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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 18 - Témoignages du 15 novembre 2016


OTTAWA, le mardi 15 novembre 2016

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 17 heures afin de poursuivre son étude sur l'acquisition des terres agricoles au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole.

Le sénateur Ghislain Maltais (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je suis le sénateur Maltais, président du comité. Je suis du Québec.

Avant de commencer, je voudrais demander aux sénateurs de se présenter eux-mêmes, en commençant par le vice-président du comité.

Le sénateur Mercer : Je suis le sénateur Terry Mercer, vice-président du comité. Je suis de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Tardif : Bonsoir. Je suis Claudette Tardif, sénatrice de l'Alberta.

Le sénateur Ogilvie : Je suis le sénateur Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Merchant : Bonsoir. Je suis la sénatrice Pana Merchant, de la Saskatchewan.

Le président : Le comité poursuit aujourd'hui son étude sur l'acquisition des terres agricoles au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole.

[Français]

Aujourd'hui, nous avons le plaisir de recevoir M. Chris van den Heuvel, président de la Fédération de l'agriculture de la Nouvelle-Écosse, M. Mervin Wiseman, de la Fédération de l'agriculture de Terre-Neuve-et-Labrador, Mme Mary Robinson, présidente de la Fédération de l'agriculture de l'Île-du-Prince-Édouard et M. Andrew Lovell, de l'Alliance agricole du Nouveau-Brunswick. Je vous souhaite tous la bienvenue.

Si vous avez des commentaires à faire avant le début de la période de questions, n'hésitez pas à nous en faire part. Je tiens à vous rappeler que plus votre exposé sera long, moins il restera du temps aux sénateurs pour poser des questions. Je vous invite donc à être concis et précis. Les sénateurs ont hâte de vous poser des questions. Nous sommes très heureux d'accueillir diverses fédérations d'agriculteurs. Qui aimerait commencer? Monsieur van den Heuvel?

[Traduction]

Chris van den Heuvel, président, Fédération de l'agriculture de la Nouvelle-Écosse : Je vous remercie de m'avoir invité à m'adresser au comité aujourd'hui pour parler de la valeur des terres agricoles en Nouvelle-Écosse. Comme on l'a déjà mentionné, je m'appelle Chris van den Heuvel. Je suis président de la Fédération de l'agriculture de la Nouvelle-Écosse. J'exploite moi-même une ferme laitière du côté ouest de l'île du Cap-Breton.

L'augmentation de la valeur des exploitations agricoles constitue certainement un problème pour les exploitants de la Nouvelle-Écosse. Je vais peut-être commencer par vous présenter quelques renseignements généraux sur l'agriculture dans la province. La Nouvelle-Écosse génère des recettes à la ferme de 581 millions de dollars pour une superficie approximative d'un million d'acres de terres agricoles.

D'après le recensement de 2006, la Nouvelle-Écosse est la seule province de l'Atlantique qui ait connu une hausse du nombre d'exploitations et la seule province du Canada dont les terres agricoles exploitées ont augmenté. De plus, les chiffres tirés des registres des fermes révèlent un déplacement positif des exploitations agricoles des tranches de revenu inférieures vers les tranches de revenu supérieures. Ces deux faits montrent que notre industrie est en croissance, ce qui entraîne une hausse de la demande de ressources telles que les terres agricoles.

L'invitation à comparaître que j'ai reçue mentionnait trois domaines sur lesquels je devais insister. Il y avait d'abord la raison pour laquelle la valeur des terres agricoles augmente. Je ne peux parler que de la Nouvelle-Écosse. Toutefois, à mon avis, la raison est simple : l'offre et la demande ainsi que l'emplacement. Quelques-unes des meilleures terres agricoles de la Nouvelle-Écosse se trouvent dans un rayon d'une heure de route de Halifax et d'autres zones urbaines dont le développement exerce des pressions sur les terres agricoles. Si ces terres se trouvent à des endroits recherchés par les promoteurs immobiliers, leur prix va évidemment augmenter.

Comme je l'ai déjà mentionné, notre industrie est en croissance, ce qui indique qu'il y a une demande interne de terres. D'après le rapport 2015 Valeur des terres agricoles de Financement agricole Canada, la concurrence pour l'acquisition de terres agricoles est intense, et les parcelles à vendre ne restent pas annoncées pendant très longtemps. Le rapport mentionne aussi que la région ouest de la province connaît des pressions sensibles à la hausse. Cette région est relativement proche de la ville et a une intense activité agricole. On y trouve 18 p. 100 du territoire agricole de la Nouvelle-Écosse.

Comme exploitants agricoles, nous avons des difficultés à affronter dans le domaine de l'acquisition de terres. L'achat de terres à un prix élevé immobilise du capital qui aurait pu servir à une mise à niveau de l'équipement ou à l'établissement d'infrastructures pouvant créer de la valeur ajoutée. Les terres agricoles activement exploitées en 2006 n'avaient qu'environ un tiers de la superficie exploitée en 1901. Il est certainement possible de recommencer à exploiter ces terres, mais cela peut être coûteux en ressources, en argent et en temps.

La perte de terres agricoles constitue aussi une préoccupation. Les possibilités de lotissement sont souvent tentantes pour les municipalités, mais lorsque l'urbanisation empiète sur les terres agricoles, elle peut entraîner la perte de ressources que nous ne pourrons jamais retrouver.

La Fédération de l'agriculture de la Nouvelle-Écosse a depuis quelques années une politique concernant les terres agricoles. Elle comprend des recommandations sur la façon d'augmenter la superficie cultivée dans la province. L'un des bons moyens consiste à établir une banque provinciale de terres.

La constitution de réserves foncières n'est pas un nouveau concept. Dans les années 1970, la Nouvelle-Écosse avait un programme établi en vertu de la Loi sur l'aménagement rural et le développement agricole, qui était administré par le Nova Scotia Farm Loan Board. Cet office achetait, aux prix du marché, les terres agricoles qui risquaient d'être utilisées à des fins non agricoles et les louait à bail à des agriculteurs à un prix abordable. Malheureusement, ce programme n'existe plus.

En vertu du Community Easements Act de la Nouvelle-Écosse, un organisme désigné peut détenir, à l'égard de terres, des servitudes qui interdisent leur mise en valeur et les réservent à une fin particulière, comme l'agriculture.

S'il était possible de mettre en œuvre un programme semblable à celui de la banque de terres établie en vertu de la Loi sur l'aménagement rural et le développement agricole, on pourrait recourir à des servitudes pour assurer le maintien de l'utilisation agricole des terres.

En Nouvelle-Écosse, l'Annapolis Valley Farmland Trust Society peut détenir ces servitudes de conservation, comme on les appelle communément. Il s'agit d'une organisation caritative qui détient des servitudes sur des terres agricoles, mais qui s'occupe d'éducation et de sensibilisation à l'importance de la protection des terres agricoles et de la communauté des exploitants qui travaillent la terre.

Dans ses efforts de protection, l'Annapolis Valley Farmland Trust Society a pu constater que les servitudes sont coûteuses, compte tenu des frais d'arpentage et de migration et des frais juridiques. Selon les parcelles, ces frais peuvent dépasser 20 000 $. À l'heure actuelle, les servitudes existantes sont volontaires, ce qui signifie que le propriétaire n'a pas été indemnisé pour la perte du droit de mise en valeur de sa terre.

Nous croyons qu'une nouvelle banque de terres constituerait un élément essentiel de la solution destinée à la fois à conserver les terres agricoles pour les générations futures et à maintenir leur prix à un niveau abordable pour les agriculteurs d'aujourd'hui. La suppression du droit de mise en valeur dans le cadre d'un programme de banque de terres permettrait aux nouveaux exploitants d'utiliser le peu de capital dont ils disposent à d'autres fins. Toutefois, pour assurer le succès du programme, il faudrait prévoir un financement suffisant pour couvrir le coût de la mise en place des servitudes.

Les deux autres volets de notre politique d'utilisation des terres sont la suppression des impôts fonciers sur les terres agricoles et l'utilisation des terres publiques à des fins agricoles. Les terres domaniales appartiennent à tout le monde. Par conséquent, chacun, y compris les exploitations agricoles, devrait avoir un accès égal à leur utilisation.

Le moment serait parfaitement choisi. Comme des négociations sont en cours en vue de l'élaboration du prochain cadre stratégique, nous avons une excellente occasion de mettre en place de tels programmes. De plus, nous devons augmenter la superficie des terres protégées. Un programme destiné à indemniser les agriculteurs en leur payant la différence entre la valeur marchande de leur terre et le prix qu'ils pourraient en obtenir une fois les servitudes mises en place serait également nécessaire.

En somme, la conservation des terres agricoles du Canada doit être un objectif d'intérêt national. Je voudrais m'associer aux recommandations qui ont découlé d'une étude sur les terres agricoles du Canada menée par M. David J. Connell. Agriculture et Agroalimentaire Canada devrait publier une déclaration claire et directe destinée à protéger les terres agricoles du Canada. De plus, le Conseil privé devrait établir des collaborations provinciales axées sur la déclaration fédérale de protection des terres agricoles. Enfin, Agriculture et Agroalimentaire Canada devrait établir un programme national de surveillance de l'utilisation des terres afin de suivre l'évolution des différentes utilisations et de la perte des terres agricoles.

Je vous remercie encore une fois de votre invitation.

Le président : Merci beaucoup, monsieur van den Heuvel. Avant de poursuivre, je vais demander aux nouveaux sénateurs de se présenter.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bonjour, je m'appelle Jean-Guy Dagenais, je suis de Montréal et sénateur du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.

Le sénateur Duffy : Mike Duffy, Île-du-Prince-Édouard.

[Français]

Le sénateur Pratte : Bonjour, je m'appelle André Pratte, sénateur du Québec.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant entendre M. Wiseman, de Terre-Neuve et Labrador.

Mervin Wiseman, membre du conseil d'administration, Fédération de l'agriculture de Terre-Neuve-et-Labrador : Je vous remercie. Je suis en fait éleveur de renard argenté. J'exploite l'un des plus grands élevages de renard argenté du monde à North Harbour, dans la baie Placentia à Terre-Neuve et Labrador.

