LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 26 septembre 2017
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 17 h 40, pour poursuivre son étude de l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.
Le sénateur Ghislain Maltais (président) occupe le fauteuil.
Le président : Bon après-midi, chers collègues.
[Traduction]
Bon après-midi à nos invités. Le Comité sénatorial de l’agriculture et des forêts poursuit aujourd’hui son étude sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.
Je suis le sénateur Maltais. Je préside ce comité. Avant d’aller plus loin, je vais demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par le sénateur Mercer.
Le sénateur Mercer : Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse. Je suis vice-président du comité.
[Français]
La sénatrice Tardif : Claudette Tardif, de la province de l’Alberta.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, de la province du Manitoba.
La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec.
Le sénateur Pratte : André Pratte, sénateur du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, de la province de Québec.
[Traduction]
Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le président : Merci, sénateurs. Aujourd’hui, nous recevons Genevieve Grossenbacher, gestionnaire de programme, Politique et campagnes, USC Canada, ainsi que Martin Entz, professeur à la faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université du Manitoba. Nous recevons également, d’USC Canada, Faris Ahmed, directeur, Politique et campagnes, et Martin Settle, directeur général.
Avant de commencer, j’aimerais savoir ce que signifie et ce que représente USC Canada.
[Traduction]
Martin Settle, directeur général, USC Canada : J’en toucherai quelques mots au fur et à mesure de notre exposé. Nous avons été créés en 1945, avec le titre Unitarian Service Committee, par Lotta Hitschmanova et nous avons 72 ans d’expérience en développement international. Nous travaillons aussi ici, au Canada.
[Français]
Le président : Merci. Est-ce Mme Grossenbacher qui va commencer?
Genevieve Grossenbacher, gestionnaire de programme, Politique et campagnes, USC Canada : En fait, Martin Settle va prendre la parole en premier, puis j’interviendrai.
Le président : Nous vous écoutons.
[Traduction]
M. Settle : Honorables sénateurs, membres du personnel et invités, je suis ravi de vous parler aujourd’hui des effets potentiels du changement climatique sur l’agriculture. Je suis Martin Settle, directeur général de USC Canada, et je suis accompagné de Faris Ahmed, notre directeur des Politiques et campagnes, et de Genevieve Grossenbacher, qui est notre gestionnaire de programme des politiques et campagnes et qui est elle-même productrice de légumes biologiques divers, dans la région de Gatineau. Nous accompagne aussi M. Martin Entz, un collègue de l’Université du Manitoba.
USC Canada est une grande réussite canadienne. Comme je l’ai mentionné, nous avons été fondés en 1945 par Lotta Hitschmanova et nous nous appelions alors le Unitarian Service Committee. Depuis 1989, nous avons travaillé de plus en plus avec les agriculteurs — pour finir par travailler exclusivement avec eux — à l’adaptation au changement climatique et à son atténuation. Notre programme international travaille avec les milieux agricoles dans des régions écologiquement marginales pour augmenter la diversité génétique nécessaire au maintien de la production alimentaire dans un cadre qui change de manière rapide et imprévisible.
Juste au cours des 10 dernières années, en partenariat avec le gouvernement canadien, USC Canada a investi plus de 35 millions de dollars de fonds publics et caritatifs dans des programmes de biodiversité agricole à l’étranger, ce qui fait de nous un leader mondial dans ce domaine. Depuis 2012, cette expérience internationale majeure a été mise à contribution dans nos partenariats avec les agriculteurs canadiens. Le programme canadien a été rendu possible grâce au soutien visionnaire de la W. Garfield Weston Foundation. Cette contribution a permis d’investir 7 millions de dollars de plus dans la biodiversité agricole au Canada.
De plus, nous participons aux activités du Comité de la sécurité alimentaire mondiale, ainsi qu’à celles liées au Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture et à la Convention sur la diversité biologique.
Notre travail de terrain auprès des agriculteurs éclaire le message que nous livrons à ces organismes et celui que nous vous présentons aujourd’hui. Je suis ravi de vous en entretenir et espère que le gouvernement du Canada continuera d’appuyer le travail de USC Canada afin de préserver les ressources nécessaires pour la production alimentaire de l’avenir.
Je répondrai volontiers plus tard à vos questions sur notre organisme et notre travail, mais d’abord, je cède la parole aux véritables experts du domaine, mes collègues, Genevieve et M. Entz.
