Aller au contenu
AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 24 - Témoignages du 2 mars 2017


OTTAWA, le jeudi 2 mars 2017

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 2, afin d'étudier l'acquisition des terres agricoles au Canada et les retombées potentielles sur le secteur agricole.

Le sénateur Ghislain Maltais (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour à tous, et bienvenue à la séance d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je suis le sénateur Maltais, président du comité.

Avant tout, j'aimerais demander aux sénateurs et aux sénatrices de se présenter.

Le sénateur Mercer : Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Beyak : Sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario.

[Français]

La sénatrice Tardif : Sénatrice Claudette Tardif, de l'Alberta.

La sénatrice Gagné : Sénatrice Raymonde Gagné, du Manitoba.

[Traduction]

La sénatrice Bernard : Sénatrice Bernard, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Woo : Bonjour. Sénateur Woo, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l'Ontario.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

Le sénateur Dagenais : Sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Aujourd'hui, le comité poursuit son étude sur l'acquisition de terres agricoles au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole.

[Français]

Nous avons le privilège, ce matin, de recevoir M. Juan Sacoto, vice-président directeur d'Informa Economics IEG.

[Traduction]

Il vient du Tennessee. Bienvenue à notre comité sénatorial, et merci d'être venu témoigner. Je sais que vous avez une déclaration préliminaire, alors je vous cède la parole.

Juan Sacoto, vice-président directeur, Informa Economics IEG : Bonjour à tous. Je tiens à remercier chaleureusement le président et les membres du comité de nous avoir invités à témoigner devant vous afin de vous exposer un peu mon point de vue et celui de mon entreprise, puisque nos activités concernent ces marchés.

Je vais commencer par vous présenter brièvement notre entreprise afin que vous puissiez comprendre notre position. Je travaille pour Informa Economics. Nous sommes une société mondiale de recherche et de consultation dont les activités sont axées exclusivement sur l'alimentation et l'agriculture. Depuis environ 40 ans, nous observons la plupart des marchés importants, en particulier aux États-Unis, puisque c'est là que se trouve notre siège social. Nous surveillons aussi la plupart des principaux marchés au Brésil, en Argentine, aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Europe ainsi que les marchés d'approvisionnement, entre autres la Chine et l'Inde. Nous recueillons beaucoup de renseignements d'un pays à un autre afin d'établir des comparaisons et de déterminer les liens entre les pays.

Nos activités courantes sont axées sur les terres agricoles. Nous étudions les terres agricoles et, dans le cadre de ce processus, nous fournissons des conseils aux agriculteurs et aux exploitants agricoles de grande et de très grande taille dans divers pays. Nous étudions aussi le financement, les institutions financières et le secteur de l'agro-entreprise en général. Voilà donc un peu de contexte pour que vous puissiez mieux savoir qui nous sommes.

Je vais essayer d'expliquer, du moins selon le point de vue de mon entreprise, pourquoi la valeur des terres agricoles canadiennes a augmenté. En outre, je vais aussi aborder la situation dans le reste du monde lorsque c'est nécessaire. Je vais également parler des difficultés que subissent les agriculteurs en général. Je vais m'en tenir à cela pendant mon bref exposé, puis je répondrai à vos questions avec plaisir.

Lorsqu'on étudie les raisons pour lesquelles la valeur des terres agricoles a augmenté dans toutes les régions du monde, on constate que les raisons et les facteurs sont similaires d'un pays à l'autre. Peu importe le pays observé, il y a un ensemble récurrent de facteurs qui ont mené à l'augmentation de la valeur des terres agricoles dans les pays d'approvisionnement aux quatre coins du monde, les pays qui produisent beaucoup de produits de base pour le monde entier.

Nous pouvons observer ce phénomène sur une longue période, mais rien qu'au cours des 10 dernières années, nous avons vu une augmentation sans précédent du prix des terres agricoles dans toutes les régions. Pour vous donner une idée — comme vous le savez, j'en suis sûr —, entre 2005 et 2015, le prix des terres agricoles au Canada a augmenté d'environ 142 p. 100 en moyenne. Il s'agit d'un taux de croissance composé d'environ 9 p. 100 par année. Si vous comparez ce taux entre les pays, il peut être soit plus élevé, soit plus bas.

Par exemple, au cours de cette période aux États-Unis, le prix des terres agricoles a augmenté d'environ 100 p. 100 seulement. Donc, le taux est d'à peu près 6 p. 100. En ce qui concerne le Brésil, par exemple, le prix varie beaucoup selon la région, alors il est difficile de faire une moyenne, mais certaines régions ont vu le prix augmenter au cours de cette période de 150 p. 100, et donc, de 200 et de 300 p. 100 dans certaines régions locales du Brésil où il y a eu beaucoup d'investissements. En Australie, selon la région, on peut voir le même genre d'augmentation.

Si on représentait les fluctuations du prix des terres agricoles au cours des 10 ou 15 dernières années dans un graphique, on verrait qu'il y a beaucoup de covariations entre les pays que j'ai mentionnés plus tôt. Cela montre clairement qu'il y a des interrelations.

À dire vrai, si on prend les terres aux États-Unis et au Canada au cours des 15 dernières années, on voit qu'il y a une très forte corrélation entre eux. C'est presque une corrélation parfaite. En statistique, on utilise le coefficient de corrélation — R au carré — afin de mesurer la liaison qui existe entre deux ensembles de données. Entre les États-Unis et le Canada, le coefficient de corrélation est de 95 p. 100, ce qui est pratiquement identique, sur les 10 dernières années.

Certains de ces facteurs sont très influencés par le reste du monde. Il y a un grand nombre de facteurs locaux qui créent des variations d'une région à une autre, mais dans une grande majorité, ce sont les facteurs globaux de l'offre et de la demande qui ont le plus grand impact. Je vais en reparler plus tard.

Selon moi, on peut répartir toutes les raisons expliquant l'augmentation du prix des terres agricoles en deux catégories. Je suis sûr que les autres témoins que vous avez accueillis vous en ont parlé. D'abord, la rentabilité des terres agricoles a augmenté considérablement dans tous les secteurs observables. Ensuite, il y a l'offre et la demande pour ces terres. Ce que nous avons constaté, c'est que la demande pour les terres agricoles — c'est un phénomène qui concerne plus particulièrement certaines régions, mais il est reflété dans les données nationales — a augmenté. Dans certains pays comme le Canada et les États-Unis, le nombre de terres agricoles est relativement limité. À dire vrai, il y a de moins en moins de terres agricoles chaque année à cause de l'expansion des villes et d'autres facteurs connexes. Donc, la plus petite augmentation dans la demande va se faire sentir, même si les effets sont plus visibles à l'échelle locale qu'à l'échelle nationale.

Selon moi, il est très simple de calculer la rentabilité d'une exploitation agricole. Envisagez la chose avec les récoltes comme point central : la rentabilité est égale au prix multiplié par le rendement de la culture moins le coût de production. Vous pouvez observer ces variables et suivre leur mouvement. Je le redis, c'est la même chose que l'on voit dans tous les pays. Le prix du produit est essentiellement le facteur principal qui influence la rentabilité des terres agricoles.

Pour mettre les choses en contexte, prenez les prix du blé en Amérique du Nord depuis 2005. J'ai choisi cet exemple parce que les dernières données que nous avons du Canada remontent à 2015, ce qui nous donne une période de 10 ans. Au cours de cette période, les prix du blé ont augmenté de 100 p. 100. Aujourd'hui, ils ont reculé de 45 p. 100 par rapport à 2004-2005, mais ils sont toujours plus élevés qu'à cette époque. Pour ce qui est du maïs, du soya, du canola, du grain et des oléagineux, les prix ont augmenté de jusqu'à 160 p. 100. Ils étaient alors plus élevés en 2011-2012, mais ils sont toujours aujourd'hui de 60 à 70 p. 100 plus élevés selon la mesure des prix utilisée. En quelque sorte, cette augmentation a été permanente, et c'est de loin le plus important facteur de l'augmentation des prix.

Donc, la question est de savoir ce qui influence les prix. S'agit-il de facteurs locaux ou de facteurs globaux? L'accroissement de la demande à laquelle nous avons assisté est probablement le principal facteur expliquant l'augmentation du prix. Au cours de cette période, nous avons eu une augmentation rapide et importante de la demande. Je veux mettre ces deux mots en relief : rapide et importante, parce que chacun a un impact.

Si on examine la situation plus en détail pour isoler la multitude de facteurs, on constate qu'il y a un grand nombre de facteurs locaux dans chaque pays, mais que la Chine est l'un des deux facteurs principaux. Depuis les 15 dernières années, la Chine influence tous les marchés dans le secteur de l'agriculture. On peut dire que c'est une constante. La Chine, l'Asie du Sud-Est et, dans une certaine mesure, les pays en développement qui consomment beaucoup d'aliments protéiques — de viande — depuis que leur économie se porte mieux ont contribué de façon assez importante à l'augmentation de la demande. Vous savez, pour produire une livre de poulet, il vous faut environ deux livres d'aliments pour animaux, c'est-à-dire du grain et des oléagineux. Vous voyez donc l'effet multiplicateur que cela entraîne lorsque les gens consomment davantage de viande, un effet multiplicateur qui, essentiellement, a une incidence sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement. La demande en grains augmente.

La croissance au cours des 10 dernières années a été considérablement plus importante que jamais auparavant. Il y a eu une augmentation de la croissance et de la demande qui avaient déjà commencé à faire gonfler les prix au début des années 2000. Donc, le facteur no 1 est le fait que la Chine et les pays en développement demandent davantage d'aliments protéiques.

Le second facteur concerne une nouvelle demande considérable, mais l'aspect essentiel tient à la rapidité avec laquelle on a répondu à cette demande. Je parle des biocombustibles. Les politiques en vigueur aux États-Unis, au Canada, en Europe et en Amérique du Sud relativement à la production de biocombustibles à partir des récoltes ont contribué à la création d'une nouvelle demande considérable sur le marché, une demande qui, en outre, a été comblée très rapidement. En cinq ans environ, il y a eu des lois exigeant que la production augmente dans une assez grande mesure. Le côté de l'offre — le côté de la production au Canada, aux États-Unis et au Brésil, entre autres, n'a pas pu suivre le mouvement.

Que la production de biocombustibles se fasse aux États-Unis ou en Europe, cela n'a pas d'importance. Les effets se font ressentir de la même façon dans tous les pays, parce qu'il faut de l'huile de soya pour produire du biodiesel, que le produit vienne du Brésil ou d'ici. On utilise la même chose. L'interrelation dans le marché agricole donne le résultat que nous connaissons.

Un autre facteur qui a une influence sur les prix — l'augmentation des prix, la rentabilité des exploitations agricoles et le prix des terres agricoles —, à une échelle plus locale, est le taux de change. Cela s'applique particulièrement au Canada et au Brésil. Voyez-vous, les taux de change en vigueur dans les deux pays ont contribué à améliorer les prix locaux. Avec de plus hauts prix locaux, la rentabilité de l'exploitation agricole augmente, de même que le prix des terres agricoles.

Par exemple, en 2015, l'augmentation d'environ 9 p. 100 du prix des terres agricoles au Canada a été très médiatisée. Si on aborde la question en mettant l'accent sur la valeur du dollar américain, on peut éliminer le taux de change de l'équation, on constate que le prix des terres agricoles en 2015 a véritablement diminué de 6 p. 100. Tout est pratiquement une question de taux de change : la différence entre l'augmentation de 9 p. 100 en dollars canadiens et la diminution de 6 p. 100 en dollars américains.

La situation est similaire au Brésil. Même si l'investissement y est plus important, la croissance n'est pas aussi rose lorsqu'on fait l'équivalence en dollars américains. Certains pays sont favorisés par cela : le taux de change entre leur devise et le dollar américain a influencé les prix intérieurs ainsi que les prix des terres agricoles.

Les gens se demandent parfois pourquoi tout tourne autour du dollar américain. Voyez-vous, le prix de tous les produits de base est exprimé en dollars. Il y a bien sûr un peu de variations selon le taux de change — cela a une influence, bien sûr —, mais puisque le prix est en dollars américains, un agriculteur dont les coûts de production sont en dollars canadiens recevra plus d'argent pour sa récole si le dollar canadien perd de sa valeur. Donc, voilà pourquoi nous utilisons le dollar américain comme référence : simplement parce que tous les prix sont plus ou moins rattachés à la valeur du dollar américain.

