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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 7 - Témoignages du 14 avril 2016


OTTAWA, le jeudi 14 avril 2016

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 heures pour étudier les priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux.

Le sénateur Terry M. Mercer (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Honorables sénatrices et sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je me présente. Je suis le sénateur Terry Mercer, de Nouvelle- Écosse, vice-président du comité. Puis-je demander aux autres membres du comité de se présenter?

La sénatrice Tardif : Bonjour. Je suis la sénatrice Claudette Tardif, de l'Alberta.

La sénatrice Beyak : Bonjour messieurs. Je suis la sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario.

Le sénateur Plett : Don Plett, de la belle région agricole de Landmark, au Manitoba.

La sénatrice Unger : Betty Unger, d'une région agricole encore plus belle en Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec, là où l'on retrouve le meilleur sirop d'érable.

[Traduction]

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de Nouvelle-Écosse.

Le vice-président : Le sénateur Ogilvie, je le précise, vit dans la vallée de l'Annapolis, le centre agricole de l'univers.

Le sénateur Ogilvie : Je n'avais pas cru nécessaire de le préciser, puisque, pour moi, c'est évident.

Le vice-président : Pour moi aussi, mais les téléspectateurs, eux, n'en sont pas nécessairement conscients. Ce n'est pas très loin d'où je vis.

Aujourd'hui, le comité poursuit son étude des priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux. Le secteur agricole et agroalimentaire canadien tient, dans l'économie canadienne, un rôle très important. En 2013, dans notre pays un travailleur sur huit (soit plus de 2,2 millions de personnes) était employé dans ce secteur d'activité qui a contribué à hauteur de 6,7 p. 100 au produit intérieur brut. Le secteur agricole et agroalimentaire canadien compte sur 3,6 p. 100 des exportations mondiales de produits agroalimentaires et, en 2014, le Canada a été, en volume, le cinquième exportateur de produits agroalimentaires.

Le Canada s'est engagé dans plusieurs accords de libre-échange. Onze accords de libre-échange sont actuellement en vigueur, l'Accord économique et commercial global, le Partenariat transpacifique et l'Accord de libre-échange Canada- Ukraine, ont été conclus, et huit négociations d'accords de libre-échange sont en cours.

Le gouvernement fédéral a en outre entrepris des discussions préliminaires avec la Turquie, la Thaïlande, les Philippines, et les États membres du Mercosur, l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay.

Les premiers témoins que nous accueillons ce matin sont, au nom de Gay Lea Foods Co-operative Limited, M. Michael Barrett, président et chef de la direction; et au nom de l'Amalgamated Dairies Limited, M. Jim Bradley, chef de la direction et directeur général. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation à comparaître devant le comité. J'invite maintenant nos témoins à prendre la parole. Après leurs exposés, nous passerons aux questions que les sénateurs souhaiteront leur poser.

Jim Bradley, chef de la direction et directeur général, Amalgamated Dairies Limited (ADL) : Bonjour mesdames et messieurs. Je vous remercie de cette occasion de comparaître devant votre comité. L'industrie laitière occupe dans l'économie de l'Île-du-Prince-Édouard, une place très importante. Les recettes des éleveurs s'élèvent à 90 millions de dollars et le secteur emploie environ 3 100 personnes, avec, pour l'ensemble de la province, une masse salariale qui s'élève à environ 120 millions de dollars.

Amalgamated Dairies Limited, ou ADL, est une coopérative dont la création remonte à 1953. Elle regroupe l'ensemble des producteurs laitiers de l'Île-du-Prince-Édouard. Nous représentons aussi bien les propriétaires exploitants que l'ensemble de ce secteur d'activité dans la province. Cette entreprise est, pour nos membres, une source de grande fierté. Nos adhérents participent activement à la vie de l'entreprise et comptent sur elle pour défendre les intérêts à la fois des producteurs laitiers et du secteur de la transformation.

En 2016, la production laitière de la province atteindra environ 110 millions de litres, soit une augmentation de 10 p. 100 par rapport au volume enregistré en 2013. Environ 70 p. 100 de cette production sert à la fabrication de fromages, 20 p. 100 servant à produire du lait évaporé.

Nous occupons en effet une place importante dans l'industrie du lait évaporé. Nous comptons pour environ 50 p. 100 de ce marché qui, au Canada, se chiffre à 60 millions de dollars. Les trois grandes multinationales mises à part, nous sommes également un des principaux producteurs de fromage. Nous exploitons la seule fromagerie industrielle de la région de l'Atlantique. Cette usine est une des plus diversifiées du Canada. Nous y produisons, purement avec du lait canadien, presque 30 sortes de fromages. Nos employés ont touché de nombreuses récompenses nationales et internationales pour plusieurs des fromages que nous continuons à fabriquer par des techniques traditionnelles.

En janvier dernier, ADL et Gay Lea Foods ont lancé la Co-operative Dairy Alliance. C'est, dans le domaine des coopératives laitières, un modèle de viabilité et de développement. Notre alliance repose sur les principes de collaboration entre coopératives et de partage des ressources, des moyens de formation, de la recherche et développement et aussi sur l'entretien des liens communautaires.

Nous savons que les coopératives comme celles-ci contribuent au renforcement de notre économie, au développement des diverses régions et à l'emploi en zone rurale. Étant donné la taille relativement réduite de notre population, depuis toujours, ADL compte beaucoup sur nos exportations hors de l'Île-du-Prince-Édouard. La Co- operative Dairy Alliance est pour nous une évolution naturelle qui va nous permettre de développer nos exportations à une époque où la concurrence sur les marchés ne cesse de s'accroître.

Les accords commerciaux tels que le Partenariat transpacifique et l'Accord économique et commercial global avec l'UE vont affecter les marchés traditionnels de nos coopératives. Notre secteur d'activité s'inquiète de l'actuelle incertitude quant à la manière dont vont être administrés les contingents tarifaires applicables aux importations. Quand sera-t-on fixé sur les règles touchant ces contingents tarifaires? Va-t-on mettre en place des programmes et des mesures de soutien permettant aux entreprises telles qu'ADL de s'initier aux nouvelles règles en matière d'exportations et d'importations? Et puis, en dernier lieu, va-t-on reconnaître, lors de l'élaboration des règles régissant les contingents tarifaires, l'importance du rôle des coopératives laitières en raison du soutien qu'elles assurent à leurs adhérents?

Nous sommes, en tant que coopératives, naturellement favorables à la gestion de l'offre. Mais, en tant qu'acteurs du secteur de la transformation, nous reconnaissons que ce système n'a pas permis l'instauration d'un climat favorable à l'investissement. Or, pour rattraper la concurrence, notre industrie va avoir besoin de gros investissements, afin de se renforcer sur le plan technologique et augmenter ses capacités de production.

En cette période de transition vers un régime plus libéral des échanges et une plus grande importance attachée aux exportations, notre secteur d'activité a besoin de programmes d'investissement adaptés et de mesures de modernisation. Il nous faudra beaucoup d'efforts et beaucoup de coopération pour assurer la viabilité du système de gestion de l'offre. Ça prend cela pour sauvegarder le revenu des agriculteurs, moderniser les technologies de la transformation alimentaire et doter les agriculteurs des capacités industrielles dont ils ont besoin.

Je vous remercie de m'avoir donné de développer ces idées devant vous. C'est très volontiers que je répondrai aux questions qu'on voudra me poser.

Michael Barrett, président et chef de la direction, Gay Lea Foods Co-operative Limited : Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de prendre la parole devant vous aujourd'hui. Je constate avec plaisir que même les coopératives de moindre envergure peuvent venir devant votre comité pour vous exposer leur situation.

Gay Lea Foods Co-operative Limited est possédée et exploitée à 100 p. 100 par des Canadiens. C'est la coopérative laitière la plus importante de l'Ontario. Ses propriétaires sont les exploitants de plus de 1 240 fermes laitières qui, ensemble, produisent le tiers du lait de vache de la province. Avec une main-d'œuvre douée et stable de plus de 900 personnes travaillant dans huit établissements installés dans diverses régions de l'Ontario, nous produisons un large éventail de produits destinés aux établissements de commerce de détail et aux services alimentaires. Nous produisons également des ingrédients laitiers qui apportent une valeur ajoutée tant à l'économie de l'Ontario qu'à l'économie nationale.

Gay Lea Foods est aussi la première coopérative canadienne à réunir à la fois des membres autorisés à produire du lait de vache et du lait de chèvre. En ce moment, nous gérons 40 p. 100 environ du lait de chèvre produit en Ontario, dans le cadre de projets de courtage aussi bien que de transformation.

Notre objectif est d'augmenter nos activités de transformation du lait de vache et du lait de chèvre provenant des fermes laitières de l'Ontario, en assurant la croissance d'une entreprise laitière novatrice et axée sur le marché. Les accords commerciaux tels que l'Accord économique et commercial global et le Partenariat transpacifique, de même que la récente décision prise par les ministres des États membres de l'Organisation mondiale du commerce sur l'élimination des subventions à l'exportation des produits laitiers d'ici 2020, viennent exercer des pressions supplémentaires sur un secteur qui essaie en même temps de dresser un plan de modernisation susceptible d'apporter aux agriculteurs un juste revenu, en même temps que les possibilités pour les transformateurs de produits laitiers de soutenir la concurrence sur le marché.

Le matériel de séchage présentement utilisé par l'industrie laitière canadienne vieillit rapidement, avec une fonctionnalité et une capacité d'adaptation limitées. Mais, il y a en même temps de bonnes nouvelles pour l'industrie laitière. En effet, la demande de beurre est insatiable et ne cesse d'augmenter, mais cela entraîne certaines conséquences pour l'industrie. Le marché canadien demande plus de matière grasse de beurre, mais la capacité insuffisante de traiter les matières sèches de lait écrémé qui proviennent de sa fabrication crée une dynamique paralysante qui limite le marché des ingrédients produits ici et force les transformateurs à se tourner de plus en plus vers les importations pour desservir le marché canadien.

De nouveaux investissements dans notre secteur d'activité entraîneraient la création de nouveaux emplois hautement qualifiés au niveau de la transformation, des possibilités de croissance au niveau de la ferme, et des retombées connexes sous forme de partenariats de recherche dans les collèges et universités, de soutien au niveau de la ferme et de possibilités pour les fournisseurs de l'industrie et le commerce local.

Par contre, l'alternative est l'absence de possibilités au niveau de la ferme, des investissements insuffisants au niveau de la transformation, et des occasions de croissance et d'expansion qui vont se réaliser en dehors du Canada. Il en résultera des pressions additionnelles à la baisse au niveau de la ferme et la perte d'un avantage concurrentiel qui aurait permis de soutenir et favoriser la croissance du secteur de la transformation. Ce n'est pas un choix acceptable.

C'est pourquoi Dairy Farmers of Ontario a travaillé de concert avec les deux transformateurs de poudre de beurre afin de mettre au point une stratégie concernant les ingrédients qui rendraient concurrentiel l'élément laitier, soit les matières sèches de lait écrémé, et ce faisant, établirait sur le marché un climat susceptible de stimuler les investissements et la croissance de l'industrie.

