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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 21 - Témoignages du 8 décembre 2016


OTTAWA, le jeudi 8 décembre 2016

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 heures, afin de poursuivre son étude sur l'acquisition des terres agricoles au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole.

Le sénateur Ghislain Maltais (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je souhaite la bienvenue à notre invité ainsi qu'à tous les membres du comité. Je suis le sénateur Ghislain Maltais, du Québec, président du comité. Avant de poursuivre, je vais demander à mes collègues de se présenter, en commençant par le vice-président.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Tardif : Claudette Tardif, de l'Alberta.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

Le sénateur Plett : Don Plett, du Manitoba.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l'Ontario.

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Merci. Aujourd'hui, le comité poursuit son étude sur l'acquisition des terres agricoles au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole.

[Français]

Ce matin, au cours de la première heure, nous recevons M. David Connell, professeur agrégé, Science et gestion de l'écosystème, University of Northern British Columbia. Monsieur Connell, bienvenue parmi nous.

Vous disposez d'un certain temps pour faire votre présentation. Plus elle sera courte, plus les sénateurs auront la chance de vous poser des questions. En l'espace d'une heure, nous devrions avoir fait le tour de la question. Je vous cède donc la parole.

[Traduction]

David Connell, professeur agrégé, Science et gestion de l'écosystème, University of Northern British Columbia, à titre personnel : Merci. Bonjour mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis heureux de témoigner devant vous aujourd'hui. Au cours de mon exposé, je ferai référence aux documents en couleur qui vous ont été remis. Ils se veulent un complément d'information.

Aujourd'hui, je vais vous parler de la protection des terres agricoles au Canada. Mon exposé vise deux objectifs précis : d'abord, décrire la situation relative aux terres agricoles et à leur niveau de protection au Canada et ensuite discuter de l'incidence de cette situation sur l'acquisition des terres agricoles. Ces deux sujets sont interreliés.

Le point de référence est un projet national, qui tire à sa fin. Ce programme en est à sa quatrième année et il bénéficie d'un financement de près de 500 000 $ de la part du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, ce qui est une bonne indication de l'importance qu'accordent mes pairs à ce sujet. Six universités du Canada y ont participé, ce qui a donné lieu à une bonne représentation.

La réalité au Canada, c'est que nous protégeons les terres agricoles depuis plus de 40 ans, mais malgré ces efforts directs, nous perdons des terres agricoles partout au pays. Plus important encore, le Canada perd certaines de ses meilleures terres. Mon but ce matin est de vous aider à comprendre pourquoi nous en sommes là, et aussi à connaître certaines des pressions et niveaux de protection existants.

Les facteurs qui ont une incidence sur la perte des terres agricoles sont largement connus et facilement reconnaissables. Il s'agit de la conversion des terres agricoles à d'autres fins : l'aliénation, qui est la perte d'accès ou d'utilisation des terres agricoles en raison de développements non agricoles; la fragmentation, qui vise à diviser l'assise territoriale de sorte que les parcelles individuelles de terres agricoles soient séparées; et finalement la disponibilité des terres agricoles en raison de l'achat et de la spéculation des terres par des gens qui ne sont pas agriculteurs et qui ne les utilisent pas. Ce sont là les facteurs qui sont bien définis dans le domaine et qui ont aussi trait à l'acquisition des terres agricoles.

Le défi auquel j'ai été confronté en ce qui a trait à la protection des terres agricoles, c'est qu'à chaque fois qu'on aborde ce sujet, on traite de questions sociétales de base, mais essentielles, sur la place des aliments, des fermes et des agriculteurs dans notre société. Cela va au-delà de l'assise territoriale; on parle de grandes décisions stratégiques et de vastes intérêts publics.

La question devient alors la suivante : où se situe la protection des terres agricoles parmi les intérêts divergents et les divers intérêts publics que les gouvernements locaux, les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral doivent rapprocher?

C'est ainsi que nous avons orienté notre travail. En des termes simples, nous avons examiné les forces des cadres législatifs — les lois et règlements, et j'y reviendrai dans quelques instants — pour protéger les terres agricoles du Canada. Par « forces », je veux dire qu'un cadre est fort s'il protège les terres agricoles et qu'il est faible s'il ne les protège pas.

Au départ, nous croyons que la protection des terres agricoles relève de l'intérêt public. Nous voulions donc savoir dans quelle mesure les terres étaient protégées. Nous ne voulions pas juger de l'atteinte d'un équilibre ou des décisions prises, mais nous avons évalué la force globale. Nous avons examiné les documents tels qu'ils ont été rédigés, ce qui peut différer grandement de la façon dont ils sont mis en œuvre.

La première page, qui montre la Colombie-Britannique en jaune, est ce que j'appelle un cadre législatif. Il y a plusieurs rangées et trois colonnes dans ce document. Dans les rangées, on trouve les données provinciales et possiblement les données régionales et locales. Les trois colonnes sont les plus importantes. Celle du centre montre les lois, règlements et règlements ayant force de loi à l'échelon provincial. Ce sont les documents les plus importants que nous avons étudiés. Ensuite, il y a les gouvernements locaux et les plans législatifs, qu'il s'agisse de plans communautaires officiels ou de stratégies de planification municipale — selon l'appellation —, mais ce sont des plans législatifs locaux qui expriment l'intérêt public. Ensemble, tous ces documents nous servent de données brutes. Ce sont ces données que nous avons examinées pour évaluer la force de la protection des terres agricoles; nous avons donc étudié le langage explicite et les politiques précises.

À la prochaine page, on voit quelques crochets et des lignes vertes. Si vous regardez chaque colonne, vous verrez que l'ensemble des outils et éléments utilisés est différent pour chaque province. Je voulais simplement vous montrer que chaque province utilise une approche différente. Si vous regardez le titre de chaque rangée, vous verrez que certaines zones agricoles sont associées aux terres agricoles désignées; il y a les commissions des terres agricoles; il y a ce qu'on appelle les PPAT ou politiques provinciales d'aménagement du territoire et les DPI ou déclarations provinciales d'intérêt. Il y a divers outils, mais chaque province choisit de les utiliser différemment. C'était notre point de départ en vue de déterminer les mesures prises par chaque province. En somme, on peut voir que chaque province utilise sa propre recette ou sa propre formule.

Pour donner un sens à tous ces documents, nous avons examiné les quatre principes décrits dans la note de politique que vous avez tous reçue, je crois. L'un d'entre eux vise à maximiser la stabilité et a trait à la force du langage : quel est l'engagement en vue de protéger les terres agricoles? Comment est-il exprimé? Où se situe-t-il? Est-il exprimé dans la loi ou dans une politique d'aspirations? Nous voulons savoir dans quel document il apparaît. Il y a donc les quatre principes de planification des politiques sur l'utilisation des terres. Nul besoin de voir ces principes en détail, mais ils se trouvent dans d'autres documents. Je dirai seulement que ces principes ont orienté notre travail et nous ont permis d'évaluer les forces.

À la page suivante, vous pouvez voir les résultats.

L'autre document présente une évaluation comparative des provinces. Tout d'abord, vous voyez divers tons de vert, ce qui montre clairement que chaque province utilise une approche très différente. Dans la première colonne, « Maximise la stabilité », plus la case est foncée, plus la province est forte. Vous pouvez voir dans la première colonne que chaque province présente un niveau de protection des terres agricoles différent. Le deuxième principe, « Intègre avec les autres autorités », le troisième principe, « Minimise les incertitudes » et le quatrième principe, « Offre une certaine souplesse », sont généralement acceptés à titre d'éléments de base d'un cadre législatif fort et efficace. Encore une fois, vous pouvez constater d'après les divers tons de vert que les provinces adoptent des approches différentes.

Dans la colonne intitulée « Force globale », on peut voir que cette force varie selon les provinces — et nous avons divisé l'Ontario et la Colombie-Britannique en deux zones — et passe de très forte à faible. En étudiant les cadres législatifs selon ces quatre principes, on constate que les niveaux de protection varient grandement d'une province à l'autre.

À la prochaine page, vous trouverez un diagramme à secteurs. La section en vert foncé montre le nombre de terres agricoles fiables ou les meilleures terres agricoles, que l'on appelle aussi les terres agricoles de qualité : les terres de catégories 1, 2 et 3. Le diagramme à secteurs représente toutes les terres agricoles de qualité du Canada et les divers tons de vert montrent le niveau de protection. Vous voyez que les éléments en vert foncé — qui indique une protection très forte — représentent 10 p. 100 de l'assise territoriale. Le diagramme montre que seulement 10 p. 100 de l'assise territoriale des meilleures terres agricoles est associée à une protection élevée. Le diagramme montre aussi que plus de 75 p. 100 de nos meilleures terres agricoles sont associées à une protection moyenne à très faible.

À mon avis, ce diagramme montre les problèmes sous-jacents qui imprègnent le système et finissent par affecter le prix des terres agricoles, leur disponibilité et toutes les questions relatives à l'acquisition des terres agricoles. Cela montre que nos meilleures terres agricoles sont exposées à la conversion, à l'aliénation, à la fragmentation et aux développements non agricoles. Je crois que ce diagramme présente un message fort et simple.

À la prochaine page, on voit que cela ne s'arrête pas là parce que le diagramme montrait la situation selon chaque province. Ici, on montre les 20 études de cas réalisées dans l'ensemble du Canada, qui révèlent que l'écart est plus grand entre les gouvernements locaux. Bien qu'un taux de 10 p. 100 à l'échelon provincial soit très élevé, rien ne garantit que tous les gouvernements locaux seront très forts.

Le tableau du diagramme présentant les divers gouvernements locaux nous montre deux choses : d'abord, la force globale des gouvernements locaux passe de très forte à très faible. Encore une fois, si l'on examine le tableau dans son ensemble en fonction des quatre principes énoncés, on voit plusieurs tons de vert, ce qui montre une fois de plus que chaque gouvernement local adopte une approche différente. Les gouvernements locaux et provinciaux ont donc recours à diverses approches, ce qui donne lieu à une association intéressante de forces; cela m'amène à la page suivante.

Enfin — je crois qu'il s'agit de la dernière page de votre document —, nous avons tenté de combiner ces effets et de dégager certains liens. Les rangées présentent les forces globales des cadres législatifs provinciaux et en haut, ce sont les forces des cadres législatifs locaux. Les zones en vert foncé — comme la ville de Delta, en Colombie-Britannique — présentent à la fois une protection provinciale forte et une protection locale forte; c'est donc le meilleur scénario. Les cases en vert foncé représentent les meilleurs endroits pour investir dans la protection des terres agricoles tandis que les cases en vert pâle représentent des régions où les terres agricoles sont les plus exposées au développement non agricole et à la conversion.

Aussi, si vous regardez chaque rangée, vous verrez que même si une province est dotée d'un cadre législatif très fort, celui des gouvernements locaux varie. On constate donc que rien n'est garanti et que la force des diverses administrations varie. C'est d'autant plus évident dans les colonnes « Très fort » et « Modéré ». Il n'y a pas nécessairement de corrélation entre les choix des gouvernements locaux quant à leurs intérêts et celui des provinces.