Pour ce qui est de la rentabilité, j'ai mentionné que la rentabilité d'une exploitation agricole repose sur le rendement des cultures. On a vu, au Canada et à peu près partout dans le monde, quels sont les effets liés au rendement des cultures, mais c'est un effet mineur relativement au prix. Je vous explique : au Canada, de 2005 à 2015, le rendement des récoltes a augmenté de 10 à 15 p. 100, ce qui a eu un effet correspondant sur la rentabilité. Cela veut dire que les prix ont le plus d'effet. Le rendement des récoltes a un effet continu sur la rentabilité, parce qu'on peut s'attendre à ce que le rendement des récoltes augmente de 1 à 2 p. 100 annuellement, puis on peut dire que les prix de la demande, pour une année sans changement, augmentent autant. Il y a un effet, mais il n'est pas important.

Je ne veux pas trop m'attarder sur les coûts de production. Je peux répondre à vos questions à ce sujet, mais il ne s'agit pas vraiment d'un facteur.

Il y a aussi la demande de terres agricoles. C'est également un facteur en cause. Même s'il semble que cela a été un facteur important au Canada, la demande a eu un effet beaucoup plus important au Brésil, en Uruguay, en Europe de l'Est et en Ukraine, et dans certains des pays où il y a une gestion de l'offre, d'autres pays, l'Australie, par exemple, et la Nouvelle-Zélande, qui attirent beaucoup d'investisseurs étrangers.

Des phénomènes très similaires expliquent l'augmentation de la demande au Canada et aux États-Unis. Essentiellement, il y a trois facteurs, trois causes principales. Nous avons beaucoup d'agriculteurs qui, disons, ont beaucoup de liquidités, avec des exploitations agricoles qui fonctionnent bien. Certains agriculteurs qui ont fait beaucoup de profits et qui ont beaucoup d'argent vont même acheter les terres de leurs voisins. Il arrive même parfois qu'ils achètent ces terres à un prix plus élevé parce qu'ils savent qu'ils pourront en tirer un plus grand profit qu'une autre personne qui se trouve à quelques kilomètres. Cela a contribué à l'augmentation de la demande. Les agriculteurs ont de l'argent, et ils en tirent parti.

Les profits engendrés par l'agriculture sont un autre facteur. Nous en avons été témoins dans notre secteur il y a une dizaine d'années. Les profits engendrés rendent l'agriculture très intéressante pour le secteur financier. Tout à coup, le secteur financier a commencé à vouloir investir dans l'agriculture, parce qu'il a réalisé que c'était rentable. Selon lui, c'est comme le marché des obligations pendant une période où les taux d'intérêt sont bas : tout d'un coup, investir dans les terres agricoles est plus intéressant que toutes les autres options. C'est pourquoi il y a davantage d'investissements dans les terres agricoles.

Encore une fois, les acteurs sont similaires aux États-Unis et au Canada. Il y a des fonds de placement, des fonds de pension et des compagnies d'assurance. Au Brésil et en Australie, il y a aussi des sociétés de financement par capitaux propres, qui ont évidemment beaucoup plus d'influence dans ces pays sur l'acquisition de terres non agricoles.

Pour terminer, j'aimerais aborder la façon dont ces facteurs causent des difficultés pour les agriculteurs. Je sais que c'est l'un des problèmes. Je vais vous donner un exemple pour terminer. Au Canada, une exploitation agricole moyenne fait 315 hectares. Si vous êtes un nouvel agriculteur qui veut une exploitation agricole de taille moyenne, vous allez probablement investir environ 845 000 $ CA. Et cela, c'est peu si voulez vraiment gagner votre vie. Juste les terres, c'est très difficile à financer. Vous avez besoin de fonds d'exploitation et d'immobilisations. C'est difficile pour un nouveau venu de trouver le financement nécessaire. C'est probablement la conséquence ou l'obstacle principal occasionné par la hausse des prix. Cela ne veut toutefois pas dire que la plupart des agriculteurs sont contents de voir une hausse des prix parce qu'ils savent que leurs prix vont augmenter, mais c'est sous-entendu. Il y a beaucoup d'autres difficultés, mais c'est surtout ce dont nous parlent les agriculteurs. Comment puis-je emprunter 1 million de dollars quand je n'ai même pas un autre emploi?

Je crois que j'ai dit tout ce que j'avais à dire. Maintenant, je suis prêt à répondre à toutes vos questions.

Le président : Merci, monsieur Sacoto. Nous allons commencer la période de questions.

Le sénateur Mercer : Je ne peux m'empêcher de penser que notre comité a fait beaucoup de chemin. Il est aujourd'hui question d'agriculteurs qui ont beaucoup de liquidités et de leur relation avec le marché des obligations, et cetera. Ce n'est pas habituellement le genre de conversation que nous tenons, mais c'est approprié, vu que notre étude porte particulièrement sur l'acquisition des terres agricoles.

Vous avez mentionné au début de votre exposé l'augmentation au Brésil. À titre informatif, je crois — et corrigez- moi si je me trompe — que cette augmentation comprend la déforestation de la forêt tropicale afin d'utiliser les terres pour la production agricole. Est-ce exact?

M. Sacoto : Oui, c'est exact. Certaines parties de la forêt tropicale sont utilisées à cette fin, même si certaines régions au nord-est ne font pas vraiment partie de la forêt tropicale. Ce sont des terres qui n'ont pas été mises en valeur. Ce n'est pas la forêt tropicale qu'on voit à la télévision. Il faudra déployer des ressources pour certaines de ces terres. Dans une certaine mesure, la déforestation de la forêt tropicale continue à cette fin, mais il y a aussi beaucoup de terres qui sont seulement des pâturages, pas vraiment la forêt tropicale dans le sens où on l'entend.

Le sénateur Mercer : Je veux vérifier si je comprends bien votre théorie sur l'augmentation du prix des terres agricoles. Un des facteurs est l'augmentation du prix des produits de base comme le blé, les grains, le maïs ainsi que celle du taux de change, de la demande chinoise, et, bien évidemment, il y a aussi le bon vieux concept de l'offre et de la demande.

M. Sacoto : Oui.

Le sénateur Mercer : Parmi tous ces facteurs, lequel est le plus variable?

M. Sacoto : Avec le recul, je me dis que c'était probablement la demande soudaine de biocarburant qui s'est accrue tout d'un coup et rapidement. Le marché a été perturbé. La demande chinoise augmentait très rapidement, mais à un rythme stable, je crois. Ça, c'est pour la demande.

J'ai oublié de mentionner plus tôt que les circonstances étaient parfaitement inopportunes en 2012, 2013 et 2014. Trois années de suite, il y a eu des conditions météorologiques défavorables à un endroit ou à un autre dans le monde, et cela a eu un impact sur les prix. Si ça n'avait été que de cela, les prix auraient descendu un peu plus tôt qu'ils ne l'ont fait. Autre facteur qui a eu une influence : les mauvaises conditions météorologiques pendant cette période d'augmentation. La demande était très forte, et en plus, les conditions météorologiques étaient mauvaises trois années de suite.

Le sénateur Mercer : Selon vous, la demande en biocombustible est-elle principalement liée au maïs?

M. Sacoto : La demande était principalement liée au maïs, parce que c'était pendant une période de quatre ou cinq ans où les objectifs étaient très élevés, alors il fallait faire venir le maïs, l'huile de soya et le colza d'Europe. On faisait aussi venir du soya du Brésil et de l'Argentine.

Le sénateur Mercer : D'ici 2050, il y aura neuf milliards de personnes sur la planète, et nous allons devoir trouver une façon de tous les nourrir. Les gens qui ont faim sont des gens mécontents, et les gens mécontents troublent l'ordre et provoquent des guerres, et cetera.

Je sais que votre entreprise adopte un point de vue mondial. Je veux donc — c'est ma dernière question — savoir comment nous pourrions, selon vous, acquérir davantage de terres agricoles et les exploiter afin de pouvoir répondre à la demande d'ici 2050?

M. Sacoto : C'est une excellente question. Je peux y répondre en deux parties. Pour ce qui est d'acquérir davantage de terres, il y a seulement quelques régions dans le monde où de nouvelles terres pourraient faire une véritable différence, et l'Amérique du Nord n'est pas un de ces endroits. Vous ne pouvez pas exploiter assez de nouvelles terres en Amérique du Nord pour faire une différence. Il y a toutefois le Brésil et l'Afrique, et aussi l'Europe de l'Est, où il y a un peu de terres qui n'ont pas encore été exploitées. Mais, essentiellement, c'est au Brésil et en Afrique. C'est là qu'on pourra exploiter davantage de terres agricoles.

Comment vous vous y prenez, cela repose essentiellement sur une question de prix. La seule raison pour laquelle on n'a toujours pas exploité une proportion supplémentaire de 10 p. 100 des terres brésiliennes est que le prix pour ces produits de base actuellement n'est pas assez élevé. Cela coûterait plus cher de nettoyer la terre, de l'exploiter et de transporter le produit. C'est la seule raison. L'incitatif viendra avec l'augmentation des prix.

Si l'on prend les 40 dernières années, on peut observer le facteur de croissance pour la production alimentaire. Essentiellement, cela correspond à un peu plus de 80 p. 100, et cela est attribuable au rendement des terres, pas à un plus grand nombre de terres exploitées. Il y a un graphique que je pourrais vous envoyer. Cela ne fait pas seulement quatre ans que ce problème, selon lequel on doit nourrir un grand nombre de gens, existe.

Essentiellement, la production à l'échelle locale repose sur le rendement des terres. À l'échelle mondiale, il y a davantage de terres exploitées, mais pas beaucoup. L'expansion s'est surtout produite au cours des 10 dernières années, parce que les prix étaient très favorables, alors les agriculteurs commençaient à exploiter davantage de terres marginales.

D'ici à 2050, vous pouvez toujours essayer d'exploiter davantage de terres agricoles, mais la véritable difficulté sera de maintenir le rendement. Il va falloir qu'il réponde à la demande. L'Amérique du Nord devrait bien s'en sortir, parce que ses terres ont un bon rendement, et vous pouvez toujours l'augmenter.

Le sénateur Oh : Je vous remercie d'être ici.

J'ai une question qui ressemble à celle du sénateur Mercer. Vu les marchés émergents en Asie et dans d'autres parties du globe et la classe moyenne grandissante dans ces pays, je crois que la production agricole a également augmenté afin de répondre à la demande de cette classe moyenne. Il y a un rapport publié en 2012 où il est question de l'expansion de la classe moyenne dans les pays et les marchés émergents. Croyez-vous que la valeur des terres agricoles va augmenter de façon importante à l'échelle mondiale à cause de la demande provenant de la classe moyenne par rapport aux questions environnementales et à la production alimentaire?

M. Sacoto : Excellente question. La réponse est sensiblement la même, puisque l'augmentation, essentiellement, tient aux difficultés liées à la productivité. Si le rendement des récoltes principales peut répondre à la demande, alors nous n'aurons pas à exploiter davantage de terres, et, ironiquement, il n'y aura pas une hausse aussi importante des prix. Si vous évitez d'exploiter davantage de terres, alors l'augmentation du prix des terres agricoles demeure stable.

Mais s'il est impossible de maintenir le rendement — il incombe aux entreprises dans le secteur des semences et de l'agrochimie de mettre au point de nouvelles technologies que les agriculteurs devront utiliser —, alors nous allons devoir exploiter davantage de terres, ce qui fera augmenter les prix et entraînera d'importantes conséquences sur le plan environnemental, et tout le reste.

Le sénateur Oh : D'après ce que je comprends, les pays émergents sont également en train d'accélérer leur production alimentaire. Des gens de ces pays sont déjà venus au Canada à divers moments afin d'apprendre comment augmenter le rendement de leurs exploitations agricoles.

M. Sacoto : Oui, c'est vrai. Bon nombre de pays, comme la Chine, ont une grande marge de manœuvre pour ce qui est d'améliorer leurs exploitations, mais d'autres pays sont aux prises avec des problèmes structuraux qui les empêchent de faire comme le Canada, les États-Unis ou le Brésil. Certains pays producteurs, par exemple le Canada, les États- Unis et d'autres pays en Amérique du Sud, ont une infrastructure très particulière relativement aux terres agricoles. Ce sont des pays très productifs. C'est difficile d'imaginer un pays de l'Asie du Sud-Est, comme la Chine, qui réussirait à avoir un rendement similaire à celui des pays d'Amérique du Nord. Ce n'est pas seulement une question de connaissances, il y a aussi les caractéristiques physiques des terres et l'infrastructure elle-même qui les en empêchent. Ces pays se sont quand même beaucoup améliorés, et ils ont beaucoup d'incitatifs pour le faire.

