Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule no 31 - Témoignages du 8 juin 2017
OTTAWA, le jeudi 8 juin 2017
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 4, en séance publique et à huis clos, afin de poursuivre son étude sur l'impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.
Le sénateur Ghislain Maltais (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Aujourd'hui, le comité poursuit son étude sur l'impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.
[Traduction]
Je suis le sénateur Ghislain Maltais, du Québec, et je préside le comité. J'aimerais que les sénateurs se présentent, en commençant par ceux à ma gauche.
La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario. Bienvenue.
[Français]
La sénatrice Tardif : Claudette Tardif, de l'Alberta.
Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.
La sénatrice Gagné : Bonjour, Raymonde Gagné, du Manitoba.
[Traduction]
Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Bonjour, Chantal Petitclerc, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador. Bonjour.
Le sénateur Oh : Victor Oh, de l'Ontario.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le président : J'informe les membres du comité qu'après l'audition de nos deux groupes de témoins, nous poursuivrons notre séance à huis clos pendant une dizaine de minutes pour adopter le budget des dépenses potentielles qui pourraient avoir lieu cet automne.
[Traduction]
Ce matin, nous accueillons avec plaisir les représentants de Soy Canada : Jim Millington, directeur, Développement du marché, et Chris Masciotra, directeur, Affaires corporatives. Veuillez commencer votre exposé.
Chris Masciotra, directeur, Affaires corporatives, Soy Canada : Merci. Bonjour, honorables sénateurs. Je suis heureux d'avoir été invité ici aujourd'hui afin d'échanger avec vous des renseignements sur l'incidence du changement climatique sur le secteur canadien du soja.
Je vais d'abord commencer par vous donner un aperçu de Soy Canada et de l'industrie canadienne du soja. Notre association nationale représente la totalité de la chaîne de valeur du soja au Canada. Nos membres comprennent les groupes de producteurs qui représentent les agriculteurs des quatre coins du pays, les entreprises de développement des semences, les exportateurs et les transformateurs de soja, et d'autres membres affiliés de l'industrie. Soy Canada favorise la coopération au sein de l'industrie et représente les intérêts de l'industrie relativement à des enjeux nationaux et internationaux qui touchent la croissance et le développement du secteur.
Le secteur canadien du soja a connu dernièrement une incroyable croissance. Au cours des 10 dernières années, les superficies ensemencées sont passées de 3 à 5,5 millions d'acres, et l'on s'attend à ce qu'elles totalisent 10 millions d'acres d'ici 2027. La production a presque doublé pendant la même période, en s'établissant à 6,4 millions de tonnes métriques en 2016, et les exportations ont augmenté de plus de 250 p. 100 depuis 2006. L'année dernière, le Canada a exporté environ 4,8 millions de tonnes métriques de soja et de produits du soja, d'une valeur de plus de 2,8 milliards de dollars.
La contribution de notre industrie à l'économie canadienne est également très importante. En 2016, Soy Canada a mené à bien une étude de l'incidence économique du secteur qui a révélé qu'en 2014, la contribution au PIB canadien apportée par le secteur canadien du soja s'élevait à plus de 5,8 milliards de dollars. Plus de 45 000 emplois à temps plein et à temps partiel dépendent directement et indirectement de notre secteur.
La demande mondiale de soja de qualité alimentaire, de soja classique et de produits du soja à valeur ajoutée continue de croître à un rythme fort accéléré. Par ailleurs, la demande de protéines de soja augmente, et le Canada est bien placé pour approvisionner de façon fiable les marchés tant nationaux qu'internationaux.
Notre tâche à Soy Canada consiste à rehausser la compétitivité du secteur canadien du soja en éliminant les barrières tarifaires et non tarifaires liées au commerce international, en remédiant aux problèmes d'accès aux marchés, en appuyant les activités de développement des marchés et en coordonnant la recherche et l'innovation, tout en faisant la promotion de notre industrie au Canada et à l'étranger.
Je vais maintenant céder la parole à mon collègue.
Jim Millington, directeur, Développement du marché, Soy Canada : Je vais parler précisément de la durabilité, des priorités en matière de changements climatiques, de la tarification du carbone et de notre compétitivité.
Soy Canada reconnaît que le gouvernement doit avoir recours à des politiques et des règlements pour lutter contre le changement climatique et réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Soy Canada reconnaît également qu'il est important d'utiliser efficacement les ressources afin de réduire les coûts et les émissions de gaz à effet de serre, sans qu'il soit nécessaire d'avoir recours à des politiques et des règlements gouvernementaux comme la tarification du carbone.
La production de soja s'est avérée une source de protéines avantageuse et durable sur le plan environnemental, en raison de la qualité élevée des protéines, de sa valeur nutritive et de l'utilisation efficace des terres, de l'eau et de l'énergie découlant de sa production. Le soja utilise beaucoup moins d'eau que les autres sources de protéines, ce qui nous permet, en fin de compte, d'économiser plus de 4 millions de gallons d'eau par tonne de soja produit.
L'un des principaux avantages de la culture du soja dans le cadre d'un programme de rotation des cultures, c'est la capacité du soja de retirer l'azote de l'air et de le fixer dans le sol grâce à l'interaction entre ses nodules racinaires et les bactéries du sol.
De plus, le soja produit 161 kilogrammes de protéines assimilables par acre de terre agricole, ce qui est considérablement plus élevé que toute autre forme de protéines complètes. Lorsqu'on compare les terres touchées par la production et le produit final, on constate que la protéine de soja offre une solution protéique 17 fois plus efficace que les autres protéines.
Soy Canada participe activement à la Table ronde canadienne sur les cultures durables (TRCCD), une initiative de l'industrie menée par le Conseil des grains du Canada. La TRCCD publiera bientôt les résultats d'une étude sur le carbone mené en 2016 qui établira une plateforme de référence pour les rapports portant sur les paramètres de durabilité des cultures canadiennes. Les données et les renseignements recueillis dans le cadre de cette étude nous aideront à déterminer les points forts de notre capital naturel. Le soja fait partie des 10 cultures étudiées, et il occupera une place importante dans le rapport final.
Il est important de noter que l'industrie canadienne du soja dépend grandement du commerce international. Environ 70 p. 100 de notre production nationale sont expédiés à l'étranger. Il est donc important que la réglementation gouvernementale liée au changement climatique établisse un juste équilibre entre la création des conditions requises pour améliorer notre capital naturel et la nécessité de veiller à ce que notre industrie soit équipée pour soutenir la concurrence internationale et pour donner suite à la recommandation du Conseil consultatif en matière de croissance économique du premier ministre visant l'exploitation du potentiel de croissance du secteur agricole canadien.
Le marché mondial du soya est très concurrentiel en ce qui concerne le soja brut et les produits dérivés de sa transformation, dont le tourteau de protéines, l'huile végétale, les carburants renouvelables et les autres bioproduits. Bon nombre des États où les exportateurs canadiens de soja livrent concurrence n'ont pas mis en place de mécanismes de tarification du carbone, ce qui pourrait donner aux producteurs de ces États un avantage concurrentiel dans certains cas.
Nos membres estiment que le secteur du soja dispose de possibilités pratiques d'aider le Canada à faire la transition vers des émissions de gaz à effet de serre plus faibles, tout en maintenant sa compétitivité à l'échelle mondiale.
Au cours des 35 dernières années, les cultivateurs canadiens de soja ont considérablement amélioré leurs pratiques environnementales. Depuis 1981, leur consommation d'énergie a diminué de 26 p. 100 et leurs émissions nettes de gaz à effet de serre par unité de production de soja ont également diminué de 17 p. 100.
Les activités de recherche et développement des secteurs privé et public ont donné lieu à une augmentation du rendement moyen du soja, qui est passé de 40,1 boisseaux par acre en 2005 à 44,1 boisseaux par acre en 2016, soit une hausse de 10 p. 100. Grâce à l'adoption de nouvelles méthodes de sélection des végétaux, ce taux d'amélioration progressera, et les variétés seront cultivées plus loin dans le nord de l'Ouest canadien.
Les cultivateurs canadiens de soja emploient des méthodes durables dans quatre domaines. Le premier est celui du travail de conservation du sol. Bon nombre de cultivateurs canadiens de soja ont maintenant adopté des pratiques de travail réduit du sol ou de culture sans travail du sol. Ces techniques contribuent à réduire l'utilisation de combustibles fossiles, tout en améliorant le contrôle de l'érosion et en évitant le compactage des sols.
Le deuxième domaine est celui des cultures de couverture. Un grand nombre de cultivateurs canadiens sursèment leurs champs en jachère en utilisant des cultures de couverture protectrices qui augmentent la teneur en éléments nutritifs du sol, conservent l'humidité et luttent contre les mauvaises herbes.
Le troisième domaine est responsable de la lutte antiparasitaire. Les seuils intégrés de gestion antiparasitaire et de nuisibilité économique aident les agriculteurs à utiliser les pesticides d'une façon sensée.
Le quatrième domaine est celui de l'agriculture de précision. Les pesticides, les carburants et les engrais sont utilisés de façon plus efficace à mesure que les agriculteurs adoptent des innovations, comme les techniques d'application à taux variable, les applications mobiles, les tracteurs à guidage automatique, les systèmes mondiaux de localisation (GPS) et les capteurs de rendement. De plus, de nombreux agriculteurs appliquent des pratiques de gérance des éléments nutritifs 4R qui optimisent l'efficacité de l'emploi d'engrais.