Voilà qui résume notre approche. Elle montre le niveau d'exposition et l'orientation du système, et c'est de là que naissent les enjeux associés à l'acquisition des terres agricoles. Merci.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Connell. Le sénateur Mercer est le premier intervenant pour cette série de questions.

Le sénateur Mercer : Merci beaucoup, monsieur Connell. Votre étude est très intéressante. Vous avez fait des commentaires sur ma propre province. Je vais probablement céder la parole à mon ami le sénateur Ogilvie parce que vous avez fait référence au comté de Kings, dans lequel il habite. Je vais lui laisser certaines questions précises.

Il me semble que vous avez parlé des diverses approches de chaque province. Étant donné les responsabilités fédérales et provinciales, est-ce que vous suggérez qu'on adopte une approche normalisée dans l'ensemble du pays?

M. Connell : Certainement, si l'objectif est de mieux protéger les terres agricoles grâce à une approche coordonnée. D'après notre projet de recherche, nous avons recommandé que le gouvernement fédéral prépare un énoncé de politique pour protéger les terres agricoles.

À l'heure actuelle, ni les documents Cultivons l'avenir et Cultivons l'avenir 2, ni le cadre stratégique de Calgary pour l'agriculture n'abordent la protection des terres agricoles. Ils présentent des énoncés et des objectifs en vue de doubler la valeur des exportations. Ils parlent d'accroître la consommation locale, mais il y a une rupture entre le développement économique d'un secteur et le besoin de protéger l'assise territoriale. Je crois qu'il y a là un lien avec notre position, qui vise une meilleure coordination et un encadrement par l'entremise d'un énoncé d'intérêt fédéral pour protéger les terres agricoles.

Le sénateur Mercer : À cette table, nous parlons constamment de l'explosion de la population dans le monde, qui aura lieu d'ici 2050, et du besoin de nourrir ces 9 ou 9,6 milliards de personnes. Les chiffres varient. Alors que nous nous rapprochons de cette date, ce nombre semble augmenter, et il continuera d'augmenter. Je ne serai plus ici, mais ce qui m'inquiète pour mes petits-enfants ou mes arrière-petits-enfants, c'est que si on ne les nourrit pas, ces gens ne seront pas heureux et les gens malheureux font de mauvaises choses. Est-ce que votre étude visait le problème de population auquel nous serons confrontés?

M. Connell : Indirectement, oui. Elle a permis de délimiter le problème, qui comporte deux volets. D'abord, la perte de terres agricoles. Les terres sont essentielles pour accueillir et établir les régions urbaines, mais en même temps, les terres sont nécessaires à la production des aliments. Comme je l'ai dit au début de mon exposé, la conversation au sujet de la protection des terres agricoles donne immédiatement lieu à d'autres questions plus vastes sur l'intérêt public et les priorités publiques. Je crois que la croissance de la population, l'expansion des zones urbaines et le besoin de cultiver des aliments sont irréconciliables. Il faut les gérer ensemble. Ces enjeux sont là, en arrière-plan. Nous étudions la protection des terres agricoles, mais cela fait certainement partie de l'environnement.

Le sénateur Mercer : Avez-vous aussi parlé — et j'ai peut-être manqué cette partie de votre exposé parce que j'essayais de lire pendant que vous parliez — de l'urbanisation des terres agricoles à proximité des centres urbains, des terres productives qui sont transformées en lotissements et en immeubles de grande hauteur, et cetera?

M. Connell : Nous avions étudié les lois et la façon dont elles sont rédigées, mais à ce niveau, c'est habituellement le gouvernement local. Or, le Québec et la Colombie-Britannique sont les deux seules provinces à avoir des zones où les terres agricoles sont désignées et protégées. Idéalement, lorsque l'urbanisation entraîne des pressions supplémentaires, les terres sont tout de même protégées et c'est l'idée générale.

Il existe de nombreux mécanismes et les résultats montrent que les gouvernements locaux adoptent des approches différentes. Ceux qui se préoccupent plus de la protection des terres agricoles ont recours à des outils supplémentaires et à des approches très détaillées pour protéger les terres agricoles et contenir le développement urbain.

Nous avons examiné les lois destinées à protéger les terres agricoles, mais selon une règle générale, la protection des terres agricoles s'accompagne toujours par un besoin correspondant de gestion de l'expansion urbaine. Parfois, la meilleure façon de protéger les terres agricoles, c'est de ne pas trop s'en faire des lois et de passer la majeure partie de son temps à s'occuper directement de la gestion de l'expansion urbaine. Le comté de Kings est un bon exemple où l'on a adopté cette approche en 1979, c'est-à-dire l'approche de la gestion double qui consiste à contrôler les centres de croissance, tout en imposant des mesures législatives rigoureuses pour protéger les terres agricoles.

Le sénateur Mercer : Au Québec et en Colombie-Britannique, dans le cadre de votre étude, avez-vous décelé des pressions internes ou externes sur le système législatif pour faire changer le processus, le rendre plus ouvert ou l'assouplir?

M. Connell : Chaque conversation révèle l'existence de pressions sur les terres agricoles. Ce n'est pas une observation très érudite ou très précise, mais en somme, j'aimerais croire que le point de départ, c'est l'idée que le système consommera les terres agricoles. Cela semble être une affirmation générale, mais c'est un point de départ efficace ou productif. On examine chaque déclaration, chaque politique et chaque effort visant à protéger les terres agricoles, et c'est toujours un moyen pour contrer ces pressions.

On le voit au Québec et en Colombie-Britannique, qui disposent pourtant des lois les plus solides. Ces deux provinces mènent le même combat. Elles sont en train de perdre les meilleures terres agricoles. Chaque année, la Colombie-Britannique reçoit 300 demandes d'exclusion pour des projets de développement à des fins non agricoles. Le Québec, qui a un système différent, reçoit 3 000 demandes par année, et il s'agit des cadres législatifs provinciaux les plus solides.

Les pressions pour le développement urbain sont fortes, mais même les agriculteurs n'arrivent pas à s'entendre à ce sujet. Bon nombre d'entre eux ont atteint l'âge de la retraite, et ils voient là une occasion de convertir leurs terres en vue d'une utilisation non agricole parce qu'ils obtiennent ainsi un meilleur prix. Voilà donc ce qui se passe dans le secteur agricole, parmi les agriculteurs, en plus des pressions de l'expansion urbaine. C'est une lutte constante.

Le sénateur Plett : Vous avez tout un document ici, mais je ne vois pas de recommandations à la fin. Vous nous dites ce qui ne va pas dans le monde, mais vous n'expliquez pas comment régler le problème.

M. Connell : Heureusement, j'ai consulté ma montre et j'ai vu que je devrais m'arrêter là.

Le sénateur Plett : J'aimerais savoir ce que vous recommandez, le plus brièvement possible.

M. Connell : L'objectif principal du document d'orientation que nous vous avons remis était de formuler trois recommandations.

La première recommandation, c'est que le gouvernement fédéral devrait adopter un énoncé de politique pour protéger les terres agricoles. J'ai parlé du prochain cadre stratégique pour l'agriculture, mais ce qui est peut-être plus important, c'est le mandat d'élaborer une politique alimentaire nationale. Selon moi, une politique alimentaire nationale qui n'établit pas un tel lien ou qui ne reconnaît pas la nécessité de protéger l'assise territoriale pour la production alimentaire manquerait de mordant. La première recommandation consiste donc à adopter une déclaration nationale pour la protection des terres agricoles.

La deuxième recommandation, c'est que le Conseil privé organise des séances de collaboration avec les provinces au sujet de la déclaration fédérale d'intérêt pour la protection des terres agricoles, en reconnaissant qu'il s'agit d'un effort concerté. À l'instar du prochain cadre stratégique qui découlera d'un long processus de négociation, la protection des terres agricoles devra être négociée selon la même démarche.

Le sénateur Plett : Je viens de voir les recommandations dans votre document. Je crois que c'est bien ainsi. J'aurais dû lire le document avant de poser la question.

Ma prochaine question est celle de la poule et de l'œuf : qui est à l'origine du problème? S'agit-il des gens qui achètent les terres pour y construire des châteaux ou des gens qui veulent faire de l'argent en vendant leurs terres parce qu'ils en ont assez de l'agriculture ou parce qu'ils veulent prendre leur retraite en vendant leurs terres au meilleur prix possible, ou pour toute autre raison? Pour qu'on puisse acheter des terres, il faut bien qu'il y ait une personne disposée à les vendre.

M. Connell : Cela ira dans les deux sens. Tout dépend des circonstances, du contexte, de l'âge de l'agriculteur et du type d'agriculture.

On peut, dans certains cas, résoudre le problème de la poule et l'œuf, mais de façon générale, il s'agit d'une question en évolution constante. Le facteur achat-vente y est pour quelque chose, mais cela nous ramène à la grande question de l'intérêt public. Quelle place occupe la protection des terres agricoles? Voici une autre question qui relève du problème de la poule et de l'œuf : la déclaration la plus percutante devrait-elle être énoncée à l'échelle locale, provinciale ou fédérale? Qui doit faire cette déclaration? C'est donc une situation en pleine évolution, et il n'y a pas nécessairement une relation de cause à effet.

Le sénateur Plett : Je sais que le Québec n'est pas encore séparé du reste du Canada, mais votre digramme circulaire n'en fait pas mention, à moins que quelque chose m'échappe?

M. Connell : Le nom de la province n'est peut-être pas indiqué.

Le sénateur Plett : Où est le Québec dans ce diagramme circulaire?

M. Connell : C'est le plus grand segment en vert, le premier à midi pile.

Le sénateur Pratte : J'aimerais m'attarder davantage sur les responsabilités respectives du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux, d'après votre recommandation, au-delà d'une déclaration conforme aux aspirations du gouvernement fédéral en ce qui a trait à la protection de nos terres agricoles. Comment entrevoyez-vous le rôle du gouvernement fédéral dans vos recommandations? Il est clair que ce sont les provinces qui peuvent agir et, comme nous pouvons le constater, certaines d'entre elles ont pris des mesures plus musclées que d'autres.

M. Connell : Je tiens à préciser d'emblée qu'il s'agit là d'une question que j'examinerai plus en détail avec un de mes collègues. Je crois qu'il s'agit d'une question très élémentaire, quoique cruciale, et nous devons nous en remettre à l'essence même de la Constitution pour savoir ce qui est possible. Je ne connais pas vraiment la réponse.

En fait, cela ressemble à d'autres domaines où les responsabilités sont partagées et, au bout du compte, c'est une question de négociation. Le prochain cadre stratégique, qui fait déjà l'objet de discussions et de négociations, englobe l'agriculture, les exploitations agricoles et les pratiques agricoles, ainsi que la politique alimentaire. Il se prête bien aux vastes discussions et négociations qui auront lieu.

