Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule no 19 - Témoignages du 24 novembre 2016
OTTAWA, le jeudi 24 novembre 2016
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 1, pour étudier l'acquisition des terres agricoles au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole.
Le sénateur Ghislain Maltais (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour.
Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je suis le sénateur Ghislain Maltais, du Québec.
[Français]
Je vais demander à chacun des sénateurs de se présenter, en commençant par la sénatrice Beyak, à ma gauche.
[Traduction]
La sénatrice Beyak : Bonjour. Je suis la sénatrice Lynn Beyak, de Dryden, Ontario. Soyez les bienvenus.
La sénatrice Merchant : Soyez les bienvenus. Je suis Pana Merchant, de la Saskatchewan.
[Français]
La sénatrice Tardif : Bonjour. Sénatrice Claudette Tardif, de l'Alberta.
La sénatrice Gagné : Bonjour. Sénatrice Raymonde Gagné, du Manitoba.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Bonjour. Je suis le sénateur Don Plett, aussi du Manitoba.
Le sénateur Oh : Bonjour. Sénateur Victor Oh, de l'Ontario.
[Français]
Le sénateur Pratte : Bonjour. Sénateur André Pratte, du Québec.
Le sénateur Dagenais : Bonjour. Sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Ogilvie : Sénateur Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le président : Ce matin, nous recevons des représentants de la Banque du Canada. Il s'agit de M. Eric Santor, chef, Analyses de l'économie canadienne, et de M. Toni Gravelle, chef, Marchés financiers. Je ne sais lequel d'entre vous désire commencer. Je vous rappelle que nous disposons d'une heure; plus votre présentation sera courte, plus les sénateurs pourront vous poser des questions.
Monsieur Santor, à vous la parole.
[Traduction]
Avant de commencer, j'aimerais présenter un nouveau sénateur, le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.
Eric Santor, chef, Analyses de l'économie canadienne, Banque du Canada : Bonjour, monsieur le président et bonjour à vous, membres du comité. Je suis très heureux d'être ici. Merci de me recevoir. Je m'appelle Eric Santor, et je suis chef du département des Analyses de l'économie canadienne de la Banque du Canada.
Mon collègue, Toni Gravelle, va vous parler des répercussions des taux d'intérêt sur le système financier. Mes observations à moi porteront sur le taux directeur et sur nos perspectives en matière d'économie réelle, notamment en ce qui concerne les exportations et le prix des produits de base.
En octobre, la Banque du Canada a annoncé qu'elle ne changerait pas notre taux directeur principal, à l'instar d'autres économies avancées qui, depuis la crise financière de 2008, ont maintenu le leur très bas.
L'objectif de notre démarche est de contenir l'inflation à 2 p. 100. Nous voulons que l'inflation soit faible, stable et prévisible. Nous souhaitons voir l'économie fonctionner selon sa capacité de production; nous voulons qu'il y ait un équilibre entre l'offre et la demande. L'inflation a effectivement été faible, stable et prévisible depuis les années 1990, moment où nous nous sommes donné notre première cible en la matière. Bien que nos décisions stratégiques ne s'accompagnent pas de lignes directrices, permettez-moi de formuler quelques observations d'intérêt général sur la façon dont le taux directeur de la banque fait son chemin dans l'économie et sur le temps qu'il lui faut pour produire des effets.
Les modifications du taux directeur ont une incidence sur le prix des éléments d'actif et sur le taux de change du dollar canadien. Elles ont une incidence sur les attentes des gens à l'égard des taux futurs, de la croissance économique et de l'inflation, ce qui a ensuite des répercussions sur le prix des éléments d'actif et sur le taux de change. Par l'intermédiaire de tous ces aspects de l'économie, les modifications apportées au taux directeur agissent sur la demande globale de produits et services canadiens, tant au pays qu'à l'étranger.
Il est toutefois important de noter que, bien que la banque contrôle le taux directeur, les taux d'intérêt à long terme sont influencés par un grand nombre de facteurs, et qu'un grand nombre de ces facteurs se jouent à l'échelle mondiale. Par exemple, les marchés financiers canadiens sont étroitement liés aux marchés des États-Unis et, en général, lorsque les taux d'intérêt à long terme sont plus élevés là-bas, il en est de même ici — et l'inverse est aussi vrai.
Les modifications apportées au taux directeur peuvent prendre jusqu'à deux ans avant de produire leur plein effet sur l'économie. Cela signifie que les décisions que nous prenons aujourd'hui rendent compte de ce que nous envisageons comme taux d'inflation dans deux ans.
Selon nous, un taux d'inflation de 2 p. 100 crée un environnement qui favorise une croissance stable et saine, ce qui, à terme, stimule la production, l'emploi et les revenus. En maintenant le taux à ce niveau, nous cherchons à faire en sorte que les agriculteurs — et tous les Canadiens — aient davantage confiance en l'avenir et qu'ils puissent ainsi faire des plans et prendre des décisions financières sensées.
La politique hautement accommodante qu'applique la banque à l'heure actuelle est motivée par un certain nombre de raisons. L'économie canadienne est toujours en train de récupérer de la récession qui a suivi la crise mondiale et de l'effondrement subséquent de nos exportations. Parallèlement à cela, comme vous le savez, l'économie tente de s'ajuster à la baisse des cours du pétrole et des prix d'autres produits de base ainsi qu'à un taux de change beaucoup moins avantageux qu'avant. Le recouvrement de nos exportations se fait lentement, mais selon nos projections, nos exportations devraient reprendre de la vigueur et continuer à croître à un taux modéré au fur et à mesure que la demande étrangère augmentera.
En ce qui concerne les exportations hors produits de base, notre rendement peu reluisant peut s'expliquer par un certain nombre de facteurs, dont la faiblesse de l'activité aux États-Unis durant la première moitié de l'année et une composition peu favorable de la demande américaine en général, ainsi que par des problèmes structuraux à plus long terme, comme la perte d'une certaine capacité d'exportation et des ratés sur le plan de la compétitivité.
Quelques mots maintenant sur les produits de base, en commençant par le pétrole. La baisse des prix du pétrole a donné lieu à un rééquilibrage du marché du pétrole. On s'attend à ce que la demande continue de croître de façon assurée puisque la croissance de l'offre sera contenue par la réduction importante des investissements en capitaux constatée au cours des deux dernières années, une dynamique qui s'est traduite par un décalage en matière de production.
Pour les autres produits de base, l'indice des prix des produits non énergétiques de la banque est légèrement inférieur à ce qu'il était en juillet, ce qui s'explique en grande partie par la faiblesse des prix dans le secteur agricole. Les prix du canola, du maïs, du blé et de l'orge se sont en effet contractés par rapport à leur moyenne des cinq dernières années. Les prix du porc et du bœuf ont eux aussi connu un recul par rapport aux sommets atteints au cours des dernières années.
Cela dit, on prévoit que les prix seront soutenus à partir de maintenant par le fait que les rendements agricoles constatés ces dernières années à l'échelle mondiale devraient revenir à la normale.
Cependant, de façon plus large, on s'attend à ce que la croissance mondiale atteigne 3,2 p. 100, en 2017, et 3,5 p. 100, en 2018. Cette croissance sera soutenue par les marchés émergents au fur et à mesure que la récession dans certains de ces pays suivra son cours et que des progrès seront réalisés par les réformes mises en œuvre dans d'autres économies émergentes pour stimuler la croissance. La croissance mondiale se traduira par une augmentation de la demande pour les produits que consomment les ménages, notamment les produits agricoles. On n'a qu'à penser aux centaines de millions de personnes qui sont en train de gravir l'échelle sociale dans des pays comme l'Inde et la Chine. La transformation de leur régime alimentaire aura d'autres conséquences qu'une simple augmentation de la demande de sources de protéines traditionnelles. Il y aura aussi une demande pour des intrants agricoles, comme l'engrais, les aliments pour animaux, les aliments pour poissons, les oléagineux et les cultures spéciales comme la lentille et le pois chiche.
Pour terminer, permettez-moi cette courte observation sur l'industrie minière. Selon nos projections, le prix des métaux devrait connaître un modeste recul en raison du ralentissement de la croissance tant dans les investissements que dans la production des industries chinoises fortement axées sur les produits de base, une tendance qui coïncidera avec une forte augmentation de l'offre émanant des installations minières construites antérieurement dans d'autres pays.
Je vais maintenant laisser la parole à mon collègue, Toni Gravelle.
[Français]
Toni Gravelle, chef, Marchés financiers, Banque du Canada : Bonjour, honorables sénateurs. Mon intervention portera sur les investisseurs, notamment les caisses de retraite, et sur les implications pour eux dans le contexte actuel des taux d'intérêt qui sont bas.
Dans ce contexte, les gestionnaires d'actifs et de caisses de retraite sont incités à prendre davantage de risques. Les régimes de pension à prestations déterminées se trouvent dans une situation particulièrement difficile. Ils doivent composer avec des niveaux de cotisation et de prestations qui ont été établis en fonction d'une espérance de vie plus courte, d'un nombre plus petit de retraités par rapport à la population en âge de travailler, ainsi que de taux d'actualisation et de rendement attendu des actifs plus élevés. Par ailleurs, les régimes à cotisations déterminées sont, eux aussi, soumis à des pressions : le montant des cotisations que les participants doivent verser pour financer un niveau donné de revenu de retraite en termes nominaux a fortement augmenté en raison du contexte de taux d'intérêt bas.
À terme, les gestionnaires de ces deux types de régime pourraient décider de majorer les cotisations ou de réduire les prestations. Pour l'instant, toutefois, de nombreuses caisses de retraite augmentent la part qu'occupent dans leurs portefeuilles les actifs non traditionnels plus lucratifs, afin d'obtenir de meilleurs rendements. Certaines caisses intensifient également le recours au levier financier.
Les principaux régimes à prestations déterminées à l'échelle mondiale possèdent l'envergure et l'expertise nécessaires pour diversifier leurs placements en se tournant vers des actifs moins liquides comme l'immobilier, l'infrastructure et les placements privés, et des régions où les rendements attendus sont supérieurs, y compris les marchés émergents qui affichent un potentiel de croissance relativement plus important.
Il peut être souhaitable que les participants au marché investissent dans un éventail élargi d'actifs plus risqués si cela permet d'accroître l'accès au financement pour des projets productifs. Toutefois, il est important alors pour les investisseurs d'être en mesure d'évaluer et de gérer correctement les risques qui en découlent.
J'aimerais maintenant dire quelques mots sur ce que font les principales caisses de retraite canadiennes dans le contexte actuel de taux d'intérêt bas. La persistance des taux d'intérêt bas et la quête de rendements qui l'accompagne ont amené les investisseurs à se tourner vers les actifs non traditionnels moins liquides, comme l'immobilier. Cette catégorie comprend l'immobilier résidentiel et commercial, et probablement d'autres types de biens, comme l'immobilier agricole. Comme la banque doit adopter un point de vue macroéconomique sur ces questions, je ne dispose d'aucune information ni donnée portant spécifiquement sur les terres agricoles.
Vu la nature à long terme de leur passif et leur taille, les huit grandes caisses de retraite au Canada sont en bonne position, sur le plan structurel, pour bénéficier des primes de liquidité offertes par ces actifs non traditionnels. D'une part, les placements dans l'immobilier et les infrastructures génèrent des flux de trésorerie assez prévisibles, offrent une protection contre l'inflation et, dans une certaine mesure, peuvent être considérés comme un substitut partiel des obligations, quoiqu'avec un profil de liquidité sensiblement différent.
D'autre part, les placements privés, qui sont généralement perçus comme un complément aux actions cotées, offrent aux grands investisseurs des rendements potentiellement supérieurs. Ainsi, on voit souvent ces caisses de retraite investir dans les routes ou les aéroports, ce qui constitue une forme d'investissement en infrastructure, de même que dans les immeubles à vocation commerciale ou d'autres types plus particuliers de biens immobiliers, tels que les terres d'exploitation forestière.
De 2007 à 2015, la part que les huit grandes caisses de retraite ont attribuée aux actifs non traditionnels moins liquides — immobilier, placements privés et infrastructures — dans leur portefeuille s'est accrue, passant de 21 à 29 p. 100. Ce changement d'orientation s'est opéré par une réduction graduelle des parts consacrées aux actions cotées et aux titres à revenu fixe, ce qui porte à croire que les caisses ont effectué cette transition principalement en canalisant les nouvelles cotisations vers les actifs non traditionnels plutôt qu'en vendant des actifs.
C'est avec plaisir que je répondrai maintenant à vos questions.