[Français]
Mme Grossenbacher : Je me rends compte que j’aurais dû faire ma présentation en français, je suis désolée. Comme j’ai préparé mes notes en anglais, je vais faire ma présentation en anglais, et je sais que vous avez d’excellents interprètes.
[Traduction]
Bon après-midi, monsieur le président, et honorables sénateurs du comité. Je vous remercie de nous avoir invités aujourd’hui à vous parler des effets du changement climatique sur le secteur agricole.
Aujourd’hui, nous tenons vraiment à vous parler de trois choses : tout d’abord, le rôle de l’agriculture écologique dans le renforcement de la résilience au climat; deuxièmement, la nécessité pour le régime de tarification du carbone de comprendre des programmes d’incitatifs à l’adoption de pratiques exemplaires en vue d’accroître la résilience au climat; et troisièmement, nous aimerions parler un peu de recommandations sur ce que pourrait faire le Canada, tant au niveau fédéral que provincial, pour appuyer l’adoption de pratiques plus durables au Canada, mais aussi à l’étranger.
Mais pour commencer, en quoi sont liées l’agriculture et la résilience au climat? Je tiens tout d’abord à dire que l’agriculture, comme nous le savons tous et comme l’a signalé le rapport Barton, représente une part énorme de notre économie. Ainsi, le secteur agroalimentaire compte pour un emploi sur huit, et il contribue à 6,7 p. 100 du PIB. Les deux tiers de tout cela soutiennent notre marché national.
La prospérité du Canada est véritablement tributaire d’un secteur agricole prospère et dynamique. Toutefois, comme le changement climatique a pu le démontrer, particulièrement ces dernières années — et cette année en est un bon exemple, avec les importantes inondations et sécheresses qui ont sévi partout au pays, notre système alimentaire est vulnérable. La raison à cela qu’à l’échelle mondiale, nous avons perdu 75 p. 100 de la biodiversité agricole depuis une centaine d’années. Soixante-quinze pour cent des aliments du globe viennent d’une douzaine de plantes et de cinq espèces.
La biodiversité est une pratique écologique importante qui, pourtant, est maintenant en péril. Pour cette raison, dans de nombreuses régions du globe, y compris au Canada, la productivité agricole est sur le point d’atteindre un plateau, tandis que les systèmes de monoculture qui dominent nos pratiques actuelles ne sont pas résistantes au stress climatique, comme nous l’avons constaté cette année, par exemple. La combinaison de ces deux vulnérabilités fait peser directement une menace sur notre système alimentaire.
La bonne nouvelle, c’est qu’il existe déjà des solutions dans le monde. Comme l’explique l’un des rapports que j’ai ici — il y en a plusieurs exemplaires, dans les deux langues officielles — lui-même de l’IPES, le groupe national de spécialistes des sciences et de technologie de l’énergie durable — de nombreuses données démontrent que les systèmes agri-écologiques diversifiés réussissent là où échouent nos systèmes actuels, et ont un excellent rendement, particulièrement lorsqu’ils sont soumis à des stress environnementaux. Nous l’avons constaté sur le terrain, dans les pays avec lesquels nous collaborons. Comme l’a dit Marty, nous travaillons dans 12 pays, dont le Canada.
Depuis 1998, le Honduras a été lourdement frappé par des ouragans, et cela a encore été le cas cette année. Pour réagir à la situation, les agriculteurs avec lesquels nous travaillons dans les montagnes, en collaboration avec l’Université de Guelph, ont créé et diffusé plusieurs variétés de maïs qui ont un excellent rendement et sont plus résistantes aux changements climatiques. Ils ont créé diverses variétés de sources indigènes qui sont adaptées à l’échelle locale. Ils ont fait des croisements qui ont donné lieu à de plus gros épis de maïs qui s’adaptent très bien à la haute altitude et qui ne tombent pas et ne sont pas endommagés par les vents et la pluie lors des ouragans.
Les résultats ont été des plus impressionnants, cette année encore. Par exemple, comme vous le savez, le Honduras a connu l’une de ses pires années sur le plan des ouragans; bien des gens n’ont eu rien à récolter ni à planter pour la saison à venir, mais les collectivités qui cultivaient le maïs adapté ont à peine été touchées. Les périodes de famine, ou ce qu’on appelle là-bas los Hunos, à savoir le nombre de semaines du mois de juin où la faim sévit, ont diminué en quelques années de 5,73 semaines à moins de 1,63 semaine dans les collectivités où nous travaillons, en grande partie grâce à la qualité, à l’adaptabilité et à la résistance de ces semences. La diversité des semences et la disponibilité de semences hétérogènes revêtent donc une grande importance.