La sénatrice Tardif : Merci de nous avoir présenté votre exposé. C'était très intéressant, informatif et clair. Vous avez mentionné que les propriétaires étrangers sont un facteur qui hausse les prix. Je voulais savoir si vous pouviez en dire un peu plus là-dessus, et peut-être nous dire dans quelle mesure cela contribue vraiment à l'augmentation de la valeur des terres agricoles.

M. Sacoto : Je veux préciser : c'est difficile d'évaluer l'incidence des intérêts étrangers, parce qu'il n'y a aucun recensement en Amérique du Nord du nombre de propriétaires étrangers. Cependant, selon un grand nombre d'études et de consultations que nous avons menées nous-mêmes, nous savons qu'il y en a très peu. Je parle de propriété étrangère prenant la forme de financement, et pas d'un agriculteur étranger, par exemple un agriculteur canadien, qui s'en va exploiter une terre agricole au Brésil. Ce n'est pas la même chose.

Il y en a très peu, mais ils pourraient avoir une influence à l'échelle locale, puisqu'habituellement, lorsqu'il s'agit d'un gros investisseur, il n'achète pas seulement une centaine d'hectares; il en acquiert deux ou trois milliers. C'est pourquoi le prix augmente parfois un peu, pour couvrir tous les coûts. Mais cela reste à l'échelle très locale.

À l'échelle nationale, l'impact des intérêts étrangers est probablement très minime. Vu le très petit nombre, cela n'a vraiment pas d'importance. Dans une très grande majorité, les agriculteurs sont les propriétaires de leurs terres agricoles. La situation est en train de changer légèrement, et il y a des intérêts étrangers, mais c'est moins de 5 p. 100.

Si on prend le cas du Brésil, il y a davantage d'intérêts étrangers qui ne sont pas des agriculteurs qui possèdent des terres, mais on pourrait difficilement dire qu'ils ont une influence à l'échelle nationale, parce qu'ils investissent surtout dans certaines régions, et pas dans tout le pays.

La sénatrice Tardif : Et diriez-vous que c'est la même chose pour les compagnies d'assurance ou d'investissement qui achètent des terres à titre d'actifs?

M. Sacoto : De même, je crois qu'elles pourraient avoir un effet, mais pas nécessairement parce qu'elles en achètent dans une région donnée. Si elles désirent acheter quelques milliers d'acres en Alberta, et c'est ce qu'elles ont en tête, elles pourraient alors avoir une influence.

Certaines de ces compagnies sont très axées sur les profits. Elles ne paieront pas intentionnellement plus cher; elles essaient vraiment de s'assurer d'avoir le meilleur prix. Y a-t-il une marge de profit? Elles n'essaient pas volontairement de faire grimper le prix, bien sûr.

À l'échelle nationale, il n'y a aucune donnée probante, mais tout ce que nous verrons sera très limité au mieux. À l'échelle locale, certaines terres peuvent être vendues, mais c'est très rare et sporadique. On pourrait dire qu'on retrouve beaucoup plus de cas de propriété étrangère au Brésil qu'au Canada. Il n'y a pas eu d'effet à l'échelle nationale, là-bas. Peut-être à l'échelle locale.

Le sénateur Woo : Merci de votre témoignage. Au cours de la période de 10 ans sur laquelle vous vous êtes concentré, a-t-on observé un changement dans la composition de la production de denrées agricoles canadiennes, et cela touche-t-il de quelque façon votre analyse du prix des terres agricoles?

M. Sacoto : Si je comprends bien votre question, la situation a été un peu différente. Au Canada, nous produisons, de manière relative, beaucoup plus de canola qu'auparavant. Je crois que c'est probablement ce qui est le plus important en ce qui concerne le portefeuille de cultures. C'est la même chose pour les légumineuses à grains, mais à une plus petite échelle.

Quant aux prix moyens, le prix du canola et d'autres oléagineux a augmenté pour dépasser celui du blé uniquement en raison de la demande du marché. Ce faisant, le prix des terres a augmenté si on cultive du canola sur cette terre parce que, maintenant, on peut faire un plus grand profit. Ai-je répondu à votre question?

Le sénateur Woo : Oui, merci.

Au cours de témoignages précédents, on a mentionné l'effet du développement urbain envahissant qui entraîne une perte de terres agricoles, et, par conséquent, on suppose que cela a peut-être fait monter le prix des terres agricoles. Vous n'avez pas du tout mentionné la prolifération urbaine sur des terres agricoles. Était-ce délibéré? Observez-vous les effets de l'urbanisation?

M. Sacoto : L'urbanisation a certainement un effet. Encore une fois, elle a un effet local. Alors à 10 ou 15 kilomètres à l'intérieur d'une zone urbaine, le prix des terres est davantage déterminé par la spéculation liée au développement économique. Peut-on construire le prochain centre commercial à cet endroit ou y réaliser un projet résidentiel? Cela a beaucoup moins à voir avec les aspects économiques de ce que vous produisez. On observe davantage cela en Colombie-Britannique. Au cours de notre étude, nous avons constaté qu'une partie de la valeur de ces terres est vraiment fondée sur le marché immobilier, non pas vraiment sur ce qu'on peut y faire pousser.

Mais si vous examinez seulement ces domaines, on peut dire que la prolifération urbaine a un effet depuis longtemps. Ce n'est pas différent de ce qu'on avait au cours des 10 dernières années ou des 10 précédentes. Dans le milieu du pays, endroit où l'on retrouve la plus forte proportion d'agriculture, la prolifération urbaine n'a aucun effet à part dans les petites agglomérations, qui prennent de l'expansion. C'est quelque chose que, j'imagine, on ne peut pas non plus maîtriser. Les gens déménageront où ils veulent.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Sacoto, pour votre présentation. J'aimerais revenir à la question de l'augmentation de la valeur des terres de 9 p. 100. En réalité, il s'agit d'une diminution de 6 p. 100 par rapport aux États-Unis. Quelle serait la valeur des terres si le dollar canadien s'appréciait par rapport à la devise américaine?

[Traduction]

M. Sacoto : Je tiens à préciser que mon énoncé était juste. J'ai dit que si on convertit le prix des terres agricoles canadiennes en dollars américains pour les cinq dernières années, on constaterait, pour 2015, une baisse de 6 p. 100. Alors, si la parité du taux de change s'était poursuivie et que le taux actuel ne se situait pas à environ 75 cents, on noterait probablement une baisse des prix tout comme aux États-Unis. Il y a eu une baisse des prix en 2016, mais pas grand-chose en 2015. Encore une fois, on a observé une telle baisse après une période faste.

Essentiellement, c'est très simple. Le marché s'attendait à des prix qui seraient de « x » plus élevés. Les prix des denrées baissent, alors le prix des terres doit essentiellement baisser. C'est l'effet du marché. La devise dans ce cas a protégé les agriculteurs de la baisse des prix. À la suite de la stabilisation des devises, par exemple en 2016, en 2017 ou en 2018, nous ne serons plus à l'abri de la fluctuation des prix des nouveaux produits de base. Si le prix de produits de base baisse, on devrait noter une baisse des prix des terres agricoles.

On note le même effet, en passant, au Brésil, avec des facteurs similaires aux deux pays : la dépréciation de la devise et l'augmentation du prix des terres agricoles en réaux brésiliens. Les agriculteurs n'ont donc pas observé une baisse du prix des terres agricoles. C'est la même chose en Australie, qui a subi une dépréciation de sa devise. La valeur des terres agricoles n'a pas augmenté.

Nous sommes dans le domaine des prévisions relatives aux terres agricoles. Lorsque nous établissons des prévisions, nous les faisons en dollars américains. La devise locale dépend du taux de change.

Le sénateur Pratte : Je veux donner suite à la question de la sénatrice Tardif parce qu'elle est essentielle à notre ordre de renvoi. Vous avez mentionné que l'intérêt démontré par des investisseurs institutionnels à l'égard des terres agricoles était, si je vous comprends bien, un facteur mineur sauf à l'échelle locale en ce qui concerne les augmentations du prix des exploitations agricoles.

Qu'en est-il des tendances futures? Parce que, évidemment, ces investisseurs, du moment que les taux d'intérêt sont bas, cherchent de meilleurs investissements. Ils s'intéressent à l'infrastructure et à des choses du genre, mais les terres agricoles sont un investissement potentiellement payant dans l'avenir. Pouvez-vous observer une tendance selon laquelle les terres agricoles demeureraient un investissement intéressant, peut-être même très intéressant, et, par conséquent, une tendance où ces terres joueraient un rôle plus important dans l'évolution du prix des exploitations agricoles dans l'avenir?

M. Sacoto : Certainement. Vous pourriez dire qu'elles peuvent compter pour une plus grande part du marché. Je crois que le marché a déjà remarqué l'attractivité des terres agricoles, alors même si les taux d'intérêt augmentent, les gens ne délaisseront pas le marché de l'agriculture. C'est évident. Ce marché, en tant qu'industrie, est devenu un secteur beaucoup plus intéressant où faire des investissements. Les investisseurs ont tout à coup compris qu'il s'agissait d'un très bon marché et qu'ils pouvaient en réalité faire de l'argent avec ces terres au cours des 20 prochaines années. Alors je crois qu'ils continueront à s'intéresser à ce marché.

Les chances qu'il y ait une augmentation sont relativement élevées. Les investisseurs continueront d'investir parce qu'ils ont connu du succès. L'augmentation sera substantiellement plus élevée dans des pays comme l'Australie, le Brésil et l'Uruguay, où il y a un peu plus d'ouverture pour les investissements étrangers et une plus grande présence de ce que nous appelons les « méga-exploitations agricoles » de 20 000, de 40 000 et de 60 000 hectares. Elles exploitent mieux la terre.

Les méga-exploitations agricoles peuvent-elles influencer le prix des terres agricoles? Elles pourraient le faire augmenter un peu plus. C'est la grande quantité de terres agricoles dans le monde relativement à ce qu'elles peuvent acheter. Elles ne peuvent pas détenir une plus grande part. On ne peut pas laisser, au cours des 20 prochaines années, 20 ou 30 p. 100 des terres agricoles du monde aux mains d'investisseurs. Ces terres représentent une quantité énorme de richesses.

En outre, les terres agricoles sont un investissement très axé sur des actifs de grande valeur, alors seulement certaines tranches de l'économie s'y intéressent. Si vous êtes une société de financement par capitaux propres et que vous gérez des fonds d'investissement, à mesure que les taux d'intérêt augmentent, vous allez probablement vous tourner vers d'autres secteurs comme les terres agricoles parce que, à moins d'une autre grande demande, on assistera à des augmentations et à des rendements de l'investissement assez constants qui comportent moins de risque. Mais il n'y aurait pas beaucoup de nouveaux investissements à cet égard.

Le sénateur Pratte : Quel a été l'effet des investisseurs jusqu'à maintenant sur le type d'agriculture? Une des préoccupations que nous avons entendues de la part de témoins est que les investisseurs institutionnels s'intéressent moins à l'agriculture. Ils s'intéressent à la spéculation plus que toute autre chose, et si nous les laissons investir dans les terres agricoles, cela pourrait finir par nuire à l'agriculture elle-même.

M. Sacoto : Oui. Il y a divers types d'investisseurs. Je vais vous donner l'exemple du Brésil. Si vous pensez que la tendance s'accentuera, alors vous vous dites que le Canada sera peut-être rendu là dans 10 ans. Au Brésil, au cours de la période faste, il y avait les investisseurs très portés sur la spéculation qui voulaient seulement acheter des terres agricoles, attendre cinq ans et les revendre après une augmentation du prix. Ces investisseurs, pour la plupart, sont passés à autre chose, et ceux qui sont demeurés dans le domaine sont ceux qui désirent devenir des exploitants pour 10 ou 20 ans. Ce sont des compagnies d'assurance qui ne cherchent pas vraiment à réaliser un investissement rapide sur 5 ou 10 ans. Alors, au Brésil, beaucoup d'investisseurs sont passés à autre chose. Ils ne sont plus là, et les grands investisseurs ne sont pas très friands de ce type d'investissement. Ai-je répondu à votre question?

Le sénateur Pratte : Alors, vous voulez dire que ces investisseurs qui demeurent dans le domaine s'intéressent non pas seulement aux terres agricoles, mais aussi à l'agriculture comme élément qui génère des profits?

M. Sacoto : En tant qu'élément qui génère des profits. Parce que les terres elles-mêmes, au-delà de cette période, ne leur offriront pas un rendement de l'investissement suffisant juste pour être conservées. Alors les investisseurs avec lesquels nous parlons s'intéressent aux exploitants agricoles. Ils veulent obtenir des rendements, et il n'y a rien de mal à ça, mais ils ont besoin d'exploitants agricoles et d'agriculteurs pour gérer les exploitations agricoles.