En conclusion, l'environnement de production agricole du Canada est l'un des meilleurs au monde. Nos sols profonds et fertiles, notre approvisionnement en eau abondant et notre saine biodiversité sont idéaux pour favoriser la prospérité et la croissance d'une industrie qui établit une norme mondiale en matière de production durable.
Les cultivateurs canadiens de soja comprennent la nécessité de protéger et d'améliorer notre capital naturel, parce que notre capacité de cultiver d'une manière efficace et profitable en dépend. C'est la raison pour laquelle Soy Canada est en train d'élaborer un plan stratégique pour l'industrie, qui comprend la totalité de la chaîne de valeur du soya. Le plan établira des objectifs de croissance audacieux mais réalistes et guidera la croissance de notre industrie au cours des 10 prochaines années.
L'un des principaux engagements de cette stratégie consistera à être reconnus comme les chefs de file mondiaux de la production durable de soja de grande qualité. C'est l'une des priorités de notre industrie, et elle s'appuiera sur notre réputation internationale irréprochable.
Nous remercions le comité de nous avoir invités à prendre la parole aujourd'hui, et c'est avec plaisir que nous répondrons à vos questions et vos commentaires. Merci.
Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant entendre les questions des sénateurs.
Le sénateur Doyle : Vous avez mentionné l'importance de pouvoir soutenir la concurrence à l'échelle internationale, ce qui m'amène à vous poser la question suivante. Compte tenu du fait que le nouveau gouvernement américain semble plutôt sceptique par rapport à la question du réchauffement planétaire, prévoyez-vous une annulation quelconque, disons, de règlements environnementaux américains, qui pourrait forcer votre industrie à affronter une concurrence déloyale?
M. Masciotra : La situation aux États-Unis est un enjeu que le secteur du soja observe très attentivement, non seulement du point de vue de la réglementation environnementale, mais aussi du point de vue de la renégociation prochaine de l'ALENA.
Ici, au Canada, nous estimons que nous devons nous assurer que les conditions canadiennes permettent à notre chaîne de valeur de vendre ses produits sur les marchés canadiens et internationaux. Les États-Unis sont un important client du Canada. Par conséquent, je pense que la réponse à votre question serait que la réglementation canadienne doit garantir que notre chaîne de valeur est toujours en mesure d'accéder aux marchés, peu importe les mesures prises aux États-Unis.
Le sénateur Doyle : En ce qui concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur agricole, comment la plantation, la culture et la récolte du soja se comparent-elles à celles du blé ou du maïs, par exemple?
M. Millington : L'équipement employé est assurément différent pour chaque culture. L'équipement utilisé pour cultiver le soja ressemble à celui employé pour les cultures céréalières, c'est-à-dire un équipement qui diffère de celui utilisé pour le maïs. Comme je l'ai indiqué au cours de mes observations, l'un des principaux avantages de la culture du soja est lié à l'action de ses nodules racinaires, qui extraient l'azote de l'air pour le fixer dans le sol. Cela crée un environnement très sain pour la prochaine culture. À mesure que l'azote se décompose, il est absorbé par le sol. La prochaine culture bénéficie donc de cet apport. En outre, la plantation du soja nécessite l'ajout de très peu d'engrais azoté au sol.
Le sénateur Oh : Merci, messieurs, des renseignements très utiles que vous nous avez communiqués. Vous avez mentionné plus tôt que vous êtes également membres du Conseil consultatif en matière de croissance économique du premier ministre. Le nouveau gouvernement est maintenant au pouvoir depuis près de deux ans; la moitié de son mandat est donc derrière lui. Y a-t-il eu une promotion concrète des ventes pour aider votre importante industrie à commercer à l'échelle internationale?
M. Masciotra : Je dirais que l'important événement que notre industrie surveille à l'heure actuelle, c'est la publication du prochain cadre stratégique de l'agriculture prévue pour l'année prochaine. Les programmes de ce cadre stratégique nous montreront vraiment l'importance que le gouvernement accorde à notre capacité d'accéder aux marchés.
Le cadre stratégique de Cultivons l'avenir 2, qui est actuellement en vigueur, a beaucoup aidé notre industrie. Le programme Agri-marketing, en particulier, a permis à notre industrie de commercialiser ses produits sur les marchés et de faire la promotion d'un soja de grande qualité sur les marchés du monde entier.
Nous voulons nous assurer que, lorsque ce cadre stratégique sera renouvelé en 2018, nous pourrons encore nous prévaloir d'une série de programmes qui font exactement la même chose qu'aujourd'hui et qui permettent à notre industrie de se développer de la même manière qu'elle le fait en ce moment. Je pense que l'année prochaine sera une bonne année pour observer la direction que le gouvernement prendra dans le domaine de l'agriculture.
En ce qui concerne le Conseil consultatif en matière de croissance économique du premier ministre, nous avons remarqué que le groupe consultatif de Dominic Barton a déposé un rapport qui met l'accent sur les secteurs ayant un potentiel de croissance, l'agriculture étant l'un de ceux qui sont soulignés dans le rapport. Comme vous le savez, sénateur, l'une des principales recommandations formulées dans ce rapport, c'est la capacité de mettre en marché nos produits et d'exploiter le vaste potentiel de croissance du secteur agricole canadien. Comme nous l'avons déclaré plus tôt, au cours des 10 dernières années, les exportations ont augmenté de 250 p. 100 dans le secteur du soja seulement, et elles sont sur le point de croître davantage. Nous voulons nous assurer que nous disposons des ressources et des programmes qui peuvent nous aider à poursuivre notre croissance et notre développement.
Le sénateur Oh : Je voyage beaucoup dans la région Asie-Pacifique, dans les nouveaux marchés émergents. Chaque fois, je demande aux gens où ils achètent leur soja, et ils répondent qu'ils l'achètent au Canada. Pouvez-vous nous dire quel pourcentage du soja produit au Canada est exporté vers l'Asie, et quel pourcentage est exporté vers le sud, vers les États- Unis?
M. Masciotra : Cela varie en fonction des types de soja exportés. Le Canada est le plus important fournisseur de soja non génétiquement modifié de qualité alimentaire à approvisionner les marchés d'utilisation finale spécialisée comme le Japon. Ce pays est notre plus important marché d'exportation de denrées de qualité alimentaire. En ce qui concerne le soja classique, nous en expédions une grande quantité en Chine ainsi qu'aux États-Unis. La Chine est aussi un pays importateur de soja canadien de qualité alimentaire dont l'importance ne cesse de croître. En fait, l'année 2016 est l'une des années où la Chine a importé le plus de soja de qualité alimentaire à des fins d'utilisation finale spécialisée. Nous cherchons à mettre à profit ce potentiel, et nous sommes impatients de voir ce que l'année prochaine nous réserve.
M. Millington : J'ai quelques chiffres à vous communiquer. En 2016, nos exportations vers les États-Unis totalisaient 533 000 tonnes métriques. La valeur totale des récoltes canadiennes s'élevait à 6,5 millions de tonnes. Comme Chris l'a mentionné, l'Asie est aussi un important partenaire commercial. Le Japon achète la majeure partie de notre soja de qualité alimentaire. Cependant, du point de vue du commerce international, la Chine est notre principal partenaire commercial; c'est notre premier pays importateur. En 2016, elle a importé approximativement 1,7 million de tonnes métriques.
Le sénateur Oh : Merci. Ce sont des renseignements utiles.
M. Millington : Nous participons également à la mission commerciale du ministre MacAulay en Chine, qui aura lieu au mois de novembre prochain.
Le sénateur Oh : De cette année ou de l'année dernière?
M. Millington : De cette année.
Le sénateur Oh : Nous étions là l'année dernière.
Le sénateur Pratte : Je vous remercie de votre présence ici ce matin. Premièrement, j'aimerais connaître les risques potentiels qu'à votre avis, les producteurs de soja courent en raison du changement climatique en tant que tel.
M. Millington : La taxe sur le carbone sera éventuellement un grave problème à surmonter pour le secteur du soja. Nous ne comprenons pas encore complètement l'incidence que cette taxe aura sur les cultivateurs et les retombées qu'elle aura au niveau des exploitations agricoles. C'est une importante considération pour l'industrie.
Le sénateur Pratte : Je parlais du changement climatique en tant que tel; le fait que la température augmentera, et cetera. Je sais que cette situation présente quelques possibilités.
M. Millington : Oui.
Le sénateur Pratte : Sont-elles plus nombreuses que les risques?
M. Millington : Nous prévoyons une incroyable croissance de l'industrie, et nous ne considérons pas le changement climatique, en particulier, comme un obstacle à la croissance.
Le sénateur Pratte : D'accord. Pour en revenir à la taxe sur le carbone, compte tenu de la nature particulière du soja que vous avez décrite — c'est-à-dire son utilisation minimale de l'azote, et cetera —, quelle incidence la taxe sur le carbone aura-t-elle sur votre industrie en tant que telle?
