Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule no 17 - Témoignages du 20 octobre 2016
OTTAWA, le 20 octobre 2016
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 2 heures, pour entamer son étude sur l'acquisition des terres agricoles au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole.
Le sénateur Ghislain Maltais (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je suis le sénateur Ghislain Maltais, du Québec, et je suis le président du comité. Je demanderais à chacun des sénateurs de bien vouloir se présenter.
La sénatrice Tardif : Claudette Tardif, de l'Alberta.
[Traduction]
La sénatrice Gagné : Bonjour. Raymonde Gagné, du Manitoba.
Le sénateur Plett : Je m'appelle Donald Plett et je suis du Manitoba.
La sénatrice Unger : Mon nom est Betty Unger et je suis de l'Alberta.
[Français]
Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de Nouvelle-Écosse.
Le président : Le comité amorce aujourd'hui son étude sur l'acquisition des terres agricoles et ses retombées potentielles sur le secteur agricole.
Notre premier témoin est M. Ron Bonnett qui comparaît par vidéoconférence.
Ron Bonnett, président, Fédération canadienne de l'agriculture : Bonjour à tous. Monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant vous pour vous présenter le point de vue de la Fédération canadienne de l'agriculture concernant la valeur des terres agricoles et leur acquisition.
J'aimerais d'abord souligner à quel point il est important que les terres agricoles soient considérées comme une ressource stratégique limitée au Canada. Les terres agricoles sont essentielles non seulement pour notre industrie, mais aussi pour la culture canadienne dans son ensemble de même que pour notre économie et le bien-être des Canadiens. Quelque 6,7 millions d'hectares de terres servent à l'agriculture, ce qui représente moins de 7 p. 100 de la superficie totale du Canada. Les terres agricoles cultivables, soit nos terres de catégorie 1 à 3, représentent une ressource encore plus rare au pays. On en compte seulement 4,5 millions d'hectares, soit moins de 5 p. 100 de notre superficie.
Comme le Canada produit davantage qu'il ne consomme, notre agriculture doit absolument pouvoir compter sur les terres nécessaires pour intensifier la présence des produits canadiens sur les marchés internationaux et s'épanouir pleinement en tant que facteur clé de croissance économique au Canada.
Avant de vous entretenir davantage de l'importance du maintien des terres agricoles, j'aimerais parler brièvement de leur valeur qui a connu une croissance sans précédent au cours de la dernière décennie. Ainsi, la valeur des terres agricoles canadiennes a augmenté en moyenne de 13 p. 100 entre 2007 et 2014. Bien que cette tendance se soit atténuée au cours des deux dernières années, la valeur des terres a tout de même crû de 10,1 p. 100 en 2015. Ces chiffres sont tirés du rapport Valeur des terres agricoles produit annuellement par Financement agricole Canada que nous voulons d'ailleurs encourager à poursuivre son travail d'analyse. Nous disposons en effet de très peu d'informations sur les questions touchant les terres agricoles, ce qui est tout à fait crucial pour pouvoir prendre des décisions stratégiques éclairées.
À la lumière de ce rapport et des analyses que notre fédération a menées à ce sujet, j'aimerais vous signaler deux facteurs clés influant sur la valeur des terres agricoles au Canada. Il y a d'abord les revenus tirés des cultures. Les augmentations sans précédent enregistrées au Canada allaient de pair avec des sommets sans précédent quant au prix des denrées. Bien que ces prix aient chuté considérablement au cours de la dernière année, notre taux de change continue d'offrir une certaine forme de protection aux agriculteurs canadiens, ce qui explique en partie le fait que ces prix demeurent à la hausse.
En second lieu, il y a les taux d'intérêt. L'effet combiné de taux d'intérêt qui demeurent faibles et des revenus dont je viens de parler crée des conditions très propices à la vente de terres agricoles dans plusieurs régions du pays où l'on voit les offres se multiplier pour de nombreuses propriétés dans ce qui est devenu un marché favorisant les vendeurs. Il convient toutefois de mentionner qu'une hausse des taux d'intérêt pourrait placer certains acheteurs dans une situation vulnérable.
Ces facteurs influent donc grandement sur les tendances quant à la valeur des terres agricoles au Canada, mais il faut noter que les politiques provinciales et les conjonctures locales ont également d'importantes répercussions sur les différents marchés régionaux des terres agricoles. Je vais traiter brièvement de ces éléments.
Dans ce contexte, il est important de bien comprendre que chaque acquisition peut comporter des défis qui lui sont propres. Dans tous les cas, la vente doit être bénéfique autant pour l'acheteur que pour le vendeur. Pour les exploitations agricoles déjà existantes, les acquisitions visant à accroître la superficie des terres et à réaliser de plus grandes économies d'échelle deviennent rentables grâce à de meilleurs rendements sur le marché.
L'augmentation du capital requis pour avoir accès à une ferme représente un obstacle majeur pour la prochaine génération d'agriculteurs. Par ailleurs, la vente de l'entreprise agricole est l'une des principales sources de revenus au moment de la retraite, et les approches stratégiques retenues doivent également protéger les intérêts des agriculteurs.
Parlons d'abord des nouveaux agriculteurs et des capitaux supplémentaires dont ils ont besoin. Plusieurs provinces offrent actuellement des programmes de prêts pour les jeunes et les nouveaux agriculteurs, lesquels peuvent également obtenir le soutien de Crédit agricole Canada ainsi que de prêteurs privés, mais on pourrait en faire encore davantage.
La Fédération canadienne de l'agriculture a formulé différentes recommandations à ce sujet en prévision du prochain cadre stratégique qui entrera en vigueur en 2018.
Disons tout d'abord que les provinces doivent continuer de favoriser l'accès des nouveaux agriculteurs à du financement préférentiel et des subventions dans une mesure suffisante pour permettre la mise en marche d'une exploitation commerciale viable.
Le prochain cadre doit en outre favoriser la mise en place d'une combinaison de programmes facilitant les cessions intergénérationnelles d'exploitations agricoles et répondant aux besoins en capitaux de lancement pour les nouvelles exploitations. On pourrait notamment songer à offrir des intérêts non imposables et des garanties aux agriculteurs qui prennent leur retraite en participant à des programmes pour les jeunes et les nouveaux agriculteurs de manière à inciter les prêteurs non commerciaux à offrir plus de produits à de meilleurs taux.
C'est la disponibilité de terres agricoles à des prix abordables qui pose surtout problème pour ceux qui envisagent de telles acquisitions. Il leur devient difficile d'aller de l'avant dans un contexte où la valeur des terres agricoles croît souvent plus rapidement que les rendements que l'on en tire.
D'après notre analyse, ces problèmes d'accès et d'abordabilité peuvent être attribuables à cinq facteurs principaux. Premièrement, la croissance urbaine incessante nous fait perdre de grands pans des terres agricoles les plus productives au pays. Deuxièmement, une rentabilité insuffisante de l'activité agricole continue d'entraîner l'abandon de terres dans les régions défavorisées du point de vue des services et de l'activité économique, ce qui se traduit par une perte progressive, mais tout de même permanente, de terres productives en raison d'un manque d'entretien ou de leur utilisation à d'autres fins. Troisièmement, comme je l'ai déjà mentionné, des terres agricoles continuent d'être acquises à des fins de spéculation immobilière, de développement immobilier en milieu rural, de conservation et d'exploitation commerciale non agricole, ce qui réduit d'autant leur disponibilité pour les agriculteurs eux-mêmes. Quatrièmement, l'intérêt des investisseurs d'autres provinces et d'autres pays pour les terres agricoles canadiennes soulève des préoccupations quant à la protection de notre souveraineté à long terme à l'égard de ces ressources agricoles stratégiques. En outre, un suivi plus étroit et une analyse plus approfondie s'imposent si nous voulons éviter que les terres deviennent inabordables dans ce contexte.
Nos analyses démontrent actuellement qu'il ne s'agit pas d'un des principaux facteurs influant sur la valeur des terres agricoles, mais nous ne disposons pas de suffisamment d'information pour bien comprendre la teneur véritable de ces activités. Cela m'amène à vous parler du dernier élément, à savoir le manque d'information complète et accessible qui fait en sorte que les décideurs sont moins à même de comprendre la situation et de proposer des solutions.
Dans notre étude des questions de disponibilité et d'abordabilité, nous devons tenir compte de l'aspect rentabilité, l'avenue à privilégier pour protéger les terres agricoles canadiennes. Cependant, dans les situations où des intérêts non agricoles entrent en concurrence avec ceux d'un producteur, il est rare que la conjoncture économique soit favorable à ce dernier, ce qui n'incite guère au maintien de l'activité agricole. Des règles d'aménagement du territoire trop restrictives à l'égard des utilisations non agricoles peuvent avoir un impact négatif sur la santé financière des exploitations et causer des difficultés particulières aux agriculteurs qui souhaitent prendre leur retraite. Il s'agit donc de trouver un juste équilibre.
Étant donné que les provinces et les municipalités canadiennes sont les principales responsables de la préservation des terres agricoles, il convient d'établir un ensemble commun d'objectifs aux fins de l'élaboration de politiques d'aménagement du territoire assurant la protection de ces terres à long terme. Premièrement, il faut une certaine stabilité pour assurer la préséance de la protection des terres agricoles sur les intérêts concurrentiels au moyen d'une réglementation bien enchâssée dans la loi qui ne risque pas de changer du jour au lendemain. Les agriculteurs ont besoin d'une stabilité semblable pour pouvoir faire les investissements nécessaires au maintien de leur capacité concurrentielle.
Deuxièmement, les provinces et les municipalités doivent offrir un maximum de certitude en définissant clairement la manière dont les mesures de protection et les autres politiques d'aménagement du territoire seront mises en œuvre et appliquées au quotidien. On a également besoin de politiques et de mesures d'application uniformes et claires pour tous les ordres de gouvernement.
Enfin, ces objectifs doivent être revus périodiquement au moyen de processus clairs et de règles définies régissant les décisions gouvernementales et offrant la souplesse nécessaire, sans toutefois miner la protection des terres agricoles.