Des résultats similaires ont été obtenus au Canada. M. Entz pourra vous en parler. Nous avons mené des recherches à l’Université du Manitoba en partenariat avec AAC et USC Canada au cours des six dernières années. Pour la première fois dans l’histoire récente, les agriculteurs participent directement au processus de sélection végétale dans le but de créer des cultures résistantes au climat. Martin Entz vous en parlera plus longuement tout à l’heure.
Il est important d’investir dans la diversité des semences et la culture en milieu agricole, surtout appuyées par la recherche et le développement, la sélection végétale participative et le transfert des connaissances. Ce n’est pas là tout ce que nous devons faire, mais l’une des choses qu’il faut faire, et ce, au plus tôt.
J’aimerais maintenant laisser la parole à M. Martin Entz, qui vous parlera du type de pratiques agricoles qui contribuent le mieux à notre résistance au climat, et de ce que peut faire le Canada pour devenir un chef de file mondial dans ces domaines.
Martin Entz, professeur, faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation, Université du Manitoba, à titre personnel : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. C’est un plaisir d’être ici.
Je suis professeur à l’Université du Manitoba. Je détiens un doctorat de l’Université de la Saskatchewan en physiologie de la sécheresse et j’ai travaillé en Australie sur les systèmes fondés sur la sécheresse. Voilà pour mes antécédents. J’exerce depuis de nombreuses décennies le métier d’agronome et j’ai essayé d’augmenter la résistance de l’agriculture. J’ai connu de nombreux défis dans ma carrière et j’ai constaté le potentiel que présente la technologie écologique. À cet égard, j’aimerais vous raconter quatre petites histoires. Je crois que vous allez voir un diaporama que nous avons préparé pour les illustrer. Cela devrait venir.
Quand on pense à l’agriculture en tant que moteur économique de notre pays, on compte sur une productivité accrue. De fait, l’agriculture canadienne maintient sa tendance à la hausse en ce sens. Les rendements augmentent chaque année. Ils approchent néanmoins d’un plateau. Il reste encore une certaine marge de manœuvre, ce qui est une bonne chose. Dans certains pays, non seulement les rendements ont-ils atteint un plateau, mais ils ont aussi commencé à diminuer. Fait étonnant, c’est le cas de l’Australie. Depuis une quinzaine d’années, le rendement du blé de l’Australie a diminué de près de 10 p. 100. Selon le rapport du CSIRO, c’est une conséquence de la réduction des précipitations depuis une vingtaine d’années et de la hausse des températures dans ce pays.
C’est, dans un pays industrialisé, le premier indice que le changement climatique exerce une influence sur le potentiel de rendement. Les pluies pourraient revenir, mais les températures élevées entraînent des problèmes de pollinisation des cultures comme le blé et diminuent leur potentiel de rendement.
Quand j’observe ce genre de phénomène, cela me fait penser aux mesures que nous prenons au Canada pour atténuer ces effets. Je suis originaire des Prairies, et j’aimerais parler un peu de l’agriculture sans labourage. Cette méthode a remporté un succès retentissant au Canada. Nous ne sommes pas seulement des chefs de file dans le développement de cette technologie, mais nous l’exportons aussi ailleurs dans le monde. Nous exportons les machines et le savoir-faire. Même nos agriculteurs qui pratiquent la culture sans labour ont constaté que cette méthode ne permet pas de séquestrer le carbone comme ils le souhaiteraient. Nous pensions qu’il y aurait séquestration du carbone, mais elle ne se fait qu’à la surface, et ce carbone n’est pas toujours stable.
Ce qui est emballant, c’est que les agriculteurs qui pratiquent cette culture commencent maintenant à intégrer des pratiques écologiques. Dans le diaporama que vous allez recevoir, vous verrez une vidéo de Colin Rosengren, de Midale, en Saskatchewan, qui fait de la culture sans labour intercalaire sur son exploitation agricole de 4 000 acres. Ces mots que je viens de prononcer ne signifient peut-être pas grand-chose pour le Canadien moyen, mais pour simplifier, il applique une méthode écologique dans une vaste exploitation dite « industrielle ». Cela a contribué à stabiliser les rendements et a rendu son système plus résistant au climat.