Merci, monsieur le président et membres du comité, d'avoir accepté de m'accueillir comme témoin pour présenter le point de vue de la Fédération de l'agriculture de Terre-Neuve-et-Labrador sur l'acquisition et la valeur des terres agricoles au Canada.

Après avoir fait des recherches sur le sujet et m'être familiarisé avec l'expérience des autres provinces grâce aux exposés présentés à votre comité et ailleurs, je peux dire que Terre-Neuve-et-Labrador connaît clairement la même situation que le reste du pays en ce qui concerne les terres agricoles. Ces terres constituent évidemment une précieuse denrée à Terre-Neuve-et-Labrador et, comme ailleurs dans le pays, elles sont soumises à des pressions extrêmes attribuables à de nombreux groupes d'intérêts comprenant une vaste gamme de concurrents tels que le secteur forestier, les mines, le pétrole et le gaz, le développement et l'empiétement urbains, l'empiétement récréatif empreint d'une mentalité infantile, les spéculateurs fonciers et les courtiers, sans parler des besoins d'expansion municipaux.

D'un point de vue agricole, la situation est aggravée par la rareté des terres arables dans la province. On estime que seule une proportion d'environ 2 p. 100 de la superficie terrestre de Terre-Neuve-et-Labrador peut être exploitée à des fins agricoles. La réalité, dans cette situation, c'est que l'essentiel des activités agricoles de la province se fait sur moins de 50 p. 100 de ses précieuses terres arables. Le reste sert à d'autres genres d'utilisations commerciales ou reste inexploité lorsque des terres sont acquises par héritage par des personnes qui n'ont pas le goût de tirer leur subsistance de l'agriculture.

Les politiques, les stratégies et les investissements du gouvernement provincial ont atténué dans une certaine mesure la perte de précieuses terres agricoles. La Provincial Lands Act de 1978 a modifié la propriété de ces terres en passant des concessions à des baux à long terme. Grâce à l'établissement de zones de développement agricole, il est devenu très difficile sinon impossible pour les bénéficiaires de concessions d'utiliser leurs terres à des fins autres que l'agriculture. De plus, un programme de rachat financé par le gouvernement a été mis en place pour récupérer les terres non exploitées et les louer à bail à des agriculteurs.

Passons à la valeur des terres agricoles. Conformément à la dynamique qui se manifeste dans les autres provinces, la valeur des terres a sensiblement augmenté au cours de la dernière décennie à Terre-Neuve-et-Labrador, mais l'augmentation s'est essentiellement limitée aux régions où il y a une forte expansion résidentielle et d'importantes activités commerciales. La zone métropolitaine de St. John's, la région d'Avalon, la côte Ouest, Corner Brook et le secteur de Humber Valley connaissent une situation critique à cet égard. De plus, la valeur des terres a eu des incidences là où des terres ont été concédées. Par suite de la hausse des valeurs dans ce contexte, il est devenu trop coûteux pour de nombreux agriculteurs d'acheter la terre, ce qui a entraîné la vente de bonnes terres agricoles à des intérêts commerciaux.

Malheureusement, les crédits initialement affectés aux zones de développement agricole, qui avaient été établies pour protéger les terres dans cette région, ont été réduits de plus de 50 p. 100 parce que des examens subséquents ont abouti à la conclusion que d'importantes superficies ne se prêtaient pas l'agriculture et ont donc été cédées à des promoteurs privés.

Heureusement, les baux du gouvernement ont eu un effet stabilisateur sur le prix d'achat des terres agricoles à Terre-Neuve-et-Labrador. Ces baux à long terme sont achetés à un prix annuel nominal relativement faible. Le principal inconvénient de cet arrangement est que le coût de l'aménagement incombe à l'agriculteur et que ce coût, à Terre-Neuve-et-Labrador, est sensiblement supérieur à la moyenne nationale.

La plus grande lacune du système réside dans une clause du bail qui impose de restituer à la Couronne la terre et tous les aménagements qui y ont été faits en cas d'arrêt des activités d'exploitation. Cette condition a un effet dissuasif et entrave la mise en valeur des terres. Bien que la location à bail constitue une mesure de protection des terres agricoles, le régime conditionnel empêche les agriculteurs de se constituer un avoir propre en investissant dans des améliorations foncières.

Au chapitre de la rationalisation en vue de l'acquisition de terres agricoles, il est évident que les tendances actuelles doivent être sensiblement améliorées au Canada. Dans le cas de Terre-Neuve-et-Labrador, où les terres agricoles constituent une denrée rare, l'acquisition et l'amélioration constituent un impératif, ne serait-ce que pour assurer la sécurité alimentaire. À l'heure actuelle, la province importe plus de 90 p. 100 des produits alimentaires qu'elle consomme et 99 p. 100 de sa viande rouge. Pour changer cette situation, elle aurait besoin de beaucoup plus de terres agricoles et de moyens créatifs pour les mettre à la disposition des agriculteurs à un prix abordable.

À part l'objectif de la sécurité alimentaire, on considère que le développement de l'agriculture engendre une importante activité économique et favorise la diversification de l'économie de Terre-Neuve-et-Labrador. C'est surtout une activité rurale ne comportant que des options économiques limitées. Le secteur agricole de la province est actuellement évalué à environ 500 millions de dollars par an. En accordant plus de priorité aux objectifs de sécurité alimentaire, on encouragerait certainement un intérêt renouvelé pour l'acquisition de terres agricoles.

De nouvelles perspectives qui s'ouvrent dans la province favorisent la création d'activités agricoles et une expansion correspondante des superficies exploitées. Les activités axées sur la tourbe ainsi que la production de baies et d'autres aliments fonctionnels permettent, dans une certaine mesure, de redéfinir les superficies propres à l'agriculture. Les terres humides et les marécages où beaucoup de ces produits sont cultivés ne sont plus considérés comme des étendues incultes sans capacité de production agricole.

Enfin, les grands changements survenus à Terre-Neuve-et-Labrador dans le domaine des produits forestiers, et surtout dans le secteur des pâtes et papiers, ont créé une énorme capacité d'expansion des terres agricoles. Avant la fermeture des usines de papier, des centaines de milliers d'acres étaient réservées à l'industrie forestière dans le cadre de baux à long terme. Les données actuelles fondées sur la politique indiquent qu'on envisage de destiner ces terres à des usages agricoles dans un proche avenir. Ces possibilités d'expansion de l'agriculture pourraient porter la proportion des terres propres à l'agriculture à 6 à 8 p. 100 de la superficie terrestre de Terre-Neuve-et-Labrador. Dans ce contexte, la mise en place d'un plan ordonné et économique de développement de terres agricoles constituera clairement le nouveau mot d'ordre des agriculteurs de la province.

Conclusions et recommandations : les mesures à prendre en matière d'acquisition et de valeur des terres agricoles relèvent essentiellement de la compétence provinciale et territoriale. Toutefois, le gouvernement national a un important rôle de rationalisation à jouer dans le domaine de l'utilisation des terres. Même si la sécurité alimentaire est surtout de compétence provinciale, elle constitue en même temps un impératif national. De même, la prospérité économique régionale associée à la production agricole fait partie des intérêts nationaux.

Même si la responsabilité des terres agricoles relève des gouvernements provinciaux, territoriaux et municipaux, il est clair qu'une composante fédérale est nécessaire. En fait, beaucoup croient à cet égard que l'absence d'une politique globale cohérente au niveau fédéral a occasionné des difficultés et une tendance inquiétante à la perte de terres agricoles productives. Les nouveaux enjeux liés à l'acceptabilité sociale, au changement climatique et aux autres utilisations des terres agricoles ont des répercussions nationales qui, une fois de plus, témoignent de la nécessité d'une collaboration fédérale-provinciale-territoriale pour la préservation et l'amélioration des terres agricoles du Canada.

Les ententes sur le cadre stratégique de l'agriculture, qui sont maintenant connus sous le titre Cultivons l'avenir, constituent d'excellents moyens de collaboration fédérale-provinciale-territoriale dans une gamme complète de programmes agricoles. Compte tenu de leur succès, il serait sensé que les ententes futures, à commencer par la génération suivante — Cultivons l'avenir 3 en 2018 —, comprennent le principe de la préservation et de l'amélioration des terres agricoles en fonction des critères suivants. La protection et l'amélioration des terres agricoles devraient comprendre des critères d'admissibilité axés sur la souveraineté et la sécurité alimentaires. L'amélioration des terres agricoles devrait comporter des critères d'admissibilité pour les terres devant servir à produire de nouveaux aliments fonctionnels. Les effets du changement climatique, y compris l'atténuation de la sécheresse, de l'érosion et des émissions de gaz à effet de serre, devraient être assortis de critères d'admissibilité du niveau Cultivons l'avenir 3. Les pratiques exemplaires environnementales et les options d'utilisation des terres agricoles faisant intervenir des mesures d'intérêt public telles que la couverture végétale ainsi que la protection du sol et de l'eau devraient toutes comporter des critères d'admissibilité dans le cadre stratégique. Enfin, des critères d'admissibilité devraient exister en ce qui concerne le développement de terres agricoles dans les régions jugées sérieusement sous-développées ou qui connaissent des difficultés particulières telles que des coûts élevés dans le cas de ma province. Je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Wiseman. Permettez-moi de présenter la sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario, qui est également membre du comité.

[Français]

Nous accueillons maintenant M. Andrew Lovell, de l'Alliance agricole du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Andrew Lovell, directeur, conseil d'administration, Alliance agricole du Nouveau-Brunswick : Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant le comité aujourd'hui. Je m'appelle Andrew Lovell. Je suis administrateur de l'Alliance agricole du Nouveau-Brunswick et producteur de pommes à Keswick Ridge, tout près de Fredericton. J'ai aussi remporté le titre de Jeune agriculteur d'élite 2016 du Canada atlantique.

