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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 18 - Témoignages du 17 novembre 2016


OTTAWA, le jeudi 17 novembre 2016

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 heures, pour étudier l'acquisition des terres agricoles au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole.

Le sénateur Terry M. Mercer (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse. Je suis le vice-président du comité. J'aimerais commencer par demander aux sénateurs de se présenter.

La sénatrice Beyak : Bonjour; je suis la sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario. Bienvenue.

[Français]

La sénatrice Tardif : Bonjour, je suis Claudette Tardif, de l'Alberta.

La sénatrice Gagné : Bonjour, je suis Raymonde Gagné, du Manitoba.

[Traduction]

La sénatrice Merchant : Pana Merchant, de la Saskatchewan.

Le sénateur Plett : Don Plett, du Manitoba.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec, région de Montréal.

[Traduction]

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Oh : Sénateur Victor Oh, de l'Ontario.

Le vice-président : Merci, chers collègues.

Aujourd'hui, le comité poursuit son étude sur l'acquisition des terres agricoles au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole. Nous accueillons notre premier groupe de témoins, les représentants de Financement agricole Canada. Il s'agit de M. Michael Hoffort, qui est président-directeur général, de Mme Corinna Mitchell-Beaudin, vice-présidente exécutive et chef de la gestion du risque, et de M. Jean-Philippe Gervais, qui est vice-président et économiste agricole en chef. Merci d'avoir accepté notre invitation.

Nous allons inviter les témoins à faire leurs exposés. J'aimerais aussi leur rappeler que, conformément aux instructions que nous leur avons déjà fournies, les exposés seront d'une durée maximale de sept minutes. Ensuite, nous passerons aux questions de mes collègues ici présents.

Michael Hoffort, président-directeur général, Financement agricole Canada : Merci monsieur le président. Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. C'est un plaisir de comparaître au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts au nom de Financement agricole Canada, ou FAC, comme je l'appellerai ce matin.

Je m'appelle Michael Hoffort et je suis président-directeur général de FAC. Les personnes qui m'accompagnent aujourd'hui sont Corinna Mitchell-Beaudin, vice-présidente exécutive et chef de la gestion du risque à FAC, ainsi que Jean-Philippe Gervais, vice-président et économiste agricole en chef.

Comme c'est le cas pour un grand nombre d'employés chez FAC, l'intérêt que je porte au domaine de l'agriculture provient d'abord de mes antécédents familiaux. J'ai également occupé, pendant près de trois décennies, divers postes à FAC dans le cadre desquels je me suis efforcé de fournir des solutions financières aux agriculteurs et aux familles agricoles. C'est ce qui nous motive, moi et tous les employés, à être au service de ces gens.

C'est la raison de notre présence ici aujourd'hui. Nous voulons vous faire part des perspectives de l'agriculture, en particulier celles des terres agricoles. Les terres agricoles ne sont pas seulement un actif important ou une garantie pour un prêt, mais elles représentent aussi les espoirs et aspirations de chacun de nos clients.

FAC est une société d'État commerciale. La très grande majorité de nos clients, soit plus de 100 000 personnes, sont des producteurs primaires. Grâce à un portefeuille de première qualité de plus de 28 milliards de dollars, FAC est en mesure de réinvestir ses profits dans l'agriculture canadienne en mettant au point des produits et services novateurs qui répondent aux besoins changeants de l'industrie. FAC travaille en étroite collaboration avec le gouvernement du Canada et Agriculture et Agroalimentaire Canada afin de fournir des solutions de financement aux agriculteurs et aux exploitations agricoles, petites et grandes.

Nous estimons que les perspectives d'avenir de l'industrie agricole canadienne sont positives dans l'ensemble. Notre confiance repose sur une industrie axée sur la diversification de ses produits et sur la réputation du Canada, à l'échelle internationale, de produire constamment des aliments salubres et de grande qualité.

Bien que la demande de produits agricoles demeure forte, les prix des produits de base ont baissé au cours des dernières années en raison des réserves mondiales croissantes. Les producteurs canadiens ont été protégés en partie contre ces changements grâce à la faiblesse du dollar canadien par rapport au dollar américain, ce qui a eu pour effet de soutenir les prix qu'obtiennent les producteurs canadiens à l'échelle locale.

Nous savons également que la nature même de l'agriculture est cyclique. Nous avons pu le constater cette année alors que les Prairies ont connu un automne pluvieux et neigeux, ce qui a retardé les récoltes dans de nombreux cas. Cela a des conséquences sur la qualité des cultures et le revenu général des producteurs. FAC a déjà réagi à cette situation en offrant un programme de soutien à la clientèle, dont l'objectif est de diminuer la pression financière que subissent les agriculteurs touchés par ces conditions.

La résilience de l'industrie agricole canadienne ne fait aucun doute. L'industrie est menée par des exploitants agricoles hautement qualifiés et compétents qui créent de la valeur pour notre économie et prennent au sérieux leur mission, celle de nourrir une population mondiale croissante. La plupart des exploitations agricoles sont formées de familles agricoles de plusieurs générations qui ont à cœur ce qu'elles produisent et la manière dont elles le font. Selon le dernier Recensement de l'agriculture, 98 p. 100 des exploitations agricoles canadiennes sont des exploitations familiales et bon nombre d'entre elles sont pluriannuelles et multigénérationnelles; la très grande majorité des clients de FAC sont de petites et moyennes exploitations agricoles.

Soutenant la position mondiale du pays à titre de cinquième exportateur de produits agricoles en importance au monde, les agriculteurs canadiens continuent de figurer parmi les plus productifs et les plus efficaces sur la scène internationale.

J'aimerais maintenant parler des tendances et perspectives relatives à la valeur des terres agricoles.

En tant que plus important prêteur agricole au Canada, FAC se trouve dans une position unique pour communiquer ses points de vue et analyses à ce comité au sujet du plus important actif que détient un agriculteur et de l'intrant le plus essentiel pour la production agricole, soit la terre. Nous sommes des experts dans le domaine de l'évaluation de la valeur des terres agricoles, comme en fait foi le rapport annuel Valeur des terres agricoles de FAC que nous produisons depuis les 30 dernières années. Nous vous avons fourni un exemplaire de notre plus récent rapport aujourd'hui.

Notre évaluation de la valeur des terres est influencée par un certain nombre de facteurs, dont quelques-uns peuvent varier considérablement entre les régions et les provinces. Ces facteurs comprennent l'offre et la demande, les conditions climatiques, le prix des produits de base et du bétail, les taux d'intérêt et l'utilisation prévue de la terre.

Il existe un lien émotionnel à l'égard de la terre sur laquelle les agriculteurs font pousser leurs cultures et élèvent leur bétail. C'est l'héritage d'une propriété foncière appartenant à une famille depuis plusieurs générations. Les décisions d'investissement, comme l'achat d'une terre agricole ou la signature d'un contrat de location d'une terre, sont analysées selon une vision à long terme. Dans cette optique, les producteurs qui souhaitent démarrer une exploitation ou agrandir leur ferme existante sont souvent prêts à payer un prix plus élevé pour faire l'acquisition d'une terre, en sachant qu'une telle possibilité d'achat ne se représentera peut-être pas avant la prochaine génération, et peut-être après une période plus longue encore.

Examinons la valeur des terres agricoles au Canada selon un point de vue historique. En 1981, la terre représentait 54 p. 100 de l'actif agricole total. Selon notre dernier rapport Valeur des terres agricoles, la terre représentait, en 2015 67 p. 100 de l'actif agricole total.

L'augmentation de la valeur des terres agricoles s'inscrit donc dans une hausse générale de l'appréciation des actifs au cours des dernières années. Cela s'explique principalement par de faibles taux d'intérêt et d'excellentes recettes de cultures, ce qui pousse de nombreuses personnes à investir dans des terres agricoles. Il serait donc juste de conclure qu'à mesure que l'agriculture accroît sa rentabilité, les terres agricoles deviennent un investissement plus important, et c'est exactement ce que nous avons constaté au cours des 10 dernières années ou plus.

Selon la conjoncture et les prévisions économiques actuelles, nous pensons que la valeur des terres agricoles a atteint, en grande partie, l'apogée de son cycle de croissance. De plus, nous avons constaté, de manière générale, un ralentissement du taux de croissance de la valeur des terres agricoles au cours des dernières années. Mais il ne faut pas confondre ce ralentissement avec une baisse de la valeur des terres agricoles, car celle-ci continue d'augmenter dans de nombreuses régions, simplement pas aussi rapidement. La question de l'abordabilité des terres doit donc être examinée attentivement.