Je les appelle les technologies écologiques. Nous constatons que ces technologies, qui sont en train d’entrer dans le monde agricole général du Canada et que les grands agriculteurs adoptent, sont très importantes.
Troisième chose, la culture biologique. Bien des gens s’intéressent à ce que peut faire l’agriculture biologique pour le secteur agricole canadien. À l’Université du Manitoba, nous avons le plus ancien programme de recherche biologique du Canada. Il existe depuis 26 ans. Je vous invite à rendre visite à notre parcelle de Glenlea quand vous serez à proximité de Winnipeg; je serais ravi de vous accueillir.
Nous en avons tellement appris en faisant de la recherche sur l’agriculture biologique que nous pouvons maintenant appliquer ces résultats à l’agriculture dans son ensemble. Un programme particulièrement emballant nous a permis de faire appel aux agriculteurs pour ce qui est de la sélection des variétés adaptées à la production biologique. Cela a notamment permis à notre partenariat avec Agriculture et Agroalimentaire Canada ainsi qu’avec USC Canada de fleurir. Nous travaillons à l’heure actuelle avec 77 agriculteurs qui nous proviennent de l’île de Vancouver jusqu’à l’Île-du-Prince-Édouard et qui cultivent le blé, l’avoine et les pommes de terre. Il s’agit de la toute première fois dans l’histoire récente du Canada — en fait, depuis l’ère de Seager Wheeler en Saskatchewan — que l’on invite les agriculteurs à prendre part au processus de sélection des variétés. Nous travaillons de concert avec les cultivateurs pour ce qui est de la propriété intellectuelle. Nous allons créer des cultures plus résistantes au climat. Nous avons déjà établi cette ambition.
Enfin, j’aimerais vous parler de la taxe sur le carbone. Bien que je ne sois pas un économiste, je sais que, au Canada, le sol est le seul puits terrestre à carbone. Il s’agit du seul endroit où on peut entreposer le carbone si l’on souhaite le séquestrer ultérieurement. Mes collègues agronomes et moi-même estimons que le revenu provenant d’une taxe sur le carbone devrait être utilisé afin de permettre aux cultivateurs de séquestrer le carbone dans nos sols en utilisant des méthodes écologiques. Cela pourra et va fonctionner, et il s’agit du seul endroit où l’on puisse entreposer du carbone. Merci d’avoir pris le temps de m’écouter.
Mme Grossenbacher : Je sais que notre temps est écoulé, mais me permettriez-vous de conclure?
La tarification du carbone est hors de notre domaine de compétence, car USC Canada travaille avec des agriculteurs qui n’émettent généralement pas beaucoup de carbone. Cela dit — et nous sommes tout à fait d’accord avec Martin —, nous estimons qu’il est important que le mécanisme de tarification du carbone comprenne des programmes qui inciteraient les cultivateurs à adopter une pratique écologique. Il est également important que ce système ne soit pas punitif et qu’il soit plutôt axé sur la récompense.
La France a connu beaucoup de succès en appuyant l’agriculture. Au Québec, ils font un excellent travail à l’heure actuelle grâce à la loi qui a été adoptée dans le cadre de Cultivons l’avenir 2. La province appuie maintenant mieux l’agriculture biologique, et nous en avons vu les résultats, avec une augmentation à hauteur de 300 p. 100 de la production écologique. Il existe même une école qui a reçu 750 demandes de la part de personnes qui souhaitaient faire de l’agriculture écologique.
La France estime que, pour que ces systèmes — tels les programmes axés sur la récompense — fonctionnent, ils doivent être fondés sur la notion selon laquelle les agriculteurs reproduisent ceux qui fonctionnent et mettent en œuvre les programmes pour lesquels ils reçoivent un soutien financier. Il est donc important que nous encouragions ce type de programme de récompense.
Pour ce qui est des recommandations et des politiques, je crois qu’on pourra en parler davantage lors de la période des questions. Grosso modo, si l’on souhaite accroître notre productivité tout en réduisant l’empreinte environnementale de notre système agricole, qui produit à l’heure actuelle 10,3 p. 100 de nos émissions de gaz à effet de serre, nous devons aider les cultivateurs à adopter des pratiques plus écologiques et les appuyer tout au long du processus. Le partage des connaissances, la recherche, l’investissement dans la recherche et le développement et le transfert des connaissances sont essentiels.
