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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 1er février 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, pour étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines et d’autres questions connexes et étudier à huis clos un projet d’ordre du jour.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit ce matin.

Conformément à son mandat, le comité entendra aujourd’hui les témoignages de M. Michael Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, et de Mme Christa Dickenson, présidente-directrice générale d’Interactive Ontario et présidente de l’Alliance interactive canadienne.

Bienvenue à tous les deux. Je demanderais aux sénateurs de bien vouloir se présenter pour que vous soyez au courant des personnes présentes aujourd’hui, en commençant par le sénateur à ma droite.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de Halifax.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.

La présidente : Je m’appelle Raynell Andreychuk, et je suis de la Saskatchewan.

Bienvenue au comité. Je crois que vous avez été informés que vous pouvez faire un exposé, et nous aimons vraiment les questions. Vous avez la parole.

Michael A. Geist, Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique, Faculté de droit, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci beaucoup, sénatrice. Bonjour à tous. Je m’appelle Michael Geist et je suis professeur de droit à l’Université d’Ottawa où je suis titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique. Je suis également membre du Centre de recherche en droit, technologie et société. Mes domaines de spécialité incluent la politique numérique, la propriété intellectuelle et la protection de la vie privée. Je témoigne à titre personnel, et mes propos n’engagent que moi.

Je vais commencer mon exposé en déboulonnant un mythe concernant l’état du droit d’auteur et le marché culturel au Canada. Je crois que c’est pertinent, étant donné que cela a un effet direct sur trois domaines liés à votre étude: les pressions externes en vue d’une réforme des lois canadiennes, la possibilité d’utiliser les lois canadiennes sur le droit d’auteur pour encourager des réformes dans d’autres pays — participer dans un certain sens à la diplomatie relative au droit d’auteur — et les interactions entre les lois canadiennes sur le droit d’auteur et nos négociations parfois épineuses en vue de conclure des accords commerciaux.

Premièrement, examinons la Loi canadienne sur le droit d’auteur dans son contexte.

Je crois qu’il est essentiel d’affirmer clairement et fièrement que le Canada satisfait à ses engagements internationaux relativement au droit d’auteur. Le Canada est en fait perçu par beaucoup comme un chef de file dans la mise en place de solides protections pour les créateurs, l’établissement d’un équilibre concernant l’accès équitable et l’innovation et la création de règles novatrice dont d’autres devraient s’inspirer.

Le Canada respecte les normes internationales, et c’est possible de le voir dans chaque aspect de notre loi. Le Canada est membre en règle de tous les principaux traités sur le droit d’auteur. Nous respectons la norme internationale relativement à la durée de la protection du droit d’auteur. Nous offrons une protection aux créateurs concernant les droits économiques et moraux, et nous avons certaines des mesures législatives les plus rigoureuses au monde pour lutter contre le piratage.

Par ailleurs, le Canada établit de plus en plus la norme en matière d’approches progressives liées au droit d’auteur. Nous avons des dispositions uniques pour protéger le contenu généré par l’utilisateur et l’accès aux documents sur Internet à des fins éducatives. Nous essayons de maintenir un juste équilibre quant aux droits des créateurs et des utilisateurs lorsque nous examinons les allégations de violations du droit d’auteur en ligne. Nous avons un cadre flexible qui régit les droits des utilisateurs et qui les protège de problèmes avec les créateurs dans le cas d’une parodie, d’une satire, d’une critique, de la communication de nouvelles par des journalistes, de la recherche et de l’enseignement, tous établissements d’enseignement canadiens et tous niveaux d’études confondus.

Les effets d’une loi équilibrée et progressive qui est conforme aux normes internationales peuvent se faire sentir dans l’ensemble du secteur culturel.

Par exemple, l’époque où nous nous demandions si des consommateurs achèteraient de la musique est grandement révolue, étant donné que le marché canadien de la musique connaît une croissance beaucoup plus rapide que la moyenne mondiale. Les revenus provenant de la musique en continu ont plus que doublé en 2017. Le secteur numérique au Canada représente 63 p. 100 des revenus, et cela dépasse la moyenne mondiale qui se situe à 50 p. 100; qui plus est, cela permet au Canada de devancer l’Australie et de devenir le sixième plus important marché de la musique au monde.

Des tendances similaires se dessinent pratiquement dans tous les secteurs culturels. Depuis la réforme de 2012 de la Loi sur le droit d’auteur, les revenus provenant de la musique en continu sur Internet de la SOCAN, soit un regroupement du secteur de la musique, sont au moins 10 fois plus élevés. En fait, l’organisme a publié un rapport hier qui indique que les revenus ont encore augmenté considérablement et qu’ils atteignent près de 50 millions de dollars par année. À titre comparatif, en 2013, les revenus provenant de la musique en continu sur Internet s’élevaient à peine à un peu plus de 3 millions de dollars. La croissance est spectaculaire. Les revenus des cinémas et des radiodiffuseurs sont aussi en croissance depuis 2012, et le secteur des jeux vidéo représente l’un des plus grands succès culturels au Canada.

Ce succès se fait également sentir dans les marchés de la publication et de l’éducation. En dépit de ce que vous pouvez entendre, depuis la réforme de 2012 de la Loi sur le droit d’auteur, la publication de nouvelles œuvres canadiennes n’a pas diminué. Les dépenses des établissements d’enseignement pour l’achat de licences auprès d’éditeurs ou d’auteurs d’œuvres ont augmenté, tandis que le secteur fait la transition entre l’achat de livres physiques et de licences collectives et l’octroi de licences pour des livres numériques et l’accès à de massives bases de données de contenu. De nombreuses universités, y compris la mienne, octroi des licences pour plus d’un million de livres numériques, dont des licences perpétuelles dans bien des cas. Cela signifie que, même si certains éditeurs et auteurs expriment des inquiétudes concernant les pratiques de reproduction à des fins pédagogiques, ils gagnent de nouveaux revenus grâce à l’octroi de licences numériques pour leurs œuvres à des établissements d’enseignement.

Quelles sont certaines conséquences de la belle réussite canadienne? Premièrement, à l’échelle nationale, le Canada s’apprête à entamer un examen de la Loi sur le droit d’auteur qui servira à orienter les futures réformes. Nous pouvons toujours faire mieux. Nous avons besoin de meilleures règles pour soutenir nos ambitions quant à l’intelligence artificielle, et il faut améliorer notre régime d’avis et avis concernant les allégations de violation du droit d’auteur pour mettre un frein aux activités des trolls qui se trouvent principalement aux États-Unis, mais nous partons d’une position forte. En fait, les ministres Bains et Joly, dans leur lettre adressée au comité de l’industrie relativement à l’examen, soulignent qu’étant donné que les perturbations du marché entraînent souvent une réforme du droit d’auteur la loi n’est peut-être pas toujours le meilleur outil pour aborder l’état actuel des changements axés sur la technologie. Les ministres reconnaissent que bon nombre d’enjeux dépassent la portée de la loi, ce qui laisse entendre que des efforts pour avoir recours à des outils juridiques pour entraver les dynamiques du marché en évolution risquent de nuire aux intervenants que la loi vise à aider.

Deuxièmement, le Canada ne devrait pas avoir peur de faire de la diplomatie culturelle pour encourager d’autres pays à adopter ses règles sur le droit d’auteur. Par exemple, je viens de revenir de Hong Kong où j’ai donné un petit cours à l’Université de Hong Kong. Bon nombre de personnes à Hong Kong s’intéressent particulièrement à la disposition qu’a adoptée le Canada en ce qui concerne le contenu non commercial généré par l’utilisateur et elles soulignent que cela pourrait offrir des mesures bien nécessaires en vue de protéger la liberté d’expression. D’autres pays ont aussi étudié attentivement notre approche en ce qui concerne l’utilisation équitable et nos règles en matière de responsabilité sur Internet comme de possibles modèles.

Troisièmement, ces deux enjeux se rejoignent lorsqu’il est question de la politique commerciale. Le Canada a collaboré avec l’Union européenne pour élaborer un régime plus équilibré de protection du droit d’auteur qui reconnaît que les deux parties doivent respecter les normes internationales et prendre les choses en main pour mener à bien le Partenariat transpacifique sans les États-Unis, qui se sont retirés des négociations. L’objectif était de réussir à faire valoir que plusieurs dispositions inéquitables sur le droit d’auteur qui allaient au-delà des normes internationales devraient être mises de côté. Le retrait de dispositions comme la prolongation de la durée du droit d’auteur et les règles concernant les verrous numériques a permis d’élaborer une entente plus progressive qui encouragera peut-être d’autres pays à y adhérer.

