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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 23 - Témoignages du 16 février 2017


OTTAWA, jeudi le 16 février 2016

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 1, pour poursuivre son étude sur l'acquisition de terres agricoles au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole.

Le sénateur Ghislain Maltais (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Aujourd'hui, le comité poursuit son étude sur l'acquisition des terres agricoles et ses retombés potentiels sur le secteur agricole.

[Traduction]

Je suis le sénateur Ghislain Maltais, du Québec. Je suis le président du comité.

J'invite les sénateurs à se présenter, en commençant par le coprésident.

Le sénateur Mercer : Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario. Bienvenue.

[Français]

La sénatrice Tardif : Bonjour. Je suis Claudette Tardif, de l'Alberta.

[Traduction]

La sénatrice Bernard : Sénatrice Bernard, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

[Français]

La sénatrice Gagné : Bonjour. Raymonde Gagné, du Manitoba.

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

Le sénateur Dagenais : Bonjour. Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le président : Ce matin, nous recevons M. Brian T. Gray, d'Agriculture Canada.

[Traduction]

Il est sous-ministre adjoint de la Direction générale des sciences et de la technologie. M. Allan Howard, gestionnaire de la Division de l'agroclimatique, de la géomatique et de l'observation de la Terre, de la Direction générale des sciences et de la technologie; M. Ted Huffman, chercheur, Santé environnementale, de la Direction générale des sciences et de la technologie; et M. David W. Lee, gestionnaire du Service d'information sur les sols du Canada de la Direction générale des sciences et de la technologie.

[Français]

Bienvenue, messieurs. Si j'ai bien compris, nous commencerons avec M. Gray, qui fera sa présentation.

Brian T. Gray, sous-ministre adjoint, Direction générale des sciences et de la technologie, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Honorables sénateurs, je m'appelle Brian Gray. Je suis sous-ministre adjoint de la Direction générale des sciences et de la technologie d'Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Je suis heureux d'avoir l'occasion de vous parler des travaux menés par le ministère sur la cartographie des sols, de l'utilisation de celle-ci dans l'évaluation des terres agricoles et des nouvelles techniques permettant d'améliorer l'analyse des données sur les sols.

[Traduction]

Les efforts déployés par Agriculture et Agroalimentaire Canada dans ce domaine visent à mieux faire face aux questions touchant la conservation des sols, et nous y parvenons grâce à nos recherches ainsi qu'à la coordination et à la production de données sur les sols, les paysages et le climat pour l'ensemble du Canada.

Ces données servent de fondement à l'étude des répercussions possibles des changements climatiques sur la production agricole et nous aident à préparer le rapport d'inventaire national sur les gaz à effet de serre, ainsi que des rapports sur l'incidence de l'agriculture sur la qualité du sol, de l'air et de l'eau.

De plus, Agriculture et Agroalimentaire Canada travaille avec les provinces, les universités et le secteur privé au Canada et avec des partenaires partout dans le monde afin d'améliorer la cartographie prédictive des sols et d'accroître la résolution des données sur les sols, comme en combinant d'anciennes données sur les sols avec de nouvelles images à haute résolution pour appuyer, entre autres, les applications de l'agriculture de précision, par exemple.

Je suis accompagné, aujourd'hui, de M. Allan Howard, gestionnaire de l'avancement scientifique et chef de l'équipe chargée de l'information sur les sols, et de M. David Lee, gestionnaire du Service d'information sur les sols du Canada, qui sont tous deux basés à Regina et membres de la Division de l'agroclimatique, de la géomatique et de l'observation de la Terre.

Je suis également accompagné de M. Ted Huffman, chercheur scientifique en poste à Ottawa qui travaille à la production de données nationales sur l'utilisation, le changement d'affectation et la gestion des terres agricoles.

Je tiens à vous remercier, monsieur le président et membres du comité, de nous avoir donné l'occasion aujourd'hui de nous adresser à vous sur ce sujet.

Je vais maintenant céder la parole à M. Allan Howard, qui vous fournira de plus amples renseignements sur le Service d'information sur les sols du Canada et l'utilisation des terres à Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Allan Howard, gestionnaire, Division de l'agroclimatique, de la géomatique et de l'observation de la Terre, Direction générale des sciences et de la technologie, Agriculture et agroalimentaire Canada : Bonjour, monsieur le président et honorables membres du comité permanent. Je m'appelle Allan Howard et je suis ici aujourd'hui pour vous fournir des renseignements sur le Service d'information sur les sols du Canada d'Agriculture et Agroalimentaire Canada. Durant le reste de mon exposé, je ferai référence à ce service par son acronyme SISCan.

Ce service met à la disposition du public, par le truchement d'Internet, des données sur les terres agricoles du Canada et l'utilisation des terres, entre autres, divers rapports pédologiques, des cartes et des documents de normes, notamment la Base nationale de données sur les sols.

La Base nationale de données sur les sols est un dépôt d'archives contenant des données électroniques sur les sols, les paysages et le climat pour l'ensemble du Canada. La Base nationale de données est une source importante de données pour la majorité des travaux menés par Agriculture et Agroalimentaire Canada sur les sols et les terres agricoles.

Les Pédo-paysages du Canada découlent de la Base nationale de données sur les sols. Il s'agit de la seule carte nationale des sols qui englobe la totalité des régions agricoles du Canada. Ces données ont été compilées à partir de levés pédologiques, de relevés aériens et de données par satellite.

Chaque unité cartographique individuelle dans les Pédo-paysages du Canada représente de 10 à 50 exploitations agricoles. La figure 1 illustre la taille relative des unités.

Les données des Pédo-paysages du Canada appuient une vaste gamme d'applications environnementales nationales liées à la qualité du sol et de l'eau, aux gaz à effet de serre, à la productivité des terres et aux changements climatiques. Les données du recensement de l'agriculture sont également jumelées aux données sur les terres des Pédo-paysages du Canada pour fournir de l'information sur la manière dont les terres sont utilisées, par exemple les cultures et les pratiques agricoles.

SISCan fournit également des cartes régionales plus détaillées, appelées levés pédologiques détaillés, qui peuvent aider à étayer des décisions éclairées sur l'aménagement du territoire municipal et la protection de l'environnement comme la conception de plans locaux ou régionaux d'aménagement du territoire, y compris les décisions en matière de zonage. Un exemple du niveau de détail des cartes pédologiques à l'échelon régional est présenté à la figure 2.

L'Inventaire des terres du Canada est une autre source d'information disponible sur SISCan qui peut être utilisée par les urbanistes municipaux. L'Inventaire des terres du Canada a été effectué dans les années 1960 dans le but de dresser un inventaire complet des terres du Canada rural, afin de déterminer leur potentiel pour de nombreux types d'utilisation, y compris le potentiel agricole des terres. Aujourd'hui, de nombreuses provinces utilisent l'Inventaire des terres du Canada à des fins d'aménagement du territoire.

Actuellement, Agriculture et Agroalimentaire Canada est à concevoir une nouvelle méthode d'évaluation de la qualité des sols, appelée Système de classification des terres selon leurs aptitudes pour les cultures. L'Inventaire des terres du Canada et le Système de classification des terres selon leurs aptitudes pour les cultures utilisent un système de notation des sols à sept catégories. Ainsi, les terres de catégorie 1 conviennent à la gamme la plus vaste de cultures dans le pays. Les terres de catégorie 2 à 7 offrent progressivement de moins en moins d'options : les terres de catégorie 4, 5 et 6 sont considérées comme marginales, et celles de catégorie 7 sont considérées comme impropres à la culture.

Le nouveau Système de classification des terres selon leurs aptitudes pour les cultures se concentre sur des cultures en particulier et fonde son classement sur les besoins en information liés au sol, au climat et au pédo-paysage de la culture en question.

La figure 3 illustre un exemple pour les céréales de printemps, comme le blé et l'orge, en Alberta. Contrairement à l'Inventaire des terres du Canada, le Système de classification des terres selon leurs aptitudes pour les cultures est dicté par les données, comme celles sur les sols, le paysage et le climat, plutôt que par les opinions des spécialistes. Par conséquent, il est plus objectif et il favorise davantage la répétition, ainsi que la reproduction à grande échelle.

Bien qu'il soit toujours en cours d'élaboration et qu'il ne soit pas encore accessible au public, le Système de classification des terres selon leurs aptitudes pour les cultures a été utilisé dans la recherche sur la modélisation des scénarios du changement climatique pour prédire les aptitudes pour la culture au milieu du siècle, dans un contexte de climat changeant.

Les nouveaux progrès des techniques agricoles, comme l'agriculture de précision, créent une demande croissante pour des outils de prise de décisions fondées sur des données probantes à des échelles de plus en plus précises, jusqu'aux sous-zones, au-delà de ce qu'il est possible d'atteindre avec les bases de données actuelles sur les sols.

Pour répondre à ce besoin, nous avons lancé des discussions avec les provinces, les universités et le secteur privé en vue d'adopter une démarche commune et intégrée pour accroître la résolution de nos données sur les sols.

Agriculture et Agroalimentaire Canada mène actuellement de la recherche pour produire des données sur les sols au niveau des champs qui sont uniformes à l'échelle du pays en utilisant une nouvelle méthode appelée cartographie prédictive des sols. Comme on peut l'observer à la figure 4, la cartographie prédictive des sols intègre notre information actuelle sur les sols à des données améliorées sur le relief pour prédire l'information sur les sols. Par conséquent, il est possible de produire des cartes pédologiques plus détaillées à un coût bien moindre qu'en ayant recours aux études traditionnelles sur le terrain.

Les données sur les sols ne donnent que des renseignements sur l'aptitude des sols à la production agricole, et non sur la façon dont ces terres sont actuellement utilisées. C'est pourquoi Agriculture et Agroalimentaire Canada produit de l'information sur l'utilisation des terres en recourant à l'imagerie par satellite. Nos cartes d'utilisation des terres, qui ont une unité spatiale de la taille d'environ la pièce où nous sommes, ont un taux d'exactitude qui s'échelonne en règle générale de 85 p. 100 à 90 p. 100.

À l'aide de ces renseignements, nous avons créé des cartes détaillées de l'inventaire annuel des cultures et des cartes normalisées sur l'utilisation des terres. Les cartes de l'inventaire annuel des cultures permettent de faire des évaluations de la variabilité du rendement. Ces cartes servent également de fondement au moment d'étudier les répercussions possibles des changements climatiques sur la production agricole.

Notre analyse des données sur l'utilisation des terres démontre que certaines terres forestières et terres humides sont converties en terres cultivées chaque année. La majorité de ces conversions ont lieu dans les provinces des Prairies.

L'analyse des données sur les sols et sur l'utilisation des terres démontre que des terres agricoles sont perdues chaque année à cause de l'étalement urbain au Canada, en grande partie en Ontario, au Québec, à l'Île-du-Prince-Édouard et en Colombie-Britannique, là où se trouve la majorité des meilleures terres agricoles du Canada.

En nous fondant sur le classement des aptitudes pour les cultures et l'information sur l'utilisation des terres, nous sommes en mesure de déterminer que les terres agricoles perdues au profit des utilisations urbaines sont principalement des terres de bonne qualité de catégorie 1, 2 et 3 tandis que les terres qui sont nouvellement utilisées pour l'agriculture tendent à faire l'objet de limites plus nombreuses pour l'agriculture de catégories 4 et 5.

En plus d'être accessibles sur le site web d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, les données sur les terres agricoles du Canada et sur l'utilisation des terres sont également publiées dans le site web de données ouvertes du gouvernement du Canada. La figure 5 montre le site web du SISCan.

Pour conclure, je souhaite remercier le président et les membres du comité de m'avoir donné l'occasion de leur adresser la parole aujourd'hui.

Le sénateur Mercer : Monsieur Howard, pourquoi une nouvelle approche? Qu'est-ce qui a poussé le ministère à adopter une nouvelle approche?

M. Howard : C'est la technologie qui explique le changement. Nous avons d'autres sources d'information, comme les renseignements satellites, dont la résolution est de plus en plus précise. Par conséquent, les décisions prises sur les terres — l'agriculture de précision en est un autre exemple — sont prises de façon de plus en plus pointue. Les données pédologiques ne sont pas aussi précises que les autres renseignements. C'est ce qui nous pousse à trouver de nouvelles façons d'obtenir des données plus précises afin que nous puissions prendre des décisions de gestion qui sont aussi plus précises sur les terres.