Il est également important de ne pas oublier que FAC mesure la fluctuation moyenne de la valeur des terres agricoles des provinces. Nous sommes conscients qu'il peut y avoir des cas isolés où le prix des terres agricoles est exceptionnellement élevé en raison d'un certain nombre de facteurs locaux. Cela n'est pas toujours pris en compte dans l'évaluation de la valeur des terres agricoles.

Lors de mes déplacements partout au pays et de mes échanges avec nos clients et des représentants d'associations agricoles, on me pose souvent la grande question que tous se posent : est-ce que les terres agricoles au Canada sont à leur juste valeur marchande ou leur valeur est-elle trop élevée? Il n'y a pas de réponse simple à cette question, mais voici certains des indicateurs que nous surveillons.

Il y a d'abord le ratio terre-revenu. Ce ratio permet d'examiner la valeur de la terre comparativement à sa capacité de générer un revenu grâce aux recettes de cultures. Par exemple, en Saskatchewan, qui compte environ 40 p. 100 de la superficie de terres arables au Canada, ce ratio se situe près de la moyenne de 25 ans, ce qui laisse entendre un marché assez équilibré. Dans certaines autres régions du pays, il serait juste d'affirmer que les terres sont devenues plus dispendieuses par rapport aux recettes de culture. Cependant, si on examine la situation dans l'optique d'une économie agricole en plein essor — appuyée par une longue période de faibles taux d'intérêt et une forte demande de produits agricoles — il est tout à fait compréhensible que la valeur des terres ait aussi augmenté. Les producteurs sont au fait de leurs flux de trésorerie et y voient l'occasion de faire un investissement à long terme, non seulement dans l'actif le plus important de leur exploitation agricole, mais aussi dans les futures générations d'agriculteurs.

Le ratio d'endettement est un autre indicateur que nous surveillons. Nous vous avons remis aujourd'hui un exemplaire de notre dernier rapport Perspectives concernant les actifs et la dette agricoles de FAC, l'un de nos rapports les plus importants d'un point de vue de l'industrie et du financement agricole. À la suite de notre analyse des données et tendances économiques, ce rapport indique que le ratio d'endettement moyen de l'agriculture canadienne en 2015 est demeuré à un niveau historiquement bas. Ce sont là de bonnes nouvelles puisqu'un ratio d'endettement moins élevé procure généralement plus de marge de manœuvre à une exploitation agricole pour faire face aux difficultés et aux changements imprévus, ainsi que la solidité financière nécessaire pour saisir les occasions qui se présentent. Tout cela pour dire que nous croyons que les exploitants agricoles canadiens sont en bonne position pour respecter leurs obligations financières, et que la valeur élevée des terres agricoles est un indicateur du dynamisme de l'industrie.

Alors, revenons à notre grande question : est-ce que les terres agricoles au Canada sont à leur juste valeur marchande? Nous ne le savons pas avec certitude, car la « juste valeur » est dictée par le marché et fondée sur la loi de l'offre et de la demande. Mais voici ce que nous savons avec certitude. Ces transactions sont le signe d'une économie saine et dynamique, et la très grande majorité de celles-ci sont conclues entre des exploitations familiales ou ont lieu à la suite de transferts intergénérationnels d'exploitations agricoles.

Lorsqu'il s'agit de terres agricoles ou de l'achat de terres agricoles, l'idéal serait que la valeur moyenne des terres agricoles atteigne un degré de stabilité à long terme, caractérisée par des hausses ou diminutions modestes et graduelles. Bien que la valeur élevée des terres agricoles soit une bonne chose pour les producteurs qui détiennent une terre comme actif, elle peut représenter une difficulté pour les jeunes ou nouveaux agriculteurs qui veulent s'établir dans l'industrie, ceux qui cherchent à accroître leurs activités et même ceux qui cherchent à quitter l'industrie de l'agriculture. En d'autres termes, elle peut rendre le transfert intergénérationnel ou la vente privée d'une terre un peu plus difficile.

En 2015-2016 seulement, FAC a versé 2,6 milliards de dollars à des agriculteurs de moins de 40 ans. Le total du financement destiné à de jeunes agriculteurs a augmenté de manière constante au cours des dernières années. Une partie de ce soutien provient d'une offre de financement spéciale qui aide les jeunes agriculteurs à acheter des terres ou des bâtiments, ou à améliorer ces derniers. Le programme de prêts Jeune agriculteur de FAC permet à des producteurs admissibles d'emprunter sans frais et à des taux d'intérêt abordables. Depuis son lancement en 2012, FAC a mis 1,5 milliard de dollars à la disposition des jeunes agriculteurs par l'intermédiaire de ce produit de financement. Ce prêt répond à un besoin sur le marché en permettant à de jeunes agriculteurs d'accéder au crédit dont ils ont besoin pour s'établir dans l'industrie. L'avenir de l'industrie repose sur la capacité d'inciter de jeunes et brillants entrepreneurs à embrasser une carrière en agriculture ou d'aider ceux qui ont grandi sur une ferme à réaliser leur rêve de poursuivre un jour la tradition familiale.

Notre prêt Transfert mise sur une relation préexistante entre un acheteur et un vendeur — habituellement un vendeur patient comme un parent, un membre de la famille ou un voisin — pour aider les jeunes agriculteurs à démarrer leur exploitation ou à l'agrandir, ou encore pour aider des agriculteurs établis à transférer leurs actifs agricoles à la prochaine génération. Le prêt Transfert permet de faire une mise de fonds peu élevée et des versements au vendeur qui s'échelonnent sur une période maximale de cinq ans. Pour l'acheteur, ce décaissement progressif du prêt lui offre la possibilité d'imputer un pourcentage plus élevé des paiements de prêt initiaux au remboursement du capital, ce qui contribue à constituer sa valeur nette plus rapidement.

En plus de ces deux produits de prêt, nous cherchons activement des moyens d'élargir notre offre et notre gamme de produits de prêt afin d'être notamment au service des jeunes producteurs et de travailler en collaboration avec eux pour établir une base solide à partir de laquelle ils pourront développer et faire croître leur exploitation agricole. Cela s'inscrit directement dans notre mandat à Financement agricole Canada et dans notre rôle au sein du marché du financement agricole. Nous offrons des produits et services qui répondent précisément aux besoins de tous nos clients.

À FAC, plus de 90 p. 100 de nos clients font aussi affaire avec une autre institution financière ou coopérative de crédit. Nous pensons qu'une saine concurrence sur le marché et un choix d'options de financement profitent à tous les agriculteurs et agroentreprises du Canada. L'agriculture apporte une contribution importante à l'économie et nécessite des capitaux provenant de nous tous — banques, coopératives de crédit et FAC — pour réaliser son plein potentiel.

Cela étant dit, FAC est la seule institution financière qui se consacre entièrement à l'avenir de l'agroindustrie. Notre rôle consiste à procurer aux agriculteurs canadiens le financement dont ils ont besoin pour faire croître leur entreprise et nous le remplissons avec succès depuis les 57 dernières années. Peu importe les changements qui s'opèrent au sein de l'industrie, FAC continuera d'être un partenaire solide et stable dans tous les cycles économiques. Nous offrons un soutien indéfectible aux agriculteurs, dans les bonnes comme dans les mauvaises périodes. Nous les appuyons lorsqu'ils doivent composer avec des circonstances imprévisibles. L'agriculture, c'est notre affaire et nous sommes là pour longtemps.

Je vous remercie de m'avoir permis de m'adresser à vous aujourd'hui. Je répondrai avec plaisir aux questions des membres du comité.

Le vice-président : Merci, monsieur Hoffort. Je crois comprendre que vous êtes le seul à faire un exposé, mais que les autres sont prêts à répondre aux questions. Nous passons aux questions, en commençant par le sénateur Plett.

Le sénateur Plett : Merci, monsieur le président. Merci à vous trois d'être ici. Monsieur Hoffort, vous avez principalement parlé de la valeur des terres et du prix du grain, mais vous avez peu traité des autres aspects de l'agriculture. Vos activités sont-elles surtout liées aux producteurs de grain, ou avez-vous des liens avec les éleveurs de porc et les producteurs laitiers? Il n'y a aucune différence; est-ce que tout le monde est admissible?