Pour que les décideurs puissent élaborer des approches fondées sur les faits, il faut que tous aient accès à des informations comparables pour l'analyse des pertes au chapitre des terres agricoles. Cette démarche comprend la mise à jour de la cartographie des sols dans tout le pays, des rapports réguliers sur les terres agricoles perdues à différents niveaux, et un répertoire renfermant des données sur les terres agricoles appartenant à des intérêts étrangers et non agricoles. S'ils n'ont pas accès à des renseignements de la sorte, les décideurs canadiens continueront d'éprouver des difficultés à bien saisir l'importance des pertes de terres agricoles et les difficultés qui s'ensuivent.
Je sais que Scott Ross, de notre bureau national, est des vôtres aujourd'hui, et que notre vice-président Humphrey Banack de l'Alberta devrait aussi être présent. Nous sommes prêts à répondre à toutes vos questions et nous vous encourageons à poursuivre votre étude des enjeux touchant l'accès et l'abordabilité. Merci.
Le président : Merci, monsieur Bonnett.
D'abord et avant tout, j'aimerais vous présenter le sénateur Victor Oh de l'Ontario. Bienvenue, sénateur.
Nous passons maintenant aux questions.
Le sénateur Plett : Merci messieurs de votre présence aujourd'hui.
Je viens moi-même d'une région rurale agricole, et je constate que les pertes de terres agricoles peuvent être attribuables à différents facteurs. L'un d'eux — et je crois que vous l'avez mentionné — est l'acquisition de ces terres par des promoteurs, lesquels peuvent être des étrangers.
Je vais vous soumettre les trois facteurs que j'ai relevés et vous pourrez nous dire ensuite lesquels vous apparaissent les plus problématiques.
Dans ma région, il y a de grands producteurs laitiers. Ceux-ci figurent sans doute parmi les agriculteurs qui ont besoin des plus grandes superficies de terre, pas nécessairement pour le fourrage, mais pour des fins d'épandage. Il semblerait qu'il n'y ait pas de limite à ce que sont prêts à payer ceux qui achètent des terres à cette fin. Dans ma région, tout au moins, le prix des terres agricoles a ainsi grimpé de façon incroyable. Un céréaliculteur qui veut prendre sa retraite n'a qu'à appeler un producteur laitier pour obtenir un prix très élevé pour ses terres.
Peut-être pourriez-vous nous parler de ces trois facteurs en nous indiquant lesquels posent le plus de difficultés aux agriculteurs canadiens.
M. Bonnett : Merci pour la question. Je sais que l'on parle abondamment du phénomène de la propriété étrangère. Le fait est que nous n'avons pas vraiment de données fiables à ce sujet. Comme je l'indiquais, ce sont les gouvernements provinciaux qui sont responsables de la cueillette de ces renseignements, et ils ne sont pas vraiment à la hauteur. Il est très difficile de consulter ces chiffres pour savoir exactement quelles superficies de terres appartiennent à des étrangers.
Dans le même ordre d'idées, il faut considérer les exploitations agricoles acquises à des fins d'investissement, comme j'en ai parlé dans mon exposé. Cette forme d'exploitation peut être intéressante, mais comporte aussi un aspect négatif. Elle permet aux agriculteurs d'avoir accès à des capitaux, mais il faut également s'assurer qu'ils peuvent demeurer propriétaires de leurs terres.
Vous avez parlé des grandes exploitations laitières. Je sais qu'en Ontario, ce sont les grands élevages porcins qui ont des besoins semblables. Je pense que la hausse des prix est davantage attribuable à la réglementation provinciale sur la gestion du fumier pour certaines formes d'élevage qu'au type d'exploitation lui-même. Qu'il s'agisse d'élevage laitier, porcin ou bovin, les nouvelles restrictions et mesures d'assainissement de l'environnement font en sorte que les éleveurs doivent disposer des superficies nécessaires pour gérer leur fumier s'ils veulent pouvoir poursuivre leurs activités.
Je crois que différents facteurs entrent en ligne de compte. Il va de soi que nous devons chercher à mieux cerner le phénomène de la propriété étrangère. La question des mesures d'assainissement de l'environnement nous ramène à la nécessité d'évaluer les politiques adoptées à l'échelon provincial pour déterminer leur influence sur le prix des terres agricoles.
Certaines recherches effectuées, notamment au sujet de la gestion du fumier, m'incitent à faire montre d'optimisme. Ces recherches peuvent porter sur des sujets aussi variés que les digesteurs anaérobies et la granulation des déchets. On peut ainsi renoncer à faire de l'épandage sur certaines terres ou même vendre des fertilisants en granules à des céréaliculteurs, ce qui est une forme de mesure compensatoire.
Il serait peut-être bon de pouvoir compter sur des travaux de recherche pouvant faire en sorte que ces agriculteurs n'aient plus besoin d'une aussi grande superficie de terres.
Le sénateur Plett : Pour que des gens puissent acheter des terres, il faut bien sûr qu'ils y en aient d'autres qui soient prêts à en vendre. Sauf dans certains secteurs très précis, il devient de plus en plus difficile de rentabiliser une exploitation agricole. Les gens semblent très désireux d'obtenir rapidement un bon prix pour leurs terres. Je sais que vous n'avez pas de chiffres à ce sujet, mais cela nous ramène à la question de la propriété étrangère. Des gens arrivent au Canada et souhaitent y investir l'argent qu'ils possèdent.
Ce n'est pas une voie à sens unique. D'une part, il y a les acheteurs, mais de l'autre côté, il y a aussi des vendeurs. Comment pouvons-nous assurer une réglementation adéquate à l'égard de nos agriculteurs canadiens qui veulent vendre leurs terres et prendre leur retraite?
M. Bonnett : Je proposais notamment dans mon exposé que l'on envisage l'avenue fiscale. J'ai parlé de tous ces agriculteurs qui sont prêts à vendre en espérant obtenir un prix maximum. Dans les faits, c'est l'unique régime de retraite auquel ont accès certains de ces agriculteurs lorsqu'ils cessent leurs activités.
Si l'on pouvait faire en sorte que les lois fiscales ne les pénalisent pas au titre des intérêts qu'ils perçoivent en étant titulaires d'une hypothèque, ils seraient certes incités à vendre leurs terres à de nouveaux agriculteurs en exigeant un taux d'intérêt plus faible à long terme. La révision de certaines politiques fiscales pourrait permettre d'offrir à ces agriculteurs un incitatif à vendre leurs terres à un exploitant qui souhaite prendre de l'expansion ou à un nouvel agriculteur, tout en rendant le prix plus abordable. Il faut par ailleurs considérer que le nouvel acheteur doit aussi être capable de financer son acquisition.
La sénatrice Tardif : Merci d'être des nôtres ce matin et de nous avoir présenté votre exposé. Vous avez notamment indiqué que l'on estimait à 10 p. 100 l'augmentation de la valeur des terres agricoles en 2015. Sauf erreur de ma part, vous avez dit que cette hausse s'élevait à 13 p. 100 les années précédentes. Est-ce qu'il y a des variations entre les différentes régions du pays quant à cette augmentation de la valeur des terres?
M. Bonnett : Oui, il y a des variations. Tout dépend de la région où vous êtes. La valeur des terres agricoles varie surtout en fonction de facteurs locaux. Il est ainsi possible qu'il y ait dans certaines régions des pressions à la hausse en raison des activités de certains promoteurs. Comme je l'ai indiqué, l'augmentation du prix des céréales a fait grimper considérablement la valeur des terres dans l'Ouest canadien.
Je réside près de Sault Ste. Marie, en Ontario où j'ai une ferme. Un certain nombre de mennonites du Vieil Ordre se sont installés dans notre région. Ils achètent d'importantes quantités de terres, en petites parcelles, ce qui n'a pas manqué d'en faire augmenter considérablement la valeur au cours des 10 dernières années.
Je pense que ce sont surtout les facteurs locaux qui ont une influence.
La sénatrice Tardif : Vous avez parlé de l'Ouest canadien. Je suis moi-même de l'Alberta, et j'ai l'impression que la valeur des terres agricoles a fortement augmenté dans ma province et tout particulièrement dans le nord-est de celle-ci.
Est-ce que la situation est la même en Ontario ou au Nouveau-Brunswick, par exemple?
M. Bonnett : Je ne crois pas qu'il y ait eu vraiment d'augmentation au Nouveau-Brunswick, car ce n'est pas une région où l'on cultive beaucoup de céréales.
Je pense que la valeur est étroitement liée au prix des denrées. C'est ce que l'on a pu constater avec la hausse du prix des céréales dans l'Ouest au cours des dernières années. En fait, il y a deux éléments pour lesquels il y a eu augmentation ces dernières années, soit le prix des céréales et celui du bétail. D'après moi, c'est ce qui a fait grimper la valeur des terres dans l'Ouest. Il faut toutefois prévoir un certain recul, car le prix de ces denrées a baissé au cours des derniers mois, ce qui ne manquera pas de ralentir l'accroissement de la valeur des terres.
La sénatrice Tardif : Ma deuxième question concerne le niveau d'endettement agricole. On nous a dit que c'était devenu un véritable obstacle à l'arrivée de nouveaux agriculteurs dans le secteur. Quel serait le niveau moyen d'endettement agricole? Encore là, y a-t-il des variations entre les régions?
M. Bonnett : Il y a effectivement variation entre les régions, mais cet endettement se calcule en millions de dollars. Il n'est pas rare que la valeur d'une exploitation agricole atteigne aujourd'hui 5 millions de dollars, même si elle est de petite taille.
Encore là, tout dépend de la région. Dans le Sud-Ouest de l'Ontario, la valeur des terres agricoles peut se situer entre 15 000 et 20 000 $ l'acre. Chez moi, dans le Nord de l'Ontario, elle est d'environ 3 000 $ l'acre. Dans l'Ouest du pays, elle se chiffre quelque part entre 2 000 et 5 000 $ l'acre. La variation peut être aussi prononcée que cela.
Comme je le disais, le prix payé pour des terres agricoles dépend dans une très large mesure des denrées qui pourront être mises sur le marché grâce à son exploitation. Ainsi, un acheteur peut être disposé à payer davantage pour une très petite parcelle de terre s'il compte en tirer des récoltes d'une grande valeur, mais il ne pourra pas se permettre de payer un prix aussi élevé s'il se limite à la production de denrées de base.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J'aurai trois questions pour M. Bonnett. Dans votre présentation, vous dites que l'agriculture peut être peu rentable, et parfois, non rentable. Dans ces circonstances, pourquoi les terres canadiennes intéressent- elles tant les acheteurs étrangers?