Le sénateur Mercer : Je vous félicite de le faire. À mesure que vous vous améliorez, vous soulignez de plus en plus le fait que des terres de catégorie 1 sont retirées de la production, plutôt que des terres de la catégorie 5, qui nous manqueraient moins du point de vue de la production agricole.

Je suis constamment préoccupé par l'année 2050, lorsqu'il y aura plus de 9 milliards de personnes sur la planète. Nous allons devoir trouver des façons de les nourrir. Une des façons de ne pas réussir à les nourrir consiste à retirer des terres de catégorie 1 de la production agricole. Je comprends ce qui motive les gens à utiliser des terres de catégorie 1, parce que ces terres sont très attirantes et situées à proximité.

Est-ce que nous effectuons des recherches actuellement pour trouver des façons d'améliorer les terres de catégorie moins élevée afin d'en faire des terres plus productives? Nous allons avoir besoin de ces terres. Le Canada est l'un des rares pays pouvant continuer à produire plus de terres arables. Nous ferons partie de la solution au problème en 2050. J'espère que nous ne ferons pas partie du problème en tant que tel.

M. Howard : Je peux simplement dire qu'il y a de nombreuses façons. Je vais laisser M. Gray répondre, parce qu'il peut probablement fournir de bien meilleurs renseignements au sujet de la recherche.

M. Gray : Au sein de notre direction générale de la recherche, nous comptons environ 385 scientifiques qui réalisent des projets de recherche de pointe. Nous misons sur quatre objectifs stratégiques.

Le premier consiste à accroître la productivité de toutes les terres.

Le deuxième vise à tenir compte des répercussions environnementales. Nous voulons accroître la productivité, mais maintenir ou améliorer notre environnement.

Le troisième objectif consiste à examiner les caractéristiques des plantes ou des animaux avec lesquelles il faut composer. On s'occupe habituellement des caractéristiques grâce à l'amélioration des plantes.

Le quatrième objectif, c'est de gérer les menaces. Nous devons nous assurer que les races végétales et animales que nous mettons au point sont résilientes à diverses menaces, que ce soit un insecte, un parasite, un virus ou une bactérie.

Nous n'oublions pas qu'il y aura 9 milliards de personnes sur la Terre au milieu du siècle. Nous réfléchissons à la façon de maximiser notre productivité sur les terres moins productives et à la façon de le faire sans que ce soit nocif pour l'environnement.

Le sénateur Mercer : C'est très encourageant de vous entendre dire que vous êtes conscients du problème et que vous travaillez à le régler. J'aimerais être aussi confiant à l'idée que quelqu'un à l'échelle internationale s'efforce de travailler en collaboration pour régler le problème.

Sommes-nous les seuls à procéder ainsi ou y a-t-il d'autres ministères de l'Agriculture à l'échelle internationale qui abordent ce même enjeu?

M. Gray : Nous avons une très bonne relation de travail avec les États-Unis, avec le département américain de l'Agriculture. Nous travaillons sur six priorités avec eux, y compris la génomique. Les priorités incluent l'amélioration des plantes, la pollinisation et la téléobservation, ce dont nous parlons actuellement.

Il y a aussi un groupe plus général. Vous savez peut-être que, chaque année, il y a un G20 de ministères de l'Agriculture. Je ne me souviens pas exactement quand, mais il y a environ quatre ou cinq ans, les ministres ont décidé qu'il fallait tenir une réunion annuelle des scientifiques en chef de chaque ministère de l'Agriculture du G20. C'est ce qu'on appelle la réunion des principaux scientifiques agricoles, la MACS, en anglais. Ce groupe se réunit une fois par année.

Le groupe existe depuis quatre ans, mais il en est encore à ses balbutiements. Nous avons cerné les principales menaces et possibilités auxquelles sont confrontés ou que peuvent saisir les pays du G20 dans le domaine de l'agriculture. L'objectif est non pas vraiment de réunir des fonds au même endroit, mais plutôt de travailler en collaboration pour effectuer des recherches dans le cadre desquelles plusieurs États fournissent du financement. Nous travaillons déjà sur ces dossiers. Nous voulons harmoniser le travail de nos scientifiques avec celui des leurs, que ce soit au sein du gouvernement ou dans le milieu universitaire.

Le sénateur Mercer : C'est une bonne nouvelle. Vous avez mentionné une discussion au sujet des pollinisateurs. Comme vous le savez probablement, le comité a réalisé une étude approfondie sur la santé des abeilles. J'espère que vos chercheurs connaissent cette étude. Elle a suscité beaucoup d'intérêt pour les travaux du comité et continue de le faire.

S'il y a d'autres sujets auxquels nous devrions porter attention à l'avenir, nous serions heureux que vous nous les mentionniez.

M. Gray : Je connais votre étude. Je crois qu'un de nos principaux scientifiques dans le domaine des abeilles, M. Stephen Pernal, a comparu devant vous.

Le sénateur Mercer : Oui, en effet.

M. Gray : C'est un homme fantastique.

Le sénateur Mercer : Oui.

Le sénateur Pratte : Je crois comprendre des paragraphes que vous avez rédigés sur l'utilisation et la perte des terres de catégorie 1, 2 et 3, qui sont utilisées à des fins urbaines, que vous pouvez produire des données détaillées sur ces changements. C'est exact?

M. Howard : C'est exact. Lorsque nous effectuons une surveillance à partir de l'espace en utilisant des renseignements satellites, nous obtenons une résolution environ de la taille de la pièce, ici, et les données sont exactes de 85 à 90 p. 100 du temps.

Le sénateur Pratte : L'un des défis auxquels nous avons été confrontés dans le cadre de l'étude, c'est l'absence de données détaillées sur l'appartenance des terres, la perte des terres agricoles ou le transfert de la propriété de terres à des propriétaires étrangers ou des investisseurs institutionnels.

Nous savons qu'il y a des données sur les changements de propriétaire. Serait-il possible de trouver une façon de réunir l'information tirée de bases de données sur la propriété et vos données, qui sont diversifiées? Ce serait intéressant de savoir si l'utilisation de la terre change aussi lorsqu'il y a un changement de propriétaire. Est-ce que ce serait possible ou est-ce trop compliqué?

M. Howard : Je vais demander à M. Huffman de répondre. Il a effectué des recherches sur l'affectation des terres.

Ted Huffman, chercheur, Santé environnementale, Direction générale des sciences et de la technologie, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Il s'agirait d'un projet très complexe. Il faudrait intégrer ou transférer les renseignements municipaux sur la propriété des terres ou le rôle d'imposition dans le domaine de l'observation de la Terre. Nous déterminons l'utilisation actuelle des terres à partir d'imagerie satellite, et la question de la propriété foncière s'appuie sur des renseignements sur le rôle d'imposition et ce genre de choses.

Il y a des cartes dans les deux cas. C'est ce qu'on appelle l'information cadastrale. Ces données décrivent la limite de chaque propriété. Il serait possible de faire une telle étude. Ce serait une initiative assez importante en raison de la taille du pays.

Le sénateur Pratte : Et, par conséquent, très coûteuse.

M. Huffman : Ce serait très coûteux, et il faudrait beaucoup de main-d'œuvre pour s'occuper de chaque municipalité à l'échelle du pays où les dossiers fonciers et les cartes sont conservés.

Le sénateur Ogilvie : Je vais aller dans le même sens que le sénateur Pratte, mais je vais adopter un point de vue un peu plus élémentaire en ce qui a trait aux données que vous avez fournies aujourd'hui.

En principe, tandis que je regarde les diapositives que vous avez fournies, il semble s'agir, de toute évidence, d'une excellente base de données. Cependant, je n'ai pas apporté mon objectif télescopique ce matin. Peu importe les efforts que j'ai mis, même pour ce qui est du comté d'Oxford, je n'arrive pas à déterminer exactement ce qu'il en est en réalité. Ces données sont-elles accessibles en ligne?

M. Howard : Elles le sont. Si vous voulez des renseignements détaillés, en fait, M. Lee gère le SISCan et il a accès à l'information. Il peut probablement vous fournir une réponse plus étoffée.

David W. Lee, gestionnaire, Service d'information sur les sols du Canada, Direction des sciences et de la technologie, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Nous tentons vraiment de rendre toutes les données accessibles en ligne sur le site web du SISCan et sur le site web des données ouvertes du Canada. Ces données sont accessibles au grand public afin que les gens puissent prendre des décisions bien éclairées.

Le sénateur Ogilvie : Pouvez-vous envoyer au greffier un lien afin que nous n'ayons pas à effectuer des recherches sur Google?

M. Lee : Ce sera un honneur pour moi de le faire.

Le sénateur Ogilvie : Avant que je passe à ma deuxième et brève question, je tiens à souligner que c'est absolument excellent, du moins, en apparence. Nous en saurons plus lorsque nous pourrons vraiment regarder les choses plus en détail. En principe, il semble s'agir d'excellentes données, et c'est en partie ce que nous cherchions dans le cadre de notre étude.

Monsieur Howard, vous avez mentionné qu'une bonne partie des pertes de bonnes terres de catégorie A en zones d'expansion urbaine se passent dans quatre provinces. Avez-vous, à ce sujet, des données précises, soit le taux de changement ou un exemple de changement, durant une certaine période, d'une année à l'autre? En d'autres mots, quelle est l'ampleur de cette perte chaque année? Si vous deviez choisir un exemple parmi les données que vous avez, le cas de l'Île-du-Prince-Édouard en serait un que je pourrais comprendre le plus rapidement en ce qui a trait à l'importance des chiffres.

M. Howard : Encore une fois, je vais laisser M. Huffman répondre.

M. Huffman : C'est une question très complexe liée au changement d'affectation des terres. Les changements d'affectation des terres sont des événements rares à l'échelle nationale. C'est quelque chose qui se produit dans des endroits isolés, ici et là, à l'échelle du pays, et en faire un suivi est donc très difficile.

Au cours des deux ou trois dernières années, nous avons utilisé la nouvelle technologie d'imagerie satellite et les nouveaux systèmes d'information géographique pour nous pencher sur ce problème. Nous obtenons maintenant des données. Nous avons des données préliminaires de 1990 à 2010 qui indiquent le taux de modification des terres arables en lotissements et le taux de modification des forêts en terre arable par province. Il s'agit de données préliminaires. Nous tentons actuellement de les valider ou d'essayer de déterminer leur niveau d'exactitude.

Au Canada, nous constatons qu'il y a environ 3 000 hectares par année de terres arables converties en lotissements, qui sont utilisés à des fins urbaines. Sur l'Île-du-Prince-Édouard, on parle d'une contribution de 28 hectares par année de terres arables transformées en lotissements urbains. Dans d'autres endroits comme l'Ontario, c'est 1 300 hectares, et en Colombie-Britannique, 138 hectares. Nous avons les chiffres et nous pouvons dire précisément ou à l'échelle régionale où cela se produit. Naturellement, c'est quelque chose qui se passe autour des principaux centres urbains, et ainsi de suite.

Pour ce qui est de la transformation de forêts en terres arables, on parle d'environ 2 000 hectares par année de zones déboisées et converties à l'agriculture à l'échelle du pays. Un contributeur majeur, ici, c'est l'Alberta, avec de 800 à environ 900 hectares par année, qui est suivie par le Québec, avec environ 400 hectares par année, et de la Saskatchewan, avec 500 hectares par année.

Nous avons des estimations de la quantité de conversion des terres en cours. Cependant, nous n'avons pas accès à la même précision spatiale que la taille de la pièce, ici; nous ne possédons pas ce niveau de précision. Nous avons des estimations régionales, et il y a un certain niveau d'incertitude associé à ces estimations.

Le sénateur Ogilvie : Je comprends vos réserves, mais je veux m'assurer de bien comprendre. La moyenne de 3 000 hectares par année à l'échelle nationale est fondée sur la période de 20 ans que vous avez mentionnée, de 1990 à 2010?

M. Huffman : Oui.

Le sénateur Ogilvie : Et on parle principalement de terres de catégorie A ou de première catégorie?