Le secteur agricole du Nouveau-Brunswick connaît à la fois d'extraordinaires perspectives et des défis considérables. À l'heure actuelle, le secteur agroalimentaire et l'agriculture génèrent une activité économique de plus de 1 milliard de dollars — je crois que c'est 1,2 milliard — et emploient 11 000 équivalents temps plein au Nouveau-Brunswick. Nous croyons donc que la province est bien positionnée pour répondre à nos besoins alimentaires futurs.

Depuis plus de 20 ans, notre secteur demande au gouvernement de mettre en œuvre une politique provinciale globale d'utilisation des terres agricoles. De multiples tentatives ont été faites dans le passé, mais n'ont pas abouti à des lois ou à des politiques efficaces pouvant protéger ou préserver les terres agricoles.

Si nous voulons que notre secteur croisse et continue d'être durable, nous devons avoir accès à de bonnes terres agricoles et avoir l'assurance que nos investissements ne seront pas sapés par des développements non agricoles tels que le prélèvement de la terre végétale et l'empiétement des centres urbains.

Notre secteur est reconnu comme l'un des plus importants moteurs économiques de la province. Au Nouveau-Brunswick, l'agriculture croît à un rythme de 1,5 p. 100 par an, et nous sommes le seul secteur de la province qui connaisse une croissance uniforme à ce rythme année après année.

Toutefois, beaucoup plus d'efforts seront nécessaires pour aller au-delà de la préservation et de la protection de nos terres pour les générations à venir. Parmi les priorités définies par nos principaux intervenants lors de l'élaboration du plan d'action 2016-2018 du secteur agricole, il convient de citer l'accès aux marchés tant intérieurs qu'internationaux, l'encouragement et le soutien des nouveaux venus, l'immigration, l'optimisation de l'utilisation des technologies modernes et de l'innovation et la promotion du secteur auprès des jeunes pour qu'ils y participent le plus tôt possible.

Je vais maintenant donner un aperçu de la valeur des terres agricoles au Nouveau-Brunswick ainsi que des préoccupations que nous avons au sujet de l'acquisition de terres et des solutions possibles découlant d'une telle acquisition.

Notre province continue d'être privilégiée par rapport aux autres au chapitre de la valeur des terres agricoles. D'après le rapport 2015 Valeur des terres agricoles de Financement agricole Canada, la valeur des terres au Nouveau-Brunswick a augmenté de 4,6 p. 100 depuis 2015. La valeur des terres productives a régulièrement monté depuis 2008. Dans la province, les valeurs les plus élevées se situent dans les secteurs ouest et nord-ouest de la province, là où la production consiste essentiellement en pommes de terre. Celles-ci sont évidemment vendues à McCain pour transformation. Dans cette région, la demande de terres agricoles est élevée et la plupart des terres à vendre sont achetées par des producteurs existants.

Toutefois, les producteurs du Nouveau-Brunswick ne sont pas à l'abri des hausses de la valeur des terres. L'accès au capital nécessaire pour permettre aux producteurs d'acheter des terres, surtout dans le cas des nouveaux venus, demeure un défi. Le gouvernement provincial a établi le Programme d'achat de nouvelles terres qui finance l'achat jusqu'à concurrence de 100 p. 100 de la valeur améliorée et accorde aux producteurs des baux de six ans prévoyant un rachat de la terre au terme du bail. Les critères du programme excluent actuellement les terres qui ont été activement exploitées dans les deux dernières années consécutives. C'est un obstacle important pour les nouveaux ou les jeunes producteurs qui essaient d'entrer dans le secteur ou de développer une entreprise existante sans disposer d'un capital suffisant. Vous trouverez plus de renseignements à ce sujet sur le site web du ministère de l'Agriculture du Nouveau-Brunswick.

Je dirais, sur un plan personnel, que j'ai acheté mon exploitation en 2012. Je ne viens pas d'une famille d'agriculteurs. Je suis actuellement en mode de croissance, et il est extrêmement difficile pour moi de trouver des terres agricoles.

En matière d'acquisition de terres, l'un des obstacles qu'on rencontre le plus souvent est celui des terres transmises de génération en génération, mais qui ne sont plus activement exploitées. Les nouveaux venus et les producteurs existants affrontent souvent des propriétaires qui ne sont pas disposés à vendre et qui, dans certains cas, ne veulent même pas louer leurs terres à bail parce qu'elles appartiennent à leur famille depuis très longtemps et qu'ils veulent les garder.

Le Plan d'identification des terres agricoles contribue à la remise en production des terres en jachère. Aux termes des lignes directrices du programme, les terres agricoles qui ne sont pas activement exploitées peuvent demeurer admissibles au programme si elles continuent d'être propres à l'agriculture, ce qui ne veut pas dire qu'elles doivent être exploitées. Il suffit qu'elles restent là et que le propriétaire dise qu'il compte les exploiter un jour. C'est tout ce qui est requis. La province estime que 47 p. 100 des terres agricoles actives sont inscrites dans le plan d'identification. Toutefois, on ne connaît pas la proportion des terres inscrites qui sont réputées abandonnées.

Compte tenu de ces renseignements, il est clair qu'il n'y a actuellement rien qui incite les propriétaires à remettre ces terres en production. Près de 48 p. 100 des terres de la province sont réputées propres à l'agriculture. Toutefois, seule une proportion de 5,2 p. 100 est actuellement exploitée. Un rapport publié en 2008 par le ministère de l'Agriculture, de l'Aquaculture et des Pêches a révélé qu'environ 47 000 hectares, ou 116 000 acres, de terres agricoles étaient classées dans la catégorie des terres abandonnées. Le gouvernement n'a pas mis à jour la carte, ce qui constitue un obstacle majeur à l'expansion du secteur agricole pour les producteurs nouveaux et existants.

Au cours des dernières années, j'ai voyagé un peu partout dans le pays. Cela m'a rappelé Logan Grant, de Chamberlain en Saskatchewan. Il avait acheté sa première exploitation en 2008-2009 avec l'aide de ses parents. Aujourd'hui, il exploite 15 000 acres. Bien sûr, le problème pour tout le monde, c'est le coût d'entrée.

Nous aimerions également disposer d'un répertoire des terres à vendre et à louer dans la province, afin d'aider les producteurs et les personnes qui veulent entrer dans le secteur. Le Plan d'identification des terres agricoles prévoit le report de l'impôt foncier provincial applicable calculé sur la valeur évaluée des terres agricoles et des bâtiments agricoles inscrits. La proportion du taux d'impôt municipal ou local qui dépasse le taux moyen du district de service local pour l'ensemble de la province fait aussi l'objet d'un report. Les propriétaires de biens agricoles doivent présenter une demande pour être inscrits. L'inscription se traduit par l'engagement à conserver à long terme la vocation agricole de la terre désignée.

La radiation du plan peut entraîner des coûts importants. Lorsqu'un bien inscrit au Plan d'identification des terres agricoles est radié ou retiré du plan, les taxes différées, pour un maximum de 15 ans, ainsi que les intérêts afférents, deviennent exigibles. Depuis le 1er septembre 2007, le montant total des intérêts ajoutés aux taxes différées exigibles lors de la radiation ou du retrait du plan est plafonné à 50 p. 100 des taxes différées cumulatives.

Nous croyons qu'un examen complet du Plan d'identification des terres agricoles devrait être entrepris en collaboration avec l'industrie afin de régler quelques-uns des problèmes que je viens de mentionner. Une solution possible consisterait à modifier le plan pour les terres inscrites qui n'ont pas été activement exploitées pendant deux ans de façon à les radier ou à les porter sur une liste de changement de statut et à établir un processus d'appel. Le gouvernement devrait également mener une étude pour analyser les encouragements fiscaux offerts par les autres provinces et déterminer si le Plan d'identification des terres agricoles atteint son objectif, qui est de préserver et de protéger les terres agricoles. Il faudrait ensuite améliorer le programme ou le remplacer par un autre. En fin de compte, la mise en œuvre d'une politique provinciale sur les terres agricoles liée aux lois et règlements existants a certainement beaucoup tardé. Nous sommes donc heureux de constater que notre gouvernement provincial s'est engagé à publier une politique cet automne ou au début de l'hiver.

Je vous remercie au nom de l'Alliance agricole du Nouveau-Brunswick.

Le président : Merci beaucoup.

Madame Robinson, la parole est à vous.

Mary Robinson, présidente, Fédération de l'agriculture de l'Île-du-Prince-Édouard : Bonsoir, monsieur le président et membres du comité. Je m'appelle Mary Robinson. Je suis la présidente de la Fédération de l'agriculture de l'Île-du-Prince-Édouard. Depuis six générations, ma famille exploite une ferme à Augustine Cove, dans l'Île-du-Prince-Édouard.

Je voudrais prendre quelques instants pour vous remercier de m'avoir invitée à m'adresser au comité au nom de notre fédération, qui est la plus importante association agricole générale de l'Île-du-Prince-Édouard. Elle représente les intérêts de plus de 80 p. 100 des exploitations agricoles de la province. Nous avons parmi nos membres 600 agriculteurs et 15 associations agroalimentaires différentes. Leur production est très diversifiée — bétail, produits laitiers, pommes de terre, fraises, fourrures, miel, et cetera — et ils représentent une gamme très variée de propriétaires en fonction de la quantité et de la qualité des terres agricoles qu'ils contrôlent, depuis quelques acres de bleuets à quelques milliers d'acres de pommes de terre.

L'agriculture a toujours été le plus important moteur économique de l'Île-du-Prince-Édouard, sa contribution au PIB provincial ayant atteint 450 millions de dollars en 2014, soit près de 100 millions de plus que le secteur le plus proche.

Au recensement de 2011, la province comptait 1 495 exploitations agricoles d'une superficie moyenne de 400 acres. En 2011, la superficie totale exploitée totalisait environ 600 000 acres. Il est intéressant de comparer ces chiffres à ceux de 1997 : il y avait alors 2 200 exploitations et 655 000 acres de terres exploitées.

Pour réaliser des économies d'échelle et répondre aux besoins des acheteurs qui souhaitent être régulièrement approvisionnés, les exploitations de l'Île-du-Prince-Édouard fusionnent, comme celles de tout le pays. En même temps, nous assistons à une diminution des superficies cultivées.