M. Hoffort : Oui.

Le sénateur Plett : Vous avez indiqué que dans l'ensemble, les exploitants agricoles sont en bonne position pour respecter leurs obligations financières actuelles; il convient de garder à l'esprit que les taux d'intérêt sont plutôt bas. Or, on entend toujours parler d'une hausse possible des taux d'intérêt. Quel serait l'effet, dans l'ensemble, d'une hausse de 1,5 ou 2 ou 2,5 p. 100 des taux d'intérêt? Les agriculteurs pourraient-ils poursuivre leurs activités, ou l'effet serait-il dévastateur?

M. Hoffort : Nous prenons en compte la hausse des taux d'intérêt, et ce, même dans le cadre de l'évaluation des demandes de prêts des producteurs. En ce qui concerne une hausse de 2 ou de 2,5 p. 100, il faut savoir que cela dépendrait de deux ou trois facteurs.

Le premier est le rythme de la hausse des taux. Une augmentation rapide sur plusieurs mois successifs plutôt qu'une hausse échelonnée sur plusieurs années imposerait un lourd fardeau aux producteurs dont le ratio d'endettement est plus élevé, à mon avis. C'est souvent le cas des jeunes producteurs ou des producteurs qui agrandissent leur exploitation. Une hausse rapide des taux d'intérêt, de l'ordre de 200 ou 250 points de base, alourdirait fort probablement le fardeau de ces exploitations.

Je dirais cependant que si l'on regarde la situation dans son ensemble, la rentabilité des exploitations agricoles et leur capacité de s'adapter lorsqu'elles en ont le temps leur permettraient d'y voir clair. L'une des choses sur lesquelles nous nous sommes concentrés, en tenant compte de la dette agricole à laquelle sont confrontés nos consommateurs, c'est de nous assurer qu'il y a une certaine flexibilité si nous voulons étendre nos périodes d'amortissement ou prendre des mesures pour offrir un allégement des liquidités. Ce serait structuré pour permettre de le faire. Notre prêt hypothécaire moyen est habituellement assorti d'une période d'amortissement de 15 ans ou peut-être de 20 ans. Il y a une certaine flexibilité pour apporter des ajustements au bilan financier quant à la façon dont il est structuré lorsqu'on enregistre une hausse très rapide et lorsque quelqu'un a besoin de temps pour s'y adapter. Mais nous croyons que si le marché semble indiquer qu'il y aura une hausse au cours des mois et des années à venir, lorsque la hausse commencerait à se faire sentir, le secteur agricole canadien s'y adapterait en fonction des niveaux d'endettement actuels.

Le sénateur Plett : Au fil des ans, nous avons tous contracté nos premiers prêts pour acheter notre première voiture ou notre première maison. Je trouve difficile de comprendre que les banques semblent toujours — eh bien, j'imagine que c'est peut-être compréhensible — imposer un taux d'intérêt plus élevé à ceux qui ont du mal à rembourser leurs prêts et, bien entendu, plus le taux d'intérêt est élevé, plus il est difficile de le rembourser. Ce n'est pas la bonne façon de faire, à mon avis. Imposez-vous des taux d'intérêt différents en fonction du risque et, le cas échéant, quels sont généralement vos taux d'intérêt?

M. Hoffort : En ce qui concerne les taux d'intérêt, il y en a certains qui sont fondés sur les risques, ce qui concorde avec ce que vous dites. Un consommateur à risque élevé paiera généralement un taux d'intérêt légèrement plus élevé qu'un consommateur à faible risque. C'est compatible avec le marché et la façon dont les banques et la Société du crédit agricole établiraient les frais. Pour ce qui est de l'écart entre ces taux, je ne pense pas que la différence serait très marquée entre le taux d'intérêt le plus bas et le taux d'intérêt le plus élevé. Généralement, l'écart entre les deux n'est pas considérable.

En ce qui concerne les taux d'intérêt et la prime fixée à 2,7 à l'heure actuelle, de même que les faibles coûts associés au marché des obligations et à d'autres secteurs, des taux d'intérêt de l'ordre de 2,5 et 4 p. 100 ne seraient pas inhabituels.

L'un des facteurs pris en considération dans le cadre du programme de prêts aux jeunes agriculteurs est de s'assurer que le taux que les jeunes agriculteurs paieraient par l'entremise de notre programme soit le même que le taux imposé à un consommateur à faible risque. On assure cette harmonisation. En raison du facteur de ne pas imposer un frais additionnel pour le prêt et ce genre de choses, on donne un peu de répit aux jeunes producteurs par rapport à ce qu'ils obtiendraient avec un taux axé sur le marché.

Le sénateur Plett : Nous avons entendu un certain nombre de témoins qui ont évidemment parlé, comme vous l'avez déjà mentionné dans votre rapport, du prix des terres qui augmente. Je suis du Manitoba, et nous avons un grand nombre de producteurs laitiers et d'éleveurs de porcs. Surtout avec les producteurs laitiers, il ne semble pas y avoir de limites à ce qu'ils paieront pour des terres, pas parce qu'ils ont nécessairement besoin de planter des récoltes, mais parce qu'ils doivent épandre du fumier. Il ne semble pas y avoir de plafonds aux prix de ces terres.

Constatez-vous que, de façon générale, les gens achètent beaucoup de terres, que ce soit pour cette raison ou même pour spéculer sur la construction de villes? Où sont les augmentations les plus élevées du prix des terres et pourquoi? Les prix en Saskatchewan semblent demeurer assez stables.

Jean-Philippe Gervais, vice-président et économiste agricole en chef, Financement agricole Canada : Nous avons remarqué d'année en année que l'étalement urbain a une incidence sur certaines régions dans certaines provinces. Ce serait localisé cependant.

Si vous examinez notre rapport, nous rendons des comptes à l'échelle provinciale, mais si vous regardez une description détaillée de notre évaluation du marché des terres agricoles dans chaque province, vous trouverez des exemples de ce que je viens de mentionner pour une année précise, par exemple. Je vais mentionner l'Ontario car c'est l'exemple qui me vient en tête. Une région où il y a une grande concentration de producteurs laitiers enregistrerait des hausses importantes de la valeur de ses terres agricoles. Nous ne savons pas exactement quelle est la dynamique et quelles sont les raisons pour lesquelles il y a une hausse une année et pas une autre année, mais nous avons des régions ou des secteurs très localisés, car nous utilisons des points de référence dans chacune des provinces pour essayer de comprendre la tendance générale dans la province. Cela se produit.

Je dirais que lorsque cela se produit, si vous examinez les chiffres et essayez d'établir un lien entre ce que vous remarquez à un niveau localisé et ce que nous signalons à l'échelle provinciale, vous constaterez qu'il n'y a pas de lien solide. Il y en a évidemment un car c'est pris en compte dans la moyenne provinciale, mais il reste que les principaux facteurs demeurent les recettes tirées des cultures, les taux d'intérêt et la nécessité de prendre de l'expansion et de soutenir la concurrence.

Mais je dirais que dans certaines régions très localisées, vous trouverez des exemples de secteurs qui ont une incidence sur des années précises.

Le vice-président : J'imagine que l'effet Walkerton serait également un facteur clé dans l'industrie laitière, pour s'éloigner le plus possible des cours d'eau.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s'adresse à M. Hoffort. Monsieur Hoffort, selon les dossiers que vous étudiez, pouvez-vous nous brosser un portrait des propriétaires de terres agricoles qui cèdent leur exploitation à la suite de propositions alléchantes de la part de promoteurs immobiliers? Ces promoteurs immobiliers voient à très long terme, sont généralement très patients et sont prêts à payer un peu plus cher aujourd'hui dans le but de générer des profits quelques années plus tard, entre autres grâce au développement urbain.

[Traduction]

M. Hoffort : L'histoire se rapporte à la dernière réponse de J.P. En ce qui concerne certains des centres urbains, les plus gros plus particulièrement, il y a eu des spéculations sur les secteurs aux abords des villes. C'est la réalité. Dans certains cas, les villes ont été bloquées et ont dû prendre leur mal en patience, mais ce qui se passe habituellement dans ce genre de situations, c'est que les terres sont louées à nouveau à des producteurs locaux jusqu'à ce qu'il y ait des développements.