[Traduction]
M. Bonnett : Voulez-vous que je réponde au fur et à mesure?
Le sénateur Dagenais : Oui.
M. Bonnett : Je crois que le phénomène de la propriété étrangère n'est pas tant attribuable à une question de rentabilité qu'au fait que les acheteurs étrangers considèrent les terres agricoles comme un investissement très stratégique. Ils proviennent de pays où il n'y a pas nécessairement de terres agricoles disponibles à des prix qu'ils considèrent abordables, et pensent en fonction de l'horizon 2050 où il nous faudra nourrir une population mondiale en pleine croissance. D'une certaine manière, j'ai l'impression qu'il y a des investisseurs étrangers qui ont reconnu la valeur des terres agricoles canadiennes mieux que nous avons su le faire nous-mêmes. Ils y voient davantage un investissement en se disant que ces terres ne vont pas manquer de prendre de la valeur étant donné la nécessité de pouvoir compter sur une capacité de production suffisante pour nourrir une population mondiale qui ne va pas cesser de croître.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Selon vos renseignements, ont-ils ciblé des régions en particulier pour l'achat de ces terres?
[Traduction]
M. Bonnett : Je dois vous rappeler encore une fois que nous ne disposons pas vraiment de données fiables et précises. Je dirais qu'il y a deux régions où il nous semble y avoir une activité particulièrement intense. Il y a d'abord la Colombie-Britannique où de fortes pressions s'exercent sur les prix des terres agricoles, surtout dans la vallée du Fraser. Nous avons pu aussi constater des investissements étrangers dans l'Ouest canadien d'une manière générale. Je dois toutefois insister sur le fait qu'il nous faut vraiment recueillir des données de qualité sur les ventes de terres agricoles pour savoir de quoi il en retourne exactement.
À partir de là, il nous sera possible de discuter de la valeur stratégique de ces terres pour les agriculteurs canadiens et des moyens à prendre pour faire en sorte qu'elles demeurent la propriété d'intérêts canadiens.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J'aurais une suggestion : ne pourrait-on pas imposer une taxe spéciale aux travailleurs étrangers? Les produits de cette taxe pourraient servir à créer un fonds qui aiderait les Canadiens à acquérir des terres, comme dans le domaine de l'immobilier à Vancouver. Il ne s'agirait pas de les empêcher d'acheter des terres, mais plutôt de créer un fonds.
[Traduction]
M. Bonnett : Je crois qu'une analyse plus approfondie est de mise quant aux effets d'une éventuelle taxe. Selon moi, il faut bien saisir l'ampleur du problème avant d'adopter une solution de cet ordre. Pour l'instant, je n'ai pas l'impression que les investissements par des acheteurs étrangers sont vraiment considérables. Il faudrait bien étudier la situation.
Une majoration fiscale n'est pas nécessairement à écarter, mais avant de songer prématurément à une telle mesure, il faudrait mener de vastes consultations auprès des agriculteurs et des économistes pour en connaître les répercussions.
Le sénateur Pratte : Je vous souhaite la bienvenue. Vous avez déjà mentionné à quelques reprises le problème du manque de données, surtout concernant les acheteurs étrangers. J'aimerais en savoir plus long à ce sujet.
Tout d'abord, à part la question des acheteurs étrangers, y a-t-il d'autres problèmes liés à l'accessibilité des données concernant les terres agricoles? Bien entendu, dans le cadre d'une étude comme la nôtre, l'accessibilité des données est fort importante si nous voulons avoir un portrait complet de la situation. Les données sont-elles facilement accessibles en ce qui a trait aux terres agricoles, sans compter la question des transactions étrangères?
M. Bonnett : Je pense que le manque d'uniformité d'une région à l'autre ou d'une province à l'autre est l'un des principaux problèmes. Il est très difficile de déterminer si, dans l'information qu'elles fournissent, les différentes provinces comparent des éléments comparables.
En fait, je pourrais demander à Scott s'il veut répondre, car il travaille beaucoup à ce dossier. Scott, voulez-vous dire quelque chose au sujet des données qui sont recueillies?
Scott Ross, directeur, Gestion des risques et de la politique agricole, Fédération canadienne de l'agriculture : Merci, Ron. La FCA est en train d'examiner les problèmes liés à l'accès aux terres agricoles dans le cadre des travaux d'un comité. Nous avons déterminé qu'il manque de renseignements sur trois plans. Premièrement, il manque une cartographie pédologique à jour sur les actifs que nous avons au Canada. Il y a de l'information sur les cartes pédologiques, mais elle est généralement périmée et remonte souvent à des décennies. Connaître simplement la situation des actifs, c'est assez important.
Deuxièmement, il doit y avoir une uniformité quant aux renseignements sur les changements qui se produisent dans l'utilisation des terres agricoles. Dans bien des cas, si les provinces recueillent ces renseignements, soit elles ne les regroupent pas, soit elles ne les rendent pas accessibles. Cela permettrait aux décideurs de savoir quels changements se sont produits sur le plan de l'utilisation des terres ainsi que de connaître les facteurs de ces changements.
Troisièmement, il faut avoir de l'information non seulement sur la propriété étrangère, mais également sur les intérêts des investisseurs. Un certain nombre d'entreprises d'investissement qui mènent des activités partout au Canada ont tendance à acheter d'assez grandes bandes de terre agricole, et il est très difficile d'obtenir l'information à ce sujet et de comprendre ce qui se passe, car les renseignements sur la participation sont très limités, pour des achats donnés.
Le sénateur Pratte : Vous avez parlé de cartographie pédologique. Pourriez-vous nous expliquer le concept?
M. Ross : Il s'agit de connaître l'état des sols dans une zone, la qualité des terres, le type de production possible et la catégorie de la terre agricole, et de savoir si l'état de cette terre a changé. L'un des problèmes que nous observons au Nouveau-Brunswick, par exemple, c'est que parmi les terres qui ont été abandonnées, beaucoup sont des terres agricoles. Au fil du temps, elles sont envahies et ne sont plus productives. Les aspects économiques liés à leur remise en production font en sorte essentiellement qu'il s'agit d'une perte permanente de terres.
Il s'agit simplement de comprendre ce qui a changé au fil du temps au chapitre de l'état des sols et des terres. Une grande partie de l'information sur la cartographie pédologique que nous utilisons provient de l'Index de l'Inventaire des terres du Canada. Le processus a été entrepris il y a environ 30 ans maintenant, et beaucoup de choses ont changé au cours de cette période.
Le sénateur Pratte : En fait, si notre comité voulait obtenir un portrait exact de la situation des terres agricoles — et je crois comprendre que c'est ce que vous essayez de faire également —, ce serait très difficile, n'est-ce pas?
M. Ross : Oui. C'est difficile. Je pense que c'est ce que demandent également les planificateurs de l'utilisation du sol partout au pays pour comprendre ce qui se passe. Ils ont besoin non seulement de certains renseignements regroupés à l'échelle nationale, mais aussi d'outils et d'aide pour recueillir cette information. C'est essentiel pour que nous puissions comprendre la question. Voilà pourquoi, comme l'a dit Ron, nous hésitons à proposer des solutions, car nous avons l'impression qu'il y a encore beaucoup de choses à faire pour comprendre toutes les questions en jeu.
Le sénateur Pratte : Enfin, y a-t-il quelqu'un, par exemple, au fédéral, à Statistique Canada, à Agriculture Canada, qui essaie présentement d'obtenir ce type de portrait de la situation au pays?
M. Ross : Dans le cadre du Cadre stratégique pour l'agriculture, un certain nombre d'investissements ont été faits à l'échelle provinciale pour la mise à jour de la cartographie pédologique, par exemple. Je sais que l'Ontario vient de faire des investissements importants dans la mise à jour de ses cartes. Cela nécessite vraiment la participation des provinces, qui doivent faire une bonne partie de la collecte.
L'investissement et l'aide existent. Je crois que ce qui est important, c'est en grande partie qu'il faut s'assurer que l'information est communiquée et est uniforme dans tout le pays et que nous connaissons les projets qui sont entrepris.
[Français]
Le président : Monsieur Ross, est-ce que chaque province a recueilli des renseignements sur l'état de ses sols, une cartographie de ses sols, et utilisent-elles toutes la même méthode de calcul? Si c'est le cas, le comité pourrait recevoir de chacune des provinces la cartographie de ses sols. Croyez-vous qu'elles utilisent toutes la même méthode? Il faut savoir si l'on travaille sur le même pied d'égalité et s'il est possible de recevoir ces renseignements de la part de chacune des provinces canadiennes.
[Traduction]
M. Ross : Je crois qu'elles ont probablement un certain nombre de méthodes en commun. Le problème, c'est le maintien à jour des données, et il s'agit donc de savoir si elles ont été recueillies récemment et si l'initiative lancée était complète. Chaque province a probablement de l'information comparable qui est accessible, mais il s'agit de déterminer si elle est à jour et si on a lancé l'initiative en utilisant le même type de méthode.
Je crois que de façon générale, l'information sur la cartographie pédologique est probablement comparable. C'est une question d'accessibilité de l'information.
La sénatrice Unger : Je remercie les témoins de comparaître ce matin. Certaines de mes questions ont déjà été posées, mais puisque je viens d'une famille d'agriculteurs, j'ai certains points de vue. Je ne crois pas que le gouvernement devrait participer... Dans un sens, il doit participer à la surveillance, comme vous l'avez dit, à la cartographie, et j'aimerais savoir combien coûte la cartographie pédologique.
De plus, concernant les terres agricoles, si l'on adoptait une réglementation gouvernementale, qui y gagnerait et qui y perdrait?