Le président : Je vous remercie, monsieur Gravelle. Pour la première ronde, je donne la parole au sénateur Mercer, qui sera suivi du sénateur Plett.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Je n'ai pas très bien compris ce que vous avez dit sur la façon dont les fonds de pension s'intéressent à l'agriculture ou aux terres agricoles. Ces derniers temps, nous avons entendu quelques témoignages selon lesquels certaines personnes achètent des terres dans des régions agricoles et les gardent pendant un certain temps, les rendant de ce fait inaccessibles aux jeunes agriculteurs qui voudraient agrandir leur ferme.
Je n'arrive pas à comprendre l'intérêt que peuvent avoir les investisseurs à investir dans les terres agricoles plutôt que dans d'autres domaines. Je ne comprends pas l'attrait que cela peut avoir.
M. Gravelle : Je peux vous parler de l'intérêt plus général d'investir dans des biens immobiliers, en gardant à l'esprit que les terres agricoles tombent dans cette catégorie. Pour les fonds de pension, l'attrait d'acquérir des terrains — qu'ils soient commerciaux, résidentiels ou d'un autre type —, c'est le rendement à très long terme, ce qui ressemble beaucoup aux obligations. C'est une source de revenus constante. Habituellement, vous obtenez des recettes en continu en fonction des taux de locations et d'autres choses de ce type.
De plus, il faut savoir que tous ces fonds de pension — et surtout les gros —, sont des investisseurs patients. Contrairement aux fonds communs de placement, leurs responsabilités ne les contraignent pas à faire des retraits. Dans les fonds communs de placement, certaines personnes voudront peut-être un jour quitter les fonds d'actions et opter pour des revenus fixes, alors ils doivent se préparer en conséquence et disposer d'une série d'actifs liquides.
Les fonds de pension n'ont pas cette pression de prévoir des actifs liquides. Ils investissent dans des actifs qui ne sont pas liquides du tout, comme dans les infrastructures et dans l'immobilier. Ils peuvent le faire parce qu'ils ont cet avantage : ils sont patients. De plus, les actifs non liquides offrent un rendement moyen plus élevé que les actifs liquides, ce qui profite également aux fonds de pension.
Voilà les deux raisons qui expliquent pourquoi ils investissent dans l'immobilier.
Je n'ai cependant pas de détails précis à vous donner à ce sujet. En revanche, je sais que leurs investissements à cet égard sont très diversifiés, et qu'ils visent une vaste gamme de produits immobiliers et de régions géographiques.
Je ne réponds pas tout à fait à votre question, mais l'immobilier concerne aussi l'agriculture et les campagnes, que ce soit des terres ou d'autres biens agricoles. C'est la raison principale qui expliquerait cette tendance. Cela fait partie des allocations de leur portefeuille.
Le sénateur Mercer : J'ai l'habitude des réponses incomplètes.
Monsieur Santor, vous avez dit que la baisse des cours du pétrole a entraîné un rééquilibrage de l'offre. L'extraction du pétrole brut et la vente de produits du pétrole constituent une partie importante de notre économie.
La banque a-t-elle une opinion sur le fait que les produits pétroliers canadiens sont vendus à nos amis américains au prix du brut de l'ouest du Texas plutôt qu'au prix mondial? L'un des problèmes est le fait que nous sommes le troisième fournisseur de produits pétroliers en importance au monde. Comme nous n'avons qu'un client, c'est lui qui dicte ses conditions et qui décide qu'il paiera le prix du brut de l'ouest du Texas plutôt que le prix mondial.
Comment cela se traduirait-il pour l'économie si nous étions en mesure d'exiger les prix mondiaux pour nos produits pétroliers, pas seulement à nos clients américains, mais aussi à de nouveaux clients?
M. Santor : Lorsque la Banque du Canada examine l'incidence des cours du pétrole dans ses projections au sujet de l'économie canadienne, elle présume que le prix qui doit être retenu est à peu près le prix moyen constaté au cours des quelques semaines précédant la décision relative au taux directeur. Nous croyons qu'il est plus sensé de partir de cette hypothèse, puisqu'il est vraiment difficile de prévoir les cours du pétrole. En fait, une énorme quantité de preuves empiriques semblent indiquer que la meilleure prévision que l'on puisse faire du prix du pétrole est de prendre le prix courant.
Pour les besoins de notre projection au sujet de l'économie canadienne, nous présumons que le prix restera le même durant toute la période visée.
Cela dit, nous tenons compte d'un certain équilibre des risques susceptibles de déterminer si les prix pourraient être plus élevés ou moins élevés que ce dont nous avons présumé. Dans notre rapport le plus récent, nous avons indiqué que la croissance et la demande continues ainsi que les répercussions éventuelles des compressions de production découlant du recul des dépenses en capital chez un très grand nombre de producteurs se traduiront par une augmentation des risques s'exerçant sur les prix à moyen terme.
La mesure dans laquelle l'accès au marché pourrait entraîner une hausse ou une baisse du prix reste à voir, car elle dépend de la façon dont cet accès sera obtenu et sous quelles conditions. Il faudrait voir quelle incidence cette habileté à exporter notre pétrole à différents marchés aura sur notre habileté à fixer nos prix. Une fois que nous aurons cette donnée, nous serons en mesure d'en tenir compte dans nos prévisions.
Le sénateur Mercer : La banque a-t-elle l'intention d'examiner la question? Le gouvernement s'apprête à prendre certaines décisions sur les oléoducs, et il y a deux aspects que j'aimerais clarifier à cet égard.
Je veux savoir si la banque a commencé à étudier si le gouvernement a raison d'approuver certains oléoducs ou tous les oléoducs, et quels seront les effets des infrastructures qui seront construites. À long terme, quel effet cela aura-t-il sur le prix que nous pourrons obtenir pour le pétrole que nous allons vendre à l'étranger? Nul besoin d'être un génie de l'économie pour comprendre que les compagnies pétrolières préfèrent vendre leurs produits au meilleur prix possible — —, et que cela ne peut se faire qu'au moyen des oléoducs, que ce soit celui d'Énergie Est ou celui de la côte Ouest.
M. Santor : Nous allons surveiller cela de près. Si ces projets sont approuvés et que la construction commence, nous allons tenir compte des répercussions de ces dépenses en immobilisations sur les perspectives économiques et nous ferons notre analyse afin de mieux comprendre quelle incidence cela pourrait avoir sur les prix, comme vous le proposez.
M. Gravelle : J'aimerais ajouter quelque chose concernant le lien qui existe entre les prix mondiaux et ceux du brut de l'ouest du Texas. Le prix du brut de l'ouest du Texas est en lien direct avec le prix du brut mondial. Le Brent est l'autre valeur de référence qui est utilisée. Il y a un lien très fort entre le prix du brut de l'ouest du Texas et le prix du brut mondial.
Le sénateur Mercer : Ils sont peut-être liés, mais ils sont différents.
M. Gravelle : Ils sont différents à cause de diverses distinctions en matière de qualité et de livraison. De plus, il faut toujours tenir compte des différences en matière d'approvisionnement transitoire et de demande.
Le sénateur Mercer : C'est vrai dans les yeux des Américains, mais pas nécessairement dans ceux des autres consommateurs.
Le sénateur Plett : Merci, messieurs, d'être parmi nous. Monsieur Santor, ma question s'adresse à vous. Je souhaite investir. Comment le taux d'intérêt va-t-il se comporter au cours de la prochaine année?
M. Santor : Comme je l'ai dit dans mon exposé, nous ne donnons pas d'indications prospectives au sujet du taux directeur.
Le sénateur Plett : Merci. Je veux revenir à cette non-réponse que vous avez donnée au sénateur Mercer; vous pourriez m'en donner une à moi aussi. Vous avez peut-être cette information, peut-être pas. J'ai posé cette question à des gens qui, de toute évidence, ont une connaissance plus directe de l'agriculture que vous.
Où en est rendu l'endettement? Quelle a été l'augmentation de l'endettement moyen des exploitations agricoles au cours des dernières années? Avez-vous des chiffres à ce sujet?
M. Santor : Ce n'est pas quelque chose que nous suivons à ce niveau de désagrégation. Nous passons beaucoup de temps à examiner le portrait d'ensemble de l'endettement des ménages et du revenu disponible. C'est une chose sur laquelle nous avons beaucoup mis l'accent, que ce soit pour le Rapport sur la politique monétaire ou pour notre analyse dans la Revue du système financier. C'est une chose à laquelle nous faisons très attention parce que l'endettement élevé par rapport au revenu disponible est l'une des principales faiblesses de l'économie canadienne.
Le sénateur Plett : Dans ce cas, parlez-moi de cet aspect des choses. Que s'est-il passé? Présumons que les agriculteurs représentent le ménage moyen, même si je ne crois pas que ce soit le cas. Quelle incidence cela a-t-il eue sur le ménage moyen?
M. Santor : Ces dernières années, le niveau d'endettement des ménages par rapport au revenu disponible s'est considérablement accru. Il est actuellement de 167,5 p. 100 environ, ce qui est bien plus élevé qu'il y a cinq ans. Voilà qui témoigne en grande partie des niveaux d'endettement des ménages canadiens. Il s'agit assurément d'une des principales vulnérabilités que nous avons mises en lumière dans notre Revue du système financier, puisque le niveau d'endettement de certains propriétaires agricoles par rapport au revenu disponible pourrait lui aussi être très élevé. C'est un indicateur que nous surveillons étroitement, compte tenu de ses implications pour la stabilité financière, mais aussi de ses répercussions potentielles sur les perspectives des activités canadiennes.
Le sénateur Plett : Présumons que la situation des fermes est la même et que vos taux augmentent de 2 à 3 p. 100. Combien d'hypothèques la banque compte-t-elle dans son portefeuille?
M. Santor : C'est une bonne question.
M. Gravelle : L'analyse effectuée dans la Revue du système financier porte sur deux types de chocs : celui des taux d'intérêt, comme vous l'avez indiqué, et celui de l'emploi, qui se produit en cas de perte d'emploi ou de situation semblable. Le choc de l'emploi est toujours le plus dur, car il a une incidence sur la capacité des ménages de rembourser leur hypothèque.
Pour ce qui est du choc des taux d'intérêt, je devrai vous communiquer les détails ultérieurement. Il a toujours été beaucoup moins important. Par exemple, une augmentation de 1 p. 100 du taux de chômage serait comparable à une hausse d'environ 5 p. 10 des taux d'intérêt. Le choc de l'emploi a toujours une incidence beaucoup plus grande.
Ce qui serait le plus préoccupant, ce serait une récession, par exemple, ou un choc que subiraient les ménages dans des secteurs et des régions géographiques très endettés. Nous nous inquiétons davantage d'un ralentissement de l'économie que de l'augmentation des taux d'intérêt.
Le sénateur Plett : Cherche-t-on à maintenir les taux d'intérêt peu élevés en raison de l'accroissement de l'endettement, puisque leur augmentation aurait un effet dévastateur?
M. Gravelle : Nous nous préoccupons moins de l'endettement que des effets des taux d'intérêt sur les perspectives macroéconomiques et sur l'emploi, bien que nous en tenions compte lors de notre processus de réflexion. Nous nous préoccupons avant tout des perspectives macroéconomiques, sur laquelle s'appuie une grande partie du processus de décision.
Le sénateur Plett : Je me demande si vous pourriez nous obtenir de l'information. Nous entendrons peut-être d'autres témoins qui pourraient répondre à cette question, mais je n'en suis pas sûr.
Lorsque vous répondiez à la sénatrice Mercer, j'ai trouvé très intéressant que vous disiez pouvoir parler de façon générale des caisses de retraite qui investissent dans l'immobilier.
Je pense que le comité aimerait beaucoup savoir dans quelle mesure ces caisses investissent dans le secteur agricole. Des groupes d'agriculteurs nous ont indiqué qu'il est de plus en plus difficile pour les jeunes fermiers de se lancer dans le domaine. Les prix des terres augmentent, et je me demande toujours si c'est en raison de l'étalement urbain ou parce que les exploitations laitières ont besoin de terres pour prendre de l'expansion au détriment de l'agriculture.
J'aimerais grandement savoir combien de terres agricoles sont acquises aux fins d'investissement dans des perspectives d'avenir. Seriez-vous en mesure de fournir quelques chiffres à cet égard à notre greffier? Si ce n'est pas le cas, nous devrons le demander à quelqu'un d'autre.