Cela varie certainement, selon l'endroit et les circonstances. Par exemple, la vallée du bas Fraser en Colombie-Britannique a une réserve de terres agricoles. On précise que les propriétés agricoles continueront d'être exploitées. Vous verrez toutefois que le marché exerce des pressions. Nous entendons beaucoup parler de Vancouver et du marché du logement. Une partie de ces pressions se font sentir sur les propriétés agricoles. Je pense que l'on réussit bien à ne pas convertir les propriétés de la réserve en propriétés résidentielles, et c'est probablement l'un des facteurs qui expliquent le prix des maisons dans les centres urbains.

Cela varie sur le territoire. Je ne peux pas nier que c'est un facteur. Comme J.P. l'a mentionné, c'est localisé. L'une des réalités est que les terres appartiennent à des intérêts locaux puis sont ensuite louées à un producteur local et, à un moment donné, les terres peuvent être converties en quartiers résidentiels. Lorsque cette conversion se fait lentement, ce n'est pas une grande préoccupation, mais à mesure que les terres sont converties, je pense que cela devient une préoccupation pour les producteurs locaux, car ils doivent déménager pour continuer de pratiquer l'agriculture et pour faire prendre de l'expansion à leur exploitation.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Avec votre permission, monsieur le président, j'aurais une question à poser à Mme Mitchell-Beaudin. Madame Mitchell-Beaudin, sur le plan strictement financier, quelle est, selon vous, la tolérance au risque des agriculteurs, de Financement agricole Canada et des banquiers en général? Qui est prêt à prendre des risques pour le bien de la production agricole de notre pays? À quel moment le risque devient-il trop important pour votre organisme?

[Traduction]

Corinna Mitchell-Beaudin, vice-présidente exécutive et chef de la gestion du risque, Financement agricole Canada : La Société du crédit agricole, comme toutes les institutions financières, aurait des pratiques de prêt très précises que nous établirions et respecterions tous les jours.

Je ne peux pas parler précisément de la tolérance aux risques d'autres institutions financières, mais en ce qui nous concerne, nous croyons très fermement que nous n'offrons à personne de traitement de faveur en accordant un prêt qu'il ne peut pas rembourser. Alors, quand nous analysons un prêt, nous tenons compte du remboursement et nous nous assurons qu'il y aura suffisamment de liquidités pour rembourser le prêt à long terme.

Ensuite, la deuxième source de remboursement est la garantie et, dans le cadre de cette conversation, les terres représentent une bonne garantie pour contracter un prêt. Nous fixerions des limites précises sur les montants que nous sommes disposés à prêter en échange d'une garantie. Habituellement, c'est environ 75 p. 100 de la valeur de la garantie, mais notre nouveau prêt chaque année serait, en moyenne, inférieur au maximum de 75 p. 100.

Cela représente, de façon générale, le risque que nous sommes prêts à assumer en tant qu'organisme, mais en principe, nous voulons que le secteur agricole canadien soit prospère. Nous voulons que les producteurs aient du succès dans leur carrière et puissent réaliser leurs rêves, alors nous tenons fermement à accorder des prêts que les gens pourront rembourser en liquidités.

Le sénateur Oh : Merci, chers témoins. Tout d'abord, j'aimerais dire à la Société du crédit agricole qu'elle a fait un excellent travail, d'après votre rapport, pour venir en aide aux jeunes agriculteurs et pour les aider durant les périodes de transition et l'établissement de leur ferme.

D'après le Syndicat national des cultivateurs, le manque de données, surtout dans les provinces qui autorisent la propriété étrangère, fait en sorte qu'il est difficile de déterminer le nombre d'acres achetées par des investisseurs étrangers. L'acquisition de terres agricoles par des investisseurs étrangers est-elle une préoccupation pour vos membres? Financez-vous des investisseurs étrangers pour faire l'acquisition de terres agricoles?

M. Hoffort : Je vais répondre à la deuxième question, puis je laisserai le soin à J.P. de répondre à la première sur les acheteurs étrangers au pays.

Pour ce qui est du mandat de la Société du crédit agricole et des bénéficiaires de nos prêts, ils ne s'appliquent qu'aux citoyens canadiens et aux immigrants reçus, si bien que nous n'accorderions pas activement des prêts à des investisseurs étrangers. En fait, conformément à nos lignes directrices et à nos politiques, nous ne prêtons pas à des fonds d'investissement ou à ce genre d'entités non plus. Nous accordons des prêts à des agriculteurs et à des Canadiens qui veulent investir dans le secteur agricole canadien.

En ce qui concerne la propriété étrangère, J.P. pourra mieux vous éclairer à cet égard et vous donner un aperçu de ce qui se passe.

M. Gervais : Merci. Je pense que vous avez souligné que la question de la propriété étrangère, lorsqu'il est question de terres agricoles, est un enjeu difficile, et l'une des raisons est évidemment le manque de données. La propriété étrangère et la propriété plus particulièrement relèvent des provinces, et toutes les provinces ont des règles différentes concernant la propriété.

Nous savons que quelques études ont abouti à certaines conclusions en ce qui concerne les données. L'étude à laquelle je fais souvent référence est celle qui a été menée à l'Université de Guelph il n'y a pas si longtemps — je pense que c'était il y a deux ou trois ans — où l'on a examiné toutes les terres qui sont louées ou qui n'appartiennent pas à des producteurs ou qui ne sont pas exploitées par des producteurs. Une très petite proportion de ces terres appartient à des intérêts étrangers.

La propriété étrangère existe à différents niveaux dans les provinces, mais dans une province comme l'Ontario qui en autorise certaines formes, la propriété étrangère représente moins de 1 p. 100 de la propriété de toutes les terres agricoles, ce qui nous amène à penser que ce n'est pas forcément un problème dans toutes les analyses et les données que nous produisons.

Le sénateur Pratte : Ma question fait suite à toutes ces questions. La propriété étrangère, l'empiètement urbain et les investisseurs institutionnels qui achètent des terres sont des préoccupations dont on nous a fait part dans le passé pour ce qui est, d'une part, de l'occupation des terres et, d'autre part, de l'augmentation de la valeur des terres.

Si l'on regarde rapidement les données et le rapport dans la province, on mentionne la propriété non traditionnelle, je pense, dans une province, celle du Québec, et je n'ai pas vu d'autres provinces être mentionnées. Je ne sais pas si cela signifie que quelque chose en particulier est survenu au Québec et pas dans les autres provinces. Est-ce que vous considérez la « propriété non traditionnelle » comme étant un facteur dans certaines provinces, certaines régions, ou non? Vous dites que la grande majorité des opérations sont effectuées entre des entreprises familiales. Est-ce un facteur ou non?

M. Gervais : C'est un facteur; c'est une tendance. Je ne pense pas que personne ne peut le nier étant donné ce qui a été rapporté dans les médias et, là encore, nous n'avons pas les données sur la propriété. Nous avons des études ici et là qui nous aident à nous faire une idée de la situation dans son ensemble. C'est un facteur. C'est certainement une tendance non seulement au Québec, mais je dirais aussi en Ontario, par exemple, où certains fonds d'investissement ont en fait acheté des terres, ce qui a été documenté également.

Lorsque nous examinons les tendances au chapitre des terres agricoles et que nous voulons aider nos consommateurs à comprendre ce qui fait varier les prix des terres agricoles pour qu'ils puissent prendre des décisions éclairées concernant le marché et la valeur des terres, notre analyse révèle à maintes reprises que cela n'a pas d'incidence sur les chiffres globaux.

Dans le cas du Québec que vous avez mentionné, il y a eu un point de référence dans notre étude que nous avons utilisé pour mesurer la valeur des terres agricoles où il y a eu une légère incidence en raison de l'acquisition institutionnelle ou non traditionnelle des terres agricoles. Cependant, l'incidence de ce facteur sur les chiffres globaux n'est pas forcément considérable en raison du nombre important d'acres dont il est question comparativement au nombre global d'acres qui sont exploitées dans une province comme le Québec, et dans d'autres provinces également. Je mentionne le Québec, mais ce serait le cas en Ontario ainsi que dans d'autres provinces.

Oui, c'est une tendance. On ne peut pas le nier. Les terres agricoles offrent non seulement de bons rendements pour les fonds d'investissement, mais elles offrent aussi une certaine stabilité, ce que ces investisseurs cherchent également lorsqu'ils font l'acquisition d'un actif. Mais derrière les chiffres et les tendances que nous relevons, je pense que nous voyons encore des transactions entre un acheteur et un vendeur qui sont tous les deux des producteurs.