La valeur des terres agricoles de l'Île-du-Prince-Édouard s'est accrue à un rythme moyen de 4 p. 100 par an depuis 2010. Dans les deux dernières années, cette valeur a grimpé de 9,3 p. 100 en 2014 et de 8,5 p. 100 en 2015. Même si l'importance des augmentations varie selon les régions du pays, nous savons tous que la tendance nationale est à la hausse.

Nous croyons que la hausse du prix des terres agricoles de l'Île-du-Prince-Édouard est surtout attribuable à une demande accrue découlant de l'assolement triennal obligatoire. De plus, les terres ayant une valeur stratégique pour des exploitations particulières se vendent à des prix élevés. Par exemple, s'il y a un champ proche de votre exploitation principale ou si une parcelle peut compléter une importante étendue de terre, vous serez probablement disposé à payer davantage pour l'acquérir.

Nous avons vu des agriculteurs d'autres provinces vendre leurs terres à valeur élevée pour s'établir dans notre province et racheter une exploitation entière à une fraction du coût. Nous avons vu des groupes religieux acquérir des terres sans les exploiter. Nous avons ressenti les pressions exercées par l'expansion urbaine et, plus particulièrement, par le développement linéaire qui rogne sur nos terres arables. Tous ces facteurs ont fait monter le prix des terres.

L'Île-du-Prince-Édouard a une loi sur la protection des terres, le Lands Protection Act. Son objet était d'empêcher des entités individuelles de contrôler plus de 3 000 acres. Importante source d'irritation pour certains producteurs, cette loi a probablement réussi à réprimer le mouvement d'accaparement de terres qui semblait s'être déclenché dans les années 1980.

J'aurais bien voulu vous dire que nous avons une solution facile à ce problème. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Nous appuyons fortement la protection des ressources foncières au Canada.

On pourrait encourager les gouvernements provinciaux à concevoir un barème progressif d'impôt foncier afin de récompenser les propriétaires qui maintiennent les terres agricoles en production. En percevant un impôt supérieur sur les terres agricoles non productives, on encouragerait les propriétaires non agriculteurs à nouer des relations avec une exploitation établie ou peut-être avec un nouveau venu.

Selon un récent rapport de David Connell, de l'Université du Northern British Columbia, le gouvernement fédéral devrait faire preuve de leadership en publiant un énoncé de politique clair sur l'importance des terres agricoles. Cet énoncé devrait servir de base au prochain Cadre stratégique pour l'agriculture qui fait actuellement l'objet de consultations à Ottawa. Cela indiquerait à toutes les provinces qu'il est nécessaire de protéger les terres agricoles que nous avons.

Un processus de fusion municipale est actuellement en cours dans l'Île-du-Prince-Édouard. La législation provinciale mise en œuvre à cet égard prévoit la cession aux administrations locales des pouvoirs d'élaboration des politiques sur l'utilisation des terres. Cette décision a amené la collectivité agricole à réclamer un réexamen de la question. Tout comme M. Connell l'a proposé au gouvernement fédéral, nous demandons à notre gouvernement provincial de déclarer que les terres agricoles de l'Île-du-Prince-Édouard constituent une ressource foncière qu'il faut protéger. Nous demandons à la province de conserver le pouvoir de planifier l'utilisation des terres et, en définitive, de les maintenir en production.

Je voudrais, en conclusion, vous remercier encore de m'avoir donné l'occasion de m'adresser au comité. Je voudrais vous donner l'assurance que la Fédération de l'agriculture de l'Île-du-Prince-Édouard est disposée à travailler avec les gouvernements de tous les niveaux afin de préserver les terres agricoles pour les générations futures et de défendre les intérêts des agriculteurs canadiens. Je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup, madame Robinson. Je remercie également les autres témoins.

Le sénateur Mercer : Merci beaucoup, mesdames et messieurs. Je suis membre de ce comité depuis 13 ans. Monsieur Wiseman, vous êtes le premier éleveur de renards à comparaître devant nous. J'aimerais bien m'entretenir avec vous plus tard parce que j'ai l'impression que vous faites un travail fascinant.

Monsieur van den Heuvel, vous avez parlé du prix des terres en Nouvelle-Écosse et dans la région d'Annapolis Valley, en particulier. Vous n'avez pas mentionné votre propre région, le Cap-Breton, et n'avez rien dit des pressions qui s'exercent sur le prix des terres dans l'île du Cap-Breton.

M. van den Heuvel : Je vous remercie de votre question. Des pressions à la hausse s'exercent dans notre région, surtout depuis la récente ouverture de terrains de golf de calibre mondial à Cabot Cliffs et à Cabot Links. Ces terrains ont énormément contribué à l'économie du Cap-Breton. Nous sommes actuellement témoins d'un regain d'intérêt, particulièrement de sources étrangères. Cet intérêt a toujours été là sous une forme latente, mais nous commençons maintenant à ressentir des pressions à la hausse.

Je peux vous citer l'exemple d'une exploitation de 285 acres, à 10 minutes d'Inverness. Elle a été mise en vente pour 989 000 $, hors de la portée d'un agriculteur cherchant à développer ses opérations ou des nouveaux venus. Je précise que cette exploitation ne comporte aucune infrastructure. C'est juste la terre.

Le sénateur Mercer : Il y a un certain nombre d'années, 900 000 $ auraient suffi pour racheter une bonne part du comté d'Inverness. C'est intéressant. Vous avez tous parlé de l'impôt foncier et tout le monde semble être en faveur d'un barème progressif pour encourager les propriétaires à maintenir la terre en production. Si on paie l'impôt prévu pour une terre agricole, il faudrait que cette terre soit effectivement utilisée comme telle. Elle ne devrait pas être déguisée en terre agricole. Elle doit produire. Vous hochez la tête. Sommes-nous d'accord à ce sujet?

M. van den Heuvel : Absolument. En Nouvelle-Écosse, les municipalités ont une politique d'imposition nulle des terres agricoles. La mise en œuvre de cette politique laisse un peu à désirer, de sorte que nous aimerions qu'elle soit renforcée. Quant au taux progressif que Mary a mentionné, s'il faisait l'objet d'une politique claire appliquée à l'échelle nationale, les gens finiraient par comprendre que s'ils achètent de la terre aux fins de spéculation ou autre, ils devront, pour bénéficier du taux d'imposition nul, établir des relations avec un nouveau venu ou une exploitation agricole existante qui veillerait à ce que la terre continue à produire.

L'activité que nous avons constatée à l'échelle locale pourrait se multiplier par suite des résultats surprenants des élections américaines. Il y a un site web qui vante les avantages de l'île du Cap-Breton pour les Américains désireux de quitter les États-Unis. Ordinairement, lorsqu'une terre est rachetée par des intérêts étrangers, une barrière ou une chaîne est placée en travers de la voie d'accès et la terre cesse d'être exploitée. Pourtant, les propriétaires continuent à profiter du taux d'imposition nul. Il est important d'établir cette politique et de l'appuyer par des moyens sérieux de mise en vigueur.

Le sénateur Mercer : Pour ceux qui n'y ont pas fait attention, je précise que cela a commencé comme une plaisanterie. Malheureusement, ce n'est plus du tout une plaisanterie aujourd'hui. Il y a un mouvement qui se dessine rapidement. Un récent rapport sur les données du tourisme au Cap-Breton révèle que l'activité a été extrêmement élevée cette dernière saison. Il s'agissait surtout d'Américains qui venaient prospecter. Il est extraordinaire de voir ce qui se passe lorsqu'une idée est lancée.

Je ne suis pas moi-même de l'Île-du-Prince-Édouard, mais je crois savoir que la province est plus active que les autres en matière de protection des terres agricoles. Êtes-vous de cet avis? Avez-vous dit que la rotation triennale obligatoire est plus un inconvénient qu'un avantage?

Mme Robinson : La rotation triennale a pour objet de préserver la qualité du sol. Ce n'est pas tant un inconvénient qu'un problème pour les gens qui ont organisé leurs opérations en réservant une certaine superficie à une récolte particulière, comme les pommes de terre. Si on a décidé de cultiver 500 acres de pommes de terre avec une rotation de deux ans, il faut disposer de 1 000 acres de terres arables. Avec la rotation triennale obligatoire, on a soudain besoin de 1 500 acres parce qu'on ne peut planter cette culture en rang qu'une fois tous les trois ans. Il y a des exceptions avec la rotation de deux ans sur cinq.

Le sénateur Mercer : Que plantez-vous dans la troisième année?

Mme Robinson : Habituellement, on plante des pommes de terre, puis des céréales, puis du foin. Dans notre exploitation, nous avons la chance de produire des pommes de terre, du soja, de l'orge et du foin. Nous avons donc une rotation sur quatre ans. Certains s'en tirent bien avec une rotation de deux ans sur cinq : ils peuvent alors avoir de l'ivraie ou une autre culture qui favorise une abondante production de matières organiques.

Lorsque nous parlons de la protection des terres agricoles du point de vue de la qualité du sol, les lois que nous avons font bien l'affaire, mais nous parlons plus précisément de reclassement ou d'arrêt de la production d'une terre agricole. Je crois qu'à l'heure actuelle, nous n'avons rien qui puisse convenir à cette fin.

Le sénateur Mercer : La mise en place d'un programme de prêts d'une forme ou d'une autre pour aider les jeunes agriculteurs à démarrer est souvent évoquée autour de cette table depuis quelques années. Nous comprenons les difficultés que peuvent avoir des gens comme vous qui veulent se lancer en agriculture, monsieur Lovell. Il faut un engagement extraordinaire pour le faire, surtout si on ne vient pas d'une famille d'agriculteurs. Vous ne commencez pas après avoir hérité d'une partie de l'exploitation familiale. C'est un grand engagement et une importante dette à contracter en début de carrière.

Y a-t-il au Nouveau-Brunswick une forme quelconque d'aide aux jeunes qui veulent se lancer en agriculture?

M. Lovell : Il y a de l'aide, mais j'avoue que c'est un peu embarrassant pour moi d'en parler. L'année dernière, je crois que 74 demandes de financement ont été présentées par de nouveaux venus. Il y en a peut-être une qui a été approuvée.