M. Gravelle : Ce n'est certainement pas quelque chose que nous surveillons en tant que tel à la banque. Nous nous intéressons toutefois aux caisses de retraite et échangeons avec elles. Dans la Revue du système financier de juin, nous avons publié un article sur les huit grandes caisses de retraite dont j'ai parlé dans mon exposé. Ici encore, nous n'entrons pas dans les détails. Les caisses de retraite disposeraient certainement de ces renseignements et les plus grandes pourraient vous prodiguer des conseils. Certains organes consultatifs ou consultants fournissent des conseils aux caisses de retraite, et ils pourraient avoir des chiffres plus détaillés. Ce n'est toutefois pas une question que nous suivons.
Le sénateur Plett : Comme j'ai contribué à approuver la liste de témoins, je devrais savoir si nous recevrons des représentants de ces caisses de retraite, mais je l'ignore. Nous devons le vérifier.
Le sénateur Oh : Merci, messieurs.
Une nouvelle administration et un nouveau président entameront bientôt leur mandat aux États-Unis, et c'est la première fois que les Américains élisent un homme d'affaires comme président. Que prévoit la banque à propos du taux d'intérêt? Je suis certain que vous avez des plans pour faciliter la transition l'an prochain. Le président désigné entrera en fonction bientôt, dans deux mois.
À la Federal Reserve Bank des États-Unis, Mme Yellen a dit, lors de la réunion cruciale d'établissement des taux d'intérêt de cette semaine, que le taux d'intérêt pourrait augmenter en décembre. Avez-vous des plans ou des prévisions pour l'année prochaine?
M. Santor : En ce qui concerne la première question, il est bien trop tôt pour se prononcer sur les répercussions du résultat des élections récentes sur la politique fiscale et sur l'économie américaine. Il y a toutes sortes de propositions à ce sujet, et d'ici à ce que nous ayons quelque chose de concret devant nous, nous ne nous prononcerons pas. Il est tout simplement trop tôt pour dire quelles seront les répercussions, étant donné le manque de concret des propositions qui auront une influence sur la politique fiscale.
M. Gravelle : La banque dispose d'une projection interne s'appuyant sur nos propres prévisions relatives aux États- Unis, mais nous nous intéressons également beaucoup à l'avis des marchés sur l'évolution des taux d'intérêt, ce qui nous aide aussi à comprendre l'économie à venir. Je peux vous dire que le marché pense que le conseil d'administration de la réserve fédérale décidera de hausser le taux d'intérêt. C'est presque certain, de l'avis du marché, du moins, compte tenu de l'évolution escomptée du taux d'intérêt. Nous n'avons toutefois aucune information interne sur ce que la réserve fédérale fera. Nous nous fions aux marchés et à leurs attentes.
Le sénateur Oh : Serait-il possible, au cours des deux prochaines années, de prévoir la fluctuation du dollar pour l'année suivante?
M. Santor : De la même manière que nous ne formulons pas d'opinion sur la politique relative aux taux d'intérêt, nous présumons que le dollar s'échangera à sa valeur actuelle dans la période de prévision. Nous ne nous prononçons pas sur la valeur du dollar canadien. C'est au marché qu'il revient de décider.
Le sénateur Oh : Souhaitez-vous intervenir?
M. Gravelle : La dernière fois que j'ai vérifié, le marché, assez curieusement, pensait que le dollar se tiendra dans une fourchette étroite allant de 73 à 76 cents. Mais il se trompe autant que n'importe qui.
M. Santor : J'ajouterais que notre sous-gouverneur, M. Lane, a récemment indiqué clairement que nous n'imitons pas la réserve fédérale et que le Canada a une politique monétaire indépendante. Nous prenons des décisions en fonction des répercussions sur l'économie canadienne, et c'est avec cet objectif à l'esprit que nous établissons notre taux et notre politique.
Le sénateur Oh : Il semble que nous devrons avoir un entretien privé.
Le sénateur Pratte : Pour faire suite à la question du sénateur Oh, si la réserve fédérale augmente ses taux d'intérêt et nous maintenons les nôtres à leur niveau actuel, le dollar canadien se dépréciera probablement légèrement.
D'après les données historiques auxquelles je m'intéresse, nous avons constaté que lorsque le dollar se déprécie, les exportations n'augmentent probablement pas autant que prévu. Vous avez indiqué que dans d'autres secteurs, comme celui des marchandises, on note des problèmes de compétitivité.
Dans le secteur agricole, où les exportations dépendent principalement des prix des marchandises, y a-t-il d'autres problèmes de compétitivité qui pourraient avoir une incidence sur les exportations? Je voudrais également savoir quel est l'impact de la valeur du dollar canadien. Je suppose, par exemple, que la faiblesse du dollar a une incidence. Cette incidence est-elle supérieure ou inférieure à celle sur les exportations industrielles, par exemple?
M. Santor : Les déterminants du niveau des exportations dans le secteur agricole seront établis en fonction de la demande étrangère. À cet égard, nous nous attendons, comme je l'ai indiqué, à ce que la demande se maintienne. Ce devrait être particulièrement le cas pour les marchés émergents, à mesure que leurs revenus augmentent. Ces pays veulent des aliments de haute qualité, et le secteur agricole canadien est bien placé pour tirer parti de cette situation.
La valeur du dollar a naturellement une incidence sur les flux de trésorerie; le prix de la plupart des marchandises que nous produisons et exportons est donc établi en dollars américains. Ce serait bénéfique pour les producteurs, puisqu'une dépréciation du dollar ne serait guère favorable aux flux de trésorerie. En outre, il importe de se rappeler qu'il peut y avoir aussi un effet compensatoire, selon la mesure dans laquelle les prix des intrants d'un producteur donné sont également établis en dollars américains.
L'avantage relatif de la dépréciation du dollar dépendra donc vraiment de cet ensemble de facteurs et de la devise utilisée pour le prix.
En ce qui concerne les autres marchandises, pour établir une comparaison entre ce secteur et les autres, tout dépendra du pouvoir d'établissement du prix des producteurs par rapport à leurs concurrents sur le marché, compte tenu de leur structure de coût et de la mesure dans laquelle cela dépend du nombre d'intrants dont le prix est établi en dollars américains également.
Nous considérons que les producteurs canadiens sont bien placés pour profiter du contexte actuel, où la demande en produits agricoles est forte.
Le sénateur Pratte : Ai-je raison de présumer qu'une hausse du taux d'intérêt de la Réserve fédérale américaine tendrait à faire augmenter le dollar américain, ce qui aurait une incidence sur sa valeur par rapport à celle du dollar canadien et d'autres grandes devises? Cette augmentation avantagerait donc des producteurs agricoles de toutes les régions du monde, y compris nos concurrents, je suppose.
M. Santor : C'est vrai. Nous portons étroitement attention à ce fait. Sur le plan de la compétitivité relative des exportations canadiennes, cela ne touche pas tant notre compétitivité par rapport aux producteurs américains, dont les prix sont fixés en dollars américains, que notre compétitivité par rapport aux autres producteurs qui nous font concurrence sur le marché américain.
Ces dernières années, nous avons remarqué que si le dollar canadien s'est déprécié, les devises du Mexique, du Brésil et de la Russie en ont fait autant. Les producteurs de biens qui nous font concurrence ont également subi une dépréciation de leur devise. C'est un fait que nous gardons à l'esprit lorsque nous réfléchissons à l'incidence de la dépréciation du dollar sur les exportations canadiennes en tenant compte de la concurrence de tiers.
La sénatrice Beyak : Ma question, de nature plus générale, porte sur le secteur bancaire. Nombre de Canadiens regardent nos délibérations, car nous traitons de l'agriculture et qu'ils s'intéressent tous aux aliments. Il y a toutefois bien des questions. Vous avez évoqué les caisses de retraite, les infrastructures et une banque d'infrastructure proposée par le gouvernement. La plupart des Canadiens ignorent totalement de quoi il s'agit, si c'est vraiment une banque ou plutôt une compagnie d'assurances qui protégerait les grandes caisses de retraite ou les investisseurs étrangers qui pourraient investir.
Pourriez-vous fournir quelques explications à ce sujet pour que les gens comprennent mieux en quoi consiste cette banque et sachent si elle serait bénéfique pour le Canada?
M. Gravelle : J'ai simplement vu la proposition que le gouvernement a présentée au sujet de la banque d'infrastructure. Il aura fort à faire pour l'étoffer.
Théoriquement, la banque vise à favoriser un accroissement des investissements en infrastructure au Canada. On a quelques idées vagues de la manière dont cela fonctionnerait. On propose notamment d'offrir des fonds de démarrage. Le gouvernement financerait la banque en capital, puis d'autres investisseurs institutionnels ou d'autres intervenants du secteur financier suivraient le mouvement et investiraient dans les infrastructures avec le gouvernement ou avec le soutien de ce dernier afin d'atténuer le risque.
Vous le savez probablement déjà.
La sénatrice Beyak : J'espérais que quelqu'un en saurait un peu plus à ce sujet.
M. Gravelle : D'après ce que je comprends, le gouvernement peaufine les détails.
[Français]
La sénatrice Tardif : Selon vos prévisions, les exportations en 2017 et 2018 seraient plus faibles que ce qui était escompté. Étant donné que la rentabilité du secteur agricole et agroalimentaire du Canada repose sur les marchés d'exportation, quels effets pourrait-il y avoir sur la valeur des terres agricoles qui sont tributaires du prix des produits agricoles?
[Traduction]
M. Santor : La valeur d'un actif dépend des flux de trésorerie. Ainsi, une augmentation des prix des marchandises ferait augmenter la valeur du flux de trésorerie de l'actif productif. Tout le reste étant égal, on pourrait raisonnablement présumer que cela se traduirait par une augmentation de la valeur de cet actif. C'est certainement un fait que nous garderions à l'esprit. Quand nous réfléchissons à notre profil ou à notre projection sur les exportations futures, nous examinons soigneusement les prix anticipés pour les divers groupes de biens et services que nous produisons et exportons. Dans la mesure où nous tenons compte de ces groupes de prix, ce facteur aura naturellement une incidence sur le profil d'exportations et, implicitement et de façon sous-jacente, sur les actifs derrière la production des cultures. Tout le reste étant égal, je pense que cela entraînerait un accroissement de la valeur des actifs.
[Français]
La sénatrice Tardif : Si le prix des commodités devait diminuer, la valeur des terres agricoles augmenterait-elle?
M. Gravelle : Non, elle diminuerait aussi.
La sénatrice Tardif : C'est ce que je croyais.
M. Gravelle : Il y a d'autres facteurs, mais il y aurait une tendance à la diminution de la valeur des terres agricoles, en général.
La sénatrice Tardif : On nous a parlé d'une énorme augmentation du prix des terres agricoles lors des 10 dernières années. Croyez-vous que cette tendance se maintiendra?
M. Gravelle : Avec la diminution du prix des terres agricoles depuis les deux ou trois dernières années, il y aurait une tendance vers le bas. Mais comme on l'a mentionné, il y a plusieurs autres facteurs dont il faut tenir compte. L'augmentation de la valeur des terres agricoles dans le passé était certainement liée à la tendance au cours des années où le prix des matières premières avait augmenté avec le temps. Mais, depuis environ deux ou trois ans, le prix a diminué et s'est stabilisé. Cette diminution sera peut-être retardée en raison de l'augmentation du prix des matières premières dans le passé et de l'augmentation du prix des terres agricoles. Donc, il y a peut-être un délai pour la diminution du prix des terres agricoles, mais comme je l'ai dit, il y a aussi plusieurs autres facteurs qui entrent en jeu dans le prix des terres agricoles.
La sénatrice Tardif : Quels seraient ces facteurs?
M. Gravelle : L'utilisation des terres à d'autres fins. Par exemple, dans le cas de l'agrandissement des villes, s'il y a des terres agricoles près des frontières des villes, des promoteurs immobiliers voudront les exploiter. Il y a plusieurs enjeux.
[Traduction]
La sénatrice Merchant : Bonjour et merci.
Vous savez, nous aimons préserver le mythe de la ferme familiale au Canada. C'est doux à l'oreille, et nous aimons penser que les jeunes travailleront la terre. Mais du point de vue des banques, sur le plan de l'investissement et dans un pays qui croit à la libre entreprise, y a-t-il deux côtés à la médaille? Est-il néfaste pour le pays que la valeur de toutes les terres, y compris les terres agricoles, augmente en raison de la concurrence?
De plus, que la ferme appartienne à un agriculteur ou à une grande société, nous pourrions examiner la chose autrement et dire que lorsqu'une grande société prend le relais de l'exploitation de la terre, cette dernière devient peut- être plus productive ou la société réalise des économies d'échelle, car les agriculteurs investissent des sommes substantielles dans des machines qu'ils utilisent parfois rarement. Mais si la terre est exploitée par une grande société, cette dernière pourrait réaliser des économies d'échelle, produire plus de nourriture et employer plus de gens.