Une agriculture durable est positive dans de multiples domaines et avantageuse pour tous les agriculteurs, pas seulement les cultivateurs biologiques. Le contraire n’est pas forcément vrai. Les semences qui ont été conçues pour bien fonctionner dans des systèmes biologiques peuvent être cultivées avec peu d’intrants. En réalité, ces semences peuvent être cultivées sur des fermes classiques.
De plus, pour ce qui est d’accroître la résilience au climat, les systèmes écologiques permettent de préserver la biodiversité. Des études ont démontré que les fermes biologiques ou écologiques sont deux ou trois fois plus efficaces en ce qui a trait à la préservation de la biodiversité. Cela permet d’améliorer la viabilité des fermes. Une étude fort intéressante est parue au cours du printemps. On y indiquait que les fermes biologiques peuvent accroître la rentabilité des fermes à hauteur de 35 p. 100 et augmenter l’emploi agricole. J’ai visité une ferme de 6,5 acres au Québec hier. Ces six acres de terre leur permettent d’embaucher 20 personnes. Il s’agit de quelque chose d’incroyable pour la collectivité. Cela implique également un investissement dans l’économie locale. À titre d’exemple, au Québec, on pourrait créer 100 000 emplois si chaque personne consacrait 20 $ par semaine à l’achat d’aliments locaux.
L’agriculture écologique est un atout dans plusieurs domaines et peut également aider l’économie dans son ensemble. Ce type d’agriculture a connu un succès malgré son manque de financement. Nous avons un tableau qui indique que, en 2015, le Canada a investi 649,5 millions de dollars dans la recherche et le développement dans le secteur de l’agriculture. Sur ces 649,5 millions de dollars, seul 1,6 million de dollars a été versé à l’agriculture biologique. Cela ne représente que 0,25 p. 100 de l’ensemble des fonds liés à la recherche et au développement. Nous savons que le marché des produits biologiques ne représente que 2 p. 100 du marché agricole, mais il représente un des secteurs qui croît le plus rapidement. Sa production a triplé depuis 2006 et il s’agit d’un secteur florissant au Québec. Il a tout simplement besoin d’être soutenu davantage.
La bonne nouvelle est que le Canada aura nombre d’occasions d’investir dans l’agriculture écologique. Le fédéral est en train d’élaborer une politique alimentaire nationale. Il s’agit d’une excellente occasion de promouvoir l’adoption de pratiques plus durables par le truchement du Partenariat canadien pour l’agriculture et de Cultivons l’avenir 3.
La gestion des risques de l’entreprise nous donne bien des moyens de veiller à ce que ces pratiques soient adaptées. À l’heure actuelle, le prochain cadre stratégique doit composer avec le fait que, par le passé, bon nombre de programmes avaient été conçus pour décourager la diversification. En d’autres termes, à titre d’agriculteur de petite échelle qui pratique la diversification, bon nombre de ces programmes ne s’appliquent pas à ma production. En revanche, en tant qu’agriculteur, lorsque je cultive 35 cultures dans mon champ, il s’agit d’un risque. Heureusement, cela m’apprend à être plus résiliente, mais j’ai quand même besoin de soutien. À l’heure actuelle, ces programmes ne sont pas conçus pour ce genre de situation. Il s’agit d’un point qu’ils pourraient changer.
Une bonne partie du financement prévu dans le contexte du pilier sur le changement climatique et l’environnement du prochain Partenariat canadien pour l’agriculture et bien des programmes pourraient servir à encourager le transfert des connaissances ainsi que la recherche et le développement dans l’agriculture.
De plus, grâce à son aide internationale, le Canada doit investir afin de s’assurer d’encourager les pratiques écologiques à l’étranger. L’Allemagne vient tout juste de changer sa politique d’aide internationale afin de veiller à mettre l’accent sur l’agriculture biologique lorsqu’elle investit dans l’agriculture à l’étranger. Le Canada pourrait en faire de même. Nous savons que l’agriculture — l’agroécologie — est une excellente façon d’aider les femmes à se prendre en charge et à améliorer leurs conditions de vie.
J’ai parlé un peu plus longtemps que je n’avais prévu. J’en suis désolée. Si vous ne retenez que deux choses de notre présentation, la première serait que l’agriculture écologique fournit des avantages dans plusieurs domaines. Imaginez seulement ce que cette agriculture pourrait faire si elle avait plus de moyens. Cela pourrait se faire très rapidement. La France, le Brésil, le Québec et Cuba ont connu beaucoup de succès en la matière. Sur une courte période de temps, on peut obtenir des résultats très fructueux et c’est vraiment ainsi que l’on parviendra à accroître notre résilience.