Par conséquent, dans les quatre dernières années, il y a probablement eu, à ma connaissance, quatre nouveaux venus dans la province. Je suis l'un de ces quatre.

Le sénateur Mercer : Votre demande a donc été approuvée dans le cadre du programme de prêts.

M. Lovell : Oui.

Le sénateur Mercer : Vous avez parlé de 74 demandes. Qu'ont fait les 73 autres demandeurs? Ont-ils renoncé à l'agriculture ou ont-ils trouvé un autre moyen?

M. Lovell : Le gouvernement provincial a rejeté leur demande en leur disant par exemple que leur projet n'est pas rentable ou qu'il présente tel ou tel problème. L'approche adoptée consiste dans une grande mesure à ne prendre aucun risque.

Le sénateur Mercer : La plupart des économistes qui examinent les perspectives d'avenir de l'agriculture diraient qu'un très grand nombre d'exploitations ne sont pas rentables. Ils ne comprennent pas que les agriculteurs sont prêts à prendre de bien plus grands risques que les autres propriétaires d'entreprise.

M. Lovell : Vous avez raison dans une certaine mesure. Dans le secteur agricole, les agriculteurs sont liés à la terre. La terre est un bien dont la valeur augmente constamment. De toute évidence, il y a d'autres actifs qui perdent de la valeur, comme les tracteurs, l'équipement, les camions, et cetera, mais ce n'est pas le cas de la terre. Par conséquent, oui, il y a un risque, mais l'avoir net augmente sans cesse, probablement à un rythme plus rapide que le marché boursier d'aujourd'hui.

Le sénateur Mercer : Monsieur van den Heuvel, vous avez mentionné un nouveau programme de banque de terres. Je n'y suis pas opposé, mais, à votre avis, qui financerait ce programme?

M. van den Heuvel : Nous avions l'espoir que les négociations relatives au prochain Cadre stratégique de l'agriculture — ou quel que soit le nom de ce programme — permettraient de trouver des fonds de lancement qui contribueraient au financement du programme. En effet, pour créer une telle banque, il faut qu'il y ait des agriculteurs qui envisagent de partir à la retraite. Comme Andrew vient juste de le mentionner, la terre prend constamment de la valeur. Ces gens qui partent ont probablement acheté leur exploitation et méritent donc de la vendre à un bon prix pour avoir de quoi vivre pendant leur retraite. Nous avons donc besoin de fonds de lancement. Nous espérons que le programme parviendra à un moment donné à la neutralité parce que les terres accumulées par la banque seraient louées à bail pendant un certain temps à des exploitants nouveaux ou existants pour que la banque récupère sa mise de fonds. Ensuite, les terres seraient vendues soit directement soit dans le cadre d'ententes de location-achat.

Le sénateur Oh : Je remercie les témoins.

D'après un récent rapport Valeur des terres agricoles de Financement agricole Canada, la valeur des terres agricoles a augmenté en moyenne de 10,1 p. 100 au Canada en 2015. La tendance à la hausse s'est accentuée régulièrement depuis 2006. Comment expliquez-vous cette augmentation régulière de la valeur des terres agricoles au Canada et, plus particulièrement, dans votre propre province?

Mme Robinson : Des pressions accrues s'exercent sur les agriculteurs parce qu'ils sont obligés d'avoir plus de terres pour assurer la survie de leur entreprise. Cela a peut-être contribué à la hausse du prix des terres.

Il y a également des pressions attribuables au développement résidentiel et à l'empiétement urbain. De plus, des agriculteurs sont venus s'établir dans notre région, car, d'un point de vue relatif, les prix des bonnes terres agricoles sont plus abordables chez nous que dans les autres provinces.

Bref, nous sommes témoins de toutes sortes de pressions qui tendent à faire monter le prix des terres. Nous avons également entendu parler de la hausse des prix des produits de base qui a fait monter les valeurs. De plus, les faibles taux d'intérêt incitent les gens à payer un peu plus à l'achat de la terre parce qu'il leur est plus facile par la suite de faire des remboursements anticipés.

Le sénateur Oh : Savez-vous que la population de l'île a sensiblement augmenté?

Mme Robinson : Oui.

Le sénateur Oh : D'où viennent les nouveaux venus?

Mme Robinson : Il y a un certain accroissement démographique dans la province. Je ne suis pas sûre des chiffres. Je crois que nous avions une population de 140 000 habitants. Nous avons également reçu un assez grand nombre d'immigrants, mais je ne crois pas que ce facteur ait joué un grand rôle dans la hausse du prix des terres dans la province. Nous avons d'importants stocks de terres qui ont été subdivisées et approuvées pour fins de mise en valeur, mais qui reste inexploitées en attendant l'arrivée d'un acheteur. Par conséquent, les pressions les plus importantes qui s'exercent sur le prix des terres dans l'Île-du-Prince-Édouard ne sont pas particulièrement liées à l'arrivée de nouveaux venus. Il y a bien sûr un groupe religieux qui est venu s'établir dans le sud-est de la province et qui a acheté une importante superficie de terre. Les membres du groupe deviennent petits à petit des résidents de la province et acquièrent ainsi le droit de posséder chacun 1 000 acres.

Le sénateur Oh : Avez-vous bien dit 1 000 acres?

Mme Robinson : Oui, 1 000 acres pour un résident. Dans le cas des sociétés, la limite est de 3 000 acres. Les exigences définies signifient que la limite est en général de 1 000 acres par personne. Dans ma famille, nous sommes six propriétaires de notre exploitation, mais nous n'avons le droit de contrôler que 3 000 acres. « Contrôle » est le mot clé, car il englobe tant les propriétaires que les locataires.

Le sénateur Oh : Je suppose que c'est un moyen de réaliser l'équilibre. L'agriculteur qui part à la retraite aime bien constater qu'après 30 ans de travail, la valeur de son exploitation a augmenté.

Mme Robinson : C'est exactement cela. Tout dépend de votre rôle. Si vous êtes un nouveau venu, vous préférez évidemment que le prix des terres soit bas. Si vous êtes un agriculteur qui s'apprête à prendre sa retraite, vous voudrez que le prix de la terre monte pour que vous puissiez avoir une retraite confortable ou financer la succession de votre exploitation pour la prochaine génération.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Wiseman, si je vous ai bien compris, vous dites que vos terres servent, entre autres, au développement résidentiel, malgré un encadrement législatif de la province. Vous faites moins de production locale. Vous comptez davantage sur l'importation.

Quelles seraient les mesures initiales à prendre pour freiner cette tendance? Que pensez-vous d'une intervention du gouvernement fédéral qui serait en harmonie avec les responsabilités que doit prendre votre province?

[Traduction]

M. Wiseman : Je vous remercie de votre question. Le gouvernement provincial a pris certaines mesures pour atténuer les difficultés causées par la situation que vous avez décrite dans le préambule de votre question. Ainsi, il a créé par voie législative des zones de développement agricole qui empêchent l'utilisation des terres à des fins autres que l'agriculture.

Ces mesures n'ont pas donné tous les résultats attendus, car, comme dans tous les domaines, les gens trouvent toujours des moyens de contourner la réglementation. Il y a, par exemple, un énorme lobby politique qui essaie de persuader le gouvernement, au sujet de ces zones de développement agricole, qu'une trop grande proportion des zones est consacrée à l'agriculture et que cela n'est pas justifié. Des examens ont été effectués et ont permis, dans certains cas, d'amputer les zones de développement agricole de 50 p. 100 de leur superficie initiale. Le système avait donc certaines faiblesses.

Terre-Neuve-et-Labrador a mieux réussi en recourant à des arrangements de location à bail. Depuis 1978, personne ne peut posséder des terres agricoles dans la province autrement que dans le cadre d'un bail. Les mesures législatives adoptées à ce sujet n'ont pas touché les gens auxquels des terres de la Couronne avaient déjà été concédées auparavant. Voilà où réside le problème.

Je sais, comme les autres témoins, qu'il y a eu de grands problèmes à cause des gens des régions urbaines voisines de St. John's, Avalon, Corner Brook, et cetera, qui laissent des terres agricoles inexploitées. Ils disent qu'ils savent que ces terres font partie de zones de développement agricole, mais qu'ils ne vont quand même pas les cultiver et les laisseront là inactives pour toujours. Nous, partisans de l'agriculture, disons au gouvernement que si ces gens agissent ainsi, il faut les taxer. Nous devons utiliser ce moyen qui peut être très efficace.

Pour ce qui est de la mise en valeur de nouvelles terres, nous avons beaucoup de secteurs qui peuvent, à notre avis, être aménagés. Le gouvernement le reconnaît et admet qu'ils peuvent servir à augmenter les superficies arables.

Bien sûr, les arrangements de location à bail ont plus ou moins neutralisé la hausse des prix de la terre. Quand une terre est concédée à Terre-Neuve-et-Labrador, son coût annuel est de 4 $ l'acre. C'est presque rien. Le revers de la médaille, c'est que si on cesse de l'exploiter, elle revient automatiquement à la Couronne.

Si, à titre de producteur agricole, je loue cette terre à bail et décide d'y investir 500 000 $ pour l'aménager, je sais que si je tombe malade, au bout de trois ans, la terre avec tout ce qu'elle contient est reprise par la Couronne sans aucune indemnisation. C'est la même chose si je décide de partir à la retraite. Le gouvernement aurait donc un important rôle à jouer à cet égard. C'est absolument certain.

Je dirai, pour terminer, que la seule chose à faire consisterait à utiliser le Cadre stratégique pour l'agriculture afin d'offrir un financement fédéral-provincial supplémentaire pouvant servir à aménager les terres qui sont là et que le producteur est censé aménager lui-même. On pourrait ainsi atténuer le problème qui existe actuellement.

[Français]

Le président : Avant de redonner la parole au sénateur Dagenais, nous devons donner congé à M. van den Heuvel, parce qu'il a un avion à prendre dans les prochaines minutes.