M. Bonnett : J'aimerais dire deux ou trois choses. Tout d'abord, je veux faire une observation sur la cartographie pédologique. L'une des choses qui semblent assez évidentes pour les agriculteurs lorsqu'ils achètent une terre agricole et qu'ils examinent la cartographie, c'est que l'échelle qui a été utilisée lorsque la cartographie a été réalisée n'est pas très exacte à l'échelle locale. Il pourrait y avoir un affleurement rocheux dans une zone désignée comme terre agricole de catégorie 1. Donc, l'un des éléments que nous devons examiner, c'est l'utilisation de nouvelles technologies, qu'il s'agisse de la technologie GPS ou de l'imagerie, pour vraiment déterminer dans quelle mesure la cartographie est juste, car dans des situations où la carte pédologique ne reflète pas ce que l'on observe sur le terrain, il y a alors des inexactitudes.
Je crois que cela apporte une réponse à votre question sur la capacité financière. Il serait difficile de fixer un prix agricole là-dessus, mais en utilisant la technologie que nous avons maintenant, il devrait être beaucoup plus facile qu'auparavant d'obtenir de l'information exacte.
Pour revenir sur le rôle du gouvernement, il s'agit vraisemblablement d'assurer l'uniformité des démarches. Comme on l'a mentionné, la planification de l'utilisation des terres relève des autorités provinciales, et le rôle du gouvernement fédéral, c'est d'essayer de s'assurer qu'elles utilisent la même méthode d'établissement de la cartographie et qu'elles essaient d'utiliser la même échelle.
Cela s'applique également à la collecte de renseignements sur les ventes. La façon de recueillir différents types d'information différera d'un lieu à l'autre, ce qui fait qu'il est très difficile d'avoir une analyse.
Concernant votre observation sur la réglementation, voilà pourquoi j'étais un peu réticent à ce qu'on se lance dans l'idée d'imposer une taxe aux acheteurs étrangers. Nous devons être prudents quant à ce qui se passe lorsque les gouvernements interviennent dans un marché, mais il est important d'avoir de l'information exacte. Il pourrait être justifié, à un certain moment, de restreindre l'utilisation des terres. Partout au Canada, il est généralement reconnu maintenant que, concernant les zones d'aménagement du territoire municipal, la désignation des terres importantes sur le plan agricole et l'adoption de politiques visant à les protéger sont de bonnes mesures. Autrement, des projets de développement finissent par nous priver d'une partie de cette ressource stratégique importante.
Le gouvernement pourrait intervenir en s'assurant que l'on recueille de l'information exacte et en désignant les vastes zones du territoire qui devraient faire partie du processus de la planification de l'utilisation des terres.
La sénatrice Unger : J'ai une observation au sujet d'une chose que vous avez déclarée. Vous avez dit un peu plus tôt qu'au Nouveau-Brunswick, beaucoup de terres ont été abandonnées. Cela pique ma curiosité. Encore une fois, pour revenir à la question de l'intervention du gouvernement, les mots les plus effrayants qu'un agriculteur peut entendre seraient probablement « je représente le gouvernement, et je suis ici pour aider ».
M. Bonnett : Je dois dire qu'il arrive que le gouvernement prenne des mesures utiles. J'ai mentionné que je vis dans le Nord de l'Ontario, et le gouvernement ontarien a décidé d'aménager des terres agricoles dans le Nord et de mettre en place des programmes pour contribuer au drainage par canalisations enterrées, par exemple. J'en ai profité sur notre propre exploitation, et je sais que c'est le cas d'un grand nombre d'autres agriculteurs. Il en résulte qu'un très grand nombre de terres sont drainées par canalisations enterrées, ce qui s'est traduit par d'énormes hausses de production.
Il y a des mesures que le gouvernement peut prendre pour encourager l'aménagement des terres. Vous avez parlé du Nouveau-Brunswick, et une grande partie de ce territoire a cessé d'être exploitée pendant une certaine période lorsque les produits des opérations agricoles n'étaient pas ce qu'ils sont maintenant.
Je ne veux pas donner une impression négative, et je dirais que la situation de l'économie agricole s'est améliorée de façon substantielle au cours des 10 à 15 dernières années. Les marges sont plus élevées qu'auparavant, et malgré le recul actuel des prix, nous sommes dans une bien meilleure situation qu'auparavant.
Ce que je disais dans mon exposé, c'est que la rentabilité d'une exploitation, c'est vraiment un moyen de s'assurer que la terre agricole appartient toujours à des agriculteurs et qu'elle est toujours exploitée par eux. Nous devons alors nous assurer que nous avons les outils qu'il faut pour maintenir les programmes, comme les programmes d'assurance, dans le prochain cadre stratégique pour l'agriculture afin de faire en sorte que l'agriculture soit une activité viable et rentable.
[Français]
La sénatrice Gagné : Je vous souhaite la bienvenue, et je vous remercie de votre présence ici ce matin. J'aimerais faire un suivi au sujet de la question du manque de données de qualité pour l'élaboration de politiques publiques.
Vous avez mentionné que, selon vous, le gouvernement canadien pourrait jouer un rôle en ce qui a trait à l'encadrement de la recherche dans ce domaine. Je peux certainement l'envisager, mais il reste que les provinces doivent être engagées dans ce processus.
Y aurait-il lieu de créer des liens avec des universités, notamment avec les facultés d'agriculture, d'administration des affaires et des hautes études commerciales, afin d'approfondir la recherche? En existe-t-il à l'heure actuelle?
[Traduction]
M. Bonnett : Je vais répondre rapidement. On a beaucoup parlé des grappes de recherche qui ont été créées ces dernières années, qui regroupent des universités de différentes provinces pour déterminer les principaux problèmes à régler, et qui réunissent un certain nombre d'intervenants. Il y a des exemples.
Je ne crois pas que la consignation des données, les politiques d'utilisation des terres et la cartographie pédologique aient été définies comme étant des questions prioritaires, et il y aurait donc une démarche où cela fonctionnerait.
Scott, voulez-vous dire quelque chose là-dessus également?
M. Ross : Des travaux sont menés présentement à l'échelle nationale. Une étude pancanadienne menée par M. David Connell, de l'Université du Nord de la Colombie-Britannique, porte sur les politiques sur la préservation des terres agricoles au Canada. Il s'agit d'examiner les différentes interventions et les différentes démarches provinciales et de les comparer.
Nous avons constaté que les établissements universitaires et les groupes comprenant des acteurs des industries et des universités ont mené peu de travaux de recherche sur la cartographie pédologique et certains des autres activités dont nous parlons ici.
En ce qui concerne le rôle du fédéral par rapport à celui des provinces, ce que nous avons imaginé dans le cadre de nos discussions, c'est que le gouvernement fédéral prenne l'initiative de réunir les provinces et d'en discuter. Au bout du compte, les interventions et la collecte de données relèvent des provinces et, à notre avis, le rôle du gouvernement, idéalement, c'est d'amorcer une conversation et de s'assurer que tout le monde parle à l'unisson à cet égard.
[Français]
Le président : J'aimerais ajouter un petit commentaire, monsieur Ross. Aujourd'hui, avec les nouvelles technologies, il est beaucoup plus facile de cartographier et d'identifier les terres agricoles qu'il y a 50 ans. Je crois que l'Université de Guelph, en Ontario, a acquis une certaine expertise à ce chapitre, et je vous inviterais à communiquer avec elle. On est en 2016, et nos moyens sont différents de ceux dont nous disposions dans les années 1970.
[Traduction]
La sénatrice Tardif : J'ai été préoccupée de vous entendre dire que moins de 7 p. 100 de notre territoire est utilisé à des fins agricoles. Cela ne semble pas beaucoup. Je suis sûre que la disponibilité des terres agricoles est essentielle si nous voulons soutenir la concurrence et maintenir notre productivité pour les produits agricoles et agroalimentaires au Canada. Quelles stratégies mettez-vous en place pour vous assurer que nous conservons ce que nous avons et que nous finissons peut-être par dépasser ce 7 p. 100?
M. Bonnett : Sur le plan des stratégies, à ce moment-ci, il s'agit de faire connaître l'importance des terres agricoles et de s'assurer que les municipalités et les provinces ne perdent pas cela de vue dans la planification de l'utilisation des terres. Comme on l'a déjà mentionné, cela englobe à la fois les municipalités, les provinces et le fédéral. S'assurer que l'agriculture continue d'être un principal moteur économique est une question d'intérêt national. Il faut comprendre que les autorités provinciales ont les pouvoirs concernant la planification de l'utilisation des terres, et qu'une bonne partie est déléguée aux municipalités.
La structure de la Fédération canadienne de l'agriculture fait en sorte qu'elle compte des organisations agricoles provinciales parmi ses membres. De leur côté, ces organisations ont des sections ou des fédérations locales qui présentent ces politiques aux conseils locaux.
La collectivité agricole participe très activement dans les dossiers de planification de l'utilisation des terres à l'échelle locale. Notre stratégie consiste à sensibiliser les gens et à veiller à ce que nous puissions informer les gens à l'échelle locale des problèmes qui ont été soulevés à l'échelle nationale pour nous assurer qu'ils participent aux discussions sur la planification de l'utilisation des terres qui ont lieu dans leur secteur.
La sénatrice Tardif : Je sais que bon nombre de pays achètent des terres ailleurs pour des raisons liées à la sécurité et à la salubrité alimentaires. En avons-nous assez pour répondre à nos propres besoins? Je sais que nous exportons beaucoup, mais à long terme, est-ce que la proportion de 7 p. 100 suffit à assurer la sécurité des aliments au Canada?
M. Bonnett : Assurément. Nous produisons deux fois plus que ce que nous consommons. Je crois que nos exportations représentent environ 60 p. 100 de notre production.
Comme nous l'avons dit, des terres peu productives pourraient être exploitées au Canada. Le Nord du Québec et le Nord de l'Ontario ont une énorme ceinture d'argile qui pourrait être aménagée et, avec les facteurs climatiques en évolution, ces terres pourraient être mises en production.
L'autre élément que nous devons examiner, ce sont les travaux de recherche sur les gains de productivité qui permettront au Canada d'être l'un des seuls pays au monde, d'ici à 2050, pouvant encore produire beaucoup plus qu'il consomme. Cela contribuera non seulement à la sécurité alimentaire en général, mais également à l'économie canadienne.
Je crois qu'un certain nombre de sujets vont au-delà de ce que vous examinez dans le cadre de votre étude sur l'acquisition des terres agricoles, comme veiller à ce que le secteur agricole ait accès à de la main-d'œuvre de sorte que nous puissions répondre aux besoins d'une population mondiale croissante. Il s'agit d'une vaste discussion, mais sur le plan du territoire, nous avons beaucoup de possibilités d'augmenter notre productivité.