La croissance de l'industrie laitière du Canada exige un travail continu de recherche et développement. Chez Gay Lea Foods, notre engagement est tourné vers l'innovation et la croissance du marché du lait canadien. Notre production comprend un produit primé et favori des consommateurs, le beurre Spreadables, et le premier fromage cottage lisse en Amérique du Nord. Nous avons de plus récemment mis sur le marché. Nothing But Cheese, un produit de goûter novateur fait de fromage à 100 p. 100.

Je suis fier de pouvoir annoncer que notre fromage cottage lisse et Nothing But Cheese nous ont valu cette semaine d'être proposé deux fois pour le grand prix du Conseil du commerce de détail. Notre part de marché va dépendre de l'innovation, et ces deux nouveaux produits illustrent bien cela.

En ce qui concerne notre coopérative, il est important pour nos membres que la gestion de l'offre soit préservée au cours des négociations portant sur l'AECG et le PTP. Il reste beaucoup de travail à faire avant la ratification de l'AECG.

Comme Jim l'a mentionné, on manifeste, au sein de l'industrie laitière, beaucoup d'intérêt pour la façon dont Affaires mondiales Canada entend gérer et attribuer les nouveaux contingents d'importation de fromages provenant d'Europe. Nous souhaiterions travailler avec le gouvernement afin de nous assurer que le processus et l'attribution des contingents tarifaires ne provoquent pas d'instabilité et d'imprévisibilité sur le marché, et n'entravent pas la capacité de croissance de l'industrie intérieure. Nous allons devoir affronter la concurrence des nouvelles importations de fromage provenant d'Europe.

En plus de soutenir les recommandations présentées par Jim, j'aimerais souligner le besoin pour l'industrie laitière du Canada d'un marché prévisible, en plus de la souplesse nécessaire pour innover et mettre au point de nouveaux produits destinés à des marchés variés.

Nous sommes, en tant qu'alliance de coopératives, très positifs quant à l'avenir de l'industrie laitière, mais nous sommes conscients du besoin d'évoluer et, en même temps, de soutenir et d'appliquer le système de gestion de l'offre. Comme Jim, nous reconnaissons, cependant, la nécessité de le modifier et de le renforcer afin d'assurer la viabilité de nos élevages de vaches et de chèvres laitières.

Encore une fois, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole.

Le vice-président : Merci, monsieur Barrett. Nous avons écouté deux exposés avec beaucoup d'intérêt. Nous allons maintenant donner la parole aux sénateurs. Je vous rappelle à tous que le temps nous est compté et que chacun doit pouvoir s'exprimer.

Le sénateur Plett : Je remercie nos deux témoins. Monsieur Bradley, je voudrais commencer par vous poser une question très simple. Comment avez-vous fait pour parvenir, en trois ans, à augmenter votre production de 10 p. 100? C'est en effet, une très sensible augmentation.

M. Bradley : La Commission canadienne du lait, qui administre le système de gestion de l'offre, a augmenté les quotas des producteurs laitiers. Et puis, depuis quelques années, les producteurs de la province produisaient moins qu'ils auraient pu en vertu de leurs quotas. Les programmes agricoles les ont donc encouragés à accroître leur production jusqu'à atteindre le volume attribué à la province dans le cadre de la gestion de l'offre.

Le sénateur Plett : Vous venez de nous dire ce qu'il en est dans votre région, mais cela vaudrait-il, d'après vous, pour l'ensemble du pays?

M. Bradley : Dans certaines régions, et notamment dans la région de l'Atlantique, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, la production laitière a augmenté de 6 à 8 p. 100.

Le sénateur Plett : Dans quelle mesure le PTP va-t-il affecter les futures augmentations de la production, ou y faire obstacle?

M. Bradley : Pour ce qui est du PTP, nous entendons faire en sorte que nos installations, et notre entreprise continuent à assurer la transformation et la vente du lait produit par les éleveurs locaux. Nous allons devoir, j'imagine, recourir à des quotas d'importation pour que les producteurs laitiers du Canada puissent se développer sur le marché intérieur.

Le sénateur Plett : Y voyez-vous un obstacle?

M. Bradley : Cela ne va pas être facile. Les petites coopératives, telles que les nôtres, vont devoir innover. Nous allons devoir, ensemble, nous entendre sur un plan d'affaires très dynamique.

L'alliance avec Gay Lea, annoncée au début de l'année, devrait améliorer notre accès aux marchés de régions plus peuplées de notre pays et nous rapprocher de la clientèle ainsi que des moyens de transport et d'entreposage.

Le sénateur Plett : Je vous remercie.

Monsieur Barrett, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce que vous entendez par « le matériel de séchage présentement utilisé par l'industrie laitière canadienne vieillit rapidement, avec une fonctionnalité et une capacité d'adaptation limitées ». Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendez par cela?

M. Barrett : Volontiers. Comme vous le savez sans doute, dans tout système visant à équilibrer l'offre et la demande de lait et de produits laitiers, on doit, afin d'absorber les pointes et gérer les creux, avoir des moyens de séchage. Au Canada, comme ailleurs, on a recours pour cela à des installations spécialisées.

Depuis longtemps, sur le marché canadien, la production de lait écrémé en poudre sert à cela. Or, le lait écrémé en poudre devient de plus en plus une marchandise comme les autres. Le lait écrémé en poudre reste une marchandise importante sur les marchés internationaux, mais c'est la seule denrée que nos installations de séchage nous permettent actuellement de produire.

Au Canada, nous n'avons, en effet, guère investi dans les installations de séchage. Gay Lea Foods a été la dernière grande entreprise à construire une unité de séchage, à Guelph. Or, cet établissement a presque 13 ans. Les autres unités de séchage installées au Canada ont de 30 à 40 ans et, comme vous l'imaginez aisément, la technologie a depuis lors beaucoup évolué. Nous en sommes tous encore à conduire des Pinto, alors que les autres pays sont au volant de Maserati. Nous avons pris du retard par rapport au reste du marché.

Il nous faut donc, pour réagir à ce qui se passe au Canada et dans le reste du monde, donner à nos unités de séchage les moyens de produire des isolats de protéines du lait ou des concentrés de protéines laitières, ainsi que des mélanges tels que les CPL 85 ou les CPL 70. Or, malheureusement, au Canada, les installations de séchage n'en sont actuellement pas capables. Il va donc falloir réinvestir au niveau des infrastructures et permettre à nos producteurs à la fois d'affronter la concurrence à l'intérieur même du pays, et profiter des occasions qu'ils ont de prendre pied sur le marché mondial.

Dans ce secteur, les infrastructures ont pris de l'âge et il va falloir investir massivement si l'on veut que l'industrie laitière du Canada soit en mesure de répondre aux défis et aux occasions présentés par le PTP.

Le sénateur Plett : Mais à qui incombe la responsabilité?

M. Barrett : En partie aux acteurs de la filière de la transformation puisque nos adhérents en sont les propriétaires. Mais nous souhaitons que les gouvernements provinciaux ou le fédéral s'associent à nous au niveau du financement, dans le cadre d'un partenariat permettant d'assurer, sur le plan des infrastructures, les investissements qu'il nous faut pour affronter la concurrence mondiale en fonction des occasions que nous offrira le PTP.

Le sénateur Plett : Je vous remercie. J'interviendrai à nouveau au cours de la deuxième série de questions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s'adresse à M. Barrett. Nous entendons beaucoup de choses ces derniers temps à propos du lait diafiltré qui provient des États-Unis. J'en ai même encore entendu parler hier. Quelle est votre opinion en ce qui a trait au lait diafiltré qui nous arrive des États-Unis en grande quantité? Quelles recommandations devrions-nous inclure dans notre rapport à ce sujet? Je poserai ensuite une deuxième question.

[Traduction]

M. Barrett : Vous savez bien qu'au cours de ces derniers mois, et même de ces dernières années, l'importation de lait soumis à une diafiltration a suscité une large controverse. Le moyen le plus facile de répondre aux préoccupations qu'inspire l'évolution de l'industrie laitière serait d'interdire l'importation de lait soumis à une diafiltration. Pour nous, à Gay Lea Foods, ce serait sans doute la solution la plus facile, mais nous ne sommes pas certains que cela serait conforme aux engagements commerciaux pris par le Canada. Notre partenaire commercial au sud du 49e parallèle a d'ailleurs dit qu'une telle mesure provoquerait un différend commercial.

Donc, s'il existe un moyen de résoudre la question, nous devons être absolument certains qu'il est conforme aux règles du commerce international. Nous avons pris part la semaine dernière, en Californie, à une conférence où les intervenants ont clairement fait savoir qu'une telle mesure ne serait, selon eux, pas conforme aux règles du commerce international. C'est aussi notre avis. Pour régler la question, il nous faut donc chercher d'autres solutions qui ne vont pas nécessairement être celles que nous souhaiterions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Au Québec, l'importation massive de lait diafiltré fait l'affaire de la compagnie Saputo. Nous verrons.

J'aurais une deuxième question, pour M. Bradley ou M. Barrett. Vous avez parlé de possibilités d'exportations si des investissements sont faits dans vos industries. Pourriez-vous chiffrer ces exportations si les investissements étaient faits? Quels secteurs faudrait-il cibler pour qu'il vaille la peine d'investir afin d'augmenter vos exportations?

[Traduction]

M. Bradley : Nous entretenons depuis longtemps des liens avec une coopérative laitière danoise qui, au monde, se situe au septième rang parmi les entreprises de transformation laitière.

Certaines des dispositions de l'accord commercial devraient permettre aux entreprises canadiennes de s'entendre avec des fromagers européens. Nous ferions, en ce qui nous concerne, l'importation de produits que les Européens souhaitent exporter vers le Canada. Ils ne connaissent pas nécessairement le marché canadien et nous les aiderions à prendre pied ici. Cela aiderait le Canada à respecter les engagements qu'il a pris quant au volume des importations à admettre. En échange, nous souhaiterions que les producteurs européens avec qui nous sommes en relation, nous aident à exporter des produits laitiers canadiens vers les marchés européens, qu'ils connaissent mieux que nous.

J'ai évoqué dans mon exposé certains programmes de soutien qui sont, estimons-nous d'une importance critique à un moment où le secteur se prépare à l'entrée en vigueur de ces divers accords commerciaux. Il s'agit de mesures destinées à aider les petites et moyennes fromageries telles que la nôtre à mieux comprendre le marché de l'exportation et des importations. Outre les conséquences que la gestion de l'offre a eues sur le plan de l'investissement dans les unités de fabrication, ce système a fait que notre secteur d'activité a eu tendance à faire porter ses efforts sur le marché intérieur. Nous allons donc devoir nous initier au commerce international.

Le vice-président : Lorsque vous avez parlé, M. Barrett, des enjeux du commerce international, vous avez évoqué une question qui nous hérisse puisque nous sommes également le comité des forêts. C'est ainsi que, lorsqu'on nous parle de défis émanant des Américains, nous pensons automatiquement au dossier du bois d'œuvre. La lutte que nous avons menée en ce domaine exige des gros moyens financiers, mais c'est une lutte qui se justifie et c'est de l'argent bien dépensé.