[Français]

Le sénateur Pratte : J'aimerais savoir quelles sont les statistiques dont vous disposez. Vous dites que la grande majorité des transactions se fait entre des entreprises familiales, mais que vous ne disposez pas de données précises sur les terres qui sont achetées par des investisseurs non traditionnels. Avez-vous des données sur les transactions faites entre entreprises familiales?

M. Gervais : Les données dont nous disposons sont liées aux transactions que nous observons dans le marché, aux transactions courantes que nous finançons et à celles que nous ne finançons pas, parce que nous avons notre propre service d'évaluation. Par exemple, lorsqu'un producteur achète une terre, les évaluateurs examinent les transactions qui ont un impact sur la valeur de la terre que le producteur désire acheter. Nous savons qu'il y a de nombreuses transactions sur le marché, mais nous n'avons pas de données comme telles. Nous pouvons toujours utiliser des données liées à notre portefeuille, mais FAC détient seulement une part du marché, ce qui ne représente pas toute l'industrie. Nous devons tenir compte des données agrégées. Par exemple, le rapport sur les actifs et la dette agricoles fait état des statistiques nationales et des données agrégées qui englobent toute l'agriculture et non pas seulement les données qui viennent du portefeuille.

Le sénateur Pratte : Si quelqu'un achète un ensemble de terres en Montérégie en utilisant son fonds de pension, par exemple, avez-vous des détails sur les coûts qui y sont liés?

M. Gervais : Nous pouvons consulter les renseignements liés à une transaction dans laquelle nous sommes impliqués. Nous pouvons voir les prix des transactions au moyen des registres officiels de chaque province. Nous pouvons établir des comparaisons sur l'évaluation des terres. Nous pouvons consulter ces données, mais elles ne sont pas comptabilisées de façon précise. Il est donc impossible de dresser un tableau complet de la situation. Avec l'aide de nos évaluateurs, nous connaissons la tendance qui se développe dans le marché. De toute évidence, il y a une tendance du côté institutionnel non traditionnel, mais la vaste majorité des transactions que nous observons à l'intérieur de nos opérations quotidiennes s'effectue de producteur à producteur.

[Traduction]

Le sénateur Pratte : Si nous voulions avoir les données complètes, quelle serait la meilleure personne à qui nous adresser?

M. Gervais : Bien des efforts sont déployés pour recueillir ce type de données. J'ai mentionné une étude réalisée par l'Université de Guelph dans le cadre de laquelle on a utilisé des méthodes fondées sur des sondages. Des efforts ont également été déployés pour passer en revue les registres provinciaux afin d'examiner les transactions, de les étiqueter et de les consigner dans une base de données pour pouvoir avoir une idée, dans la plupart des cas, de la situation dans son ensemble, et pas nécessairement dans toute la province mais dans une région donnée. Des efforts ont été déployés, mais je n'ai entendu parler d'aucune initiative exhaustive à l'échelle nationale ou même provinciale.

La sénatrice Tardif : Je vous remercie de votre présence ici aujourd'hui. Vous avez dit que la valeur des terres agricoles variait d'une province à l'autre. À la lecture de votre rapport, j'ai remarqué que la valeur des terres agricoles de trois provinces avait diminué entre 2014 et 2015 : la Saskatchewan, le Québec et le Nouveau-Brunswick. Celle des autres provinces semble être demeurée stable ou avoir augmenté. Quels peuvent être les facteurs qui expliquent la diminution de la valeur des terres agricoles de ces provinces?

M. Hoffort : Selon le rapport, la valeur des terres agricoles de toutes les provinces a augmenté en 2015. La différence, c'est le taux d'augmentation, qui est moins élevé dans ces provinces.

La sénatrice Tardif : Le taux d'augmentation.

M. Hoffort : La valeur des terres agricoles a augmenté d'environ 10 p. 100 en Saskatchewan, en Alberta et au Manitoba... c'est un peu plus que cela dans certaines provinces et un peu moins en Saskatchewan, et c'est attribuable au prix des légumineuses à grains, des lentilles et des pois chiches, entre autres. La rentabilité entraîne habituellement une augmentation de la valeur des terres agricoles.

La situation est la même en Alberta, étant donné le prix élevé des bovins et du bétail.

L'an dernier, le Manitoba a connu l'une des plus importantes augmentations au pays. C'est attribuable notamment à la force de ses activités générales et à une culture accrue du maïs ou du soya. Je dirais qu'il y a un effet à retardement, puisqu'en raison des nombreuses inondations qu'ont connues ces régions au cours des années précédentes, la valeur des terres n'avait pas beaucoup augmenté. La province a ensuite rattrapé les autres en matière de rentabilité. Ce sont là les divers facteurs clés.

Ensuite en Ontario, par exemple, l'augmentation avait été plus lente, mais a pris de la vitesse au cours des dernières années, donc les choses se placent. Nous prévoyons une stabilisation du prix des cultures. Lorsque nous arriverons à la fin de ce cycle, pour ainsi dire, la valeur des terres agricoles augmentera moins rapidement puis se stabilisera. C'est ce qui risque de se produire au cours des prochaines années.

La sénatrice Tardif : Si je comprends bien, le prix des terres agricoles dépend, dans une certaine mesure, des produits cultivés et de leur rentabilité.

M. Hoffort : Tout à fait, oui. Cela dépend aussi des forces d'une région, comme l'a dit un autre intervenant tout à l'heure. Si une région produit beaucoup de produits laitiers, ses terres seront convoitées, ce qui peut avoir une incidence sur leur valeur.

La sénatrice Tardif : Croyez-vous que la rentabilité est suffisante pour permettre aux agriculteurs d'investir dans l'agrandissement de leurs fermes?

M. Hoffort : Oui. Nous ne croyons pas que la rentabilité fasse augmenter la valeur des terres agricoles davantage. Selon nos observations — et c'est ce que nous espérons —, la valeur des terres agricoles se stabilisera, comme c'est le cas pour les revenus des agriculteurs. On atteindra alors un équilibre et le prix des terres agricoles correspondra aux attentes. Ainsi, les agriculteurs pourront acheter les terres sans avoir besoin de grandes subventions et accroître leurs opérations. C'est assez facile pour les grandes fermes établies, mais beaucoup plus difficiles pour les petites fermes en croissance. Nous voulons veiller à ce que la situation soit équitable et saine pour tous.

Le sénateur Ogilvie : Je comprends que les chiffres que vous nous avez présentés ne sont pas une analyse complète de l'industrie agricole, mais ils montrent qu'elle est en bonne position étant donné la valeur de son actif. Je ne vous ai pas entendu parler du taux d'échec des prêts que vous accordez, et je ne vois rien à ce sujet dans vos documents.

M. Hoffort : Nos pertes sur les prêts n'ont jamais été aussi faibles, et ce depuis plusieurs années. Elles représentent 0,15 de 1 p. 100 de notre portefeuille. C'est donc un niveau de perte très faible, ce qui reflète la force de l'industrie et est une très bonne nouvelle pour l'agriculture canadienne.

Un des facteurs dont il faut tenir compte, c'est que lorsque le marché foncier connaît une croissance — ce qui est le cas depuis les 10 dernières années —, si un producteur a des problèmes d'argent et entrevoit un avenir difficile, il peut restructurer son entreprise et poursuivre ses activités ou vendre son entreprise à un voisin et protéger ses capitaux propres.

Mais dans l'ensemble, nos clients n'ont pas de problème à rembourser leurs prêts. Nous avons un nombre gérable de clients avec lesquels nous travaillons intensivement et nous n'avons pas de problème avec notre portefeuille.

Le sénateur Ogilvie : Est-ce que 0,15 p. 100 correspond au nombre total de prêts ou à la valeur totale des prêts?

M. Hoffort : C'est le pourcentage du portefeuille total.

Le sénateur Ogilvie : Je vous demande de préciser s'il s'agit du nombre de prêts ou de la valeur totale de ces prêts.

M. Hoffort : C'est la valeur des prêts.

Le sénateur Ogilvie : Merci.

