder : Je ne suis pas d’accord avec votre analyse. Je vais tenter d’expliquer pourquoi. Si nous voulons être très explicites, disons que le facilitateur du Groupe des sénateurs indépendants n’est pas visé par les dispositions du Règlement sur la durée de la sonnerie. De toute évidence, le facilitateur et le groupe de direction ont tout intérêt à ce que tous les sénateurs disponibles expriment leur vote. Pour eux, il serait certainement important de savoir si le timbre retentira pendant 15 minutes ou 1 heure, ou s’ils doivent se rendre voter sur-le-champ. Actuellement, c’est fait de manière informelle, mais je pense qu’il faut trouver un moyen d’assurer que la sonnerie n’est pas un outil au service de l’opposition ou du gouvernement, mais un outil qui devrait…
La sénatrice Frum : C’est un outil.
Le sénateur Harder : Oui, c’est un outil.
La sénatrice Frum : Qui n’a rien à voir avec la logistique. C’est un outil politique.
Le sénateur Harder : Je vous répliquerais qu’il s’agit d’un outil de respect, dont la fonction est d’assurer que les sénateurs sont les plus nombreux possible à pouvoir s’acquitter de leurs responsabilités.
La sénatrice Frum : Mais c’est beaucoup plus. Bloquez la sonnerie à 30 minutes si vraiment c’est sa seule fonction, mais elle représente beaucoup plus que ce que vous dites.
Le sénateur Harder : Je crois qu’il arrive qu’elle dure une heure.
La sénatrice Lankin : Parce que vos motivations sont différentes.
La sénatrice Frum : Parce que je reconnais que je suis une sénatrice qui fait de la politique, mais…
La sénatrice Lankin : Qui est partisane. Il faut distinguer la partisanerie et la politique.
La sénatrice Frum : C’est un autre sujet, tout aussi intéressant. Je suis partisane parce que je fais de la politique. Comme vous n’êtes pas partisane, vous ne devriez avoir aucun motif politique de prolonger ou de raccourcir la durée d’une sonnerie.
Le sénateur Eggleton : Je suis partisan de mes propres opinions politiques.
La sénatrice Frum : Nous l’avions remarqué.
Le sénateur Eggleton : Elles ne sont pas toutes marquées d’un « L » majuscule. Souvent, c’est un « l » minuscule.
La sénatrice Frum : Nous l’avions remarqué. Certains d’entre nous l’ont constaté depuis un moment, mais bon.
Le sénateur Harder : Je pense simplement que la sonnerie doit permettre autant que possible à tous les groupes d’être informés de la tenue d’un vote et d’y participer. De toute évidence, comme je l’ai mentionné dans mes remarques, le gouvernement a tout intérêt à ce qu’il n’y ait pas d’erreur, et c’est pourquoi il peut reporter un vote. Cela ne signifie pas qu’il gagne à tout coup…
La sénatrice Frum : Mais c’est le but. Parfois, c’est l’opposition qui a avantage à faire durer la sonnerie plus longtemps, pour exprimer quelque chose, par exemple. C’est bien connu.
Le sénateur Harder : C’est pourquoi le Règlement stipule que la durée par défaut est d’une heure.
La sénatrice Frum : Je ne comprends pas l’intérêt pour le Groupe des sénateurs indépendants. Il n’a pas de raison politique de prolonger la sonnerie.
Le sénateur Harder : Je ne vois pas ce que je pourrais ajouter d’autre…
La sénatrice Frum : Très bien.
Le sénateur Harder : … sinon que les indépendants ont intérêt à ce que leurs membres qui assistent à une réunion de comité dans un autre édifice ou qui sont occupés ailleurs soient informés quand ils sont appelés à s’acquitter de leurs responsabilités.
Le sénateur Eggleton : Que le but soit politique ou logistique.
La sénatrice Frum : Merci.
Le président : Sénateur Harder, nous arrivons au bout de l’heure et demie que vous étiez disposé à nous consacrer. Le sénateur Joyal aurait une deuxième série de questions pour vous. Pouvez-vous nous accorder cinq minutes de plus?
Le sénateur Harder : Oui, si j’ai le temps de répondre aux questions.
Le président : Je suis certain que le sénateur Joyal fera de son mieux.
Le sénateur Joyal : Je ferai de mon mieux, monsieur le président.
Ma question concerne le Comité sénatorial permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs. Selon les modalités actuelles, ce comité est composé de deux membres indépendants, de deux membres de l’opposition officielle et d’un membre libéral indépendant. À mon avis, c’est un bel équilibre. Ce serait une erreur de faire élire les membres à la pluralité des voix, parce que selon la composition actuelle du Sénat, le choix des cinq membres dépendrait probablement de la majorité.
Tant et aussi longtemps que le Sénat sera composé de plusieurs groupes, la composition actuelle reflète, selon moi, le droit de chaque groupe d’être représenté au comité.
Je suggère que si nous changeons le Règlement, nous devrions en tenir compte. Autrement dit, si un jour le Sénat est composé de 105 membres indépendants, ce ne sera pas un problème si les membres sont choisis à la majorité des voix. Toutefois, tant que le Sénat sera divisé en groupes, la composition du comité permanent doit continuer d’être fonction de leur proportion, pour éviter qu’un point de vue unique soit représenté au comité sur l’éthique. Autrement, le principe de « justice fondamentale » serait bafoué, et je suis foncièrement convaincu que ce principe doit régir toutes les activités du comité pour qu’il assume de manière crédible ses responsabilités à l’égard du Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts.
Je tenais à réagir à vos remarques et à celles du sénateur Woo, qui a dit à cette table que le comité était inéquitable et le fruit d’une mauvaise gouvernance. Selon moi, sa composition reflète celle de la Chambre, et nous devons nous assurer que cela reste clair dans le Règlement. C’est la position que je défendrai. Par contre, je m’opposerai à toute proposition de faire voter la composition du comité à la majorité ou même par scrutin secret à la Chambre, parce que nous savons tous de quel côté penchera la balance.
Je tenais à le dire très clairement. Je ne le dis pas pour protéger un siège que j’occupe depuis le début. Je le dis parce que j’ai été appelé à exercer les responsabilités du comité et que ce travail a aiguisé ma sensibilité et me donne l’intime conviction de la nécessité de maintenir sa crédibilité aux yeux de chacun des sénateurs.
Le sénateur Harder : Sénateur, permettez-moi tout d’abord de vous assurer que je partage votre souci d’assurer l’intégrité et la crédibilité du comité. De toute évidence, la représentation de tous les groupes y contribue énormément.
Cependant, le comité doit aussi être en mesure d’agir en période d’intersession, un aspect auquel il faut aussi réfléchir. De plus, les fonctions de surveillance et de vérification supposeront aussi du travail entre les sessions, je crois.
Je prends bonne note de vos remarques. J’espère qu’une décision sera prise à ce sujet, car c’est un aspect qui lui aussi a été réglé par un arrangement qui repose sur la bonne volonté. Un cadre plus officiel nous permettra d’exercer une meilleure gouvernance à l’avenir.
Le président : Nous vous remercions infiniment. Nous vous sommes reconnaissants pour votre temps et votre excellente présentation. Merci.
(La séance est levée.)