La sénatrice Unger : Merci, messieurs. J'ai appris beaucoup en vous écoutant.

Vous êtes une coopérative et non un organisme de gestion de l'offre. J'ai du mal à comprendre la notion même de gestion de l'offre. Je ne suis pas d'accord avec un tel système. Pourquoi, donc, seriez-vous considérée comme une coopérative plutôt que comme un organisme de gestion de l'offre?

M. Bradley : Dans le cadre du système de gestion de l'offre, les propriétaires membres de notre coopérative se voient accorder des quotas de production par la Commission canadienne du lait. Remontons à 1953. Les exploitants appartenant à notre coopérative avaient constaté qu'aucune entreprise importante de transformation ne souhaitait investir dans notre région, dans un secteur de moindre envergure regroupant un petit nombre de producteurs installés loin du marché. Nos adhérents ont donc jugé nécessaire de mettre en commun leurs capitaux et leurs ressources pour créer, dans notre secteur d'activité, une entreprise de transformation.

Le volume de lait et de matières premières à transformer est fixé dans le cadre du système de gestion de l'offre. Les deux sont, dirons-nous, enchevêtrés. La coopérative est là pour soutenir la production autorisée par le système de gestion de l'offre. En même temps, la coopérative met à la disposition de ses membres des moyens de transformation capables d'accueillir le volume de production autorisé par la gestion de l'offre.

M. Barrett : Permettez-moi d'ajouter quelque chose à ce que Jim vient de dire. Comme le disait le sénateur Plett, les deux sont enchevêtrés et l'un dépend de l'autre. La réponse à la question « Pourquoi une coopérative? », est que, même si la nôtre n'est pas tout à fait aussi ancienne que celle de Jim — nous ne remontons qu'à 1958 — une des principales raisons qui expliquent la création d'une coopérative est que cela permet aux producteurs, non seulement de contrôler la production issue de leur propre exploitation, mais également d'intervenir à l'étape de la transformation. Ils peuvent ainsi participer aux bénéfices de la filière transformation, et influencer le marché en assurant son développement et sa stabilité.

Dans notre coopérative — et je sais qu'il en va de même de Jim — 40 p. 100 des bénéfices vont à nos adhérents. Or, il s'agit d'argent qui est ensuite investi et dépensé dans nos communautés rurales. Étant donné la stabilité de l'activité coopérative, au lieu de quitter le pays, les bénéfices restent en Ontario ou à l'Île-du-Prince-Édouard, enfin au Canada.

La sénatrice Unger : Je vous remercie.

Vous avez, monsieur Barrett, évoqué la question des installations de séchage, nous disant que l'augmentation des capacités en ce domaine exigera de l'argent. Mais, est-ce au gouvernement de procéder aux investissements nécessaires. Vous nous avez dit que l'argent proviendrait des entreprises de transformation et des divers paliers de gouvernement.

Mais, selon vous, est-ce bien au gouvernement qu'il appartient d'améliorer votre posture à l'exportation?

M. Barrett : Il est clair qu'en ce qui concerne la modernisation de notre secteur d'activité, il existe, entre nous et le gouvernement, un partenariat. Le secteur est appelé à se transformer à brève échéance. Compte tenu des accords récemment conclus — l'AECG, le PTP et la décision prise en 2020 par l'OMC — beaucoup de choses vont changer.

Mais, il ne s'agit pas uniquement d'investissements, mais aussi de la manière dont Affaires mondiales Canada pourrait nous aider à exporter nos produits laitiers en veillant à l'égalité du jeu de la concurrence, et en veillant à la cohérence des normes d'identification des deux côtés de la frontière.

Il ne s'agit donc pas uniquement d'argent, mais il est clair, d'après moi, qu'il doit y avoir, entre notre secteur d'activité et le gouvernement, un partenariat qui nous aide à faire la transition dans un secteur en pleine transformation. Nous y voyons, effectivement, un partenariat.

Mais nous ne sommes pas venus ici pour solliciter une contribution financière. Nos coopératives sont prospères et nos adhérents sont prêts à consentir les investissements nécessaires pour assurer la viabilité à long terme du secteur laitier. Cela dit, il conviendrait que notre secteur d'activité et le gouvernement harmonisent leurs efforts. Les investissements à consentir ne sont pas uniquement financiers.

M. Bradley : Je voudrais ajouter à ce que Michael vient de dire que le gouvernement pourrait en outre instaurer un climat de stabilité qui favorise les investissements, afin que les petites et moyennes coopératives telles que les nôtres, qui sont disposées à investir dans leurs infrastructures, puissent savoir clairement quelles sont, dans le cadre des accords de commerce, les règles applicables aux importations et aux exportations, ainsi que les règles régissant le volume que les exploitants sont autorisés à produire.

Avec d'autres mesures actuellement en vigueur, cela formerait un ensemble d'initiatives de nature à encourager la filière de la transformation à effectuer les investissements nécessaires.

Il ne s'agit donc pas essentiellement d'ouvrir aux entreprises de transformation le robinet des crédits gouvernementaux, mais d'instaurer un climat qui encourage les parties prenantes à investir.

La sénatrice Tardif : Je vous remercie de votre présence ici. Monsieur Barrett, dans votre exposé vous avez évoqué la demande de matière grasse du beurre, nous disant que, sur le marché canadien, la demande augmente, mais que nous manquons de moyens pour assurer la transformation des solides de lait écrémé qui en découlent. Où se situe le problème?

M. Barrett : Au Canada, la demande de matière grasse du beurre a augmenté. Nous sommes le premier producteur de beurre de l'Ontario, et l'un des plus gros producteurs de beurre au Canada et nous avons constaté une forte augmentation de la demande, le consommateur ayant tendance à revenir à des produits naturels. La composition du beurre est simple : de la crème et du sel — ou sans sel, selon votre goût.

Le problème est que la production de matière grasse vendue au consommateur donne en même temps lieu à la production de lait écrémé en poudre, qu'il faut bien trouver moyen d'utiliser. Cela nous ramène à l'état du marché : si vous ne produisez que du lait écrémé en poudre, vous n'arriverez pas à le vendre, car le marché canadien ne suffit pas à en absorber la production.

C'est pourquoi nous cherchons dans les diverses régions du pays, à augmenter nos capacités de séchage des autres matières provenant de la production laitière et de leur trouver un usage.

Il n'y a actuellement pas d'importation de beurre et l'offre ne suffit pas à satisfaire la demande. Nous travaillons en étroite collaboration avec les organismes gouvernementaux concernés, dans le cadre d'un fructueux partenariat, afin d'obtenir l'autorisation de procéder à des importations, mais nous avons du mal, par exemple, à obtenir de la CCL qu'elle reconnaisse que l'on manque au Canada de matière grasse de beurre.

La sénatrice Tardif : Qu'est-ce que la CCL?

M. Barrett : La Commission canadienne du lait.

Je ne peux pas actuellement répondre à la demande. Je suis obligé de dire à mes clients « Désolé, mais je n'ai pas de beurre à vous vendre ». Nous ralentissons la progression de ce volet de l'industrie laitière, alors que le marché augmente de 2 ou 3 p. 100 par an.

Il faut à la fois le yin et le yang; nous avons besoin de matière grasse du beurre, mais il nous faut en même temps, si nous voulons répondre aux besoins, développer de nouveaux marchés, de nouvelles technologies et de nouveaux produits.

Après avoir extrait la matière grasse du lait, il faut décider de ce que l'on va en faire de ce qui reste. C'est tout l'objet de la gestion de l'offre, mais plus vous extrayez de matière grasse, plus il vous reste du lait écrémé pour lequel il faut trouver un usage. Il nous faut donc créer de nouveaux produits qui permettent de l'utiliser. Or, pour le séchage, les Pinto ne suffisent plus, il nous faut pour passer à la vitesse supérieure, une Maserati.

La sénatrice Tardif : Vous faut-il de nouvelles usines de transformation, ou s'agit-il, plutôt, d'élaborer de nouveaux produits vous permettant d'utiliser le lait écrémé.

M. Barrett : Nous avons déjà les produits qu'il nous faut pour répondre aux besoins, qu'il s'agisse de produits nutraceutiques, d'isolats de protéines du lait ou de concentrés de protéines laitières. Le marché mondial pour ces produits existe déjà. Ce dont nous avons besoin, c'est de nouvelles usines de transformation car, actuellement, nos installations ne permettent le séchage que d'un seul produit, le lait écrémé en poudre.

La sénatrice Tardif : Combien d'usines possédez-vous?

M. Barrett : Nous en avons huit.

M. Bradley : Et nous, quatre.

M. Barrett : Nous avons deux unités de séchage : l'une qui a plus de 50 ans, et l'autre qui remonte à 13 ans, mais les équipements ont été conçus en fonction d'un marché qui n'est plus. En effet, dans toutes les régions du monde, le marché est en pleine transformation.

La sénatrice Tardif : Ne serait-il pas possible de transformer ces vieilles installations pour les convertir à d'autres usages, ou faut-il en construire de nouvelles?

M. Barrett : Il faudrait construire de nouvelles usines. La technique a évolué, et les installations de séchage devraient être construites en périphérie si l'on veut qu'elles aient les capacités qui permettent d'innover et de répondre à la demande, tant au Canada qu'à l'étranger.

La sénatrice Tardif : Combien faudrait-il, à peu près, pour construire une telle usine?

M. Barrett : Une usine entièrement nouvelle coûterait, selon ce qu'on entend produire, de 160 à 210 millions de dollars.

La sénatrice Tardif : Un investissement considérable, donc.

M. Barrett : Oui.

Comme nous le disions, nous sommes les derniers à en avoir construit une. C'était en 2003, à l'époque, elle a coûté 40 millions de dollars. C'était, pour notre coopérative, un investissement considérable, mais cette unité de production dessert encore le marché canadien. J'espère que la monnaie canadienne va continuer à remonter, car cela aussi nous aide au niveau des coûts de construction.

La sénatrice Tardif : Bien entendu.

Dans vos exposés, vous avez insisté sur le mot innovation, mais vous avez également, monsieur Barrett, évoqué le besoin d'une plus grande flexibilité. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce point?

M. Barrett : Notre unité de séchage, située à Guelph, ne sert qu'à produire une seule chose. Or, il nous faudrait pouvoir non seulement sécher divers produits, mais également effectuer des mélanges. Ainsi, pour répondre aux besoins du marché nutraceutique, il nous faudrait pouvoir ajouter à la poudre de la vitamine D, par exemple. Vous ne pouvez donc pas vous contenter de produire du lait en poudre en sacs de 100 ou de 500 kilogrammes. Il vous faut pouvoir effectuer des mélanges, et fortifier la poudre selon les exigences de la clientèle. Or, nous n'en avons pas actuellement les moyens.

La sénatrice Tardif : En raison de l'état de vos installations actuelles?

M. Barrett : Effectivement.

Le sénateur Oh : Je viens de Mississauga, et après 40 ans, j'aime toujours votre bûche à la crème glacée.