Ce qui me marque à la lecture de vos documents également — je cherche toujours ce qui ressort du lot —, c'est que l'augmentation de la valeur des terres agricoles a connu une progression normale, comme vous l'avez dit, mais qu'en 2012, le Manitoba et l'Ontario ont connu une augmentation deux fois plus élevée que l'année précédente et l'année suivante, à l'exception du Manitoba, où l'augmentation est demeurée élevée pendant deux ans. Ces années ont été plutôt bonnes dans plusieurs provinces, mais pas autant que cela. Qu'est-ce qui s'est passé au Manitoba et en Ontario en 2011 pour qu'il y ait une telle augmentation en 2012?

M. Gervais : De nombreux facteurs expliquent cette augmentation. Je dirais que nous en relevons un en particulier : en 2012, les producteurs de cultures de l'Ontario ont connu une bonne année. Il y a eu d'importantes sécheresses aux États-Unis, du jamais vu depuis les années 1930. Leur rendement a donc été faible. En Ontario, les récoltes ont été bonnes, sans battre de record, mais elles se sont vendues à un prix record en raison des problèmes aux États-Unis, ce qui a donné lieu à une augmentation importante du revenu et a entraîné d'importantes répercussions.

Même si le prix des produits a atteint un sommet en 2012, il avait tout de même connu une augmentation au cours des années précédentes, après un ralentissement à la suite de la crise financière de 2008.

C'est donc une combinaison parfaite de facteurs sur le plan des revenus. Le Manitoba en a profité également. La culture du maïs prend de plus en plus de place au Manitoba et les revenus augmentent.

Le sénateur Ogilvie : Cela ne s'applique pas à toutes les provinces, mais de façon générale, l'année 2012 a été une bonne année. Cela s'explique en raison des problèmes précédents et du changement des conditions en Amérique du Nord en 2012. L'augmentation a été plus importante dans la deuxième moitié de 2012; n'est-ce pas? Si l'état des cultures était en jeu, alors on en a ressenti les effets après coup. Le taux d'activité était élevé pour la deuxième moitié de 2012 et a continué de l'être en 2013, surtout au Manitoba.

M. Gervais : Je dirais que oui. Il y a aussi un certain rattrapage dans les provinces, ce qui explique les chiffres de 2013.

[Français]

La sénatrice Gagné : Ma question porte sur les tendances futures en ce qui concerne la demande de crédit. Je me demandais si vous aviez fait une analyse du profil des agriculteurs, à savoir à quel âge le transfert des terres s'effectue, et j'aimerais savoir ce que vous prévoyez au sujet des demandes de crédit dans les 10 prochaines années.

[Traduction]

M. Hoffort : Nous établissons actuellement le plan quinquennal de l'organisation, en tenant compte notamment des prévisions relatives aux demandes de crédit.

À cette étape-ci, nous prévoyons que les demandes de crédit correspondront dans une large mesure à la situation actuelle, et connaîtront une hausse modeste de 3 à 5 p. 100. C'est un taux de crédit normal en fonction de la taille des opérations et des actifs.

Les facteurs contributifs seront la croissance continue des fermes et le souci d'efficience, mais il y a aussi de nombreux actifs intergénérationnels qui doivent être transférés. Les propriétaires de ces actifs d'une valeur de 500 milliards de dollars sont âgés et vont transférer leurs fermes.

Ce qui est intéressant, c'est que dans de nombreuses fermes intergénérationnelles, qui sont bien présentes au pays — tout le monde participe aux activités de la ferme : les grands-parents, les parents et les enfants —, les transferts se font en douceur, sur plusieurs années, par opposition à un seul grand événement, comme c'était le cas il y a 30 ans, par exemple. Nous prévoyons que ces biens seront transférés à la prochaine génération.

Ces 10 bonnes années dans le secteur de l'agriculture ont attiré beaucoup de jeunes, et nous avons prêté 2,6 milliards de dollars à des agriculteurs de moins de 40 ans. C'est le signe qu'une nouvelle génération prend la relève des activités agricoles. Ces jeunes sont motivés et intelligents, et ont de très bonnes idées. Nous avons confiance en leur réussite, mais les coopératives de crédit et les banques devront investir des capitaux pour veiller à ce que le transfert des actifs se fasse de manière ordonnée.

Le vice-président : Je remercie les témoins de leur présence ici aujourd'hui. Vos témoignages ont été très instructifs. Vous nous avez aussi fourni des documents de référence très intéressants.

Vous entendrez peut-être parler de nous à nouveau au fil de l'évolution de notre étude. Comme vous continuerez à suivre nos délibérations, n'hésitez pas à communiquer avec nous par l'entremise du greffier si vous avez oublié de nous dire quelque chose ou si vous avez de nouveaux renseignements à nous transmettre. Le greffier les transmettra aux membres du comité de sorte que nous puissions les étudier. Je vous remercie à nouveau de votre présence ici aujourd'hui.

Notre prochain témoin est Charles-Félix Ross, directeur général de l'Union des producteurs agricoles du Québec. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.

J'invite le témoin à présenter son exposé. Nous passerons ensuite à la période de questions. Nous sommes un peu en retard; je demande donc à tous les intervenants d'être brefs.

[Français]

Charles-Félix Ross, directeur général, Union des producteurs agricoles du Québec : Merci de me recevoir ce matin. Je suis le directeur général de l'Union des producteurs agricoles du Québec, qui est l'association professionnelle qui représente l'ensemble des producteurs et productrices agricoles du Québec. Mes dirigeants auraient aimé être présents aujourd'hui, mais nous sommes à une semaine de notre congrès général annuel. Mon président et mon vice-président sont donc sur la route pour aller à la rencontre des producteurs dans diverses assemblées.

Nous étions heureux d'apprendre que le Sénat se penche sur la question de la propriété ou de l'acquisition des terres agricoles. C'est un enjeu qui nous préoccupe. En fait, il y a eu une sonnette d'alarme, au début des années 2010, lorsque des investisseurs financiers se sont vraiment intéressés aux terres agricoles au Québec.

Comme vous le savez, le Québec n'est pas l'Ouest canadien. Malgré une agriculture dynamique et prospère, le territoire agricole n'occupe que 4 p. 100 de notre territoire provincial. Ces 4 p. 100 représentent 6 millions d'hectares qui sont protégés par une loi, la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles. Mais sur ces 6 millions d'hectares, il n'y que 2 millions d'hectares, soit le tiers de ce qui est protégé, qui sont en culture. C'est quand même minime par rapport à l'ensemble de notre territoire. Cette agriculture s'est développée principalement dans la plaine du Saint-Laurent. Les gens s'y sont installés, ce qui a provoqué une pression urbaine, une pression d'étalement sur les terres agricoles.

Comme je le disais, en 2010, la sonnette d'alarme a retenti. À ce moment-là, des rumeurs voulaient que des investisseurs chinois aient acheté des terres agricoles dans la région de Saint-Hyacinthe. Cela ne s'est pas avéré. Mais durant la même année, la Banque Nationale, qui est une institution financière, a commencé à acheter des terres agricoles au Lac-Saint-Jean pour y pratiquer l'agriculture. On avait rencontré à ce moment-là le président-directeur général de la banque, M. Louis Vachon, qui nous avait dit que la banque voulait investir 100 millions de dollars dans l'achat de terres agricoles. En 2010-2011, à la suite de la crise financière, M. Vachon nous a expliqué que ce que la banque recherchait, c'était des valeurs refuges, parce que la Bourse ne donne plus de rendements et que les terres agricoles, année après année, prennent de la valeur, ce qui donne du rendement et apporte de la stabilité à un portefeuille financier.

Depuis 2010-2011, nous surveillons le marché des terres agricoles. Nous avons fait savoir à notre gouvernement provincial que la situation nous inquiétait, et nous lui avons demandé d'intervenir au moyen de certaines actions.

Il y a quatre raisons qui ont justifié notre interpellation au gouvernement. Ce que nous avons remarqué, dans notre étude du marché foncier agricole au Québec, c'est qu'il y avait eu une augmentation très importante du nombre de transactions annuelles, c'est-à-dire que le marché des terres était beaucoup plus actif qu'il ne l'était par le passé. La deuxième observation, c'était la valeur des transactions. Donc, il y avait plus de transactions, mais aussi des actifs qui se négociaient à des montants encore plus élevés, ce qui donnait un marché plus actif quant au nombre de joueurs et à la valeur des transactions.