Ce qu'ils cultiveront sur cette exploitation agricole sera une denrée profitable. Ce sont des gens axés sur les affaires, pas très différents de nos agriculteurs qui possèdent une exploitation agricole de 100 hectares dans n'importe quelle province. Au final, c'est une petite entreprise, alors que l'autre est plus importante. Ils vont produire la culture qui, selon eux, convient le mieux à leur exploitation.

Alors, je ne crois pas qu'il y a nécessairement un conflit s'ils cultivent seulement une culture ou une autre. Ils suivront en quelque sorte la demande du marché.

La sénatrice Gagné : Merci de votre exposé très informatif. Je l'ai vraiment apprécié.

Je suis aussi intéressée aux tendances futures, mais je veux aborder les choses sous un autre angle. Je me demandais si, dans votre modèle de prévisions, vous teniez compte des changements climatiques comme élément moteur seulement pour examiner les prix dans les différentes régions du pays ou même dans le monde et de la façon dont les changements climatiques détermineront le prix et la productivité des terres. Est-ce que cela fait partie de votre analyse et de votre modèle?

M. Sacoto : En théorie, dans le modèle que nous avons conçu, nous n'avons pas tenu compte de cela directement parce que nous pensons habituellement à une période de 10 ans. Les effets des changements climatiques se produiront au-delà de cette période. Il n'existe pas de constante qui prédit l'avenir avec certitude. L'approche officielle de notre entreprise est une approche numérique intégrée ou quantifiable. Ce que je peux vous dire, c'est ce que j'ai lu ou entendu, et on spécule encore beaucoup sur ce que pourraient être des effets précis.

Dans certaines études, on considère les changements climatiques comme un avantage, parce que, dans certaines régions du Canada et du Nord des États-Unis, selon les personnes à qui on s'adresse, on peut semer des cultures qui ne seraient pas normalement possibles si on n'avait pas des saisons beaucoup plus longues en raison des changements climatiques. Si vous parlez aux entreprises qui vendent des semences, elles vous diront : « C'est grâce à notre technologie en partie. » Il n'y a donc aucune réponse catégorique à cette question.

De mon point de vue, je ne peux pas vous préciser concrètement s'il s'agit d'une bonne ou d'une mauvaise chose. Nous avons entendu des propos qui ne sont pas concluants, d'une manière ou d'une autre. Je suis désolé, mais je ne peux pas vous donner une bonne réponse à part la suivante : « Voilà l'effet qu'on observe. »

La sénatrice Gagné : Croyez-vous qu'il y aura toujours un élément moteur qui pourrait être mesuré à un moment donné?

M. Sacoto : Oui. À mesure que l'on comprend les effets qui se produisent, s'ils prolongent en réalité la saison dans certaines régions, alors ils sont quantifiables.

Le sénateur Mercer : Je veux revenir à la question de propriété étrangère. Le Brésil a récemment proposé des changements à la propriété des terres afin d'accroître la propriété étrangère en partenariat avec des Brésiliens. Voyez- vous cela comme une menace de déplacement de petits agriculteurs locaux si une tendance similaire se produisait au Canada? Comment cela se déroule-t-il au Brésil?

M. Sacoto : D'abord, une grande partie de la motivation pour changer cette loi est qu'on a essentiellement besoin de plus d'investissements étrangers. C'est une façon d'aborder le problème.

Cela peut-il avoir un effet sur l'agriculture au fil du temps? Oui, mais il est difficile de conclure directement que cela aurait un effet négatif parce que certaines des personnes qui achètent des terres au Brésil, par exemple, gèrent des exploitations agricoles efficaces.

Le sénateur Mercer : Par « efficaces », voulez-vous dire... ce ne sont pas des exploitations agricoles familiales?

M. Sacoto : Oui, ce sont des sociétés, essentiellement. Il y a même des sociétés ouvertes qui gèrent, je dirais, plus de 100 000 hectares de terres diverses. Elles sont très efficaces. Elles réussissent à gérer ces terres malgré l'énorme quantité qu'elles possèdent.

Alors si on revenait au Canada, oui, cela déplacerait des petits agriculteurs dans la mesure où le propriétaire d'une petite exploitation agricole désire la vendre. Si vous allez dans la partie sud du Brésil, la plupart des petits agriculteurs font partie d'une coopérative. Les grandes entreprises n'y ont pas encore acheté de terres. Elles préfèrent aller dans les nouvelles régions où les terres sont moins chères et où il n'y a pas du tout d'agriculteurs. Il est très difficile pour une entreprise de s'installer dans un endroit où il existe des infrastructures agricoles et d'essayer d'acheter de grandes terres.

Encore une fois, même si elles achètent de grandes terres, elles ne peuvent pas influer sur le prix ou la production. Elles ne peuvent pas se permettre de payer les terres trop cher. Si elles produisent du canola, elles ne peuvent pas le vendre 1 cent plus cher uniquement parce qu'elles sont une grande exploitation agricole. Tout ce qu'elles peuvent essayer de faire, c'est de devenir plus efficaces que l'ancien propriétaire. Si vous payez trop cher pour la terre, cela ne se produira pas.

Le sénateur Mercer : C'est bizarre. Comment verriez-vous la gestion de l'offre que nous avons au Canada cadrer dans un marché où nous avons une propriété étrangère plus importante composée de grandes exploitations agricoles? La plupart des exploitations agricoles soumises à la gestion de l'offre ne sont pas grandes; il s'agit de petites exploitations agricoles familiales. La raison pour laquelle ces dernières ont du succès tient à la gestion de l'offre. Si nous passions à la propriété étrangère et à de grandes exploitations agricoles — le modèle d'une grande société — la gestion de l'offre aurait-elle de la difficulté à s'adapter à cette nouvelle réalité?

M. Sacoto : Le besoin sera moindre. Mais je veux revenir à ce que vous venez de dire. Si on passe à ce modèle, il s'agira toujours d'une grande quantité de terres, alors il serait difficile de dire que ces grandes sociétés possèdent la plupart de ces terres, ou même 20 et 30 p. 100 de ces terres. Les petits agriculteurs posséderaient toujours la plus grande partie des terres. Je parle non pas nécessairement d'un agriculteur qui possède 5 ou 10 hectares, mais d'un agriculteur qui détient quelques centaines d'hectares parce que c'est l'exploitation agricole familiale actuelle qui est une grande exploitation. La plupart des terres seront toujours là, à mon avis.

Si on allait au-delà de 20 ou 30 p. 100, il s'agirait peut-être d'un scénario de ce genre, mais il y a tellement de terres que les sociétés ne peuvent pas toutes les acheter, du moins pas dans un avenir proche, selon moi. Leur effet, encore une fois, peut se faire sentir à l'échelle locale ou régionale. Une certaine offre pourrait limiter ce que vous avez dit, mais on aurait encore besoin de sociétés soumises à la gestion de l'offre pour travailler avec les autres agriculteurs, qui devraient posséder la plupart des terres.

Le sénateur Mercer : La théorie de nombre de personnes est que si nous n'avions pas la gestion de l'offre, nous aurions des exploitations ovocoles, avicoles, des fermes d'élevage de dindons et des fermes laitières beaucoup plus grandes. Cela signifierait que nous aurions de moins en moins de ces exploitations locales. Y a-t-il des exemples où cela s'avère?

M. Sacoto : Pouvez-vous être un peu plus précis?

Le sénateur Mercer : Est-ce que le fait de passer à de grandes exploitations agricoles, et particulièrement à la propriété étrangère, a forcé davantage le regroupement de la production de produits, ce qui a interrompu la production dans les régions pour qu'une région soit maintenant dépendante d'une autre pour des choses comme des œufs ou de la volaille?

M. Sacoto : Je ne crois pas qu'il y ait des exemples. J'y réfléchis. Je ne crois pas qu'il y ait des exemples qu'on peut citer pour dire que ce n'était pas une bonne chose.

Si vous pensez aux États-Unis, il y a certainement un regroupement régional au chapitre du style de vie. On retrouve de la volaille dans une région, et c'est la même chose au Canada. On élève du porc dans certaines régions, mais ce n'est pas nécessairement une bonne ou une mauvaise chose. L'industrie prend des décisions rationnelles, généralement, mais pas toujours, concernant l'endroit où situer l'entreprise et où acheter des terres pour être plus productive.

Le problème potentiel pour le Canada, c'est qu'il est, somme toute, un pays d'exportation de produits agricoles. Si on limite d'une manière ou d'une autre la compétitivité du secteur agricole, il peut, mais pas nécessairement, devenir moins compétitif dans le monde. Cela finit par nuire à l'agriculteur.

Le sénateur Mercer : Nombre de nos agriculteurs, par exemple, dans l'industrie laitière, s'attaquent à ce problème au moyen de la collaboration dans le cadre de laquelle les agriculteurs se regroupent et mettent en marché leurs produits comme une coopérative. C'est la façon de faire dominante dans l'industrie laitière au Québec et dans le Canada atlantique. Est-ce que cela ne sert pas de contrepoids lorsqu'un groupe de petits agriculteurs devient une entité corporative en s'unissant pour former une coopérative?

M. Sacoto : Le regroupement d'agriculteurs en coopérative est un modèle qui a fait ses preuves. Il a aussi essuyé des échecs par le passé, mais c'est un principe qui donne au petit agriculteur beaucoup plus de poids. Le modèle est utile. Vous avez des sociétés assez grandes aux États-Unis qui sont des coopératives.

Leur échec s'explique parfois par le fait qu'elles n'ont pas agi dans l'intérêt de l'entreprise ou de l'agriculteur et qu'elles s'écartent de leur objectif opérationnel. Si vous faites une étude de cas des coopératives qui ont connu un échec, vous constatez qu'elles ont parfois perdu de vue leur objectif opérationnel pour s'orienter vers d'autres choses. Si on se concentre sur le fait de donner du poids à l'agriculteur d'un point de vue de la commercialisation, les exemples montrent que, la plupart du temps, le fait de se regrouper aide les agriculteurs.

[Français]

Le sénateur Ogilvie : Surprise! Je suis encore ici!

[Traduction]

À une certaine époque, je m'intéressais beaucoup à la question des terres agricoles dans le monde et aux incidences sur ces terres. Au cours du dernier tiers du siècle précédent, une des principales préoccupations en matière de besoins alimentaires des populations tenait à l'augmentation signalée, à cette époque-là de la salinité des sols dans le monde.

Je me souviens de diapositives et de photographies provenant de l'analyse internationale de la production des terres dans divers pays qui montraient, dans certaines régions, selon ces rapports, une perte annuelle allant jusqu'à 10 p. 100 de la qualité des terres en raison de la salinité. On considérait la salinité comme un problème majeur. Au cours des 20 dernières années, je n'ai rien entendu du tout sur la salinité en tant que facteur important.

Vous avez examiné beaucoup d'enjeux. Tout d'abord, je suppose que je sais pourquoi c'est le cas, mais je vais vous poser cette question : est-ce un enjeu qui a fait partie de votre analyse et de votre opinion sur les sociétés?

M. Sacoto : La réponse courte est non. Je suis dans l'industrie depuis 20 ans, alors peut-être que c'était juste avant moi. Honnêtement, je crois que j'ai lu des choses au sujet de cet enjeu précis à un moment donné, mais on n'en a jamais parlé concrètement.

Il y a un intérêt renouvelé concernant la façon de prendre soin des terres, mais je ne sais pas dans quelle mesure cela est concret. Je n'ai pas encore vu de mesures concrètes positives, mais on déplace des exploitations agricoles et lorsqu'on note des problèmes potentiels, on se demande : « Quel est le meilleur moyen de gérer le sol? » Encore une fois, on pose de petits gestes pour la forme, mais rien de majeur.

Ce qui peut poser problème, c'est la quantité d'investissements faits par des entreprises agricoles et non agricoles pour essayer de comprendre, avec l'analyse des données, les effets de ces facteurs sur le rendement des récoltes. À mesure que l'analyse des données évolue — et elle en est encore à ses débuts —, on peut constater qu'on a un problème de salinité et que nous pouvons le gérer, et on peut mesurer l'effet en dollars par boisseau ou par acre. On a l'occasion de régler ce problème au moyen de la technologie, mais on ne l'a pas constaté de manière concrète, d'après ce que j'ai entendu.