Le Canada a récemment conclu un accord de libre-échange, l'AECG, basé sur le système européen d'indications géographiques protégées. Or, au Canada, c'est plutôt la marque de commerce que l'on retient. Malgré la baisse des tarifs douaniers, pensez-vous que les produits européens qui bénéficient de cette protection de l'indication géographique, les fromages, par exemple, pourraient constituer un obstacle au niveau des échanges entre le Canada et certains membres de l'Union européenne?

M. Bradley : Affaires mondiales Canada nous a fait savoir que les fromages de style européen fabriqués au Canada bénéficieraient de certaines concessions en matière d'indicateurs géographiques. Nous sommes actuellement un des plus grands producteurs de féta au Canada et ce fromage était un des indicateurs géographiques que les Européens souhaitaient protéger.

D'après les indications que nous avons reçues, le Canada serait autorisé à produire sur place les mêmes quantités que nous fabriquons actuellement, une fois que l'accord commercial entrera en vigueur. Cela nous a rassurés.

Je crois que, de son côté, le Canada a cherché à faire enregistrer ou reconnaître certains noms canadiens en Europe afin d'en protéger l'origine géographique. Je ne sais pas dans quelle mesure le Canada est parvenu à obtenir des protections dans le secteur laitier.

Le sénateur Oh : Alors, est-ce que le gouvernement fédéral vous donne un coup de main dans ce domaine?

M. Bradley : Nous étions inquiets au début des discussions et lorsque nous avons pris connaissance de l'approche des Européens à propos de l'utilisation du nom de la féta. Nous étions tout à fait ravis que nos négociateurs commerciaux aient été en mesure d'obtenir des concessions afin de nous permettre de continuer à utiliser ce nom au Canada, et tout au moins de conserver les niveaux de production historiques. Cela nous a beaucoup rassurés. Nous sommes particulièrement satisfaits de la réaction du gouvernement dans le cas de ce type de fromage.

Le sénateur Oh : Récemment, nous nous sommes rendus en Asie, y compris en Chine. L'Australie, la Nouvelle- Zélande et d'autres petits pays exportent vers la Chine beaucoup de produits laitiers, notamment des poudres de lait et autres. Est-ce que vous vous intéressez aux marchés émergents de l'Asie-Pacifique?

M. Bradley : Nous essayons de saisir les possibilités qui se présentent. Comme je l'ai dit un peu plus tôt, nous apprenons à fonctionner dans un environnement commercial international et nous sollicitons l'aide nécessaire pour y parvenir. C'est un de nos principaux objectifs.

Étant donné que nous sommes une île, dans la région de l'Atlantique, nous sommes probablement une des rares régions du Canada à pouvoir garantir qu'aucun lait ou produit du lait américain n'entre dans la fabrication des produits laitiers fabriqués à l'Île-du-Prince-Édouard. Nous espérons que ce type de garantie nous donnera accès à certains marchés, en Europe, en Asie ou dans d'autres pays où la pureté et la capacité à garantir la qualité des ingrédients est importante pour le marché. Compte tenu de la taille de notre industrie, on comprend qu'un marché d'exportation ne doit pas nécessairement être énorme pour constituer un débouché important pour nous.

Nous ne considérons pas nécessairement l'AECG et le PTP comme de mauvaises choses; au contraire, nous nous sommes demandé quelles étaient les possibilités que pouvaient offrir de tels accords, en particulier pour notre province où le marché est essentiellement fermé ou plus contrôlé. Tous les producteurs de la province sont membres de notre coopérative. Par conséquent, ils comprennent qu'il serait utile pour eux d'associer leur ferme et leur méthode de production au produit fini.

Nous devons savoir comment pénétrer le marché mondial pour vendre notre production et tirer parti de cet aspect de notre produit.

M. Barrett : C'est la même chose pour nous à Gay Lea Foods. Je suis allé en Chine, j'ai rencontré des partenaires et participé à des discussions. Nous travaillons avec des partenaires canadiens afin de nous intéresser à ce marché, car nous sommes convaincus que le Canada et Gay Lea Foods en particulier, peuvent également avoir des opportunités dans ces marchés émergents. Nous avons eu des entretiens avec Rabobank et d'autres conversations portant sur les divers débouchés que nous pourrions avoir sur les marchés asiatiques également. Nous sommes bien placés et nous devons faire face à une forte concurrence mondiale.

Le sénateur Oh : Nous sommes prêts à vous aider n'importe quand.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup, messieurs. Quel que soit le nombre de témoins que nous entendons, j'apprends toujours quelque chose de nouveau. La sénatrice Tardif et le président Mercer ont dit que beaucoup de Canadiens suivent les travaux de notre comité. Je pense que c'est parce que l'agriculture et les forêts sont des choses bien tangibles et indispensables à notre vie à tous.

Aujourd'hui, j'ai appris deux choses sur lesquelles j'aimerais vous demander plus d'information. Il s'agit de la grande production de lait évaporé dans votre région et du fromage cottage lisse. Les consommateurs en réclament depuis des années. Ils préfèrent la texture du yogourt, mais ils veulent le goût du fromage cottage.

Je voulais vous dire aussi que j'aime bien votre petite vache avec le drapeau canadien. J'espère que vous la mettez sur tous vos produits.

M. Bradley : Pour ce qui est du lait évaporé, comme l'a dit Michael un peu plus tôt ce matin, certaines provinces plus grandes ont la capacité de produire de la poudre de lait écrémé, ou du lait en poudre, une fois que l'on a séparé la crème du lait.

Les coûts de l'énergie nous empêchant d'utiliser cette technologie dans notre province, nous avons investi dans la technologie qui nous permet de produire du lait évaporé. Nous avons signé des ententes de conditionnement avec plusieurs grands détaillants du pays.

Nous avons proposé à des usines désuètes et qui s'apprêtaient à fermer — ou envisageaient de le faire — de transférer leur production dans notre province.

Au fil des années, nous sommes devenus un important producteur de lait évaporé en boîte pour la vente au détail. Nous sommes propriétaires de l'une des deux seules installations en activité au Canada. L'autre produit principal dans ce secteur est le lait condensé sucré, que vous utilisez fort probablement lorsque vous préparez vos gâteries de Noël. Nous sommes également un des trois fabricants de ce type de produit au Canada.

En tant que petit producteur et compte tenu de notre situation géographique, nous avons dû nous concentrer sur ce que nous pouvons faire le mieux. Nous ne voulons pas entrer en concurrence avec certains gros producteurs de lait en poudre et, comme l'a dit Michael, l'investissement nécessaire pour la création d'une usine de fabrication de lait en poudre dépasse très certainement les moyens de notre groupe d'agriculteurs.

M. Barrett : Comme l'a dit Jim, nous innovons dans les secteurs où nous sommes les meilleurs, notamment dans le domaine du fromage cottage. J'aime à croire que je suis personnellement à l'origine de l'invention du fromage cottage lisse. En effet, 50 p. 100 de la population ne mange pas de fromage cottage à cause de sa texture en bouche. J'en faisais partie et un jour j'ai dit que si l'on parvenait à enlever les grumeaux, j'en mangerais. Cela a été fait et maintenant, j'en mange. Goûtez le fromage lisse et préparez-vous à une nouvelle expérience pour vos papilles.

La sénatrice Tardif : La sénatrice Beyak a fait remarquer la nouveauté de ce type de conditionnement. C'est la première fois que j'en vois. Ces produits sont-ils distribués, par exemple, en Alberta? Est-ce qu'il est possible d'en acheter en Alberta?

M. Barrett : Nous venons tout juste de commencer; ce produit vient d'être lancé. Il est vendu essentiellement chez les dépanneurs, dans les relais express, les stations-service, et cetera. C'est vraiment une sorte d'encas. Nous commençons juste à lancer ce produit actuellement sur le marché ontarien, mais il sera aussi mis en vente en Alberta.

Notez également que ce produit délicieux pour les humains sera aussi très apprécié de votre chien. Je vous le dis comme ça pour votre information.

Le sénateur Plett : J'ai vraiment aimé ce produit jusqu'au moment où on me propose de le partager avec mon chien.

J'allais d'abord vous offrir de faire un peu de publicité pour votre produit, mais vous l'avez faite vous-même. Je pense que je suis le seul à l'avoir goûté et je peux vous dire que j'ai vraiment beaucoup aimé cet encas. Je demanderai plus tard au Dr Ogilvie si ce produit est bon pour la santé; ici, c'est lui l'expert en matière de santé et je vais lui demander si c'est bon pour moi de continuer à consommer ce produit. Je peux vous dire en tout cas que j'ai beaucoup aimé.

Bien que nous soyons du même parti, il nous arrive souvent d'être en désaccord. Je suis un ardent défenseur de la gestion de l'offre, bien que peut-être pas aussi acharné que certains peuvent l'être. Je pense que ce système a été bon pour notre pays et qu'il continuera de l'être.

D'un autre côté, je suis tout à fait en faveur de la libre-entreprise et, quand il est question de construire des usines de transformation et ce genre de choses, je pense que les investisseurs privés doivent s'impliquer. Les autres secteurs agricoles — ceux du porc, du bœuf, et cetera — font appel aux investissements privés, avec certaines ressources gouvernementales, pour construire ces usines de transformation. Je crois qu'il faut, à un certain moment, se prendre en main.

Le gouvernement a changé. Pendant neuf ans, nous avons eu un gouvernement favorable à l'industrie laitière. Les représentants de l'industrie laitière sont venus assez régulièrement à Ottawa et ceux du Manitoba, que j'ai eu l'occasion de rencontrer — ils nous présentaient toujours une liste de demandes, mais il n'y a rien de mal à cela — se disaient pour la plupart contents de garder le statu quo.

Aujourd'hui, nous avons un nouveau gouvernement qui va s'intéresser à ce dossier. Êtes-vous essentiellement en mesure de dire que le système existant a été jusqu'à présent satisfaisant pour votre industrie? Ou bien souhaitez-vous que le nouveau gouvernement prenne des mesures particulières dans certains dossiers moins bien servis par l'ancien gouvernement?

M. Barrett : Permettez-moi de situer le contexte en vous disant que le weekend dernier, j'ai été invité à un congrès restreint réunissant 25 coopératives d'Amérique du Nord. Gay Lea a eu la chance d'être invitée à cause de l'esprit d'innovation et de leadership dont elle fait preuve. J'étais assis en face de producteurs laitiers et de membres de grandes coopératives — qui représentent des milliards de dollars. Ils m'ont dit : « Mike, si j'étais au Canada — si j'étais à votre place — je défendrais la gestion de l'offre jusqu'à mon dernier souffle ».

On a tous entendu parler des difficultés que connaissent le secteur laitier et le secteur de l'agriculture dans le monde. Les producteurs laitiers et les agriculteurs ne gagnent pas leur vie, ils cessent leurs activités et le système de gestion de l'offre est menacé. Évidemment, le système de gestion de l'offre est une pierre angulaire, mais nous reconnaissons tous qu'il doit être modifié, comme l'a dit Jim, pour plusieurs raisons.