Pour ce qui est de l'énoncé de politique, nous l'avons laissé tel quel, en termes généraux. Dans quelle mesure a-t-il force exécutoire? Je suppose qu'on procédera au moyen d'une entente, mais le résultat ne sera pas nécessairement une mise en application. La responsabilité liée à l'aménagement du territoire relève des provinces, qui la cèdent à l'administration locale. Sur le plan constitutionnel, le gouvernement fédéral n'a pas le pouvoir de s'occuper de l'aménagement du territoire.

Le sénateur Pratte : Vous proposez, dans votre dernière recommandation, que le gouvernement fédéral établisse un programme national de contrôle de l'utilisation du territoire. À ce sujet, nous avons entendu dire à maintes reprises qu'il y a un manque de données. Vous avez évidemment examiné les données. Pouvez-vous préciser davantage le type de données dont nous avons besoin pour surveiller l'utilisation des terres agricoles?

M. Connell : Oui. Je répète que nous avons tenu un colloque national dans le cadre duquel nous avons regroupé les responsables provinciaux de l'aménagement des terres partout au pays afin d'étudier la question de la surveillance des terres.

Je trouve qu'il est difficile d'assurer le suivi des terres agricoles dont nous disposons. Les données proviennent de différentes façons. Le recensement agricole porte sur les terres que les exploitations agricoles déclarent utiliser, mais la difficulté réside dans le fait que les données sont présentées par agriculteur, et non pas nécessairement par assise territoriale. Il est utile de savoir combien il y a de terres agricoles actives, mais cela ne dit rien au sujet de l'assise territoriale elle-même.

Il est encore plus difficile de recenser les terres actives potentielles, et c'est ce qu'on observe à des degrés variables d'une province à l'autre, mais la première étape serait de consigner non seulement les terres actives, mais aussi les terres actives potentielles en fonction de leur classification dans l'Inventaire des terres du Canada pour déterminer dans quelle mesure les terres agricoles sont productives au Canada. Idéalement, il faudrait commencer par repérer les terres actives selon le recensement agricole, tout en établissant une base de données des terres agricoles potentielles — une base de données qui est uniforme dans l'ensemble du Canada et facilement accessible.

La prochaine étape consiste à surveiller l'utilisation de ces terres. C'est difficile à faire, parce que la situation évolue rapidement.

Donc, idéalement, il faut un inventaire approprié des terres, puis une surveillance constante de leur utilisation.

Le sénateur Pratte : Dernière question : s'agit-il d'un projet qui est techniquement faisable, et ce, à un coût raisonnable?

M. Connell : Je n'en connais pas les coûts. D'après mes entretiens avec les responsables provinciaux de l'aménagement des terres, c'est techniquement faisable. Pour l'instant, cela varie d'une province à l'autre, d'où la nécessité d'une coordination dans tout le pays.

De nos jours, les systèmes d'information géographiques, ou SIG, sont de plus en plus puissants, ce qui est un avantage. Les bases de données se présentent sous différentes formes et elles ne servent pas nécessairement à dresser l'inventaire des terres agricoles. Voici un bon exemple : les meilleures et les plus récentes données au Canada faisaient partie d'un examen national des produits et services écologiques. Un des volets portait sur les usages dans les exploitations agricoles. Les auteurs de l'étude ont réussi à compiler des données sur les terres destinées à cette fin et, que ce soit voulu ou non, leurs efforts ont abouti à ce genre de résultat. C'était il y a quelques années, et nous n'avons jamais été aussi près d'avoir un bon inventaire.

Le sénateur Ogilvie : Merci de votre exposé et de votre documentation. Je vais vous demander quelques éclaircissements pour m'assurer de bien comprendre le contexte dans chaque cas.

En ce qui concerne votre définition de « protection des terres agricoles », il existe trois ou quatre catégories de protection, notamment une protection « contre les autres utilisations », « contre la propriété étrangère » et « contre les investisseurs commerciaux et autres ». Dans vos tableaux, lesquelles de ces catégories étaient incluses dans votre définition de protection?

M. Connell : Permettez-moi de revenir un peu en arrière pour expliquer d'abord la différence entre la protection des terres agricoles et leur préservation. Nous utilisons la notion de protection dans le contexte juridique qui est décrit dans le document. C'est précisément l'objet du cadre législatif que vous trouverez à la première page de votre document. L'utilisation des terres serait donc la première option. Pour ce qui est de la préservation, on entend par là, entre autres, les servitudes et les fiducies foncières. D'ailleurs, votre ville joue un rôle très actif à ce chapitre.

En ce qui a trait à la propriété des terres agricoles, les responsables provinciaux de l'aménagement des terres ont tenu une bonne discussion à ce sujet. C'est une question d'une très grande importance. Toutefois, sur le plan légal et législatif, la propriété n'a rien à voir avec l'utilisation des terres. Il s'agit de deux domaines différents.

Le sénateur Ogilvie : Je voulais seulement m'assurer que ces aspects étaient exclus de votre définition, comme vous l'avez dit dans la première partie.

Passons à ma deuxième question, qui porte sur un sujet que vous avez abordé dans les tableaux ainsi que dans vos observations : la différence entre la réglementation provinciale et la réglementation municipale. La plupart des Canadiens ne comprennent pas que le droit national englobe le fédéral et le provincial; d'ailleurs, les gouvernements provinciaux n'ont pas de compétence sur bien des domaines, notamment sur certains aspects de la santé à l'échelle locale. En vertu de la Constitution, cette compétence relève des municipalités.

Votre document fait état de ces questions. Après avoir examiné la situation, on doit se pencher sur la question provinciale. Peut-on espérer que les provinces adoptent d'importantes mesures législatives qui limiteraient la capacité des municipalités, par exemple, d'enlever des terres à vocation agricole au profit de l'expansion urbaine?

M. Connell : Si j'ai bien compris, vous voulez savoir s'il est possible de renforcer la protection des terres agricoles grâce à des mesures législatives provinciales. La réponse est oui. C'est ce qui ressort de presque tous les graphiques que je vous ai présentés. L'Ontario — du moins, certaines régions ontariennes —, le Québec et la Colombie-Britannique se distinguent par leurs mesures très rigoureuses. N'empêche que, parmi les provinces, il reste encore beaucoup à faire pour améliorer leurs exigences.

J'en viens à l'un des aspects importants. À la deuxième page du document, vous verrez qu'il y a des coches dans le coin supérieur. Une des colonnes porte sur le degré d'intégration. Voici un des éléments les plus essentiels du cadre législatif : chaque province choisit l'énoncé qu'elle souhaite utiliser, comme on peut le voir dans l'avant-dernière rangée. C'est un choix délibéré : par exemple, l'objectif est-il de protéger les terres agricoles ou de les utiliser à l'appui du secteur agricole? Chaque gouvernement choisit une formulation différente.

Juste en dessous se trouve l'énoncé de conformité. Chaque province choisit de le formuler comme bon lui semble. Ainsi, vous verrez un libellé du genre « doit être conforme » ou « doit se conformer », mais vous trouverez aussi une formulation plus vague comme « doit être raisonnablement conforme » ou « doit généralement aller de pair ». C'est, selon moi, l'élément crucial qui en dit long.

Le sénateur Ogilvie : J'ai seulement deux ou trois autres questions à vous poser, à titre de précisions, sur un sujet qui correspond, bien entendu, à tout ce que nous avons entendu : un programme national de contrôle de l'utilisation du territoire. D'ailleurs, à l'annexe du document que vous nous aviez distribué initialement, on trouve la superficie des terres cultivables — des terres agricoles, par exemple. Vous précisez que l'information repose sur des données du recensement. Nous savons qu'il s'agit là d'une estimation fondée sur une approche raisonnable. Est-ce donc dire que ces tableaux ne comprennent pas les terres de la Couronne?

M. Connell : C'est là un détail que j'ai probablement oublié de vérifier. Nous avons utilisé deux sources de données pour élaborer ces tableaux. Si je ne me trompe pas, l'ancienne version reposait sur le potentiel des terres agricoles, ce qui aurait pu inclure les terres de la Couronne.

Le sénateur Ogilvie : Dernière chose : vous classez les terres en différentes catégories. Rappelez-moi donc la définition des terres de la classe 1.

M. Connell : L'Inventaire des terres du Canada, l'ITC, porte sur le potentiel agricole. Il y a sept classes de terres. La classe 1 désigne les terres les plus fertiles, alors que la classe 7 englobe essentiellement les terres improductives. Les terres de la classe 1 offrent une vaste gamme de possibilités : on peut y cultiver des produits sans presque aucune intervention. Ce sont les meilleures terres agricoles.

Le sénateur Oh : J'en reviens à la question de la protection des bonnes terres agricoles. J'ai assisté à de nombreuses réunions d'élaboration de plans directeurs à l'échelle municipale ou locale; chaque année, on prépare un nouveau plan directeur. Pourtant, aucun urbaniste ne parle de la perte des bonnes terres agricoles. Nous en avons besoin pour la production alimentaire.

Y a-t-il un moyen de transposer ce concept dans les villes? Comment y assure-t-on la protection? Personne n'en parle. Les villes prennent de l'expansion, d'où la concurrence pour les terres.

M. Connell : Permettez-moi tout d'abord de dire que j'ai grandi à Mississauga.

Le sénateur Oh : Nous venons de la même ville. J'ai assisté à son expansion, au détriment des terres agricoles, qui ont disparu.

M. Connell : C'est peut-être ma plus grande source d'inspiration dans le cadre de mon travail. Je le dis poliment.

La situation varie. Dans un endroit comme le Grand Toronto, les discussions pourraient peut-être porter davantage sur les mesures destinées à favoriser la croissance urbaine. Cependant, même en Ontario, beaucoup de gens parlent de la protection des terres agricoles dans différentes localités, et c'est peut-être le cas à Mississauga. J'y suis allé l'autre jour en avion, et il y a encore des terres agricoles actives autour de l'aéroport. Cela m'étonne toujours. En Ontario, cette question est au cœur des discussions sur la Loi sur la ceinture de verdure de 2005 et le plan de croissance, intitulé Place à la croissance. On en discute activement.

Toutefois, il revient à chacun de vous et à chacun de nous — bref, à chaque personne — de faire un choix quant à la place qu'occupent les terres agricoles. Selon les auteurs du projet et selon moi, nous devons et pouvons en faire plus. Il y a deux approches. La première est celle dont vous venez de parler, à savoir les discussions sur les plans directeurs à l'échelon local. Cependant, l'autre recommandation est que le gouvernement fédéral joue un rôle plus important, en plus de renforcer l'ensemble du système.

Le sénateur Oh : D'après vous, le gouvernement fédéral devrait-il intervenir davantage? Les directives devraient-elles provenir du fédéral?

M. Connell : Je crois que le gouvernement fédéral a l'occasion de faire une déclaration. Cela peut sembler inapproprié, et ce n'est peut-être pas le mot juste. J'essaie d'être sensible et poli. Il y aura une déclaration fédérale d'intérêt à l'égard du secteur agricole et du secteur de l'alimentation. Il est donc très raisonnable, me semble-t-il, de s'attendre à une déclaration similaire relativement aux terres qui soutiennent ces deux secteurs.