M. Huffman : Environ 72 p. 100 de la transformation a lieu en Ontario, au Québec, à l'Île-du-Prince-Édouard et en Colombie-Britannique, où se trouve la majeure partie des terres agricoles de grande qualité.

Le sénateur Ogilvie : Tandis que les 2 000 hectares de forêts déboisées sont des terres de catégorie 4 ou 5?

M. Huffman : Oui.

La sénatrice Tardif : Chaque province adopte une approche différente en matière de planification de l'utilisation des terres et de propriété des terres. Plusieurs témoins nous ont mentionné le besoin d'assurer une meilleure harmonisation et de mieux comprendre ce qui se passe à l'échelle du pays.

Vous avez mentionné les outils auxquels vous avez accès actuellement dans vos explications à l'intention du sénateur Ogilvie, mais avons-nous besoin d'un autre outil national afin de mieux comprendre le suivi de la propriété des terres ou l'utilisation de la gestion des terres? De quelle façon pouvons-nous procéder à des évaluations? Avons-nous accès aux données détaillées dont nous avons besoin? Je sais que plusieurs provinces ont indiqué qu'il devait y avoir une meilleure harmonisation si l'on veut vraiment comprendre ce qui se produit.

M. Gray : Je constate un thème commun entre les questions du sénateur Pratte et du sénateur Ogilvie et les vôtres, la sénatrice Tardif, au sujet d'une base de données centralisée associée à un système d'information géospatiale qui nous permettrait de recueillir les renseignements et d'y avoir accès.

Regardez la figure 4. Je sais que vous ne pouvez pas la lire, mais vous pouvez vous faire une idée. J'ai soulevé le même point, soit dit en passant. C'est ainsi que ces systèmes fonctionnent. Vous pouvez vous faire une idée de la possibilité de superposition. Chacune des couches s'appuie sur des renseignements précis acquis grâce à différentes technologies.

La fonction publique s'efforce de créer une Plateforme géospatiale fédérale. Si vous ne connaissez pas bien cette initiative, je suis sûr que Ressources naturelles Canada serait heureux de vous en parler. L'idée, c'est de mettre un peu d'ordre au sein de la famille fédérale afin d'acquérir les données une seule fois. Ces données sont obtenues par télédétection. Elles viennent des satellites et sont généralement très coûteuses. Au sein de la famille fédérale, nous obtenons des données relativement peu coûteuses ou gratuites grâce à la constellation RADARSAT.

Essentiellement, les données de RADARSAT sont un actif de la Couronne. Ces données permettent d'évaluer l'humidité des sols, et nous les utilisons aussi à d'autres fins. Pour ce qui est de détecter une modification de l'utilisation des terres, il faut habituellement utiliser des données optiques plutôt que des données radar. On obtient ces données en utilisant le satellite de quelqu'un d'autre, et il faut payer pour obtenir une résolution, disons, de la taille de la pièce, ici, plutôt que la taille du champ d'un agriculteur.

Nous œuvrons au sein de la famille fédérale pour cerner quelles sont les données géospatiales les plus importantes à acquérir lorsque nous voulons détecter des modifications de l'utilisation des terres. Si quelque chose a changé, si on est passé de telle situation à telle autre, et qu'on peut voir ces tendances, on peut ensuite commencer à se demander pourquoi ces changements se produisent.

C'est quelque chose qui met en cause plusieurs ministères, et c'est la raison pour laquelle nous travaillons sur ce dossier de façon unifiée au sein de la famille fédérale. Nous participons à une structure de gouvernance, mais c'est une initiative qui relève de Ressources naturelles Canada. Je vous encourage à parler à des représentants de ce ministère.

Il faut mettre de l'ordre au sein de la famille fédérale pour commencer, acheter une fois les données et les réutiliser le plus souvent possible et les rendre accessibles ouvertement. Lorsqu'il est question de la propriété des terres et qu'on ne parle pas de terres de la Couronne ou de terres fédérales, cela fait intervenir les provinces, les territoires et les municipalités. Nous tous au sein de la famille fédérale travaillons en collaboration avec ces intervenants pour rendre accessible une plateforme plus globale de géomatique pour le Canada qui inclurait des couches municipales, provinciales et fédérales.

La famille fédérale, dirigée par RNCan, utilise des termes, des codes et des normes associés à la géomatique de façon à assurer l'interopérabilité des données, ce qui fera en sorte que tout le monde sur la planète utilise les mêmes normes et que nous suivons tous des normes internationales. J'espère avoir un peu répondu à votre question.

La sénatrice Tardif : Avez-vous suffisamment de ressources pour faire ce travail? Avez-vous besoin de sources supplémentaires pour réaliser ce plan de données complet?

M. Gray : Je vais prendre un peu de recul pour faire preuve d'une totale transparence. J'œuvrais pour RNCan et j'étais l'une des personnes qui ont dirigé en partie l'élaboration de la Plateforme géospatiale fédérale. Je crois que nous avons les ressources, mais il faut être plus intelligent.

Il y a cinq ans, il arrivait qu'un ministère achète certaines données d'imagerie qu'il était le seul — lui ou une de ses directions générales — à pouvoir utiliser. À côté, un autre ministère faisait la même chose. Les gens ne se parlaient pas. Par conséquent, si nous réunissions nos ressources, nous pourrions déterminer quelles sont les trois plus grandes priorités pour le gouvernement dans le domaine de la téléobservation. Nous pourrions être plus intelligents et procéder ainsi. Je ne crois pas que nous avons besoin de plus d'argent.

Le sénateur Enverga : Je vois que vous avez réalisé certains levés topographiques de 1960 à actuellement. Vous avez mentionné les changements climatiques à quelques reprises dans votre rapport. Avez-vous constaté dans vos données des changements liés à l'utilisation des terres découlant des changements climatiques? Avez-vous vu une différence? Y a-t-il plus ou moins de terres en raison des changements climatiques?

M. Howard : C'est un peu trop tôt pour le dire. Il y a beaucoup de facteurs qui entrent en ligne de compte dans l'utilisation des terres. Il est évident qu'il y a des terres qui sont maintenant cultivées et qui ne l'étaient pas il y a 20 ou 30 ans, mais nous ne pouvons pas dire actuellement si c'est en raison des changements climatiques.

Nous pouvons vous dire que des groupes comme les intervenants de l'industrie de la viticulture tentent vraiment de voir où ils peuvent s'installer. Prenons l'exemple de la Colombie-Britannique, où il y a beaucoup de vignobles, dans la vallée de l'Okanagan. Ces gens tentent de trouver des régions où élargir leur production. On nous a posé des questions quant à savoir si certaines terres pourraient devenir plus adaptées à ces types de culture.

On peut difficilement répondre maintenant. Nous nous penchons sur ces questions. Il faut envisager une approche à long terme. On réalise actuellement des recherches — ou elles sont sur le point d'être réalisées — et nous avons des discussions actuellement sur ce à quoi les terres ressembleront au milieu du siècle. Comme je l'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, nous avons des manières d'intégrer des données sur des scénarios climatiques dans le Système de classification des terres selon leurs aptitudes pour les cultures. Les personnes qui s'intéressent aux modèles hydrologiques et d'autres chercheurs se sont beaucoup intéressés à ces choses.

Voici les questions qu'il faut se poser : combien de terres qui sont considérées comme marginales s'amélioreront et deviendront des terres de catégorie 1, 2 ou 3? Combien de terres impropres à la culture deviendront des terres considérées comme marginales? Combien de nos meilleures terres perdront une partie de leur productivité en raison des changements climatiques?

Les changements ne seront pas nécessairement uniquement liés à des choses comme les sécheresses. Il pourrait y avoir des problèmes de stress thermique extrême, de ravageurs ou encore un certain nombre d'autres choses. Il faut savoir qu'il y a un certain nombre de questions auxquelles il faut encore répondre. Je dirais que nous en sommes vraiment aux premières étapes.

M. Gray : Je tiens à vous rassurer. Nous nous penchons sur le dossier. Au sein de notre direction générale, il y a des scientifiques qui travaillent sur nos quatre objectifs stratégiques : la productivité, l'environnement, les caractéristiques et les menaces.

Les menaces sont liées à l'humidité, la chaleur et les parasites. Nous nous penchons déjà sur ces questions. Nous améliorons les variétés de blé, d'orge et d'avoine, par exemple, pour qu'ils résistent aux changements climatiques.

Nous avons un outil qui nous permet d'examiner les terres cultivées. Nous possédons un inventaire des cultures. Chaque année, nous prenons un instantané et nous savons quelle culture pousse où. Nous avons constaté un changement au fil du temps. Il y a deux décennies, je crois bien qu'il n'y avait aucune acre de culture de soya dans les Prairies. Actuellement, on parle de deux à trois millions d'acres. Ne me citez pas ici, je vais vérifier. Oui, on crée des variétés de soya qui poussent mieux dans notre climat, mais c'est aussi en raison des changements liés au nombre de degrés-jours.

Le sénateur Enverga : Vous avez mentionné certaines modifications de l'utilisation des terres au fil du temps. Faites- vous un suivi des changements apportés sur les terres grâce à l'utilisation de technologies fondées sur la science? En tenez-vous compte dans vos études et vos recherches?

M. Gray : Le Service canadien des forêts et Environnement et Changement climatique Canada procèdent à des activités de téléobservation pour examiner les changements qui se produisent dans les systèmes naturels, de façon à ce qu'une forêt ou une terre humide ne soit pas, au fil du temps, touchée directement par l'activité humaine, mais elle l'est tout de même indirectement en raison des changements climatiques. Ces études sont en cours dans ces deux ministères.

Le sénateur Woo : Je suis tout à fait d'accord avec les questions posées par le sénateur Enverga sur la question de l'impact des changements climatiques sur l'agriculture. J'encourage les membres du comité à garder à l'œil les travaux que vous faites. Nous pourrions peut-être bénéficier d'une mise à jour plus tard sur certaines de vos constatations.

Ma question consiste à savoir si certains de vos ensembles de données associés au SIG vous permettent d'évaluer de façon longitudinale la productivité des terres, leur rendement, ou si c'est quelque chose qu'il faut faire au moyen d'enquêtes sur les fermes. Pouvez-vous évaluer la mesure dans laquelle les agriculteurs utilisent leurs terres de façon novatrice et productive au fil du temps grâce à la téléobservation?

M. Howard : Nous pouvons créer des modèles de la production agricole. En fait, nous avons eu un certain degré de succès à cet égard. D'ailleurs, certaines des activités de modélisation qui ont été faites par Agriculture et Agroalimentaire Canada ont été adoptées par Statistique Canada dans ses rapports annuels.

Nous tentons encore d'améliorer l'exactitude. C'est quelque chose qui changera selon les années. Nous obtenons de meilleurs résultats pour ce qui est des années qui sont dans la moyenne, et de moins bons résultats durant les années extrêmes. C'est un problème que nous réglerons au fil du temps.

Je crois que l'autre partie de votre question concernait plus l'utilisation de nouvelles cultures.

Le sénateur Woo : Le préambule concernait l'impact des changements climatiques sur l'agriculture et les différents types de terre qui entrent en production ou qui sont hors d'usage. Il s'agissait d'un aparté pour dire aux membres du comité qu'il serait bon de garder à l'œil ces travaux.

Je crois que vous avez répondu à la deuxième question, celle de savoir si certains de vos ensembles de données vous permettent d'évaluer la productivité des terres au fil du temps.

M. Howard : Nos modèles utilisent à la fois les meilleurs renseignements satellites et des renseignements standard fondés sur des points, comme les données météorologiques.

M. Lee : Nous utilisons l'imagerie satellite pour faire ce genre de travail. Nous utilisons un autre produit qui s'appelle l'indice de la végétation par différence normalisée, l'IVDN, qui compare la santé des cultures au fil du temps. Cet instrument nous donne une idée de la santé des cultures et de la façon dont les cultures progressent durant l'année. Il ne nous donne pas la production exacte, mais il nous permet de comprendre la santé des cultures au fil de l'année.

Le sénateur Woo : Pouvez-vous nous fournir certaines constatations générales au sujet de la productivité dans le secteur agricole pour des cultures précises et des régions précises, n'importe quoi dont vous êtes à l'aise de parler?