Le sénateur Ogilvie : Mon intérêt est venu du point de vue de la biotechnologie, et les prévisions que nous faisions visaient la mise au point de plantes qui seraient résistantes à un large éventail de facteurs, des phytoravageurs à la salinité et ainsi de suite.

Au cours de la même période, il y a eu un changement spectaculaire dans l'approche du drainage des sols partout dans le monde et relativement aux fertilisants, lesquels étaient une des sources importantes de sel qui s'en va dans le sol. Il se peut bien que les prévisions faites au début de l'ère de la biotechnologie se sont avérées et, en fait, que la combinaison de technologies ait réduit considérablement l'incidence des récoltes sur les sols.

Merci de votre réponse. Évidemment, il ne s'agit pas d'un problème aujourd'hui, selon votre analyse.

M. Sacoto : Pas à ma connaissance.

[Français]

Le président : Monsieur Sacoto, j'aurais une petite question à vous poser. Comment les États américains protègent- ils leurs terres agricoles face à l'étalement urbain et aux industries qui peuvent s'établir sur les terres agricoles? Y a-t-il des mesures de protection des territoires agricoles chez vous? Comment cela fonctionne-t-il?

[Traduction]

M. Sacoto : Pour ce qui est de l'étalement urbain, je ne connais pas d'approche générale précise. Il existe certaines lois régionales qui le favorisent, mais rien à l'échelle nationale n'essaie de limiter son incidence, particulièrement sur les terres agricoles.

Quant à la deuxième partie de votre question sur un effort global visant à limiter les autres effets, je n'en connais aucun directement qui, d'un point de vue gouvernemental, essaie de limiter l'étalement urbain. Dans certains États, la propriété de sociétés est limitée ou est examinée, alors il s'agit davantage d'une approche propre à chaque État. En général, je ne vois pas beaucoup d'obstacles, en soi. Je dirais que certains des fonds qui ont acheté des terres n'ont pas nécessairement fait face à de la résistance. Ils sont généralement allés dans le centre de l'Iowa pour acheter des terres, alors le problème ne s'est pas posé de manière importante, à ma connaissance.

[Français]

Le président : À moyen et à long terme, l'approvisionnement en eau potable pourrait-il devenir un problème, un facteur important pour la production agricole dans le centre des États-Unis?

[Traduction]

M. Sacoto : Certainement. L'accès à l'eau est probablement l'enjeu du siècle en ce qui concerne l'agriculture. Aux États-Unis, c'est un problème qui touche beaucoup les régions.

En Californie, évidemment, le problème a eu un effet sur la production d'amandes, par exemple. C'est là où on passe essentiellement d'une production d'arbres aux cultures qui consomment moins d'eau; on constate assurément un effet, et des changements se produisent dans la sélection de cultures. Les gens cultivent des choses qui ont besoin de moins d'eau. C'est donc quelque chose que l'on retrouve beaucoup dans les régions.

Si vous regardez une carte des États-Unis, de la partie ouest du Nebraska jusqu'au Kansas et au Texas, l'aquifère qui s'y trouve manque essentiellement d'eau. Le problème réside dans le fait que la région était autrefois irriguée. Le coût de l'irrigation a augmenté parce qu'il n'y a pas assez d'eau, et nous avons constaté l'effet sur les productions. C'est le problème de ces régions.

Pour le reste des États-Unis et la Corn Belt, où la plupart des terres dépendent de l'eau de pluie, on n'a pas encore éprouvé ce problème. Il y a beaucoup d'eau dans ces régions, alors on n'a pas constaté cet effet à part dans certaines régions précises. On éprouve des problèmes beaucoup plus graves que cela ailleurs dans le monde.

[Français]

Le président : Merci beaucoup de votre témoignage, monsieur Sacoto. C'est très éclairant. Il est intéressant pour notre comité de savoir comment ça se passe chez nos voisins. C'est intéressant de voir l'évolution de l'industrie des terres agricoles. C'est important pour le Canada et pour les États-Unis aussi.

Comme le faisait remarquer le sénateur Mercer, dans quelques années, il y aura beaucoup plus de monde à nourrir, et l'on aura besoin, je crois, de toutes les bonnes idées possibles pour en arriver à nourrir la planète.

Merci, et bon retour au Tennessee.

[Traduction]

M. Sacoto : Merci à tous de l'invitation. Je suis heureux de pouvoir fournir de l'information et d'être utile. Je serais heureux de vous aider de toutes les façons que je peux.

[Français]

Le président : Nous recevons maintenant, de l'Université d'Athabaska, Mme Ella Haley, professeure adjointe en sociologie. Bienvenue, madame Haley. À vous la parole.

Ella Haley, professeure adjointe, Sociologie, Athabasca University, à titre personnel : C'est un plaisir d'avoir l'occasion de vous parler aujourd'hui.

[Traduction]

J'ai grandi sur une exploitation agricole qui se trouve à une heure à l'ouest de Toronto. J'ai des documents à vous distribuer. Je suis désolée; ma présentation PowerPoint n'est pas disponible, mais elle le sera plus tard.

Je suis une agricultrice de quatrième génération. Je suis également professeure. Nous avons une petite exploitation agricole biologique depuis 2005, mais j'ai grandi sur une exploitation laitière et avicole. Je faisais partie de l'Ontario Federation of Agriculture. Je suis maintenant membre de l'Union Nationale des Fermiers. Je crois qu'elle protège les terres agricoles et défend maintenant nos intérêts en Ontario encore plus que l'OFA. Je vais vous dire pourquoi.

Je voulais vous parler de mon coin de pays. Je crois que vous avez reçu beaucoup d'information provenant de techniciens et d'universitaires. Je sais, je suis une universitaire, mais lorsque je lis une partie de la documentation, je veux vous faire savoir ce que c'est de vivre dans une collectivité où il y a un accaparement des terres agricoles. Je veux que vous sachiez que ce que les familles et la collectivité vivent peut être très dévastateur. Je vais vous communiquer certains des faits, mais je désire aussi vous parler de la réalité.

Je parle de l'accaparement des terres agricoles du comté de Brant. Je vais passer à mes diapositives. J'ai une carte ici, mais pour ceux d'entre vous qui ne viennent pas de l'Ontario, le comté se trouve à une heure à l'ouest de Toronto. C'est le comté de Brant, juste à l'ouest de Hamilton. La ceinture verte se termine aux limites du comté de Brant, tout près de chez moi. Nous ne nous trouvons pas dans la ceinture de verdure, et cela a changé notre vie. La ceinture verte de l'Ontario est probablement une des plus grandes au monde, mais elle se termine tout près de chez moi et du domicile de ma mère, et cela a tout changé en 2005. Nous essayons d'élargir la ceinture. Je sais que vous cherchez des solutions, alors nous croyons que les politiques gouvernementales sont la réponse. Nous avons aussi des solutions provenant de fiducies foncières.

Le comté de Brant a eu une des premières ceintures de verdure. Le comté de Brant et Brantford sont comme un beigne. La ville de Brantford est le trou du beigne avec 90 000 personnes. Le comté de Brant est le beigne avec 30 000 personnes. Je vis dans ce comté.

Nous avons créé une ceinture de verdure en 1980. Il s'agissait d'une ceinture négociée par la ville, le comté et la province, et elle est visée par une loi provinciale depuis 1980. On l'appelle la bande d'« agriculture protégée ».

Depuis la création, en 2005, de la ceinture verte de l'Ontario, nous observons un aménagement urbain qui bafoue celle-ci. Je ne sais pas si une personne en a parlé auparavant, mais les promoteurs font fi de la ceinture, viennent dans le comté de Brant et nous avalent tout rond. Des sociétés achètent des terres. Depuis 2005, lorsque j'amène mon père au café local, je l'entends parler à d'autres agriculteurs, qui se demandent qui sera le prochain millionnaire. Ils en parlent parce que, soudainement, un agriculteur peut devenir millionnaire; des sociétés d'aménagement urbain paient cinq fois le prix des terres. Pour les agriculteurs qui prennent leur retraite, c'est fantastique. Votre pension ou votre chèque de loterie est arrivé, mais cela n'aide pas du tout les nouveaux agriculteurs à faire démarrer leurs activités.

Des promoteurs immobiliers et une entreprise de réserve foncière achètent les meilleures terres agricoles à l'extérieur de ceintures vertes. Je vais me concentrer sur l'entreprise qui se trouve dans le comté de Brant. Elle achète des terres dans le comté de Simcoe, à Niagara, dans le comté de Brant et à l'extérieur de la ceinture verte d'Ottawa. Il s'agit de Walton International. Le problème est que les agriculteurs ne peuvent pas concurrencer. Ils ne peuvent pas payer cinq fois le prix d'une terre. Cela complique particulièrement les choses pour les nouveaux agriculteurs.

C'est ce que j'appelle un scénario à la David et Goliath. Vous avez Walton, le plus grand propriétaire foncier dans le comté de Brant, qui possède 5 000 acres. Prenons l'exemple du maire de Brant. Il a vendu son exploitation agricole à Walton. Si vous examinez son exploitation agricole, vous verrez qu'il y a environ 650 propriétaires de la Malaisie, de Singapour et de Hong Kong. C'est un acte de vente normal pour une propriété que possède Walton. Jacqueline distribue un document faisant état de certains des propriétaires de cette terre. Nous avons trouvé un acte de vente typique. La recherche de ces actes coûte très cher. Une recherche d'acte de vente courant coûte environ 8 $, mais s'il y a plusieurs propriétaires, c'est 130 $. Lorsque nous avons effectué notre recherche en 2010, c'était 130 $ par acte de vente, ce qui a rendu onéreuses nos recherches. Certains investisseurs de Walton viennent de l'Allemagne et du Canada.

Walton a son siège social à Calgary. C'est une multinationale. On dit qu'elle est une société de propriété privée qui achète de manière stratégique des terres situées dans les principaux corridors agricoles en Amérique du Nord. Elle détermine où se trouve un corridor agricole, et c'est là qu'elle va. Juste à l'extérieur de la ceinture verte, là où on est particulièrement vulnérable, là où nous sommes.

Les documents de Walton indiquent que le but est d'être le propriétaire foncier dominant dans la région. Un avocat à la retraite a pris la parole au cours d'une assemblée publique et a dit : « Vous êtes ici pour changer les règles. » Je serais d'accord avec lui.

Walton procède à une syndication; elle parle de syndication. Je ne suis pas une experte financière, mais voici un exemple de cas où Walton annonce publiquement sur son propre site web une exploitation agricole du comté de Brant. Roseborough est l'endroit où l'on fait de l'aménagement urbain maintenant. C'est la 86e syndication de terres en Ontario que fait Walton. C'était en juin 2009. Walton a vendu l'exploitation agricole à 186 acheteurs pour la somme de 5 470 000 $.

L'autre problème, c'est que lorsque les politiciens finissent par vendre leur exploitation agricole, ils déterminent également... actuellement, la province examine si elle devrait élargir la ceinture verte dans le comté de Brant. Le maire doit dire à la province si le comté de Brant veut cette ceinture. S'il vend son exploitation à une entreprise de réserve foncière, l'avenir est sombre.

Le maire Ron Eddy a participé aux assemblées publiques sur l'expansion de la ceinture de verdure. Soixante-quinze pour cent des mémoires soumis étaient en faveur de la ceinture. Nous avons nous-mêmes fait circuler une pétition qui a recueilli 3 000 signatures pour l'élargir. Le maire Eddy a écrit à la province et a dit : « Nous ne voulons pas la ceinture verte. » On commence à se demander comment le fait de vendre son exploitation agricole à une entreprise de réserve foncière influence les choses. C'est difficile à suivre, et l'avenir est inquiétant.

Walton offre aussi des cadeaux. Elle a fait des dons à la piscine locale, à des projets liés au patrimoine et au Conseil de bande des Six Nations. Elle a donné 20 000 $ pour un parc de planches à roulettes.

Nous sommes uniques dans le comté de Brant. Nous avons les Six Nations dans le coin sud-est. C'est juste au sud de notre exploitation agricole... peut-être à 15 minutes en voiture. Les Six Nations sont une des plus grandes réserves au Canada, et si vous vous souvenez, nous avons eu le conflit territorial de Caledonia. Le conflit a éclaté juste après la création de la ceinture verte. C'était cet aménagement urbain sur le bord, ici, et on a eu un problème important lié à une revendication territoriale.

À la suite de l'année de la vérité et de la réconciliation, je crois que nous devons vraiment tenir compte davantage des problèmes de revendications territoriales et mener des consultations valables, non pas seulement avec des conseils de bande, mais aussi avec des chefs traditionnels et différents groupes des Six Nations.