Le sénateur Oh : Je remercie les témoins. Dans l'étude générale préparée par la Bibliothèque du Parlement, qui s'intitule L'accaparement des terres agricoles au Canada, on dit que parmi les récentes acquisitions de terres agricoles qui ont suscité la controverse, plusieurs ont été effectuées par des entités canadiennes et non par des étrangers. Que dites-vous de cette affirmation? Que pensez-vous de l'acquisition de terres par des étrangers et par des citoyens au Canada?
M. Bonnett : Je reviens constamment à la nécessité d'obtenir de l'information sur la propriété étrangère. Tout dépend de notre façon de voir la propriété étrangère. S'il s'agit d'un étranger qui arrive au pays, puis achète une terre agricole qu'il exploite lui-même à titre de ferme familiale, c'est une situation que nous observons depuis 30 ou 40 ans, que ce soient des agriculteurs néerlandais qui s'installent dans le sud-ouest de l'Ontario, ou des agriculteurs ukrainiens dans l'Ouest canadien. On observe déjà le phénomène.
La situation est plus préoccupante lorsque des propriétaires étrangers viennent acheter de vastes parcelles de terre à titre d'actif seulement, après quoi ils embauchent quelqu'un pour gérer cet actif. Je pense que la relation avec la personne qui exploite la terre est plus importante que la question de savoir si cette personne vient d'ailleurs ou non.
Dans le cas de sociétés de placement qui font l'acquisition de parcelles de terre agricole, nous devons vérifier les politiques en place pour nous assurer qu'une telle relation existe toujours avec la personne qui contrôle l'usage des terres.
Si l'investissement étranger contribue à apporter des capitaux aux agriculteurs qui veulent accroître leurs activités, ou aux jeunes agriculteurs qui souhaitent investir dans l'agriculture, il pourrait s'agir d'une autre forme de capital permettant de rentabiliser l'exploitation des agriculteurs, en plus des banques et du crédit agricole.
La réponse est donc une combinaison de ces éléments, mais l'essentiel, c'est de veiller à ce qu'il y ait encore une relation avec la personne à qui appartient véritablement la ferme et qui a le contrôle de l'actif.
Le sénateur Plett : Monsieur Ross, vous avez parlé de terres qui ne sont plus exploitées en réponse à une des questions du sénateur Pratte. Je n'en ai pas beaucoup entendu parler, et j'aimerais que vous nous expliquiez davantage la situation.
Lorsque mes ancêtres sont arrivés ici en 1874, ils ont dû biloquer la terre. Ils ont dû enlever les roches et déraciner les arbres, et le sud-est du Manitoba compte désormais certaines des terres les plus rentables au pays.
Je trouve étrange que des terres qui ont été exploitées pour la production de cultures deviennent tout d'un coup sans valeur parce qu'elles sont envahies de mauvaises herbes. Dans quelle mesure est-ce un problème? Combien d'acres de terres semblables avons-nous? Je trouve la situation très étrange. Nous devrions peut-être demander aux mennonites de prendre en charge ces terres. Ils pourraient bien s'en sortir.
M. Ross : Je ne peux pas vous indiquer la portée réelle du problème. Je n'ai pas de chiffres sur son étendue au Canada. De façon générale, il ne s'agit pas d'un problème courant dans la plupart des provinces.
C'est dans certaines régions du Nouveau-Brunswick que nous avons vu des terres abandonnées et que le problème a été soulevé. C'est surtout attribuable au manque d'infrastructures adéquates dans le secteur, d'installations de transformation primaire, d'infrastructures connexes ou d'exploitations à proximité. Il doit être rentable pour les agriculteurs de la région de vraiment biloquer la terre à nouveau pour l'exploiter.
Nous avons constaté que le phénomène est principalement attribuable à une mauvaise conjoncture économique dans certaines situations, puis au manque d'infrastructures adéquates dans la région qui feraient en sorte que l'investissement soit vraiment rentable pour les agriculteurs des secteurs avoisinants.
Le sénateur Plett : Si c'est un problème, je voudrais que vous nous fassiez parvenir, par l'entremise du greffier, des chiffres sur l'ampleur de la situation au pays. La question m'intéresse beaucoup.
M. Ross : Certainement.
M. Bonnett : Puis-je répondre à la question?
Le sénateur Plett : Oui, allez-y s'il vous plaît.
M. Bonnett : Je peux vous donner un exemple précis concernant la Great Clay Belt du Nord de l'Ontario dont j'ai parlé. À une époque, il y avait beaucoup de terres défrichées dans ce secteur, et voici pourquoi. À ce moment, l'industrie forestière se servait de chevaux pour sortir les billes de la forêt, de sorte qu'il fallait beaucoup de foin pour nourrir les bêtes.
Selon les chiffres que j'ai vus sur les environs de Cochrane seulement, en Ontario, près de 1,25 million d'acres servaient à nourrir les chevaux. Il va sans dire que ce marché a disparu, de sorte que toutes ces terres sont de nouveau recouvertes de forêts. Il s'agit donc de terres qui pourraient être productives, mais qui ne sont plus exploitées.
Il s'agit là d'un exemple concret de la façon dont l'évolution du marché et la rentabilité ont mené à l'abandon de terres, mais celles-ci pourraient être exploitées de nouveau.
Le sénateur Plett : Il y a beaucoup de fermes laitières en Ontario, comme je l'ai mentionné plus tôt. Pourquoi ne pas encourager des producteurs laitiers à s'installer là-bas? Ces exploitations ont besoin d'acres de terres pour épandre le fumier. Même si les cultures sont négligeables, elles atténueraient au moins un des problèmes, et nous pourrions attirer de grands producteurs laitiers ou possiblement des producteurs de porcs dans le secteur.
M. Bonnett : À vrai dire, il y a actuellement un programme qui vise à encourager les producteurs de bœuf à s'installer dans cette région. On reconnaît que cela pourrait créer des débouchés.
Le sénateur Ogilvie : Je comprends tout ce dont nous discutons aujourd'hui, et je ne comptais pas aborder la question, mais je dois dire que cette affaire de terres inexploitées n'est pas un grave problème. C'est plutôt attribuable à l'évolution de l'Est du Canada. Je suis originaire de la Nouvelle-Écosse, et je possède une de ces fermes qui étaient autrefois exploitées, mais qui ne le sont plus.
Dans l'Est du Canada, plus particulièrement au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, il y avait autrefois des exploitations agricoles sur des parcelles de terre relativement petites par rapport à celles du Canada central et de l'Ouest canadien, et ce, avant même l'ouverture de l'Ouest. Nous avions des exploitations agricoles d'un total de 250 acres, par exemple, mais toute la superficie n'était pas cultivée. Il y avait des terres très productives le long d'une rivière, disons, alors que la colline était partiellement recouverte de forêt. Une famille arrivait très bien à survivre avec une combinaison d'agriculture et de forêt, de laquelle elle récoltait du bois et d'autres ressources semblables. Au fil du temps, ces fermes ont cessé d'être productives étant donné que la génération suivante ne voulait pas essayer d'exploiter une propriété aussi petite.
Ma parcelle de terre dont j'ai parlé est bordée d'un tronçon de route d'environ 100 kilomètres en Nouvelle-Écosse, et on y trouvait autrefois une ferme familiale aux quarts de kilomètre. Aujourd'hui, il n'y a plus que deux exploitations rentables en activité sur la totalité du tronçon, et il s'agit en fait de fermes laitières productives.
La terre est toujours là, mais elle est en grande partie recouverte de végétation, comme vous l'avez dit. Il faudrait investir pour la rendre cultivable. Dans le cas de ma parcelle de 75 acres, 65 étaient défrichés lorsque je l'ai achetée. J'ai payé pour que quelqu'un fauche le foin chaque année, car je ne peux même pas le donner dans la région, ou du moins, je ne pouvais pas le faire jusqu'à très récemment.
Pour ce qui est du concept de disponibilité des terres, je suis d'accord avec ce que M. Ross et vous avez dit aujourd'hui : il est très difficile de faire des généralisations abusives puisque nous ne savons pas trop combien de terres étaient utilisées autrefois, et encore moins combien de terres jamais exploitées pourraient en fait devenir des terres agricoles productives si elles étaient défrichées.
Ce que je viens de dire sur la Nouvelle-Écosse porte sur une province qui abrite l'une des régions agricoles les plus productives au pays, à savoir la vallée d'Annapolis, là où j'habite. Il y a là-bas des fermes extraordinairement productives, concurrentielles et rentables; pourtant, très peu d'entre elles mesurent leur superficie en sections d'un mile carré, comme nous le faisons dans l'Ouest. Compte tenu de la nature du terrain et de la capacité de collaboration des exploitations dans le cas des gros équipements modernes et de la rotation des cultures, les fermes peuvent tout de même être extrêmement concurrentielles.
Nous nous retrouvons donc avec une province dont les terres agricoles exploitées sont incroyablement productives, et qui possède de nombreuses terres qui ne sont plus exploitées pour diverses raisons. Il s'agit bien souvent de motifs sociologiques étant donné que les gens ne vivent tout simplement plus dans les régions rurales de l'Est du Canada comme ils le faisaient autrefois.
Il est selon moi fort important que le comité tente concrètement de connaître le potentiel de ces terres et leur emplacement actuel. M. Ross a très clairement soulevé un enjeu important : il faut un registre à jour des terres, qui doit aussi indiquer la qualité et l'utilisation possible de la terre. J'ai vraiment été sensible à ce que vous nous avez dit aujourd'hui.
M. Bonnett : J'ai un petit commentaire à ce sujet. Je pense que vous avez soulevé deux éléments déterminants. D'une part, bon nombre des questions relatives à l'utilisation des terres et aux acquisitions sont très locales. La situation de l'Ouest du Canada est probablement fort différente de celle de la Nouvelle-Écosse. Je sais que les choses se passent différemment dans le Nord de l'Ontario, où je vis et j'exploite une ferme, que dans le sud de la province.