À votre avis, notre situation se compare-t-elle à celle des États-Unis? Les grandes entités y acquièrent-elles des terres et les exploitent-elles mieux qu'un investisseur seul ne le ferait?
M. Gravelle : Je peux traiter de la question sous l'angle des caisses de retraite. Je n'ai pas de détails sur les investissements des caisses de retraite dans le domaine agricole, mais en présumant qu'elles y investissent dans le cadre d'un portefeuille très diversifié d'investissements immobiliers, il s'agit de caisses de retraite canadiennes qui investissent au nom des Canadiens. Dans la mesure où les investissements ont un rendement appréciable parce que les prix augmentent dans le secteur immobilier, par exemple, cela est bénéfique pour les caisses de retraite canadiennes et, par voie de conséquence, la population canadienne.
Si les caisses de retraite possèdent des actifs immobiliers, les augmentations de la valeur des terres agricoles profitent directement au Canada, si l'on veut. M. Santor et moi-même avons passé beaucoup de temps sur des fermes. J'ai grandi sur une ferme laitière que, pour une raison quelconque, ni moi ni aucun membre de ma fratrie n'avons voulu reprendre. Mais personnellement, je peux vous dire que si mes parents pouvaient obtenir un meilleur prix pour leur terre, sachant qu'ils vont prendre leur retraite et qu'aucun de leurs enfants ne reprendra la ferme, toute ma famille en profiterait au bout du compte. L'agriculture est une décision personnelle.
En fait, l'agriculture est véritablement une économie d'échelle, et c'est la même chose mondialement.
M. Santor : Personnellement, dans ma jeunesse, j'ai travaillé pendant neuf ans comme salarié sur une ferme dans le sud-ouest de l'Ontario. La taille des exploitations agricoles varie énormément, et c'est au propriétaire de décider l'envergure des activités qu'il veut mener. Il y a des avantages, mais aussi des coûts associés aux grandes exploitations agricoles.
Nous n'avons pas cherché précisément à évaluer la taille idéale d'une exploitation agricole, mais selon mes observations personnelles, cela dépend vraiment de ce que le propriétaire souhaite faire sur les plans de l'envergure, du risque, du contrôle opérationnel et de la délégation de la prise de décisions. Ce que j'ai constaté personnellement, c'est qu'il y a une taille idéale pour certains agriculteurs. Là où je travaillais, certains voulaient de très grandes serres, tandis que d'autres voulaient de plus petites installations qu'ils pouvaient gérer eux-mêmes. Certains voulaient embaucher des salariés; d'autres voulaient développer leurs activités, ainsi que songer à l'exportation et à d'autres marchés. C'est à l'agriculteur, à la personne qui travaille la terre, de décider quelle envergure il veut donner à ses activités.
La sénatrice Merchant : Pouvez-vous nous dire si l'expansion des terres agricoles et des exploitations agricoles est une tendance internationale? Pouvez-vous faire une comparaison avec les États-Unis? Que font les gens de l'Iowa et d'autres endroits qui produisent beaucoup d'aliments?
M. Santor : Il s'agit d'un phénomène mondial. Aux États-Unis, on constate que la taille des exploitations agricoles a augmenté avec le temps, grâce à l'adoption de technologies qui rendent peut-être les exploitations à grande échelle plus efficace. Nous n'avons pas examiné la question à ce niveau de désagrégation.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Gravelle, vous avez attiré mon attention lorsque vous avez parlé des régimes de retraite à prestations déterminées. J'ai été président d'un comité sur les régimes de retraite à prestations déterminées pendant plusieurs années, à la Caisse de dépôt et placement du Québec. Notre préoccupation première, c'était les rendements, parce que nous savions que nos membres vivaient de plus en plus vieux et qu'il fallait veiller à ne pas trop augmenter leurs cotisations et à investir dans des valeurs refuges. Pour donner suite au conseil de la Caisse de dépôt, nous avons donc investi dans les terres agricoles et dans l'aéroport de Heathrow, à Londres, qui était un bon investissement. Les rendements étaient au rendez-vous.
Vous me voyez sans doute venir. Des témoins nous ont dit qu'ils devaient s'adresser à la Banque Nationale, où les taux d'intérêt étaient parfois plus élevés. Cependant, lorsqu'un comité sur les régimes de retraite investit dans les terres agricoles, c'est de l'argent qui est disponible. Est-ce qu'on peut rendre ces sommes disponibles pour les agriculteurs qui sont propriétaires de terres à vocation familiale? Vous avez mentionné que c'était le cas pour vous. Est-ce qu'on ne pourrait pas faire une recommandation dans notre rapport pour que les pays producteurs ou exportateurs aient des valeurs plus réalistes qui s'approcheraient des valeurs de la terre? Il faut penser à l'investissement, mais il faut aussi penser aux producteurs.
M. Gravelle : C'est une question de valeurs sociales, en fin de compte. Vous en savez peut-être plus que moi à ce sujet quant aux pratiques de gestion d'investissement des caisses de retraite qui visent à augmenter le rendement des investissements actifs. Si, dans ce que vous proposez, il y avait une nouvelle façon de gérer des actifs immobiliers qui offrirait une flexibilité comparable, qui n'aurait aucun impact négatif, ou du moins, un impact minime sur le rendement immobilier, ce serait possible. Le gouvernement du Canada aurait à choisir entre un objectif économique et un objectif politique, soit diminuer les rendements en contrepartie de bénéfices sociaux afin d'offrir la possibilité à plus de gens d'investir dans une ferme.
C'est vraiment une question à laquelle il est difficile de répondre. Toutefois, comme je l'ai mentionné plus tôt, l'augmentation du rendement des caisses de retraite profite aux Canadiens qui contribuent à ces caisses de retraite. Je ne peux pas donner mon avis sur ce sujet, car cela relève d'un choix de société et de politique gouvernementale.
Le sénateur Dagenais : Je vous avoue candidement qu'en siégeant à un comité sur l'agriculture, je ne m'attendais pas à y trouver de la recherche sur le rendement pour nos caisses de retraite. Les taux d'intérêt sont présentement bas. La Banque du Canada cherche-t-elle à faciliter l'emprunt? Il y a les grandes entreprises agricoles, mais aussi les entreprises familiales. Les témoignages de certains témoins nous ont particulièrement touchés, et c'est à eux qu'il faut penser aussi, éventuellement.
M. Gravelle : Des taux d'intérêt bas permettent d'acheter des maisons, alors ils devraient aussi aider à acheter des terres agricoles ou des fermes. La raison pour laquelle la Banque du Canada veut offrir de faibles taux d'intérêt, c'est pour stimuler la croissance économique, qui est très faible. Les taux d'intérêt favorisent l'investissement dans les secteurs résidentiels, immobiliers et commerciaux. Notre but est d'augmenter le pouvoir de consommation et d'investissement.
Les taux d'intérêt peu élevés doivent aussi faciliter l'achat des terres agricoles, mais si tout le monde a accès à ces taux plus bas, cela augmente aussi la demande dans le domaine immobilier, ce qui crée un impact sur le prix de vente.
Le président : Ce que vous venez de dire est fort important, monsieur Gravelle. Malgré le fait que les taux d'intérêt soient très bas, les jeunes fermiers sont dans l'impossibilité d'acquérir ou d'agrandir leurs terres, car la spéculation que font les banques et les fonds d'investissement fait tripler le prix des terres, et même davantage, dans certains cas. Même si les taux étaient encore plus bas, les jeunes fermiers ne seraient jamais capables d'acquérir une terre qui valait 10 000 $ il y a 15 ans et qui en vaut 350 000 $ aujourd'hui.
C'est le problème auquel font face les jeunes. Même si on leur offrait un taux de 0,1 p. 100, ils ne pourraient pas acheter les terres qu'ils veulent. C'est cette spéculation qui empêche les jeunes d'acheter des terres. Êtes-vous d'accord avec cela?
M. Gravelle : C'est une question difficile. Il faudrait savoir s'il s'agit de spéculation ou d'une augmentation de la valeur réelle des terres. Pour des raisons fondamentales, le prix du grain ou d'autres produits agricoles a augmenté. Cela aussi contribue à augmenter la valeur de la terre cultivée.
Le président : Vous avez raison, mais cela a créé un effet pervers. Lorsque les fiducies ou les trusts achètent des terres et qu'ils les louent à quelqu'un pour les cultiver, ce n'est pas un de leurs présidents qui ira conduire la charrue, à moins qu'il en soit obligé. Le problème, c'est que les gens qui louent ces terres font de la monoculture, parce que c'est payant et que c'est la seule façon pour eux de payer leur loyer au fonds de fiducie. Malheureusement, cela entraîne la désertification des terres et des campagnes canadiennes. Voilà le problème auquel font face les jeunes de la relève.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Je vous prie de ne pas interpréter ce que je vais dire comme une critique envers vous, messieurs, mais je suis un peu surpris que la banque ne compte pas l'agriculture et l'industrie agricole parmi ses priorités, et qu'elle ne s'intéresse pas davantage à l'importance de l'agriculture pour l'économie, ainsi qu'à l'incidence de la valeur des terres, des taux d'intérêt et d'autres facteurs sur l'agriculture. Aucune des réponses que nous avons reçues n'est liée directement aux travaux que la banque accomplit dans le domaine de l'agriculture. Nous sommes chanceux que vous ayez tous deux des antécédents en agriculture et une certaine compréhension de l'industrie, mais je suis un peu surpris.
Je suis aussi coupable d'avoir fait une digression durant ma première intervention. J'ai parlé de pipelines et de production de pétrole alors que nous voulions nous concentrer sur la disponibilité des terres agricoles au Canada et leur acquisition.
Les possibilités d'analyser la situation sont si nombreuses. Je pense à une serre située au nord de Trois-Rivières. C'est une grande serre, environ de la taille de cinq terrains de football canadien. On y fait pousser un seul produit : des tomates cerises. L'entreprise fait très bien son travail. Je n'ai pas examiné ses finances, mais elle réussit probablement très bien. Il y a de nombreuses exploitations de ce type partout au pays. Les membres du comité ont eu la chance d'en visiter quelques-unes.
J'aurais pensé que la banque aurait des renseignements sur ce type d'industries, sur la valeur des exploitations agricoles familiales, ainsi que sur l'importance des répercussions de la banque, des taux d'intérêt et d'autres facteurs sur l'agriculture en général.
La Banque du Canada ne comprend-elle pas un groupe dont les travaux sont centrés sur le Canada rural, l'agriculture et probablement aussi les pêches? Je ne siège pas au Comité des pêches — je ne souhaite pas y siéger —, mais ce domaine doit tomber dans la même catégorie que l'agriculture en ce qui touche les analyses de la banque.
Ne parlons pas de General Motors et de Suncor; des dizaines de milliers de Canadiens travaillent dans le secteur agricole et en dépendent. L'agriculture n'est-elle pas un thème prioritaire pour la banque?
M. Santor : Il y a plusieurs éléments que nous examinons de près. D'abord, évidemment, les produits agricoles et la fabrication agroalimentaire sont une partie importante de notre profil des exportations. Nous évaluons les possibilités, la taille du secteur et les répercussions sur les perspectives.
Le sénateur Mercer : Je parle de la production. Vous parlez de l'exportation. C'est l'étape finale.
M. Santor : Nous nous penchons également sur la production. Nous l'examinons de près dans le contexte des données du PIB réel fondé sur les prix de base. En outre, nous nous enquérons de l'état d'esprit du secteur, au moyen, notamment, de notre Enquête sur les perspectives des entreprises, dans le cadre de laquelle le personnel des bureaux régionaux s'entretient avec une grande variété d'entreprises, par exemple, des exportateurs de services de TI, des sociétés minières, des sociétés pétrolières et gazières, ainsi que des producteurs agroalimentaires. De fait, nous avons une enquête permanente concernant précisément ce secteur. Elle fera partie de l'analyse de notre prochain Rapport sur la politique monétaire.
Le sénateur Mercer : Est-ce nouveau?
M. Santor : Cela viendra bientôt. La semaine dernière, j'étais à Moose Jaw, en Saskatchewan, pour parler d'un rapport sur la politique à un grand groupe de producteurs de céréales, parce que ce secteur nous tient à cœur. Là-bas, j'ai assisté à un congrès d'une journée et j'ai parlé à des producteurs et à d'autres acteurs de l'industrie en Saskatchewan. Une partie de notre mandat est de nous entretenir avec les gens qui prennent les vraies décisions en temps réel au sujet de leurs entreprises et de leurs projets d'avenir.