Le sénateur Oh : Au sein de l'administration fédérale, nous discutons de l'importance des terres agricoles pour la production de nourriture. Dans les villes, personne n'en discute.

M. Connell : Cela varie. Je passe également du temps à Caledon où il y a davantage de terres agricoles. Je peux vous dire que les gens en discutent activement.

La sénatrice Tardif : Je vous remercie de votre exposé instructif, professeur Connell. D'autres témoins ont cité votre étude lors de leur passage au comité. Je vous félicite donc de votre excellent travail.

Je remarque dans la note de politique que vous nous avez soumise qu'un forum national a eu lieu en juin dernier et que des responsables de l'aménagement du territoire de toutes les provinces se sont réunis pour discuter de l'aménagement du territoire. Je me demande ce qu'il en est. Croyez-vous que cette initiative se répétera dans l'avenir? Des pratiques exemplaires ont-elles été cernées?

M. Connell : L'enveloppe budgétaire pour ce projet arrive à échéance. Mes collègues et moi cherchons notamment à diffuser l'information, et c'est la raison pour laquelle je me suis rendu l'autre jour en Nouvelle-Écosse dans le comté de Kings pour parler au maire, aux conseillers et aux parties intéressées. Voilà où nous en sommes actuellement. À titre individuel, chaque membre continuera de mettre l'accent sur ses propres intérêts en ce qui concerne la protection des terres agricoles.

Le forum national a été une expérience formidable. Il a eu lieu à Ottawa, et c'était la première fois que tous les responsables de l'aménagement du territoire de toutes les provinces étaient réunis. La majorité des participants ne se connaissaient pas avant le forum. Le dimanche soir, les gens arrivaient à la réception, et je leur demandais littéralement s'ils connaissaient quelqu'un d'autre. Les gens me répondaient que non. C'était une occasion incroyable de regrouper tous les intervenants.

Depuis le forum, nous avons une liste de diffusion, et nous demandons des renseignements sur les régimes d'impôt foncier et d'autres aspects. Cela se poursuit donc de cette manière. Nous utilisons souvent l'expression « renforcement de la capacité » au sens large. Nous avons vraiment réussi à renforcer la capacité d'avoir des conversations nationales concernant l'aménagement des terres agricoles. Cela se poursuivra de cette manière.

Je retiens que tout le monde présent a essentiellement demandé de répéter l'expérience; nous avons donc l'intention de présenter de nouveau une demande de financement pour réunir le même groupe d'intervenants et avoir en fait un plus large public. Nous poursuivrons le tout de diverses manières, et le forum national était certainement un point de départ qui ouvre la porte à de multiples possibilités.

La sénatrice Tardif : Des pratiques exemplaires ont-elles été cernées?

M. Connell : Dans le cadre du projet et durant les trois années de travail qui ont mené aux tableaux que vous avez devant vous, nous avons été surpris de la difficulté de cerner des pratiques exemplaires et d'en dresser une belle liste succincte. Lors du forum national, nous avons posé une question et recueilli des renseignements. Je dirais que la liste compte de 15 à 20 éléments que je ne passerai pas en revue ici.

À mon avis, cela ne témoigne pas vraiment des pratiques exemplaires, mais cela montre que la pratique exemplaire est en gros de reconnaître que dans chaque province ou chaque administration locale — je fais référence de manière générale au système — l'environnement reflétera le cadre législatif. En règle générale, tout propriétaire foncier trouvera le point d'entrée le plus faible et en profitera. Ce que les tableaux mettent en lumière, c'est le manque d'uniformité. Chaque province et chaque administration locale aura son propre point d'entrée.

Par conséquent, il était difficile de cerner des pratiques exemplaires. Il y a des pratiques exemplaires importantes, et nous en avons déjà mentionné plusieurs, mais la pratique fondamentale est certainement d'établir des liens entre les gouvernements provinciaux et les administrations locales.

La sénatrice Tardif : La pratique exemplaire est probablement, comme vous venez de le dire, de renforcer les cadres législatifs.

M. Connell : Oui.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Connell. Vous savez que le Canada est un grand pays et qu'une petite partie de son territoire est utilisée pour la production agricole. Croyez-vous que les producteurs canadiens pourraient prendre de l'expansion en utilisant des terres non cultivées? Ou bien, sommes-nous près d'atteindre notre maximum de production, compte tenu de l'économie et de la main-d'œuvre?

[Traduction]

M. Connell : C'est une question très intéressante. Un agronome, soit un spécialiste qui travaille directement avec les agriculteurs, pourrait vous donner une meilleure réponse.

En ce qui concerne l'histoire du Canada, il est intéressant d'examiner les vagues de développement. Certains collègues ont démontré qu'au moment de la fondation du pays il y a eu une expansion massive des terres agricoles. Il y a eu une ou deux vagues de contraction ou d'abandon des terres agricoles. Cela s'explique en partie, parce que les premiers établissements se trouvaient sur des terres où l'agriculture n'était tout simplement pas possible. C'était un excès de zèle. Des conditions économiques expliquent également la contraction; ce n'était tout simplement plus rentable sur le plan économique.

J'imagine que cela dépend à quel point nous voulons désespérément produire de la nourriture, mais il ne faut pas perdre de vue la grande question économique sous-jacente, à savoir si c'est possible de le faire. À un moment donné, vous arrivez à un point où il est impossible de faire pousser de la nourriture sur ces terres.

En ce qui concerne le potentiel agricole des terres, nous n'avons pas encore atteint le plein potentiel. Nous savons que des terres agricoles sont encore inutilisées. Le pourcentage est plus élevé que nous le pensons. Cela s'élève peut-être à 30 p. 100, mais je donne un chiffre au hasard. Il ne fait aucun doute que nous pouvons accroître notre production en utilisant les terres agricoles actuelles, et les conditions économiques changeront la donne.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Dans votre présentation, vous disiez que les meilleures terres agricoles au Québec sont celles qui se trouvent en bordure du Saint-Laurent. Ne pourrait-on pas proposer des recommandations propres à ces terres, tant à l'échelon fédéral que provincial, afin de mieux les protéger?

[Traduction]

M. Connell : Au Québec, en particulier, beaucoup de mesures sont prises. La situation en Colombie-Britannique est très similaire sur le plan législatif. Cela fait plus de 40 ans, et je le décrirai toujours comme un processus de négociation. Il y a donc toujours plus à faire.

Je répète que le gouvernement fédéral ne peut pas en vertu de la Constitution intervenir directement, et je crois que c'était la nature de votre question et de votre utilisation du « nous » pour parler du gouvernement fédéral. Je reviens au prochain cadre stratégique. J'ai l'impression que vous avez là la meilleure occasion de le faire. C'est la meilleure occasion de soulever la question de la protection des terres agricoles. Je tiens à mentionner que nous avons actuellement d'excellents cadres, mais nous ne reconnaissons même pas la protection du territoire.

La réponse la plus simple et la plus facile est que nous n'en parlons pas et que nous n'en avons pas parlé. Bref, si nous ne faisons qu'amorcer la discussion en la matière, c'est déjà un pas dans la bonne direction.

[Français]

Le président : Monsieur Connell, je suis très heureux que vous soyez ici ce matin. J'ai quelques petites questions à vous poser. Il y a 36 ans, au Québec, on adoptait la première loi canadienne visant à protéger les territoires agricoles. C'était un objectif fort louable. À cette époque, j'œuvrais au sein d'un autre Parlement où se déroulaient les discussions.

Avec le temps, il y a eu des demandes d'accommodement de dézonage. La durée de vie d'une loi aussi importante que la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles devrait faire l'objet d'une révision tous les 10 ou 15 ans. Nous pourrions ainsi nous assurer qu'elle a encore de bonnes dents.

C'est une prérogative des gouvernements provinciaux, car ce dossier ne relève pas de compétence fédérale. D'ailleurs, je veux revenir sur ce point. Lorsque le gouvernement fédéral met la main sur des terres agricoles, il est le seul à agir de cette façon. Je vous rappelle le cas de la ville de Mirabel, au Québec, où on a exproprié sans vergogne des centaines, voire des milliers d'acres, et où on a fermé des villages qu'on a recouverts de béton. Aujourd'hui, cela ne sert absolument à rien. Pourtant, il s'agissait des meilleures terres agricoles de cette région. Je vous rappelle aussi la mainmise du gouvernement fédéral sur le parc Forillon, en Gaspésie, où on a exproprié des centaines d'acres de terres agricoles pour planter de beaux petits arbres et aménager des sentiers pédestres.

Je ne pense pas que le gouvernement fédéral doit intervenir dans ce dossier. Ce sont des responsabilités qui reviennent aux provinces. J'ai un souhait : lors de vos rencontres avec les représentants, dites-leur que les provinces doivent se prendre en main rapidement. Les écologistes et les urbanistes se contredisent. Les écologistes installent maintenant des ruches d'abeilles sur le toit de leur logement. Pourtant, ils sont tous les deux d'accord lorsqu'il s'agit d'exproprier des terres pour bâtir des logements afin d'élever des abeilles sur les toits. Ils ignorent qu'en prenant ces terrains, on prive la planète et l'ensemble de la population canadienne de terres agricoles fort productives.

Il y a une contradiction entre la vision des écologistes et le monde réel en ce qui concerne la protection des bonnes terres agricoles. Je pense que c'est un message que vous devriez leur transmettre. Un homme de votre réputation a sans doute plus de poids que nous tous ici autour de la table pour faire comprendre aux personnes concernées cette contradiction qui, à mon avis, porte un coup très dur aux terres agricoles productives au Canada.

[Traduction]

M. Connell : Je ne crois pas qu'il y avait une question; il s'agissait davantage d'une ligne directrice. Je n'ai pas utilisé le mot « contradiction ». Cela résume certainement la situation, et cela témoigne de l'importance d'avoir une politique alimentaire nationale et une stratégie de développement économique qui reconnaît le territoire. Le mot « contradiction » résume de nombreux aspects de ce défi. Je vous remercie de vos commentaires et de votre soutien pour faire avancer les choses.

La sénatrice Gagné : Ce n'est peut-être pas une question, mais vous avez dit quelque chose qui, selon moi, explique tout. Vous avez dit que le système avalera les terres agricoles. Cela revient à ce que disait le sénateur Maltais. C'est toujours la poule ou l'œuf et la manière dont la société planifie l'avenir de l'aménagement du territoire et du secteur agroalimentaire au Canada. Je vous remercie grandement de votre exposé ce matin.

M. Connell : J'aimerais profiter de l'occasion pour revenir sur mon exposé. Toute discussion sur la protection des terres agricoles suscite des questions très importantes sur la société dans laquelle nous voulons vivre.