M. Millington : C'est vraiment une excellente question, sénateur. À l'heure actuelle, je ne sais pas vraiment quelles retombées la taxe sur le carbone aura sur les cultivateurs et quelle sera son incidence sur les coûts par acre d'un cultivateur canadien moyen. Chris, avez-vous une idée?
M. Masciotra : Comme l'a dit mon collègue, l'industrie est très engagée à cet égard. Les groupes dont nous faisons partie, comme la Table ronde canadienne sur les cultures durables, prennent part à ces études en vue de recueillir les données, les renseignements et les bonnes mesures nécessaires pour obtenir des réponses à ces questions précises. Comme je l'ai déjà dit, nous participons pleinement à ces processus.
Le sénateur Pratte : Est-ce possible que cela représente un avantage pour votre production par rapport à d'autres productions?
M. Millington : C'est possible. Cela dépend de la façon dont les cultivateurs reçoivent le crédit pour l'élimination du carbone dans l'air par l'entremise des cultures. Nous n'en sommes pas certains à ce moment-ci.
Le sénateur Pratte : D'accord, merci.
Le sénateur Ogilvie : L'histoire du soya est une réussite, comme vous l'avez dit. J'aimerais vous poser quelques questions afin de mieux comprendre cette culture, par rapport aux autres.
Vous n'en avez pas parlé de façon précise, mais vous avez fait allusion aux bactéries Rhizobium, qui vivent en symbiose avec la production de soya. J'aimerais vous poser quelques questions techniques à ce sujet. Est-ce que vous inoculez les champs en plus de vous fier au développement naturel dans le cadre du cycle de culture?
M. Millington : En règle générale, la plupart des cultivateurs inoculent leurs graines avant de les planter, oui.
Le sénateur Ogilvie : C'est donc une application unique avant l'ensemencement?
M. Millington : Oui.
Le sénateur Ogilvie : D'accord. En ce qui a trait à l'incidence des bactéries sur les cultures qui ne vivent pas cette relation de symbiose et qui ont besoin d'azote supplémentaire, au-delà des niveaux ambiants, utilisez-vous des engrais azotés, en plus de procéder à l'inoculation?
M. Millington : En règle générale, les cultivateurs de soya n'utilisent pas d'engrais azoté. Toutefois, si un cultivateur souhaite accroître sa production au-delà de la moyenne, il appliquera un engrais nitrique au cours de la saison de croissance. Ce n'est pas chose courante.
Le sénateur Ogilvie : Lorsqu'on choisit d'utiliser ces engrais, c'est une fraction de ce qu'on utilise pour le maïs, par exemple; n'est-ce pas?
M. Millington : Oui. C'est un tout petit pourcentage par rapport aux autres cultures.
Le sénateur Ogilvie : Il y a donc une importante réduction globale en matière de demande énergétique?
M. Millington : Tout à fait. C'est l'une des raisons pour lesquelles le soya nous passionne autant : c'est une façon très durable de produire des protéines, par rapport aux autres cultures.
Le sénateur Ogilvie : En ce qui a trait à la question du sénateur Pratte, ce sera très intéressant de voir comment on appliquera les diverses taxes sur le carbone, le plafonnement et l'échange, parce que les situations en matière de production agricole sont variées. Aura-t-on la capacité de reconnaître les différences plutôt que d'appliquer une approche bureaucratique visant la taxation générale pour tous? Ce sera intéressant de suivre la situation, parce que vous établissez clairement, de façon scientifique, la différence entre le soya et les autres cultures.
M. Millington : Oui. C'est le rôle de la Table ronde canadienne sur les cultures durables. Le soya est l'un des principaux objets de son étude, qui sera publiée plus tard cette année. Il fait partie des 10 cultures examinées dans le cadre d'une étude sur le carbone.
Le sénateur Ogilvie : Il sera intéressant de voir cela. Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux invités. Je ne veux pas revenir sur la question de la taxe sur le carbone, parce qu'on sait que cela peut être une question de compétitivité avec nos voisins du Sud. Cela dit, je veux vous parler des nouvelles technologies.
Vous avez mentionné qu'il existe de nouvelles technologies pour fertiliser le soya. Savez-vous si ce sont tous les producteurs qui les utilisent? Est-ce que ce sera plus difficile pour les producteurs qui ne les utilisent pas?
[Traduction]
M. Millington : Les cultivateurs accueillent très positivement la nouvelle technologie. De façon particulière, les cultivateurs de soya sont des adeptes de première heure de la nouvelle technologie. En règle générale, toutefois, environ 50 p. 100 des cultivateurs adoptent rapidement les nouvelles technologies. C'est à leur avantage, car elles leur permettent d'accroître leur efficacité sur la ferme.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Et pour les 50 p. 100 qui ne l'utilisent pas?
[Traduction]
M. Millington : Ce sont des cultivateurs traditionnels qui produisent tout de même de très bonnes cultures. Ils ne seront toutefois pas aussi efficaces que leurs voisins qui utilisent les nouvelles technologies.
Le sénateur Woo : Nous vous remercions de votre témoignage. Vous avez parlé de la possibilité de cultiver le soya plus au nord, probablement en raison de l'amélioration génétique. Est-ce aussi en raison du changement climatique et des changements de température? Pouvez-vous nous donner une idée du nombre d'acres prévu et de la possibilité de croissance au cours des prochaines années?
M. Millington : À l'heure actuelle, nos cultures occupent 5,5 millions d'acres au Canada. Puisque, naturellement, le soya est une culture de saison chaude, on l'a d'abord introduit au Sud de l'Ontario. Depuis, on progresse lentement vers le nord. Nous avons franchi un seuil, puisque nous cultivons maintenant le soya dans l'Ouest canadien.
Étant donné la latitude de l'Ouest canadien, nous y prévoyons une culture sur trois millions d'acres cette année. Comme nous l'avons dit dans notre déclaration préliminaire, la production canadienne devrait doubler au cours des 10 prochaines années. C'est une culture profitable pour les cultivateurs de l'Ouest canadien, comparativement à d'autres.
Le sénateur Woo : Merci. Quel est le rendement relatif du soya à titre de biocarburant comparativement à d'autres biocarburants?
M. Millington : C'est une très bonne question, monsieur le sénateur. Je peux y répondre, mais je ne connais pas ces chiffres par cœur.
Le sénateur Woo : Enfin, pour faire écho aux commentaires relatifs à cette étude de 2016 sur le carbone, j'espère qu'elle sera prête à temps pour nos travaux, puisqu'elle semble être un élément essentiel de notre étude. Nous aimerions en recevoir une ébauche le plus tôt possible.
M. Millington : Oui. Merci.
La sénatrice Tardif : Nous vous remercions de votre témoignage. Vous avez dit que votre secteur souhaitait devenir un chef de file mondial en matière de développement durable et que les producteurs utilisaient continuellement de nouvelles technologies. Quel pourcentage de votre investissement est consacré à la recherche et à quels types de projets de recherche participez-vous? Est-ce que ces projets de recherche abordent des sujets comme la réduction des gaz à effet de serre dans la chaîne d'approvisionnement?
M. Millington : Les producteurs de grain de l'Ontario gèrent un groupe qui s'appelle l'Alliance de recherche sur les cultures commerciales du Canada. Ce groupe reçoit les propositions des établissements universitaires de l'ensemble du Canada. Il crée un regroupement pour les demandes de financement. Nous appuyons ce groupe, mais nous n'avons aucune incidence directe sur lui.
À l'heure actuelle — et en règle générale —, les recherches du groupe portent sur l'amélioration du rendement de même que la résistance aux maladies et aux ravageurs. À ma connaissance, le groupe ne centre pas ses efforts sur les émissions de gaz à effet de serre associées au soya. Comme je l'ai dit, il étudie surtout le rendement et la résistance aux maladies et aux ravageurs.
La sénatrice Tardif : Voyez-vous une occasion de participer à ce qu'on appelle maintenant l'initiative des supergrappes d'innovation récemment annoncée par le gouvernement fédéral?
M. Millington : Oui.
M. Masciotra : C'est une possibilité, absolument, mais nous nous concentrons surtout sur le prochain cadre stratégique pour l'agriculture. Comme l'a dit Jim, l'Alliance de recherche sur les cultures commerciales du Canada est un regroupement de R-D financé en partie par l'entremise du cadre stratégique pour l'agriculture et des programmes de Cultivons l'avenir. Au cours de la prochaine année, nous aimerions voir ces programmes s'élargir afin qu'un plus grand nombre de ressources soient affectées à ces questions.
Jim a parlé de certaines des initiatives sur lesquelles se centrent les regroupements, mais pour nous, la priorité c'est d'accroître la teneur en protéines. Cela fait toutefois partie du programme, bien entendu. Nous espérons avoir les ressources nécessaires pour étudier la question.
La sénatrice Gagné : De toute évidence, avec le réchauffement climatique, nous verrons une augmentation de la sécheresse et des organismes nuisibles. Si je me souviens bien, vous avez dit dans votre exposé que vous développiez diverses variétés de soya; est-ce exact?
M. Millington : Oui.
La sénatrice Gagné : Comment vous protégez-vous contre la perte de semences possible en cas de crise à grande échelle ou de crise mondiale? Conservez-vous des échantillons de semences en vue de ne pas perdre la composition génétique de chaque variété de soya? Dans l'affirmative, comment procédez-vous?