Monsieur van den Heuvel, je tiens à vous remercier très sincèrement de votre présence à notre comité. Votre exposé était fort intéressant et particulièrement instructif. Sachez que les membres du comité sont très préoccupés par ce qui se passe au Canada. Nous avons beaucoup appris sur les dossiers qui touchent votre région. Vos commentaires nous sont très utiles. Je vous souhaite un bon retour à la maison.

Le sénateur Dagenais : Ma deuxième question s'adresse à M. Lovell. Vous avez parlé de la production des pommes de terre. Vous avez des terres non exploitées. Dans quels autres secteurs de production le Nouveau-Brunswick pourrait-il se distinguer? Comment le gouvernement pourrait-il vous aider si vous deviez envisager une autre production?

[Traduction]

M. Lovell : Nous travaillons actuellement sur un plan stratégique pour le secteur de la pomme du Nouveau-Brunswick. Dans le cadre de ce plan, nous avons établi un aperçu de ce que nous aimerions avoir en matière de prêts pouvant aider les producteurs. Lors de l'aménagement d'un verger, le prix de la terre ne représente qu'une faible proportion de l'investissement nécessaire, qui s'élève à environ 25 000 $ l'acre. Nous sommes en fait à la recherche d'un programme dans lequel les paiements, capital et intérêts, sont reportés dans les cinq premières années. Ensuite, les paiements ne comprendraient que les intérêts entre la sixième et la huitième année. Le remboursement du prêt proprement dit se ferait entre la 9e et la 15e année.

Je suis membre du groupe de travail sur la pomme du Conseil canadien de l'horticulture. Nous présenterons au gouvernement une proposition concernant l'allégement des intérêts. En effet, ce sont les cinq premières années qui sont les plus difficiles lorsque le producteur essaie de lancer son entreprise. Une fois qu'il commence à recevoir des revenus, il a les moyens de rembourser son prêt.

[Français]

Le président : Avant de donner la parole à la sénatrice Merchant, j'aurais une question à poser. Madame Robinson, vous avez dit quelque chose d'intrigant. Vous dites que des groupes religieux achètent des terres dans votre région. Est-ce pour cultiver ou pour prier?

[Traduction]

Mme Robinson : C'est un secret. Non, je m'excuse.

Le groupe particulier dont je parle — je ne crois pas qu'il soit inconvenant de donner certains détails à ce sujet — se compose de moines qui ont établi un collège ou une école dans le secteur sud-est de Kings, dans le comté de Kings à l'Île-du-Prince-Édouard. Ce sont des moines bouddhistes qui ont acheté une importante étendue de terre. Je ne suis pas sûre du chiffre, mais c'est peut-être 3 000, 5 000 ou 6 000 acres. Il y a des gens qui le sauraient, mais ils ne sont pas présents ici. Quoi qu'il en soit, selon les normes de l'île, c'est une importante superficie.

Ils ont créé une école. Il y a plus d'un millier de personnes qui vivent actuellement dans un secteur rural, ce qui a soulevé la question de l'utilisation des terres de l'Île-du-Prince-Édouard. La province a été plus ou moins prise au dépourvu.

[Français]

Le président : Cultivent-ils ces terres ou est-ce qu'ils ne font qu'enseigner?

[Traduction]

Mme Robinson : Oui et non. Ils ne veulent tuer aucune créature. Si j'ai bien compris, ils prennent soin de leur vermine, des rats, et cetera. Ils ne veulent pas labourer parce que cela tuerait des vers de terre. Par conséquent, si on veut parler d'agriculture moderne, ce sont évidemment des producteurs biologiques s'ils produisent quelque chose. Nous avons dans le coin des fermiers amish avec qui ils collaborent peut-être. Je crois qu'ils jugent acceptables les méthodes de culture amish.

D'une façon générale, on peut dire que, pour l'essentiel, ces terres ne produisent plus grand-chose, ce qui a des répercussions sur les propriétaires voisins. Ceux-ci, au lieu d'avoir à côté un champ bien soigné, ont affaire à une jachère ou un champ de mauvaises herbes.

La sénatrice Merchant : Je remercie beaucoup nos témoins. Comme nous n'en sommes qu'au début de notre étude, voici la question que j'ai à poser : s'il y a une telle pénurie de terres agricoles, pourquoi n'avons-nous pas une politique nationale? Vous y avez fait allusion, monsieur Wiseman.

Bien sûr, il y a des problèmes constitutionnels. Je vais donc modifier ma question. Les provinces ne devraient-elles pas demander au gouvernement fédéral de les aider à élaborer une politique nationale? Ne devraient-elles pas travailler ensemble?

M. Wiseman : Les questions de compétence constituent effectivement un obstacle, mais seulement dans une certaine mesure. Nous croyons que le Cadre stratégique pour l'agriculture est un excellent moyen de collaboration. C'est en quelque sorte un arrangement bilatéral qui a très bien marché entre les provinces et les territoires. Nous avons défini des piliers pour désigner les éléments de portée nationale qui ont des variantes provinciales. La protection environnementale est une grande affaire, de même que le changement climatique et la sécurité alimentaire. Ce sont des éléments à la fois nationaux et provinciaux. La collaboration que nous avons établie marche vraiment très bien.

Au chapitre de la protection et de l'amélioration des terres, la politique du gouvernement qui se reflète dans l'accord-cadre dit que nous n'intervenons pas dans l'amélioration des terres, comme le défrichement, par exemple.

À Terre-Neuve-et-Labrador, nous sommes particulièrement sous-développés dans le domaine des terres. Nous devons toujours passer par la porte arrière pour dire que les critères d'admissibilité de l'accord fédéral-provincial ne nous permettent pas de défricher 500 acres et que les travaux ne sont donc pas admissibles à un financement. Pour nous tirer d'affaire, nous avons décidé qu'il suffisait de dire que c'est un endroit où on peut épandre du fumier, ce qui en fait une question environnementale.

Nous avons dû nous démener et contourner toutes sortes d'obstacles parce qu'il y a une politique fédérale disant que nous ne pouvons pas faire cela dans nos terres. Nous croyons que c'est aberrant. Nous avons besoin de ce développement dans notre province. Nous pouvons le voir et l'entendre dans le cas des autres provinces.

C'est là que le vieux processus et ce qu'il implique en pratique peuvent marcher. Et ils marchent le mieux par l'entremise de l'entente sur le cadre pour l'agriculture. Voilà le moyen que nous devons emprunter.

La sénatrice Merchant : Quand vous dites « nous », parlez-vous de votre province?

M. Wiseman : Je pense à la collaboration des provinces et aux initiatives fédérales-provinciales.

La sénatrice Merchant : Vos provinces font-elles appel au gouvernement fédéral?

M. Wiseman : Oui.

La sénatrice Tardif : Je suis en train de parcourir le rapport de M. Connell. Il présente un résumé des cadres législatifs provinciaux et des principes de planification de l'utilisation des terres dans les différentes provinces. Il semble que la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard — je n'ai pas l'impression que Terre-Neuve soit mentionnée ici — ont des cadres législatifs et des principes de planification relativement faibles. Vos provinces sont désignées comme étant les plus faibles. Le Québec, l'Ontario et la Colombie-Britannique ont les cadres législatifs les plus forts.

Peut-être pour faire suite à ce que vous avez dit, monsieur Wiseman, il faudrait en faire davantage avec les provinces. Je ne sais pas ce que le gouvernement fédéral peut faire pour inciter vos provinces à agir. Avez-vous des suggestions à présenter en vue de l'adoption de cadres législatifs plus forts?

M. Wiseman : Je n'ai pas beaucoup parlé du processus législatif parce que je vois des obstacles attribuables à des questions de compétence, selon l'endroit où se trouvent les terres. J'ai l'impression qu'il faudrait agir dans le cadre d'un arrangement différent, comme le cadre stratégique.

Il est certain que la planification de l'utilisation des terres constitue un énorme obstacle dans notre province. Je sais que ce n'est pas mentionné là. On a proposé de créer des conseils consultatifs sur l'utilisation des terres à cause de la concurrence qui existe. Nous avons dû forcer l'industrie qui, par exemple, a pendant très longtemps utilisé tout ce qui pouvait être considéré comme une bonne terre agricole.

C'est seulement lorsque les usines de papier ont fermé et que les grandes sociétés sont parties que ces terres se sont libérées. Une grande bataille est en cours pour savoir qui pourra s'en servir. Est-ce le secteur pétrolier et gazier qui l'emportera ou bien les utilisations récréatives? Les utilisateurs de ce secteur, qui viennent pour la plupart de régions urbaines, exercent d'énormes pressions. Comme je l'ai mentionné, ces gens ont une mentalité infantile. Ils croient que les régions rurales et agricoles sont là uniquement pour leur plaisir. Ils vous disent sans ciller : comment osez-vous établir une ferme à côté de chez nous? Les pressions qu'exercent ces gens sont incroyables.

L'élément de planification de l'utilisation des terres est tout simplement absent. Je ne sais pas de quelle façon le gouvernement fédéral pourrait intervenir à cet égard. Il n'y a cependant pas de doute que le gouvernement fédéral peut aider en contribuant à l'aménagement des nouvelles terres.

Mme Robinson : Nous avons amorcé le processus de planification de l'utilisation de nos terres dans l'Île-du-Prince-Édouard. Nous avons actuellement 74 municipalités, mais nous avons entrepris une rationalisation. Nos terres ne sont pas toutes situées dans les limites de municipalités. Par conséquent, à notre connaissance, le but ultime du gouvernement provincial est de faire en sorte que toutes les terres se trouvent dans des municipalités et que le nombre de celles-ci soit réduit d'environ les deux tiers.

Pour moi, le rôle du gouvernement fédéral devrait consister à offrir de l'argent aux municipalités dans le cadre de n'importe quel programme afin de valoriser les terres agricoles. À l'heure actuelle, les municipalités ne sont pas très désireuses d'avoir des terres agricoles parce que celles-ci ne contribuent pas à l'assiette fiscale. Si nous pouvions trouver un moyen d'inciter les municipalités à attribuer une certaine valeur à ces terres, elles seraient plus disposées à reconnaître les avantages que l'agriculture apporte à la communauté et à la municipalité.