Du point de vue de la planification, il n'y a aucun autre domaine qui a la responsabilité de jeter un regard sur l'avenir, de se demander ce à quoi devrait ressembler l'avenir et l'expliquer. C'est une tâche impossible. Il est impossible de parfaitement savoir ce que l'avenir nous réserve. Cependant, compte tenu de ce contexte, nous devons nous poser la question suivante : « Quelle est la place des terres agricoles dans tout cela? »

Voilà ce qui m'intrigue vraiment par rapport à l'aménagement du territoire. C'est certainement un défi, parce que le système va à l'encontre de ce progrès.

[Français]

Le président : Merci beaucoup d'avoir comparu devant notre comité. Nous prévoyons présenter notre rapport le 30 juin. D'ici là, si vous avez d'autres recommandations ou d'autres découvertes qui pourraient nous être utiles, nous vous serions reconnaissants de les transmettre à notre greffier. Encore une fois, merci de votre présence et bon retour.

Nous poursuivons notre réunion portant sur l'acquisition de terres agricoles au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole. Nous allons maintenant entendre M. Emery Huszka, membre du Conseil national de l'UNF et président de l'Union nationale des fermiers - Ontario. Je vous souhaite la bienvenue, monsieur.

Vous avez certainement des notes de présentation. Plus elles seront courtes, plus les sénateurs auront la chance de vous poser des questions. Je vous remercie infiniment de votre présence. Votre témoignage sera très enrichissant pour notre comité.

Je vous cède la parole.

Emery Huszka, membre du Conseil national de l'UNF et président de l'Union nationale des fermiers — Ontario, Union nationale des fermiers : Merci, monsieur le président. C'est un honneur de représenter l'Union nationale des fermiers pour l'Ontario et tout le pays.

[Traduction]

J'aimerais tout d'abord vous dire que c'est un véritable honneur en tant qu'agriculteur canadien de rencontrer en ce haut lieu de la démocratie des représentants du Sénat dans un but constructif pour nous assurer que les consommateurs et les producteurs profitent d'un élément essentiel à la vie que produisent les agriculteurs canadiens : la nourriture.

J'aimerais brièvement me présenter pour vous donner une idée de ce qui amène un citoyen qui a grandi sur une ferme dans une petite ville en cette honorable Chambre. Je suis producteur de cultures industrielles dans le sud de l'Ontario. Je suis un citoyen de la première génération née ici. Mes grands-parents ont quitté la Hongrie à la fin des années 1950. Ils ont immigré au Canada en tant que réfugiés avec comme seul bagage les vêtements qu'ils portaient. Mes grands-parents, mes parents, mes sœurs et moi-même sommes partis de zéro et avons travaillé côte à côte au fil des ans pour bâtir ce que nous avons aujourd'hui.

C'est cette possibilité qu'a offerte et offre toujours le Canada aujourd'hui qui a mené à de nombreux grands développements au pays. Au nom de mes grands-parents, Pal et Piroska Huszka, je vous dis köszönöm szépen ou merci en hongrois.

L'UNF défend les intérêts de milliers de fermes canadiennes de toute taille et de tout type d'un bout à l'autre du pays. Notre organisme communautaire majoritairement bénévole préconise la durabilité économique, environnementale et sociale en adoptant des politiques favorables aux agriculteurs qui contribuent à bâtir des collectivités rurales solides qui forment l'épine dorsale d'une nation plus forte que nous appelons notre patrie canadienne. Nous sommes heureux que le comité ait reçu le rapport mis à jour en 2015 de l'UNF qui s'intitule Losing Our Grip et qui présente un point de vue utile pour mener des discussions bien éclairées, et c'est l'objet de notre présence ici aujourd'hui.

À l'instar du monde actuel, l'agriculture, l'obligation sociale de produire des aliments salubres et sains et la vocation qui anime les agriculteurs ont un simple dénominateur commun. Il faut avoir accès à des terres où l'agriculture est possible, soit des terres qui peuvent soutenir la vie.

Compte tenu de cette fonction cruciale, la marchandisation sans restriction des terres comme des liquidités dont nous pouvons disposer à notre gré comporte des lacunes fondamentales. Ce qui sert d'élément fondamental à la vie mérite une réflexion approfondie. Si nous croyons vraiment dans les droits fondamentaux de la personne, y compris le droit à l'accès à des aliments qui sont essentiels à la vie, nous devons donc tenir compte du besoin des agriculteurs d'avoir accès à des terres et d'en avoir le contrôle.

Il est dit que l'agriculture est la seule industrie où les acteurs achètent des intrants au prix de détail et vendent leurs produits au prix de gros et cherchent ensuite d'autres sources de revenus pour demeurer rentables. Un agriculteur expérimenté doit acquérir de multiples compétences nécessaires. Il doit être à la fois agronome, comptable, responsable-marketing, mécanicien, gestionnaire des ressources humaines, acheteur, vétérinaire, ingénieur, et cetera. Il doit s'adapter et devenir polyvalent.

Au sein d'une solide collectivité agricole, ces compétences évoluent, et les connaissances sont traditionnellement échangées avec les agriculteurs voisins. Par contre, à l'ère de l'autosuffisance et des technologies qui nous donnent instantanément accès aux connaissances, nous voyons les fermes familiales devenir de l'histoire ancienne et notre pays perdre l'une de ses principales forces, soit les collectivités agricoles.

Il y a tout simplement une quantité limitée de terres agricoles arables. Il n'a jamais été plus facile que maintenant d'en faire plus avec moins de personnes grâce aux moyens modernes d'accroître l'efficacité, mais les détails nous révèlent les dangers cachés sous le voile de ce que nous considérons comme un exemple de réussite de l'agriculture de pointe. La technologie entraîne des coûts élevés intenables; tous les partenaires de production ont droit à un profit; les terres deviennent de plus en plus des actifs stables dans un portefeuille ou un régime de retraite ou des liquidités pour attirer les investissements étrangers recherchés. Tous ces éléments créent une tempête parfaite qui nous propulse tout droit vers la fin de notre souveraineté alimentaire.

Nous sommes une nation commerçante qui a adopté le capitalisme comme approche économique de prédilection. L'UNF demande tout simplement aux consommateurs au pays de participer à un vaste débat de société qui démontrera finalement la nécessité de laisser ces terres aux agriculteurs.

Dans ma propre collectivité du sud de l'Ontario, mon voisinage a considérablement changé. En ce qui concerne la propriété foncière et le remembrement rural, nous constatons maintenant que des régimes de retraite, des professionnels de l'investissement et des investisseurs non agricoles engloutissent des terres comme s'il s'agissait de bonbons d'Halloween. Les résultats sont variés. En surface, les terres continuent d'être cultivées, mais un examen approfondi révèle la disparition des familles et des résidences et des écoles, des églises et des petites entreprises en péril. Il s'agit des répercussions de l'exode rural que l'accaparement des terres a accéléré. L'infrastructure existe encore. La province établit encore des normes plus élevées qui s'accompagnent de coûts exorbitants. Or, les pressions s'accentuent sur les contribuables qui demeurent dans la municipalité pour maintenir la cadence.

Donc, lorsque le gouvernement ne répond pas aux besoins fondamentaux, notamment d'offrir un filet de sécurité concernant la gestion globale des risques, lorsque des accords commerciaux injustes donnent accès à nos marchés à des aliments qui utilisent des processus et des produits non permis au Canada et dont les producteurs n'ont pas à assumer les coûts liés à la conformité qui sont imposés aux producteurs canadiens, lorsque nous ne réussissons pas à protéger la juste valeur marchande des terres, nous voyons agriculteur après agriculteur tout simplement abandonner, accepter l'argent et ainsi éliminer d'autres débouchés pour la relève dans le domaine agricole.

J'aimerais attirer votre attention sur le rapport Losing Our Grip que nous vous avons soumis. Pour résumer mon exposé, nous aimerions passer en revue les recommandations de l'Union nationale des fermiers qui sont présentées à la fin du rapport.

1. Le Canada et ses provinces doivent adopter un ensemble unifié de restrictions sur la propriété des terres de sorte que les terres agricoles ne puissent appartenir qu'à des particuliers qui résident dans la province où la terre est située ou à des entreprises agricoles constituées en personne morale, y compris des coopératives, appartenant à des personnes qui habitent dans la province où la terre est située.

2. Les gouvernements provinciaux devraient surveiller la propriété nationale et étrangère et assurer le contrôle des terres agricoles sur leur territoire et rendre compte publiquement des changements tous les ans. Les provinces devraient aussi songer à légiférer sur la taille maximale appropriée des biens immobiliers par personne, par famille ou coopérative agricole constituée en personne morale et par entreprise comme cela a été promulgué à l'Île-du-Prince-Édouard.

3. Un taux d'imposition différentiel devrait encourager les familles d'agriculteurs et d'autres citoyens locaux à acheter des terres agricoles et décourager les investisseurs et les grandes sociétés qui veulent acheter et posséder des terres agricoles. Les taux d'imposition des agriculteurs et des autres résidents locaux devraient être inférieurs à ceux des investisseurs, des groupes d'intérêt étrangers et des entreprises non agricoles, et les taux des grandes sociétés d'exploitation agricole ayant de nombreux actionnaires devraient être plus élevés. Les investissements dans les sociétés de placement spécialisées dans les terres agricoles ne devraient pas être admissibles au REER.

4. Les gouvernements devraient adopter des mesures incitatives et apporter un soutien afin de favoriser les pratiques d'aménagement du territoire agricole qui visent à maintenir la productivité des terres à long terme et sanctionner l'utilisation de pratiques agricoles conçues pour retirer un profil maximal à court terme aux dépens de la santé du sol, de la biodiversité, de la qualité de l'eau et d'autres avantages environnementaux.

5. Le gouvernement fédéral et les provinces doivent mettre en place des mécanismes pour assurer le transfert intergénérationnel des terres dans les familles agricoles, qui ne repose pas sur les prêts et le paiement d'intérêts. Les gouvernements doivent trouver des moyens pour que les jeunes et nouveaux agriculteurs puissent avoir un accès sûr à des terres agricoles qui n'exige pas un endettement considérable. Ces mécanismes pourraient comprendre :

a. Des banques de crédit agricole et des fiducies foncières appartenant à la communauté afin d'assurer la production des aliments par des agriculteurs locaux.

b. Des possibilités de financement communautaires (qui conservent les intérêts payés dans les communautés locales).

c. Des organismes gouvernementaux qui appuient le financement par le vendeur. (Les vendeurs et les acheteurs pourraient s'autofinancer, et l'organisme gouvernemental pourrait intervenir pour s'occuper des rares cas où les opérations tournent mal au point et où il faut rendre la terre au vendeur.)

d. Une assurance-salaire pour les agriculteurs en début de carrière pour les aider à s'établir et à soutenir leur succès à long terme.

e. Un programme d'épargne-retraite ou un régime de pension spécialement conçu pour les agriculteurs...

C'est très important.

... qui réduirait le besoin de vendre leur terre pour financer leur retraite.