De plus, la récente démarche canadienne a permis de mettre en place un modèle pour les futurs accords commerciaux, et cette approche se fonde sur le respect des normes internationales en matière de protection et de droits d’accès progressifs. La prochaine étape serait de faire la promotion de nos dispositions plus novatrices dans le domaine commercial, ce qui pourrait évidemment permettre au Canada de se positionner comme un chef de file mondial en matière de droit d’auteur pour le plus grand bien des créateurs et des utilisateurs.

J’ai hâte d’entendre vos questions.

La présidente : Merci.

Madame Dickenson, allez-y.

Christa Dickenson, présidente, Interactive Ontario, Alliance interactive canadienne : Merci, madame la présidente.

Honorables sénateurs, c’est un plaisir d’être ici. Bonjour. Je m’appelle Christa Dickenson. Je suis présidente de la Canadian Interactive Alliance/l’Alliance interactive canadienne, une association commerciale non partisane à but non lucratif qui représente plus de 3 000 entreprises au Canada de l’industrie des médias numériques interactifs par l’entremise de 7 associations commerciales provinciales. Je suis aussi présidente-directrice générale d’Interactive Ontario, notre homologue provincial. Interactive Ontario représente plus de 300 entreprises de cette industrie.

[Français]

Merci de m’avoir invitée aujourd’hui pour parler de l’impact et de l’utilisation de la culture et des arts canadiens dans la politique étrangère et la diplomatie canadienne. Je suis heureuse de partager avec vous les expériences de nos membres qui exportent du contenu multimédia numérique interactif dans le monde entier.

[Traduction]

L’industrie canadienne des médias numériques interactifs englobe une vaste gamme de domaines en constante évolution. Cela inclut les jeux vidéo, les jeux pour mobiles, l’apprentissage en ligne, les applications, les récits en ligne et ce dont nous entendons beaucoup parler ces derniers temps, soit la réalité augmentée et virtuelle. C’est toujours en constante évolution, et de nouvelles plateformes font régulièrement leur apparition. Voilà pourquoi l’industrie canadienne des médias numériques interactifs génère maintenant des revenus annuels bruts de 3,8 milliards de dollars. Par ailleurs, cette industrie compte plus de 26 000 employés à temps plein, et environ la moitié de ses revenus provient d’exportations.

La CIAIC, soit l’Alliance interactive canadienne, représente des créateurs de contenu. Cependant, ce n’est pas tout le contenu créé qui répond à la définition de contenu canadien, parce que contrairement au cinéma et à la télévision il n’y a aucun programme de financement pour l’industrie des médias numériques interactifs qui exige expressément la présence de contenu culturel canadien. Certains secteurs de l’industrie, comme les jeux d’arcade pour mobiles, ne se prêtent pas naturellement à une définition culturelle. Cela étant dit, les producteurs de l’industrie canadienne des médias numériques interactifs créent du contenu culturel canadien attrayant salué dans le monde entier.

J’aimerais en donner quelques exemples. The Long Dark est un jeu de survie à la première personne où vous incarnez un pilote de brousse qui s’est écrasé et qui doit survivre dans les régions sauvages du Canada après une catastrophe mondiale.

Vous avez probablement entendu parler du projet Polar Seas qui est l’un des premiers à explorer le concept de la vidéo à 360 ° et qui permet aux spectateurs d’avoir l’impression de se promener dans l’Arctique.

Floor Kids est un tout nouveau jeu vraiment génial qui met à profit les médias numériques interactifs. C’est un jeu d’action rythmée pour mobiles qui met en scène le style et la musique de rue multiculturels de Montréal.

ReBlink est certainement l’une de mes œuvres préférées parmi les nouveautés; cela permet aux visiteurs d’un musée des beaux-arts d’interagir avec les peintures grâce à la réalité augmentée, et cette technologie est actuellement utilisée avec les collections canadienne et européenne du Musée des beaux-arts de l’Ontario.

SESQUI se veut une expérience d’immersion multiplateforme créée, grâce au gouvernement, à l’occasion du 150e anniversaire du Canada qui a fait le tour des collectivités canadiennes en 2017 et qui est toujours accessible en ligne dans divers environnements, y compris la réalité virtuelle.

De nombreux autres projets ne sont pas aussi canadiens en apparence, mais ils propagent tout de même les valeurs canadiennes, et je crois que c’est un aspect très important de notre culture. Ces valeurs incluent notamment la collaboration, l’innovation, la diversité et l’inclusion.

Lorsque la culture et les arts canadiens représentent fièrement sur la scène internationale l’image de marque du Canada à son meilleur, cela présente un aperçu de ce que cela signifie d’être canadien. Chaque fois qu’un producteur de l’industrie des médias numériques interactifs participe à une rencontre dans un marché étranger ou à une mission commerciale internationale, il représente notre pays, le Canada. Lorsque des producteurs canadiens de l’industrie des médias numériques interactifs collaborent avec des producteurs étrangers et qu’ils commercialisent ensemble un produit, cela stimule les deux économies et les deux secteurs culturels.

L’industrie canadienne des médias numériques interactifs a toujours regardé à l’étranger pour chercher des occasions d’affaires, et la CIAIC et ses associations membres favorisent fortement la croissance grâce aux exportations. Par exemple, chaque année, la CIAIC organise une activité de réseautage à l’occasion de la Conférence des développeurs de jeux à San Francisco. C’est le plus important salon international et conférence pour les jeux mobiles et vidéo.

En 2014 et en 2015, Interactive Ontario a publié deux rapports pour aider les entreprises de l’industrie des médias numériques interactifs à tirer profit des débouchés sur le marché mondial grâce à l’adoption de pratiques exemplaires en matière de coproduction et à des fiches d’information sur certains pays. Nous collaborons activement avec les agents commerciaux fédéraux et provinciaux en vue de participer aux missions commerciales et nous collaborons avec les agents commerciaux d’autres pays ici au Canada dans le but d’aider nos membres à rencontrer de potentiels partenaires à l’étranger.

C’est pourquoi l’industrie canadienne des médias numériques interactifs s’est forgé une réputation pour la production de contenu de haute qualité et de calibre mondial. Les producteurs de l’industrie des médias numériques interactifs ont été en mesure d’innover grâce à un soutien financier du gouvernement pour les médias numériques interactifs parmi les meilleurs au monde. Des programmes comme le volet expérimental du Fonds des médias du Canada ont aidé des producteurs canadiens de l’industrie des médias numériques interactifs non seulement à développer, à produire et à commercialiser du contenu avant-gardiste, mais aussi à chercher à développer de nouveaux publics au lieu de se contenter des publics existants. Cela n’a été rien de moins que déterminant dans la croissance de cette jeune industrie en rapide évolution.

Comme nous l’avons mentionné dans notre mémoire lors des consultations gouvernementales sur le contenu canadien dans un monde numérique, l’industrie canadienne des médias numériques interactifs a aussi hâte de collaborer avec les secteurs qui produisent du contenu non numérique, comme les arts de la scène ou les arts visuels, pour leur faire profiter de notre expertise dans les plateformes numériques et les marchés d’exportation et les aider à atteindre de plus grands publics.

Le projet ReBlink, dont j’ai parlé plus tôt, est un exemple de la manière dont la technologie peut piquer la curiosité des publics plus jeunes et les inciter à consommer des formes d’art plus traditionnelles. C’est également une excellente carte de visite pour l’industrie des médias numériques interactifs et la culture canadiennes. La semaine dernière, le seul et unique Tim Cook, président-directeur général d’Apple, s’est rendu au Musée des beaux-arts de l’Ontario pour voir ReBlink en action. C’était vraiment incroyable pour nous.

La principale pierre d’achoppement, c’est que le financement propre à un secteur, comme le financement pour les arts de la scène ou le contenu pour les médias numériques interactifs, n’encourage pas et ne permet même pas de telles collaborations intersectorielles. Nous considérons la collaboration comme une excellente occasion d’affaires et une manière de stimuler la créativité.

Se rendre dans les marchés étrangers pour rencontrer des acheteurs et de potentiels partenaires est aussi un défi. Même si le Fonds des médias du Canada et des organismes provinciaux offrent du financement pour la commercialisation et l’exportation, ils reçoivent malheureusement trop de demandes. Le service des délégués commerciaux a été d’une grande aide, mais les délégués commerciaux s’occupent souvent de nombreux secteurs et ils n’ont pas le temps d’acquérir une connaissance approfondie au sujet des médias numériques interactifs ou des arts et de la culture en général du territoire qu’ils représentent.