M. Lee : Ce n'est pas dans mon domaine d'expertise, mais nous pouvons assurément vous fournir l'information. Nous fournissons ce produit en ligne grâce à une carte interactive et grâce à des ensembles de données téléchargeables. Je peux poser cette question à nos experts de ce domaine précis afin de vous fournir certains chiffres.

Le sénateur Woo : Je pose la question seulement parce que l'enjeu de la réduction du nombre de terres agricoles doit être posé dans le contexte d'une possible augmentation de la productivité et de la production des terres agricoles actuelles ou de la diminution de la superficie des terres agricoles. Il faut poser les deux questions ensemble.

M. Gray : Si vous me permettez de faire un suivi, nous vous fournirons plus tard les changements de production des 10 principales cultures ou quelque chose du genre. Nous ne pouvons pas obtenir des renseignements sur toutes les cultures, parce que nous n'avons pas suffisamment d'information.

Une règle pratique dans le domaine de l'innovation et de l'agriculture, c'est que la productivité des cultures augmente d'environ 1,5 p. 100 par année par unité de terre. L'augmentation est obtenue grâce à l'innovation, grâce à la R-D.

Nous allons fournir l'information sur les 10 cultures, et vous pourrez voir ce qui a changé au cours des 30 dernières années.

[Français]

Le président : Bon nombre de sénateurs souhaitent poser des questions. Je vous demande d'être le plus bref possible dans vos questions et vos réponses. Nous savons que vous êtes des scientifiques et qu'il n'est pas facile de donner des réponses courtes, mais je dois respecter le temps de parole de chacun.

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à M. Howard. Vous avez parlé de la classification des sols, soit de zéro à sept, sept étant la note la plus mauvaise. Y a-t-il des moyens d'améliorer la qualité de certains sols pour les rendre plus productifs afin de les faire monter dans l'échelle de classification?

[Traduction]

M. Howard : Dans certains cas, on peut faire certaines choses limitées comme utiliser des engrais, modifier les sols ou améliorer le drainage. Il est très difficile de changer le climat ou le microclimat. Tout ce que nous pouvons faire exige de l'argent et exige de l'agriculteur qu'il investisse des fonds, qu'il doit puiser dans les revenus qu'il tire de ses cultures.

M. Gray a peut-être des recherches à mentionner pour jeter un peu de lumière sur les modifications précises sur lesquelles nous travaillons dans le but d'améliorer les sols dans ces domaines généraux.

M. Gray : Non, rien ne me vient à l'esprit.

M. Huffman : Si vous me permettez un commentaire, une amélioration principale que nous constatons, c'est le drainage artificiel des terres ou des sols mal drainés. Une bonne partie des terres de catégorie 2 et 3 en Ontario et au Québec sont considérées comme étant de catégorie 3 parce qu'elles sont trop humides. Si le producteur installe un système de drainage par canalisation en poterie, cela permet d'accroître la productivité. La terre reste de catégorie 2 ou 3, parce que la limite demeure et que la terre exige une gestion supplémentaire.

L'utilisation d'engrais sur les terres dans les sols peu fertiles est un autre exemple. On peut ajouter plus d'engrais pour accroître la productivité. Parfois, un sol se voit attribuer une catégorie inférieure en raison d'une pierrosité excessive. Les pierres peuvent être retirées ou enlevées mécaniquement afin que l'on puisse améliorer la productivité du sol.

Habituellement, on peut obtenir une production de catégorie 1 à partie d'un sol de catégorie 2, ou une production de catégorie 2 sur un sol de catégorie 3 en y apportant des améliorations pratiques.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Il y a des coûts qui y sont reliés. Les producteurs ont-ils les moyens de financer cela et y a-t-il un intérêt pour la transformation des terres?

[Traduction]

M. Howard : Je ne peux pas vraiment répondre à cette question. Je ne suis pas assez près de ce domaine pour en parler de façon perspicace.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Les producteurs utilisent-ils des pratiques qui peuvent diminuer la qualité de certaines terres agricoles? Parfois, ils transforment la production des terres pour maximiser leur rendement au détriment de la qualité des sols. Avez-vous constaté cela?

[Traduction]

M. Howard : Nous avons eu beaucoup d'expériences, particulièrement dans l'ouest du Canada, où les pratiques agricoles n'étaient pas adaptées aux conditions des sols à la ferme. Durant les sécheresses des années 1920 et 1930, ces pratiques ont entraîné beaucoup d'érosion éolienne et d'érosion du sol.

Il y a assurément certaines pratiques agricoles qui peuvent très bien fonctionner dans une région, et être totalement inappropriées dans une autre. L'important, c'est de pouvoir comprendre sa terre afin de mettre au point les meilleures pratiques de gestion qui sont adaptées.

La sénatrice Bernard : Ma question concerne encore une fois l'analyse de l'utilisation des terres et le fait que des terres agricoles disparaissent en raison de l'expansion urbaine. Je me demande si votre ministère fait des analyses qualitatives quelconques des causes sous-jacentes à cette tendance.

Pourquoi est-ce que cela se produit? En quoi est-ce que cela contribue aux déserts alimentaires que nous constatons dans bon nombre de milieux urbains?

M. Huffman : Non, pour l'instant, nous n'étudions pas les forces qui entraînent la modification de l'utilisation des terres. Nous pouvons déterminer les causes en fonction du type de changement. Si des terres agricoles sont converties en zones de peuplement, nous pouvons poser en postulat que c'est l'augmentation de la population qui cause le changement.

La conversion de forêts en terres agricoles a tendance à découler de la décision du producteur en cause. Nous n'effectuons pas vraiment de recherche sur les facteurs qui provoquent ces changements. Nous étudions le fait que l'utilisation des terres agricoles a généralement tendance à s'intensifier. Une bonne partie des bonnes terres où on cultive actuellement des cultures de moindre valeur sont régulièrement converties pour produire des cultures de plus grande valeur. Cela signifie qu'une pression est exercée pour accroître le territoire consacré au foin et aux pâturages, par exemple. Dans le cadre de nos études scientifiques, nous ne tentons absolument pas d'examiner les forces qui entraînent la modification de l'utilisation des terres.

La sénatrice Bernard : Est-ce que quelqu'un d'autre fait ce travail? Le savez-vous?

M. Huffman : Pas à ma connaissance. Je n'ai pas grand-chose à dire à ce sujet.

La sénatrice Beyak : Je vis en zone agricole. La portée de ces renseignements est fascinante et remarquable.

Ma question est purement pratique. Je suis toujours surprise du nombre de personnes qui regardent les travaux du comité. J'imagine que c'est parce que nous devons tous manger. Pouvez-vous expliquer aux téléspectateurs à la maison en quoi consistent des terres de catégorie 1, 2 et 3? Y a-t-il des façons de rendre les terres de catégorie 4 et 5 comparables? Et y a-t-il une direction générale au sein de votre ministère qui se penche sur ces questions?

M. Huffman : Nous commençons le processus d'évaluation des sols en présumant qu'il s'agit d'une terre de catégorie 1, c'est-à-dire un très bon sol, puis nous regardons ce qui limite la production agricole. Si le sol est infertile, comme les sols sablonneux qui possèdent peu de nutriments, on réduit l'évaluation à la catégorie 2 ou 3.

S'il y a un excès d'eau dans la terre, ce qui retarde l'ensemencement au printemps, la terre passe à la catégorie 2 ou 3. Les catégories sont fondées sur les choses qui limitent la production : la pierrosité, les roches près de la surface, une faible fertilité et la salinité, particulièrement dans les Prairies, sont des problèmes qui peuvent réduire la catégorie d'une terre.

Certaines pratiques de gestion peuvent accroître le rendement d'un sol d'une catégorie environ, mais, essentiellement, la limite reste la même pour toujours. La pratique de gestion doit être répétée pour qu'il soit possible de maintenir le niveau de productivité.

M. Lee : Comme Allan l'a mentionné dans sa déclaration préliminaire, notre Système de classification des terres selon leurs aptitudes pour les cultures tient compte de trois facteurs : le climat, le sol de la zone, c'est-à-dire les roches et le drainage, ainsi que les besoins des cultures. Ce système de classification des terres selon leur aptitude s'appuie sur les sept mêmes catégories, mais est lié précisément aux besoins des cultures. Nous l'avons pour plusieurs cultures différentes.

Nous avons un système pour le canola, le maïs, le blé et l'orge. Le système tient compte des besoins de ces différentes cultures. L'évaluation peut changer selon les types de culture produite dans une région.

Pour ce qui est de faire passer une terre de la catégorie 4 à la catégorie 3, nos producteurs sont très novateurs. Ils sont capables de tirer la meilleure productivité possible de leurs terres, et nous avons beaucoup de très bonnes données scientifiques au sein du ministère pour les aider à y arriver.

La sénatrice Gagné : Dans votre déclaration, vous avez mentionné le fait d'avoir rencontré vos homologues provinciaux pour amorcer des discussions sur l'adoption d'une approche intégrée commune pour accroître la résolution des données sur nos sols.

Lorsque vous avez rencontré vos homologues provinciaux, quels sont les autres besoins qui ont été exprimés par les provinces? Les provinces mentionnent-elles des enjeux liés à l'utilisation, la gestion, le suivi et l'acquisition des terres agricoles?

M. Howard : Je vais commencer à répondre à la question, puis je vais céder la parole aux autres parce que nous avons tous des expériences différentes.

J'ai participé à des discussions préliminaires au sujet des données sur les sols et la capacité de les combiner et de créer une approche commune pour améliorer la résolution de nos renseignements sur les sols.

L'utilisation des terres n'a pas été soulevée dans les discussions auxquelles j'ai participé, mais je vais donner l'occasion à mes collègues de formuler des commentaires à ce sujet.

M. Lee : Je reprendrai ce qu'Al a dit. Dans beaucoup de nos discussions, nos collègues provinciaux responsables de la gestion des données sur les sols veulent savoir de quelle façon nous pouvons améliorer les données, les harmoniser et nous assurer d'offrir un produit uniforme à l'échelle nationale.

J'entends plus parler de la santé des sols. Les discussions auxquelles je participe sont de nature plus concrète. Je n'ai pas accès aux discussions aux niveaux supérieurs auxquels M. Gray peut participer.

M. Gray : Toutes les provinces examinent l'utilisation des terres et en font le suivi. C'est leurs propriétés, leurs terres et leur responsabilité. Certaines provinces ont une grande expertise et de grandes capacités.

Pour ce qui est de la relation fédérale-provinciale, nous tentons de nous assurer de classifier ou de catégoriser les terres selon les niveaux 1, 2 ou 3 et tentons aussi d'obtenir de hautes résolutions, en faisant un suivi de superficies de la taille de la pièce, par exemple. Nous voulons nous assurer d'utiliser les mêmes normes et de pouvoir comparer des pommes avec des pommes. Nous évaluons de quelle façon les terres de catégorie X en Alberta se comparent à celles de même niveau en Ontario. Pour que les données soient utiles, il faut utiliser les mêmes mesures.

À l'échelon fédéral, notre travail consiste à nous assurer de tous travailler en collaboration et d'avoir des renseignements comparables. Nous travaillons en collaboration dans le domaine scientifique afin de mieux comprendre ce qui détermine la productivité des sols, si nous pouvons le faire.

[Français]

Le président : Avant de passer au deuxième tour, j'aurais une question à vous poser.

Vous êtes tous des scientifiques. Nous avons, dans notre mandat, l'étude de l'acquisition des terres agricoles. Les offices de crédit agricole de chaque province canadienne ou les institutions bancaires canadiennes vous demandent-ils conseil avant d'accorder des prêts pour l'acquisition de terres agricoles? Supposons qu'un jeune agriculteur de l'Ontario désire acheter une terre et qu'il a besoin d'emprunter 500 000 $. Son institution financière, qu'il s'agisse d'une banque, d'une caisse populaire ou d'un office de crédit agricole, avant de lui accorder le prêt, va-t-elle vous consulter?

[Traduction]

M. Howard : En règle générale, aucune banque n'a communiqué avec moi. D'après ce que nous comprenons, les spécialistes des banques consultent les renseignements accessibles publiquement. Aucune banque n'a communiqué avec moi à ce sujet.