6. Le transfert de terres agricoles pour en faire un usage non agricole doit être restreint et freiné. Il faudrait interdire l'aménagement d'ensembles résidentiels ou le développement industriel sur les terres agricoles de catégories 1, 2 ou 3. Toutes les provinces devraient promulguer des lois pour protéger leurs terres agricoles en ayant recours aux lois en vigueur en Colombie-Britannique, à l'Île-du-Prince-Édouard et au Québec comme point de départ et élargir la protection des terres agricoles à l'ensemble du Canada.

En Ontario, nous avons la Loi sur la ceinture de verdure, qui est raisonnablement notée. Grosso modo, en ne respectant plus la ceinture de verdure, on fait en sorte que l'étalement urbain qu'elle devait limiter se déplace à un autre endroit géographique. L'UNF a demandé à la province de faire respecter la ceinture de verdure à la grandeur de la province pour donner le temps de mettre en place une politique digne de ce nom et d'en discuter.

7. Les fournisseurs d'intrants agricoles ne devraient pas être autorisés à lier le financement des intrants aux contrats de livraison.

8. Le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces et des territoires doivent reconnaître le rôle qu'ils ont joué dans la crise financière en créant des politiques et des lois permettant aux sociétés de faire acquitter les coûts par les agriculteurs. Ils doivent se préoccuper de la dette en forme de bombe plantée sous notre système de production, c'est-à-dire :

a. Effectuer une analyse factuelle et honnête de l'endettement agricole et du revenu agricole net.

b. Concevoir des programmes de soutien agricole efficaces et ciblés permettant aux agriculteurs de parvenir à la stabilité à court terme et de gérer un niveau d'endettement de plus en plus ingérable; et veiller à ce que seuls les agriculteurs en activité — et non les sociétés de placement spécialisées dans les terres agricoles — aient accès à ces programmes de soutien agricole.

c. Réduire la limite des programmes de soutien agricole de sorte que le financement public encourage les fermes de petite ou de moyenne taille qui procurent de multiples avantages sur les plans social, environnemental et économique dans leurs communautés rurales.

d. Réagir avec honnêteté et efficacité à la crise du revenu agricole et au déséquilibre du pouvoir commercial qui est à l'origine de cette crise de sorte que les familles agricoles puissent se sortir de leurs difficultés financières chroniques et retirer grâce à leur activité sur le marché des revenus permettant de vivre sur une ferme.

e. Enjoindre à Financement agricole Canada de prêter davantage de fonds aux petites fermes et aux fermes de taille moyenne qui produisent des aliments destinés à la consommation nationale. FAC ne devrait jamais prêter à des sociétés d'investissement spécialisées dans les terres agricoles ni à de grandes sociétés de transformation de produits alimentaires axées sur l'exportation.

Le problème auquel nous faisons face avec la perte de terres agricoles au Canada est très complexe et n'offre pas de solution unique. J'abonde dans le même sens que l'intervenant précédent pour dire que nous avons besoin d'une politique alimentaire nationale, une stratégie élaborée par la société, pour la société, qui reconnaisse exactement ce que la société attend de l'agriculture.

Le système actuel est très diversifié. Nous avons de multiples modèles de production, qui vont des secteurs à offre réglementée très profitables aux secteurs spécialisés de l'agriculture au potentiel de marché limité, mais au rendement élevé. Ensuite, il y a la majorité des agriculteurs, du moins dans notre province, qui produisent du maïs. Si vous étiez là au début des années 1990, vous vous rappellerez qu'il était question d'instaurer une politique en matière d'éthanol au Canada. Ce débat a eu pour effet d'ouvrir un marché pour l'utilisation finale de ce produit. J'ignore où nous en serions aujourd'hui si nous n'avions pas mis cette politique en œuvre à l'époque.

Pour le groupe, j'aimerais donner une perspective locale au débat. J'ai joint à mon document une feuille qui m'a été fournie par W. G. Thompson and Sons Limited, un des fournisseurs d'intrants locaux dans ma collectivité.

J'attire votre attention sur la première colonne. Ce tableau tente d'énoncer les coûts de production pour un agriculteur et les divise en catégories d'intrants généralisés, allant du plus essentiel — la graine qu'un agriculteur planterait — en passant par les engrais et les protections en fait d'herbicides, de fongicides et d'insecticides. Il tient compte du fait qu'il existe des agriculteurs biologiques qui n'ont pas ces coûts, mais qui doivent faire des labours supplémentaires et prendre d'autres mesures. L'assurance-récolte est un montant infime dans ce calcul par acre. Au bout du compte, on part du principe que le coût des terres est modeste et raisonnable, tout comme les taux d'intérêt. Un coût de 250 $ par acre est moins élevé que ce que certains de mes voisins paient aujourd'hui de location. À l'heure actuelle, la production d'une acre de maïs coûte 806,55 $, et c'est une estimation juste.

Ensuite, nous prenons les revenus. Pendant une saison raisonnable — et un rendement de 180 boisseaux est, pour moi, un rendement élevé sur nos terres agricoles plus marginales — nous nous situons plutôt dans la catégorie 2 ou 3. Nous générons entre 150 et 160 boisseaux. Le prochain chiffre devient tout de suite crucial : le prix par boisseau. Nous sommes près des États-Unis et fortement influencés par le Chicago Board of Trade. Bien que nous utilisions le système métrique au Canada, un grand nombre de vos agriculteurs ne le font pas. Nous suivons toujours les États-Unis. Le prix par boisseau est de 4,61 $.

Cela nous laisse une marge nette par acre de 23,25 $, en partant du principe que tout va bien se passer, que nous aurons une récolte modérément bonne et que le prix par boisseau sera moyen ou au-dessus de la moyenne.

Dans pareil scénario, tout entrepreneur canadien en quête d'un rendement du capital investi prendrait carrément les jambes à son cou. Pourquoi un agriculteur reste-t-il? Parce qu'il s'agit d'un processus à long terme. Nous ne pratiquons pas l'agriculture en termes d'années financières, même si nous procédons ainsi pour produire nos déclarations de revenus et répondre à nos prêteurs; l'acquisition des capitaux et la production sont une activité à long terme. Nous utilisons le même équipement que mes grands-parents ont acheté il y a des années. Une partie du matériel a été mis à niveau, de toute évidence. Une fois qu'il est payé, il reste utile du moment qu'il fonctionne. Les coûts des terres sont la principale dépense d'un agriculteur.

Si on prend pour exemple une exploitation de 100 acres, cela ne représente pas une grande quantité de terres pour un agriculteur qui choisirait de cultiver des produits spécialisés, de faire pousser des tomates ou des poivrons vendus à l'état frais, quel que soit le modèle que vous adoptez. Pour 100 acres de maïs et de fèves de soya, on peut s'attendre à un revenu net d'environ 2 300,25 $ en fonction de ces données, et ce, après avoir payé les coûts liés aux terres.

Cela nous amène au point suivant, c'est-à-dire au niveau de démarrage. Pour une jeune famille qui voudrait se lancer en agriculture, la mise de fonds de 300 000 $ ou de 400 000 $ qu'elle doit payer de sa poche et, ensuite, le financement de l'acquisition d'à peine 100 acres représente un investissement à vie important.

Lorsque nous parlons d'accès au financement stable dans nos recommandations, nous pensons à l'ancien programme de prêts aux jeunes cultivateurs, qui reconnaissait qu'un investissement à long terme requerrait une solution à long terme, donc une hypothèque sur 25 ans pour une exploitation agricole.

Il existe bien des façons novatrices d'aborder la question. Les investisseurs veulent des terres pour stabiliser leurs acquisitions et portefeuilles, alors nous suggérons qu'il y aurait peut-être lieu de privilégier une approche plus vaste et non orthodoxe. Une obligation garantie permet aux particuliers d'investir dans les terres agricoles et de bénéficier d'un taux d'intérêt garanti sur 25 ans. Les terres représentent la caution. Le gouvernement facilite simplement la collecte de l'investissement, qu'il retourne à la jeune famille qui essaie de démarrer une exploitation agricole, et celle-ci aura 25 ans de paiements d'intérêts seulement pour bâtir son exploitation et finir par payer le capital, ce qui stabilise l'opération.

Merci.

Le sénateur Mercer : Merci beaucoup de votre présentation très détaillée dans laquelle vous nous avez donné des chiffres et formulé des recommandations que nous n'avions pas entendus, alors nous vous en savons gré.

J'ai aussi aimé votre suggestion que nous nous adressions aux autres consommateurs, car je pense que c'est une très bonne observation. Un des problèmes que nous avons en général est que les Canadiens ne comprennent pas d'où provient la nourriture qu'ils consomment, qui sont les producteurs et quel est le rendement pour chacun d'entre eux. Les citadins ne comprennent pas aussi bien que les campagnards ce qui se passe dans une ferme. C'est très utile.

Vous avez parlé d'une politique alimentaire nationale, point dont nous avons discuté au sein du comité, mais sans prendre de mesures concrètes à cet égard. Qui, selon vous, devrait élaborer pareille politique? Quelle devrait être l'issue d'une étude sur une politique alimentaire nationale et comment devons-nous faire pour amalgamer ces problèmes? Comment devons-nous nous y prendre pour mettre en équilibre le problème de la double responsabilité des gouvernements fédéral et provinciaux en agriculture? Ce n'est pas un sujet facile; c'est un sujet extrêmement important auquel nous devrons finir par nous attaquer. J'aimerais connaître votre opinion sur ces aspects de la question.

M. Huszka : Encore une fois, le plus important est probablement encore d'amorcer cette conversation. Lorsque les familles d'agriculteurs avaient des enfants, ceux-ci ne pouvaient pas tous rester à la ferme. Traditionnellement, ils allaient vivre en ville. Ils arrivaient dans nos centres urbains munis des compétences qu'ils avaient acquises à la ferme ainsi que de leur connaissance de la collectivité et de la communauté agricole.

Nous représenterons bientôt 1 p. 100 de la population du Canada qui produit des aliments. Tous les intervenants doivent participer à la politique alimentaire nationale, et comme nous sommes tous des consommateurs, nous sommes aussi tous des intervenants.

Notre système agricole actuel se consacre largement à la production de masse plutôt que de qualité. Je ne suggère pas du tout que nous abandonnions nos méthodes de production actuelles; cependant, nous devrions discuter de la sylviculture et des modèles qui permettent une production plus intensive, plus fructueuse et plus respectueuse de l'environnement. Comment faisons-nous en sorte que cela soit une façon raisonnable de procéder?

Pour l'exploitant qui cultive 5 000 acres, c'est une discussion vaine. Elle ne fait pas partie du plan d'affaires. Comme il existe des possibilités pour les jeunes familles qui veulent se lancer en agriculture, une exploitation de 50 ou de 100 acres suffit à assurer sa subsistance et à couvrir les coûts des intrants dans le cadre de ce modèle.

Le sénateur Mercer : Dites-vous que cela vaut pour tout type de petite ferme de 50 ou de 100 acres, ou parlez-vous seulement de gestion de l'offre?