[Français]
Le président : Nous vous remercions infiniment pour les réponses que vous avez données aux sénateurs. Comme vous avez pu le constater, ce n'est pas l'intérêt qui manque ici. Merci et au plaisir.
Honorables sénateurs, compte tenu de l'état d'urgence dans les provinces de l'Ouest à l'heure actuelle — situation qui pourrait s'étendre à la Colombie-Britannique, à l'Ontario, au Québec et aux Maritimes —, plusieurs ont demandé que nous tenions une séance spéciale la semaine prochaine avec l'ACIA pour qu'elle nous informe, premièrement, de l'état de la situation; deuxièmement, des démarches qu'elle entend entreprendre à ce sujet; troisièmement, du moment où elle s'attend à ce que l'épidémie prenne fin. Il y va de la vie des agriculteurs canadiens. De grands agriculteurs sont concernés, et nous ne pouvons permettre cela.
De plus, je tiens à m'excuser auprès des sénateurs Plett et Mercer, car je n'ai pas pu les informer hier soir. J'ai reçu cette demande une fois que tout le monde avait quitté les lieux. Le greffier a communiqué avec le sénateur Mercer hier soir, et j'ai communiqué avec le sénateur Plett ce matin.
Je dois donc présenter une motion en Chambre afin d'obtenir la permission pour le comité d'entendre l'ACIA et d'en faire rapport la semaine suivante. Je vous soumets ceci, et je vous laisse en discuter et décider de la façon de procéder.
Nous pourrions nous réunir mardi prochain. Nous pourrions repousser à plus tard l'audition de certains témoins, mais si c'est impossible, il faudrait prolonger la séance de mardi d'une heure, pas plus. On n'a pas besoin de plus de temps que ça. Il s'agit de professionnels, ils sont bien organisés. Si jamais il y a des gens qui décident de ne pas se présenter, cela ne changera rien.
Le sénateur Pratte : Ce serait mardi soir.
Le président : Oui.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : C'est un dossier important. Vous avez tout à fait raison : nous devons en parler. Toutefois, je formulerais la demande à la Chambre de façon à ce que nous puissions nous réunir à nouveau quand le Sénat ne siégera pas, au besoin. Si la situation devait empirer ou devenir critique, il faudrait peut-être que nous nous réunissions en janvier, quand le Sénat ne siège pas.
Je pense que c'est ce qu'il faut faire pour pouvoir nous réunir. Si la situation se détériore et devient encore plus critique qu'elle ne l'est actuellement, cela permettra au Sénat de réagir beaucoup plus rapidement — certainement plus rapidement que la Chambre des communes — pour essayer de résoudre le problème.
Ceux qui siègent au comité depuis nombre d'années se rappellent peut-être que lorsque je me suis joint au comité, la crise de l'ESB en était à ses débuts. Le fait que nous ayons été en mesure de réagir rapidement a aidé énormément les agriculteurs.
Avons-nous réussi à résoudre le problème immédiatement? Non, mais nous avons pu entendre les détails et commencer à formuler des recommandations rapidement pour que le gouvernement réagisse. À l'époque, le gouvernement, rempli de bonnes intentions, a mis en place un programme pour aider les agriculteurs. Or, le programme était si mal fait que l'une des sociétés internationales qui faisaient le commerce du bœuf à ce moment-là a tenté d'expliquer dans son rapport annuel, l'année suivante, pourquoi ses profits avaient été aussi énormes au Canada. C'était en raison de la réaction du gouvernement à la crise de l'ESB. Ce n'était pas l'intention du gouvernement : il voulait aider les agriculteurs et non les sociétés internationales.
Je crois qu'il nous faut une marge de manœuvre. J'espère que nous n'aurons pas à nous réunir à nouveau; j'espère que notre réaction sera non seulement suffisante, mais aussi utile. Je pense que nous devons avoir une marge de manœuvre au cas où la situation s'aggraverait; ainsi, au besoin, nous pourrons revenir en janvier, lorsque la chambre ne siège pas, pour tenter de régler le problème.
[Français]
Le président : Merci beaucoup. C'est une excellente suggestion. L'expérience, voyez-vous, vient avec la perte des cheveux.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Premièrement, je tiens à préciser, pour le compte rendu, que je ne sais pas exactement ce que vous avez dit en français, mais en anglais, l'interprète a dit que nous allions recevoir un représentant du CFAO, alors qu'il s'agit de la CFIA, ou l'ACIA en français. Je pense que tous doivent bien savoir qui seront nos témoins la semaine prochaine.
Deuxièmement, j'appuie l'idée du sénateur Mercer : votre motion doit absolument nous permettre de nous réunir quand le Sénat siège. Je ne parle même pas de nous réunir en janvier. Comme nous l'avons entendu hier, nous allons commencer à siéger les lundis et probablement aussi les vendredis, peut-être jusqu'à tard le soir. Je pense que la réunion doit avoir lieu mardi, même si la séance du Sénat est prolongée.
À mon avis, vous devez faire en sorte qu'il soit clair que nous nous réunirons même si le Sénat siège. La séance devrait avoir lieu mardi, que la Chambre siège ou non.
[Français]
Le président : Très bonne idée, sénateur Plett. La motion sera faite en conséquence. Maintenant, y a-t-il d'autres sénateurs qui aimeraient intervenir?
[Traduction]
Le sénateur Ogilvie : C'est une période de l'année très chargée. Ce dossier n'est pas le seul dont nos comités sont saisis. Je vous encourage fortement, dans la mesure du possible, à tenir la séance durant notre plage horaire habituelle, à un moment déjà prévu au calendrier du comité. Nous sommes nombreux à traiter de questions dans d'autres comités; nous nous sommes engagés à accomplir des travaux importants pour le Sénat; nous devons régler des dossiers liés au budget avant le 6 décembre. Je n'aime pas l'idée que certains membres manquent une réunion sur une question aussi cruciale simplement parce qu'elle a lieu à un moment inopportun. Je comprends que vous ferez ce que vous aurez à faire, mais je tenais à exprimer la préoccupation qu'il faudrait faire en sorte que la majorité d'entre nous aient la possibilité de participer à la séance.
[Français]
Le président : Vous avez entièrement raison, sénateur Ogilvie, parce que tous les membres du comité sont également membres d'autres comités. Nous arrivons à la fin de la saison et nous sommes tous très occupés. Nous demanderons au greffier de reporter à plus tard l'audition de certains témoins, puisque la situation est urgente. Nous pourrons aisément expliquer nos raisons, et je crois que les témoins pourront comprendre l'urgence de la situation. Notre motion pourrait inclure la permission de siéger durant notre plage horaire habituelle, même si le Sénat siège à ce moment-là.
Kevin Pittman, greffier du comité : Une autre option possible pour la semaine prochaine serait d'ajouter une heure le mardi soir, pour siéger de 17 heures à 19 heures. Il y a des ministères provinciaux à l'horaire mardi soir, et il est difficile pour eux d'être présents. Nous pourrions peut-être ajouter une heure de plus, si vous êtes d'accord.
Le président : Ce n'est pas possible, parce que les membres de ce comité siègent également à d'autres comités.
[Traduction]
M. Pittman : Aucun comité ne se réunit entre 17 et 19 heures mardi soir.
Le sénateur Ogilvie : Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas pris d'autres engagements par rapport aux dossiers qui nous occupent.
M. Pittman : Je comprends. Je proposais simplement une option. Si c'est le cas, nous pourrions peut-être annuler la présence d'un témoin jeudi matin.
[Français]
Le président : Examinons cette option-là, sinon, il nous restera l'option de siéger une heure de plus.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Monsieur le président, votre motion doit inclure la précision « même si le Sénat siège ». Le comité directeur pourra alors tenir une séance à ce sujet et prendre en considération les préoccupations du sénateur Ogilvie; j'ai les mêmes préoccupations. Nous pouvons décider de tenir la réunion mardi après la séance régulière ou jeudi, en annulant des témoins. Le comité directeur peut prendre la décision.
Pour la motion, si vous incluez simplement la précision « même si le Sénat siège », nous pourrons nous en occuper.
[Français]
Le président : C'est une très bonne suggestion.
Sénatrice Beyak, sénateur Mercer, qu'en pensez-vous?
[Traduction]
La sénatrice Beyak : Je suis d'accord avec le sénateur Ogilvie. Nous avons aussi une motion qui prévoit que nous nous rencontrions mardi, à 17 heures, que le Sénat siège ou non, parce que les premiers ministres comparaîtront, n'est- ce pas? Alors, pourquoi ne pas changer les témoins? Je suis certaine qu'ils aimeraient tous avoir congé à Noël. Nous pourrons les recevoir l'an prochain. Ce dossier-là n'est pas crucial; celui-ci l'est.
Le sénateur Mercer : Ce sont des ministres provinciaux. Il y a quelque temps que nous déployons des efforts pour que certains se présentent devant le comité. Enfin, ils viennent. Je ne pense pas que nous puissions rater cette occasion. S'il le faut, nous pouvons changer complètement le sujet de la séance de jeudi. Nous avons aussi deux témoins en ce moment qui attendent d'être entendus.
Monsieur le président, nous devrions passer à la prochaine partie de la séance. Si nous ne nous entendons pas sur une solution dans les deux prochaines minutes, nous devrions prolonger la séance de 15 minutes pour que nous en discutions à la fin. Nous avons des témoins, par conférence téléphonique.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J'aurais une suggestion, monsieur le président. S'il y a des gens qui doivent se rendre à des comités après 19 heures, et si nous avons la permission de siéger en même temps que Sénat, alors, au lieu de commencer à 17 heures, commençons à 16 heures. Cela ne dérangerait rien. Si nous avons la permission de quitter la Chambre à 17 heures, pourquoi ne pas la quitter à 16 heures? Je ne pense pas que cela dérangerait grand-chose.
Le président : La décision sera prise par le comité directeur dans les intérêts de chacun des membres et, surtout, pour répondre à l'urgence de la crise. Merci beaucoup, la session est maintenant ouverte.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Monsieur le président, je veux intervenir. La sénatrice Tardif a levé la main bien avant d'autres sénateurs et elle n'a pas obtenu la parole. J'aimerais entendre sa suggestion.
La sénatrice Tardif : J'allais suggérer que le comité directeur trouve une solution et que nous poursuivions la séance parce que des témoins attendent.
[Français]
Le président : Alors, la discussion est close.
Maintenant, nous allons recevoir d'autres témoins. M. André Magnan, professeur agrégé au Département de sociologie et d'études sociales de l'Université de Regina comparaît titre personnel. Nous saluons également Mme Annette Desmarais, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les droits de l'homme, la justice sociale et la souveraineté alimentaire du Département de sociologie de l'Université du Manitoba. Bienvenue, et merci beaucoup d'avoir accepté de comparaître devant le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
Notre ordre de renvoi est spécifique, et vous avez certainement préparé votre mémoire en conséquence. Je dois cependant vous demander de le présenter le plus rapidement possible pour que les sénateurs puissent vous poser des questions. Je demanderai aussi aux sénateurs d'être plus disciplinés et de poser des questions plus courtes.
André Magnan, professeur agrégé, Département de sociologie et d'études sociales, Université de Regina, à titre personnel : Je suis très heureux d'avoir l'occasion aujourd'hui de vous parler de mes recherches qui portent sur les investissements dans les terres agricoles en Saskatchewan. Je vais surtout parler en anglais, parce que ma recherche a été faite en anglais, mais je serai prêt à répondre à vos questions en anglais ou en français.
[Traduction]
Je mène des recherches sur l'investissement financier dans les terres agricoles de la Saskatchewan depuis cinq ans. Mes collègues et moi avons surtout cherché à comprendre qui sont les investisseurs, quels sont leurs modèles d'entreprise, ainsi que quelles sont leurs répercussions possibles sur la propriété de terres agricoles et les marchés de terres agricoles en Saskatchewan.
J'aimerais vous présenter un peu le contexte qui entoure les recherches que mes collègues et moi avons menées. L'investissement dans les terres agricoles fait partie d'une tendance internationale générale qui intéresse une gamme d'universitaires et d'organisations de la société civile depuis environ 10 ans. Certains appellent cette tendance la « financiarisation » de l'agriculture ou des terres agricoles. Différents types d'investisseurs — des caisses de retraite, des fonds souverains, des particuliers riches et d'autres — déboursent des sommes considérables pour acquérir des terres agricoles un peu partout dans le monde. Le Canada ne fait pas exception.