M. Millington : J'ai une certaine expérience dans l'industrie des semences. J'ai travaillé avec divers éléments et, de façon précise, avec le soya pendant six ans. La Norvège a une banque à cette fin.
La sénatrice Gagné : Utilisez-vous cette banque?
M. Millington : Je crois que certains chercheurs l'utilisent, oui. Le département de l'Agriculture des États-Unis a aussi une banque de gènes. Tout récemment, j'ai présenté une proposition ou une demande au département afin d'obtenir une variété de semences; elles sont donc disponibles. Les diverses institutions ont leur programme de conservation de la semence du sélectionneur. Lorsque j'exerçais mes fonctions antérieures au sein de l'industrie des semences, mon employeur était un conservateur de semences du sélectionneur reconnu pour des espèces précises.
La sénatrice Gagné : C'est intéressant. Merci beaucoup.
La sénatrice Petitclerc : Nous vous remercions de votre témoignage. J'aimerais entendre parler du rôle international que le Canada pourrait jouer en matière de production responsable du soya. J'ai lu un rapport de la FMF de 2014 sur la croissance du soya, qui m'a intéressée. À l'échelle internationale, la culture du soya est problématique, en raison de la déforestation. Pourrait-on trouver une solution pour relever les défis internationaux en matière de production responsable du soya?
M. Millington : Tout à fait. Je vais réitérer notre stratégie. Nous voulons être reconnus à titre de chef de file mondial en matière de production durable de soya de qualité supérieure.
Bien sûr, si vous comparez les pratiques de production du Canada à celle du Brésil — par exemple, vous avez parlé de déforestation —, nous sommes une étoile montante sur la scène internationale. Nous étions au Japon plus tôt cette année et nous avons tenté de passer ce message à nos clients japonais. Notre conférencier a parlé du capital naturel du Canada et des raisons pour lesquelles nous sommes un chef de file mondial, étant donné les méthodes durables que nous utilisons pour la production de soya.
La sénatrice Petitclerc : J'aimerais savoir quelle part des produits du soya du Canada est génétiquement modifiée? Je sais qu'à l'échelle internationale, c'est plus de 70 p. 100 ou quelque chose comme cela.
M. Millington : Les variétés non génétiquement modifiées sont principalement cultivées dans l'Est canadien, en Ontario et au Québec. Environ 40 p. 100 des cultures de l'Ontario et du Québec sont du soya de qualité alimentaire qui ne contient pas d'OGM.
La sénatrice Petitclerc : Au Canada?
M. Millington : Il faudrait faire le calcul. Les cultures de l'Ouest canadien sont presque toutes modifiées génétiquement. Elles sont destinées à la trituration.
M. Masciotra : Notre plan stratégique vise notamment à accroître la production non seulement du soya classique, mais aussi du soya de qualité alimentaire sans OGM. On peut le voir sur le site de Soy Canada. Nous en sommes présentement à l'étape des consultations afin de recueillir les commentaires des intervenants et de connaître leur opinion au sujet de ces objectifs.
La sénatrice Petitclerc : Merci.
Le président : Merci beaucoup, messieurs, d'avoir témoigné devant nous ce matin. Vos interventions ont été très intéressantes pour le comité. Si vous avez d'autres renseignements à nous transmettre, veuillez le faire par l'entremise du greffier du comité. Nous serons heureux de recevoir vos commentaires.
Nous allons maintenant entendre le président de l'Alliance canadienne du camionnage, Stephen Laskowski. Nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation, monsieur. Veuillez procéder avec votre déclaration préliminaire.
Stephen Laskowski, président, Alliance canadienne du camionnage : Merci beaucoup, mesdames et messieurs les sénateurs, et merci aux représentants de l'industrie du soya de m'avoir aidé ce matin. Vous avez de très beaux bureaux, soit dit en passant. Sur ce, il arrive parfois que les camionneurs se perdent eux aussi. Ce matin, vous aurez compris pourquoi je ne conduis pas de camion : je n'arriverais jamais à destination.
Pour vous mettre en contexte, l'Alliance canadienne du camionnage compte 4 500 membres, principalement des associations de l'ensemble du Canada. Elles appartiennent à l'alliance, d'où l'utilisation du terme « alliance ». Nous représentons diverses sociétés au Canada, qu'il s'agisse des grandes sociétés ou des petites entreprises, qui transportent des produits du pétrole, des ressources naturelles et des produits agricoles.
Pour vous donner une idée de l'ampleur de notre industrie, au Canada, 90 p. 100 de tous les produits de consommation sont transportés par camion. Environ les deux tiers de nos échanges avec les États-Unis se font par camion.
À l'ouest, les ressources naturelles constituent notre source principale; au centre, c'est la fabrication et à l'est du Canada, ce sont les pêches.
Lorsque nos clients sont malades, nous le ressentons. Notre industrie repose sur la demande. Sans les clients, nous ne bougeons pas.
Pour vous donner une idée de l'industrie du camionnage et de nos objectifs, nous souhaitons atteindre un rendement financier similaire à celui des chemins de fer de classe 1. En moyenne, leurs rapports d'exploitation sont de 0,63 à 0,65. Dans le domaine du camionnage, pour une bonne année, c'est un rapport de 0,95. Dans notre secteur, les revenus sont très élevés, mais les profits sont très bas.
Je vais maintenant vous parler de la réglementation environnementale en matière de camionnage. Nous sommes très ouverts aux nouvelles technologies, mais le Sénat doit comprendre que, dans un avenir rapproché, le moteur diesel continuera d'être la source de propulsion de notre industrie. Ce n'est pas que nous refusions d'essayer d'autres moteurs; toutefois, la réalité est que, dans un avenir rapproché, ce sera le moteur qui transportera nos marchandises.
En ce qui a trait à la réglementation environnementale, nous sommes assujettis à des règlements sur la qualité de l'air et les émissions depuis les années 1990. Depuis 2010, l'EPE et Environnement Canada considèrent qu'il s'agit d'un moteur à émissions presque nulles, en ce qui a trait à la qualité de l'air, au smog et aux matières particulaires.
En ce qui a trait aux gaz à effet de serre et aux émissions de carbone, nous sommes le seul mode de transport — comparativement au transport marin, aérien et par rail — assujetti à la réglementation sur les émissions de carbone. Le premier ensemble de règlements est entré en vigueur en 2014. Le deuxième entrera en vigueur en 2018 et sera mis en œuvre progressivement sur une période de sept ans.
Il est important de bien comprendre ces règlements. Ce sont des règlements sur l'équipement, sur certains ajouts et technologies précis. On fixe un objectif en matière d'émissions, mais dans les faits, la réglementation sur les gaz à effet de serre vise l'installation obligatoire de certains équipements. Cette approche présente des avantages et des inconvénients.
On s'attend à ce que la prochaine phase de réglementation des gaz à effet de serre vise une réduction de 100 millions de tonnes métriques. C'est un grand pas en avant pour la réduction de l'empreinte carbone de l'industrie du camionnage.
Par le passé, la réglementation environnementale, même si elle a été bien accueillie par notre industrie, s'est avérée problématique. Les règlements sur l'équipement présentent d'importants problèmes en matière de fiabilité... À un point tel qu'une entreprise qui exploite 100 camions, par exemple, devra peut-être avoir 120 camions, ou 20 p. 100 de plus, parce que ses camions briseront constamment.
Nous sommes inquiets de la prochaine série de règlements sur les gaz à effet de serre. Nous sommes inquiets de ces problèmes en matière de fiabilité, surtout en ce qui a trait aux remorques. Les remorques seront réglementées pour la première fois. Par exemple, on exigera que les pneus soient munis de systèmes de surveillance de l'air. On peut penser qu'il s'agit d'une bonne chose. Il devrait en être ainsi, mais ces équipements sont en grande partie fabriqués aux États- Unis et sont utilisés sous la ligne Mason-Dixon, où il n'y a pas de neige ni de gel. Cela nous préoccupe.
Nous avions également des préoccupations, récemment, à l'égard du signal ambigu qu'a transmis le gouvernement fédéral à notre secteur par la décision d'éliminer les remises de la taxe d'accise sur les technologies comme la technologie de réduction du temps de marche au ralenti. Lorsque les camionneurs dorment dans leur cabine, ils utilisent des technologies environnementales, des technologies de chauffage et de climatisation, essentiellement, au lieu d'utiliser le moteur principal. Une exonération de la taxe d'accise fédérale était auparavant accordée pour le carburant servant à alimenter ces appareils. Le gouvernement a maintenant décidé de taxer le carburant. Nous ne comprenons pas le message ambigu qu'on nous envoie.
Quant à la tarification du carbone, l'Alliance canadienne du camionnage ne s'y oppose pas. Nous comprenons évidemment que la réduction de quoi que ce soit nécessite l'adoption d'un mode de tarification. Le problème est lié aux modalités de l'approche à cet égard.