Lorsque je parle d’« agriculture écologique », il est important de comprendre que, pour ce qui est du changement climatique, il faut investir dans la diversité des semences et veiller à ce qu’on ne perdre pas cette diversité. Il s’agit de notre meilleure police d’assurance pour lutter contre le changement climatique.
Sur ce, nous avons hâte de répondre à vos questions.
[Français]
Le président : Merci beaucoup, madame et messieurs. Avant de commencer la période des questions, j’aimerais vous présenter deux sénateurs qui viennent de se joindre à nous : la sénatrice Bernard, de la Nouvelle-Écosse, et le sénateur Woo, de la Colombie-Britannique, qui vient d’être nommé coordonnateur du Groupe des sénateurs indépendants. Nombreux sont les sénateurs qui souhaitent vous poser des questions, et il nous reste 56 minutes. Je vous demande donc d’être brefs dans vos questions et vos réponses.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Premièrement, avant d’être nommé au Sénat, j’ai travaillé pendant une quarantaine d’années comme collecteur professionnel de fonds. Lotta Hitschmanova était une visionnaire dans le domaine. Certains parmi nous sont assez vieux pour se rappeler qu’elle a été la première à recueillir des fonds au moyen de publicités à la télévision. Elle a été une véritable pionnière et a fait un travail formidable. Nous nous rappelons tous de son message au 56, rue Sparks.
Votre exposé était fort intéressant et j’aurais bien aimé avoir le document en PowerPoint. Je présume que — bien que vous n’en ayez pas parlé — aucun des produits dont il est ici question n’est génétiquement modifié. De plus, la culture sans labour est devenue très populaire.
J’aimerais revenir à une question que je pose à presque tous nos témoins. La planète sera bientôt peuplée de 9,7 milliards de personnes. Or, personne n’a encore conçu de plan pour nourrir toutes ces personnes. Si nous ne les nourrissons pas, les gens seront très fâchés, et les gens fâchés n’ont d’autre choix que d’essayer de trouver un moyen de manger, ce qui entraîne des conflits, des guerres, et cetera.
Comment pouvons-nous utiliser ce que vous avez appris — premièrement, il est important de l’utiliser ici au Canada pour augmenter la production, afin de pouvoir exporter davantage d’aliments —, mais surtout, comment pouvons-nous exporter la technologie que nous avons acquise dans d’autres pays afin qu’ils fassent pousser leurs propres aliments et soient plus efficaces? Nous savons qu’en Inde, par exemple, on fait pousser suffisamment d’aliments pour nourrir le pays, mais ces aliments ne peuvent être ni entreposés ni livrés aux consommateurs de façon efficace à 100 p. 100. Il y a beaucoup de gaspillage. Aidez-nous un peu.
Faris Ahmed, directeur, Politiques et campagnes, USC Canada : Merci, sénateur Mercer. C’est bon de vous revoir. Là est la question, n’est-ce pas : comment allons-nous nourrir 9,7 milliards de personnes? Nous devons presque aborder cette question d’un angle différent. On pourrait se demander quel type de système est le plus efficient et efficace pour nourrir les gens à long terme?
Les populations augmentent, c’est vrai, mais on peut aussi dire que le type de petits exploitants agricoles avec qui nous travaillons — ceux que Genevieve et Martin décrivent — produisent des aliments de façon efficace et travaillent à la question de la résilience à long terme des systèmes alimentaires. Soixante-dix pour cent des aliments sur la planète sont cultivés par ces agriculteurs sur moins de deux hectares. Les parcelles de terre petites, mais diversifiées, ont déjà un rendement incroyable et assez dynamique. Nous devons investir davantage dans ces agriculteurs — les appuyer — et aussi tenter d’éliminer les obstacles auxquels ils font face, que ce soit les investissements qui leur enlèvent leurs terres ou d’autres choses semblables.
Dans toute cette équation, il faut également examiner le gaspillage alimentaire. Nous savons que le tiers des aliments produits entre les champs et la fourchette ou plus loin encore, que ce soit pour la transformation ou la combustion, est aussi gaspillé.
En tenant compte du système alimentaire entier, il y a plusieurs choses que nous pouvons faire à chaque étape pour favoriser une grande innovation, et nous permettre d’aborder la question différemment et de voir qui nourrit déjà le monde afin de pouvoir les appuyer.