Avec du soutien, l’industrie canadienne des médias numériques interactifs pourrait devenir un outil plus utile à la politique étrangère et à la diplomatie du Canada.

[Français]

Sur une note personnelle, je vous informe que les questions qui concernent l’utilisation des arts canadiens ainsi que la culture canadienne dans le cadre des affaires étrangères m’intéressent particulièrement. J'ai grandi au sein du service diplomatique, car mon père a été ambassadeur du Canada au Koweït et en Indonésie. J’ai donc pu constater moi-même l’impact de culture canadienne à l’étranger.

[Traduction]

L’industrie canadienne des médias numériques interactifs peut faire connaître tous les éléments des secteurs des arts et de la culture à un public plus large et soutenir les objectifs de la politique étrangère comme l’établissement de liens plus étroits avec des marchés étrangers et la promotion de l’image de marque du Canada à l’appui d’autres activités tout en tirant profit des marchés étrangers et en assurant la croissance de leurs entreprises.

Je suis maintenant prête à répondre à vos questions.

La présidente : Merci.

Monsieur Geist, vous avez déjà témoigné au comité lors de nos études sur le commerce et vous aviez exprimé des réserves concernant les dispositions sur la propriété intellectuelle dans le Partenariat transpacifique. Vous semblez dire aujourd’hui que ces dispositions ont été mises de côté.

Compte tenu de cela, vos questions, vos réserves et vos bémols ont-ils tous été mis de côté, à votre connaissance, dans le nouvel accord qui a été conclu?

M. Geist : Merci. C’est une excellente question. Pour ce qui est du Partenariat transpacifique dans son ensemble, non, mais en ce qui a trait au chapitre sur la propriété intellectuelle, je pense que le Canada, aux côtés de beaucoup d’autres pays, a grandement progressé. Un chapitre sur le commerce numérique a encore des répercussions sur la vie privée — je pense que nous en avons parlé une des autres fois que j’étais ici —, et ces répercussions demeurent inchangées et préoccupantes. En ce qui concerne les dispositions sur la propriété intellectuelle, le gouvernement du Canada s’est révélé être un bon chef de file aux côtés d’autres pays du partenariat en suspendant l’application de certaines des dispositions les plus problématiques.

La présidente : Si je me souviens bien, c’est surtout à la demande d’un pays qui ne participe plus au processus qu’on a insisté sur les autres dispositions qui ont maintenant été suspendues.

M. Geist : Il a été plus facile de négocier leur retrait.

La présidente : Merci.

La sénatrice Bovey : Je vous remercie tous les deux d’être ici. Je vous suis très reconnaissante de vos observations. Votre expérience et vos points de vue sont d’une importance capitale au moment de nous pencher sur les anciens rôles et les rôles potentiels de la dimension culturelle dans les affaires étrangères du Canada.

Je m’intéresse à ce que vous avez dit au sujet des délégués commerciaux, madame Dickenson. Je sais que c’est une préoccupation bien réelle. Le monde culturel est diversifié, et toutes ses tranches, si je puis dire, sont distinctes.

Vous employez le mot « collaboration », ce qui est absolument essentiel. Plus tôt cette semaine, j’ai rencontré des responsables de galeries, de bibliothèques, de musées et d’archives dans le cadre d’une collaboration. L’élimination des vases clos est essentiellement la voie dans laquelle ils s’engagent.

Au moment de regrouper tout cela, un des témoins d’hier nous a dit qu’il croit que le personnel des ambassades canadiennes et des hauts commissariats partout dans le monde a besoin de nouveaux outils pour ses bases de connaissances. Avec du recul, nous voyons que nous venons d’une époque où des attachés culturels travaillaient aux côtés des délégués commerciaux. J’estime qu’énormément de personnes s’entendent sur l’importance de la dimension culturelle dans le commerce.

Cela dit, je veux maintenant me tourner vers l’avenir. Nous avons une tribune et nous comprenons que ce sont vraiment les arts et la culture qui façonnent l’image du Canada à l’échelle internationale. Que devrions-nous alors envisager sur le plan de la diplomatie culturelle? Avons-nous à nouveau besoin d’attachés culturels? Comment pouvons-nous donner de nouveaux outils au personnel? Comment pouvons-nous bien faire comprendre aux délégués commerciaux et aux employés de nos ambassades la complexité de la communauté artistique et sa richesse au moment de résoudre d’autres problèmes et de faire connaître nos profils à l’étranger?

Que nous recommanderiez-vous pour l’avenir?

Mme Dickenson : Merci de poser la question. L’absence d’attachés culturels depuis quelques dizaines d’années a créé un vide. Je crois fermement qu’il est important de leur donner de nouveaux outils. À l’époque, il fallait être en mesure de se faire valoir — pour briser la glace dans un autre pays, on parlait d’une œuvre d’art de Daphne Odjib ou de Norval Morrisseau qui était accrochée au mur. Nous consommons maintenant différemment l’art et la culture; c’est un monde axé sur les écrans. Il est crucial d’être en mesure de mettre ces exemples au premier plan.

Une collaboration avec les associations commerciales qui représentent les divers segments de la culture et des arts pourrait être une solution pour offrir ce cours intensif qui est absolument nécessaire.

La participation à nos conférences qui présentent les meilleurs et les plus récents exemples d’innovation est sans aucun doute un point de départ. Il existe de formidables conférences, comme iVentures, à Toronto, qui parlent de ces produits novateurs.

La sénatrice Bovey : Dans la même veine, pensez-vous que l’incidence et l’ampleur de ce que le vaste secteur culturel du Canada fait à tous les égards — sur le plan numérique, à l’écran et dans le monde des objets réels, des spectacles de danse et ainsi de suite — font en sorte que la communauté internationale sait mieux que les Canadiens en quoi consiste la culture canadienne?

Mme Dickenson : Il est très difficile de répondre. Les Canadiens sont très bien connus pour leurs talents de conteurs, et je pense qu’il y a beaucoup d’autres exemples concrets que nous pourrions utiliser pour faire valoir nos valeurs.

Pour revenir au point concernant la collaboration, la diversité et l’inclusion, nous avons des exemples de produits artistiques. L’art sert ainsi à parler de nos valeurs en matière d’environnement et de changements climatiques.

La sénatrice Bovey : Madame la présidente, je vais ajouter une dernière chose. Si vous deviez élaborer une politique de diplomatie culturelle pour les affaires étrangères, quel en serait l’élément essentiel selon vous?

J’aimerais que vous me donniez tous les deux votre point de vue, car j’ai certainement retenu ce que M. Geist a dit au sujet des questions de propriété intellectuelle.

Mme Dickenson : La stratégie canadienne d’exportation pour les industries créatives sera lancée en 2018. Nous sommes vraiment impatients. Je constate que le gouvernement met en place les missions et qu’il les dirige, et nos entreprises réagissent en essayant de les intégrer plutôt que de se tourner vers l’industrie — les médias numériques et les autres — pour trouver les vrais débouchés, ce qui est vraiment intéressant.

C’est par exemple ce que nous voyons en Asie. Fait intéressant, en invitant des spécialistes de ces questions à venir nous parler, nous avons appris que le Nigeria, de tous les pays, est une technolopole. Nous ne serions pas nécessairement au courant si nous ne nous étions pas adressés directement à l’industrie.

M. Geist : On dit que pour un marteau, tout ressemble à un clou, et pour un professeur de droit, tout ressemble à une question juridique ou réglementaire.

Je vais dire deux choses. Premièrement, et nous le voyons avec le plan de contenu canadien dans un monde numérique de la ministre Joly, nous avons besoin de règles qui encouragent les créateurs canadiens à se tourner le plus possible vers l’extérieur. Pendant trop longtemps, beaucoup de nos règles nationales ont reposé sur la création de barrières et d’approches protectionnistes. C’est compréhensible compte tenu de la proximité du marché américain, mais dans le marché manifestement mondialisé d’aujourd’hui, les créateurs canadiens n’ont jamais eu autant de débouchés. Il faut entre autres repenser notre approche ou la modifier en se défaisant du réflexe qui consiste à penser que nos outils doivent être axés davantage sur le protectionnisme et que la façon d’adapter l’environnement actuel est de recourir à de vieux systèmes de prélèvements. Nous devons plutôt nous tourner davantage vers l’extérieur et avoir plus confiance en l’idée que les Canadiens ont d’excellents cas de réussite à raconter, qu’ils peuvent réussir dans le monde entier.