À titre d'exemple, l'ACC est d'avis que le mécanisme de fixation des prix doit être structuré ou autrement dit, qu'il doit être sans incidence sur les recettes, facile à comprendre, transparent, harmonisé à l'échelle nationale et internationale de façon à éviter les inégalités dans la concurrence régionale; efficace à administrer. Il doit en outre favoriser l'équité entre les divers modes de transport des marchandises et permettre le réinvestissement dans l'industrie afin d'accélérer l'adoption de solutions écologiques au sein de l'industrie.
Alors qu'il examine divers mécanismes de tarification du carbone, le gouvernement fédéral doit reconnaître, à tous les échelons, que le Canada et la chaîne d'approvisionnement canadienne doivent être concurrentiels à l'échelle internationale. Il convient de tenir pleinement compte des entreprises qui sont actives dans les marchés très concurrentiels que sont les marchés internationaux.
Le carburant représente le premier ou le deuxième coût en importance pour toute entreprise de camionnage. Nous sommes évidemment favorables à la tarification du carbone, car la baisse de la consommation de carburant entraînera une réduction des émissions. Toutefois, dans notre secteur, cela fait également office de mécanisme de tarification, qui comprend deux éléments. L'un d'entre eux est le tarif de base pour le transport de marchandises, et l'autre est, en somme, ce que nous appelons le supplément carburant.
Un mécanisme de tarification du carbone bien conçu pourrait être intégré à ce système. Autrement, il pourrait entraîner des problèmes dans la chaîne d'approvisionnement. Cela causerait manifestement un écart de prix entre les entreprises canadiennes de camionnage et leurs concurrents des États-Unis, car nous savons très bien qu'aucun mécanisme de tarification du carbone ne sera mis en place dans ce pays, à tout le moins pendant la présente administration.
Comme je l'ai indiqué précédemment, les taxes sur le carbone doivent s'appliquer à l'ensemble des modes de transport. À notre avis, rien ne justifie d'accorder une exemption à quelque secteur que ce soit. C'est tout ou rien.
Le gouvernement doit en outre adopter une politique judicieuse en matière de tarification du carbone. Comme je l'ai indiqué plus tôt, notre industrie mise surtout sur les moteurs diesel; accroître le prix du carburant diesel pour favoriser l'adoption de solutions de rechange n'est pas une option pour notre industrie.
La mise en place d'une tarification du carbone applicable à notre industrie doit reposer sur une raison d'intérêt public valable. Nous estimons que la seule raison valable serait de redonner ces fonds à notre secteur pour qu'il puisse réinvestir, au cours des sept prochaines années, dans l'acquisition des composantes dont j'ai parlé.
Je vous remercie de l'occasion de comparaître. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Laskowski, pour votre présentation. J'ai travaillé 24 ans sur la route, mais les camionneurs m'aimaient moins, puisque j'étais policier à l'époque. Il fallait vérifier les connaissements, les factures et ainsi de suite.
Je suis parfaitement conscient du fait que, ce qui fait la force de l'économie d'un pays, c'est le camionnage, et qu'il faut un excellent réseau routier. Malheureusement, si l'on prend Montréal à titre d'exemple, les camions ronronnent dans la congestion. Il coûte donc excessivement cher de faire rouler un camion sur l'île de Montréal. On a beau faire des routes de contournement, il n'y en a pas assez. Si l'on veut diminuer la pollution et favoriser l'économie, il nous faut un meilleur réseau routier.
Si vous pouviez demander au gouvernement fédéral d'améliorer les infrastructures, que pourrait-il faire pour aider le camionnage? On a beau taxer le carbone dans le but de réduire la pollution, mais si les camions ronronnent dans la congestion à Toronto ou à Montréal, on n'améliore pas la situation.
[Traduction]
M. Laskowski : C'est un bon point, sénateur. Si vous prenez l'exemple des États-Unis — et j'ai mentionné cet aspect plus tôt en parlant d'une politique —, l'instauration de frais ne pose pas problème, mais la question est de savoir ce qu'on cherche à réduire ou encore de savoir à quoi serviront ces recettes. Aux États-Unis, les recettes des taxes sur le carburant, en général, et celles de l'enregistrement des camions ne sont pas versées dans les recettes générales. Elles sont dédiées aux projets d'infrastructures visant à réduire la congestion, car cette congestion est une cause de pollution. Les camions et les voitures qui tournent au ralenti sont inefficaces, et cette inefficacité entraîne davantage de pollution.
Le gouvernement fédéral doit établir, en collaboration avec les provinces, une stratégie sur l'utilisation des recettes provenant de la taxe sur le carburant et des taxes sur le carbone qui sont en voie d'être mises en place dans diverses provinces, non seulement pour favoriser les nouvelles technologies et les investissements, comme je l'ai indiqué, mais aussi pour réduire la congestion du réseau routier. Montréal est un excellent exemple à cet égard, et on trouve au pays de nombreux exemples de collectivités qui doivent investir. Les divers ordres de gouvernement du pays ont négligé les infrastructures au cours des 20 ou 30 dernières années, probablement. Nous sommes dans une situation très peu enviable. Il est donc temps d'établir des priorités et de faire preuve de leadership.
Ce sera difficile, car les fonds disponibles sont limités, comme nous le savons. Cela dit, si vous allez à Montréal, c'est la congestion totale. Ce n'est pas bon pour l'économie. Cela n'indique certainement pas que nous sommes prêts à faire des affaires. L'enjeu ici est donc d'inciter le gouvernement canadien et tous les gouvernements provinciaux du pays à étudier des projets d'infrastructures qui permettront de réduire la congestion du réseau routier plus rapidement.
Cela pourrait aussi nécessiter de nouvelles options en matière de transport en commun afin de réduire l'achalandage sur ces routes, mais pour cela, il faut adopter une perspective stratégique plutôt qu'une perspective politique.
Le sénateur Oh : Selon l'Alliance canadienne du camionnage, l'ACC, on pourrait réduire les émissions de GES de 20 à 30 p. 100 en utilisant des véhicules fonctionnant au gaz naturel. Parmi vos 4 500 membres, combien utilisent un camion équipé de cette technologie? Dans quelle mesure est-elle efficace?
M. Laskowski : Je n'ai pas les statistiques, sénateur, mais je dirais que ce serait moins de 2 p. 100. Cela ne veut pas dire que les moteurs au gaz naturel ne fonctionnent pas, ne peuvent pas fonctionner ou ne sont pas une solution de rechange viable. Le problème est lié aux infrastructures et au prix d'achat élevé.
L'utilisation du gaz naturel représente également un défi pour les exploitants de flottes de camions, étant donné que la plupart d'entre eux ont leur propre atelier d'entretien. L'entretien d'un moteur à gaz naturel est très différent; cela comporte de nombreux défis.
L'Alliance canadienne du camionnage et ses associations provinciales membres — en particulier celles de l'Ontario et du Québec — collaborent avec les gouvernements pour l'établissement de mesures incitatives à offrir dans le cadre d'une transition planifiée. La transition au gaz naturel ne pourra toucher toutes les flottes en raison de contraintes liées aux infrastructures, mais il y a des cas pour lesquels ce sera possible.
Je dirais, même si nous sommes toujours peu enclins à nous tourner vers le gouvernement pour demander plus d'argent, que cela représente pour les gouvernements une occasion d'éliminer les risques liés à l'investissement précoce. L'écart de prix par unité entre un tracteur au diesel et un tracteur au gaz naturel est probablement de 60 000 $ à 70 000 $. Pour l'exploitant d'une entreprise dont les marges sont peu élevées, cela représente un risque considérable, sans compter les problèmes potentiels.
À mon avis, les provinces, le gouvernement fédéral, les membres de l'industrie du camionnage, les entreprises du secteur manufacturier et, bien franchement, les fournisseurs de gaz naturel ont là une excellente occasion de collaborer. Se contenter de donner de l'argent à l'industrie du camionnage n'est sans doute pas la chose à faire. Il convient d'agir de façon planifiée, réfléchie et stratégique. Cela dit, les possibilités sont immenses.
Le sénateur Oh : Une entreprise chinoise établie à Mississauga investit dans la technologie de GNL destinée à l'industrie du camionnage. Elle a construit deux centres de ravitaillement, soit à Vancouver, en Colombie-Britannique, et l'autre en Ontario. Toutefois, cela n'a pas fonctionné, pour une raison quelconque. L'entreprise n'a reçu aucun appui.
M. Laskowski : Je ne suis pas au courant de ce cas précis; je ne peux donc me prononcer au sujet de cet appui. À mon avis, il y a des problèmes importants. Le prix du diesel a considérablement baissé. Les entreprises ont tendance à examiner les diverses situations comme des occasions. Donc, ils envisageront la conversion au gaz naturel si cela représente une occasion de réduire leurs coûts d'exploitation. Actuellement, le prix du diesel dépasse légèrement un dollar le litre, tandis que la solution du gaz naturel est moins concurrentielle et donc moins attrayante. Cela complique les choses.
La sénatrice Beyak : Merci de votre exposé. Je souscris entièrement à votre point sur le diesel et les carburants fossiles. Malgré tous nos efforts, nous n'utiliserons rien d'autre que des carburants fossiles pour alimenter nos avions de chasse ou nos navires pour les décennies à venir.