[Français]

Le président : L'office de crédit agricole canadien ne vous consulte pas non plus?

[Traduction]

M. Howard : En fait, j'ai travaillé dans le bâtiment où se trouvait le bureau de l'Office du crédit agricole. Il y avait des possibilités de se rencontrer dans le hall, mais nous ne l'avons pas fait. Je crois que les représentants de l'office s'en tirent très bien avec les renseignements auxquels ils ont accès.

M. Gray : J'espère qu'ils consultent et utilisent notre site du SISCan pour obtenir des renseignements de base. Le service offre beaucoup de renseignements à un niveau qui pourrait leur être utile. J'espère au moins qu'ils le font.

M. Lee : Ce que j'ai à dire est très similaire à ce qu'a dit M. Gray. Nous rendons accessibles le plus possible de renseignements sur les sols sur le site web du SISCan. Ces personnes peuvent se servir elles-mêmes et n'ont pas nécessairement toujours besoin de nous consulter pour comprendre.

Le sénateur Mercer : Plus tôt, quelqu'un a posé une question au sujet de la viticulture en Colombie-Britannique. En Nouvelle-Écosse, d'où plusieurs de mes collègues et moi venons, nous avons constaté qu'il y a pas mal de terrains où l'on cultive maintenant le raisin.

Avez-vous réalisé des études sur l'utilisation des terres lorsque des terres agricoles sont utilisées pour la culture du raisin? C'est presque toujours pour la production de vin, un projet qui en vaut la peine. J'aime bien prendre un verre de vin de temps en temps, mais on ne parle plus vraiment de production alimentaire. Avez-vous réalisé une analyse des terres où l'on cesse la production alimentaire pour produire des breuvages alcoolisés?

M. Huffman : Pas à ma connaissance. Assurément, nous en faisons un suivi dans le cadre des rapports d'inventaire national lié aux gaz à effet de serre. Ensemble, les deux entreprises ont des répercussions différentes sur les sources de gaz à effet de serre. C'est quelque chose qui entre en jeu dans ce cas-là.

Le sénateur Mercer : Comment?

M. Huffman : Les récoltes ligneuses séquestrent plus le carbone de l'air que les autres systèmes de culture. Si vous créez des vignobles, vous séquestrez du carbone dans la biomasse ligneuse des vignobles. Du point de vue de la séquestration du carbone et des gaz à effet de serre, passer de la culture du maïs à la culture du raisin a un effet positif, mais pour ce qui est de l'impact sur le sol, à ma connaissance, il n'y en a pas. D'autres voudront peut-être ajouter quelque chose.

[Français]

Le président : Je suis désolé, monsieur Gray, mais le temps file. Nous devons limiter les réponses. Je crois que M. Lee a ajouté à la réponse. Si vous désirez, vous pourrez nous donner votre commentaire en réponse à la question du sénateur Pratte.

[Traduction]

Le sénateur Pratte : Monsieur Huffman, vous avez fourni deux ou trois statistiques sur la modification de l'utilisation de terres de catégorie 1, 2 et 3 utilisées à des fins urbaines dans un certain nombre de provinces, mais pas le Québec. J'aimerais bien avoir les données sur le Québec, puisque la province possède un régime de protection de l'utilisation des terres très stricte.

M. Huffman : Nos données pour le Québec révèlent que la transformation de terres agricoles en zone aménagée a représenté 446 hectares par année de 1990 à 2010, tandis que la conversion de forêts en terres agricoles s'élève à 378 hectares par année.

Le Québec est plus ou moins en milieu de peloton parmi les provinces. La fourchette des provinces va de Terre- Neuve-et-Labrador, où la transformation est quasiment insignifiante, à 6 hectares, à l'Ontario qui affiche 1 300 hectares.

Le sénateur Ogilvie : Tout au long de l'étude, j'ai été frappé de voir que la question de la salinité n'a jamais été mentionnée en ce qui a trait à son incidence sur des sols grande valeur utilisés à des fins agricoles. Au cours du dernier tiers du dernier siècle, il s'est agi d'un problème majeur à l'échelle mondiale qui a exigé qu'on arrête la production agricole sur certaines terres. Une salinité accrue découle de l'utilisation des engrais et d'autres choses dans les sols; cependant, à ma connaissance, personne ne l'a mentionnée. Quelqu'un en a peut-être parlé, et ça m'a échappé, mais, à ce que je sache, personne n'en a parlé.

Est-ce qu'il ne s'agit soudainement plus d'un problème ou est-ce que tout est jeté dans les lacs et les rivières, ce qui permet aux sols de se générer de façon assez régulière maintenant?

M. Huffman : D'après moi, nous avons appris de quelle façon gérer plus efficacement les sols qui ont des problèmes de salinité. Les producteurs et les chercheurs d'Agriculture et Agroalimentaire Canada ont indiqué qu'il était préférable de laisser ces sols à l'état naturel ou s'y faire pousser de façon permanente du foin et du pâturage. C'est probablement une situation moins problématique parce que les producteurs ont appris de quelle façon gérer la situation.

Certaines pratiques de gestion permettent de régler le problème, mais je ne crois pas que ces pratiques sont très répandues. Je crois plutôt que les producteurs apprennent à vivre avec des sols salins contaminés.

M. Howard : Dans une certaine mesure, la salinité est le fruit du climat. Si les conditions sont sèches après une période humide, des nappes phréatiques plus élevées font remonter le sel à la surface. Comme M. Huffman l'a souligné, c'est une situation très bien comprise et bien gérée maintenant.

La sénatrice Tardif : Je suis une sénatrice de l'Alberta. Je me suis intéressée à votre figure no 3. Vous avez indiqué que le taux de conversion de forêts en terres agricoles en Alberta s'élève à environ 2 000 hectares par année. Où sur votre carte cette conversion se produit-elle? Est-ce dans le nord de l'Alberta?

M. Huffman : Ce serait à la limite septentrionale, entre la zone agricole en blanc et la zone forestière. Cependant, selon mes chiffres, on parle de 9 000 hectares par année en Alberta.

La sénatrice Tardif : Je suis désolée, 900 hectares, et c'est principalement dans la zone en blanc sur la carte.

M. Huffman : Le long de la limite de la carte en couleur, tout juste sur les bords. On défriche plus de terres dans les portions nord simplement parce que c'est là que des terres sont disponibles.

La sénatrice Tardif : Quelle catégorie de sols produit-on là-bas?

M. Huffman : Principalement des sols de catégorie 3 et 4, qui affichent une humidité excessive et qui sont assortis d'une courte période de croissance, ce qui réduit la catégorie. La principale limite là-bas, c'est la saison de croissance courte.

[Français]

Le président : Messieurs, merci infiniment de vos témoignages. C'est la première fois que l'on reçoit un groupe de scientifiques qui apportent un éclairage fort important à notre étude. Ce sera certainement un aspect important de notre rapport sur l'acquisition des fermes. Je crois que votre travail est nécessaire et qu'il le sera encore plus à l'avenir. Étant donné que l'on réduit la taille des terres cultivables, il faudra s'assurer d'en tirer le maximum.

Passons maintenant à la prochaine étape de notre réunion. Notre comité a le privilège de recevoir deux éminentes personnes. Tout d'abord, M. Pascal Thériault, agronome et économiste à la faculté des sciences de l'agriculture et de l'environnement de l'Université McGill. Monsieur Thériault, bienvenue.

Nous accueillons également M. Brady Deaton fils, professeur et titulaire de la chaire de la famille McCain sur la sécurité alimentaire, Université de Guelph. Monsieur Deaton, bienvenue.

Monsieur Thériault, la parole est à vous.

Pascal Thériault, agronome et économiste, faculté des sciences de l'agriculture et de l'environnement, Université McGill, à titre personnel : La propriété des terres agricoles est un sujet qui m'interpelle énormément et dont on parle beaucoup depuis les dernières années. Il y a eu une hausse importante du prix des terres agricoles qui a été causée par une « tempête parfaite » où se sont réunies les conditions du milieu agricole et du milieu externe également.

Premièrement, des taux d'intérêt très intéressants ont permis aux producteurs de payer plus cher pour des terres pour un même paiement. Ensuite, le prix très intéressant des grains dans les prairies canadiennes a fait augmenter la marge de profit des entreprises, ce qui leur a permis de faire des achats de terres plus importants.

On a constaté un autre phénomène, particulièrement au Québec et en Ontario : l'indisponibilité du quota laitier lorsqu'on parle de la production sous la gestion de l'offre. Donc, les producteurs laitiers qui ne pouvaient réinvestir dans les quotas se sont tournés vers l'acquisition de terres agricoles. Cela a créé des pressions sur le prix des terres. Comme le monde agricole ne fonctionne pas en vase clos, les investisseurs de l'extérieur du milieu agricole ont constaté une hausse du prix des terres de 10, 15 ou 20 p. 100, ce qui représentait un achat très alléchant pour ces ceux-ci.

Ainsi, les producteurs ont créé une pression sur les marchés. Les investisseurs externes ont sans doute ajouté à cela. De plus, les terres agricoles ont certaines particularités. On ne peut pas en créer d'autres au-delà du déboisement, ce qui est assez limité au Canada, parce qu'on exploite les terres au maximum. La rareté des terres fait en sorte que les producteurs agricoles sont tentés de faire des transactions sur ces terres dès que l'occasion se présente. C'est d'autant plus vrai qu'une terre agricole sera mise sur le marché à chaque génération ou à la deuxième. Si un producteur rate une occasion, il devra attendre de 25 à 50 ans.

Il faut aussi tenir compte de la prime municipale ou de la prime de voisinage sur les terres agricoles. Si je suis producteur agricole, j'ai un intérêt certain à payer une plus-value pour une terre à proximité de mon entreprise, parce que le prix pour l'exploiter sera plus faible. Cela crée un phénomène où l'achat de terres agricoles ne sera pas 100 p. 100 rationnel.

Deuxièmement, les terres agricoles font partie des entreprises agricoles. L'agriculture est un secteur d'activité économique parmi ceux où on a besoin de plus de dollars d'actif pour générer un dollar de revenu. Bien que la productivité des entreprises agricoles ait augmenté au cours des 10 ou 15 dernières années, on constate que cela représente encore un défi.

Évidemment, la hausse du prix des terres agricoles ne représente pas uniquement des aspects négatifs. Si nous sommes producteurs agricoles et que le prix de nos terres augmente, notre capacité financière peut potentiellement augmenter si la profitabilité de l'entreprise s'ensuit.

Il y a un côté pervers pour les producteurs des Prairies. Un bon prix des grains et une meilleure profitabilité comportent des avantages considérables. Cependant, pour la production animale, cette hausse du prix des grains signifie forcément une augmentation du coût de production, soit un pouvoir d'achat moindre pour l'acquisition de terres.

J'aimerais soulever un autre point important. Lorsque les producteurs arrivent à l'âge de la retraite, ils ont une décision à prendre : vendre leurs terres à leur relève agricole ou à des étrangers. Dans le cas d'une vente à des étrangers, la plus-value payée sur une terre agricole est intéressante, parce que ce producteur pourra en profiter. Dans le cas d'une vente à sa relève agricole, l'entrepreneur qui souhaite voir son entreprise continuer sur la même lancée devra souvent laisser des sommes importantes sur la table au nom du don patrimonial et ne pourra pas en profiter.

Pour la relève agricole qui n'a malheureusement pas accès à une entreprise, la hausse du prix des terres devient problématique, parce qu'elle n'a pas la possibilité d'obtenir un financement adéquat en cas de hausse du prix des terres. Parfois, on constate une différenciation entre la valeur économique et la valeur financière des terres agricoles. Le prix des terres peut augmenter. Si la rentabilité des terres suit, tant mieux. Dans le cas contraire, le retour sur l'actif agricole investi diminue. En effet, si on dépasse un certain point, on ne peut pas tirer davantage d'une terre agricole déjà exploitée au maximum.

Il y a des cas de désinvestissement en terres agricoles, notamment en Ontario, où certains producteurs, en échange de contrats sur 15, 20 ou 25 ans, sont prêts à vendre des terres agricoles à des entreprises externes, des terres qu'ils pourront continuer à exploiter. L'avantage pour eux est un apport en capitaux importants. On prend un capital, qui est la terre agricole, qui rapporte 3, 4 ou 5 p. 100, puis on se tourne vers les marchés pour vendre ces terres. On obtient alors des sommes importantes avec lesquelles on peut réinvestir dans notre entreprise sur des actifs plus productifs.