Walton a aussi conclu une entente de prospérité économique avec le Conseil de bande des Six Nations. Le groupe traditionnel des Six Nations dit que le Conseil de bande ne peut pas conclure une entente avec une société comme Walton. L'entente a suscité le mécontentement. Nous essayons encore d'en obtenir le texte.

Walton a poursuivi un groupe des Premières Nations qui fait partie des Six Nations pour 73 millions de dollars. Le document que voici montre tous les propriétaires qui sont principalement de la Malaisie et de Singapour qui ont poursuivi les travailleurs mohawks... 73 millions de dollars.

Walton ne possède pas de terres dans le Nord-Est de Brantford. Elle possède des terres dans le Nord, dans l'Est et dans le Sud. Les travailleurs mohawks ont arrêté des fouilles archéologiques sur la terre que possédait Walton dans le Sud. La poursuite a ensuite visé les travailleurs mohawks.

Comment Walton influence-t-elle la croissance de l'étalement urbain? Une autre chose qui s'est produite, et la raison pour laquelle je viens vous parler... L'expansion actuelle de la ceinture de verdure est une solution législative et politique. Elle n'est pas permanente. S'il y a un changement de gouvernement, on n'aura peut-être pas de ceinture.

Mais ce qui s'est produit avec l'examen de la ceinture verte, c'est la porte tournante. D'anciens hauts fonctionnaires du gouvernement provincial... l'ancien sous-ministre, Fareed Amin, a quitté le gouvernement provincial. Il travaillait pour le ministère qui examine la ceinture de verdure. Un an plus tard, ou peu de temps après... il a respecté la période où on ne peut pas travailler pour une société. Ensuite, Walton l'a embauché pour diriger les politiques publiques et la stratégie de croissance en Ontario.

Le 13 décembre, le ministre des Affaires municipales et du Logement a approuvé une des plus grandes annexions du Sud de l'Ontario dans le comté de Brant. La terre se trouve au sud de celle de Walton. La société bénéficie donc de l'annexion. Je remets en question encore une fois le fait qu'un ancien sous-ministre travaille pour Walton, au chapitre des apparences.

C'est donc la raison pour laquelle nous venons parler au gouvernement fédéral. Nous devons même surveiller le gouvernement provincial dans le cas présent.

Walton donne également de l'argent au gouvernement libéral et aux conservateurs à l'échelon provincial.

Le personnel de Walton joue un rôle stratégique dans la collectivité locale. Un des membres du personnel de Walton est l'ancien dirigeant des constructeurs locaux de maisons. Il siège aux sous-comités du conseil municipal du comté de Brant. Il participe aux activités de la Chambre de commerce. Ces trois comités sont donc opposés à l'expansion de la ceinture verte.

Alors vous voyez, nous tentons d'obtenir des politiques gouvernementales pour protéger les terres agricoles qui se trouvent dans la ceinture verte provinciale, mais ça ne fonctionne pas dans le comté de Brant.

J'essaie de penser au gouvernement fédéral — à votre mandat — et où vous pouvez intervenir. Pourquoi notre caisse de retraite fait-elle équipe avec Walton et fait-elle du développement conjoint à Edmonton? Nous devons examiner les entreprises qui achètent des terres agricoles pour des raisons autres que pour pratiquer l'agriculture. À Edmonton, à l'heure actuelle, cela se produit dans les limites du territoire occupé.

Mais je me pose encore la question, lorsque nous observons cette habitude de Walton d'acheter des terres agricoles et de poursuivre des travailleurs mohawks, pourquoi ma caisse de retraite fait-elle équipe avec cette société? Elle a fait cela en 2014 avec un lotissement de l'Edmonton Henday Industrial Park, de 250 acres; là, Walton et ma caisse de retraite ont travaillé de concert. Je ne suis pas heureuse de cela.

L'annexion de Brantford dont je viens de vous parler comportait environ 8 875 acres. La ville a annexé 6 718 acres. La plus grande partie de la terre dans le Sud appartenait à Walton. Ensuite, en échange de l'annexion, par la ville, de 6 718 acres, le comté de Brant a obtenu des services d'aqueduc et d'égout. L'ensemble de l'étalement urbain visait les meilleures terres agricoles, et celles-ci faisaient partie des terres protégées de la bande d'agriculture. La plupart de ces terres sont maintenant pavées en raison de l'annexion. En tout, c'est 8 875 acres.

Il y a aussi d'autres problèmes à l'échelle fédérale que je voulais vous mentionner. Les Six Nations ont immédiatement écrit une lettre à la première ministre Wynne et ont dit qu'on n'a pas tenu de consultations concrètes : « Comment pouvez-vous permettre cette annexion? Vous ne nous avez pas consultés. » Le chef a écrit de la part du conseil de bande, de même que Men's Fire. Cela concerne davantage la Confédération des nations indiennes. Je viens vous parler parce que le gouvernement fédéral travaille avec les Premières Nations. Il y a des revendications territoriales en cours dans le comté de Brant. Notre comté est unique parce que la famille royale a donné aux Six Nations un territoire, essentiellement lorsqu'elles ont combattu aux côtés du Canada pendant la guerre contre les États-Unis. Elles sont donc venues au Canada et ont reçu les terres qui forment maintenant le comté de Haldimand. Cela fait partie des revendications territoriales à l'heure actuelle.

J'ai visionné des extraits vidéo des réunions de votre comité et j'ai vu que vous avez demandé combien de membres compte l'UNF. Je crois que vous avez obtenu la réponse. Je suis fière de faire partie de ce groupement. Il protège les petites fermes familiales. Il n'accepte pas les dons de sociétés. L'organisme d'attache, où j'ai grandi, était la Fédération de l'agriculture de l'Ontario. C'est une organisation fantastique. Les responsables ont diffusé récemment une bonne déclaration concernant les terres agricoles à risque. J'ai compté parmi les personnes consultées dans le cadre de la recherche. Par contre, les responsables de la Fédération de l'agriculture du comté de Brant ne se sont pas exprimés; ils ne s'expriment pas à propos de l'acquisition massive de terres dans le comté de Brant.

Parmi les membres clés de la Fédération de l'agriculture de l'Ontario à l'échelle locale, la Fédération du comté de Brant, se trouvent le maire Ron Eddy, qui a conclu une vente avec Walton, et des membres de la FAO à l'échelle locale; tous ces membres, qui sont aussi membres du conseil du comté de Brant, ont appuyé le gigantesque étalement. Donc, je ne vois aucunement la FAO, dans mon milieu, protéger ma collectivité agricole ou les terres agricoles.

Les responsables de l'Union Nationale des Fermiers ont protesté. Dès que le ministre a approuvé le gigantesque étalement en décembre, alors que tout le monde était occupé par les préparatifs de Noël, ils ont fait une déclaration, ainsi que le groupe autochtone Men's Fire. Les responsables de celui-ci ont affirmé qu'ils n'avaient pas été consultés et qu'ils s'opposaient à ce projet, tout comme les responsables de l'UNF. Ils se sont opposés à l'acquisition massive de terres et à l'annexion et ils demandent d'accroître la ceinture de verdure dans le Sud de l'Ontario.

Je souhaitais vous parler des répercussions de l'agriculture, compte tenu de tous ces achats par des sociétés. Ces transactions rendent les terres agricoles inabordables. Les promoteurs immobiliers et les propriétaires de réserves foncières offrent des baux à court terme aux cultivateurs, mais ce n'est pas ce qu'il y a de mieux pour les sols et l'eau. Nous avons besoin de personnes ayant une vision à long terme quant à leurs terres agricoles.

Le sujet divise les collectivités agricoles. Si une personne va devenir millionnaire, peut-être que ses connaissances ne diront rien parce qu'elles ne veulent pas interrompre le jeu. Même si les personnes présentes ne comptent pas vendre leurs terres, et qu'elles sont toutes des cultivateurs, elles ne semblent pas protester parce que l'une d'entre elles vient de récolter des bénéfices importants. Si elles s'expriment sur le sujet, d'autres leur diront qu'elles ruinent leur héritage ou leurs économies en vue de la retraite.

Nous savons qu'il est encore possible de vendre des fermes. Nous savons que, selon des études, la valeur des terres agricoles n'a cessé d'augmenter, et que, dans le comté de Brant, la valeur de ces terres a augmenté de façon astronomique. Vous pouvez vendre votre ferme à bon prix. L'idéal est de conserver vos terres agricoles, parce que nous en avons besoin pour assurer la sécurité alimentaire. La population augmente. Nous devons nourrir cette population grandissante.

Par ailleurs, un autre effet des achats effectués par des sociétés, c'est qu'il n'y a pas de stabilité à long terme pour ma collectivité agricole ou pour les agriculteurs dans le comté de Brant. Dans ma collectivité, située à l'est de Brantford, il y avait auparavant une ferme laitière dans chaque rang. Elles étaient toutes de petites fermes mixtes. De nos jours, on qualifie cet endroit de « bidonville agricole ». Après que la société Walton ait acheté les exploitations agricoles, les fermes et les granges sont devenues délabrées. Les voisins ont fini par dire : « Allez-vous démolir? Allez-vous nettoyer les lieux? » Ainsi, on qualifie ma collectivité de bidonville agricole.

J'ai quelques recommandations à vous soumettre. Certaines sont de l'UNF. Il faut restreindre et réduire l'utilisation non agricole des terres agricoles. Nous devons mettre en place des mesures de surveillance. Il nous faut une réglementation harmonisée à l'échelle du Canada qui limite l'achat de terres à des fins de spéculation par des entreprises et des caisses de retraite. Nous devons effectuer un suivi quant à la propriété et au contrôle canadiens et étrangers des terres agricoles. Les spéculateurs ne devraient pas avoir droit à des taux d'imposition fixés pour les agriculteurs. Il faut mettre en place une ceinture de verdure dans tout le Sud de l'Ontario. Il faut soutenir les fiducies foncières, les coopératives et les options de financement collectif pour protéger les terres agricoles. Il faudrait créer un REER ou un régime de pension à l'intention des agriculteurs pour réduire leur besoin de vendre leur ferme au moment de la retraite. Il faut empêcher les gestionnaires du Fonds de placement du RPC d'investir dans des entreprises qui misent sur les terres agricoles ou d'effectuer de tels investissements en partenariat avec ces sociétés. Il faut interdire aux responsables de Financement agricole Canada de consentir des prêts à des sociétés de placement et rendre les investissements effectués dans de telles sociétés qui misent sur les terres agricoles inadmissibles dans le cadre d'un REER. Pour finir, il faut honorer les revendications territoriales et exiger la tenue de consultations sérieuses et inclusives auprès des communautés des Premières Nations à propos des décisions touchant l'utilisation des terres.

Le président : Merci beaucoup, madame Haley.

Le sénateur Mercer : Madame Haley, je vous remercie beaucoup de votre témoignage. Je suis ravi de votre présence.

Cependant, je n'ai pas très bien compris. Plus tôt pendant votre témoignage, vous avez mentionné que votre caisse de retraite traitait avec la société Walton. De quelle caisse de retraite s'agit-il?

Mme Haley : Du Fonds de placement du RPC. Des millions et des millions de dollars.

Le sénateur Mercer : C'est aussi mon régime de pension.

Mme Haley : C'est notre régime de pension à tous. Donc, on se tire dans le pied si nous laissons les responsables de notre régime de pension faire ce que nous tentons actuellement de stopper.

Le sénateur Mercer : La question de l'étalement urbain n'est pas nouvelle pour notre comité. Nous continuons d'en entendre parler, et l'empiétement sur les terres agricoles est un problème. En Alberta, en particulier, nombre des personnes qui ont été déplacées parce qu'elles ont vendu leurs terres à des promoteurs mobiliers dans les grandes villes ou autour de celles-ci, ont déménagé vers le nord et ont ouvert de nouvelles terres à l'agriculture. Cela ne serait-il pas possible en Ontario?

Mme Haley : Voyez ce petit dépliant. Nous avons créé une fiducie foncière et nous formions un club d'investisseurs. Nous cherchons à recueillir 1 million de dollars pour acheter une ferme de 50 acres et ensuite conserver les terres comme bien commun. Elles ne seront jamais revendues, mais seront confiées aux soins d'agriculteurs biologiques travaillant à petite échelle. Nous avons amené notre groupe d'investisseurs à Blyth, en Ontario. La réponse m'est venue : pourquoi ne pas aller vers le nord? Les terres sont plus abordables. Je fais partie de la quatrième génération d'agriculteurs dans ma famille. Les cultivateurs ont besoin de leurs racines. Ils ont besoin de leurs voisins. C'est difficile à mon âge de me réinstaller dans le Nord et de trouver de nouveaux voisins qui m'aideront si mon tracteur tombe en panne.