Je mentionne également, deuxièmement, que lorsque nous regardons les approches des autres pays, nous voyons un véritable lien entre la propriété intellectuelle et les politiques qui s’y rattachent, ainsi que leur politique en matière de diplomatie culturelle. Ce n’est pas une coïncidence si les États-Unis ont les règles sur le droit d’auteur les plus strictes. Ils étaient dans le Partenariat transpacifique, et ils sont présents à beaucoup d’autres endroits. Ils voient une corrélation directe entre leurs industries nationales et les approches adoptées dans d’autres pays.

Surtout ces derniers temps, notre approche est devenue beaucoup plus progressive. À mon avis, de nombreux autres pays sont maintenant disposés à regarder leur niveau d’activités créatives et leurs marchés culturels et à affirmer que nous ne sommes pas les États-Unis. Nous avons besoin de solutions pour trouver un meilleur équilibre entre les besoins des créateurs et ceux des utilisateurs. À bien des égards, le Canada offre de véritables modèles, et nous avons d’excellentes occasions sur le plan diplomatique pour raconter avec plus d’assurance comment nous avons essayé de retomber sur nos pieds dans certains de ces dossiers.

Le sénateur Oh : Je remercie les témoins de leur exposé instructif. Je veux donner suite à la question que la présidente a posée plus tôt.

Monsieur le professeur, vous n’êtes pas satisfait du chapitre sur la propriété intellectuelle du Partenariat transpacifique. Maintenant que les États-Unis ont quitté le partenariat, quel est le rôle joué par le Canada, en tant que grande puissance parmi les 11 pays qui restent, pour parvenir à des ententes axées sur la priorité du Canada?

Du point de vue de la diplomatie culturelle, que proposez-vous que nos négociateurs commerciaux fassent pour protéger la vie privée et trouver un équilibre dans les exigences relatives à la localisation des données du gouvernement?

M. Geist : Merci de poser la question. Pour ce qui est du premier point, comme je l’ai mentionné plus tôt, je crois comprendre que le Canada a joué un rôle à Da Nang dans le cadre des efforts déployés pour tenter de suspendre l’application d’une grande partie des dispositions qui ne convenaient aucunement à de nombreux pays du Partenariat transpacifique — ce qui ne fait aucun doute avec du recul —, mais qui figuraient dans l’accord essentiellement à la demande des États-Unis.

Je pense donc qu’il est frappant de voir toutes ces dispositions être mises de côté et je crois que le Canada, en tant que deuxième économie du Partenariat transpacifique, a aidé à favoriser ce qui constitue selon moi un chapitre sur la propriété intellectuelle mieux équilibré.

Et je crois que le chapitre reflète mieux les intérêts d’une grande partie des autres intervenants du partenariat et qu’il sera beaucoup plus invitant lorsque nous songerons à inclure d’autres pays de la région, comme l’Indonésie et la Thaïlande, qui ne faisaient pas partie du partenariat initial. Il est possible que l’adhésion au Partenariat transpacifique soit maintenant plus attrayante pour eux, en partie parce que l’accord reflète mieux leurs besoins, comme c’est le cas pour une grande partie des pays qui sont restés.

Je pense donc que nous avons fait un bon travail en jouant un rôle de premier plan à l’égard de la propriété intellectuelle. Nous n’avons pas fait un aussi bon travail pour ce qui est du chapitre sur le commerce numérique, et les mêmes problèmes surgissent dans le cadre de la renégociation de l’ALENA, surtout en ce qui a trait à la localisation et au transfert des données.

C’est une question très difficile. Pour ceux qui ne sont pas trop au courant, cela porte précisément sur la possibilité que des pays créent des exigences selon lesquelles les données personnelles et l’information doivent être hébergées à l’échelle locale, au sein du pays, ou qu’ils créent des restrictions relatives aux transferts transfrontaliers.

D’un côté, je pense que nous voulons encourager l’ouverture d’Internet, surtout pour les pays qui pourraient vouloir dresser des obstacles et utiliser la localisation des données à des fins que nous ne soutiendrions pas, y compris, dans certains cas, à des fins antidémocratiques.

En même temps, je crois qu’il y a des préoccupations légitimes concernant certaines répercussions sur la vie privée de l’élimination de la capacité d’exiger que certains renseignements soient hébergés à l’échelle locale. En fait, notre propre gouvernement fédéral a une stratégie en matière d’infonuagique selon laquelle certains renseignements ne doivent pas être sauvegardés dans le nuage ou doivent être gardés à l’échelle locale. Si c’est assez bon pour le gouvernement fédéral, il me semble que cela doit l’être également pour les Canadiens.

Je crois qu’il est problématique que ces questions n’aient pas été réglées dans le Partenariat transpacifique. Elles demeurent inchangées, et nous avons des raisons de croire qu’elles referont surface dans la renégociation de l’ALENA. C’est une question qui ne fera que gagner en importance à mesure que nous prenons conscience de l’énorme quantité de données recueillies par les grands acteurs internationaux et, en un sens, de la possibilité que nous perdions une partie des protections canadiennes que nous avons essayé d’intégrer à la loi.

Le sénateur Oh : Quand vous dites que le Canada était la deuxième puissance économique, est-ce le Japon qui nous devance?

M. Geist : Oui.

Le sénateur Oh : Quelles seraient vos recommandations en matière de diplomatie culturelle dans notre nouveau monde de technologie mobile?

M. Geist : Je reviens aux réponses que vous nous avez tous les deux données à la question précédente. On reconnaît que nous vivons dans un monde numérique et que les gens ont de plus en plus accès à du contenu au moyen d’appareils mobiles, peu importe le pays où ils se trouvent.

À certains égards, nous voyons qu’on tente encore de dresser des obstacles virtuels au moyen du géoblocage et dans le domaine des « géojeux ». Nous venons tout juste de voir la semaine dernière une suggestion ou une recommandation du commissaire à la protection de la vie privée concernant le recours au géoblocage de certains termes de recherche, ce qui, je dois le dire, est quelque peu problématique.

Nous devons penser à l’échelle mondiale. Nous commençons à voir certaines entreprises procéder ainsi. Netflix est un exemple parfait, alors que l’entreprise crée de plus en plus souvent son propre contenu. Le Canada figure parmi les trois principaux marchés dans lesquels Netflix crée du contenu. L’entreprise s’est notamment engagée dans cette voie compte tenu de sa présence dans 200 pays — c’est un véritable monde mobile — et parce qu’elle ne veut pas se heurter aux contraintes que comporte souvent l’obtention de licences dans les différents pays.

Je dirais qu’à l’échelle nationale, depuis trop longtemps, certains de nos radiodiffuseurs canadiens, plus particulièrement, ont été fortement tributaires de ces barrières. Nous avons des radiodiffuseurs qui gagnent une grande partie de leur argent en obtenant des licences canadiennes, souvent pour du contenu américain. Je pense que cela mine souvent l’importance du contenu canadien, sans parler du contrôle que ces radiodiffuseurs ont sur leurs propres programmes.

Il faut que ces radiodiffuseurs créent leur propre contenu canadien non pas à cause des exigences réglementaires, mais parce que c’est dans leur propre intérêt économique dans un monde où la diffusion en continu et la technologie mobile signifient que le nombre de licences canadiennes pour du contenu étranger diminuera au fil du temps. La valeur et l’importance de ce contenu sont déjà moindres.

Le sénateur Massicotte : Merci à vous deux d’être parmi nous ce matin. C’est manifestement très intéressant.

J’ai un peu de difficulté à comprendre. Nous avons entendu beaucoup de témoins, et la question a été abordée. Cette culture et cette technologie sont en quelque sorte subventionnées et financées en grande partie par la population canadienne. Par conséquent, quand nous parlons des avantages de la culture, il ne faut pas que cela se limite à notre plaisir. Il faut que ce soit avantageux pour les Canadiens qui, en gros, investissement dans cette industrie.

Madame Dickenson, vous avez parlé de votre jeunesse et avez dit qu’il y a eu des missions utiles, que vous avez vues de vos propres yeux. Qu’entendez-vous par « utiles » dans ce contexte? Que doit-on faire pour pouvoir dire que c’est très bon pour le Canada et les Canadiens qui contribuent au système?