Au chapitre de la propriété des terres, il faut être prudent, parce que la profitabilité des entreprises agricoles semble augmenter. Est-ce que c'est seulement parce que les entreprises les plus performantes continuent de s'améliorer? C'est fort probable. Le cas échéant, les entreprises plus performantes disposeront de meilleurs moyens pour s'approprier des terres, alors que les plus petites seront condamnées à demeurer plus petites.

C'est l'essentiel de ce que je souhaitais vous dire ce matin à ce sujet.

[Traduction]

Brady Deaton fils, professeur et titulaire de la chaire de la famille McCain sur la sécurité alimentaire, Université de Guelph, à titre personnel : Je suis honoré d'être ici aujourd'hui. Le sujet tombe à point, parce que nous venons tout juste de réaliser un sondage auprès de plus de 2 000 agriculteurs. Je vais communiquer certaines des choses que nous avons apprises grâce au sondage dans le cadre de la discussion d'aujourd'hui, et je laisserai les renseignements dont je parlerai aujourd'hui à Kevin, une fois que j'aurai terminé. Les autres données dont je vais parler sont contenues dans deux rapports qui sont accessibles sur mon site web, et Kevin vous fournira un lien vers ces rapports.

Je vais maintenant vous donner un aperçu de certaines des principales forces au niveau macroéconomique qui influent sur les prix des terres agricoles. Je vais souvent parler de l'Ontario, parce que c'est là où je réalise mes recherches, mais ce que je vous dirai s'applique de façon générale à l'échelle du Canada.

Je vais aussi discuter des préoccupations des agriculteurs au sujet de l'acquisition de terres agricoles par des non- agriculteurs et, pour terminer, je vais vous donner un bref aperçu de la suite de politiques pouvant influer sur l'identité des personnes pouvant acquérir des terres agricoles. J'ai hâte de discuter avec vous et de vous fournir de plus amples renseignements en répondant à vos questions.

Les prix des terres agricoles augmentent à un rythme élevé. La Société d'évaluation foncière des municipalités estime que, de 2012 à 2016, l'augmentation moyenne de la valeur générale des terres en Ontario s'élevait à 16 p. 100.

L'un des principaux facteurs qui ont influé sur les prix des terres agricoles au cours des 10 à 12 dernières années, c'est le fait que les taux d'intérêt sont peu élevés. C'est un phénomène généralisé qui a influé sur la valeur des actifs, au Canada et aux États-Unis. Même une estimation conservatrice d'une diminution de deux points de pourcentage du taux d'intérêt devrait normalement avoir un impact important et positif sur le prix des terres agricoles.

L'augmentation de la valeur des terres agricoles dépend aussi des revenus tirés de l'agriculture, ce qui tient à la fois aux prix des extrants et aux prix des intrants. Pour mettre l'accent sur le premier, en 2012, les prix du maïs ont grimpé en flèche à près du double du prix actuel par boisseau. De ce moment-là à maintenant, nos sondages réalisés en Ontario donnent à penser que les taux de location ont aussi augmenté. La combinaison des taux de location plus élevés, une valeur substitut des revenus nets des terres agricoles, et les faibles taux d'intérêt concordent avec l'augmentation du prix des terres que nous avons constatée.

Il ne faut pas oublier que les variations au sein des provinces tant du côté des locations au comptant que des prix des terres agricoles sont importantes. Pour illustrer ce point à l'aide d'un exemple concret, je vais utiliser le très récent sondage que nous avons réalisé auprès des agriculteurs de l'Ontario.

La valeur de location médiane déclarée pour une acre de terre arable dans le comté de Perth s'élevait à 300 $, mais seulement à 150 $ dans le comté de Wellington. Selon notre sondage auprès des agriculteurs de Perth, le prix par acre de terre arable s'élevait là à 18 500 $, alors qu'il s'élevait à 11 500 $ à Wellington. Ces différences reflètent probablement des différences du niveau de productivité des terres agricoles et certains des enjeux qui ont été soulevés dans le cadre de votre discussion précédente.

Permettez-moi d'ajouter que — et c'est particulièrement le cas dans le sud de l'Ontario — que l'emplacement compte. Dans le sud de l'Ontario, près des villes de la RGT, les prix des terres agricoles sont susceptibles de refléter les utilisations non agricoles futures. Beaucoup de recherches donnent à penser que la proximité d'un centre urbain exerce une pression à la hausse sur la valeur des terres agricoles.

Pour terminer, même si je le fais avec une certaine prudence, nous pourrons utiliser certains des récents résultats du sondage auprès des agriculteurs de l'Ontario comme une boule de cristal. Dans le cadre de notre récent sondage, la majeure partie des agriculteurs croyaient que les prix des terres agricoles allaient rester stables durant l'année. Environ 35 p. 100 d'entre eux croyaient qu'ils allaient augmenter, et seulement 8 p. 100 croyaient que la valeur des fermes agricoles allait diminuer.

Je veux aborder rapidement les préoccupations associées à l'acquisition des terres agricoles. Dès le départ, je dois souligner qu'il y a deux parties à tout échange. C'est donc dire que les acheteurs et les vendeurs sont touchés différemment par l'augmentation des prix des terres agricoles. Si les agriculteurs et les propriétaires de terres agricoles qui vendent des terres bénéficient de l'augmentation des prix, les agriculteurs qui veulent acheter des terres agricoles peuvent être découragés par les prix plus élevés demandés.

La question de savoir à qui appartiennent les terres agricoles et celle de l'acquisition de terres agricoles par des non- agriculteurs est importante pour de nombreux agriculteurs et groupes de fermiers. Le Syndicat national des cultivateurs, par exemple, souligne qu'il faut que ce soient des agriculteurs et des familles locales qui détiennent les terres agricoles. J'ai entendu des déclarations similaires des agriculteurs lorsque j'ai présenté des exposés un peu partout en Ontario. À cet égard, permettez-moi de soulever deux ou trois enjeux qui pourraient vous être utiles.

Premièrement, il s'agit d'une préoccupation historique. En documentant l'histoire précoce de l'économie agricole aux États-Unis, Paul Barkley a écrit au sujet d'une séance précédente qui visait à composer avec l'augmentation rapide du système de location des terres et d'absorption des petites exploitations par de riches propriétaires terriens. L'année où a eu lieu cette séance est surprenante : 1897.

Deuxièmement — et c'est lié au point précédent —, le marché de location des terres agricoles est bien établi au Canada. Actuellement, un peu plus de 30 p. 100 des terres agricoles se retrouvent sur le marché de la location. Nos recherches donnent à penser que la majeure partie de ces terres louées n'appartiennent pas à des agriculteurs actifs, du moins, c'est ce qui ressort de nos entrevues auprès des agriculteurs lorsque nous leur avons demandé qui était leur propriétaire terrien.

Les agriculteurs bénéficient de la location des terres. Le fait de louer leur permet d'élargir leurs activités sans avoir à tout investir dans l'achat de terres. Les non-agriculteurs qui participent au marché de location semblent vouloir détenir des terres agricoles en tant qu'investissement assorti d'un rendement de location et lié à la possible augmentation de la valeur des terres.

Fait important, nos recherches donnent à penser que la majeure partie de ces propriétaires non agriculteurs qui louent des terres sont des Canadiens. Dans le cadre d'un sondage réalisé en 2000 auprès de 207 agriculteurs du sud de l'Ontario, seulement 1 p. 100 des agriculteurs indiquaient que leur propriétaire était un étranger. Comme façon de faire les choses, c'est une approche plutôt grossière. J'aimerais bien revenir sur les discussions concernant les données que vous avez tenues plus tôt. Par conséquent, les investissements dans les terres agricoles et la spéculation sur la valeur des terres agricoles semblent intéresser davantage les Canadiens que les étrangers.

Ce bas pourcentage reflète les données des États-Unis. Plus précisément, le département américain de l'Agriculture a déterminé que moins de 2 p. 100 des forêts et terres agricoles américaines appartenaient à des investisseurs étrangers. Il peut aussi être intéressant de souligner que le pays d'origine qui possède le plus de droits de propriété de terres agricoles et de forêts aux États-Unis est le Canada.

J'aimerais revenir sur une certaine discussion concernant les politiques. En Ontario, il n'y a aucune limite relativement à la propriété des terres agricoles. Cependant, il y a des répercussions fiscales. Les propriétaires étrangers de terres agricoles ne sont pas admissibles aux importants allégements fiscaux sur les terres agricoles accordés aux citoyens canadiens. D'autres provinces, le Québec, par exemple, ont adopté des politiques plus strictes qui tentent généralement de limiter ou contrôler l'acquisition de terres agricoles par des intérêts étrangers. Souvent, l'acquisition de terres agricoles par des intérêts étrangers est limitée.

Ces efforts peuvent exercer une pression à la baisse sur les prix et les terres agricoles dans la mesure où ils entraînent une réduction de la demande. Cependant, je n'allais pas savoir clairement la mesure dans laquelle ces politiques compensent dans une large mesure les facteurs fondamentaux au niveau macroéconomique dont nous avons tous les deux discuté. Selon les données de 2015 de Financement agricole Canada, FAC, le prix des terres agricoles au Québec a augmenté de près de 10 p. 100, tandis que la valeur des terres agricoles de l'Ontario a augmenté de 7 p. 100.

Je suis prêt à discuter avec vous d'un large éventail d'enjeux stratégiques supplémentaires, y compris le zonage et les ceintures vertes et, de façon générale, des besoins en matière de collecte de données aussi. Merci.

[Français]

Le président : Merci beaucoup, monsieur Deaton. Vous savez, c'est le Sénat qui a donné au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts le mandat d'étudier l'acquisition des terres agricoles.

Les sénateurs de ce comité s'intéressent drôlement à ce qui va se passer à l'avenir. Lorsqu'un pays se nourrit bien, il ne se préoccupe pas à savoir qui le nourrit. En ce moment, il n'y a pas foule à l'entrée des marchés. Il y a des fruits, des légumes, de la viande; il y a tout ce qu'il faut. Cependant, qui produira ces fruits et légumes demain ou après-demain, et quels seront les propriétaires des terres? S'agira-t-il encore d'agriculteurs ou plutôt de travailleurs agricoles? C'est l'une des préoccupations des sénateurs en ce qui concerne le transfert des fermes et l'acquisition des fermes ancestrales ou des fermes familiales.

Or, vous nous amenez un baume ce matin. C'est un problème que nous avons constaté au cours de nos séances, et vos propos nous réconfortent. Sur ce, je passe la parole au sénateur Mercer.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Monsieur Deaton, vous avez parlé de location de terres et souligné le fait que votre étude de marché révélait qu'un peu plus de 30 p. 100 des terres agricoles sont visées par le marché locatif. De quelle superficie de terre parle-t-on? De combien d'hectares s'agit-il?

M. Deaton : Je ne sais pas. C'est une information que j'ai obtenue de Statistique Canada. L'information figure dans le rapport auquel vous aurez accès. Je ne me rappelle pas exactement combien Statistique Canada indique qu'il y a d'acres de terres agricoles, mais vous pourriez multiplier ce chiffre. Pour fournir des renseignements un peu plus détaillés sur ce montant, environ 21 p. 100 des terres sont des terres privées, et 13 p. 100 sont des terres louées par le gouvernement.

Le sénateur Mercer : Selon vous, est-ce une situation dont il faudrait se préoccuper?

M. Deaton : Laquelle?

Le sénateur Mercer : Le fait que plus de terres agricoles soient maintenant visées par le marché locatif plutôt qu'appartenir directement aux agriculteurs.

M. Deaton : Non.

Le sénateur Mercer : C'est une réponse plutôt simple. Votre réponse est-elle fondée sur le fait que c'est une façon de s'assurer que la terre continue d'être cultivée plutôt qu'être tout simplement sortie du cycle de production?