De bonnes raisons expliquent pourquoi les terres agricoles de la Saskatchewan attirent les investisseurs. Elles coûtent très peu comparativement à des terres dans d'autres pays développés, comme des pays d'Europe, la Grande- Bretagne et aussi les États-Unis.
Depuis 10 ou 12 ans, les terres agricoles de la Saskatchewan suscitent beaucoup l'intérêt de certains types d'investisseurs. Comme vous le savez peut-être, les lois de la Saskatchewan régissant la propriété des terres agricoles sont assez restrictives : presque toutes les terres agricoles peuvent seulement appartenir à des Canadiens et à des entreprises entièrement canadiennes.
Pourquoi les investisseurs agissent-ils ainsi? Le facteur incitatif principal est le rendement financier. Certains sont aussi poussés par la préservation de la richesse et la diversification. Les terres agricoles sont considérées comme un bon investissement et une protection contre l'inflation. Depuis 10 ans, certains investisseurs pensent que les terres agricoles et l'agriculture sont de bons secteurs dans lesquels investir en raison de l'augmentation de la demande alimentaire mondiale.
Les types d'investisseurs ayant acquis des terres agricoles en Saskatchewan que nous avons répertoriés dans nos recherches comprennent des caisses de retraite, comme le Régime de pensions du Canada; des sociétés privées d'investissement dans les terres agricoles, qui sont essentiellement des fiducies d'intérêt privé formées de particuliers canadiens voulant acquérir une participation dans des terres agricoles; ainsi que des particuliers riches qui ont acheté de vastes étendues de terres.
Dans la plupart des cas, les investisseurs acquièrent des terres agricoles et les louent à des exploitants, qui sont habituellement des agriculteurs de la région qui cherchent à louer des terres pour accroître leurs activités. Les investisseurs tirent profit de leur investissement grâce à l'appréciation des terres et au revenu de location obtenu de la part des exploitants agricoles.
Concernant la plus-value en capital, vous savez peut-être que la valeur des terres agricoles en Saskatchewan a monté en flèche au cours des huit dernières années. Entre 2007 et 2015, elle a augmenté de près de 140 p. 100. Donc, les investisseurs qui ont acheté des terres il y a sept ou huit ans ont plus que doublé la valeur de leur investissement.
J'aimerais parler brièvement de la façon dont nous conceptualisons l'investissement financier dans les terres agricoles. Mes collègues et moi avons réfléchi à la façon dont ce modèle diffère du modèle traditionnel d'agriculture familiale. La principale différence, selon nous, c'est que lorsqu'une famille d'agriculteurs appartient sa propre terre agricole, son investissement n'est pas uniquement financier. Ces agriculteurs investissent dans la communauté, ils vivent et travaillent dans la région où se situe leur exploitation et ils participent à la production agricole.
Les investisseurs qui se procurent des terres agricoles pour le flux de rentrées et la plus-value en capital que cela leur rapporte n'entretiennent pas le même lien avec la communauté rurale et le secteur agricole.
Nous croyons qu'il est avantageux de préserver et de maintenir le modèle de propriété des terres agricoles qui existe depuis de nombreuses années en Saskatchewan, c'est-à-dire des familles d'agriculteurs qui appartiennent et exploitent leurs propres terres.
Je vais demander à ma collègue, Mme Desmarais, de vous présenter les résultats de nos recherches et je serai heureux, par la suite, de répondre à vos questions.
[Français]
Annette Desmarais, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les droits de l'homme, la justice sociale et la souveraineté alimentaire, Département de sociologie, Université du Manitoba, à titre personnel : Bonjour, je tiens à vous remercier de votre invitation. Je suis heureuse de comparaître devant votre comité.
[Traduction]
Je crois que votre étude sur l'acquisition des terres agricoles au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole est extrêmement importante, car, comme vous le savez, nous observons un changement démographique considérable dans le secteur.
J'aimerais également souligner qu'avant de devenir universitaire, j'ai été éleveuse de bovins et céréalière pendant environ 14 ans, en Saskatchewan.
Dans le cadre de l'effort général visant à documenter à qui appartiennent les terres agricoles et quel pourcentage de ces terres sont achetées par des investisseurs, nous voulions dresser le portrait de la situation au Canada. Nous savions très bien que les investisseurs s'intéressaient particulièrement à la Saskatchewan. Nous avons donc concentré notre étude sur cette province où l'on retrouve 38,6 p. 100 des terres agricoles cultivables au pays.
Il est très important de souligner que ni le gouvernement provincial ni le gouvernement fédéral ne font un suivi de ce changement de propriété des terres agricoles.
Avant de vous présenter quelques-uns des résultats de nos recherches, je tiens à reconnaître l'importance du financement que nous avons obtenu et qui nous a permis de mener nos recherches. Ces fonds nous ont été offerts par le Programme des chaires de recherche du Canada, le Conseil de recherches en sciences humaines et l'Université du Manitoba.
Je crois que notre recherche met en lumière les raisons derrière l'augmentation de la valeur des terres agricoles canadiennes. Elle présente des preuves concrètes de la fluctuation des tendances relatives à la propriété des terres. Nous avons analysé les titres fonciers, ce qui nous a permis de voir exactement combien de terres ont été acquises par des investisseurs, qui sont ces investisseurs et dans quelles régions ces ventes ont eu lieu.
Nous avons également réussi à documenter l'augmentation de la concentration des terres chez les agriculteurs eux- mêmes. Ces deux tendances — l'augmentation des acquisitions par des investisseurs et la concentration des terres — se produisent simultanément et les deux ont contribué à l'augmentation considérable du prix des terres agricoles, limitant ainsi l'accès des jeunes agriculteurs à des terres.
Combien de terres les investisseurs ont-ils achetées en Saskatchewan? Si vous regardez la deuxième diapositive — celle intitulée « How much land do investors own? » —, vous verrez que la portion de terres agricoles appartenant à des investisseurs était 16 fois plus élevée en 2014 qu'en 2002. Nos recherches ont également permis de constater que la concentration de terres a aussi augmenté; la portion de terres agricoles appartenant aux quatre plus importants propriétaires privés est six fois plus élevée.
J'aimerais aussi vous expliquer pourquoi nous avons choisi la période allant de 2002 à 2014. Nous avons commencé par 2002, car c'est l'année où la législation relative aux terres agricoles a été modifiée en Saskatchewan.
De 1974 à 2002, seuls les résidents de la Saskatchewan pouvaient être propriétaires de terres agricoles dans la province. En 2002, une nouvelle loi a été adoptée ouvrant le marché à tout résident ou citoyen canadien ou à toute société canadienne.
Comme vous pouvez le voir, les données relatives à la période entre 2002 et 2014 montrent concrètement l'impact de ce changement législatif.
Je tiens à souligner que le pourcentage des terres appartenant à des investisseurs qui figure à la deuxième diapositive est plutôt bas — seulement 1,44 p. 100 —, mais j'y reviendrai.
Les troisième et quatrième diapositives présentent les données de façon beaucoup plus visuelle. Chaque point noir représente une terre appartenant à un investisseur. En comparant les deux diapositives, on peut voir un changement considérable dans le nombre de terres appartenant à un investisseur.
Allons à la diapositive qui présente les 10 plus importants investisseurs. On peut lire que le Régime de pensions du Canada est le plus important investisseur, alors que c'est faux. Le RPC appartient 13 p. 100 des terres acquises par des investisseurs, tandis que Robert Andjelic, un propriétaire privé, appartient 21 p. 100 des terres.
Il est important de le souligner, car le resserrement récent des règles de la législation relative aux terres en Saskatchewan vise à limiter l'achat de terres agricoles par des investisseurs institutionnels. Toutefois, cela n'empêche pas les investisseurs privés d'acheter de plus en plus de terres.
Allons à la prochaine diapositive pour expliquer le 1,44 p. 100 dont j'ai parlé plus tôt. Les régions ombragées représentent le pourcentage de terres appartenant à des investisseurs. Les plus foncées représentent les municipalités où les investisseurs ont acquis entre 8 et 10 p. 100 des terres mises sur le marché dans ces municipalités rurales.
Il est essentiel de faire un suivi des terres mises en vente et de qui les achète, peu importe l'endroit. Je vais laisser la parole à André Magnan qui vous expliquera le travail réalisé sur le terrain.
M. Magnan : J'ai fait des recherches supplémentaires avec un de mes élèves. Nous avons eu accès aux documents relatifs à toutes les ventes de terres agricoles survenues en Saskatchewan depuis plusieurs années. Ces bases de données nous ont permis d'évaluer la participation des investisseurs sur le marché des terres agricoles.
Nous avons examiné le volume d'achats par rapport aux transactions sans lien de dépendance — autrement dit, les transactions entre deux parties distinctes. Nous avons remarqué qu'entre 2007 et 2014, pour certaines années, les investisseurs ont acheté près de 10 p. 100 des terres agricoles sur le marché. C'est en 2012 qu'ils ont été les plus actifs achetant 9,5 p. 100 des terres agricoles sur le marché.
Si l'on se concentre sur les régions où les investisseurs ont acheté le plus de terres, ce pourcentage est beaucoup plus élevé. Certaines années, les investisseurs ont acheté près de 30 p. 100 des terres agricoles dans 16 municipalités rurales.
Ces données sur les transactions nous ont permis de voir également combien les acheteurs ont payé pour ces terres agricoles. En regardant de plus près ces 16 municipalités rurales, mon élève et moi avons remarqué, pour bon nombre des années que nous avons examinées, les investisseurs ont payé, en moyenne, plus que les autres groupes d'acheteurs. Certaines années, l'écart est considérable, même que les investisseurs ont payé près du double des acheteurs privés dans ces municipalités.
Encore une fois, nous continuons d'en apprendre sur les activités d'investissement de ces particuliers et différents groupes. Je serai heureux de répondre à vos questions concernant notre recherche.
Le sénateur Mercer : Merci à vous deux pour cet exposé très instructif. C'est une étude intéressante. Il serait bien de la mener à l'échelle du pays.
Vous avez clairement démontré que de plus en plus de terres sont acquises par des entités non agricoles, ou dans certains cas, à tout le moins, par des résidents de l'extérieur de la Saskatchewan. Au bout du compte, quel est l'impact sur l'industrie dans la province?
M. Magnan : À mon avis, il faut comprendre l'impact à l'échelle locale, car il est clair que les investissements sont répartis de façon irrégulière dans certaines régions de la province. Mme Desmarais et moi allons bientôt entreprendre une recherche plus approfondie sur le terrain qui nous permettra de poser ce genre de question dans certaines municipalités.
Pour le moment, il est difficile d'évaluer l'impact sur le terrain. J'imagine que dans les municipalités rurales où le tiers des achats sont réalisés par des investisseurs, il y aura un impact sur le marché des terres agricoles. Il y a peut-être aussi un impact sur le prix des terres agricoles. Il est clair qu'il y a un impact sur la concurrence, car les investisseurs et les agriculteurs sont en concurrence pour l'achat des mêmes terres. J'imagine que cela fait grimper le prix des terres et complique la vie des acheteurs potentiels.
Le sénateur Mercer : Il y a quelques jours, de jeunes agriculteurs du Québec sont venus nous dire que les terres achetées ne sont pas nécessairement cultivées. Des gens de l'Île-du-Prince-Édouard nous ont dit que certaines terres achetées n'étaient plus cultivées.
Ces terres agricoles sont-elles encore cultivées?
M. Magnan : Je n'en suis pas certain, mais je crois que oui, car dans presque tous les cas, les investisseurs qui achètent ces terres les louent à des exploitants agricoles. Si la terre est cultivable, les investisseurs peuvent la louer à des exploitants agricoles.
Nous n'avons pas étudié cette question dans le cadre de nos recherches, mais je crois que ces terres sont cultivées.
Le sénateur Mercer : Le rendement du capital investi dépend du prix de location, mais aussi de la qualité de la récolte. Nous savons tous que rien n'est garanti en agriculture. Si la récolte est très mauvaise une année en raison de la météo, il n'y a aucune garantie, mais quel est l'impact sur la capacité du locataire à payer son loyer au propriétaire de la terre?
M. Magnan : C'est une très bonne question. J'aimerais bien voir la différence entre un propriétaire rural traditionnel, peut-être lui-même un agriculteur à la retraite, et un investisseur propriétaire. Des investisseurs propriétaires prétendent apporter une certaine discipline au marché de la location de terres. Cela pourrait donner à penser qu'ils sont moins flexibles que les propriétaires traditionnels quand vient le moment de percevoir le loyer au taux fixé.
Le sénateur Mercer : C'est habituellement ce que l'on entend par « discipline ».