De nos jours, nous assistons à une pénurie de matières grasses butyriques, constat qui prouve la nécessité d'une certaine réforme dans le système de gestion de l'offre afin que nous puissions atteindre un équilibre. Par conséquent, la gestion de l'offre est un pilier, mais nous reconnaissons qu'il faut peut-être modifier certains éléments afin de mieux servir non seulement les agriculteurs, mais également les consommateurs. Nous devons moderniser l'industrie laitière.

Nous ne demandons pas l'aumône, mais une main tendue, parce qu'il est complexe de modifier une structure en place depuis 1965. Je ne parlerai pas pour Jim, mais je suis certain que nous partageons le même point de vue et que nous continuerons à collaborer avec le gouvernement, quel qu'il soit, pour faire en sorte que l'agriculture soit un secteur durable, tout en sachant, bien évidemment, que nous nous sentons plus proches du secteur laitier.

M. Bradley : Comme l'a dit Michael, il est clair que nous sommes en faveur de la gestion de l'offre. J'ai souvent entendu le point de vue que vous avez rapporté, à savoir que le statu quo est idéal et qu'on aimerait le conserver.

Le problème avec le statu quo est qu'il entraîne une certaine complaisance. Tout autour de nous, le monde change et on n'a pas toujours le luxe de se complaire dans notre confort ou de garder le statu quo.

Le climat d'investissement créé par le statu quo n'a pas été sain pour l'industrie, en particulier pour le secteur de la transformation. L'industrie découvre soudainement que, faute d'avoir effectué les investissements nécessaires, on ne peut plus attendre et il est absolument indispensable de faire certains de ces investissements si l'on veut que notre industrie demeure florissante.

Dans notre région en particulier, si nous attendions que les grands acteurs du marché investissent dans la capacité de transformation du Canada atlantique, cela ne se produirait vraisemblablement jamais, parce que nous n'avons pas assez de masse critique ou parce que notre offre n'est pas suffisante pour justifier un investissement de 200 millions de dollars dans des usines. Notre alliance coopérative nous donne une masse critique suffisante pour envisager d'investir dans une capacité de transformation adéquate, dans la modernisation de cette capacité et dans la création d'un environnement où l'industrie laitière pourra continuer à survivre au sein de la région, moyennant quelques ajustements au niveau de l'offre afin de reconnaître que le marché a changé, car la demande des consommateurs est différente, que ce soit pour le produit que vous avez devant vous aujourd'hui ou parce que la demande de matières grasses butyriques a augmenté. Actuellement, nous nous penchons sur ces changements. Les consommateurs qui avaient l'habitude d'acheter du lait évaporé s'intéressent désormais à différentes utilisations de ce lait. Nous serons peut-être amenés à en modifier les ingrédients.

Nous devons être prêts à investir, mais nous avons aussi besoin d'une plateforme pour étayer cet investissement et cette plateforme est une politique stable en matière de commerce et de production.

Le sénateur Plett : Il suffirait peut-être de changer en passant d'une Pinto à une Buick plutôt que de choisir directement une Maserati.

Le vice-président : Dès que la réunion sera terminée, je vais demander une transcription imprimée des délibérations parce que je veux absolument souligner cette déclaration du sénateur Plett en faveur de la gestion de l'offre. Peut-être même que je vais l'accrocher au mur.

Le sénateur Plett : Je me ferai un plaisir de vous la signer, monsieur le sénateur.

Le vice-président : J'en serais ravi et tous les agriculteurs aussi.

La sénatrice Unger : Monsieur Bradley, vous avez dit que tous les producteurs laitiers sont membres d'ADL. Est-ce que cela veut dire que vous obtenez l'appui de 100 p. 100 des producteurs ou est-ce que la participation est obligatoire?

M. Bradley : Non, la participation n'est pas obligatoire, mais entièrement libre. Il y a 15 ans, notre coopérative regroupait probablement 75 p. 100 des producteurs de la province. Peu à peu, à mesure que les membres ont constaté les avantages qu'offrait la coopérative, le nombre d'adhésions a augmenté et nous avons atteint 100 p. 100 en mars 2015. Cependant, personne n'est obligé d'adhérer. L'adhésion est un choix entièrement libre.

La sénatrice Unger : Vous avez dit que vous exploitez la seule usine de transformation du fromage dans la région. Est-ce dû au fait que l'approvisionnement provient uniquement de vos membres?

M. Bradley : Non. Nous avons des ententes, dans la province, avec divers petits transformateurs laitiers. Nous leur fournissons les volumes de lait qu'ils sont capables de transformer. Une entente provinciale veille à ce que ces transformateurs soient approvisionnés.

La sénatrice Unger : Monsieur Barrett, quels sont les produits que vous exportez actuellement?

M. Barrett : Nous exportons de la poudre de lait en vertu du système de gestion de l'offre, par l'entremise de la CCL. Nous exportons aussi des fromages. Nous avons un marché pour l'exportation des fromages qui bénéficie de subventions jusqu'en 2020. La situation va donc changer considérablement avec l'élimination de ces tarifs douaniers. Nous exportons aussi du lait de chèvre, car ce dernier n'est pas réglementé et peut donc passer la frontière sans être soumis à des tarifs douaniers. Nous sommes aussi le producteur canadien par excellence en matière de crème fouettée en aérosol et nous exportons également des produits non laitiers fouettés aux États-Unis, étant donné que nous sommes le seul fabricant de crème fouettée au Canada.

Ce sont là nos principaux produits, mais nous cherchons à élargir la gamme de nos produits à l'aide des ingrédients dont nous avons parlé un peu plus tôt.

La sénatrice Unger : Qu'est-ce qui fait du lait de chèvre un produit si spécial?

M. Barrett : Le lait de chèvre n'est pas soumis à un système de gestion de l'offre et n'est donc pas réglementé. Nous exportons aux États-Unis de grandes quantités de lait de chèvre produit en Ontario, étant donné que les tarifs douaniers ne s'appliquent pas.

La sénatrice Unger : Quelle est la valeur approximative de vos exportations?

M. Barrett : Les exportations de la CCL tournent autour de 700 millions de dollars. Je dirais que les nôtres sont de l'ordre de 100 ou 105 millions de dollars, soit à peu près un septième.

La sénatrice Unger : Merci à tous les deux. C'est très intéressant.

Le vice-président : Monsieur Barrett et monsieur Bradley, merci beaucoup pour votre présentation. Comme vous avez pu le remarquer, la discussion a été très animée autour de la table, ce qui dénote un intérêt certain à l'égard de votre industrie, mais également pour l'exposé que vous avez présenté. Le comité vous remercie. Comme toujours, nous apprécions votre disponibilité.

Je vais prendre le temps de faire une publicité payée. Ceux d'entre vous qui n'ont rien d'autre à faire ce matin peuvent se rendre de l'autre côté du couloir à la séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Il entendra ce matin M. Frédéric Seppey, négociateur en chef pour l'agriculture, Direction des accords commerciaux et des négociations d'Agriculture et Agroalimentaire Canada. Son intervention devrait vous intéresser. L'étude du comité porte sur les questions relatives aux barrières au commerce intérieur.

Notre comité va maintenant entendre notre prochain témoin, Mark Lumley, président de l'Ontario Sugar Beet Growers' Association. Merci d'avoir accepté l'invitation à comparaître. Nous allons procéder de la même manière qu'avec le groupe précédent et nous allons garder les questions pour la fin.

Monsieur Lumley, nous allons écouter votre déclaration préliminaire. Merci d'être venu.

Mark Lumley, président, Ontario Sugar Beet Growers' Association : Je vous remercie tous de m'avoir invité. J'apprécie cette occasion de parler de notre association.

Je suis président de l'Ontario Sugar Beet Growers' Association, mais je suis un musicien de formation. J'ai été musicien professionnel pendant 10 ans avant que mes racines familiales me ramènent à la ferme. Je suis maintenant agriculteur à temps plein. J'exploite une ferme de 5 000 acres à Sarnia, en Ontario, où je cultive le maïs, le soya, le blé et la betterave à sucre en alternances à peu près égales. Je détiens un diplôme en musique de l'Université Western Ontario et un MBA de l'Université de Guelph.

J'ai une histoire intéressante à vous raconter aujourd'hui. Certains d'entre vous la connaissent peut-être intuitivement, même s'il leur manque quelques bribes. On peut dire que c'est une histoire qui commence bien, qui continue un peu moins bien, qui laisse malgré tout l'espoir d'une fin heureuse et qui s'achèvera, je l'espère, de façon extraordinaire.

Après avoir consulté votre mandat et les quatre points sur lesquels vous souhaitez que je m'exprime, je crois que l'histoire que je vais vous raconter respecte tous ces points et qu'elle représente une occasion extraordinaire pour le Canada et pour le sucre dans notre pays.

Le début de mon histoire commence bien. Au Canada, l'industrie du sucre a été florissante pendant une bonne partie du XXe siècle, environ les trois quarts. Au cours de toute cette période, notre pays produisait du sucre à partir de la betterave sucrière.

Aux environs de 1968, les restrictions à l'importation ont été assouplies. J'ai du mal à comprendre comment cela s'est produit. C'était l'année de ma naissance. Je crois bien que l'assouplissement de ces restrictions à l'importation a complètement décimé l'industrie. Toutes les usines ont fermé, à l'exception d'une installation à Taber, en Alberta. Nous sommes passés de plusieurs milliers d'acres qui nous permettaient d'assurer notre propre sécurité alimentaire, à environ 30 000 acres au maximum à Taber. Actuellement, la production de betteraves à sucre occupe environ 18 000 acres en Alberta. C'est tout.

Je vous ai simplement dit que je cultivais la betterave à sucre. Nous revenons en effet aux bonnes nouvelles. En 1997, la Michigan Sugar Company a éprouvé de la difficulté à alimenter ses quatre usines dans la partie sud et le « pouce » du Michigan.

La compagnie avait de la difficulté à s'approvisionner en betterave à sucre pour alimenter ses usines. Ses dirigeants ont tracé un cercle autour d'une de ses usines située à Croswell, au Michigan. Ils ont découvert que la moitié du cercle se trouvait au Canada et se sont dit alors que l'on pouvait très bien cultiver la betterave à sucre de l'autre côté de la rivière Sainte-Claire. Ils ont donc pris contact avec nous en 1997.

J'étais membre d'un petit groupe de travail qui a été invité à faire l'essai de la culture de betteraves à sucre en vue de son exportation au Michigan. Cette année-là, nous avons eu de bons résultats sur une superficie de 400 acres.

Peu après, en 2003, nous nous sommes associés avec nos collègues du Michigan pour acheter la Michigan Sugar Company, une entreprise exploitant 165 000 acres, dont 10 000 qui sont toujours en exploitation en Ontario. Nous sommes limités à ce plafond, essentiellement pour des raisons logistiques, mais aussi pour des raisons politiques.