M. Deaton : Je ne vois pas en quoi ces arrangements ne seraient pas mutuellement bénéfiques. Dans l'un des rapports auxquels vous aurez accès, nous constatons que de plus en plus de gros producteurs sont les principaux responsables d'une importante part de la production alimentaire qu'on retrouve dans les épiceries ont tendance à louer plus de terres.

Ce qui se passe, d'après moi, c'est qu'ils ont ainsi l'occasion d'investir une plus grande part de leur richesse pour faire l'acquisition de terres et réaliser des économies d'échelle, au besoin, grâce à la location de terres, ce qui fait en sorte qu'ils n'ont pas à mettre tous leurs œufs dans le même panier.

Le sénateur Enverga : J'ai appris beaucoup de choses au sujet des terres agricoles. Vous avez tous les deux des préoccupations au sujet de l'accessibilité et du coût des terres agricoles en raison de la spéculation foncière.

Le gouvernement devrait-il adopter une loi pour contrôler ou décourager la spéculation foncière de façon à protéger les nouveaux ou les vrais agriculteurs qui assurent la sécurité alimentaire et favorisent des aliments à faible coût? Est-ce quelque chose que nous devrions faire au sein du gouvernement, de façon à ce que la terre soit disponible pour les agriculteurs? Devrions-nous peut-être aussi contrôler l'empiétement des zones urbaines sur nos terres agricoles?

M. Deaton : Il y a des lois. Actuellement, la plupart des terres agricoles en Ontario sont zonées à des fins agricoles. Ce sont les municipalités qui peuvent changer l'utilisation de ces terres à des fins non agricoles. Il y a aussi des lois sur les ceintures vertes, comme celle qui entoure Toronto. En théorie, ces lois sont conçues pour que l'on puisse s'assurer que les terres agricoles près des zones urbaines continuent de servir à l'agriculture.

Il y a des politiques foncières actuellement en place qui établissent le caractère agricole de certaines terres, et il y a des politiques qui tentent de les renforcer. Demandez-vous s'il devrait y avoir une loi fédérale?

Le sénateur Enverga : C'est exact, une loi fédérale.

M. Deaton : Si je ne sais pas exactement quelle loi vous voudriez mettre de l'avant, je ne crois pas pouvoir vous répondre de façon instructive.

M. Thériault : Mon collègue a mentionné que le Québec a adopté des règles assez strictes en ce qui a trait à la propriété des terres. La province a aussi des règles strictes en matière d'aménagement du territoire.

Serait-il pertinent de s'assurer que nos terres sont protégées et que les terres agricoles sont seulement utilisées à des fins d'agriculture? Selon moi, tout à fait. Devrions-nous garantir l'accès à des terres agricoles aux nouveaux agriculteurs? Nous pourrions probablement mettre en place des mesures pour faciliter l'intégration des jeunes agriculteurs afin qu'ils puissent s'établir. Pour ce qui est de mettre en place de nouvelles lois, je ne suis pas convaincu qu'il faudrait en adopter pour limiter la nature des transactions foncières entre agriculteurs.

Le sénateur Enverga : Et qu'en est-il des personnes qui achètent des terres agricoles, mais qui ne les utilisent jamais? Est-ce une situation que vous avez rencontrée? Devrions-nous contrôler ce type de spéculation foncière?

M. Thériault : J'ai vu des cas où des personnes investissaient dans les terres agricoles en vue de leur retraite. Je ne crois pas qu'il y a quoi que ce soit de mal au fait d'acheter des terres agricoles qui seront exploitées à l'avenir. Il pourrait probablement y avoir des façons de s'assurer que les terres agricoles sont actuellement utilisées et louées jusqu'à ce que ces personnes soient prêtes à s'adonner à l'agriculture à temps plein.

M. Deaton : Je ne sais pas à quel point cette tendance est importante. Une bonne partie des terres qui sont achetées par des investisseurs institutionnels sont ensuite louées à d'autres agriculteurs.

Le sénateur Woo : C'est une convergence d'enjeux intéressante que vous soulevez tous les deux. Je veux obtenir des précisions sur vos positions relativement à un certain nombre d'enjeux et cerner certains des principes sous-jacents pour nous aider à répondre à la question précise qui a été posée au comité.

Qu'est-ce qui cause l'augmentation des prix des terres agricoles? Sur la question des causes des augmentations des prix des terres agricoles, monsieur Deaton, vous avez dit clairement qu'il y avait de multiples facteurs.

Est-ce que les faibles taux d'intérêt et l'augmentation du prix des marchandises de base sont les principales raisons qui expliquent l'augmentation des prix des terres agricoles, un plus petit pourcentage de l'augmentation étant attribuable à la diversité régionale? J'aimerais aussi savoir, monsieur Thériault, ce que vous pensez de l'augmentation des prix des terres agricoles.

La question connexe concerne le rôle des investisseurs institutionnels en tant que cause majeure de l'augmentation des prix des terres agricoles. M. Deaton a dit clairement qu'ils ne jouaient pas un rôle majeur, mais j'aimerais obtenir des précisions à ce sujet.

Croyez-vous que les investisseurs institutionnels jouent un rôle en répondant aux besoins en capitaux dans le domaine agricole, qui est de plus en plus exigeant en investissements? La question connexe est celle des investisseurs institutionnels étrangers. Selon vous, ces intervenants devraient-ils jouer un rôle dans notre marché agricole? Dans quelle mesure jouent-ils déjà un rôle au sein de l'agriculture canadienne?

Monsieur Deaton, vous nous avez offert une estimation très basse de la présence des investisseurs étrangers, tandis que vous, monsieur Thériault, dans votre lettre ouverte, vous semblez tout à fait contre les investisseurs étrangers. J'aimerais comprendre votre position à la lumière des estimations actuelles des investissements étrangers. Pourquoi vous inquiétez-vous — pour ainsi dire — de la couleur de l'argent?

Je crois qu'il est plus important de s'assurer de poursuivre la production sur les terres agricoles et de s'assurer que les agriculteurs les exploitent, peu importe à qui les terres appartiennent.

M. Thériault : Pour ce qui est des causes expliquant la valeur des terres agricoles, je souscris totalement aux arguments de mon collègue au sujet des faibles taux d'intérêt et des bons prix obtenus par les grains. J'ai parlé de l'incidence des quotas au Québec et en Ontario, où les producteurs ont eu l'occasion d'investir dans des terres agricoles.

En ce qui a trait aux investisseurs institutionnels étrangers, ce n'est pas que je ne crois pas à la couleur de l'argent. Selon moi, c'est davantage lié au fait que, au Canada, on pratique une agriculture de type nordique. Je ne crois pas qu'il est aussi intéressant pour des investisseurs étrangers qui vivent dans des pays pouvant produire des cultures à l'année de venir investir, dans des terres agricoles, ici.

Les investisseurs institutionnels, qu'ils soient locaux, nationaux ou étrangers, ont le même objectif ultime. S'il y a de l'argent à faire sur une terre agricole, la tentation d'investissement sera là. Au bout du compte, le résultat sera le même, qu'il s'agisse d'investisseurs institutionnels locaux ou étrangers.

Le sénateur Woo : Pourquoi dites-vous qu'il faut lutter contre les capitaux étrangers? Peut-être que la traduction anglaise de la lettre ouverte publiée dans La Presse est mauvaise, mais, dans le dernier paragraphe, vous parlez du besoin de lutter contre les capitaux étrangers.

M. Thériault : Je voulais dire que les terres agricoles doivent être utilisées pour nourrir les gens.

Le sénateur Woo : Je suis d'accord.

M. Thériault : Par conséquent, si nous avons des terres agricoles au Canada, nous devrions les utiliser pour nourrir les Canadiens. Si des investisseurs étrangers veulent investir et louer des terres aux Canadiens, mon argument ne tient plus la route.

M. Deaton : Je suis d'accord. Nous utilisons les terres agricoles pour nourrir les gens de toutes sortes de façons. Nous exportons une grande quantité de notre production agricole. C'est important, mais je n'ai peut-être pas abordé cet aspect des choses. Nous utilisons nos terres agricoles de façon entrepreneuriale dans la mesure où les agriculteurs qui veillent à leur intérêt l'ont fait de façon bénéfique, pour eux et pour l'ensemble du pays.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à M. Thériault. Vous avez parlé des occasions qui se présentent lorsqu'un producteur loue ses terres pour bénéficier des capitaux tout en conservant le droit de la cultiver. J'imagine que ce droit est temporaire et qu'il est renouvelable à un certain prix. Avez-vous le profil des personnes qui s'intéressent à ce genre d'investissement? Croyez-vous que cette façon de faire sera spéculative dans le temps?

M. Thériault : Je n'ai pas le profil des investisseurs qui achètent ces terres. Selon mon expérience, les producteurs qui sont tentés d'adopter ce modèle-là sont souvent des producteurs dont la relève agricole est incertaine. Ils décideront de se désinvestir tout de suite d'une partie de leur entreprise en vue de leur retraite tout en continuant de l'exploiter. Un producteur qui arrive au début de la soixantaine peut être entièrement satisfait d'une location de terre pendant 20 ans, même si plusieurs producteurs agricoles semblent croire qu'ils sont éternels.

Le sénateur Dagenais : Dans la région où je travaillais il y a plusieurs années, je connaissais des agriculteurs qui avaient vendu leurs terres tout en conservant le droit de la cultiver, ce qui leur assurait une retraite confortable. Par contre, la question de la relève était plutôt incertaine.

M. Thériault : Il y a aussi des cas inverses où les producteurs agricoles doivent arrêter de produire par manque de relève et louer leurs terres à d'autres producteurs. C'est d'ailleurs une tendance plus fréquente du point de vue de la location de terres entre producteurs.

La sénatrice Tardif : J'aimerais évoquer un commentaire qu'a fait une représentante de la Fédération de la relève agricole du Québec, qui a proposé un dispositif de priorités pour la vente des terres agricoles. D'abord, les terres seraient offertes en priorité à la relève, puis aux agriculteurs déjà en production, et ensuite aux autres intervenants. À votre avis, ce dispositif serait-il efficace au Canada?

[Traduction]

M. Deaton : Cela risque de n'être pas efficient, dans la mesure où un acheteur compétitif pourrait être plus productif. Si on garantit la terre à la prochaine génération dans le cadre du processus de soumissions, si la personne n'est pas aussi productive que celle qui, sinon, aurait obtenu la terre, je ne crois pas qu'il soit efficient de procéder ainsi du point de vue de l'efficience et de la maximisation des avantages nets.

[Français]

M. Thériault : Si l'on envisage l'entreprise agricole comme une entité commerciale, je crois qu'on risque d'avoir une perte d'efficacité si on donne une priorité absolue à la relève agricole. Cependant, si on décide de donner la priorité aux gens en production ou en voie d'entrer en production plutôt qu'à d'autres intervenants, pourquoi un producteur déjà en place n'aurait-il pas la même chance d'acheter la terre de son voisin qu'une relève qui désire s'y établir? C'est la sous- question soulevée par la position de la Fédération de la relève agricole.

La sénatrice Tardif : Alors, vous n'appuyez pas cette position.

M. Thériault : Non.

La sénatrice Gagné : Vous avez tous les deux fait référence à une politique publique. Au nom du comité sénatorial, nous souhaitons tout de même formuler certaines recommandations au gouvernement.

Monsieur Thériault, dans votre article paru dans La Presse, au dernier paragraphe, vous avez mentionné qu'il serait important d'élaborer une politique agricole nationale claire et efficace. J'aimerais que vous me décriviez les éléments d'une politique agricole nationale efficace.

M. Thériault : Mes propos me rattrapent. À l'heure actuelle, certaines provinces ont en place des règles pour encadrer l'acquisition des terres. Ce que je voulais dire par mon commentaire, sans entrer dans les champs de compétence provinciale actuels, c'est que le gouvernement prenne une direction à l'échelle nationale pour mieux orienter la façon dont les lois sont appliquées d'une province à l'autre. En Ontario, n'importe qui peut acheter des terres agricoles, tandis que le Québec impose des restrictions sur la période de résidence, sur la superficie. C'est le cas d'ailleurs à l'Île-du-Prince-Édouard. Mon intervention dans La Presse, au dernier paragraphe de mon article du moins, portait surtout sur le fait que si le gouvernement fédéral décide d'intervenir dans le processus d'acquisition des terres, il faudrait que ce soit dans le cadre de concertations avec les provinces pour voir s'il serait possible d'établir une ligne directrice entre les différentes provinces.