Le sénateur Plett : J'aimerais d'abord m'adresser à Mme Desmarais. Je retourne à Winnipeg demain. Est-ce qu'il fera beau?
Mme Desmarais : Nous n'avons toujours pas eu de précipitations de neige.
Le sénateur Plett : C'est ce que je voulais confirmer, car tout le monde se moque de Winnipeg en appelant la ville « Winterpeg », par exemple, mais nous avons la meilleure météo au pays. Il y a beaucoup de neige à Ottawa. La sénatrice Gagné est d'accord avec moi.
J'aurais quelques questions simples à vous poser et quelques observations à formuler.
Vous dites ne pas être certain de l'impact des acquisitions des investisseurs, mais j'aimerais avoir votre opinion — ce n'est pas scientifique, et nous ne vous tiendrons pas responsable si vous avez tort. À savoir si l'impact est positif et négatif, c'est une question de perception. Certains diront que c'est positif que des investisseurs acquièrent les terres agricoles, alors que ceux qui désirent acheter des terres diront que cela a un impact négatif, car les prix augmentent. Nous avons un système de libre entreprise.
Je m'inquiète davantage des investisseurs étrangers comparativement à un investisseur canadien ou de la Saskatchewan qui déciderait d'acheter des terres pour les louer à des agriculteurs. Ces transactions profitent à certains, notamment les vendeurs.
Un agriculteur est venu nous partager ses inquiétudes quant à l'urbanisation et à la flambée des prix. Je lui ai demandé carrément ce qu'il ferait s'il avait 1 000 acres de terrain limitrophe à Toronto et qu'il pouvait obtenir 100 000 $ l'acre pour ce terrain. Il m'a répondu : « Je le vendrais et j'irais m'acheter une terre moins dispendieuse plus loin pour l'exploiter. » Il a admis qu'il vendrait et qu'il irait pratiquer l'agriculture plus loin, même s'il s'inquiète du prix des terres.
J'aimerais avoir votre opinion à ce sujet.
M. Magnan : D'accord. Je demanderai peut-être à Mme Desmarais d'intervenir également.
Vous avez raison de dire qu'il y a de l'intérêt des deux côtés. Un agriculteur qui cherche à vendre ses terres pour prendre sa retraite est probablement heureux du nombre accru d'acheteurs potentiels. Par contre, je crois que la flambée des prix pour les terres agricoles en Saskatchewan complique la vie des jeunes agriculteurs qui désirent élargir leur exploitation ou s'établir dans l'industrie. Il est juste de se demander si cette inflation au niveau des terres agricoles est saine pour le secteur.
La valeur des terres agricoles semble se stabiliser, mais elle a augmenté énormément au cours des dernières années. Je suis convaincu que c'est un obstacle important pour les jeunes agriculteurs.
Mme Desmarais : Effectivement. Nous devons nous demander si l'agriculture familiale nous tient à cœur. Si oui, nous devons créer des lois pour faciliter ce genre d'exploitation. Nous vivons un changement important et nous ignorons pour le moment quel en est l'impact.
Nous avons déjà constaté quelques conséquences. Selon les entrevues que nous avons menées dans des municipalités rurales, les gens s'inquiètent beaucoup de la situation. Nous ne comprenons pas vraiment l'impact environnemental et social de ce changement.
À mon avis, il faut mieux comprendre les conséquences déjà constatées de ce changement. Si l'agriculture familiale nous tient à cœur, nous devons regarder au-delà de l'investissement financier et tenir compte de l'investissement social. Ces exploitations ont un impact social, pas seulement financier. Il faut donc tenir compte de tous ces éléments pour bien comprendre l'impact sur l'ensemble du secteur. Il est clair que, pour le moment, une génération de jeunes agriculteurs potentiels est exclue, et il s'agit d'un problème très sérieux.
Le sénateur Plett : Avez-vous fait des travaux de recherche pour déterminer la quantité de terres agricoles vendues par des agriculteurs qui louent ensuite les mêmes terres?
Mme Desmarais : Cela arrive en fait assez souvent. Nous n'avons pas les chiffres, mais pendant les entrevues que nous avons réalisées, les agriculteurs ont certainement beaucoup parlé de l'achat de terres pour les louer à d'autres agriculteurs. Cela fait sans aucun doute partie du problème de la concentration accrue des terres.
Le sénateur Plett : Merci beaucoup.
La sénatrice Merchant : Bienvenue, monsieur Magnan. Je suis heureux de vous voir ici. André est mon voisin; il vit à seulement quelques coins de rue de chez moi à Regina. Je vous souhaite également la bienvenue, madame Desmarais.
Madame Desmarais, vous avez dit que vous recommanderiez qu'une loi protège l'agriculture et notre perception de cette activité en tant qu'activité communautaire.
Dans vos recherches, avez-vous déterminé si, tout d'abord, parmi les membres de la famille, les enfants voulaient prendre la relève? Beaucoup de témoins ayant comparu devant nous ont dit avoir grandi dans une ferme, mais ne plus faire d'agriculture. Les jeunes dont les parents ont une ferme souhaitent-ils rester dans le domaine de l'agriculture?
Par ailleurs, comme vous l'avez indiqué, la Saskatchewan a une loi, et elle est peut-être adéquate. Voulons-nous que le gouvernement se mêle des affaires du pays? Recommandez-vous l'utilisation de fonds publics pour maintenir ce que j'appelle le mythe de la ferme familiale, ou devrions-nous laisser la libre entreprise fonctionner de la façon dont nous laissons les autres entreprises fonctionner au pays?
En me fiant aux points sur votre diapositive, je vois que, en Saskatchewan, le transfert ou l'achat de terres se concentrent en grande partie dans la région située au sud-est de la province. Est-ce attribuable à l'étalement urbain? Est-ce parce que les terres sont peut-être moins rentables que dans les régions du nord de la province? Qu'est-ce que vos travaux de recherche indiquent? Je pense qu'il s'agit de mes questions. Vous pouvez tous les deux y répondre.
Mme Desmarais : Je vais répondre à la question concernant le mythe de la ferme familiale. Beaucoup de travaux de recherche, non seulement au Canada, mais aussi à l'échelle internationale, surtout aux États-Unis, indiquent que l'agriculture familiale est en fait la sorte d'agriculture la plus efficace. Des travaux de recherche montrent qu'on peut prendre trop d'expansion et que le rendement du capital investi commence à diminuer à un moment donné. Je pense qu'il faut garder cela à l'esprit. M. Magnan peut également parler, d'un point de vue historique, de l'échec des énormes exploitations agricoles qui ont vu le jour en Saskatchewan.
Je pense que nous devons garder à l'esprit que la ferme familiale est en fait une unité de production efficace. Nous parlons seulement de l'aspect économique, pas des aspects social et communautaire.
Je vais laisser M. Magnan répondre à votre deuxième question, si vous le permettez.
M. Magnan : Je pense que vous avez demandé pourquoi l'activité est plus concentrée dans certaines parties de la province que d'autres. Je crois que c'est attribuable à la qualité des terres. Les régions au sud et au sud-est de Regina sont certainement reconnues comme étant bonnes et fertiles. C'est également une bonne chose qu'elles ne soient pas trop loin de Regina, car beaucoup de personnes aiment que leurs terres agricoles soient à proximité d'un grand centre urbain. Nous n'avons toutefois pas systématiquement cherché à expliquer les tendances.
Après avoir parlé à certains investisseurs, je sais qu'ils ont leurs propres processus pour cerner les terres agricoles qu'ils veulent acheter, et comme vous pouvez le constater, les terres agricoles appartiennent à des dizaines de milliers de propriétaires d'un bout à l'autre de la province. Par conséquent, un investisseur qui veut acheter des terres agricoles peut examiner des propriétés partout dans la province. Je pense qu'ils ont tous leur propre processus pour trouver un bon terrain à acheter. Ils tiennent compte de choses comme la productivité de la terre, les exploitants agricoles qui l'ont exploitée et ainsi de suite. Ce sont d'autres excellentes questions à aborder dans le cadre de recherches plus poussées.
La sénatrice Merchant : Quand une ferme familiale est transmise à des membres de la famille, choisissent-ils de la garder ou plutôt de la vendre pour avoir les moyens d'aller vivre ailleurs? Avez-vous étudié la question?
M. Magnan : Ce que nous voyons, c'est une situation complexe où, dans certains cas, des jeunes sont prêts à reprendre l'exploitation agricole, et ils peuvent parfois très bien gagner leur vie. Cependant, dans d'autres cas, comme vous l'avez dit, certaines personnes abandonnent l'agriculture, et cela contribue au remembrement que l'on observe depuis des dizaines d'années, car lorsqu'une exploitation agricole familiale quitte l'industrie et vend ses terres, habituellement à une autre exploitation, cette dernière devient alors beaucoup plus grande.
C'est ce que nous voyons tout le temps. Nous continuons de perdre des agriculteurs et de voir le nombre d'exploitations agricoles diminuer, mais il arrive que des jeunes veuillent reprendre l'entreprise familiale. Je pense que nous devons examiner les facteurs qui pourraient rendre difficile cette prise de contrôle; le prix élevé des terres et la concurrence livrée par des investisseurs pourraient nuire au processus.
Le président : Avant de passer au sénateur Plett, je demanderais aux sénateurs de poser des questions brèves et aux témoins de donner des réponses courtes, car d'autres sénateurs souhaitent prendre la parole.
[Français]
Le sénateur Pratte : J'aimerais d'abord vous remercier de nous avoir fourni des données précises, complètes et détaillées. Très peu de témoins l'ont fait auparavant. Pouvez-vous nous dire quel est le lien entre le prix des terres agricoles et ce que vous avez pu constater? Bon nombre de témoins, y compris Financement agricole Canada, nous ont dit que c'est le prix international des denrées agricoles et le développement urbain qui expliquent l'augmentation du prix des terres agricoles, plutôt que ce phénomène. Que pensez-vous de cette affirmation?
M. Magnan : Dans l'ensemble, je suis d'accord pour dire que c'est le prix des denrées. Les revenus agricoles ont une influence importante sur le prix des terres. Nous n'avons pas pu quantifier ce phénomène dans le cadre de nos recherches, mais je soupçonne que la présence d'investisseurs pourrait avoir un impact sur le prix des terres agricoles et que l'effet de cet impact serait possiblement concentré dans les régions où il y a davantage de compétition et d'activités.
Le sénateur Pratte : Dans quelle mesure faut-il s'en inquiéter, puisque, selon vos données sur l'ensemble des terres agricoles de la Saskatchewan, seulement 1,4 p. 100 des terres sont concernées? Certaines sont concentrées dans certains secteurs, mais il s'agit tout de même d'une toute petite partie des terres qui sont concernées pour l'instant.
M. Magnan : Vous avez raison, mais il faut comprendre que c'est la tendance. Il y a seulement moins de 15 ans que le marché est réellement ouvert aux gens de l'extérieur de la Saskatchewan. Si cette tendance se poursuivait pendant 20 ou 30 ans, il se pourrait éventuellement que la part des terres qui appartiennent aux investisseurs soit assez importante. Alors, vous avez raison, il s'agit là d'une petite part de toute la superficie, mais je crois qu'il faut tout de même observer la tendance.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Les membres du comité sont revenus de Chine il y a environ 15 jours, et nous avons visité le pays, notamment en participant à une exposition de produits agricoles canadiens. Je me suis entretenu avec certains agriculteurs de la Saskatchewan. Vous avez parlé plus tôt de la venue d'immigrants. J'ai parlé à quelques agriculteurs d'origine asiatique, qui se sont rendus en Saskatchewan. L'un des agriculteurs a mis la main sur plus de 4 000 acres de terres agricoles, et il fait de bonnes affaires en exportant beaucoup de produits dans la région de l'Asie-Pacifique, y compris la Chine — du blé, de l'huile de canola et d'autres céréales.
La venue de nouveaux immigrants des régions asiatiques qui se lancent dans l'agriculture et exportent des produits canadiens représente-t-elle une tendance?
M. Magnan : Oui. J'ai lu dans la presse des articles sur des agriculteurs chinois qui s'établissent au Canada en tant que résidents permanents pour se lancer dans l'agriculture. Je pense que c'est un phénomène plutôt limité. Pendant de nombreuses années, des immigrants européens se sont établis au Manitoba parce que les terres coûtaient moins cher au Canada qu'en Europe. Je pense que c'est une chose dont l'industrie devrait se réjouir — quand des gens viennent s'établir au Canada pour pratiquer l'agriculture. C'est peut-être une solution au problème de la relève agricole et au transfert générationnel.