Je suis personnellement impliqué également dans l'American Sugarbeet Growers Association, pour garantir une certaine collaboration. Comme vous le savez peut-être, les États-Unis ont une politique stricte dans le domaine du sucre. Ils s'opposent aux importations de sucre sur leur marché, essentiellement comme nous le faisons avec la gestion de l'offre pour les produits laitiers et autres. Ils aiment nos betteraves à sucre et ils nous aiment bien, mais ils ne veulent pas que notre production soit supérieure à 10 000 acres. Bien sûr, il y a une part de logistique là-dedans, parce que les betteraves à sucre sont lourdes et encombrantes, et qu'il n'est pas très logique de les cultiver beaucoup plus loin de la frontière que l'endroit où nous situons actuellement.

Voilà pour les bonnes nouvelles, mais cette bonne nouvelle ne vaut que pour environ 10 000 acres et une centaine d'exploitants agricoles en Ontario et aucun morceau de ce sucre n'est vendu au Canada.

En 2010, j'ai pris part à une audience du Tribunal canadien du commerce extérieur, le TCCE. Nous voulions réimporter notre sucre en Ontario. Essentiellement, nous cultivons les betteraves, le Michigan sous-traite ces betteraves pour en faire du sucre, mais nous ne pouvons pas rapporter ce sucre au Canada parce qu'il est considéré, par définition, comme un produit des États-Unis.

De nos jours, nous ne vendons pas de sucre canadien au Canada, à l'exception de celui qui est produit sur les 30 000 acres — réduits aujourd'hui à 18 000 acres — en Alberta. C'est ça la mauvaise nouvelle.

En revanche, je travaille actuellement à une étude qui bénéficie d'une bourse du CRSNG et qui envisage la réimplantation de l'industrie du sucre, dans la région de Sarnia, dans un premier temps.

Sarnia est un centre de bioinnovation. Il y a le Centre en innovation bioindustriel sur le campus du parc de recherche de l'Université Western Ontario; il y a aussi le Bio-industrial Process Research Centre, le BPRC, qui travaille en collaboration avec le Lambton College. Vous connaissez peut-être Sarnia comme un centre pétrochimique. Nous sommes en train de changer tout cela et nous avons beaucoup progressé dans nos efforts pour donner une nouvelle image à Sarnia, celle d'un centre d'énergie verte et de bioindustrie. Sarnia accueille la société BioAmber qui utilise des bioproduits, essentiellement des édulcorants à base de maïs, comme matière première plutôt que des dérivés pétrochimiques pour la production des acides succiniques qui entrent dans la composition de matières plastiques.

La bonne nouvelle, c'est que nous sommes actuellement en train de réaliser une étude technique qui examine la possibilité d'implanter une usine de production de sucre. Cette usine fabriquerait non seulement du sucre, mais aussi des produits bioindustriels tels que les matières premières pour l'acide succinique et les additifs d'éthanol qui sont excellents pour la fabrication de carburant aviation et de biodiésel. À Sarnia, nous avons également de l'hydrogène, un élément important dans ce processus.

Je pense que dans quatre ou cinq ans, et peut-être avec l'aide du gouvernement fédéral, nous serons en mesure de produire à nouveau du sucre.

Avant de vous laisser poser des questions, j'aimerais vous dire que vous ne savez peut-être pas que le Canada est le seul pays développé qui ne prenne pas en charge sa propre sécurité alimentaire en ce qui a trait au sucre. Ce n'est pas parce que nous n'en avons pas la capacité. La canne à sucre et la betterave à sucre sont, à parts égales, soit 50 p. 100 chacune, les matières premières qui servent à la fabrication du sucre dans le monde. Dans les climats tropicaux, bien entendu, c'est la canne à sucre qui domine. Aux États-Unis, la proportion est aussi d'environ 50 p. 100, répartie entre le Sud qui se sert de la canne à sucre et le Nord — le Minnesota et le Dakota du Nord, surtout — dont la matière première est la betterave à sucre.

Le Canada est excellent dans la production de betteraves à sucre. La culture de la betterave à sucre offre une plus- value d'environ 500 $ par acre par rapport aux cultures concurrentes du maïs et du soya en rotation. Autrement dit, si l'on pouvait étendre la culture de la betterave à sucre dans le secteur de ma région où l'on cultive actuellement le maïs et le soya, on obtiendrait un rendement supérieur de 500 $ par acre par rapport aux cultures que l'on pratique actuellement et en fonction des prix actuels.

L'autre bonne nouvelle à propos des betteraves à sucre, c'est que nous sommes constitués en coopérative, si bien que les prix demeurent stables, aussi bien pour le producteur que pour le transformateur. Nous collaborons également avec le Nouveau-Brunswick. Un groupe de travail se penche actuellement sur la création d'une usine de sucre dans cette région. L'Île-du-Prince-Édouard exploite actuellement une petite usine pilote qui produit à petite échelle de l'alcool à partir de betteraves sucrières. Nous collaborons également avec des producteurs de l'Alberta qui cherchent à restaurer leur industrie en cultivant plus que le petit nombre d'acres qu'ils exploitent actuellement pour la société Lantic.

Je pense que tout cela est possible et que le Canada peut produire les matières premières nécessaires pour pourvoir à ses besoins en sucre. À l'heure actuelle, nous utilisons environ 1,1 million de tonnes métriques de sucre : 50 000 tonnes proviennent de l'Alberta et le reste est essentiellement importé du Guatemala et du Brésil par l'usine Redpath de Toronto ou par Lantic à Vancouver et à Montréal. C'est tout. Voilà à quoi se limite l'industrie canadienne du sucre.

L'Institut canadien du sucre fait un excellent travail de lobbyisme et de promotion du sucre canadien, mais, malheureusement, ce n'est pas véritablement du sucre canadien.

J'étais à Atlanta pour les négociations du PTP où j'ai aidé notre négociateur en agriculture, Frédéric Seppey, à comprendre que le sucre ne fait pas véritablement partie des produits agricoles canadiens pour lequel il est chargé de négocier. Aucun agriculteur canadien n'a jamais touché un grain de ce sucre. Je n'ai rien contre les producteurs de ce sucre. C'est une bonne industrie et nous avons tous besoin de sucre, comme mon ami me l'a rappelé au début.

Je pense que ce sera suffisant comme présentation. Si vous avez des questions, je serais heureux de vous aider à mieux comprendre le problème.

Le vice-président : Merci, monsieur Lumley. Avant de commencer la période de questions, j'aimerais attirer l'attention de mes collègues sur certains invités qui se sont joints à nous à la tribune : des membres du Programme d'études des hauts fonctionnaires parlementaires qui sont ici de passage à titre d'observateurs. Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de votre visite.

Nous allons maintenant passer aux questions.

Le sénateur Oh : Je vous remercie pour cette très intéressante présentation sur la betterave à sucre. La production est-elle destinée uniquement à l'exportation vers les États-Unis, à l'exception de celle qui se fait à Edmonton et à l'Île- du-Prince-Édouard?

M. Lumley : Actuellement, nous ne produisons pas de sucre et nous n'en exportons pas. Nous produisons de la betterave à sucre en Ontario — c'est ce que je fais — et ces betteraves à sucre sont entièrement exportées et le sucre ne revient pas au Canada. Le sucre produit à Taber, en Alberta, est écoulé essentiellement en Alberta et en Saskatchewan.

Le sénateur Oh : Par conséquent, le PTP et l'AECG n'ont pas d'incidence sur vos échanges avec les États-Unis?

M. Lumley : Ces accords ne concernent pas l'exportation de betteraves à sucre, parce que ces produits sont considérés comme des légumes et ne sont donc pas assujettis aux politiques concernant le sucre. Je crois que le seul élément qui nous touche est le suivant : les producteurs ontariens sont payés en fonction des prix fixés par le programme américain du sucre et la fuite de sucre sur leur marché a une incidence sur le prix que nous recevons. Mais, là encore, il s'agit d'une très petite quantité qui représente une superficie de 10 000 acres en Ontario.

Et surtout, ce n'est pas véritablement une industrie sucrière. Nous bénéficions d'une sorte de petite exception. L'idée serait de produire du sucre au Canada afin d'être en mesure d'approvisionner tout d'abord le marché intérieur, sans avoir recours aux importations. Avant de penser à exporter, je pense que le premier objectif serait de réduire le volume des importations.

Le sénateur Oh : Vous dites que le sucre ne peut pas revenir ici, mais est-ce que la compagnie américaine le remet sur le marché canadien?

M. Lumley : Non, pas un seul grain de ce sucre ne revient au Canada.

Le sénateur Oh : Même pas par d'autres filières?

M. Lumley : Il y en a peut-être un peu dans certains produits contenant du sucre, mais dans l'ensemble, c'est inexistant.

Le sénateur Plett : Merci beaucoup, monsieur Lumley, pour votre exposé. Je me rappelle très bien de la fin de la culture de la betterave à sucre. Je viens du sud-est du Manitoba où l'on cultivait beaucoup la betterave à sucre, notamment dans mon petit village. Il y avait de grandes cultures de betteraves à sucre et ce fut très triste de voir tout cela disparaître.

Veuillez m'excuser si j'ai manqué quelque chose, au début de votre exposé, lorsque vous avez expliqué exactement pourquoi on a mis fin à cette culture. Je suis désolé de vous demander de répéter, mais pourriez-vous nous expliquer brièvement pourquoi le Canada a cessé de cultiver la betterave à sucre à l'époque?

M. Lumley : Comme je l'ai dit, je ne connais pas exactement les raisons. Je suis né cette année-là. Ce que je crois comprendre, d'après les lectures que j'ai faites, c'est que l'on a assoupli les restrictions à l'importation — essentiellement les règles antidumping — au point où il devenait possible désormais d'importer du sucre de provenance étrangère à Toronto, par exemple, pour un prix nettement inférieur au coût de production au Canada.

Le sénateur Plett : Ce n'est plus le cas actuellement?

M. Lumley : Il est toujours possible d'importer du sucre à un prix inférieur au coût de production canadien, mais ce sucre est vendu au détail à un prix beaucoup plus élevé, parce qu'il n'y a pas de concurrence. Les sociétés Redpath et Lantic détiennent ensemble une sorte de monopole au Canada et elles peuvent fixer le prix du sucre comme elles le veulent, étant donné qu'elles n'ont aucune concurrence. Le produit brut qu'elles importent leur coûte environ 16 cents la livre et elles le revendent 30 ou 35 cents, étant donné qu'elles n'ont aucune concurrence. L'étude que nous effectuons actuellement au Lambton College indique que nous pourrions probablement produire du sucre pour environ 20 cents à partir de betteraves sucrières, à Sarnia. Nous serions ainsi en mesure de concurrencer fortement Redpath.

Le sénateur Plett : Nos fermiers au Canada, je crois bien, sont des gens d'affaires très intelligents. Je suis sûr qu'il n'y a pas eu de révélation au cours des dernières années permettant de penser qu'ils pourraient faire, comme vous le suggérez, 500 $ de plus par acre en cultivant la betterave à sucre plutôt que le soya. Je ne suis pas sûr que ce soit exactement ce que vous avez dit, mais c'est assez proche.

Dans votre témoignage, vous avez aussi dit qu'une des raisons pour lesquelles cela se produit est un plafonnement pour des raisons politiques. Des raisons politiques de quel côté de la frontière?