Quand nous sommes venus vous rendre visite, nous avons apporté ce rapport fantastique publié par un organisme qui s’occupe des systèmes alimentaires. Il s’agit du Groupe d’experts internationaux sur les systèmes alimentaires durables. Ce dernier a dessiné un graphique démontrant les transitions possibles des systèmes alimentaires afin de répondre exactement à votre question.
M. Entz : J’aimerais répondre, moi aussi. Vous soulevez une excellente question. Vaclav Smil, de l’Université du Manitoba, soutient qu’il y a déjà suffisamment de calories dans le monde pour nourrir 9 milliards de personnes. Mais bien sûr, la distribution est problématique, et c’est la distribution de la richesse. Notre travail au Zimbabwe a été assez remarquable. Nous avons, en fait, utilisé le type d’agriculture pratiquée par Colin Rosengren à Midale, en Saskatchewan, et appuyé une pratique traditionnelle en pratiquant la culture intercalaire du pois cajan et d’autres choses avec le maïs, et en utilisant des paillis. Le rendement a connu une augmentation significative — il a doublé, voire triplé.
Les principes dont on parle ici consistent à utiliser les processus naturels en plus du tissu social et des circonstances — en en tenant compte — et c’est de cette façon qu’on pourra se nourrir.
Tant et aussi longtemps qu’il y a une grande production alimentaire locale où les gens vivent, le Canada demeurera un exportateur alimentaire. Le Japon… Certains pays dans le monde ne peuvent tout simplement pas produire suffisamment d’aliments pour se nourrir. Mais c’est même dans notre intérêt de mettre en œuvre ces méthodes écologiques.
Le sénateur Mercer : N’êtes-vous pas d’accord pour dire qu’il n’y a que peu de pays au monde qui peuvent produire plus de terres arables qui pourront servir à l’agriculture, et que le Canada en fait partie? Cela signifie que le bon côté du changement climatique, c’est que nos fermes peuvent se déplacer un peu plus au nord que ce que l’on voit traditionnellement.
Ce que je trouve frustrant, c’est que nous avons un problème, nous connaissons certaines des solutions, et ce dont vous parlez fait partie de ces solutions, mais absolument personne ne planifie quoi que ce soit. Il n’y a aucun sommet mondial pour discuter de la façon dont on va nourrir 9,7 milliards de personnes.
M. Entz : On peut en organiser un. Ces sommets existent.
J’aimerais souligner autre chose. Le fait que nous discutions davantage de l’agriculture à l’échelle mondiale est important, surtout ici au pays, tout comme il est important d’investir dans les petits exploitants agricoles en ce qui concerne l’éducation, l’habilitation des femmes et l’accès aux terres. Je pense que l’avenir est très prometteur, mais nous devons bien faire les choses.
Le sénateur Doyle : En examinant les notes d’information, j’ai l’impression que selon vous, les petites fermes mixtes sont plus écologiques. Vous avez une moins grande empreinte carbonique et, par conséquent, vous favorisez une plus grande biodiversité. Mais qu’en est-il de la rotation des cultures? Quel rôle peut-elle jouer dans toute cette, disons, rotation des cultures d’une année à l’autre? Pour une exploitation agricole de petite taille, serait-ce judicieux du point de vue économique?
Mme Grossenbacher : C’est une très bonne question. Je suis consciente du fait que je n’ai peut-être pas été claire.
Selon nous, il existe différents modèles permettant de garantir l’avenir alimentaire. L’un des modèles qui n’est pas examiné, et dont nous parlons, est l’agriculture écologique. L’agriculture écologique peut prendre différentes formes partout au pays. Notre pays est grand et diversifié. Au Québec, les plus grandes réussites de l’agriculture écologique résultent assurément, selon moi, des producteurs maraîchers diversifiés de petite taille. De nombreux exemples démontrent qu’ils sont efficaces du point de vue environnemental, mais aussi financier. Comme je le disais, la ferme que je viens juste de visiter produit un revenu net de 800 000 $ pour six acres. La plupart des producteurs de maïs — mes voisins, qui pratiquent l’agriculture conventionnelle — touchent 350 $ l’acre pendant les bonnes années. On ne parle donc pas du tout du même niveau de production. C’est une culture très intensive. Ce n’est qu’un modèle.
Les pratiques exemplaires nous viennent des Prairies et de l’agriculture sans labour; Martin pourra vous en parler davantage. Il y a beaucoup de pratiques.