Mme Dickenson : Je me souviens de missions dans différents pays où des artistes ont fini par s’installer. Il y a entre autres un bijoutier — le nom m’échappe —, mais son entreprise comporte maintenant une usine prospère de fabrication de bijoux en argent en Indonésie. Le partenariat obtenu ainsi s’est révélé formidable et lui a permis de devenir un artiste de renommée mondiale.

Je pense que le nombre de missions culturelles du genre a diminué dans le passé et qu’elles sont devenues très contraignantes. Je pense qu’il faut entendre les occasions d’affaires, ce qui signifie que cet exemple est parfaitement logique compte tenu des ressources et du savoir-faire artisanal qu’on trouve là-bas, mais la conception est canadienne.

Je pense que nous ratons beaucoup d’occasions de nos jours.

Le sénateur Massicotte : Dans la même veine, vous avez parlé d’un bijoutier qui est devenu un artisan prospère dans le domaine des bijoux en argent. Le fait que le soutien obtenu ainsi ait permis à cette personne d’exceller dans son métier est-il suffisant? Faut-il que ce soit avantageux pour le Canada et pour les Canadiens pour qu’il soit justifié pour nous d’aider ces personnes? Quel est le lien?

Mme Dickenson : Au bout du compte, j’ai l’impression que deux choses sont absolument essentielles, à savoir la croissance économique et la culture canadienne, et je ne sais pas si l’une l’emporte nécessairement sur l’autre. Nous cherchons des cas de réussite.

Il y a un partenariat très intéressant en cours à l’heure actuelle entre Israël et le Canada appelé The Holy City, une expérience de réalité virtuelle où l’on montre les différentes religions dans la ville de Jérusalem, et non pas les endroits que les touristes visitent habituellement. L’accès à l’information et aux expériences renvoie à la culture canadienne et est réciproque au bout du compte.

Ces genres de partenariats sont fantastiques et témoignent de nos valeurs. Avoir accès à un exemple comme celui-ci est tout à fait unique. Ce partenariat ne se serait probablement pas produit avec les États-Unis, mais avec le Canada, c’était possible.

Le sénateur Massicotte : Pourriez-vous répondre à ma question? Où se trouve le lien? La réponse qu’on obtient est qu’il faut qu’il y ait des avantages économiques pour le Canada en raison des échanges commerciaux. Où voyez-vous le lien? Il y a de toute évidence un lien important dans les deux éléments.

M. Geist : J’en discutais justement avec quelqu’un la semaine dernière. Dans le milieu universitaire, j’ai le privilège d’avoir un poste financé par des fonds publics, j’ai une chaire de recherche du Canada, financée par les fonds publics, et je reçois parfois des subventions qui financent en partie le travail que je fais.

Pendant trop longtemps, le milieu universitaire a publié le fruit de ses recherches dans des revues et il devait par la suite racheter ces mêmes recherches que la population avait, en fait, déjà financées une fois, deux fois, et parfois même trois fois. Nous avons vu un solide virage en faveur de ce qu’on appelle le libre accès et l’idée que si la population a déjà financé le tout, en particulier par l’entremise des trois conseils, la population devrait avoir droit à un certain niveau d’accès.

Cela ne s’applique pas directement dans l’univers culturel dans tous les cas. Personnellement, je crois que l’on devrait financer beaucoup d’activités culturelles par l’entremise du Conseil des arts du Canada et d’autres organismes, car ces activités ne verraient pas le jour autrement, alors ce qu’on retire, c’est du contenu canadien, de la culture canadienne qui se crée, en marge du marché.

Je crois toutefois que dans certains segments du secteur culturel, certaines entreprises ont trop peu tenu compte du droit d’accès en étant promptes à oublier que parfois 50 p. 100 ou plus de leurs dépenses sont assumées par les fonds publics. Tout ce qu’on retient, c’est qu’on a un droit exclusif de commercialisation, mais le fait que ce sont des fonds publics qui ont sans doute rendu le tout possible devient un facteur très secondaire.

On le voit dans presque tous les livres des éditeurs canadiens. On y mentionne tous les organismes subventionnaires qui ont permis au livre de voir le jour, puis juste au-dessus, la mention « Tous droits réservés », et indique que l’on n’a pas le droit de l’utiliser, en citant parfois de façon erronée les exceptions et les droits des utilisateurs qui existent dans la Loi sur le droit d’auteur.

Il faut repenser le financement accordé dans certains cas où le public aurait le droit, en contrepartie, d’accéder à ce qu’il a contribué à financer; il faut que cela fasse partie de la discussion.

Le sénateur Massicotte : Permettez-moi de pousser un peu plus loin la question. Si vous étiez responsable de tout le financement des activités culturelles ou diplomatiques au Canada, quels seraient les deux critères que vous utiliseriez pour établir si quelque chose a beaucoup de mérite ou n’en a pas du tout? Sur quoi vous appuieriez-vous? De toute évidence, quelqu’un prend la décision de financer ou de ne pas financer. Nous avons beaucoup entendu parler des critères, mais à votre avis, quels devraient-ils être?

M. Geist : Je vais faire une analogie, encore une fois, avec le milieu universitaire. Nous finançons la recherche fondamentale, que ce soit en sciences, en sciences sociales ou en santé, parce que c’est une bonne chose de financer la recherche et d’effectuer des recherches fondamentales sans savoir nécessairement quel sera le résultat.

De la même façon, je pense que c’est une bonne chose de financer la culture sans savoir nécessairement quel sera le résultat, sans avoir de garanties qu’il y aura des avantages économiques, parce qu’un pays comme le Canada a le privilège de pouvoir le faire.

En même temps, toutefois, au sujet du financement, notamment du financement motivé par des avantages économiques, on voit parfois des groupes tenter de faire valoir, d’une part, que c’est une question de contenu canadien, mais quand on remet en cause les avantages économiques, ils disent, non, c’est une question d’emplois. Je pense que ces deux éléments sont importants, mais quand on opte pour un financement motivé principalement par les avantages économiques, il faut accorder plus d’importance aux extrants, puis au niveau d’accès qui les accompagne.

La sénatrice Cordy : Merci à tous de vos exposés aujourd’hui. C’est très utile et très intéressant d’examiner la diplomatie à travers le prisme de la culture. C’est un exercice très utile.

Monsieur Geist, vous nous avez donné des statistiques très intéressantes aujourd’hui, à savoir que nous sommes le sixième producteur mondial de musique en importance, et qu’en 2013, les revenus d’Internet s’élevaient à 13 millions de dollars. Les Canadiens comprennent-ils l’importance de la culture, de la production musicale et de la création pour l’économie du pays? C’est considérable.

M. Geist : C’est considérable, en effet. Une petite précision: nous sommes le sixième marché de la musique au monde, et non pas nécessairement en termes de volume de musique créée — je ne sais pas où nous nous classons à cet égard — mais plutôt en termes de revenus générés par l’industrie. Cela montre bien qu’il s’agit d’une véritable histoire à succès.

Je dois admettre toutefois avoir le sentiment que le débat en est devenu un, malheureusement, où les industries se vantent de leur succès dans leurs rapports annuels, puis quand elles veulent obtenir des fonds du gouvernement, ou qu’elles veulent discuter de nouvelles règles sur les droits d’auteur et d’autres mesures réglementaires, elles disent que tout va mal. Il me semble qu’on ne peut dire une chose et son contraire. Le fait est qu’il y a de véritables réussites. Cela ne veut pas dire que tout le monde est passé à l’ère numérique. Les défis sont nombreux pour y arriver, bien sûr.

Mais jusqu’à maintenant honnêtement, si on se fie à ce qu’on entend, en particulier, dans le domaine des médias interactifs, le Canada est un chef de file mondial. Les Canadiens sont-ils conscients de l’importance de cela? Je pense que les Canadiens y accordent beaucoup d’importance, et leur façon de le témoigner, c’est de l’utiliser de plus en plus, surtout depuis que l’industrie a finalement collaboré en leur offrant des options viables, pratiques, à bon prix et autorisées.

Je me souviens avoir comparu devant des comités comme celui-ci il n’y a pas si longtemps, et j’ai entendu des députés et des sénateurs dire que les gens ne paieraient jamais pour écouter de la musique. Eh bien, aujourd’hui on génère des dizaines de millions de dollars et les gens paient pour écouter leur musique, et ce qu’il a fallu, ce ne sont pas des lois sur le droit d’auteur, mais plutôt une industrie qui a commencé à prendre conscience qu’elle avait des clients à servir et qu’elle devait leur offrir des options pratiques et à bon prix. C’est exactement ce dont nous avons été témoins dans ce secteur et dans d’autres également, ce qui explique certaines des dépenses.