M. Lumley : Des États-Unis, pour des raisons politiques et de transport. En d'autres termes, les États-Unis nous permettent de faire entrer un peu de betteraves à sucre dans le pays, pour aider une compagnie américaine, mais ils ne veulent pas aller trop loin.

Prenons l'exemple du Manitoba. La vallée de la rivière Rouge a un secteur de la betterave à sucre immensément prospère, et cela déborde dans la vallée de la rivière Rouge du Manitoba. Je ne pense pas qu'ils veuillent créer un précédent au Manitoba en envoyant des betteraves dans leurs usines aussi. Ils gardent les choses sous silence. Cela aide l'industrie américaine au Michigan. Nous sommes tous des amis ici, et c'est parfait. Mais ce n'est pas là un moyen d'expansion. Pour l'expansion, nous devons cultiver du sucre canadien pour les Canadiens.

Le sénateur Plett : En bref, que peut faire le gouvernement fédéral pour vous aider, vous et les cultivateurs qui aimeraient gagner 500 $ de plus par acre dans leurs champs? Que pouvons-nous mettre dans notre rapport pour accélérer peut-être les choses?

M. Lumley : C'est une excellente question, et je vous remercie de la poser.

Tout d'abord, nous entreprenons déjà ce qui est le plus important. Si nous ne gagnons pas 500 $ de plus en cultivant la betterave à sucre, c'est parce que beaucoup d'études et de travail de commercialisation doivent se faire pour construire une usine de 200 millions de dollars et d'autres usines de 200 millions de dollars partout au pays. Personne n'a encore l'argent pour tout cela. En tant que cultivateurs, nous avons ensemble la capacité d'obtenir le capital, mais il faut que l'étude soit faite.

Une fois de plus, la subvention du CRSNG est un premier pas. C'est excellent. Bioindustrial Innovation Canada a aussi obtenu certaines subventions fédérales pour la science, la recherche et la commercialisation. Tout cela est bon. Ce sont des choses que nous devons pouvoir continuer à faire.

Ensuite, je pense que la meilleure chose à faire est de veiller à protéger l'industrie nationale du sucre, une fois qu'on en aura une, contre le dumping, pour que ce qui s'est produit auparavant ne se reproduise pas. Le prix du sucre sur la scène mondiale monte et descend, et nous devons nous protéger contre les importations subventionnées.

Si je comprends bien, le « dumping » est défini comme la vente d'un produit importé à un prix inférieur à son coût de production dans le pays. À l'heure actuelle, nous ne savons pas exactement quel est le coût de la production dans le pays, car nous n'en avons pas une. Une fois que nous aurons une capacité de production, nous devrons la protéger. La commercialisation d'une usine ne sera pas possible sans ces garanties à un moment donné.

Le sénateur Plett : Vous avez dit, je crois, que l'Ontario envoie ses betteraves à sucre au Michigan. Je sais qu'il y a une usine de traitement au Minnesota, de l'autre côté de la frontière du Manitoba.

M. Lumley : Absolument.

Le sénateur Plett : Ne serait-il pas logique, au moins pour commencer, de faire traiter les betteraves à sucre dans ces sucreries puis de ramener le sucre au Manitoba? Au moins, nous n'aurons pas besoin d'investir immédiatement 200 millions de dollars.

M. Lumley : On le penserait, sauf que le TCCE dit « non ». Il déclare que, même si le sucre est produit à partir de betteraves canadiennes, une fois qu'il traverse la frontière — vers le Minnesota dans ce cas, ou le Michigan dans notre cas —, il devient du sucre américain, et que le sucre américain relève de la politique américaine sur le sucre. En effet, c'est ce qu'on aurait pensé.

Cependant, les limites de capacité de traitement limiteraient aussi un tel scénario. En réalité, 200 millions de dollars sont une goutte dans l'océan comparativement aux avantages économiques pour notre communauté. Les 200 millions de dollars ne m'inquiètent pas. Nous pouvons les lever auprès de partenaires commerciaux et de cultivateurs par le truchement d'un modèle de coopérative d'autoculture. Le problème n'est pas là. Nous avons besoin de subventions pour la recherche et l'innovation pour pouvoir continuer à travailler avec le secteur universitaire pour nous assurer que tout cela fonctionnera, et, bien sûr, nous avons besoin de protection contre les importations injustes et le dumping.

Le sénateur Plett : Très intéressant. Merci.

Le sénateur Oh : Vous êtes un expert dans le domaine de la betterave à sucre. Si on construit une grande usine et cultive davantage la betterave en Ontario, pourrons-nous être concurrentiels dans le monde ou sur les marchés internationaux pour ce qui est du prix du sucre?

M. Lumley : Absolument. Tout d'abord, la plupart des usines américaines de traitement de la betterave à sucre ont plus de 100 ans. Elles utilisent une vieille technologie mise à jour, et sont affligées d'un grand nombre d'inefficiences en raison de l'âge.

Quand nous avons revitalisé l'industrie en Ontario, nous sommes repartis à zéro. La plupart des anciens qui cultivaient les betteraves à sucre se souviennent de la technologie, mais celle-ci a changé et ils ne se sont pas trouvés obligés d'en rester là.

C'est extraordinaire, mais quand notre petite opération de 100 cultivateurs et 10 000 acres a commencé en Ontario, nous avons entièrement revitalisé l'industrie nord-américaine de la betterave à sucre dans tous les États-Unis, parce que nous ne nous sommes pas limités au principe d'utiliser les méthodes de nos grands-parents. Nous avions une nouvelle perspective. Nous avons été les premiers à utiliser les récolteuses automotrices, à faire la livraison directe, à utiliser les techniques d'ensemencement européennes et à innover avec l'empilage dans le champ. Toutes ces méthodes se sont graduellement implantées partout aux États-Unis parce que nous avons eu l'occasion d'innover et de repartir à zéro.

Transposons tout cela aux usines de sucre que nous allons créer. Tout d'abord, Sarnia est un centre de bioinnovation. Comme vous le savez, il y aura bientôt un système de plafonnement et d'échange. Il y a, d'un côté, des usines pétrochimiques qui gaspillent de la chaleur, et nous, de l'autre côté, qui faisons bouillir de l'eau. Une usine de traitement de la betterave à sucre fait bouillir beaucoup d'eau. Nous pourrions profiter de la chaleur que produit une usine pétrochimique et l'utiliser pour faire bouillir notre eau. Les possibilités de synergie sont nombreuses ici, au point que nous pourrions traiter les betteraves à environ trois quarts du coût de leur traitement aux États-Unis. À l'heure actuelle, les cultivateurs américains de betteraves à sucre font beaucoup d'argent, ils sont aisément les plus efficaces dans le monde à part nous, et je crois que nous sommes bien meilleurs. Nous pouvons faire concurrence à n'importe qui.

Le sénateur Oh : Avez-vous déjà fait une comparaison entre la canne à sucre et la betterave à sucre?

M. Lumley : C'est une comparaison qui se fait aux États-Unis tout le temps. C'est difficile à comparer, parce que le prix des terres diffère tellement. Dans la région de la vallée de la rivière Rouge, là où la betterave à sucre est cultivée, il n'y a pas beaucoup de cultures concurrentielles ou de cultures à fort rapport économique comme les légumes et autres cultures du genre. Comparativement aux autres cultures, la betterave à sucre est très efficiente, mais dans l'ensemble, les États-Unis évaluent cette proportion à 50-50.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie, monsieur Lumley, pour votre présentation. Vous avez mentionné que la culture de betteraves à sucre est une activité rentable. Toutefois, quels seraient les marchés les plus intéressants pour l'exportation de la betterave à sucre, compte tenu des divers accords internationaux qui ont été signés récemment, notamment le PTP? J'aimerais connaître votre point de vue à ce sujet.

[Traduction]

M. Lumley : Je répète, à l'heure actuelle, nous importons environ 98 p. 100 de notre sucre au Canada. Je crois que beaucoup d'eau coulera sous les ponts avant que l'industrie de la betterave à sucre puisse réduire cette proportion suffisamment pour répondre même aux désirs de notre président et de ses amis. Comme je l'ai déjà mentionné, nous utilisons déjà au Canada environ 1,1 million de tonnes métriques de sucre. Je crois qu'il serait très ambitieux de tenter de répondre à nos propres besoins, ce qui d'ailleurs serait merveilleux.

Il ne s'agit pas des possibilités d'exportation, mais de la possibilité de réduire nos importations et, surtout, de reprendre la maîtrise de nos propres systèmes alimentaires.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous préférez réduire vos importations pour garantir une certaine rentabilité?

[Traduction]

M. Lumley : Je ne saurais répondre à cette question. Les produits de la bioindustrie entrent en jeu ici également; par conséquent, il est possible que nous n'allions même pas jusqu'à la production de sucre. Il est possible que nous traitions les betteraves à sucre à des fins bioindustrielles, comme la production d'acide succinique pour les plastiques, d'éthanol et d'autres choses du genre, et que nous continuions à consommer du sucre importé de Redpath et de Lantic. L'économie tranchera la question.

Le vice-président : La betterave à sucre est utilisée — ou du moins la mélasse de betterave à sucre — dans les produits de dégivrage. Et si vous avons quelque chose au Canada, c'est bien de la glace et beaucoup de glace sur les routes.

M. Lumley : Là encore, nous obtenons ces produits du Michigan, mes betteraves du Michigan, parce que nous n'en avons pas ici.

Le vice-président : Voilà une autre possibilité : plutôt que de les manger, on les épand sur la route.

La sénatrice Tardif : Merci, monsieur Lumley, de votre témoignage intéressant, et toutes nos félicitations pour votre réussite. Quel cheminement intéressant vous avez eu!

Je viens de l'Alberta, et je m'intéresse donc à ce qui arrive à Taber. Je sais que nous avons eu une industrie de la betterave à sucre très prospère dans le sud de l'Alberta. Si je comprends bien, Taber a, à l'heure actuelle, 18 000 acres. Aucune quantité de sucre produite à partir de la betterave à sucre de Taber ne peut être exportée aux États-Unis, n'est- ce pas?

M. Lumley : Ils ont un système de contingent tarifaire d'importation, une toute petite quantité qui vient d'être négociée à Atlanta. Si cela va être ratifié, c'est une tout autre paire de manches.

Il y a déjà une petite quantité de sucre allant du Canada aux États-Unis, dans le cadre de ce programme de contingents tarifaires, mais la majorité vient en réalité du Guatemala et du Brésil. J'ai des amis chez la plupart des cultivateurs en Alberta, et personne ne le sait avec certitude. Une fois que Lantic a ce sucre, il devient une marchandise qui circule n'importe où.

En réalité, la quantité que nous sommes autorisés à exporter aux États-Unis provient de là où cela est plus pratique, et pas forcément de l'Alberta.

La sénatrice Tardif : Donc, le sucre produit à Taber serait destiné aux marchés de l'Alberta et de la Saskatchewan, essentiellement?

M. Lumley : Essentiellement. C'est ce qui serait le plus logique, mais bien des choses bizarres se produisent avec le sucre; il se déplace un peu partout.