D'autre part, vous avez dit qu'il faut s'assurer que tout est dicté par le marché. J'ai dit que la production de foin avait été abandonnée dans le Nord de l'Ontario parce que les chevaux ont disparu. Il s'agit là d'un facteur relatif au marché. Du côté de la Nouvelle-Écosse, vous avez parlé du changement concernant le bétail et les petits agriculteurs, une situation qui était équilibrée. Mais en même temps, vous constaterez dans l'Est du Canada une croissance considérable du secteur du bleuet. Les agriculteurs ont donc trouvé un marché pour régler un problème agricole émergent.
Voilà qui fait suite à la présentation, c'est-à-dire que la meilleure façon de garantir la survie d'une terre agricole est d'employer tous les outils existants pour assurer la rentabilité de l'exploitation. Peu importe si la terre compte 20 ou 5000 hectares; la rentabilité doit être au cœur des préoccupations pour que la terre agricole demeure productive.
[Français]
Le président : Avant de céder la parole au sénateur Pratte, j'aimerais, très rapidement, transmettre une information aux membres du comité.
Il existe un inventaire des terres du Canada, mieux connu sous l'acronyme ARDA, qui couvre un million de milles carrés. Les registres appartiennent à chacune des provinces. L'inventaire comprend les trois provinces centrales, l'Ontario, le Québec et les Maritimes, et est mis à disposition par les gouvernements provinciaux au coût de 20 $ la carte.
[Traduction]
La sénatrice Unger : Selon nos informations, il semble qu'un rapport du département américain de l'Agriculture a été publié entre 2007 et 2011, et qu'il portait sur la propriété étrangère de terres en culture et sur l'augmentation du nombre de pâturages. Les changements étaient cependant surtout attribuables aux sociétés éoliennes étrangères qui contractaient des baux à long terme sur des terres agricoles. Croyez-vous que ce genre de situation se produit au Canada? Je sais par exemple que d'assez nombreuses terres accueillent des éoliennes en Ontario, mais j'ignore si ces moulins peuvent cohabiter avec des terres agricoles. Ce genre d'arrangement est-il une bonne idée?
M. Bonnett : La question des éoliennes a été très controversée en Ontario. Les agriculteurs qui ont des éoliennes sur leur propriété et qui touchent des revenus trouvent l'idée excellente. En revanche, les voisins qui n'ont pas d'éolienne et ne reçoivent pas d'argent ne sont pas du même avis. Tout dépend de votre point de vue. Nous avons d'ailleurs des panneaux solaires sur notre ferme. Il s'agit probablement d'une nouvelle tendance.
Si je devais donner des conseils, je m'attarderais à la planification de l'utilisation des terres pour éviter dans la mesure du possible que des terres agricoles de grande valeur cessent d'être exploitées. Voilà qui nous ramène à la portée de la cartographie. Il y a des secteurs de ma terre qui peuvent accueillir des panneaux solaires ou des éoliennes sans avoir la moindre incidence sur l'agriculture, puisque le terrain est rocheux à ces endroits. Une excellente terre pouvant être exploitée se trouve juste à côté.
Je pense que la question de savoir si c'est une bonne idée ou non est très locale. Les agriculteurs ont ainsi l'occasion d'accroître leurs revenus, mais il faut s'en remettre à la cartographie des sols pour comprendre où les éoliennes doivent être installées. J'estime que les éoliennes et les panneaux solaires ne devraient pas occuper des terres agricoles de grande valeur étant donné que la ressource pourrait être exploitée ultérieurement, particulièrement lorsqu'il y a toutes sortes de terrains pouvant accueillir les installations sans aucune incidence sur la productivité agricole.
Le président : Monsieur Bonnett et monsieur Ross, je vous remercie infiniment de votre participation à notre comité. C'était fort intéressant.
[Français]
Le président : Pour la deuxième partie de cette réunion, nous recevons M. Paul Glenn, président de la Table pancanadienne de la relève agricole.
Monsieur Glenn, vous avez un document à nous présenter, et ensuite, les sénateurs vous poseront des questions. Nous vous demanderions d'agir assez rapidement. Il nous reste 55 minutes, et je suis certain que les sénateurs auront beaucoup de questions à vous poser.
À vous la parole.
[Traduction]
Paul Glenn, président, Table pancanadienne de la relève agricole : Merci. Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui pour vous présenter le point de vue d'un jeune agriculteur, qui vous parle au nom de la Table pancanadienne de la relève agricole.
Quand je pense au Canada, je pense à l'agriculture. De l'Atlantique au Pacifique, le Canada est un pays agricole. Comme Ron l'a dit tout à l'heure, il y a de moins en moins de terres agricoles en production, une tendance qui devrait se poursuivre pour les années à venir, surtout dans ma région.
L'achat de terres agricoles à prix élevé entre exploitants agricoles est effectué en tirant parti des terres privées actuelles afin de réaliser les économies d'échelle nécessaires à la survie des agriculteurs et des modèles d'affaires d'aujourd'hui et de demain. Lorsque les terres agricoles sont achetées par des personnes qui ne sont pas des agriculteurs, les négociations entourant la location des terres deviennent plus difficiles. Le loyer foncier peut être l'artisan du succès ou la cause de l'échec d'une exploitation. Certaines sociétés d'investissement souhaitent augmenter leur loyer foncier d'année en année, indépendamment du cours des denrées, ce qui limite le bénéfice net et fait en sorte qu'il faut encore plus de terres pour réaliser des économies d'échelle. Les retraités qui achètent des terres après avoir quitté le centre-ville pour vivre en campagne manquent très souvent de connaissances sur la location de terres agricoles, ou n'ont pas l'intention de louer leur terre, de sorte que celle-ci cesse d'être exploitée. Ce ne sont que quelques-uns des nombreux facteurs qui contribuent à rogner les marges bénéficiaires et à décourager les jeunes et les nouveaux venus à se lancer dans le secteur agricole.
Quelques solutions : limiter les investissements étrangers; continuer d'offrir des programmes pour que les jeunes agriculteurs aient accès au capital nécessaire pour acheter des terres, et assurer la croissance de tels programmes; et réduire les taux d'intérêt de l'achat de terres agricoles par des agriculteurs. Nous devons protéger notre assise territoriale étant donné qu'elle est très limitée.
Si l'agriculture n'est pas rentable, elle n'attirera pas nos jeunes très brillants, talentueux et débrouillards.
Je vous remercie.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je vais revenir à la question que j'ai posée à M. Bonnett concernant le financement des terres agricoles. Tout d'abord, nous savons que c'est très dispendieux. Depuis un certain temps, on constate que les étrangers s'intéressent à nos terres agricoles. Que pensez-vous de l'idée d'imposer une taxe aux acheteurs étrangers? Ce pourrait être une taxe de 15 p. 100. Avec ces recettes, on pourrait créer un fonds pour aider les jeunes agriculteurs canadiens à acquérir des terres agricoles ou, du moins, à les conserver.
[Traduction]
M. Glenn : Je pense que je serais personnellement en faveur d'une telle taxe étant donné qu'il est difficile de composer avec des propriétaires fonciers à l'échelle provinciale et nationale. Lorsqu'on a affaire à des propriétaires fonciers qui viennent de très loin à l'étranger, il se peut que ceux-ci augmentent graduellement les taux de location des terres, plus particulièrement. Or, une telle augmentation n'a tout simplement pas sa place en agriculture étant donné que le cours des denrées ne monte pas d'année en année. À vrai dire, on constate plutôt que les cours sont actuellement à la baisse. Je pense donc que ce serait fort avantageux pour les agriculteurs canadiens.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Si vous aviez une suggestion à faire au gouvernement pour soutenir le financement de l'achat de terres agricoles ou le maintien de celles-ci, quelle serait-elle? Bien souvent, ceux qui ont acheté des terres agricoles ont dû s'endetter. Quelle serait votre suggestion pour aider les agriculteurs?
[Traduction]
M. Glenn : Pour les jeunes agriculteurs, des programmes sont disponibles par l'entremise d'Agriculture et Agroalimentaire Canada. Si nous bonifions quelques-uns des programmes en offrant des taux d'intérêt plus bas, surtout pour l'achat de terres, même si nous prolongeons la période de financement, nous pourrions ainsi rendre l'achat de ces terres abordable. À mesure que le prix des terres augmente, il n'est tout simplement pas logique sur le plan commercial de faire l'acquisition de ces terres, car les récoltes ne permettront tout simplement pas de payer la note.
Dans mon exploitation agricole, nous essayons à l'heure actuelle de garantir notre avenir. La solution consiste à faire l'acquisition de terres agricoles, car je sais qu'un grand nombre de terres agricoles que nous louons depuis des années ont été achetées par des investisseurs de la ville ou des gens qui veulent prendre leur retraite à la ferme, et je ne les blâme pas d'avoir ces plans, mais soit ils n'ont aucun intérêt à louer les terres, soit ils n'aiment pas les pratiques agricoles actuelles et modernes qui s'inscrivent dans mon modèle d'affaires. Cela crée de nombreux défis.
[Français]
Le sénateur Dagenais : On a mentionné, lors de la première intervention, que les acheteurs étrangers avaient une perspective à long terme jusqu'à environ 2050. Qu'est-ce qui fait qu'on vise 2050?
Soit il y a un manque d'intérêt de la part des Canadiens à l'égard de l'agriculture, soit on est incapable de créer une vision financière à long terme au-delà de 2050. Que pensez-vous de l'horizon 2050? Qu'est-ce qui sera prioritaire à ce moment-là?
[Traduction]
M. Glenn : Pour être honnête, je ne suis pas certain de la raison pour laquelle nous sommes arrivés avec la cible de 2050. Je sais que le secteur agricole n'est pas quelque chose de précis; l'agriculture évolue très rapidement d'année en année. Les prix étaient très élevés il y a de cela cinq ans, puis l'année suivante, ils ont atteint des taux dérisoires.
Il est extrêmement difficile de gérer une entreprise avec des taux qui fluctuent beaucoup, et si nous voulons encourager plus de jeunes à se lancer dans l'agriculture, nous devons avoir des assises solides. Le prix des terres ou les accords de location de terres entreront en ligne de compte pour venir en aide aux jeunes agriculteurs en raison des sommes considérables requises.