Je sais que les terres sont plus abordables dans le Nord, mais les petits jardiniers maraîchers biologiques doivent être près de leurs consommateurs. Les personnes qui signent les pétitions sont celles qui consomment leurs produits et certains agriculteurs. En outre, c'est très pratique pour nous. Être en région périurbaine est d'une grande importance pour nourrir les gens.

Le sénateur Mercer : Quelle est la taille de votre ferme?

Mme Haley : Initialement, mes parents et mon frère possédaient 500 acres. Maintenant, mon époux et moi-même possédons 57 acres, et notre exploitation a obtenu la certification biologique.

Le sénateur Mercer : Que cultivez-vous?

Mme Haley : Il s'agit d'agriculture soutenue par la communauté; nous cultivons différents légumes et certaines variétés de fruits.

Le sénateur Mercer : Le gigantesque étalement — vous l'avez qualifié d'acquisition massive de terres — n'existe pas seulement dans le Sud de l'Ontario. Cela se produit dans tous les grands centres urbains du pays, parce que nous avons tous tendance à vivre à des endroits où il y a de bonnes terres. Comment faire pour permettre l'étalement urbain si davantage de terres ne peuvent servir au développement urbain? Comment ferons-nous?

Mme Haley : Je crois que l'Europe est un excellent exemple. Les responsables en Europe savent comment densifier les agglomérations, même sans construire de tours d'habitation. Ils savent comment atteindre une plus grande densité afin de permettre l'existence de services de transports collectifs. Nous devons construire différemment.

Que vous alliez n'importe où, les centres commerciaux n'ont qu'un étage. Pourquoi? Pourquoi n'y a-t-il pas des logements au-dessus? Ce n'est qu'un étalement débridé. J'enseigne en Alberta, donc je constate l'importance de l'étalement urbain à Edmonton. Il y a de bonnes terres agricoles là-bas, en particulier au nord-est. Donc, comment pouvons-nous créer des collectivités plus compactes? La ville d'Edmonton a un problème. Si vous attendez l'autobus par une froide journée d'hiver, et que vous êtes en périphérie d'Edmonton...

Le sénateur Mercer : Nous savons combien il peut faire froid là-bas.

Mme Haley : Oui, donc, en créant des collectivités plus compactes, je crois que nous pouvons obtenir à la fois une croissance et une densification, sans pour autant être limités, à mon avis, à vivre dans des immeubles en copropriété. Je crois que nous pouvons apprendre des Européens.

Le sénateur Mercer : Merci beaucoup.

Le sénateur Oh : Merci madame et bonjour.

J'ai vu que vous aviez remis ce matin un document de cinq pages portant sur les intérêts étrangers. Vous savez probablement que la société Walton est albertaine.

Mme Haley : Oui.

Le sénateur Oh : La société Walton est probablement l'un des principaux propriétaires de réserves foncières au Canada.

Mme Haley : Oui.

Le sénateur Oh : L'entreprise a des bureaux partout dans le monde, y compris en Asie et en Europe, et vend des terres à des personnes qui ne savent probablement même pas où se trouve Tombouctou.

Mme Haley : Oui.

Le sénateur Oh : Ces gens ne sont jamais venus au Canada et ils ne connaissent rien du pays. Ils ont des bureaux partout en Asie. Ils font des campagnes promotionnelles importantes.

Mme Haley : Oui.

Le sénateur Oh : Nous devons régler le problème à la source, au début, où se trouvent ses racines. Ces gens ne connaissent rien.

Mme Haley : C'est exact.

Le sénateur Oh : Dans le cas des responsables de la société Walton, ils divisent les terres, comme vous le dites, en petits lots. Donc ces investisseurs achètent probablement des terres dont la superficie est bien inférieure à une acre.

Mme Haley : Les terres ne sont pas divisées. Il y a de multiples propriétaires.

Le sénateur Oh : Cette approche est appliquée depuis de nombreuses années, soit depuis les 20 dernières années, je crois. Vous avez mentionné que vous avez parlé à Kathleen Wynne, la première ministre de l'Ontario.

Mme Haley : Je lui ai écrit.

Le sénateur Oh : Je suis d'avis que cela rehausse le degré d'intensification. Il y aura des élections l'an prochain. C'est un bon moment d'intensifier la lutte. Son lieutenant l'a quittée pour se joindre à cette entreprise.

Mme Haley : Son sous-ministre des Affaires municipales, en effet.

Le sénateur Oh : Cette personne importante a quitté le gouvernement Wynne pour se joindre à la société Walton. Ma question est la suivante : quelle démarche avez-vous entreprise auprès du gouvernement provincial, à un échelon plus élevé, pour régler ce problème? Cette situation n'existe pas que dans le comté de Brant; elle existe partout au Canada.

Mme Haley : Merci, sénateur Oh. Je crois que vous soulevez un excellent point. Si vous examinez cette situation, vous verrez que ces investisseurs ont peu de renseignements et cèdent leurs droits. Ils sont nommés dans cette poursuite parce qu'ils ont permis à l'agent d'être leur mandataire. Je me demande s'ils savent même qu'ils ont été partie à une poursuite. Je me pose cette question parce que, si vous examinez le début, ils ont cédé leurs droits.

Je crois que nous devons nous adresser directement à Mme Wynne. Je sais qu'elle se préoccupe des membres des Premières Nations et qu'elle est au courant qu'ils sont mécontents de la situation et que cela la tracasse. Je le sais. J'aimerais rencontrer la première ministre Wynne.

Je collabore avec les membres de la Greenbelt Alliance. Nous tenons des rencontres depuis 2005 en vue d'accroître la ceinture de verdure, mais nous sommes inquiets parce que les choses pourraient changer. Il s'agit d'une décision politique. Nous devons nous assurer que, s'il y a un changement de gouvernement, nous ne perdrons pas la protection accordée aux terres agricoles.

Je vous remercie de vos bons conseils. Je vais m'adresser à la première ministre Wynne.

Le sénateur Oh : Vous devriez peut-être communiquer avec les responsables d'autres comtés qui sont confrontés à un problème semblable. Je suis convaincu que votre comté n'est pas le seul en Ontario à avoir ce genre de problème.

Mme Haley : Non, j'ai rencontré un député provincial du comté de Hastings, et il m'a dit qu'un investisseur chinois est en train d'acheter 60 fermes dans le comté d'Hastings. Je crois que cela se produit partout. Ce qui est difficile, c'est qu'il est coûteux de rassembler la documentation. La recherche concernant les titres de propriété et la recherche subséquente sont coûteuses.

Le sénateur Oh : En ce qui concerne l'achat de terres agricoles, beaucoup de sociétés de nos jours acquièrent des terres agricoles pour les exploiter.

Mme Haley : Oui.

Le sénateur Oh : Ces sociétés n'achètent pas les mêmes terres agricoles que l'entreprise Walton parce que les acheteurs asiatiques ne savent pas... il faut du temps. Elles ne veulent pas attendre longtemps pour convertir la terre agricole en terrain résidentiel. Donc, un grand nombre de ces entreprises acquièrent des terres et, dans les faits, les exploitent. Un de mes amis en Saskatchewan possède presque 5 000 acres et produit des fèves de soya et d'autres produits destinés au marché de l'exportation.

Mme Haley : Une de nos préoccupations à l'égard des grandes sociétés — je crois que c'est ce que Bonnefield fait — réside dans le fait que, et je crois que l'UNF a publié un article concernant cela, nous ne souhaitons pas que les agriculteurs redeviennent des serfs. Il est important de posséder le droit de propriété. Je vous ai donné comme exemple le droit de propriété fiduciaire. Si nous protégeons les terres au moyen de notre fiducie foncière, nous voulons avoir la garantie que les petits agriculteurs pourront avoir des baux à longue échéance, ou même des baux renouvelables ou d'une durée de 20 ans ou à vie. Donc, il serait possible qu'il ne soit pas nécessaire de posséder la terre, mais une certaine sécurité serait offerte.

Je n'ai pas examiné en détail le cas de la société Bonnefield, mais cette préoccupation existe. L'UNF vous a peut-être informé de ces questions dans son rapport intitulé Losing Our Grip.

Je souhaitais également soulever le fait que j'ai tenté d'effectuer des recherches à ce sujet et que je me suis penchée sur des discussions en ligne auxquelles ont participé des investisseurs de Singapour et de la Malaisie. Il en ressort qu'ils sont préoccupés. Quand nous examinons la situation, je ne suis pas une professionnelle du domaine financier, mais il semble que la société Walton ne prend pas beaucoup de risques, contrairement aux investisseurs étrangers. Il faut qu'une personne maîtrisant les outils financiers examine la situation en profondeur.

Le sénateur Woo : Je vous remercie de votre témoignage. Puis-je vous poser une question à propos de votre collectivité? Vous avez dit que vous travaillez en Alberta, n'est-ce pas?

Mme Haley : En effet.

Le sénateur Woo : Et où est située votre ferme familiale?

Mme Haley : J'enseigne à l'Université d'Athabasca. Il s'agit d'un établissement offrant de l'éducation à distance, donc je peux résider à ma ferme familiale et prendre soin de la grange, et aussi enseigner à mes étudiants.

Le sénateur Woo : Vous qualifiez-vous d'agricultrice à temps partiel?

Mme Haley : Mon mari est un agriculteur à temps plein. Je joue plutôt un rôle de femme de ménage.

Le sénateur Woo : La professeure qui s'occupe de l'entretien ménager.

Qu'en est-il des autres membres de votre collectivité? S'agit-il principalement d'agriculteurs à temps plein? Comment combinent-ils leurs sources de revenus?

Mme Haley : J'ai pris connaissance des témoignages antérieurs faits devant votre comité, et, même dans les propos tenus par les représentants de l'UNF, on mentionne que la taille des fermes ne cesse de croître, et le nombre d'agriculteurs, de diminuer. Mon voisin cultive environ 5 000 acres. Il fait de l'épandage au moyen d'un avion, donc, de mon point de vue, il s'agit plutôt d'une exploitation de taille industrielle.

Il existe un tout nouveau mouvement, depuis 2005, moment où je suis retournée dans mon patelin. J'habitais en Alberta. Il existe un nouveau mouvement de petits agriculteurs biologiques. Nous avons donc une vision globale en ce qui a trait au repeuplement et à la revitalisation de la collectivité grâce à l'aide que nous leur fournissons.

On a construit une autoroute au travers de notre ferme, ce qui l'a coupée en deux, et nous habitons sur la partie située au nord de l'autoroute. Depuis 2005, environ huit agriculteurs ou entreprises dans le domaine de l'agriculture biologique à petite échelle se sont installés. Au sud de l'autoroute, il y en a peut-être trois ou quatre, uniquement dans ma collectivité. Il existe un mouvement, et nous souhaitons y contribuer le plus possible.

Par ailleurs, il y avait auparavant des fermes laitières. Il y en a de moins en moins, en partie à cause des quotas, ce qui a été soulevé dans d'autres témoignages. Ce qui se passe habituellement, c'est que, si vous êtes un agriculteur traditionnel, soit que vous agrandissez votre exploitation ou que vous quittez le domaine et prenez votre retraite. Ensuite, à mesure que les agriculteurs partent à la retraite, quelqu'un achète leur exploitation et agrandit la sienne.

Toutefois, on constate ce nouveau mouvement formé par un grand nombre de citadins qui souhaitent se lancer en agriculture biologique et la création de bons programmes de formation comme ceux offerts notamment par les organismes CRAFT ou FarmStart. La formation existe. Donc, je crois qu'il y a deux types d'agriculture en ce moment.

Le sénateur Woo : Il existe différents types d'agriculture et de méthodes agricoles. Il y a l'agriculture biologique, qui correspond au mouvement que vous tentez de faire progresser, et il y a aussi l'agriculture traditionnelle, ou industrielle, si je puis dire. Il y a donc différents intérêts de nature agricole dans votre collectivité.

Mme Haley : Il y a différents types d'élevages de bétail dans notre comté et certaines activités agricoles sur le territoire des Six Nations aussi; nous communiquons avec les agriculteurs des Six Nations.

Le sénateur Woo : Je souhaite revenir sur le point soulevé par le sénateur Oh, à savoir qu'il appartient au gouvernement provincial, et je devrais ajouter au gouvernement municipal, étant donné qu'il s'agit bien sûr de leur compétence, d'octroyer la désignation de terre agricole. Au sein de votre organisation, de l'UNF ou d'autres organisations, existe-t-il un ensemble précis de critères, pouvant faire consensus, qui permettraient d'établir que des terres périurbaines doivent être protégées à titre de terres agricoles? Sommes-nous près d'arriver à une entente ou les règles varient-elles d'une municipalité à l'autre?