La sénatrice Gagné : Merci.

[Traduction]

Je crois que vous avez mentionné des enjeux stratégiques et dit que vous étiez probablement prêt à discuter d'une gamme d'autres enjeux stratégiques supplémentaires, y compris le zonage, les ceintures vertes et les besoins en matière de collecte de données.

Pouvez-vous nous expliquer brièvement ce que vous pensez de ces enjeux stratégiques supplémentaires?

M. Deaton : J'ai déjà abordé la question du zonage plus tôt. Le zonage sous-jacent est l'une des politiques permettant de déterminer si des terres restent dans le milieu agricole, peu importe qui en est propriétaire. C'est habituellement quelque chose qui peut être changé à l'échelon municipal, mais il y a des règles provinciales qui ont préséance. C'est important de ne pas l'oublier, parce que des terres agricoles peuvent changer de main, mais le zonage sous-jacent qui détermine de quelle façon la terre peut être utilisée reste le même. C'est une dimension des politiques qui est liée à des choses comme la ceinture verte.

Il ne faut pas oublier que la majeure partie des gens vivent dans les villes. Les villes ont des effets agglomérants immenses. C'est normal pour ces endroits de vouloir transformer des terres agricoles en zones résidentielles urbaines. C'est toujours quelque chose dont il faut tenir compte au moment d'évaluer la valeur des fermes et la valeur de l'hébergement dans les zones quasi urbaines.

Un enjeu important à ne pas oublier, c'est que les gens ont tendance à commencer à spéculer rapidement lorsqu'il n'y a pas de bonnes données sur un dossier quelconque, comme l'achat par des étrangers de terres agricoles et de forêts, comme on peut le voir aux États-Unis. Je ne peux pas dire avec certitude que je sais ce dont il s'agit. Je peux vous dire que, aux États-Unis, où ils recueillent des données, très peu de terres appartiennent à des intérêts étrangers, et les Canadiens sont les principaux propriétaires étrangers.

Un des rôles des politiques pourrait être de soutenir une bonne collecte de données à cet égard afin de préciser quels sont les enjeux afin que nous puissions les régler s'ils deviennent plus préoccupants.

La sénatrice Beyak : Ma question est similaire à celle de la sénatrice Gagné. Pouvez-vous me faire part de vos idées sur un cadre qui permettrait au gouvernement fédéral de travailler en collaboration avec les provinces et les municipalités pour permettre une telle chose? Croyez-vous qu'il faudra créer un comité ou un groupe de travail?

M. Deaton : Vous voulez dire par rapport à la collecte de données?

La sénatrice Beyak : Non, une stratégie sur l'utilisation des terres. Les provinces et les municipalités contrôlent ce dossier actuellement. Vous avez tous les deux laissé entendre que le gouvernement fédéral devrait avoir un rôle à jouer dans un cadre.

M. Deaton : Je ne me rappelle pas l'avoir fait.

La sénatrice Beyak : Je croyais vous avoir entendu le dire dans votre dernier commentaire, lorsque la sénatrice Gagné vous a posé des questions au sujet de vos politiques. Dans ce cas-là, je vais laisser M. Thériault répondre. De quelle façon un cadre pourrait-il fonctionner selon vous?

M. Thériault : Je verrais cela comme un genre de groupe de travail. Il serait important pour les provinces de s'entendre sur le niveau de contrôle — si nous voulons appeler cela du contrôle — qu'ils veulent établir. S'assurer que les terres agricoles continuent à servir à des fins d'agriculture devrait assurément être une des principales priorités au bout du compte, tout comme limiter l'expansion urbaine jusqu'à un certain point, puis se pencher sur la question de la propriété des terres. Je crois vraiment que les agriculteurs sont l'un des principaux facteurs qui influent sur les prix des terres agricoles.

Le sénateur Oh : Vous pourriez peut-être tous les deux formuler quelques commentaires. Puisque les conditions climatiques en Ontario et dans le nord de la Chine sont très similaires, on m'a dit qu'un projet pilote allait être réalisé dans le cadre duquel on allait tenter de faire pousser du riz en vue d'une consommation locale en Ontario et la réexportation de la majeure partie de la production en Asie. Qu'en pensez-vous?

M. Deaton : Je ne connais pas ce projet, mais je peux dire que le Canada exporte constamment des produits agricoles en Chine. Essentiellement, je verrais cette initiative d'un œil similaire. Cette idée d'expérimenter avec de nouvelles cultures pouvant être rentables pour les agriculteurs était excellente, mais je ne connais pas ce projet précis.

M. Thériault : Je ne connais pas cette initiative non plus, mais je suis d'accord avec mon collègue : le Canada est un important exportateur de produits alimentaires et, par conséquent, nous devrions faire pousser du riz aux fins d'exportation, si possible.

Le sénateur Oh : Croyez-vous que la coopération dans le cadre du développement agricole serait une bonne chose pour nos exportations et notre production alimentaire?

M. Thériault : Je ne connais pas assez bien cet enjeu pour faire une déclaration claire à ce sujet, alors je vais m'abstenir de répondre.

M. Deaton : Je suis dans une position similaire.

Le sénateur Oh : Je reviendrai avec plus de détails.

[Français]

Le président : J'ai quelques questions pertinentes à poser. Le Québec et l'Île-du-Prince-Édouard appliquent la loi la plus sévère en matière de protection du territoire agricole. Au cours des années 1980, j'ai participé, au sein d'un autre Parlement, aux débats sur la question de la protection agricole, avec le ministre Garon, à l'époque. Il y avait un vide dans la loi en matière de dézonage agricole. C'est encore le cas aujourd'hui. Les municipalités, par l'intermédiaire des municipalités régionales de comtés, peuvent demander le dézonage agricole d'un terrain d'arbres fruitiers pour la construction d'immeubles.

Le pire ennemi des terres agricoles productives, c'est l'étalement urbain. À Montréal, l'étalement urbain est presque rendu à Saint-Hyacinthe. Pourtant, ce sont des terres agricoles extraordinaires. C'est la même chose à Toronto et à Vancouver. Le gouvernement du Canada ne devrait-il pas appliquer des lignes directrices à l'échelle provinciale afin de limiter le plus possible l'étalement urbain? On réaliserait des économies sur les coûts de service et on sauverait de bonnes terres agricoles.

Je peux vous donner un exemple de mon expérience personnelle. J'ai fait construire une maison dans la ville de Beauport en 1986. J'étais le seul dans le champ des vaches. Ma petite dernière sortait sur la galerie le matin, et les vaches s'approchaient. C'était l'une des meilleures terres agricoles. Aujourd'hui, il y a un pâté de 400 maisons et une école primaire sur ce terrain. Où s'arrêtera l'étalement urbain? Le Québec se targue d'avoir la loi la plus sévère. Pourtant, cette loi ne donne pas les résultats escomptés. Lorsqu'on arrive à Montréal et à Toronto par avion, on peut le voir. C'est frappant. Le gouvernement du Canada ne devrait-il pas s'entendre avec les provinces pour adopter une loi sur le dézonage agricole? Je vous pose la question.

[Traduction]

M. Deaton : J'ai l'impression que, dans une certaine mesure, vous êtes dans la meilleure position possible pour répondre à la question.

Le gouvernement fédéral pourrait-il faire ce travail main dans la main avec les provinces? Permettez-moi de formuler certaines observations qui pourraient être utiles au moment de réfléchir à la question de l'étalement urbain, qui doit aussi être abordée.

Il y a les deux côtés de la médaille. Lorsqu'on arrive par avion à Toronto, on voit l'étalement urbain, mais lorsqu'on repart en avion et qu'on regarde en bas, on voit beaucoup de terres agricoles, et c'est souvent surprenant. La majeure partie des gens, environ 90 p. 100, vivent en zone urbaine, sur le pourtour. Pour eux, le développement et l'étalement urbain sont un enjeu pressant.

Il y a quand même beaucoup de terres agricoles. À une époque, durant les années 1920, il y aurait eu plus de terres agricoles et beaucoup plus d'agriculteurs. De cette époque à maintenant, nous avons vraiment accru la production et il y a seulement environ 2 p. 100 de la population qui s'occupe de l'agriculture.

Il y aura des répercussions, peu importe ce qu'on jugera approprié. Il y a toujours des gagnants et des perdants. Si nous conservons les terres agricoles aux abords des centres urbains grâce à une directive, alors ce pourrait être les agriculteurs qui constateront une diminution de la valeur des terres qui perdront au change dans la mesure où cela aura un effet sur les prix des terres en zone urbaine. C'est aussi une question qu'il faut se poser.

[Français]

Le président : N'oubliez pas que l'agriculture s'est beaucoup mécanisée au cours des 50 dernières années. On peut rapetisser les terres pour avoir une meilleure production, mais on ne pourra pas enlever les maisons, les édifices et les autoroutes. On ne fera pas le tour avec les tracteurs et les poules n'iront pas couver sur les autoroutes. On n'est pas rendu là. L'étalement urbain, qu'on le veuille ou non, enlève des terres agricoles productives. Notre comité est inquiet pour l'avenir. Qu'arrivera-t-il dans 10, 15 ou 20 ans?

Les jeunes ont déjà de la difficulté à acquérir des terres agricoles en raison de diverses circonstances, que ce soit la spéculation ou le transfert agricole. De plus, on réduit leur superficie de terrains cultivables. Je ne sais pas si vous étiez au courant, mais des scientifiques du gouvernement fédéral nous ont dit que les terres étaient cotées d'un à sept. Le chiffre sept représente la grande superficie.

Notre comité doit remettre un rapport au gouvernement qui reflétera les préoccupations du monde agricole. L'agriculture ne fait pas l'objet de vives discussions au Canada en ce moment, parce qu'on vit dans l'abondance. Toutefois, le jour où il n'y aura plus de carottes à l'épicerie, ce sera la guerre et il sera trop tard. Il n'y aura plus de terrain pour cultiver des carottes. C'est aussi simple que cela. Les efforts qui sont déployés aujourd'hui le sont pour l'avenir. Nous devons soumettre un rapport au gouvernement, qu'il examinera pour ensuite nous donner une réponse. C'est grâce à des gens comme vous qui font des recherches constantes. Parlez haut et fort à votre entourage. Il faut que la population soit sensibilisée à cette réalité. Je vous remercie infiniment de vos témoignages.

Sénateur Woo, je vous demanderai d'être bref.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Pour revenir sur la déclaration du président, cela reflète une prémisse ou une thèse sous-jacente au témoignage de nombreux témoins et aux questions posées par les membres du comité.

La prémisse, c'est qu'il y aura neuf milliards de personnes sur la planète au milieu du siècle. Nous ne pourrons pas tous les nourrir. Le Canada devra peut-être être autosuffisant, parce qu'il n'y aura pas suffisamment de carottes ou d'autres végétaux pour tout le monde.

Pouvez-vous parler de la question de savoir si nous pouvons nourrir tous les habitants du monde? Y a-t-il suffisamment de productions agricoles pour nourrir tout le monde? Est-ce vraiment l'enjeu au sujet duquel il faut se préoccuper ou est-ce un genre d'enjeu lié à la distribution et à la commercialisation?

C'est une grosse question, mais elle est au centre de bon nombre des autres questions sous-jacentes que nous avons déjà posées.

M. Thériault : Vu nos rendements accrus et les technologies, nous pourrons produire assez de nourriture pour nourrir neuf millions de personnes. Ce ne sera pas un problème. L'enjeu, ce sera l'accès au marché pour ces personnes. Pourrons-nous transporter les aliments dans les marchés, et pourrons-nous amener les consommateurs jusqu'au marché?

M. Deaton : Je suis d'accord avec ce qui vient d'être dit. Tout dépendra aussi de la relation de confiance et des relations commerciales entre les pays afin de joindre ceux qui manquent d'aliments. Ce sera un aspect important en plus de la production. En fait, ce sera peut-être l'enjeu le plus difficile.

[Français]

Le président : Merci infiniment, messieurs. Bon retour.

[Traduction]

La séance est levée.

(La séance est levée.)

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