Le sénateur Plett : Le témoin précédent, en réponse à la question de la sénatrice Tardif qui voulait savoir si nous avions suffisamment de terres pour répondre à nos besoins, a dit que 60 p. 100 de nos produits sont exportés. Vous dites que nous avons des assises territoriales limitées. Le témoin précédent a également signalé que de nombreuses terres cessaient d'être cultivées pour une raison ou une autre, et je suis certain que vous en avez entendu parler. Il y a un peu une contradiction, à mon avis. Je me demande ce qu'il en est.
J'aimerais que vous m'expliquiez brièvement pourquoi les terres sont limitées et que vous recommandiez une solution pour quelques-uns des problèmes. Nous avons parlé de la propriété étrangère. Apparemment, nous disons que des terres appartiennent à des intérêts étrangers, mais nous n'avons pas de statistique à ce sujet. Pour pouvoir dire si nous avons trop de terres qui appartiennent à des intérêts étrangers, nous devons savoir s'il y en a effectivement trop et combien exactement.
Combien de ces terres — et je pose la question encore une fois, car le témoin ne pouvait pas y répondre — ont été exploitées par des promoteurs immobiliers? J'ai développé des terres dans le village où je vivais pendant un certain nombre d'années. Combien de ces terres sont le résultat d'acquisitions par des personnes qui construisent sur ces terres des propriétés résidentielles, aménagent des parcelles de terres de cinq acres, et ainsi de suite?
Où sont les problèmes? Où les assises territoriales sont-elles limitées, et que suggérez-vous comme solution?
M. Glenn : Une partie des terres auxquelles je fais allusion sont des terres agricoles situées autour de grands centres urbains. Si vous faites référence à la région de Toronto, je pense qu'il y a la possibilité d'avoir des terres agricoles très productives, mais en raison de la spéculation foncière, les terrains sont manifestement achetés pour la spéculation foncière et pour les investisseurs.
Mon exploitation agricole est située aux abords du Bouclier canadien, qui est un peu plus au nord, où le territoire est très marécageux. Je vis à Peterborough, en Ontario, à environ trois heures au sud-ouest. Entre Perth et Peterborough, il y a une abondance de terres agricoles productives.
Le truc, compte tenu de l'emplacement de mon exploitation et de l'expansion de la ville — et je ne pense pas que nous pourrons empêcher cette expansion —, c'est d'avoir la capacité d'être propriétaire de terres ou de signer des accords de location qui me permettront de pratiquer l'agriculture de façon rentable. De toute évidence, avec les changements climatiques, il y a des avantages à aller un peu plus au nord. Plus de terres ont des unités thermiques, si bien qu'il est un peu plus rentable de cultiver ces terres également.
Je ne peux pas dire, car nous n'avons pas les statistiques sur les terres qui appartiennent à des intérêts étrangers, mais il n'y en a pas dans ma région. Je fais davantage référence aux régions situées autour des centres urbains en ce qui concerne la spéculation foncière.
Le sénateur Plett : Je vais vous poser une question hypothétique. Vous pouvez demander à d'autres ce qu'ils feraient.
Vous êtes agriculteur et vous avez une terre de 2 000 acres près de la ville de Toronto. Cette terre, pour pouvoir la cultiver, vaut 13 000 $ l'acre. Si c'est pour faire prendre de l'expansion à la ville, elle vaut entre 500 000 $ ou 1 million de dollars l'acre. Qu'allez-vous faire? Allez-vous la cultiver, ou allez-vous la vendre?
M. Glenn : Hypothétiquement, je la vendrais et j'achèterais 10 fois la superficie de la terre ailleurs.
Le sénateur Plett : Exactement. Le problème comporte donc deux volets. Il y a les gens qui arrivent et achètent les terres et tous ceux qui les vendent, qui feront exactement la même chose. Je ne crois pas que nous ayons un État socialiste où nous pouvons entièrement contrôler ces ventes.
M. Glenn : C'est une question intéressante, car je possède actuellement une terre située autour du centre-ville. Il y a toujours de la planification stratégique à faire. Comme vous dites, il n'y a pas vraiment de façon d'empêcher la ville de prendre de l'expansion. C'est inévitable. Il y a toujours de la planification à faire, à savoir si je vends cette parcelle de terre et que je fais prendre de l'expansion à mes terres plus loin, ou si je vends 100 acres pour pouvoir en acheter 1 000 ailleurs. Cela me donne simplement la capacité de faire des économies d'échelle.
Le sénateur Plett : Ce que vous allez faire alors, si vous voulez cultiver la terre, vous utiliserez vos 10 millions de dollars que vous venez de faire pour acheter des terres ailleurs, et vous pourrez verser une prime. Ce sera un cercle vicieux. Vous avez maintenant l'argent pour payer des prix au-dessus de la normale ailleurs, et il sera très difficile de vous faire concurrence.
M. Glenn : C'est exactement ce qui se passe au Canada en ce moment — en Colombie-Britannique, les terres valent 50 000 $ et plus l'acre. Vous verrez que dans le centre du Canada, dans l'Ouest, au Manitoba et en Saskatchewan, le prix des terres a doublé, triplé ou quadruplé au cours des cinq dernières années pour ces raisons.
Là encore, je n'ai pas de réponse pour vous. Je n'en ai vraiment pas.
La sénatrice Tardif : Merci d'être ici aujourd'hui. J'essaie de comprendre la situation des jeunes agriculteurs. Ceux que je connais en Alberta ont continué leurs activités parce qu'ils ont des fermes familiales.
Les nouveaux venus dans le secteur agricole, les jeunes agriculteurs, se lancent-ils dans l'exploitation agricole parce qu'ils ont des fermes familiales, ou y a-t-il de nombreux nouveaux venus qui disent, « Je veux être agriculteur, mais mes parents n'avaient pas de ferme »? Combien de jeunes agriculteurs font-ils ce qu'ils font parce que leurs parents possédaient une ferme?
M. Glenn : Le moyen facile de devenir agriculteur est d'être né sur une ferme, c'est certain. Il est extrêmement difficile pour un nouveau venu de devenir agriculteur, simplement à cause des capitaux nécessaires, mais c'est pourquoi on voit un grand nombre de jeunes agriculteurs qui se concentrent sur des créneaux et vendent des cultures de grande valeur à des marchés agricoles. S'ils ont seulement trois ou quatre acres, ils peuvent produire des cultures de plus grande valeur pour générer des revenus.
Je pense qu'il est extrêmement difficile pour n'importe quel jeune agriculteur d'acheter 100 acres. Une ferme de 100 acres ne suffit pas pour générer des revenus nécessaires pour vivre, alors il faut des centaines d'acres. Si vous êtes un nouveau venu dans le secteur agricole, la location de terres est le seul moyen de commencer, si vous cultivez la terre.
La sénatrice Tardif : Pouvez-vous faire de l'argent en louant une terre? Évidemment, mais est-ce rentable? Est-ce la seule façon d'entrer sur le marché? Entre être propriétaire ou locataire, y a-t-il moyen de réaliser des profits si vous louez la terre?
M. Glenn : C'est tout à fait possible, mais cela dépend de l'accord de location et de la relation entre le propriétaire et le locataire. Si le prix des récoltes diminue pour les cinq prochaines années et que votre contrat de location augmente, tout le monde veut obtenir un rendement sur leur investissement, et je ne peux pas les blâmer, mais à un moment donné, on atteint des chiffres qui sont insensés. Pour un nouveau venu, c'est la raison pour laquelle c'est difficile, car habituellement, si vous venez tout juste d'entrer dans le secteur agricole, pour faire l'acquisition de terres, vous allez payer le gros prix.
La sénatrice Tardif : Combien d'argent faudrait-il? Je sais que le montant dépend de la culture et de la région, mais, par exemple, combien d'argent faudrait-il pour acheter une terre dans l'Ouest canadien? Les machines agricoles coûtent très cher. Quelles seraient les sommes à investir?
M. Glenn : Cela dépend du prix des terres si vous prévoyez acheter des terres. L'équipement coûte cher. Là encore, le matériel agricole conserve très bien sa valeur comparativement à l'équipement dans d'autres secteurs.
Je ne pense pas pouvoir chiffrer les capitaux nécessaires, car les plans commerciaux varient énormément. Sur le marché agricole, il vous faudra 100 000 $ et plus pour commencer, acheter l'équipement et payer le coût des intrants. Pour un producteur de grain, il faudra des centaines de milliers de dollars.
Le sénateur Pratte : Bienvenue au Comité. Lorsque nous planifiions cette étude, nous avions en tête la propriété étrangère et l'achat de terres par de grands investisseurs. Vous avez surtout parlé de citadins qui achèteront des terres agricoles pour leur retraite, ce qui pourrait être un problème plus courant, d'après vous.
J'étais peut-être distrait, mais je n'ai pas entendu la solution que vous avez proposée pour la question des citadins qui achètent des terres agricoles et qui sont intéressés à louer des terres. Quelle solution proposez-vous à ce problème?
M. Glenn : Je ne sais pas si c'est possible si vous avez des terres viables maintenant et que vous les retirer de la production pour imposer une taxe. Je ne suis pas certain si c'est possible ou si c'est une bonne idée. Des mesures doivent être prises pour aider les gens qui veulent louer leurs terres ou pour les aider à négocier un prix de location qui est juste et raisonnable pour assurer la rentabilité de l'exploitation.
Le sénateur Pratte : Au Québec, les terres agricoles sont réglementées très rigoureusement. Je ne suis pas certain si les règlements empêchent que ces situations surviennent ou s'il existe une solution. Vous êtes-vous penché sur la façon dont on fait les choses?
M. Glenn : Honnêtement, je ne sais pas comment on procède au Québec, désolé.
Le sénateur Pratte : Si vous examinez le problème que vous avez mentionné à quelques reprises et que vous vous penchez sur des questions comme la propriété étrangère ou les investissements par des multinationales ou des entreprises qui font l'acquisition de terres pour toutes sortes de raisons, que ce soit pour la spéculation foncière ou d'autres fins, quel est le plus gros problème, d'après vous, pour les nouveaux agriculteurs?
M. Glenn : Le principal problème est l'incertitude du marché, car il y a un marché mondial et quelques-uns de nos concurrents sont très avantagés par rapport à nous — le Brésil, par exemple. Ils peuvent cultiver de nombreuses récoltes très efficacement et à très faibles coûts comparativement à nous.