La sénatrice Cordy : Netflix en est un exemple.

M. Geist : Netflix est un parfait exemple.

La sénatrice Cordy : Madame Dickenson, vous avez dit qu’un des plus gros obstacles à l’obtention de financement est la difficulté pour les secteurs de collaborer. Si on prend l’exemple du gouvernement, nous fonctionnons souvent en vase clos, et même les ministères ne travaillent pas nécessairement ensemble. Pourriez-vous nous dire comment on pourrait régler ce problème et rendre le tout un peu plus facile? Les choses ne sont plus ce qu’elles étaient il y a 50 ans.

Mme Dickenson : C’est exact. Le financement offert aujourd’hui est le même depuis longtemps. Il date de l’ère prénumérique, dans une certaine mesure. Dans les ententes de financement qui existent à l’heure actuelle, il n’y a rien pour inciter deux entreprises à collaborer sur un projet.

À titre d’exemple, si un créateur de contenu pour médias numériques voulait travailler avec un partenaire en santé ou un musée pour créer un projet de réalité virtuelle, il n’y a aucun financement, de quelque nature que ce soit, pour ce genre de collaboration.

Nous sommes tous ici pour répondre à la simple question suivante: pourquoi investir dans la culture pour l’exportation?

Nous vivons à une époque où il faut un peu moins hésiter à prendre des risques — et c’est exactement ce que vous disiez, Michael — et aller de l’avant si on veut trouver des innovations qui fonctionnent.

De plus, quand on parle des principaux produits d’exportation, tout le monde pense au pétrole, mais quels sont les autres principaux produits que nous exportons dans le monde? Ce sont les automobiles et les appareils. Eh bien, quand on parle de culture et de médias numériques, on parle de tout ce qui est consommé sur ces appareils.

Pour moi, c’est l’évidence même. Il faut vraiment agir, et c’est maintenant qu’il faut le faire.

La sénatrice Ataullahjan : Merci de votre exposé ce matin.

Le visage du Canada change en raison des nombreuses communautés ethniques différentes qui le composent, et j’ai entendu parler de boîtes que les gens achètent pour quelques centaines de dollars et ils paient ensuite 10 $ par mois, et ces boîtes leur permettent de regarder des émissions partout dans le monde. Beaucoup de membres des communautés ethniques regardent des émissions de leur pays d’origine.

Quelle incidence cela a-t-il sur les radiodiffuseurs canadiens? Je connais beaucoup de gens qui, même s’ils ont le câble, ne le regardent pas parce qu’ils ont accès à tous les canaux habituels sur leur boîte, et ils ont aussi accès à beaucoup de contenu international.

Est-ce que l’industrie en est consciente? Je ne sais pas si ces boîtes sont légales, mais je pense qu’on peut s’en procurer aujourd’hui pour environ 200 $, et certains ne paient ensuite que 10 $ par mois. Est-ce que cela a une incidence sur les radiodiffuseurs canadiens?

M. Geist : Oui, en effet. Vous parlez des boîtes Kodi et aussi des logiciels libres qui permettent aux gens d’avoir accès à de nombreux types d’extrêmes, certains autorisés, d’autres non.

Vous avez raison de mentionner que pour de nombreux Canadiens, c’est essentiel d’avoir accès à du contenu bien souvent légal et en continu en provenance de leur pays d’origine qui est maintenant offert ici.

L’effet le plus marqué que cela a eu, je dirais, sans trop d’exagération, est que les radiodiffuseurs sont partis en guerre contre ces boîtes.

En fait, nous avons vu une proposition pas plus tard que cette semaine, menée par Bell et incluant quelques autres joueurs, demandant au CRTC de créer un système de blocage obligatoire dans le cadre duquel le CRTC, sans surveillance directe des tribunaux, pourrait par l’entremise d’un nouvel organisme antipiratage, recenser les sites souvent utilisés par ces boîtes et exiger que les fournisseurs Internet leur bloquent l’accès.

À mon point de vue, la proposition soulève de nombreux problèmes du point de vue de la liberté d’expression et de la neutralité d’Internet, et je ne suis pas convaincu qu’elle respecte les lois existantes sur les communications ou la Charte des droits et libertés. Cela témoigne toutefois du virage draconien dans la façon utilisée par les gens pour avoir accès au contenu, le phénomène d’abandon du câble, soit en se tournant vers des boîtes ou en utilisant seulement Netflix ou d’autres types de services. De toute évidence, certains radiodiffuseurs canadiens en subissent les contrecoups. Je pense que parfois, plutôt que d’affronter directement la concurrence, en réduisant les prix ou en diversifiant leurs offres, ils tentent agressivement de trouver des mécanismes légaux pour faire cesser certaines activités.

Cela ne veut pas dire que tout dans une boîte Kodi est légal. Ce n’est pas le cas. Mais il importe de souligner que le Canada a, comme je l’ai déjà mentionné, des lois antipiratage parmi les plus sévères au monde, notamment une disposition créée en 2012 qui autorise les détenteurs de droits à poursuivre directement les sites qui facilitent les violations. En vertu d’un arrêt de la Cour suprême du Canada, ils peuvent également obtenir une ordonnance pour poursuivre les sites qui sont parfois situés à l’extérieur du pays. Nous avons donc déjà de solides règles en place, mais au lieu de voir les entreprises miser sur la concurrence et reconnaître qu’il s’agit de choix, et même parfois, d’un lien essentiel pour certaines personnes, ce qu’on voit, c’est d’importantes batailles juridiques pointer à l’horizon.

La sénatrice Ataullahjan : Il y a aussi le coût. Je suis abonnée au câble ordinaire, et ma facture s’élève à plus de 160 $ par mois. Dans le cas des boîtes, on fait un paiement unique, et ensuite c’est peut-être 10 $. C’est un élément que beaucoup de gens prennent en considération également.

Voici mon autre question : assistera-t-on au cours du présent siècle à la disparition du livre papier? Cela m’inquiète. Les livres électroniques et tout ce qu’on trouve dans les médias numériques, c’est beau, mais certains d’entre nous aiment bien tenir un livre dans nos mains.

M. Geist : Je pense que ce marché continuera d’exister, et je suis d’accord avec vous: il y a un petit quelque chose qui ne remplace pas un livre. Je voyage beaucoup, et les livres électroniques sont extrêmement pratiques, toutefois.

Je pense que cela dépend un peu du contenu. Ce ne sont que des suppositions, mais je pense que dans le cas des journaux ou des nouvelles, c’est assez clair que les versions papier disparaîtront bientôt. J’aime encore beaucoup lire le journal le samedi matin en prenant mon café, mais mes enfants me regardent comme si j’avais perdu la tête.

Je pense que pour beaucoup de gens, le virage s’est déjà produit, et c’est très peu probable qu’il y ait un retour en arrière.

Pour d’autres types de contenu, je pense qu’il y a encore un côté pratique et un contact physique qui seront plus difficiles à remplacer. À mon avis, les deux versions vont pouvoir se côtoyer pendant un bon bout de temps.

La sénatrice Cools : J’aimerais remercier nos témoins de comparaître et aussi de nous aider à mieux comprendre ce que je considère être des sujets et des environnements extrêmement complexes.

Je me demande si vous pourriez m’aider. Les gens parlent constamment des « valeurs canadiennes ». Il y a de nombreuses années, lorsque j’étais une toute jeune femme, j’avais un professeur à l’université qui nous dissuadait toujours d’utiliser le terme « valeur » dans le sens de principe, et qui disait que la valeur était ce qu’on achète chez Sears.

Je pense comprendre — parce qu’on entend souvent l’expression « valeurs canadiennes », et avoir une idée de ce que les gens veulent dire, mais je me demande si vous pouviez me fournir une explication. Je suis certaine que vous avez fait beaucoup de recherches sur les concepts de ce genre.

M. Geist : Je suis certain que Christa peut vous en parler également. Selon moi, c’est une question relativement personnelle parce que la conception qu’ont les gens des valeurs canadiennes tient probablement en grande partie à leurs intérêts ou expériences. Pour moi, cela représente un pays inclusif, un pays ouvert à l’immigration. Mes grands-parents sont des survivants de l’Holocauste et ma famille a été accueillie après cela. Je suis conscient du besoin d’avoir des frontières ouvertes et du fait que des générations successives de gens partout dans le monde vivent, en un sens, la même chose que ma famille a vécu. Je pense que le Canada fait bien de défendre des idées comme celles-là.