M. Huszka : Non. La gestion de l'offre est une tout autre affaire. Le maïs sucré est un exemple tout simple. La plupart d'entre nous sommes allés dans un supermarché ou avons mangé du maïs sucré. En saison, les épis de maïs sont 5 $ la douzaine. Un boisseau de maïs contient bien des épis que l'on ne peut pas vendre à ce prix. Les mêmes terres produisent ces tiges et ces épis de maïs, mais parce qu'il s'agit d'aliments destinés à un marché frais, les retombées sont bien meilleures. Nous ne pouvons pas tous faire pousser du maïs sucré; c'est une impossibilité physique.

Dans le cadre d'une politique alimentaire nationale, si nous examinons les options que nous cherchons et la façon dont nous voulons dégager ces possibilités, surtout pour les agriculteurs en démarrage, nous n'avons pas d'avenir dans l'exportation de notre maïs et de nos fèves de soya. Nous devons remplacer nos intrants. Pour chaque épi de maïs que j'enlève de cette terre, il me faut remplacer un intrant, qu'il s'agisse d'engrais de la Saskatchewan ou de matière organique d'une autre source.

L'UNF est un des plus importants partisans des systèmes de gestion de l'offre; cependant, la monétisation des quotas a permis à la cupidité de corrompre un système qui partait généralement d'une bonne intention. Pour en obtenir un, vous devez gagner à la loterie, épouser quelqu'un qui en a déjà un ou en hériter. Vous ne pouvez pas débourser les millions de dollars nécessaires pour payer le quota pour le seul privilège de pouvoir démarrer votre exploitation.

Le sénateur Mercer : J'aurais dû me marier par intérêt, mais je l'ai plutôt fait par amour. Vous n'avez pas parlé de la question fédéro-provinciale.

M. Huszka : Il existe une relation de respect entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Nous avons dit que les provinces ont pris des initiatives — le Québec et l'Île-du-Prince-Édouard. Chaque province a sa propre approche, car les besoins varient. Je pense que c'est l'objectif du gouvernement fédéral d'amorcer la discussion. Il revient toujours aux provinces d'instaurer la réglementation et les protections nécessaires comme elles jugent bon de le faire chacune de leur côté. En ayant le plan stratégique global, si vous voulez, le gouvernement fédéral a l'occasion de mener ces discussions concernant la planification stratégique.

Le sénateur Plett : Permettez-moi de dire « wow ». Même si je ne suis probablement pas d'accord avec la moindre de vos recommandations, je vous félicite de vous être présenté et d'avoir poliment demandé au lieu de simplement nous dire tout ce qui ne va pas sans nous donner la moindre idée de ce qu'on doit faire. Je veux vous poser quelques questions, mais je suis renversé par ces recommandations.

Premièrement, monsieur, combien d'agriculteurs représentez-vous?

M. Huszka : Nous représentons des milliers d'agriculteurs à la grandeur du pays.

Le sénateur Plett : Avez-vous des membres?

M. Huszka : Oui, nous en avons.

Le sénateur Plett : Combien en avez-vous?

M. Huszka : Les nombres varient d'une province à l'autre. Chaque province a...

Le sénateur Plett : Combien de membres avez-vous en Ontario?

M. Huszka : En Ontario, nous faisons partie du processus d'enregistrement des exploitations agricoles. À l'heure actuelle, nous comptons environ 1 500 membres.

Le sénateur Plett : Quand les représentants de l'UNF ont témoigné devant nous, j'ai dû leur demander six fois de nous dire combien de membres ils avaient. Ils disent qu'ils représentent des membres, et je suis stupéfait qu'ils n'en connaissent pas le nombre.

J'ai quelques commentaires et ensuite quelques questions. Si le pays et les provinces mettaient en œuvre la recommandation no 1, vous pourriez probablement rayer la moitié des autres recommandations. En conséquence, je ne suis pas sûr de comprendre pourquoi vous les faites. Vous pourriez certainement rayer la no 3, la no 6 et la no 8. Pourquoi ne pas simplement recommander la no 1 qui réglerait tout?

M. Huszka : Premièrement, en ce qui concerne le nombre de membres, un parti politique très important s'est déjà retrouvé avec seulement deux membres à un moment donné et a tout de même fini par remonter la pente pour devenir un gouvernement majoritaire. Pour que l'Union nationale des fermiers puisse avoir du poids, nous aimerions que toute personne qui consomme de la nourriture en soit membre; cela dit, ce n'est pas nécessaire. À titre de bénévole et d'agriculteur, je ne suis pas ici pour recevoir un chèque de paie, mais bien pour essayer de bonifier la collectivité dans laquelle nous vivons.

Le sénateur Plett : Très bien.

M. Huszka : Pour ce qui est des recommandations, la complexité du problème fait en sorte qu'une simple réponse d'une ligne ne suffise pas. Oui, nous devons absolument imposer des restrictions en ce qui concerne la propriété foncière, mais les restrictions ne sont pas l'unique mécanisme. Vous pourriez régler aujourd'hui le problème d'acquisition et d'appropriation des terres en restreignant simplement la propriété des terres. Vous pourriez en faire baisser la valeur à un montant très modeste, mais en même temps, cela pourrait avoir des effets dévastateurs au plan économique pour les familles d'agriculteurs toujours en affaires. Les seuls qui soient ressortis gagnants sont ceux qui ont vendu leurs fermes, empoché l'argent et pris la fuite. Ceux qui produisent toujours de la nourriture ne devraient pas être pénalisés pour avoir décidé de continuer la production alimentaire dans une optique très communautaire. C'est un problème prédominant.

Il faut qu'il y ait un revenu qui soit stable. Je n'ai pas besoin de conduire une Mercedes, mais je dois pouvoir conduire un véhicule sécuritaire pour emmener ma famille là où elle doit aller. Tout ce que je demande, c'est un bon rendement du capital investi.

Le sénateur Plett : Permettez-moi d'abord de revenir sur le commentaire que vous avez formulé concernant mon parti politique. Le parti comptait, en fait, des milliers et des milliers de membres.

M. Huszka : Oui.

Le sénateur Plett : Il avait quelques représentants à Ottawa — pas deux, mais 64, car il comptait des membres de deux partis qui ont été fusionnés. Alors soyons clairs : ces chiffres sont incorrects.

M. Huszka : Je reconnais mon erreur. Merci.

Le sénateur Plett : Les agriculteurs font, sans l'ombre d'un doute, partie des meilleurs gens d'affaires au monde. On ne cesse de nous le répéter. Ils devraient gérer leurs propres ressources. Ils vendent. Je ne crois pas qu'ils se sauvent; ils vendent et partent se la couler douce à Hawaii. Cependant, c'est leur affaire. C'est cela, les affaires.

La valeur des terres agricoles augmente chaque année, et c'est une bonne chose. Bien des agriculteurs affirment que c'est comme cela qu'ils gagnent leur argent. Ils travaillent toute leur vie, comme la plupart d'entre nous. Nous passons nos vies à travailler et à accroître la valeur de nos maisons et de nos entreprises, tandis que les agriculteurs accroissent la valeur de leurs terres. Ensuite, ils vendent. C'est leur choix.

J'ai pris trop de temps, monsieur le président, alors je vais me contenter de poser la question que j'ai posée au témoin précédent. Je m'en suis servi et le sénateur Gagné s'en est servi : c'est la question de l'œuf ou la poule. Ce sont les agriculteurs qui veulent vendre leur ferme parce qu'ils veulent prendre leur retraite. Dieu les aime pour cette raison-là. Ils ont cinq ou six enfants. En fait, peut-être que la ferme ne peut pas faire vivre une famille avec cinq ou six enfants, mais c'est la même chose que pour n'importe quelle entreprise. De nos jours, l'agriculture est une entreprise. Alors, dans ce contexte, qui est responsable de la situation? Ceux qui achètent? Ceux qui vendent? Ou est-ce que tout cela est la faute du gros méchant gouvernement?

M. Huszka : Je pense que le gouvernement n'est pas méchant, mais sa grosseur ne fait aucun doute. Nous sommes heureux de ce compliment sincère à l'industrie agricole. Les familles agricoles sont avant tout des gens d'affaires.

Le fait est qu'on ne peut pas stéréotyper l'ensemble des agriculteurs. Ce ne sont pas tous les agriculteurs qui cherchent à vendre leur terre. Bien sûr, votre terre a une valeur bien réelle et elle est une partie de votre actif. C'est le levier financier dont vous vous servez pour continuer à opérer.

Toutefois, notre secteur a changé. Il a évolué. Des influences artificielles sont venues en changer les règles. Nous sommes dans un marché mondial, et ce marché pose de nombreuses difficultés. Le fait que les marges de profit sont très minces aura une incidence sur vos décisions.

Ce qui nous ramène à la décision qu'il nous faut prendre dans une optique nationale : voulons-nous un secteur agricole pour notre pays? En fin de compte, à quoi devrait ressembler ce secteur agricole? Si c'est la corporatisation de l'agriculture qui est visée, il n'y a rien à changer, parce qu'elle est déjà bien entamée. Lorsqu'une entreprise contrôle non seulement les moyens de transformation, mais aussi la production, nous pourrions avoir droit à des surprises; le chou-fleur à 8 $ d'il y a quelques années n'était peut-être pas si catastrophique, après tout. Essayez de penser à la situation dans laquelle nous pourrions nous retrouver.

Cela fait partie du processus de planification stratégique. En tant que responsables au niveau fédéral, vous nous donnez la plus formidable occasion d'amorcer une discussion à l'échelle de notre pays.

Le sénateur Plett : Merci de vos recommandations. C'est très apprécié.

Le sénateur Oh : Selon l'Union nationale des fermiers, les sociétés d'investissement dans les terres agricoles sont en train de changer la donne puisqu'au lieu d'appartenir à de véritables agriculteurs, les terres agricoles appartiennent de plus en plus à une nouvelle catégorie de propriétaires absents. Peut-on présumer que les terres agricoles canadiennes qui appartiennent à des sociétés d'investissement ne sont plus cultivées à des fins alimentaires?

M. Huszka : C'est une très bonne question. Les marges dont je parle dans ce document ne permettent pas d'acheter des intrants additionnels en quantité. Les sols doivent être soutenus, entretenus et nourris. On ne peut pas se contenter d'en tirer une production sans jamais rien y remettre. L'une des choses que j'ai apportées est un article qui a été publié en ligne le 3 novembre dernier :

Corporation Fiera Capital passe à la prochaine étape de son plan d'expansion énergique en intégrant l'agriculture et le capital-investissement aux classes d'actifs qu'elle offre à ses clients.

Ce gestionnaire de fonds de Montréal, qui gère actuellement des actifs de 110 milliards de dollars canadiens (82 milliards), s'est donné comme objectif de faire grimper la valeur de son portefeuille à 220 milliards de dollars d'ici 2020. Selon son président et chef de l'exploitation, Sylvain Brosseau, Fiera a pour ce faire créé une entreprise conjointe avec trois partenaires, entreprise qui aura pour mandat d'investir dans un premier temps dans le secteur de l'agriculture, puis, de s'intéresser au capital-investissement.