J'imagine que le défi pour un jeune agriculteur est de savoir ce que l'avenir lui réserve. Si vous investissez tout votre temps, misez sur vous et dépensez beaucoup d'argent, il vous faudra des garanties ou des assises solides.
Comment pouvons-nous y parvenir? Je n'en suis pas certain, mais l'achat de la terre est un début. Si le prix des terres continue d'augmenter — de doubler et de tripler —, je ne me vois plus cultiver la terre. J'adore pratiquer l'agriculture, mais si je ne peux pas nourrir ma famille, même si c'est vraiment ce que je veux faire, je ne pourrai pas le faire.
Le sénateur Pratte : Et vous considérez le prix des terres comme étant un désavantage concurrentiel par rapport à vos concurrents dans d'autres pays, par exemple.
M. Glenn : Oui, certainement les concurrents mondiaux.
Le sénateur Oh : Merci d'être parmi nous. En tant que jeune agriculteur, vous planifiez 30 ans à l'avance, lorsque vous prendrez votre retraite. Vous voulez que la valeur de vos terres augmente.
M. Glenn : C'est la grande question. Spéculez-vous sur les terres vous-même pour que lorsque vous voulez prendre votre retraite, ce soit votre revenu de retraite? Ce n'est pas ce que je prévois faire, car mes nièces et neveux veulent être agriculteurs, alors j'adorerais qu'ils reprennent la ferme. Mon plan à l'heure actuelle n'est pas de vendre la terre, car je considère l'agriculture comme étant une excellente façon de gagner sa vie et un mode de vie formidable. La seule façon que je peux protéger cela est de conserver mes terres.
Le sénateur Oh : Mais le fait est que vous ne voulez certainement pas qu'à votre retraite, vos terres valent le même prix qu'elles valaient il y a de cela 35 ans.
M. Glenn : Je comprends le dilemme. Je n'ai pas de réponse pour vous. Si vous rendez l'agriculture plus rentable, vous n'aurez pas besoin d'autant de revenus en bout de ligne.
Le sénateur Oh : Mais je vois qu'il n'y a aucun problème avec l'augmentation de la valeur des terres, car une économie libre a un cycle. J'en ai été témoin. Lorsque je me suis installé à Mississauga, il n'y avait que 250 000 personnes et le Square One Shopping Centre, qui est devenu le plus grand centre commercial dans l'Est du Canada. Je ne vois plus de terres agricoles au centre-ville. Je me rappelle avoir cueilli des pommes sur la rue Ontario, et la ville est maintenant rendue avec 1 million d'habitants.
Les villes prennent de l'expansion et font concurrence aux terres agricoles. Les promoteurs construisent de grands centres commerciaux et des centres de magasins, et ce sont tous des promoteurs. La ville empiète sur les terres agricoles. Les agriculteurs s'installent plus loin, et la valeur de leurs terres sera élevée à leur retraite.
Je crois que tout a un cycle. Depuis 10 ans, je n'ai vu personne bâtir une seule maison; aucun promoteur n'a construit quoi que ce soit. C'est donc un cycle. Je pense que pour un jeune agriculteur, il veut prendre sa retraite 35 plus tard et voir une hausse de la valeur de ses terres. Il serait impossible de vendre les terres au même prix que vous les avez achetées il y a de cela 40 ans. Pourriez-vous vous prononcer là-dessus?
M. Glenn : Dans l'Ouest canadien, il ne s'agit pas vraiment d'expansion des grands centres urbains. C'est en fait de la spéculation sur les terres, car on y achète des centaines de milliers d'acres. Certaines sociétés travaillent avec les agriculteurs, dont quelques-uns qui semblent bien tirer leur épingle du jeu, notamment les jeunes, qui achètent des terres ou du moins peuvent en avoir l'usufruit au moyen de baux à plus long terme de 5 et de 10 ans.
Mais en ce qui concerne les terres qui entourent un centre urbain, je ne vois pas comment on pourrait freiner le phénomène.
Le sénateur Oh : Nous devrions peut-être effectuer un sondage auprès des jeunes pour voir ce qu'ils voudraient s'ils devenaient agriculteurs à l'avenir. C'est probablement quelque chose sur lequel nous pouvons tous travailler. Comment trouver un équilibre? Les villes prennent de l'expansion, et le pays a besoin de 300 000 nouveaux immigrants chaque année pour faire croître l'économie. Il faut des freins et contrepoids pour ce qui est des terres agricoles et des villes en expansion.
M. Glenn : Les trois principaux défis que nous avons relevés pour ce qui est des jeunes agriculteurs, c'est l'accès aux terres, l'accès aux capitaux et l'accès à la main-d'œuvre. Il y a une pénurie de main-d'œuvre en agriculture. On perd beaucoup d'argent par manque de valorisation.
Les jeunes agriculteurs sont donc effectivement confrontés à de nombreux défis, mais nous recueillons constamment des renseignements de tous nos membres, car nous aussi, nous voulons savoir à quoi ressemblera l'avenir.
La sénatrice Gagné : Dans votre exposé, vous avez parlé du type de crédit qui est offert aux jeunes agriculteurs. Pouvez-vous nous expliquer le crédit dont ils auraient besoin?
M. Glenn : Je sais qu'il existe un programme d'AAC qui, il me semble, leur offre 400 000 $. Cela dépend de la cote de solvabilité en plus, car on ne remet pas une telle somme à n'importe qui, bien évidemment.
Le montant du crédit dépend de son emplacement, du produit agricole et du modèle d'entreprise. Il peut varier considérablement, selon la technique de commercialisation de la culture donnée.
La sénatrice Gagné : Verriez-vous des sociétés privées qui investissent dans les jeunes agriculteurs?
M. Glenn : Vous voulez savoir si je le constate actuellement?
La sénatrice Gagné : Est-ce que vous le constatez, et pensez-vous que ce serait une façon d'obtenir un crédit?
M. Glenn : Je vois de plus en plus de sociétés d'investissement qui achètent des terres, ce qui semble être un investissement très sûr. Je ne suis pas sûr que cela aide les jeunes agriculteurs, car c'est un phénomène relativement récent. D'après ce que j'ai vu jusqu'à maintenant, cela crée un autre concurrent sur le marché. Si on est un agriculteur qui tente d'acheter des terres, on se trouve face à un concurrent de taille.
[Français]
Le président : Monsieur Glenn, je ne connais pas la loi ontarienne sur la protection des terres agricoles. Toutefois, si vous en avez le temps, jetez un coup d'œil à la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles du Québec. C'est une loi qui existe depuis près de 30 ans. C'est une des lois parmi les plus sévères au Canada, et je dirais même en Amérique du Nord, qui vise la conservation des terres agricoles. Faire dézoner une partie d'une terre agricole au Québec nécessite beaucoup de patience, parce que le gouvernement a décidé de protéger ses terres agricoles.
Un autre point important que j'aimerais souligner, c'est la difficulté liée au transfert des fermes de père en fils ou de père en fille. Le fonds de pension d'un fermier qui prend sa retraite, c'est sa ferme. Or, personne ne prêtera aux enfants les millions de dollars nécessaires à l'acquisition de la ferme. Si une institution financière le fait, ils risquent de tout perdre.
D'après vous, comment un père peut-il transférer sa ferme à son garçon ou à sa fille sans s'endetter ou être voué à la faillite?
[Traduction]
M. Glenn : J'imagine que c'est là la clé de la possession de terres agricoles. Nous travaillons énormément sur le dossier de planification de la relève, et ce n'est pas un travail qui commence 2, 3 ou même 5 ans avant sa retraite : il faut commencer 10 ans avant. Tout d'abord, il faut avoir un plan d'affaires solide et un excellent modèle d'entreprise en place. On ne peut pas tout simplement verser un salaire aux parents qui exploitent la ferme actuellement. Il faut un modèle d'entreprise réaliste si on veut obtenir un financement. Voilà la clé, commencer très tôt à bien planifier sa relève, en sachant qui va reprendre l'entreprise.
Or, il est difficile de planifier quelque chose quand votre fils ou votre fille a 15 ans. C'est normalement un processus qui commence lorsque les enfants sont dans la vingtaine ou la trentaine, mais le plus tôt les terres sont cédées, mieux il en va pour l'exploitation et plus l'exploitation pourra croître rapidement. C'est la difficulté inhérente de la planification de la relève.
Le président : Merci.
La sénatrice Unger : Monsieur Glenn, vous avez parlé de divers défis sur lesquels butent les jeunes personnes qui voudraient devenir agriculteurs. Le gouvernement fédéral a augmenté récemment le montant du premier versement exigé pour l'achat d'une propriété. Je sais que l'exigence vise les logements, mais j'ignore si les terres agricoles sont concernées. Pouvez-vous nous en parler et nous dire comment cette politique aura une incidence sur vous-même et d'autres jeunes personnes qui souhaitez acheter des terres agricoles?
M. Glenn : Je ne connais pas les détails, et je ne sais pas si les terres agricoles sont visées ou non. Il faudrait que je vous revienne là-dessus. Si tel est le cas, il va effectivement y avoir des défis, probablement pour les investisseurs et les banques, surtout en ce qui a trait à la planification de la relève et aux débutants qui voudront acheter leurs premières terres. Je crois que les choses deviendront beaucoup plus compliquées.
La sénatrice Unger : Je vous parle plus précisément des gens qui n'ont pas de grosses sommes à investir. C'est peut- être un autre type de problème propre aux plus petites exploitations.
M. Glenn : Oui.
Le sénateur Plett : Serait-il possible de faire suivre les renseignements au greffier?
M. Glenn : Bien sûr.
[Français]
Le président : S'il vous plaît, monsieur Glenn, pourriez-vous nous faire parvenir cette information le plus rapidement possible?
En attendant, je vous remercie énormément de votre témoignage. Vous avez constaté l'intérêt que les sénateurs accordent à ce dossier. La relève et le transfert des exploitations agricoles demeurent un sujet fort préoccupant pour l'avenir, non seulement pour les agriculteurs, mais pour tous les Canadiens et Canadiennes. Nous sommes vraiment heureux que vous ayez pu participer à cette discussion.
(La séance est levée.)