Je pense que — d’une manière qui tranche nettement avec ce que nous observons aux États-Unis en ce moment — le Canada est un pays où l’inclusion est visible en ce sens qu’on y élève le niveau de tous et qu’on y reconnaît la valeur de chaque personne sans se reposer uniquement sur des approches axées sur le marché dans toutes les situations.

Voilà certains des types de valeurs auxquelles je pense quand je songe aux valeurs canadiennes. Je crois que certains des types de règles et de politiques sur lesquelles je mets l’accent cherchent à refléter ces valeurs, qu’il s’agisse de nos lois sur la protection des renseignements personnels qui visent à reconnaître l’importance de la vie privée et des protections qui s’y rattachent afin que les gens puissent se sentir libres de s’exprimer et de s'engager sans que des renseignements liés à leurs antécédents soient nécessairement exposés d’une façon préjudiciable. Au Canada, on tente aussi de trouver un juste équilibre au chapitre de la protection des droits d’auteur afin de veiller à ce que les créateurs puissent créer et profiter des fruits de leur créativité, mais aussi à ce que le public en bénéficie en ayant accès à leurs créations et en participant également à cette créativité.

Je pense que nous constatons que certaines de nos lois sont imprégnées de ces mêmes types de valeurs, et je suppose qu’à certains égards, il s’agit là d’une excellente question, parce que nous avons l’occasion d’exporter ces mêmes types de valeurs à l’échelle internationale. Je crois que nous vivons à une époque particulière où ce genre d’approches suscite beaucoup d’intérêt comparativement à ce que nous observons ailleurs.

Mme Dickenson : Merci Michael. J’aimerais m’appuyer sur ce que vous avez dit.

Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. En ce qui concerne les valeurs canadiennes et les valeurs en général, je crois que nous grandissons avec elles à la maison et que certaines de nos valeurs en tant qu’étudiants et membres d’un conseil d’étudiants sont fixées. Lorsque vous entrez au service d’une société, vous la choisissez souvent en fonction des valeurs de ses dirigeants et de sa culture organisationnelle. Les valeurs nous entourent.

Ma famille, comme celle de nombreux Canadiens, est d’origine irlandaise et ukrainienne. Mes aïeuls étaient agriculteurs. Ils sont venus au Canada parce qu’il était possible d’y mener une vie agréable et équitable.

Le Canada est un chef de file lorsqu’il s’agit de dire que la parité hommes-femmes et tous les types d’équité importent.

Par exemple, derrière moi, se trouve Deirdre Ayre, la PDG d'Other Ocean, l’une de nos sociétés membres du Canada atlantique. Elle est propriétaire d’une entreprise, et grâce à cette parité, aux points désormais offerts lorsqu’on présente une demande au FMC et au fait qu’une femme dirige quelques-uns des projets auxquels Mme Ayre travaille, elle a reçu quelques subventions.

Je suis tellement heureuse de constater que nous signalons cela comme un élément important. Partout dans le monde, les gens considèrent toujours le Canada comme un pays juste et digne d’envie. Je crois que nous devrions être fiers de nos valeurs. Je suis fière d’être canadienne en raison de nos principes.

La sénatrice Cools : Je soupçonne que nous sommes tous très fiers d’être Canadiens, mais vos propos sont beaucoup plus profonds qu’ils le semblent. J’ai fait bon nombre de recherches et de lectures au sujet de l’élaboration de la Constitution du Canada.

Par exemple, si vous examinez l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, actuellement connu sous le nom de Loi constitutionnelle de 1867, vous constaterez que l’article 91 stipule que le Parlement du Canada devrait faire des lois « pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada ». Comparez maintenant cela à « la vie, la liberté et la recherche du bonheur » des Américains. La structure des phrases et même leur signification diffèrent vraiment d’une façon remarquable.

J’ai étudié chacune des constitutions du Canada, en commençant par la Proclamation royale de 1763, suivie de l’Acte du Québec de 1774, l’Acte du Canada de 1791 et l’Acte d’union de 1840. Chacune d’elles répète les mots: « pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada ».

Je ne connais personne d’autre qui a remarqué cela. J’ai beaucoup lu afin de rédiger un discours dans lequel je parlerai de ce fait. Il s’agit là d’un immense travail intellectuel.

Lorsque je vous ai demandé de m’expliquer ce que vous entendez par « valeurs canadiennes », je l’ai fait parce que je crois que ce concept va beaucoup plus loin que nous ne le réalisons lorsque nous prononçons les mots « valeurs canadiennes ». La façon dont les politiciens canadiens abordent la politique diffère radicalement de celle des politiciens américains. Toutefois, je ne suis pas sociologue, et cette étude devrait être confiée à d’autres générations.

Mme Dickenson : Je n'en suis pas une non plus, mais vos propos m’interpellent, sénatrice Cools.

La sénatrice Cools : Il y a une autre expression qui est reprise, à savoir « l’image et la transcription parfaites » — le fait que le Canada souhaitait que ses constitutions soient l’image et la transcription parfaites de la Grande-Bretagne.

Il y a donc deux expressions que l’on retrouve partout dans ces documents. J’espère que tout cela vous intéresse.

Mme Dickenson : Je prends des notes. Je trouve cela très intéressant. Je vais rentrer à la maison et faire des recherches à cet égard.

La sénatrice Cools : C’est simplement un sujet qui m’intéresse.

Mme Dickenson : J’aime savoir que j'ai appris quelque chose à la fin d’une activité.

La sénatrice Cools : Je possède des copies de ces documents. Je collectionne les documents. C’est l’un de mes gros défauts. Voilà pourquoi je souhaite conserver ces deux-là, vous voyez?

La présidente : C’est un bon point. Puis-je revenir là-dessus sous un autre angle?

Nous avons parlé des droits de propriété numérique et intellectuelle — de leur emploi abusif — qui heurtent la culture d’une différente manière. Parfois, on reproche aux gouvernements de présenter non pas de la culture, mais plutôt de la propagande. Nous ne croyons pas faire cela, mais il arrive que d’autres pays pensent que nous le faisons. Par conséquent, il y a des blocages.

Monsieur Geist, comment pouvons-nous favoriser et diffuser notre culture canadienne sans risquer d’exposer notre point de vue dans un autre pays, ce qui pourrait ensuite être interprété comme un comportement hostile de notre part? Nous savons à quelles intrusions notre pays fait face, souvent sous le couvert de la culture, de la danse, de la chanson et des chaînes de télévision.

M. Geist : Mon point de vue sur la diplomatie dans ce contexte, c’est qu’il faut donner l’exemple au lieu de présenter des exigences. Dans ce dossier en particulier, les États-Unis ont recours à des moyens comme la « liste de surveillance du piratage » sur laquelle figure 70 p. 100 de la population mondiale, accusent la planète entière de ne pas se conformer aux normes de protection de la propriété intellectuelle que tous devraient respecter, selon eux, et prennent ensuite diverses mesures pour tenter d’exiger que les autres modifient leur façon de faire.

Je ne crois pas que ce soit la bonne façon de procéder. Dans bon nombre de cas, j’estime que les États-Unis ont tort et que le Canada a rejeté avec raison un grand nombre de ces tentatives. La façon la plus efficace, la plus conforme à nos valeurs canadiennes, pour ainsi dire, et la plus fructueuse en fin de compte consiste à donner l’exemple dans ces secteurs afin de démontrer la façon dont nous avons adopté des approches plus progressistes pour remédier à bon nombre de ces problèmes, puis à renseigner les autres sur les types d’approches que nous avons adoptées et à démontrer leur efficacité — et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai abordé ce sujet en premier au cours de ma déclaration préliminaire. Il faut fournir aux autres des exemples concrets qu’ils pourraient décider de suivre.