La sénatrice Tardif : Taber et l'Ontario constituent donc le 2 p. 100? Vous dites que nous importons 98 p. 100 de notre sucre; donc, les 2 p. 100 viennent de l'Alberta?

M. Lumley : De l'Alberta seulement, parce que le nôtre ne compte pas.

La sénatrice Tardif : C'est exact, de l'Alberta seulement.

Quelle est la capacité de traitement à Taber? Est-ce une vieille usine? A-t-elle besoin d'une nouvelle infrastructure? Peut-elle produire davantage?

M. Lumley : Chose étrange, elle a la capacité de produire plus de deux fois ce qu'elle produit, mais Lantic utilise cette installation un peu comme un outil politique. Ce sont la seule sucrerie et la seule région de culture de betteraves à sucre en Amérique du Nord qui n'appartiennent pas aux cultivateurs. Partout ailleurs en Amérique du Nord et dans la plupart des régions européennes, les cultivateurs sont les propriétaires des sucreries.

Je suis un des propriétaires de notre sucrerie : 1 de 1 000 cultivateurs qui sont propriétaires de Michigan Sugar. Je possède personnellement 800 actions de cette société de 165 000 acres. Avec ces actions, j'ai le droit — ce qui est extraordinaire, et la raison pour laquelle je le fais —, mais aussi l'obligation de produire une acre de betteraves à sucre par action.

Avec cette façon de faire, on garantit le flux de production et exactement ce que l'usine est capable de produire. Notre conseil d'administration décide tous les ans du nombre exact d'acres que nous cultiverons. L'année qui vient, les récoltes ayant augmenté, je ne suis autorisé à cultiver que 96 p. 100 de l'acre dont je possède l'action. Par conséquent, au lieu de la production de 165 000 acres cette année, l'usine recevra la production de 150 000 acres, exactement, parce que c'est ce qu'il faut. C'est là la clé.

En Alberta, la société Lantic communique aux cultivateurs ce qu'elle veut, et leur dit : « Voilà ce que vous allez être payés, que vous le vouliez ou non, et si vous ne voulez pas la cultiver, très bien — peu nous importe. » Mais elle essaie toujours d'en garder quelques-uns, pour garder un pied dans l'industrie du sucre canadienne, parce que maintenant Lantic à Montréal et à Vancouver peut avoir un peu plus de souplesse politique en gardant encore du sucre canadien, même si c'est une goutte dans l'océan. C'est une façon très inefficace de faire les choses là-bas.

Les cultivateurs de l'Alberta veulent construire leur propre usine. Là encore, Lantic leur a dit qu'elle la brûlerait avant de la vendre aux cultivateurs. Et ce que je vous dis est vrai.

Les cultivateurs là-bas devront donc construire une usine et être efficients comme le reste d'entre nous dans l'industrie nord-américaine.

La sénatrice Tardif : L'image ne me semble pas être très attrayante.

M. Lumley : Je n'essaie pas de paraître blasé. Ce sont les faits. Je ne veux pas médire contre une société où quelque chose d'autre. C'est tout simplement la façon dont ils mènent leurs affaires, et grand bien leur fasse.

La sénatrice Tardif : C'est souvent ce qui arrive quand de grandes sociétés viennent s'approprier nos ressources.

M. Lumley : Oui.

La sénatrice Unger : J'ai une petite question sur ce que vous avez dit au sujet de la betterave à sucre. Pouvez-vous nous décrire le système d'ensemencement européen?

M. Lumley : Certainement. C'est assez technique sur le plan agricole, mais essentiellement, les graines de betteraves à sucre sont très petites, et la profondeur de la semence, la constance dans la profondeur de la semence et l'espacement entre les graines sont très importants. Les Nord-Américains se contentent — je vais m'exprimer comme un cultivateur —, ils se contentent de les fourrer dans le sol, et advienne que pourra.

Il y a une façon plus précise de faire les choses. Les systèmes européens ont une descente de semence plus courte, ce qui fait que les graines ne glissent pas aussi loin le long d'un tube et ne rebondissent pas. C'est bien plus précis. Lorsque la profondeur des semences est plus précise et plus régulière, vous obtenez une levée plus régulière. La graine de betteraves à sucre a la taille d'un grain de poivre, et la betterave à sucre à maturité est très grosse, elle pèse deux à trois kilos. Elle ne ressemble pas du tout aux petites betteraves rouges.

Là encore, nos cultivateurs ontariens ont complètement révolutionné la technologie de récolte. Je ne pense pas que nous soyons plus intelligents que les autres, mais nous avons tendance à innover. Aussi, l'avantage de pouvoir partir à zéro a beaucoup aidé.

La sénatrice Unger : Je connais le système d'ensemencement des betteraves qui ne prévoit pas le positionnement précis de chaque graine. Je ne savais pas que les betteraves à sucre étaient si grosses; elles sont donc très différentes de leur version potagère.

M. Lumley : De la betterave potagère, oui. Elle est blanche au lieu de rouge, et elle est pointue comme une carotte géante. Elle ne ressemble pas au navet, qui est rond, mais elle en a à peu près la taille.

La sénatrice Unger : Il y a aussi des betteraves potagères blanches et, je crois aussi, des betteraves jaunes.

Le sénateur Ogilvie : Ce témoignage est l'un des plus fascinants que j'ai eu le plaisir d'entendre. Je suis particulièrement impressionné par votre concentration sur l'innovation et votre analyse de l'industrie dans son ensemble, ainsi que par l'utilisation du sucre comme matière première chimique. C'est une molécule organique complexe, et le potentiel de synergie avec la valorisation énergétique des déchets est élevé. C'est très impressionnant dans l'ensemble.

Ma question est d'ordre pratique, fondée sur quelque chose que vous avez dit au sujet de l'innovation qui a eu lieu au début du renouvellement de l'industrie canadienne. Vous avez mentionné la récolte. Je vous pose la question parce qu'il y a quelques années, dans la vallée de l'Annapolis en Nouvelle-Écosse, ou dans les environs, là où il y avait quelques terres agricoles marginales, il a été question de cultiver la betterave à sucre. Un des problèmes soulevés, si je me souviens bien, était l'impact du processus de récolte sur la terre dans des climats humides comme celui de la Nouvelle-Écosse. Il s'agissait de l'impact sur la nature des terres — pas la destruction de la terre, mais le problème de l'apparence subséquente de la terre.

Les développements novateurs dont vous avez parlé au sujet de la récolte atténuent-ils un grand nombre des problèmes causés par le mode de récolte?

M. Lumley : Oui, tout à fait. Tout d'abord, le comté de Lambton est principalement de l'argile vaseuse — beaucoup d'argile, peu de vase — et ce genre de terre est très sensible aux problèmes de compactage. C'est un des aspects négatifs de la façon dont la récolte des betteraves à sucre se faisait auparavant. Un tracteur à quatre roues motrices traînait une semi-remorque dans la boue, à côté de la récolteuse, créant un désastre tout autour.

Nous n'avons rien inventé. Notre apport d'innovation a été d'aller en Allemagne acheter une ROPA Tiger, une récolteuse de betteraves à sucre automotrice qui non seulement défeuille, lève et entrepose les betteraves à sucre toute seule, éliminant la nécessité d'avoir des camions dans le champ, mais aussi est équipée de quantités massives de caoutchouc — bien plus qu'un tracteur. Elle est aussi large que cette table de conférence, et entièrement en caoutchouc, produisant un compactage très léger. Elle exerce une pression de deux à trois livres par pouce carré sur le sol. C'est la machine que nous avons commencé à utiliser tout de suite.

Il y a aussi en cause un autre principe que je préconise depuis le début, c'est-à-dire garder l'équipement agricole dans la ferme et l'équipement routier — les camions — sur la route.

L'autre machine utilisée s'appelle Maus. Nous avons une Tiger et une Maus; ce sont les noms qui leur ont été donnés en Allemagne. Essentiellement, la Tiger déverse les betteraves sur la tournière, et la Maus les ramasse, les nettoie et les pose sur un convoyeur qui passe par-dessus la réserve de chemin et les déverse dans les camions qui les attendent sur la route. La boue reste dans les champs et les camions restent sur la route. Nous avons été les premiers en Amérique du Nord à essayer cette méthode — ma ferme et quelques-uns de mes voisins —, et il y a maintenant dans tous les États- Unis, 75 machines Tiger et 130 machines Maus, et leur nombre augmente exponentiellement. Je dirais que d'ici les 10 prochaines années, on ne trouvera plus de récolteuses tractées n'importe où en Amérique du Nord.

Le sénateur Ogilvie : Je vous remercie de votre témoignage impressionnant.

La sénatrice Beyak : Merci. Je suis juste en face des installations du Minnesota, de l'autre côté de la rivière, comme le sénateur Plett au Manitoba et la sénatrice Tardif en Alberta. Nous nous intéressons donc beaucoup, sur le plan agricole, aux bons usages du sucre.

Je voudrais vous remercier de cela et vous demander si l'étude que vous menez — la subvention que vous espérez obtenir — fera état des bons et des mauvais usages du sucre, équitablement.

M. Lumley : C'est une bonne question. À l'heure actuelle, la plupart des études portent sur la faisabilité et la rentabilité : combien le traitement de ces betteraves à sucre coûtera-t-il? Nous savons ce que les cultiver coûte — nous le faisons en Alberta et en Ontario —, mais nous cherchons à déterminer ce que coûtera la transformation de ces betteraves en matières premières bioindustrielles, ou en sucre. Nous étudions les marchés. Par exemple, j'ai mentionné BioAmber, qui utilise le sucre pour produire de l'acide succinique.

Nous avons deux choses. Ils sont disposés à payer X pour la matière première qu'ils veulent, ce qui serait une sorte de jus de sucre liquide, et nous sommes en mesure de produire cette matière première au coût Y; avec un peu d'espoir, Y est moins élevé que X et nous pourrons être gagnants. C'est ce que nous faisons maintenant. Ce qui se fait avec le produit fini est l'étape subséquente, je suppose. Là encore, nous faisons un lobbying intense, principalement par le truchement de l'American Sugarbeet Growers Association, pour un usage sain du sucre — la nature elle-même du sucre — et un lobbying contre les sentiments anti-OGM.

Je ne l'ai pas mentionné, mais la betterave à sucre est maintenant capable de tolérer les herbicides, et à cause de cela, elle est critiquée un peu, malgré le fait que le sucre lui-même est du C12H22O11, et qu'il n'a pas de protéine ni d'ADN. Le sucre ne contient rien d'autre que du carbone, de l'hydrogène et de l'oxygène, et pourtant, les gens l'accusent d'être dérivé d'une plante qui tolère les herbicides; c'est ridicule. Nous contesterons cette opinion de plusieurs façons. Nous préconisons fortement la vérité dans la science et l'alimentation saine.

Le vice-président : Monsieur Lumley, nous vous remercions beaucoup de votre témoignage. Il a été très révélateur, comme mes collègues l'ont déjà dit, et votre style de présentation l'a rendu très plaisant aussi.

Vous nous avez ouvert les yeux sur une industrie dont nous n'avons pas beaucoup parlé; nous l'apprécions et cela ressortira dans notre rapport.

(La séance est levée.)

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