Nous avions également remarqué qu'il y avait de nouveaux joueurs. La Banque Nationale s'est retirée depuis, mais il y a des investisseurs financiers, des fonds d'investissement qui s'intéressent aux terres agricoles du Québec. Il ne s'agit pas nécessairement de fonds étrangers, mais de fonds canadiens. La principale vocation de ces fonds n'est pas de faire de l'agriculture, mais d'obtenir des rendements sur les actifs. Or, cela nous a préoccupés.

La quatrième raison, c'est que nous croyons que le modèle d'affaire des fonds qui sont proposés aux agriculteurs n'est pas un modèle d'avenir pour maintenir une agriculture dynamique au Canada. Nous avons dénoncé cette situation auprès de notre gouvernement et nous lui avons demandé d'intervenir de deux façons, dont la première consistait à faire une vigie du marché des terres agricoles. Au Québec, on protège 6 millions d'hectares, dont 2 millions d'hectares sont en culture, mais il n'y a pas de vigie gouvernementale du marché des terres agricoles et des actifs agricoles. Donc, on protège, mais on ne sait pas ce qui se passe sur le marché en question.

Ensuite, pour freiner l'appétit des fonds d'investissement, nous avons demandé également au gouvernement de réglementer le secteur et de limiter l'achat de terres agricoles à 100 hectares par année, afin qu'un individu, une entreprise ou un fonds d'investissement ne puisse acheter plus de 100 hectares par année. Par exemple, une ferme moyenne au Québec représente 100 hectares. C'est tout de même énorme. Ça peut paraître petit, mais si on prend l'exemple illustré dans les documents qui vous ont été transmis, le fonds d'investissement Pangea avait acheté, sur une période de deux ou trois ans, 4 000 hectares de terre. Au Québec, c'est l'équivalent de 40 fermes, de 40 familles qui peuvent vivre d'une entreprise agricole. C'est donc assez important.

Ce sont les demandes qui ont été formulées à notre gouvernement. Une commission parlementaire s'est tenue à l'Assemblée nationale au printemps 2015; depuis, un rapport a été produit. Ce dernier recommandait au gouvernement de mettre en place un registre, une vigie du marché des terres. Il n'y a toutefois pas vraiment eu de suite à cette recommandation.

Ce sont donc les principales observations que nous souhaitions transmettre au comité sénatorial ce matin.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Ross. La première question sera posée par le sénateur Dagenais.

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le président. Pour votre information, monsieur Ross, je connais très bien la région de Saint-Hyacinthe; j'y étais candidat conservateur en 2011. J'entretiens de bons liens avec cette région et je connais bien aussi la région de Lanaudière; je connais donc le prix des terres agricoles.

Cela dit, j'aimerais discuter avec vous de l'étalement urbain. De nombreux producteurs agricoles reçoivent des demandes de promoteurs immobiliers afin qu'ils leur vendent leurs terres. Certains promoteurs immobiliers très patients peuvent acheter la terre, la garder pendant un certain temps et attendre l'étalement urbain. On l'a vécu dans la région de Laval où les terres ont pris beaucoup de valeur. Certaines personnes sont peut-être devenues millionnaires en vendant leurs terres. L'UPA est-elle sensibilisée à cette situation, soit l'approche de promoteurs immobiliers qui attendent d'avoir l'occasion d'acheter des terres agricoles? Vous avez vous-même mentionné qu'il s'agit d'un bon placement à la Bourse et que les propriétaires peuvent revendre plus tard ces terres agricoles à des promoteurs immobiliers. Est-ce que cette situation vous est familière?

M. Ross : Nous sommes extrêmement préoccupés par cette situation et nous la dénonçons continuellement. Au Québec, 4 000 hectares de terre sont dézonés tous les ans et sortent de la zone agricole pour être utilisés à d'autres fins que l'agriculture. Sur une période de 10 ans, c'est l'équivalent du territoire de l'île de Montréal. C'est donc quand même assez important. Nous avons constaté, lors de notre observation du marché des terres agricoles que, dans certaines régions périphériques, des investisseurs sont intéressés, mais la spéculation et le nombre de transactions se sont accrus principalement dans les zones périurbaines.

Lorsqu'on observe les transactions qui sont enregistrées au bureau d'enregistrement afin de savoir qui sont ceux qui ont effectué des transactions de terrains, on note qu'il y a beaucoup d'agriculteurs, mais également beaucoup de compagnies à numéro. Lorsqu'on fouille un peu, on se rend compte que ce sont des compagnies qui appartiennent à des promoteurs immobiliers ou à des firmes d'avocats.

Dans le territoire de la communauté urbaine de Montréal, 50 p. 100 des terres agricoles exploitées sont louées à des agriculteurs. Les producteurs ne sont pas propriétaires des terres agricoles; ils les exploitent, mais ces terres appartiennent à une multitude de propriétaires. Ce phénomène est très inquiétant et nous demandons à ce que le gouvernement renforce l'application de la loi.

La loi, en soi, fait le travail, mais il faut renforcer l'application de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, et il faut se donner une meilleure vision de l'aménagement urbain. Comment doit-on aménager le territoire? Peut-on favoriser la densification? Peut-on mettre en place un plan d'action à long terme pour le transport en commun? On dépasse le domaine de l'agriculture, mais la planification de l'aménagement du territoire de la ville dans 10, 15 ou 20 ans est importante. Si nous utilisons l'espace correctement, cela exercera moins de pressions sur le territoire agricole.

Au Québec, pour toutes sortes de raisons, de la façon dont la fiscalité est aménagée, plus de 80 p. 100 du revenu de nos municipalités proviennent des taxes foncières sur les immeubles, les commerces, les résidences et les terres agricoles. Cela crée énormément de pressions. Il y a un besoin pour les municipalités, si elles veulent accroître leurs revenus, de développer la ville. Comme il y a plusieurs municipalités, on perd un peu cette vision du développement et de l'aménagement et, indirectement, cela exerce des pressions sur les terres agricoles et favorise les promoteurs.

Le sénateur Dagenais : Vous m'avez surpris un peu lorsque vous avez parlé de l'investissement de la Banque Nationale. Nous savons tous que les banques existent pour faire des profits. C'est la même chose pour les fonds s'ils cherchent du rendement. Ne croyez-vous pas que, un jour, cela puisse se retourner contre le monde agricole? Par exemple, peut-être qu'un jour il n'y aura plus de locataires pour exploiter ces terres agricoles. Imaginez que la banque achète des terres et qu'il n'y a plus de locataires. Qui pourrait alors profiter de ces interventions de la part d'investisseurs qui achètent des terres s'il n'y a plus de locataires? Est-ce que ça peut arriver? Voyez-vous cela dans votre vision de l'avenir?

M. Ross : Nous nous sommes posé la question. M. Vachon avait été clair et transparent avec nous; il avait dit que, de son côté, la banque cherchait des actifs de refuge à inclure dans son portefeuille. Ensuite, elle a vendu la terre à Pangea, qui est un fonds d'investissement dont le principal actionnaire est Charles Sirois, un homme d'affaires assez connu au Québec.

Nous nous sommes posé la question à savoir pourquoi ces gens sont intéressés à ce marché. Dans une perspective à long terme, vont-ils accorder la priorité au développement de l'agriculture? Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il y avait une probabilité que l'opération consiste à monter un modèle agricole d'entreprise qui pourrait être revendu. Par exemple, je pourrais démarrer un fonds, acheter des terres agricoles, soit un bloc de 100 millions de dollars de terres agricoles qui représentent 30 000 hectares de terres. Et cela donne accès à des fonds plus importants. Par exemple, la Caisse de dépôt du Québec dispose d'investissements par l'intermédiaire d'un fonds américain, et elle a acheté des terres agricoles en Amérique du Sud, ce qui signifie que les grands fonds d'investissement sont intéressés par ces actifs à l'international. Si je suis un opérateur québécois et que j'achète 30 000 hectares de terres, que je sois la Banque Nationale ou Pangea, si je regroupe des terres et que je déploie un modèle agricole, je deviens intéressant. La Caisse de dépôt ou tout autre fonds important ne souhaitent pas faire les démarches auprès des agriculteurs pour déterminer s'ils sont prêts à vendre leurs terres. Ils ne veulent pas nécessairement faire ce travail.