L'accord sur les changements climatiques parle d'un financement de 100 milliards de dollars par année pour les pays en développement. Je suis portée à croire que ces fonds pourraient être utilisés à bien meilleur escient, soit pour nourrir les gens et éradiquer des maladies. Quelles mesures prenez-vous, en collaboration avec d'autres organismes, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux pour mettre en œuvre vos excellentes suggestions, étant donné que nous ne faisons pas partie de ce groupe?
M. Laskowski : Plusieurs initiatives ont été menées dans diverses provinces pour les moteurs au gaz naturel ou pour favoriser l'utilisation de certains des équipements que j'ai mentionnés. Je pense qu'on a acquis une bien meilleure compréhension de notre secteur, de sa volonté à jouer un rôle déterminant et à prendre les mesures nécessaires, et des limites technologiques auxquelles nous sommes confrontés. À mon avis, on pensait peut-être, il y a une décennie, qu'inciter l'industrie à se convertir aux camions électriques serait aussi simple que d'actionner un interrupteur. Je vous mets au défi d'en trouver un.
Je pense qu'on a acquis une meilleure compréhension de la réalité à laquelle nous sommes confrontés sur le terrain. Honnêtement, je dirais que c'est maintenant devenu une question de leadership politique. De nos jours, l'idée d'investir dans certains domaines de l'économie a perdu de son lustre, mais c'est la bonne chose à faire. Nous verrons.
La sénatrice Beyak : Dans le Grand Nord, nos populations autochtones dépendent aussi des combustibles fossiles. Je vous souhaite la meilleure des chances. Je vous invite à poursuivre la lutte, car je crois que nous devons examiner toutes les solutions possibles.
Le sénateur Woo : J'ai une question complémentaire concernant les moteurs au gaz naturel, en particulier sur leur rendement. Est-il juste de dire que les obstacles techniques qui limitaient le rendement ont été surmontés et que le rendement n'est plus une préoccupation, ou cela pose-t-il toujours problème?
M. Laskowski : Le rendement ne pose aucunement problème, sauf dans le cas des moteurs à puissance supérieure. Aux États-Unis, cela poserait peu problème, en raison des poids et dimensions. Les critères applicables aux camions sont fonction de leur longueur et de leur poids. Au Canada, notre système est beaucoup plus progressif qui permet le transport de charges lourdes, notamment les ressources naturelles et les produits de l'industrie lourde que nous produisons au Canada. Les moteurs au gaz naturel qu'on trouve sur le marché ont une puissance limitée, de sorte qu'ils ne peuvent tracter ces charges plus lourdes. Il n'existe aucun autre problème d'ordre technique qui empêche l'introduction de ces moteurs dans l'industrie du camionnage.
Le sénateur Woo : C'est utile. Les principales contraintes sont le coût initial d'acquisition des camions au gaz naturel et les infrastructures d'appui pour ce type de véhicule. Toutefois, utiliser le gaz naturel plutôt que le diesel permet de réaliser des économies, évidemment, même si ces économies sont plus faibles actuellement en raison du bas prix du diesel. On peut supposer que la tarification du carbone viserait à cibler une partie des mesures incitatives vers l'utilisation du gaz naturel.
Donnez-nous une idée de l'écart des coûts d'exploitation. Mettons de côté la question des infrastructures pour le moment et concentrons-nous uniquement sur l'écart des coûts d'exploitation d'un camion au diesel et un camion au gaz naturel. À combien s'élèvent les économies?
M. Laskowski : Cela dépend vraiment de votre marché. Il existe plusieurs modèles d'affaires pour lesquels cette solution est viable. Ce sont essentiellement des activités où les véhicules retournent au dépôt après livraison, ce qui signifie que vous connaissez votre point de départ le matin et votre destination du soir. Vous savez quelles marchandises vous transporterez dans les deux directions, ce qui n'est pas le cas pour la plupart des entreprises. Les transporteurs savent quelles marchandises ils transportent le matin, ils connaissent leur destination, mais le problème est de trouver des marchandises à transporter au retour, car personne ne veut revenir à la maison avec un camion vide.
On peut certainement démontrer la viabilité financière du gaz naturel dans un scénario de retour au dépôt après livraison, même avec le prix actuel du diesel. Toutefois, les problèmes liés à l'intégration de la technologie dans votre flotte demeurent, sans compter qu'avec le gaz naturel, vous serez également confronté à ce que j'appelle le syndrome de l'ancre de navire. La valeur résiduelle de ces véhicules est nulle, puisqu'il n'existe aucun marché actuellement. Au terme du cycle de cinq ans, la plupart des entreprises de camionnage les vendront sur le marché secondaire ou les marchés étrangers. Cela dit, ces camions n'ont aucune valeur résiduelle en ce moment.
Donc, dans le marché initial, ils pourraient être très rentables. Les gouvernements devraient jouer un rôle à cet égard, mais il convient aussi de prendre conscience qu'ils comportent des limites et de comprendre ces limites.
Le sénateur Woo : Vos observations sont utiles, mais pourriez-vous me donner un aperçu de l'écart des coûts au kilomètre entre un véhicule au diesel et un véhicule au gaz naturel?
M. Laskowski : Je peux obtenir ces chiffres, sénateur. Je les ferai parvenir au greffier. Nous avons fait des études à ce sujet et l'écart peut être important.
Le sénateur Woo : Cela nous serait très utile. Merci.
Vous avez insisté sur la nécessité d'appliquer la tarification du carbone de façon uniforme à tous les modes de transport. Cela me semble tout à fait logique. Toutefois, le fait que vous ayez soulevé ce point me porte à m'interroger. A- t-on évoqué la possibilité d'appliquer cette pénalité différemment selon le mode de transport?
M. Laskowski : Le document de travail sur la taxe fédérale sur le carbone publié plus tôt ce mois-ci regroupait l'industrie du camionnage et l'industrie ferroviaire, qui seraient assujetties aux mêmes règles. On propose une mesure distincte pour l'industrie du transport maritime. En résumé, toute entreprise de transport maritime exerçant des activités à l'échelle interprovinciale ou internationale serait exonérée de la taxe sur le carbone. Dans le document, on reconnaît que l'industrie du transport aérien de marchandises n'est actuellement frappée d'aucune taxe sur le carbone. On reconnaît aussi les problèmes potentiels qui pourraient découler de l'introduction d'une telle mesure dans ce secteur. On indique qu'il conviendrait de régler cette question, mais aucun engagement n'est pris en ce sens.
Le sénateur Woo : Monsieur le président, c'est un aspect pour lequel nous devrions faire un suivi.
La sénatrice Tardif : Je vous remercie de l'exposé que vous avez présenté ce matin. Dans votre mémoire, vous indiquez que l'Alliance canadienne du camionnage n'est pas contre le principe de la tarification du carbone, mais que si elle avait à choisir entre une taxe sur le carbone et un système de plafonnement et d'échange, elle privilégierait la deuxième solution. Pouvez-vous expliquer pourquoi?
M. Laskowski : L'enjeu est lié à la visibilité et à la transparence du système. En fin de compte, comme je l'ai indiqué plus tôt, la structure de tarification du secteur du camionnage comporte deux éléments. L'un d'entre eux est la tarification générale du transport des marchandises. L'autre est ce qu'on appelle le supplément carburant, qui s'applique à la plupart des entreprises. Cette mesure a été établie au fil du temps, après la hausse marquée du prix du carburant au milieu des années 2000. Plutôt que d'avoir une hausse graduelle des prix, on assistait à des fluctuations considérables, ce qui est toujours le cas aujourd'hui. Pour régler ce problème, étant donné les contrats à long terme qu'on voit dans notre secteur, la tarification a été divisée en deux parties : le prix général du transport des marchandises et un deuxième élément appelé supplément carburant.
Une taxe sur le carbone pourrait facilement être intégrée à ce deuxième élément. La tarification du carbone varierait d'un système à l'autre, même si elle était intégrée à ce deuxième élément. Pour nos clients, cela se traduirait par une baisse de transparence; ils ne comprendraient pas cet élément. C'est une question de transparence et de capacité, pour la chaîne d'approvisionnement, d'expliquer de quoi il s'agit, surtout auprès des acheteurs étrangers aux États-Unis.
La sénatrice Tardif : Certaines provinces utilisent un système de plafonnement et d'échange, alors que d'autres recourent à la tarification du carbone. Que pensez-vous de ce manque d'uniformisation? Quels pourraient en être les effets sur notre industrie?
M. Laskowski : C'est problématique. Idéalement, il y aurait une solution pancanadienne en vertu de laquelle l'application et l'approche seraient les mêmes, peu importe l'endroit où on se trouve. Cela permettrait d'uniformiser les pratiques dans l'ensemble des provinces, ce qui faciliterait la gestion du système. Le système actuel et l'orientation que nous adoptons compliquent les choses.
La sénatrice Tardif : Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Laskowski, je crois, et corrigez-moi si je me trompe, que les camionneurs américains auraient des avantages par rapport aux camionneurs canadiens pour livrer la marchandise au pays. Êtes- vous au courant de cela? Comment faire pour régulariser leur présence, si c'est possible?