La sénatrice Tardif : Je vous remercie. Monsieur Lovell, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Lovell : Je n'ai pas vraiment de réponse. Je n'ai aucune idée des raisons pour lesquelles le Nouveau-Brunswick n'a pas une politique d'utilisation des terres.

La sénatrice Tardif : La politique est jugée faible.

M. Lovell : En réalité, nous n'avons aucune politique. Elle est très faible. L'Alliance agricole essaie depuis 20 ans de persuader le gouvernement provincial d'élaborer une politique sur l'utilisation des terres, simplement pour faire des choses comme interdire le prélèvement de la terre végétale. Nous avons quelques très belles terres agricoles. Ce sont des terres intermédiaires, des plaines inondables qui se trouvent juste au sud de Fredericton. En me rendant à Moncton, la semaine dernière, j'ai vu des travailleurs prélever la terre végétale. Elle est partie et ne reviendra jamais.

Le sénateur Mercer : À qui est-elle vendue?

M. Lovell : Elle est vendue à des sociétés d'aménagement paysager. Je comprends bien que ces gens veulent gagner leur vie, mais nous y perdons nos terres. Nous ne les retrouverons plus. Elles sont perdues pour plusieurs générations. Je suis sûr que d'autres pourront me corriger, mais j'ai l'impression qu'il faut peut-être un millier d'années pour créer un pouce de terre végétale.

La sénatrice Tardif : Certains témoins nous ont dit qu'il manque de données exactes, fiables et actuelles sur la cartographie et les ventes à des intérêts étrangers. Croyez-vous que ce soit le cas? Est-ce que cela fait partie du problème? Nous n'avons tout simplement pas les données nécessaires pour savoir quelles terres nous avons et à quoi elles servent.

M. Lovell : Oui. Nous avons eu cette discussion plus tôt aujourd'hui. En 2008, le gouvernement provincial a relevé sur des cartes toutes les terres agricoles abandonnées au Nouveau-Brunswick. Ces cartes peuvent être ajoutées comme couche sur ce qu'on appelle GoNB, mais personne ne les a tenues à jour. Nous avons dépensé beaucoup d'argent des contribuables pour trouver ces terres, mais nous avons tout laissé tomber. Pourquoi l'avons-nous fait?

Mme Robinson : J'aimerais bien être d'accord avec vous. Nous devons mieux faire la collecte des données. À l'heure actuelle, la solution n'est pas évidente pour nous. C'est un peu comme le fait de planter un arbre. Le meilleur moment pour le faire, c'est hier ou aujourd'hui.

Nous devrions recueillir activement des renseignements sur la propriété des terres et leur utilisation. Nous devrions avoir une meilleure compréhension de nos sols. L'Île-du-Prince-Édouard fait du bon travail à cet égard, en partie à cause de notre loi de protection, le Lands Protection Act, mais beaucoup de transactions peuvent passer inaperçues si elles n'atteignent pas les seuils d'application de la loi : 5 acres ou 165 pieds de façade littorale pour les non-résidents de l'Île-du-Prince-Édouard. En deçà de ces seuils, la transaction n'est pas enregistrée. Nous avons actuellement besoin d'un meilleur mécanisme de collecte de l'information pour disposer des renseignements qui nous manquent lorsque viendra le moment d'agir, dans trois ou cinq ans ou peut-être plus tôt.

M. Wiseman : Nous cherchons un moyen pouvant permettre au gouvernement fédéral d'intervenir dans le champ de compétence provincial. Nous essayons de trouver de bonnes raisons et nous en avons évidemment entendu un certain nombre.

Je crois que la question du changement climatique peut permettre au gouvernement fédéral d'intervenir pour offrir du financement et prendre d'autres mesures. Encore une fois, il pourrait le faire par l'intermédiaire du cadre stratégique pour l'agriculture. Le changement climatique est un important enjeu national en ce moment. Nous devons disposer de la base de données dont nous avons besoin.

La participation des agriculteurs à la lutte contre les gaz à effet de serre est devenue assez courante en Europe et dans toute la Scandinavie. En principe, les agriculteurs pourraient maintenant assumer la responsabilité à titre d'intendants de la terre en créant une couverture végétale. Ils peuvent créer cette couverture même sur les terres qui ne sont pas exploitées. Ils atténuent les effets du changement climatique en combattant l'érosion du sol et toutes les choses qui, pour nous, font partie du bien public. C'est un domaine de portée nationale qui constitue un bon motif d'intervention. Ainsi, le gouvernement peut jouer son rôle de façon conditionnelle en demandant en contrepartie aux provinces et aux producteurs de lui donner toute l'information nécessaire et de faire preuve de bonne volonté.

La sénatrice Tardif : Je vous remercie de vos suggestions.

Le sénateur Duffy : Je vous remercie de votre comparution ce soir. Je dirai, sans jeu de mots, que le gouvernement fédéral a de profondes racines dans l'Île-du-Prince-Édouard et son histoire. Lors de la Confédération, il avait racheté aux propriétaires britanniques les terres dont les habitants de l'île étaient locataires. Ensuite bien sûr, dans les années 1960, le premier ministre Campbell a établi son extraordinaire plan de développement de l'île.

N'est-ce pas le moment parfait pour que l'Île-du-Prince-Édouard essaie certaines de ces idées novatrices? Je crois que les agriculteurs de la province ont adopté la nouvelle réglementation environnementale et l'économie verte. Ils sont très intéressés parce qu'ils veulent être de bons intendants de la terre. N'est-ce pas la bonne place où le gouvernement fédéral peut mettre à l'essai certain de ces nouveaux concepts?

Mme Robinson : Je ne vois pas pourquoi il ne le ferait pas. Souhaitez-vous que j'en dise davantage?

Le sénateur Duffy : Madame Robinson, je vais peut-être vous poser une question sur un autre aspect de ce que vous avez dit. Il s'agit de toute la question de la fusion municipale qui fera passer les quelque 70 municipalités actuelles à une trentaine. Est-il vrai que les municipalités contrôleront tous les aspects du zonage dans leur territoire?

Mme Robinson : La province nous a dit que les municipalités sont un peu comme ses enfants et que tout ce qu'elles feront sera essentiellement aligné sur la politique provinciale actuelle.

Le sénateur Duffy : Mais avec un zonage hétéroclite, nous aurons encore plus de développement urbain.

Mme Robinson : Oui. Nous croyons savoir que chaque municipalité sera tenue d'avoir dans son effectif un planificateur professionnel de l'utilisation des terres à temps plein ou partiel et que tout projet d'aménagement devra satisfaire aux critères définis par la province.

Toutefois, nous nous inquiétons davantage du droit d'exploiter la terre ainsi que de la classification et de l'identification des terres agricoles. Nous voulons être sûrs qu'il n'y aura pas de groupes d'intérêts spéciaux qui feront obstacle à l'exploitation agricole et la rendront très difficile dans certains secteurs. Comme l'a dit Andrew tout à l'heure, les agriculteurs sont très attachés à leur terre. Contrairement à un concessionnaire d'automobiles, nous ne pouvons pas déménager si nous n'aimons plus le voisinage. Par conséquent, si les propriétaires du coin où nous nous trouvons décident qu'ils n'aiment pas l'agriculture, de quelle protection pouvons-nous nous prévaloir quand c'est la municipalité qui détient le pouvoir de décision?

Le sénateur Duffy : Je voudrais aborder un dernier point concernant une question environnementale qui, encore une fois, pourrait s'inscrire dans le champ de compétence fédéral. Je veux parler des puits profonds.

Mme Robinson : S'agit-il d'irrigation d'appoint?

Le sénateur Duffy : Oui.

Mme Robinson : Quelle est votre question?

Le sénateur Duffy : Eh bien, est-ce que le gouvernement fédéral devrait avoir un plus grand rôle à cet égard? Les agriculteurs ont besoin d'irrigation dans notre province afin d'être assez productifs pour survivre et répondre aux besoins du marché commercial. Nos ressources en eau sont-elles suffisamment protégées? Est-ce un autre domaine où le gouvernement fédéral peut intervenir en ce qui concerne les terres et l'agriculture?

Mme Robinson : Je crois que la question de l'irrigation d'appoint a pris une importance démesurée. Je n'ai pas l'impression que beaucoup d'agriculteurs de la province voudraient adopter des moyens d'irrigation d'appoint si le moratoire sur les puits profonds était levé.

Dans notre propre exploitation, nous n'envisagerions pas d'irriguer nos pommes de terre. Nous avons cependant un créneau spécial de producteurs de pommes de terre qui pensent à l'irrigation comme moyen de s'assurer que les pommes de terre, dont la teneur en eau est de 90 p. 100, continuent à croître pendant toute la saison. Ce serait utile dans une année de sécheresse extrême, mais l'irrigation d'appoint ne serait pas utilisée sur une base quotidienne.

Par conséquent, je crois que le besoin d'exploiter cette ressource a été exagéré. Il est d'ailleurs curieux de constater que, dans l'Île-du-Prince-Édouard, vous pouvez avoir un puits profond ou un puits à grande capacité — vous pouvez l'appeler comme vous voulez — si vous souhaitez ouvrir un lave-auto, mais vous ne pourrez pas obtenir un permis de forage si vous produisez des denrées alimentaires. J'ai l'impression que le moratoire avait été déclaré à cause des pressions exercées par le public.

Bref, la question de l'irrigation d'appoint ou à grande capacité est très semblable à celle qu'on pose au sujet des terres : le gouvernement fédéral devrait-il s'en occuper? Autrement dit, s'agit-il d'une question d'intérêt public à portée nationale? Si c'est le cas, le gouvernement fédéral devrait peut-être intervenir.

Le sénateur Duffy : Je vous remercie.

Le président : Sénateur Mercer, si vous le permettez, j'aurais deux petites questions à poser.

[Français]

Ma première question s'adresse à M. Wiseman. Je suis originaire de la Côte-Nord du Québec, qui est juste à côté du Labrador. Comme on le sait, les terres de cette région ne sont pas très fertiles.