Nous croyons donc que ces joueurs font présentement du regroupement. Ils concentrent l'activité. À notre avis, selon les hypothèses les plus réalistes, c'est afin de revendre les terres à des fonds plus importants éventuellement. Est-ce bien pour l'agriculture? Nous pensons qu'il n'y a rien de plus résilient que les fermes familiales. Un producteur pour qui le prix du grain n'est pas au rendez-vous pendant deux ou trois ans va demeurer sur sa terre. Ça ne le dérange pas d'être payé en deçà du salaire minimum pendant deux ou trois ans, parce qu'il est ancré dans son territoire, parce que sa famille y habite et parce que ses enfants vont à l'école du village.

Cependant, en ce qui concerne les entreprises qui s'accaparent de terres et qui instaurent une autre forme de modèle agricole, et dont l'objectif premier est le rendement et non pas de faire de l'agriculture, nous sommes vraiment inquiets quant au modèle qui est en train de se développer. Ce n'est pas répandu, mais ça pointe à l'horizon. Le jour où il ne sera plus rentable de faire de l'agriculture au Canada, parce que, par exemple, en Amérique du Sud, il y a trois saisons dans l'année, qu'ils ont des rendements extraordinaires, que les charges sociales sont moins élevées qu'ici et qu'il y a moins de contraintes environnementales, les agriculteurs vont-ils finalement décider de ne plus faire de l'agriculture au Canada et d'aller ailleurs?

Les fermes familiales composées de familles agricoles n'iront pas ailleurs, car elles veulent rester ici. Bien sûr, on extrapole, mais ce sont nos craintes et elles sont partagées par les agriculteurs du Québec. Je me promène au Canada et, à la Fédération canadienne de l'agriculture, des agriculteurs qui proviennent d'un peu partout au Canada ont exactement les mêmes craintes que nous à cet égard.

Le sénateur Pratte : J'aimerais revenir sur un point. Vous avez demandé au gouvernement provincial d'établir ce que vous appelez une vigie du marché agricole. Vous avez dit que votre étude du marché avait révélé un certain nombre de problèmes. Quels avantages représentent cette vigie? Selon plusieurs témoins qui ont comparu devant notre comité, il manquerait des données sur la propriété des terres agricoles. Quels sont les renseignements dont vous disposez ou que vous aimeriez obtenir en ce qui concerne cette vigie?

M. Ross : L'information sur les transactions est disponible. Lorsque je vends une terre, je dois inscrire ma transaction auprès du bureau d'enregistrement. Ces données sont accessibles au public. Par contre, personne ne collige ou n'analyse cette information. Des firmes spécialisées, comme GDL au Québec, préparent des bulletins pour les intervenants du secteur agricole qui sont ensuite transmis aux banques et aux institutions financières. Les seuls renseignements qu'ils recueillent des bureaux d'enregistrement sont liés aux transactions, à savoir que M. Untel a vendu à Mme Unetelle le lot B no 4570 à tel endroit pour tel montant d'argent. Si la transaction m'intéresse, je peux aller chercher les titres et voir, par exemple, le nombre d'hectares de terres dont il est question. Je peux également identifier l'acheteur et le nombre de terres qu'il a acquises au cours de la dernière année. En faisant une recherche approfondie, je peux consulter d'autres transactions. L'information existe dans les bulletins, mais personne n'est chargé d'en faire l'analyse, à savoir si tel type de joueurs sont plus actifs que d'autres, si le modèle d'affaires est déployé sur le territoire et à quelles fins. Il n'y a aucune analyse, mais nous sommes en mesure de tirer des conclusions et de connaître les tendances pour donner suite aux préoccupations ou pour prendre connaissance des dossiers intéressants.

Le sénateur Pratte : Je ne suis pas en mesure de savoir à quel point les investisseurs institutionnels ont pris une part importante des terres au Québec. De façon anecdotique, on sait que des terres sont sur le marché, mais on n'en connaît pas la part exacte ni l'évolution au cours des cinq dernières années. Aucune donnée n'est disponible à ce chapitre.

M. Ross : C'est exact. Nous l'avons fait en quelque sorte, car nous sommes allés voir dans le registre combien de terres Pangea avait achetées de telle année à telle année — je donne souvent l'exemple de Pangea. Nous avons consulté les actes, mais cela représente tout un travail. C'est là que le gouvernement pourrait jouer un rôle important. Même dans le prochain cadre stratégique agricole canadien, le gouvernement du Canada, en partenariat avec les provinces, pourrait accorder son soutien à ce type d'analyse à l'échelle nationale. À mon avis, ce serait une initiative intéressante.

La sénatrice Tardif : Vous avez dit être préoccupé par les investisseurs institutionnels. Cependant, il y a aussi toute la question d'Énergie Est. Si jamais le projet de construction de l'oléoduc pouvait toucher des terres agricoles, quelles en seraient les conséquences? Entrevoyez-vous des conséquences néfastes pour les agriculteurs et leur productivité?

M. Ross : De toute évidence, il s'agit d'un dossier chaud au Québec et au Canada. On parlait tantôt des investisseurs et des promoteurs, mais, souvent, les terres agricoles sont perçues comme la voie plus facile pour faire passer les lignes électriques, les oléoducs et toutes sortes d'infrastructures. En ce qui concerne l'oléoduc, les agriculteurs sont surtout inquiets des accidents, des fuites et des risques liés à la contamination des sols et des nappes phréatiques. Le monde agricole a beaucoup de craintes à propos de cette initiative. Nous serions très heureux que le pipeline transite ailleurs que sur les terres agricoles. D'un point de vue juridique, advenant une catastrophe environnementale, les compagnies seront-elles en mesure d'offrir une compensation pour les pertes occasionnées à l'environnement, aux entreprises ou aux citoyens qui habitent sur ces territoires? À titre d'exemple, dans le dossier de Lac-Mégantic, les compagnies n'avaient pas nécessairement les reins solides sur le plan financier pour compenser les dommages causés à la société, à l'environnement et au propriétaire terrien. C'est l'une des grandes préoccupations des producteurs.

Il y a aussi toute la question de la responsabilité. Si un problème survient, le producteur est-il responsable? Le syndicat et les producteurs seraient très heureux d'apprendre que ce pipeline puisse passer ailleurs que sur les terres agricoles. D'un point de vue juridique, si les autorités gouvernementales décident que le pipeline passera sur les terres agricoles, nous devrons vivre avec cette réalité. Si ce projet voit le jour, nous exigerons que le gouvernement établisse des règles en ce qui concerne les compensations financières, et qu'il applique des normes rigoureuses et renforce la surveillance pour éviter les catastrophes. Si ce projet se réalise, nous souhaitons un encadrement juridique strict afin de protéger les citoyens.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Monsieur Ross, vous avez dit plus tôt qu'aucun investisseur chinois n'investissait dans les terres du Québec; c'est exact?

[Français]

M. Ross : C'est exact.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Ce n'est pas vrai?

[Français]

M. Ross : Nous n'avons pas de preuve. Je ne peux pas vous garantir qu'il n'y a pas d'investisseurs chinois au Québec, mais je peux vous assurer que nous n'avons aucune information selon laquelle des investisseurs d'origine chinoise font l'acquisition de terres agricoles au Québec. Ai-je répondu comme un politicien?

[Traduction]

Le sénateur Oh : Certains membres du comité se sont rendus en Chine récemment pour y promouvoir les produits de l'agriculture. La Chine est l'un des plus grands importateurs de produits agricoles outre-mer. C'est un grand marché, et il est essentiel. Nous offrons des produits agricoles d'une grande qualité et les Chinois les adorent.

J'ai entendu parler de certains projets pilotes dans d'autres régions du pays — je ne sais pas si c'est le cas au Québec — visant à produire certains produits agricoles chinois à des fins d'exportation vers la Chine. Avez-vous entendu parler d'un tel projet pour le Québec?

[Français]

M. Ross : Non, je n'ai rien entendu à ce sujet. Un projet se dessinait en Abitibi où des Montréalais d'origine chinoise envisageaient d'investir dans une usine de transformation de luzerne à des fins d'exportation en Chine. Ils souhaitaient créer un partenariat avec les producteurs locaux. L'investisseur canadien principal était d'origine chinoise. Au Québec, c'est le seul projet où nous avons obtenu quelques renseignements. Des échanges ont eu lieu, mais le projet ne s'est pas concrétisé jusqu'à présent.

[Traduction]

Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Ross. Votre témoignage nous est très utile. Vous nous avez donné des éléments de réflexion qui nous permettront d'analyser la situation du Québec. Nous vous en remercions et nous vous remercions d'avoir été des nôtres ce matin.

(La séance est levée.)

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