Mme Haley : Je crois que la réglementation varie. Je suis d'avis que David Connell a mieux abordé cette question dans son témoignage. Nous sommes situés dans ce qu'on appelle la région du Grand Toronto. Il existe une pression très importante. La croissance est tellement grande et les pressions subies sont tellement présentes que les promoteurs immobiliers ont beaucoup de poids et exercent une grande influence. Est-ce que cela répond à votre question?

Le sénateur Woo : La pression est légitime. Cela doit être un des facteurs. Quand nous examinons le cas des terres périurbaines, un des critères doit porter sur l'importance de la pression exercée au chapitre du développement urbain. Il importe d'évaluer les exigences à cet égard par rapport à l'importance de conserver des fermes familiales de longue date ou de préserver la productivité des terres et la diversité de la faune.

La vraie question est : avons-nous un ensemble de principes et de critères, reposant sur des éléments probants, de bonnes politiques publiques et un raisonnement solide, qui nous permettent de mettre en place des mesures raisonnables soutenant la prise de décisions à l'égard de la préservation de terres agricoles?

Mme Haley : Il existe en Ontario une déclaration de principes provinciale. En apparence, ce document semble bien, mais, en somme, on y dit seulement de « protéger les terres agricoles des classes 1, 2 et 3 ». J'irais plus loin et ajouterais l'obligation de protéger les trois principales catégories de terres agricoles à proximité de toute collectivité, parce que nous devons nous assurer d'avoir la capacité de produire notre propre nourriture, du point de vue de la souveraineté alimentaire. La souveraineté alimentaire consiste à avoir la certitude que nous pouvons produire nos propres aliments sans dépendre uniquement des producteurs californiens.

Selon moi, la déclaration de principes provinciale est bonne. C'est l'article portant sur le développement agricole qui me préoccupe, parce que cela peut facilement devenir de l'agriculture industrielle, c'est-à-dire que les terres agricoles sont perdues aux mains des exploitations agricoles industrielles qui y sont installées. Je crois que nous devrions adopter le principe inviolable selon lequel les terres agricoles à fort rendement — périurbaines — ne doivent jamais être cédées pour la réalisation de projets d'aménagement urbain.

Toutefois, il y a un problème à Toronto. Il y a tellement de gens qui déménagent dans cette ville. Ces terres comptent parmi les meilleures terres agricoles au Canada. Devrions-nous réfléchir aux endroits où nous laissons la population s'établir? Les gens doivent-ils tous habiter sur des terres agricoles à fort rendement? Ne peuvent-ils pas s'installer là où il y a de la roche?

Le sénateur Woo : C'est difficile, mais c'est la voie que devraient emprunter notre comité et d'autres au moment d'examiner cette question à la lumière de l'évaluation des différents intérêts et d'établir les critères qui satisferont la majorité de la population et permettront de déterminer si nous devons ou non protéger des terres agricoles dans les zones périurbaines.

Je souhaite obtenir des précisions quant à votre point de vue sur une question qui a aussi été soulevée par le sénateur Oh et que vous avez abordée à quelques reprises : les investissements de sociétés, qu'il s'agisse de propriétaires de réserves foncières, comme la société Walton, ou d'investisseurs institutionnels. Il est clair, d'après vos propos, que vous n'approuvez pas l'achat de terres agricoles par ce type d'investisseur aux fins de projets d'aménagement industriels ou résidentiels, mais appuyez-vous les investisseurs institutionnels et les investisseurs de type coopératif qui achètent des terres agricoles dans le but de les rehausser, de conserver leur usage agricole, ou peut-être de les louer à des agriculteurs et d'offrir du financement à ces derniers pour augmenter la productivité et, en conséquence, accroître ce que vous appelez la souveraineté alimentaire?

Mme Haley : Je suis membre de l'UNF, et je n'appuie pas l'idée que les terres appartiennent à des investisseurs institutionnels qui, ensuite, concluent des ententes de location avec les agriculteurs. Nous soutenons davantage l'autonomie. Toutefois, j'appuie l'idée — qui vient de la Saskatchewan — de créer une réserve foncière. La société Walton utilise autrement le concept de réserve foncière, mais la Saskatchewan a un excellent dossier au chapitre de la création de réserves foncières à l'intention des agriculteurs et des mesures prises pour assurer leur accessibilité à ces terres. J'aime ce qui existait en Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie, madame Haley, de votre présentation. Lors de votre présentation, vous avez souvent mentionné les contributions monétaires de différents organismes, et cela pourrait presque donner l'impression qu'il y a de la corruption, mais dans le contexte de l'acquisition de terres agricoles, lorsqu'on parle de contributions monétaires successives... Ce n'est sûrement pas la première fois que vous avez à exposer cette situation. Vous avez parlé aussi de représentations qui ont été faites auprès du gouvernement de Mme Kathleen Wynne. Que vous disent les politiciens de l'Ontario lorsque vous parlez des contributions monétaires?

[Traduction]

Mme Haley : Nous avons envoyé une lettre à la première ministre Wynne. Je ne lui ai pas parlé personnellement. Les membres d'une délégation qui l'ont rencontrée m'ont dit qu'elle était très préoccupée par la situation touchant le comté de Brant et par ce qui s'était produit, en particulier parce que les membres des Premières Nations étaient mécontents.

Je ne l'ai pas suivie de près, mais une campagne a été menée en Ontario pour interdire les contributions monétaires des entreprises aux politiciens; je suis d'avis que c'est un pas dans la bonne direction. Je crois que cette interdiction fait maintenant partie d'une mesure législative. Selon moi, cela devrait être mis en place à l'échelon municipal. Il nous faut de la surveillance. Nous devons faire cesser les dons en nature et en espèces. Il s'agit non pas que d'argent, mais aussi du fait d'offrir un repas ou des vacances à quelqu'un. Il nous faut beaucoup plus de surveillance à ce sujet.

Nous avons envoyé une lettre à la première ministre Wynne et avons recensé les dons faits au Parti libéral et au Parti conservateur. Par ailleurs, quelqu'un m'a récemment informée du fait que, dans la région de Niagara, à l'échelon municipal, la société Walton a fait une contribution monétaire pour appuyer la campagne d'un candidat. Maintenant, ce candidat est membre d'un organisme de protection de la nature. Les gens dans cette région sont très préoccupés par cet élu lié à la société Walton.

Nous devons vraiment suivre la trace de l'argent. C'est une très bonne question. Nous devons interdire les dons des entreprises et vraiment suivre cet argent à la trace. Si vous avez des conseils à offrir, je serais ravie de les entendre.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous dites avoir écrit à la première ministre. Vous a-t-elle répondu?

[Traduction]

Mme Haley : Elle a dit qu'elle transmettrait ma lettre au ministre des Relations avec les Autochtones et au ministre des Affaires municipales.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Et le ministre des Affaires autochtones vous a-t-il répondu?

[Traduction]

Mme Haley : Nous avons pris connaissance d'une lettre envoyée il y a 10 jours aux responsables de la municipalité les informant que, même si les terres ont été annexées, ils doivent consulter les Six Nations avant de modifier l'utilisation des terres ou de faire une proposition. Mais cela se passe après coup; c'est trop tard. Les terres ont été annexées.

Il y a eu un avertissement, mais les représentants des Six Nations ont envoyé une lettre. En ce moment, la seule chose qu'ils pourraient faire, c'est porter l'affaire devant les tribunaux. Ils pourraient soutenir qu'ils n'ont pas été consultés et entreprendre des poursuites judiciaires. L'étape suivante est de rencontrer Mme Wynne. Serait-ce possible de mettre en place une surveillance de la part du gouvernement fédéral à l'égard des provinces?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie beaucoup. Profitez du fait qu'il y aura des élections. Selon moi, on devrait vous répondre plus rapidement.

[Traduction]

La sénatrice Tardif : Je vous remercie de votre présence ce matin. Je suis de l'Alberta. Je peux certainement comprendre l'empiétement urbain à Edmonton que vous avez mentionné. Vous avez absolument raison : nous perdons des terres agricoles à fort rendement au profit de centres commerciaux et d'autres installations construites dans des zones autour de la ville.

Vous avez mentionné plusieurs recommandations que le gouvernement fédéral pourrait mettre en œuvre. Selon vous, quelles seraient la principale observation ou les deux principales observations que vous souhaiteriez voir notre comité souligner dans son rapport?

Mme Haley : J'ai écouté certains des témoignages faits devant votre comité, et j'ai suivi la discussion au cours de laquelle il a été affirmé : « Eh bien, vous savez, la question des terres agricoles et des terres relève des provinces. » Toutefois, j'ai tenté de mettre en lumière certaines des questions d'ordre fédéral, soit les questions touchant les Premières Nations. En ce qui concerne le comté de Brant, en particulier en raison de la grande population des Six Nations, il est important que le gouvernement fédéral se penche sur le cas du comté de Brant et qu'il s'en serve comme exemple. Comment pouvons-nous résoudre le problème de l'acquisition massive des terres dans le comté de Brant, surtout en tenant compte des questions autochtones?

Le gouvernement fédéral pourrait examiner immédiatement le fonctionnement de Financement agricole Canada. La ferme située à côté de la mienne a été achetée par un homme qui a obtenu 500 000 $ de Financement agricole Canada, selon mes recherches relatives au titre de propriété. Il ne l'a achetée qu'à des fins de spéculation. Il loue les terres, et il espérait pouvoir lancer un projet immobilier. Donc, nous devons interdire à Financement agricole Canada d'octroyer des prêts à des personnes qui achètent des terres agricoles et attendent la possibilité d'y lancer des projets immobiliers.

Nous devons cesser d'investir... le Fonds de placement du Régime de pensions du Canada. Même si nous ne participons pas au projet Henday Park à Edmonton, ce ne sont plus des terres agricoles; ces terres sont maintenant à l'intérieur des limites des zones habitées. Nous devons connaître notre partenaire investisseur et savoir quels sont ses autres investissements. Je ne veux pas que les responsables de mon fonds de pension investissent dans l'acquisition massive de terres ou s'associent avec des entreprises qui font ce genre d'investissements. Voilà trois points concernant le gouvernement fédéral.

Je suis d'avis qu'il nous faut de la surveillance et de la cohérence. Je crois que les responsables au Québec, en Colombie-Britannique et à l'Île-du-Prince-Édouard font de bonnes choses. Bon, les responsables en Saskatchewan s'attaquent au problème, mais ce n'est pas le cas en Ontario. Comment pouvons-nous faire en sorte qu'il y ait davantage de surveillance en Ontario? S'il n'y en a pas, s'il est possible pour les entreprises de faire des dons ou d'embaucher un ancien sous-ministre pour les aider à influencer la politique relative à la zone de verdure, alors je fais appel à vous. Comment pouvons-nous mettre en place une surveillance de la part du fédéral?

J'ai aussi examiné l'acquisition massive des terres sur le plan international. C'est un problème terrible en Afrique et en Amérique latine. Les acquisitions au Canada ne sont qu'une petite partie du phénomène d'acquisition massive des terres à l'échelle mondiale. Mais cela se passe ici. Il y a des gens de la Géorgie qui m'écrivent à propos de la société Walton. Des personnes du Nord-Est d'Edmonton m'écrivent. Il nous faut de la surveillance de la part du gouvernement fédéral. Nous devons aussi examiner le problème du point de vue international. Nous faisons partie du phénomène d'acquisition massive des terres à l'échelle mondiale. Voilà ce qui en est. Je suis sensibilisée à une partie de ce problème.

La sénatrice Tardif : Merci de nous avoir fait part de votre expérience.

[Français]

Le président : Merci, madame Haley, d'avoir témoigné de ce que vous vivez en ce moment et de ce que vous faites pour la ceinture verte de l'Ontario. Je comprends votre préoccupation, parce qu'au Québec, il a fallu prévoir une loi très sévère afin de protéger les terres agricoles. Je vous souhaite une telle loi en Ontario. Malheureusement, cet élément ne relève pas des compétences fédérales, mais bien des compétences provinciales. C'est aux provinces de faire les premiers pas, mais c'est grâce à des gens comme vous qui travaillent avec acharnement qu'on arrivera à créer une loi pour protéger les terres agricoles qui seront nécessaires pour nourrir la planète dans les années à venir.

[Traduction]

La séance est maintenant levée.

(La séance est levée.)

Haut de page