[Traduction]
M. Laskowski : Merci de m'interroger sur la compétitivité. Il existe, à l'extérieur du champ de compétences du gouvernement fédéral, un système au sein duquel les taxes sur le carburant sont prélevées dans l'industrie du camionnage active des deux côtés de la frontière aux termes de l'Entente internationale concernant la taxe sur les carburants. Ce système est fort simple : il se fonde sur le nombre de milles ou de kilomètres parcourus dans une province et sur les taux de taxe de vente de la province, de l'État ou du gouvernement fédéral. De fait, le gouvernement fédéral en est exempté. Ces taxes sont recueillies et remises à qui de droit.
Voilà pourquoi nous disons qu'il n'existe aucun avantage ou inconvénient concurrentiel à imposer des taxes dans une province. Cela ne change rien. Les taxes sont imposées en fonction du lieu où l'on voyage. C'est pourquoi ce méli- mélo de systèmes fédéral et provinciaux existe; l'absence d'un système provincial ouvre la porte aux inégalités.
Je n'aime pas utiliser l'expression suivante à tout venant, mais quand le mal est fait, le mal est fait. Le gouvernement est en train d'essayer de rectifier la situation, mais ce ne sera pas une mince tâche.
Le sénateur Ogilvie : Monsieur Laskowski, vous avez fait un excellent survol de bien des questions. J'aimerais approfondir une d'elles, mais j'ignore jusqu'où vous voulez vous prononcer. Lorsque l'on parcourt les routes de l'Est de l'Amérique du Nord, le contraste est saisissant entre le Nord et le Sud du 49e parallèle au chapitre de l'entretien et du calibre des autoroutes. J'ai parcouru le nord-est de l'Amérique du Nord et j'ai constaté que les États-Unis non seulement réparent les autoroutes, mais le font de manière harmonieuse.
Nous savons que les taxes recueillies peuvent être utilisées de manières fascinantes. Elles sont réparties de façons très intéressantes entre les divers ordres de gouvernement, alors qu'on ne rend pratiquement aucun compte quant à l'utilisation initialement prévue, aux réparations et aux conséquences de la détérioration des infrastructures routières. Je ne peux imaginer ce que ce doit être que de conduire un camion sur l'autoroute 20 à l'est de Montréal. Le simple fait de s'y déplacer en automobile est difficile. Il s'agit d'une grande autoroute qui présente des problèmes criants et qui est réparée de manière à provoquer des retards considérables. Vous avez déjà discuté avec le sénateur Dagenais du fait que les retards occasionnés lorsque vous tentez de traverser ou de contourner Montréal se traduisent par des coûts substantiels.
Peut-on espérer amener un jour le système politique à appliquer les taxes aux fins prévues afin de non seulement rendre les déplacements des Canadiens plus agréables de façon générale, mais aussi d'améliorer la compétitivité d'un grand réseau de transport de marchandises? Au cours des 30 dernières années, l'utilisation des autoroutes s'est considérablement accrue. Vous nous avez donné les chiffres. Pouvez-vous formuler à ce sujet des observations qui nous permettraient d'espérer qu'on admettra le problème ou que l'industrie des transports déploiera un effort particulier pour exercer des pressions sur le gouvernement afin qu'il utilise davantage la taxe sur l'essence pour améliorer les autoroutes?
M. Laskowski : Je fais partie de l'alliance depuis 20 ans, et je peux vous dire que nous avons exercé des pressions en ce sens. Le problème ne vient pas des sommes recueillies, mais de la manière dont elles sont dépensées. Il est temps de cesser de toujours comprendre les réalités politiques. Il y a une raison pour laquelle l'Amérique du Nord a toujours été un endroit concurrentiel au-delà du pouvoir d'achat des consommateurs : c'est parce que nos infrastructures sont formidables, qu'il s'agisse des voies ferrées, des ports ou des routes. Ces infrastructures constituent l'ossature de l'économie. Notre société s'est montrée négligente à cet égard. Ce n'est pas que le gouvernement actuel ou le précédent qui l'a été; cela fait 30 ans que nous sommes négligents. Si nous n'agissons pas, nous perdrons notre compétitivité.
Vous pouvez commencer à voir qu'on agit; les municipalités, le gouvernement fédéral et les provinces investissent pour la plupart dans des projets de transport en commun municipaux. C'est un premier pas dans la bonne direction. Nous espérons tirer parti de ces efforts.
Je pense qu'il faudrait construire des infrastructures massives; plutôt que d'acheter des autobus, investissons dans un train léger sur rail pour améliorer quelque chose. Cela permettrait à l'industrie de se dire que c'est un début. Commençons à investir stratégiquement dans les routes et à orienter la stratégie du gouvernement dans une voie. Il semble vouloir se diriger dans cette direction.
Il faudra montrer la voie. Les provinces vont devoir prendre les choses en main et prendre des décisions difficiles. Je me souviens qu'à l'époque où j'avais des cheveux et que je ne grisonnais pas, c'était sexy de couper le ruban avec un politicien à l'occasion de l'ouverture d'une route. Ce ne l'est plus aujourd'hui. On veut dépenser leur argent ailleurs. Comme le sénateur l'a fait remarquer, les routes de Montréal sont dans un état lamentable et doivent être réparées. Des fonds sont affectés à cette fin, mais seigneur, fallait-il que la congestion et la crise s'aggravent à ce point pour que l'on agisse? Espérons que non. Le temps le dira.
Le sénateur Ogilvie : Merci.
Le sénateur Oh : Aux États-Unis, on trouve un grand nombre de voies de contournement pour les camions dans les régions touchées par la congestion. Or, il n'y en a pas au Canada.
M. Laskowski : Non. Les Américains planifient et établissent des budgets pour prévoir des fonds à ce sujet; et ils le font extrêmement bien. Et sachez que mes collègues américains sont mécontents. Selon l'American Trucking Associations, les camionneurs sont disposés à accepter des taxes plus élevées sur le carburant tant qu'on investit davantage dans les routes. Ils jugent qu'il s'agit là d'un investissement d'affaires, semblable à celui qu'une entreprise ferait. Ils considèrent les routes comme un investissement. Doivent-ils payer plus pour avoir plus? Peut-être. Mais en obtiendront-ils plus? S'ils ont un engagement du gouvernement, les chefs d'entreprise et les politiciens peuvent discuter et faire de bons investissements.
S'il y a des voies de contournement aux États-Unis, c'est parce que quelqu'un, dans un État, a décidé que c'est ce qu'il voulait et qu'il souhaitait que l'industrie du camionnage serve son secteur d'une certaine manière. Plutôt que de rester coincés dans le trafic à Montréal, les camionneurs devraient pouvoir emprunter des voies de contournement pour ne pas devoir traverser la ville s'ils n'y sont pas obligés. C'est le résultat d'une excellente planification et de fonds bien investis.
S'il n'y a pas de voies de contournement au Canada, ce n'est pas parce qu'il manque de planificateurs intelligents ou de bonnes personnes au gouvernement; c'est parce que nous n'investissons pas.
Le sénateur Oh : En effet. Merci.
Le sénateur Pratte : Dans votre exposé, vous avez indiqué que les règlements sur les gaz à effet de serre réduiront les émissions des camions lourds de 100 millions de tonnes métriques au Canada. C'est peut-être quelque chose que nous devrions savoir, mais avez-vous une idée de ce que cette quantité représente par rapport aux émissions totales?
M. Laskowski : Dans notre secteur?
Le sénateur Pratte : Oui.
M. Laskowski : Ici encore, quand j'étais plus jeune, je pouvais réciter par cœur tous les pourcentages. Je pense que la réduction est de 20 ou de 30 p. 100 dans notre secteur. Il faut toutefois se rappeler que la croissance économique entraîne une augmentation du nombre de camions sur les routes.
Le sénateur Pratte : Bien sûr.
M. Laskowski : C'est donc une cible pour prendre les devants afin de réduire notre impact.
Le sénateur Pratte : Si vous trouvez le chiffre exact, pourriez-vous nous le transmettre?
M. Laskowski : Volontiers.
Le sénateur Pratte : Vous avez également indiqué que si on instaure un système de tarification du carbone au pays, ce qui sera le cas, vous voudriez qu'il soit coordonné à l'échelle nationale et internationale, c'est-à-dire au Canada et aux États-Unis. Vous avez, bien entendu, souligné que les États-Unis ne se dirigent pas dans cette voie. De nombreux témoins nous l'ont d'ailleurs fait remarquer. Ils voulaient que si nous décidons d'instaurer cette tarification, nous attendions de voir si les États-Unis l'imposeraient aussi. Ce qui m'embête, c'est que c'est comme si nous laissions le choix aux États-Unis. S'ils ne le font jamais, nous ne le ferons jamais, et c'est problématique. Voudriez-vous nous donner votre son de cloche à ce sujet?
M. Laskowski : Certainement. Nous ne vous conseillons pas d'attendre après les États-Unis. Si vous entendez taxer les camions canadiens, taxez les camions américains et trouvez un moyen de régler la question. Voilà ce que nous disons vraiment. On nous répond que c'est difficile. Eh bien, il est également difficile de payer une taxe sur le carbone. Trouvez une solution.
Le sénateur Pratte : Pensez-vous que ce soit faisable?