À mes yeux, c'est très différent des personnes qui se contentent d'investir dans des terres sans s'établir au pays.
Mme Desmarais : Je suis parfaitement d'accord. La différence est énorme entre les gens qui achètent les terres pour les exploiter et les investisseurs qui ne font que débourser de l'argent en ne voulant aucunement se lancer eux-mêmes dans l'agriculture, leur but étant seulement de rentabiliser le capital investi, non seulement dans les terres, mais aussi dans les cultures.
Je voulais dire une chose à propos de la question posée plus tôt au sujet des jeunes ayant grandi dans une ferme, mais qui ne veulent pas pratiquer l'agriculture. C'est certainement une réalité, mais, fait intéressant, nous voyons également des jeunes venant d'un autre milieu qui souhaitent vivement acheter des fermes. C'est un nouveau phénomène, et il existe même une nouvelle coalition appelée l'Union nationale des fermiers, dont font partie des citadins qui veulent acheter des terres et pratiquer l'agriculture. Ils se rendent compte que c'est impossible compte tenu du coût très élevé des terres.
[Français]
La sénatrice Tardif : J'abonde dans le même sens que mon collègue, le sénateur Pratte, et j'aimerais également vous remercier pour la qualité de votre recherche. J'ai eu l'occasion, hier soir, de lire certains des articles qui nous ont été fournis, et je dois dire que j'en ai tiré de précieuses données qui nous seront très utiles pour la rédaction de notre rapport.
À la suite des recherches et de l'analyse que vous en avez faite, quelles recommandations pourriez-vous offrir au gouvernement fédéral que nous pourrions inclure dans la rédaction de notre rapport?
M. Magnan : Annette, voulez-vous répondre d'abord? Je n'étais pas tout à fait prêt à répondre précisément à cette question.
La sénatrice Tardif : Vous pouvez nous envoyer une réponse plus tard.
M. Magnan : Les lois sur l'accès aux terres agricoles sont de compétence provinciale. Selon les provinces, différentes lois et différents règlements sont en vigueur et il faut en analyser les effets.
En Saskatchewan, nous avons récemment modifié la loi afin d'empêcher certains investissements, notamment les investissements concernant les caisses de retraite. Toutefois, cela n'empêche pas les gens très riches ou les fonds privés d'investissement de continuer à investir. Si l'objectif est d'empêcher les investissements par les grands fonds d'investissement privés, je crois que nos lois sont insuffisantes. Selon moi, il s'agit là d'une question qui doit être débattue dans chacune des provinces.
La sénatrice Tardif : Madame Desmarais, avez-vous un commentaire à faire?
[Traduction]
Mme Desmarais : Oui, je suis parfaitement d'accord avec M. Magnan à propos de ce qu'il vient tout juste de dire. Au niveau fédéral, il pourrait y avoir des lignes directrices générales pour contribuer à ce que les titres de propriété demeurent entre les mains des agriculteurs. Il revient légitimement aux provinces d'adopter la législation foncière, et nous voulons que cela reste ainsi, car nous pensons que c'est très important. Cependant, il devrait également y avoir des lignes directrices nationales sur les principes qui pourraient constituer des sujets de préoccupation, notamment la question de savoir qui doit posséder les terres, les investisseurs ou les exploitations agricoles familiales.
L'autre chose vraiment indispensable serait une sorte de mécanisme de suivi mis en place à l'échelon fédéral pour que nous sachions en tout temps de quelle façon les tendances en matière de propriété foncière évoluent. C'est une chose qui pourrait être envisagée au niveau fédéral.
J'aimerais vraiment réfléchir un peu plus avant de fournir une réponse plus approfondie à votre question, car cela se rapporte à la troisième partie des objectifs de votre étude, qui est essentielle selon moi. Il faudrait que j'y réfléchisse un peu plus pour vous donner une réponse plus claire.
[Français]
La sénatrice Tardif : Merci. Si vous avez d'autres renseignements à nous communiquer, n'hésitez pas à les transmettre au greffier du comité.
Le sénateur Dagenais : Je vous remercie de vos présentations. Vos propos me préoccupent un peu. J'habite dans une zone semi-urbaine où le développement immobilier prend de l'ampleur, ce qui est très enrichissant pour la ville. Au centre de la municipalité se trouvent des fraisières qui produisent de très bons fruits. Dans cette région, les terres sont très fertiles. Je connais le propriétaire d'une fraisière de quatrième génération. Il est très préoccupé par la relève, et il voit naître tout autour de lui de nombreux complexes résidentiels. Il pourrait vendre ses terres à très bon prix. Imaginez-vous qu'un terrain de 10 000 pieds carrés se vend à l'heure actuelle à 200 000 $!
Les agriculteurs subissent des pressions de la part des municipalités, ils ne peuvent pas compter sur la relève et ils n'ont pas de fonds de pension. Ils savent que leurs terres ont une très grande valeur. Je ne sais pas quelles solutions nous pourrions envisager pour les aider. Ces agriculteurs ne savent plus que faire, parce que leurs enfants ne veulent pas prendre la relève de leur entreprise.
Comme vous le savez, la culture des fraises varie d'une année à l'autre, et cela peut entraîner des pertes importantes. Que peut-on faire pour les aider? Il n'est pas facile de trouver une solution, mais il faudra trouver une façon d'aider ces gens. Que pourriez-vous proposer? L'étalement urbain représente un problème pour ces agriculteurs et les villes veulent percevoir des impôts fonciers.
M. Magnan : C'est une très bonne question. Je crois qu'en Saskatchewan, près des grandes villes, comme Saskatoon et Regina, on a pu constater cet enjeu aussi. Les investisseurs en Saskatchewan s'intéressent aux terres agricoles qui demeureront en production pour la culture du canola, et cetera. Selon moi, la concurrence entre le développement urbain et les terres agricoles n'est pas aussi importante en Saskatchewan. La relève est certes un problème crucial. Lorsque les agriculteurs souhaitent se retirer, ils vendent leur terre à l'investisseur qui leur offrira le meilleur prix. La question de la relève est très importante dans notre région aussi.
Le sénateur Dagenais : On parle souvent des grandes exploitations, comme celle du canola, mais les producteurs maraîchers subissent une énorme pression. Je peux vous affirmer que dans les régions urbaines, notamment à Laval, des terres se sont vendues à un prix élevé, et il n'y a presque plus d'agriculteurs.
La sénatrice Gagné : Je serai brève. Je vais aller dans le même sens que la sénatrice Tardif, car j'ai constaté qu'on a hésité à répondre à sa question. J'ai une suggestion à faire, si cela vous intéresse en tant que chercheur. En passant, j'apprécie énormément la qualité de votre travail. Vos données nous seront très utiles dans le cadre de notre étude.
Dans votre publication d'avril 2016, vous êtes arrivé à la conclusion qu'il faudrait étudier plus en profondeur l'impact de l'investissement social par rapport à l'investissement financier et ses répercussions sur les collectivités. Il serait intéressant d'examiner les politiques publiques qui pourraient soutenir ces tendances si le Canada souhaite atteindre une durabilité écologique et une souveraineté alimentaire. C'est une suggestion que je vous transmets, parce que nous avons peu de publications sur les politiques publiques en matière d'agriculture et de production alimentaire au Canada. Je vous remercie.
[Traduction]
Le sénateur Ogilvie : Tout d'abord, je vous remercie tous les deux de vos travaux de recherche. Comme d'autres personnes l'ont dit, il s'agit des premiers résultats clairement définis. De toute évidence, vous connaissez encore mieux que nous les autres questions à étudier, et nous vous encourageons à poursuivre vos travaux, surtout en ce qui a trait à la possession des titres de propriété.
C'est d'ailleurs le sujet que je souhaite aborder. Je pense vraiment que la grande question est de savoir si les titres appartiennent à des Canadiens ou à des étrangers. Les terres agricoles tombent dans une catégorie semblable à celle de nos ressources en eau douce. Notre avenir en dépend. Les gens investissent dans des terres pour plusieurs raisons, et j'estime qu'il importe pour les investisseurs que l'exploitation de ces terres soit rentable. Ils n'investissent pas pour perdre de l'argent.
En général, nous savons que c'est rentable de deux façons. D'une part, il y a la valeur proprement dite des terres — c'est comme acheter des actions —, la valeur fondamentale, et, d'autre part, le rendement annuel.
Si l'on tient compte de la croissance démographique et de la diminution de la superficie arable partout dans le monde, de toute évidence, investir dans les terres représente une possibilité. Au sein d'un pays, il faut déterminer si les terres sont exclusivement réservées à l'agriculture ou s'il y a d'autres options. Les investisseurs investissent donc dans différentes sortes de terres selon le zonage, mais il importe peu pour moi que ce soit une société ou une personne qui possède les titres de propriété, car je vois de plus en plus d'exploitations agricoles familiales se constituer en société. À vrai dire, c'est un moyen pour une famille de rendre possible le transfert des terres à l'avenir tout en en maintenant l'intendance ou le contrôle.
Je vous prie instamment de déterminer si ce sont des Canadiens ou des étrangers qui possèdent les titres de propriété. Je pense que c'est absolument essentiel pour nous. Je crois qu'il serait pertinent de savoir quelle est la proportion de sociétés appartenant à d'anciens agriculteurs qui achètent des terres. Un ancien agriculteur qui achète des terres et qui les loue ne diffère pas beaucoup d'une grande société lorsque ces terres sont cultivées.
Je pense que nous devons absolument avoir, de manière détaillée, le genre de données que vous recueillez dans ce domaine, et je veux donc tout simplement vous encourager à poursuivre vos travaux, car, sans cette information, ce ne sont que des suppositions. Pour nous, la pire façon de procéder consiste à fonder sur de pures suppositions nos décisions concernant la façon dont les terres devraient être contrôlées au pays.
Comme je l'ai dit, vous nous avez fourni nos premières données vraiment précises. Je vous en suis reconnaissant. Je vous encourage à poursuivre vos travaux.
M. Magnan : J'aimerais juste apporter des précisions à ce sujet. Dans notre étude, nous nous sommes donné la peine de faire une distinction entre les propriétaires de fermes qui venaient de la place ou qui étaient des agriculteurs à la retraite et les propriétaires-investisseurs absents.
Nous ne sommes pas penchés sur la question de la structure organisationnelle proprement dite. Nous avons regardé qui possédait les terres et s'il était possible d'affirmer qu'il s'agissait d'investisseurs dans le sens de propriétaires absents qui n'ont autrement pas de véritable lien avec les terres agricoles. Nous sommes donc presque certains qu'il s'agit du type d'investisseurs que nous avons examinés, que ce n'était pas de simples exploitations agricoles familiales constituées en société.
À propos des propriétaires étrangers, notre analyse de titres de propriété n'a pas donné la moindre preuve que les terres appartenaient à des non-Canadiens. Les règles à cet égard sont vraiment très strictes en Saskatchewan.
Dans une loi adoptée en 2015, le gouvernement a récemment essayé d'éliminer d'autres échappatoires, et on est donc encore plus certain que ce ne sont pas des capitaux étrangers qui sont investis en se servant d'un résident ou d'un citoyen canadien comme façade. Je pense que la loi fonctionne très bien à cet égard.
Le sénateur Ogilvie : Merci beaucoup.
Mme Desmarais : Je voulais juste souligner très rapidement que je pense que vous avez tout à fait raison d'attirer l'attention sur le problème de la concentration des terres entre les mains des agriculteurs, et c'est exactement la raison pour laquelle nous voulions essayer de faire un suivi des deux mécanismes observés en Saskatchewan, à savoir le transfert de propriété dans le sens où les investisseurs achetaient plus de terres, mais aussi tout le processus sérieux et très important de la concentration des titres de propriété entre les mains des agriculteurs.
Je pense que les deux sont très importants. Nous devons continuer de surveiller la situation. Nous voulions seulement vous dire que nous souhaitons vraiment poursuivre nos travaux de recherche en Alberta et au Manitoba, et nous savons que d'autres universitaires se servent de notre méthodologie pour étudier la situation en Ontario et au Québec. Nous attendons tous la publication de ces travaux.
[Français]
Le président : Merci beaucoup, monsieur Magnan et madame Desmarais. Comme vous avez pu le constater, les sénateurs s'intéressent beaucoup à vos mémoires et à vos recherches. Si vous avez d'autres commentaires, vous pouvez toujours nous les faire parvenir par l'entremise du greffier du comité. Ils nous seront certainement utiles lorsque nous serons prêts à produire notre rapport. Merci de vous être déplacés.
(La séance est levée.)