Notre comité a déjà visité une ferme laitière à Terre-Neuve, mais pas encore de plantations de légumes. Y a-t-il des plantations de légumes importantes qui pourraient vous aider à subvenir à vos besoins? Vous dites que 90 p. 100 de vos denrées alimentaires proviennent de l'extérieur. Y aurait-il moyen de développer la culture des légumes?

[Traduction]

M. Wiseman : C'est un scénario intéressant dont on a beaucoup parlé. En toute franchise, les pommes de terre consommées et achetées à Terre-Neuve ne représentent que la production de 1 200 à 1 400 acres de terres. C'est la superficie approximative d'une toute petite exploitation de pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard. Je parle de la consommation totale de la province. Comme nous avons près de 150 agriculteurs qui s'en occupent, il y a certainement des problèmes d'économies d'échelle qui se posent.

Toutefois, l'éternel problème, c'est que nous n'avons tout simplement pas assez de terres. Nous n'en manquons pourtant pas, mais elles servent à d'autres fins. Compte tenu des renseignements que nous avons recueillis sur le marché et surtout du fait que l'idée d'acheter localement a fait son chemin, la question de l'horticulture et particulièrement des pommes de terre est soulevée. Il n'y a pas de doute que nous pourrions multiplier cette superficie par 10 ou par 12 si des possibilités d'aménagement nous étaient offertes. Nous avons l'impression que c'est la voie que nous avons empruntée.

[Français]

Le président : Madame Robinson, permettez-moi de vous féliciter pour votre contribution dans le domaine de l'agriculture depuis six générations. C'est un sujet qui est très intéressant, et nous sommes heureux de vous accueillir ce soir.

Il y a trois ou quatre ans, le sénateur Mercer et moi avons visité l'entreprise Cavendish dans le cadre d'un programme d'aide pour les jeunes agriculteurs qui souhaitent prendre la relève de fermes familiales. Cavendish vantait ce programme. Ce programme existe-t-il toujours? Le cas échéant, a-t-il donné des résultats?

[Traduction]

Mme Robinson : Je regrette, mais je ne peux pas vous répondre. Je ne connais pas ce programme. Andrew a dit plus tôt que les nouveaux venus qui n'ont pas d'expérience en agriculture sont soumis à de grandes pressions. Au début de votre question, vous avez dit que ma famille se livre à l'agriculture depuis six générations, de sorte que j'ai eu la grande chance d'acheter la terre à des membres de ma propre famille. Je ne connais pas le programme que vous avez mentionné, et je m'en excuse. Il fait partie des choses que j'ignore, mais je peux obtenir ces renseignements si vous le souhaitez.

Le sénateur Mercer : Si vous pouvez les trouver, je vous prie de les transmettre à notre greffier qui se chargera de nous les distribuer.

Mme Robinson a parlé de contacts possibles entre le gouvernement fédéral et les municipalités. C'est un sujet vraiment tabou en politique canadienne. Le gouvernement fédéral n'est pas autorisé à parler aux municipalités. En réalité, il le fait tout le temps, mais il doit vraiment faire preuve d'imagination pour trouver des raisons acceptables de le faire. À cet égard, l'initiative la plus créative est celle qu'avait prise M. Martin du temps où il était ministre des Finances. Il avait imaginé le programme de la taxe sur l'essence en vertu duquel il versait une partie de la taxe aux municipalités. Il évitait ainsi de donner l'argent aux provinces en leur demandant de le remettre aux municipalités. Il savait fort bien que les provinces l'auraient utilisé à leurs propres fins. Il y a différents moyens de plumer un canard.

Mme Robinson : Ou de dépouiller un renard.

Le sénateur Mercer : Ou de dépouiller un renard, oui. Quand j'étais jeune, c'était plutôt un lapin.

Le problème est d'autant plus compliqué qu'il n'y a que peu de pays du monde qui aient la possibilité d'augmenter leur superficie arable. Dans le monde entier, c'est le Canada qui a le plus de possibilités dans ce domaine. D'ici 2050, la population de la planète aura atteint 9 ou plutôt 9,6 milliards d'habitants. Si nous n'avons pas de quoi nourrir tous ces gens, ils seront affamés et furieux. Oui, les gens affamés deviennent furieux, ce qui occasionne des troubles, des soulèvements, des guerres, et cetera. Les Canadiens n'ont pas appris à se discipliner. Le problème, c'est qu'il faut produire plus de pommes de terre dans l'Île-du-Prince-Édouard et plus de pommes au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Tout cela est important, mais nous ne faisons pas le lien avec le fait que nous pouvons faire notre part pour donner à manger à 9 milliards de personnes.

Que pouvons-nous faire pour diffuser ce message? Comment les agriculteurs peuvent-ils nous aider à le faire passer?

Mme Robinson : Il serait merveilleux que le gouvernement fédéral aide ceux d'entre nous qui font de la production primaire à mieux faire connaître notre histoire. Financement agricole Canada a fait du bon travail à cet égard avec son programme L'agriculture plus que jamais. Toutefois, je crois que nous pouvons dire, d'une façon générale, que la vie n'est vraiment plus facile pour les agriculteurs d'aujourd'hui. Il y a beaucoup d'accusations et beaucoup de malentendus. Nous savons que les gens reçoivent les nouvelles qu'ils veulent entendre, mais on nous dit que Facebook va changer la situation.

Le sénateur Mercer : Je lui souhaite bonne chance.

Mme Robinson : Nous avons certainement besoin de faire preuve d'une plus grande détermination pour raconter notre histoire. Au Canada, l'agriculture a une histoire extraordinaire. Nous parlons de la possibilité d'augmenter le rendement de la terre et du merveilleux mode de vie de ceux qui travaillent dans ce domaine. Il y a bien des choses extraordinaires que nous pourrions raconter. Personnellement, j'aimerais beaucoup que notre gouvernement fédéral y participe.

M. Wiseman : Vous avez vraiment mis le doigt sur les grands problèmes. Le transfert des responsabilités aux municipalités est notre pire cauchemar. Cela se produit dans notre province et dans d'autres. Nous entendons dire que le gouvernement provincial cède aux municipalités beaucoup de responsabilités et de nombreux domaines liés à l'agriculture et à d'autres secteurs. C'est une énorme erreur. Votre comité a entendu des témoignages concernant la perte de terres agricoles.

Quand on essaie d'approfondir les choses, on constate la même chose partout : dans la région métropolitaine de Toronto, dans la région de Montréal et dans tous les grands centres urbains. Une fois les pouvoirs transférés aux municipalités, elles trouvent des moyens de dire qu'elles ont besoin des terres pour l'expansion industrielle, et cetera C'est une très grande erreur.

Je ne sais pas comment nous pouvons intervenir auprès du gouvernement provincial autrement qu'en affirmant que c'est un problème de sécurité et de souveraineté alimentaires. Le problème de l'explosion de la population mondiale est très sérieux. C'est un problème de portée nationale qui a des répercussions chez nous. Le problème se manifeste déjà dans une grande mesure, mais il s'aggravera. Je pense que cela donne certainement au gouvernement fédéral une grande responsabilité à cet égard.

Il y a aussi les problèmes liés au changement climatique. Nous devons exprimer notre préoccupation face à l'intervention municipale et trouver des moyens de la contourner. Je ne sais pas quoi dire de plus à ce sujet.

M. Lovell : Les exploitations agricoles ne sont pas toutes organisées de la même façon. Dans la nôtre, nous avons eu la chance de voir passer cette année près de 2 000 écoliers pendant la saison de la récolte. Le gouvernement, qu'il soit fédéral ou provincial, doit veiller à montrer aux enfants pendant toutes leurs années d'études que l'agriculture est une option viable. Il doit aussi leur donner les moyens de réussir, peut-être en leur accordant des prêts ou encore en leur donnant une certaine formation commerciale dans le cadre de leurs études. Il y aura sûrement des gens qui auront faim dans le monde. Pour nous, la seule façon de développer l'agriculture au Canada consiste à apprendre aux enfants que l'agriculture peut constituer un bon débouché pour eux.

Le sénateur Duffy : Comme suite à ce qu'a dit M. Wiseman au sujet des municipalités, je veux noter que les gens d'affaires locaux exercent de grandes pressions sur les conseillers municipaux pour qu'ils les autorisent à acheter des terres agricoles afin d'y créer une attraction quelconque, un lave-auto ou n'importe quoi d'autre. Il faut énormément de courage à un politicien local pour dire à des gens d'affaires qu'ils ne peuvent pas construire leur lave-auto, même si d'autres l'avaient fait 10 ans plus tôt, parce que les règles ont changé et qu'il est maintenant important de conserver les terres agricoles. Voilà pourquoi il est dangereux de céder cette responsabilité aux municipalités.

Mme Robinson : Un impôt foncier à taux progressif peut jouer un rôle important dans ce cas. Si nous pouvons modifier assez radicalement l'impôt foncier perçu sur les terres agricoles converties à d'autres fins, nous disposerons d'un moyen qui pourra servir de carotte ou de bâton, selon le cas. Nous devons nous efforcer d'inciter les gens à maintenir les terres agricoles en production. Un lave-auto peut sembler très lucratif à première vue, mais si le propriétaire doit payer un impôt foncier très élevé parce qu'il change l'utilisation de la terre, il y repensera probablement à deux fois.

Le président : Merci, sénateur Duffy.

[Français]

Au nom des membres du comité, madame Robinson, monsieur Wiseman, monsieur Lovell, je vous remercie très sincèrement de vous être déplacés pour nous donner de sages conseils. Vous nous avez fait d'excellentes suggestions, particulièrement en ce qui concerne la banque agricole. Je comprends, monsieur Lovell, que 1 cas sur 74, ce n'est pas fort comme résultat et que ce n'est pas suffisant pour assurer la relève et attirer de jeunes agriculteurs. Monsieur Wiseman, je vous souhaite la meilleure des chances avec vos renards, mais ne le dites pas à Mme Bardot, je vous en prie! Madame Robinson, je vous remercie infiniment d'être venue. Nous allons prier pour vous. Vous avez maintenant un bon monastère.

Bon retour!

(La séance est levée.)

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