La présidente : Madame Dickenson, je crois comprendre que bon nombre de ces nouvelles entreprises créatives liées à des jeux vidéo ainsi que tous les projets dont on m’a parlé — et je tiens à ce que cela figure dans le compte rendu, car, si je rapporte les faits incorrectement, cela est attribuable au fait que cet univers ne m’est pas familier — ont été créés par de nombreux jeunes de l’école secondaire. Ils observent ce qui se passe, ont une idée, parlent avec leurs amis et développent un produit. Parfois, le tour est joué avec difficulté ou simplement d’une façon ingénieuse. Toutefois, lorsqu’ils parviennent à un autre niveau et qu’ils souhaitent diffuser vraiment leurs produits, ils sont souvent forcés de les vendre parce que, selon eux, il n’y a pas suffisamment d’investissements pour assurer la croissance de leur entreprise. Par conséquent, leur propre solution de rechange consiste à vendre leurs produits et à passer à autre chose en créant peut-être un autre jeu vidéo ou en investissant dans l’un d’eux souvent à l’étranger.

Comment pouvons-nous continuer de les appuyer? Certaines personnes me disent que ces jeunes ont besoin d’une aide accrue, mais d’autres m’indiquent que certains de nos règlements, de nos régimes fiscaux et même de nos restrictions interprovinciales nuisent à la croissance de leur entreprise.

Mme Dickenson : En ce qui a trait en particulier aux médias numériques interactifs, il y a des restrictions liées au fait que la collaboration n’est pas favorisée. Les crédits d’impôt ne fonctionnent pas correctement lorsque des gens de différentes provinces travaillent ensemble. De même, pour relier un peu mes propos à votre question concernant la propagande, je dirais qu’à mon avis, très peu de gens au Canada sont de nature propagandiste. J’ignore si ce mot existe, mais cela n’a pas d’importance. Lorsque, d’un point de vue culturel, nous échangeons avec l’étranger, c’est parce que nous cherchons à collaborer et à établir des partenariats. Par conséquent, il ne s’agit pas de propagande. Par exemple, le FMC a signé des traités avec 25 pays relativement à la production cinématographique et télévisuelle. Nous ne disposons pas de ce genre d’ententes pour les médias numériques. Si c’était le cas, ce serait fantastique. Il s’agirait d’un excellent point de départ. Cela répondrait à votre deuxième question, à savoir comment nous pouvons éviter de vendre notre PI. Vous avez raison de dire que le contenu n’est pas créé uniquement par des producteurs traditionnels. Il y a beaucoup de contenus en ligne créés par des utilisateurs, dont certains sont très rentables et pourraient entraîner l’établissement de la prochaine grande entreprise que nous aimerions voir prospérer. Nous devons encourager ces initiatives.

J’aimerais aussi que du financement soit accordé pour le développement d’un éventail de projets, disons, plutôt qu’un projet à la fois. Ainsi, vous investiriez en fait dans l’entreprise et ses travailleurs talentueux, de manière à leur permettre d’entreprendre quatre projets cette année-là et de laisser l’un d’entre eux être couronné de succès, l’un d’entre eux échouer et deux d’entre eux donner des résultats satisfaisants.

Le sénateur Neufeld : Merci. Cette discussion est très intéressante. Habituellement, je ne siège pas au sein du comité. Je ne fais que remplacer quelqu’un aujourd’hui. Toutefois, il est intéressant d’écouter cette discussion.

Ce qui m’intrigue, ce sont les comparaisons que certains des témoins et certains d’entre nous établissent, selon lesquelles la situation est meilleure au Canada qu'aux États-Unis, et cetera. Pour reprendre l’expression que vous avez employée, je préfère donner l’exemple plutôt qu’affirmer que quelque chose cloche aux États-Unis.

Lorsque je me rends aux États-Unis ou que je regarde une quelconque partie de hockey ou activité sportive, je vois les gens se lever et placer leur main sur leur cœur pour chanter leur hymne national. Ils retirent leur chapeau et entonnent ce chant. J’aime le Canada, mais je n’y observe pas le même genre de comportement. Vous pouvez peut-être m’aider à comprendre un peu la différence. Les gens sont un peu plus timides lorsqu’il s’agit de chanter l’hymne national canadien, et pourquoi le seraient-ils? Nous sommes très fiers de notre pays.

Lorsque j’entends ce genre de commentaires, cela me dérange un peu parce que les Américains, tout comme nous, sont fiers de leur pays pour toutes les raisons qui leur permettent de s’enorgueillir.

En outre, le Canada compte des gens incroyablement talentueux, dont des chanteurs, des auteurs-compositeurs et tous les types de personnes de ce genre. Cependant, ils ne peuvent pas atteindre une grande renommée au Canada; ils y parviennent en allant où? Aux États-Unis. Les Américains doivent aussi faire certaines choses correctement là-bas, puisqu’ils attirent toutes les personnes talentueuses dans leur pays, où leur talent les rend célèbres, comme il se doit.

Vous pourriez peut-être m’aider un peu à rectifier mon point de vue concernant le Canada et les États-Unis.

M. Geist : J’avancerai deux arguments. Premièrement, ayant assisté à un certain nombre de parties éliminatoires de hockey ou de baseball, dont deux ou trois parties éliminatoires des Blue Jays il y a quelques années et des parties éliminatoires ici, à Ottawa, je dois dire que je n’ai jamais vu ou visité aux États-Unis des arénas ou des stades où 20 000 ou 50 000 personnes chantent leur hymne national à l’unisson en l’absence d’un chanteur, comme les Canadiens le font. Par conséquent, ayant au moins observé certains de ces événements, je dois reconnaître que les Canadiens chantent leur hymne national avec fierté et d’une voix forte.

En ce qui concerne les États-Unis, je ne voudrais jamais que l’on pense que je laisse entendre que les États-Unis ne comptent pas un grand nombre d’aspects réellement merveilleux, dont deux de mes frères et sœurs qui vivent là-bas. Toutefois, je dirais qu’une partie de la discussion concernant les valeurs canadiennes et qu’une partie de notre volonté de donner l’exemple sont liées à la responsabilité de prendre la parole lorsque c’est approprié. Malgré tout le respect que je vous dois, lorsque je vois ce que les Américains disent et font en particulier au chapitre de l’immigration, mais aussi relativement à des enjeux comme le contrôle des armes à feu, j’estime qu’il incombe au Canada de dénoncer les agissements du gouvernement des États-Unis dont, selon moi, les Américains ne peuvent s’enorgueillir.

Mme Dickenson : Vous parlez de certaines personnes talentueuses qui déménagent aux États-Unis et qui connaissent la réussite. Il ne fait aucun doute que le Canada est un grand pays doté d’une petite population. Par conséquent, la quantité de produits qu’on peut y écouler est limitée. Ce que j’aime également examiner, ce sont les exemples de réussite comme le Cirque du Soleil, qui est connu partout dans le monde. J’espère que, grâce à la discussion que nous avons aujourd’hui au sujet des politiques relatives à la culture et aux investissements dans celle-ci, nous verrons naître, dans les années à venir, plusieurs entreprises de ce calibre portant la marque Canada, dont nous pourrons tous être fiers.

Le sénateur Neufeld : Merci.

La présidente : Cela met fin à la séance.

Je voyage à des endroits inhabituels, et je me trouve parfois dans un petit kiosque établi dans une région étrange d'un pays africain où j’entends Céline Dion chanter. Les gens ignorent que Céline est canadienne, mais reconnaissent la qualité de ses chansons. J’en conclus que le Canada compte des artistes talentueux. Nous devons faire davantage pour en tirer parti. Ces talents peuvent représenter un outil commercial ou un outil de développement culturel.

Les membres du comité devront s’efforcer de compiler l’information d’une façon positive afin d’aider les Canadiens dans la mesure du possible parce que, selon moi, c’est ce que nous souhaitons faire. Nous voulons faire avancer nos travailleurs talentueux; je pense que vous parliez de « produire » ces talents. Je pense que c’est une bonne idée, et nous devrons étudier le rôle que le gouvernement pourrait ou devrait jouer, en particulier au chapitre des politiques étrangères. Nous ne sommes pas en train de discuter… bien que cela ait une incidence sur nous; l’enjeu intraprovincial nous pose toujours un problème. Toutefois, nous discutons vraiment de politiques étrangères et de la façon dont nous pouvons y intégrer le facteur culturel d’une façon moderne. C’est vraiment ce que nous tentons d'accomplir. Je crois que nous avons cerné un aspect légèrement unique et, avec un peu de chance, nous contribuerons au débat et, en particulier, à celui portant sur les politiques au Canada.

Je vous remercie des commentaires que vous avez formulés aujourd’hui. Ils nous ont permis de nous engager dans des voies que nous n’avions pas empruntées jusqu’à maintenant. Je vous suis reconnaissante de votre présence parmi nous aujourd’hui.

Chers sénateurs, nous allons poursuivre la séance à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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