Il s'agit là d'un concurrent de taille non négligeable qui n'œuvre même pas dans le secteur agricole. Il ne faudra pas beaucoup plus de pression que cela pour faire céder les agriculteurs. Force est de reconnaître qu'il y a effectivement un nombre important de familles d'agriculteurs qui s'apprêtent à quitter l'industrie pour des raisons d'âge et de santé. Il n'y a pas vraiment de stratégie nationale pour voir comment cela peut se faire et qui seront ces nouveaux agriculteurs. Quoi qu'il en soit, une société d'investissement qui dispose de 100 milliards de dollars en surplus représente un concurrent de taille très appréciable, c'est le moins qu'on puisse dire.

Le sénateur Oh : Je sais que certaines municipalités permettent à ces grosses entreprises d'investir leur territoire. Les entreprises se contentent ensuite de faire venir quelqu'un au printemps pour labourer, ce qui leur permet de faire baisser l'impôt foncier qu'elles ont à payer. Il n'est pas question de culture proprement dite.

M. Huszka : C'est un problème. En Ontario, on a vu des taux d'imposition à 25 ¢. Cela tient compte du fait que les seuls à envoyer leurs enfants à l'école, à appeler le service des incendies ou à profiter de tel ou tel service municipal sont les résidents. Alors, le fait de se baser seulement sur la dimension foncière pour demander aux agriculteurs de payer 100 p. 100 des coûts de services dont ils ne profitent pas vraiment a peut-être été remis en question, et c'est peut-être la raison majeure qui a donné lieu à ce taux spécial.

Or, vous avez raison de dire qu'une firme d'investissement n'a qu'un intérêt, celui de consolider son portefeuille et de maximiser ses rendements. Comme nous l'indiquons dans nos recommandations, l'impôt occupe aussi une place très importante dans nos discussions. Devrait-il y avoir un taux d'imposition différent sur le gain en capital réalisé par un acheteur dont l'objectif n'a jamais été de cultiver la terre, mais bien d'acquérir un bien?

Le sénateur Oh : Merci de vos recommandations.

La sénatrice Tardif : Merci de cet exposé très complet et tout à fait captivant, et merci aussi de votre rapport. Je ne suis pas tout à fait certain de comprendre la 7e recommandation. Pourriez-vous m'éclairer? La recommandation va comme suit :

7. Les fournisseurs d'intrants agricoles ne devraient pas être autorisés à lier le financement des intrants aux contrats de livraison.

Pouvez-vous nous en dire plus long à ce sujet?

M. Huszka : L'accès à un fonds de roulement est un élément très important pour tous les agriculteurs. Les agriculteurs albertains qui sont aux prises avec le problème de la tuberculose pourraient perdre tous leurs troupeaux. Or, le remplacement de ces troupeaux va nécessiter certains investissements. De la même façon, dans les cultures commerciales, nos fournisseurs de produits agricoles détiennent un pouvoir considérable. Loin de moi l'idée d'insinuer que c'est ce que fait cette entreprise, mais à titre d'exemple : « Vous achetez vos semences de moi. Vous achetez votre engrais de moi. Je vous exempte de payer jusqu'aux récoltes. Lorsque la récolte sera là, nous allons examiner le prix courant et décider à ce moment-là comment nous allons l'écouler. » Or, si vous n'avez pas les fonds nécessaires pour continuer à fonctionner avec les marges ténues qui sont votre ordinaire ou si vos récoltes ont été médiocres deux années de suite à cause d'une sécheresse ou d'autre chose, la pression de vous conformer à cette exigence inexprimée sera considérable. « Nous allons financer vos intrants à condition que nous obtenions notre pourcentage sur les ventes et que vous nous livriez votre récolte. » C'est ce que nous voulons dire par « lier le financement des intrants aux contrats de livraison ».

La sénatrice Tardif : Est-ce une pratique courante que les gens qui vous approvisionnent en semences ou en engrais exigent un pourcentage de la vente du produit? Est-ce bien ce que vous dites?

M. Huszka : Une société de cette taille-là a un avantage injuste. Je vends aussi des semences. Je suis négociant pour une entreprise qui s'appelle Maizex, qui est la deuxième entreprise de semences canadienne en importance. L'entreprise est basée tout juste à l'extérieur de notre région. Un agriculteur peut se rendre à son élévateur local et acheter les semences d'un concurrent au prix du gros parce que ce concurrent regroupe toutes les semences achetées en un tout. Ses marges de profit sont donc moindres, mais l'entreprise n'a pas à faire d'argent sur la vente des semences. Elle peut essayer de vous vendre de l'engrais pendant que vous êtes sur place. Or, il y a la question du contrôle. À vrai dire, ce mot devrait faire l'objet d'une attention sérieuse dans le domaine de l'agriculture. La question importante est le contrôle plutôt que la propriété. Le contrôle que l'entreprise exerce découle du fait que c'est elle qui détient la production; c'est elle qui détient le fruit de votre travail. Elle a donc la possibilité de maximiser ses profits à l'autre bout du processus, non pas sur le plan des intrants, mais sur la mise en marché du produit final.

La raison d'être de cette recommandation est de reconnaître que c'est là où se trouve le vrai potentiel. Dans une certaine mesure, je crois que c'est quelque chose qui existe indépendamment du fait que ce soit un processus normalisé ou juste une question pratique. Toutefois, je ne crois pas que les entreprises sont à ce point naïves pour penser s'en sortir en disant « vous faites cela, sinon nous ne vous financerons pas ». Même si vous n'êtes pas désespéré — une simple famille qui fait son travail en toute humilité —, le moindre fait d'être dans une position où des centaines de milliers de dollars sont en jeu suffira à faire en sorte que vous allez ressentir une certaine pression.

La sénatrice Tardif : Merci de cette explication.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Huszka, pour votre présentation. Si j'ai bien compris, des taux d'imposition préférentiels pourraient être imposés aux agriculteurs qui achètent des terres à des fins d'investissements. Pouvez-vous nous donner un exemple des taux d'imposition qu'un investisseur non agricole doit payer?

[Traduction]

M. Huszka : En tant qu'entreprise agricole, ce que je dépense pour mes terres fait partie de mes coûts de production et, si tout va bien, je suis en mesure de contrebalancer ce coût avec les recettes de ma production. Si, au cours de ma vie, j'ai été capable d'avoir une production raisonnable, la vente éventuelle de ma terre me permettra de profiter, pour une fois seulement, d'une exonération des gains en capital. Cette exonération n'a été bonifiée qu'au cours des dernières années, ce qui montre que l'on a reconnu l'augmentation considérable de la valeur des terres agricoles.

Pour les entreprises qui cherchent à acquérir des terres dans le seul but de les revendre à profit d'ici quelques années, il s'agit d'une transaction unique. La conséquence est l'effet que ces entreprises exercent sur le marché. Qui a acheté la terre? Qui a pu se permettre d'acheter la terre à tel prix? Si la terre ne produit pas assez pour permettre de faire ces paiements, c'est une acquisition insensée. C'est le jeu de la chaise musicale, sauf que le dernier qui se retrouve avec la chaise perd. Donc, la question est la suivante : qui sont les acheteurs potentiels?

Dans notre patelin, un avocat de Toronto est propriétaire de milliers d'acres. Je ne pourrai jamais acheter 50 ou 100 acres de lui, car il ne souhaite pas vendre ou céder quoi que ce soit de moins que les 8 000 acres qu'il possède. Le nombre d'acheteurs potentiels est donc passablement limité.

Plus important encore, il ne faut pas oublier que les compétences que j'ai acquises et qui me permettent de faire de l'agriculture de façon efficace et efficiente ne me sont pas venues du jour au lendemain. Si vous éliminez chaque école que représente une ferme, vous allez perdre une génération d'agriculteurs ou plus. Vous allez perdre tous ces gens auxquels vous devrez faire appel pour nourrir la population de 2050. Je n'ai peut-être pas répondu complètement à votre question.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous avez parlé de la relève. Y a-t-il suffisamment d'agriculteurs en Ontario pour cultiver toutes les terres qui sont passées entre les mains des investisseurs au cours des cinq dernières années? Y a-t-il suffisamment de jeunes qui sont formés pour assurer la relève aujourd'hui?

[Traduction]

M. Huszka : C'est une question difficile. Il y a un certain nombre de personnes qui peuvent cultiver la terre et qui sont douées pour le faire, mais plus l'entreprise est grosse, plus elle est fragile. Le taux d'intérêt pour le capital d'exploitation est à un niveau historiquement bas. Lorsque les marges pour les grosses fermes sont aussi maigres que les miennes, pas besoin de taux d'intérêt à 20 p. 100 pour que les conséquences soient désastreuses. Un taux d'intérêt de 8 p. 100 sera suffisant pour déclencher la prochaine bombe à retardement économique.

Le sénateur Gagné : Malgré la taille du pays, les terres agricoles sont une ressource rare au Canada. Vous avez cerné un grand nombre de lacunes dans le système. J'aimerais savoir si vous avez déjà rencontré le ministre MacAulay pour discuter de ces lacunes.

M. Huszka : Personnellement, je n'ai pas rencontré le ministre MacAulay au cours des 20 dernières années. Je sais qu'il a rencontré des membres de l'Union nationale des fermiers. Pour ce qui est de l'étendue des discussions, nous sommes une association non partisane. Certains de nos membres appartiennent à des partis et d'autres pas.

Le sénateur Gagné : Une politique nationale en matière d'alimentation suscite-t-elle de l'intérêt?

M. Huszka : Nous vous demandons instamment de réclamer cette politique en notre nom.

Le sénateur Gagné : Merci.

[Français]

Le président : Merci, monsieur Huszka, pour votre témoignage fort instructif et très intéressant. Nous devons produire un rapport au printemps dans lequel vous retrouverez vos recommandations sous une forme ou une autre.

Chers collègues, c'est notre dernière séance avant 2017. J'aimerais remercier particulièrement chacun des membres du comité pour son assiduité et son travail extraordinaire. J'aimerais également remercier le vice-président, le sénateur Mercer. Nous nous rencontrons souvent pour de petites réunions dont vous n'êtes pas au courant, mais une fois arrivés en comité, nous avons déjà discuté des questions. Le sénateur Plett se joint aussi à nous à l'occasion. Je tiens aussi à remercier notre greffier, notre recherchiste, tout le personnel technique, les traducteurs et les pages.

On se revoit en 2017. Cependant, si la crise de la tuberculose bovine n'est pas encore réglée, il se pourrait qu'on se rencontre en janvier. Je vais en discuter avec le sénateur Mercer en janvier. Si la situation est réglée, tant mieux. Sinon, nous allons peut-être devoir nous réunir à nouveau. Quant à ceux qui prévoient voyager en Floride, à Hawaï ou en Chine — moi, je serai à Québec — , je vous recommande d'acheter votre billet de retour.

Je vous souhaite tous de passer des fêtes extraordinaires. On se revoit en l'an 2017.

(La séance est levée.)

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