M. Laskowski : Je pense que oui. Quel est l'objectif du document de discussion? Veut-on imposer un prix fédéral ou assurer l'uniformité parmi les provinces? Je ne peux répondre à cette question, mais si nous instaurons un système en vertu duquel les provinces recueillent les taxes au titre de l'Entente internationale concernant la taxe sur les carburants, alors notre problème disparaît, car les Américains payeront. Nous ne pouvons pas vraiment nous prononcer sur un système fédéral. D'après ce que nous pouvons voir, le système fédéral impose un éventail d'exigences en matière de reddition de comptes à l'industrie du camionnage. Il ne précise pas si les Américains sont visés. Essentiellement, le document indique que les camionneurs devront — chaque trimestre ou chaque année, je présume — faire rapport à l'ARC des milles parcourus dans les provinces assujetties au filet de sécurité. C'est une mesure administrative très lourde. Le document n'indique toutefois pas si les entreprises de camionnage étrangères y seraient assujetties. Nous considérons toutefois que si nous devons payer, elles doivent le faire aussi.
Le sénateur Pratte : Merci.
La sénatrice Beyak : Ma question fait suite à celle du sénateur Ogilvie sur les infrastructures. Vous avez raison de dire que le problème dure depuis des années. Mon conjoint était président de la chambre de commerce locale dans les années 1990, et d'après nos recherches, le gouvernement a perçu 2 milliards de dollars par année en taxe sur l'essence, c'est-à-dire 200 milliards de dollars sur 10 ans, et a investi 184 millions de dollars dans les autoroutes. J'ai préparé, à l'intention du premier ministre Harper, un cahier sur une autoroute Transcanadienne à quatre voies allant d'un océan à l'autre. Il l'a approuvé et transmis aux ministres des Finances et de l'Infrastructure, mais le gouvernement a changé depuis, bien sûr. Notre comité peut peut-être contribuer à résoudre le problème d'infrastructure. Il faut faire la bonne chose, peu importe qui reçoit le crédit. Le nouveau gouvernement pourrait peut-être assumer cette tâche, car cela pourrait régler bien des choses.
M. Laskowski : Merci, sénatrice. L'Alliance canadienne du camionnage demandera habituellement aux associations provinciales de nommer les deux ou trois projets qui sont réellement importants aux yeux de leurs membres. Cela donne lieu à un débat intéressant, car il faut choisir entre la construction de nouvelles autoroutes et la réfection routière. La plupart des entreprises de camionnage choisiront la réfection, car cela a des répercussions sur leurs activités quotidiennes. Les nouvelles autoroutes sont comme les anciennes voies ferrées à l'époque de l'édification du pays, au début, elles ne vont nulle part parce qu'il n'y a rien de construit sur leur parcours, mais comme on dit, si on ouvre la voie, cela viendra, comme ce fut le cas pour les voies ferrées. Les villes de l'ouest n'ont pas été construites au milieu de nulle part parce qu'on voulait construire une agglomération à cet endroit; elles ont été construites à proximité d'une voie ferrée. La même chose se passe avec les autoroutes.
Dans le marché moderne du camionnage, qui est extrêmement concurrentiel, que puis-je faire avec mon investissement pour améliorer les routes sur lesquelles je circule afin de réduire la congestion, le temps de transport, le confort de mes conducteurs et autre chose? Je considère que nous en sommes là, car nous accusons un tel retard que je pense qu'il serait vraiment utile que le gouvernement fédéral indique les genres de projets qui pourraient nécessiter des fonds fédéraux dans toutes les provinces afin de stimuler immédiatement l'économie et améliorer la qualité de vie du consommateur moyen qui prend la route.
La sénatrice Beyak : Merci beaucoup.
La sénatrice Gagné : Quels incitatifs faudrait-il offrir à votre secteur pour qu'il utilise des modes de transport à faibles émissions?
M. Laskowski : Eh bien, il en utilise déjà, car comme je l'ai souligné, les camions eux-mêmes doivent satisfaire à des normes au chapitre de la qualité de l'air et des émissions de gaz à effet de serre. En ce qui concerne le carbone et les gaz à effet de serre, toutefois, il existe un modèle de base, et cela va jusqu'au modèle or ou platine. On peut choisir l'un ou l'autre; c'est une question de coût. Cette technologie vaut-elle l'investissement? Est-ce que je veux essayer une autre technologie? Comment est-ce que je veux l'utiliser? Je pense que nous souhaitons que l'on nous incite à faire ces choix pour nous encourager à essayer une catégorie de tracteur et à nous y habituer.
La sénatrice Gagné : De quel genre de politique avez-vous besoin pour adopter ces technologies?
M. Laskowski : Habituellement, la meilleure solution consiste à offrir un rabais du manufacturier. Par exemple, les générateurs auxiliaires dont j'ai parlé, et qui assurent le confort des conducteurs, sont habituellement des ajouts. Si on se rend chez le concessionnaire pour acheter un nouveau camion, on ne pourrait pas nécessairement se procurer ce dispositif à cet endroit et il faudrait s'adresser à un autre fournisseur. On peut offrir des incitatifs pour l'achat de ces dispositifs. Ils coûtent généralement de 5 000 à 7 000 $, mais si on les achète au cours des 12 prochains mois, le gouvernement allégera la facture de 1 500 à 2 000 $. Tout à coup, cela encourage les gens à acheter le dispositif. Avec un rabais de 2 000 $, ils sont prêts à l'essayer.
Comme je l'ai fait remarquer plus tôt, quand on fonctionne dans un monde de 0,95 cents où on transige en cents et non en dollars, les politiciens examinent parfois nos états de revenus et disent : « Seigneur, vous faites partie d'une industrie de plusieurs milliards de dollars. Pourquoi parlez-vous de cents? Cela devrait être sans importance pour vous. » Eh bien, sachez que ces montants sont d'une importance capitale pour certains exploitants. Ils constituent l'étincelle qui encourage les gens à essayer. Tout à coup, ils s'habituent à la technologie et ils l'aiment. Ils se disent que c'est l'investissement qu'il faudrait faire et ils vont de l'avant. Les incitatifs encouragent les bonnes décisions pour aller dans la bonne direction.
[Français]
Le président : Pour commencer, je vais vous indiquer mes couleurs : je suis un fervent défenseur du transport par camion. Au Canada, il y a quatre façons de transporter la marchandise : par camion, par bateau, par train et par avion. L'opinion publique est généralement ciblée sur vous. Vous avez la période de dégel à respecter ainsi que les policiers à surveiller. De plus, au Québec, vous avez deux sortes de polices. Cependant, on oublie souvent que vous êtes le facteur économique le plus important. Les industries ont beau produire de la marchandise, mais s'il n'y a personne pour la transporter, elle reste dans les entrepôts et ces industries font faillite.
Je veux revenir sur un point bien précis que j'ai remarqué au cours des années. Je fais près de 1 200 kilomètres de route par semaine entre Québec et Ottawa. Lorsque je vais à l'épicerie et que j'achète des fruits et légumes, le coût du transport est inclus dans le prix de la tomate. Mais lorsque j'achète une automobile, je paie de 1 800 $ à 2 000 $ de frais de transport. J'imagine que ce sont vos camionneurs qui les transportent. Lorsque vous facturez le transport d'automobiles, payez-vous une taxe sur le transport? Par exemple, la majorité des véhicules importés destinés à la vente dans l'est du Canada transitent par Halifax. Si vous transportez 10 ou 12 voitures sur vos camions de Halifax à Québec, est-ce que vous payez la taxe sur le montant du transport?
Quand j'achète une automobile, on me charge 1 800 $ de transport, plus les taxes. Je ne sais pas si l'on est taxé en double pour la même chose. Cela voudrait dire une surtaxe sur de la surtaxe, ce qui signifie beaucoup de taxes. J'imagine que ce n'est pas vous les coupables, mais plutôt le système qui fait qu'on paie de la taxe en double.
[Traduction]
M. Laskowski : Je vous répondrai de la façon suivante. Un camion peut recevoir 1 800 $ pour le chargement complet, pas pour une voiture. La prochaine fois que vous irez chez le concessionnaire, vous devriez négocier ce prix à la baisse, car ce montant s'applique à au moins 12 automobiles et non à une seule. L'entreprise de camionnage ne paie pas de taxe, mais le concessionnaire pourrait payer la TPS sur la prestation de service.
Pour ce qui est de la taxe en double et de la taxe sur la taxe, monsieur le président, nous pourrions tenir une séance sur le sujet et en discuter toute la journée.
Le président : Merci beaucoup de témoigner, monsieur Laskowski. Si vous avez d'autres observations à formuler, veuillez les faire parvenir au greffier. C'est très important pour nous.
M. Laskowski : J'en ai à propos du gaz naturel et de l'éclaircissement qui a été demandé. J'assurerai le suivi.
Le président : Merci beaucoup. Les témoignages sont précieux pour nous.
M. Laskowski : Merci beaucoup, et pardonnez-moi encore pour ce matin.
[Français]
Le président : Sénatrices et sénateurs, veuillez rester ici encore quelques minutes. Nous allons maintenant siéger à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)
(La séance publique reprend.)
Le président : Quelqu'un appuie? Le sénateur Dagenais. Est-ce que c'est unanime? Merci.
Le sénateur Mercer, le greffier et moi iront défendre cette proposition au Comité de la régie interne. Merci beaucoup.
(La séance est levée.)