Ce qui est bien, c’est que nous avons vu différents modèles et différents types d’agriculture, que ce soit la production de légumes, de maïs ou de céréales. Nous avons constaté qu’il y avait de bonnes pratiques. Les agriculteurs qui travaillent réellement à réduire leur empreinte n’utilisent pas de fertilisation synthétique. De ce que je comprends, ce sont les principaux coupables des émissions de gaz à effet de serre. Il est extrêmement important d’être biologique et de réduire les utilisations de pesticides.
Deuxièmement, ils utilisent normalement une combinaison d’au moins huit techniques différentes. La rotation des cultures est sans aucun doute l’une de ces techniques, mais toutes les techniques qui visent à enrichir le sol aident, comme la rotation des cultures à long terme, l’utilisation d’engrais vert et la diversification des cultures.
Sur ma ferme, nous en avons 35, mais dans les productions céréalières prospères, même s’il n’y en a que quatre ou cinq, c’est une très grande amélioration par rapport au fait de n’avoir que deux cultures desquelles ont dépend.
M. Entz : La rotation des cultures est si importante. On en parle depuis l’époque romaine, et probablement même avant. Au Canada, nous avons adopté la rotation des cultures. Nous devons faire mieux. Il s’agit réellement d’une forme de diversification. Nous l’appelons la diversification dans le temps : une année on fait pousser une culture, l’année suivante, une autre.
Nous tenons à maximiser la rotation des cultures pour favoriser également la diversité et l’espace — pas le cosmos, mais bien l’espace dans le paysage. C’est très stimulant; selon le Conseil canadien du canola, les haies dans les champs de canola permettent en fait de faire augmenter le rendement du canola tout près d’elles en raison d’une plus grande activité des pollinisateurs. Voilà un exemple de diversité spatiale.
J’ai bon espoir que, pour la première fois depuis les années 1920, nous constations une augmentation du nombre d’agriculteurs au Canada. Ces jeunes agriculteurs — des entrepreneurs en milieu périurbain — doivent réellement adopter la diversité; sinon, leur entreprise ne fonctionnera pas.
Un dernier point : de nombreux petits exploitants agricoles en Afrique orientale et australe n’ont pas suffisamment de terres pour faire une rotation des cultures comme on le voit en Nouvelle-Écosse ou au Manitoba. Ils feront toujours pousser du maïs parce que c’est leur aliment de base. Pour introduire la diversité, il faut pratiquer la culture intercalaire avec les légumineuses.
J’aime beaucoup le sujet de votre étude. Quand on pense à la rotation, il faut penser à la diversité. C’est une forme de diversité.
Le sénateur Doyle : La fréquence de la rotation des cultures dépend de la culture que l’on fait pousser?
M. Entz : Elle dépend de facteurs économiques, soit le rendement de ces cultures, et on a toujours tendance à faire pousser ce qui est le plus économique.
Bon nombre d’agriculteurs canadiens font une rotation entre cinq ou six cultures. Si on prend les agriculteurs à petite échelle, comme Genevieve le dit, certains en ont une douzaine, et ce chiffre peut atteindre 35. C’est une diversité remarquable.
[Français]
Le président : Il reste 14 minutes et 7 sénateurs ont demandé à prendre la parole. Soyez brefs dans vos réponses et dans vos questions.
[Traduction]
Le sénateur Woo : Très rapidement, j’aimerais revenir à l’agriculture sans labour et à votre affirmation selon laquelle les revenus de la taxe sur le carbone pourraient être utilisés pour faciliter l’agriculture sans labour et d’autres types de pratiques qui font augmenter le rendement tout en réduisant l’empreinte carbonique. De nombreux agriculteurs et groupes d’agriculteurs ont souligné qu’ils ne peuvent pas aller plus loin en ce qui concerne l’agriculture sans labour. Tout le monde le fait déjà, et on ne peut pas vraiment en faire davantage. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?
Pourriez-vous revenir également sur ce que vous avez dit au sujet des avantages limités de l’agriculture sans labour en tant que telle puisqu’il ne s’agit que de la couche supérieure, ainsi que les autres choses qu’il faut faire ensemble dans le cadre de l’agriculture sans labour pour améliorer davantage les bénéfices de cette pratique pour la séquestration?
M. Entz : Les études canadiennes ont démontré que dans l’Ouest canadien, on fait de la séquestration du carbone avec l’agriculture sans labour dans les zones plus humides de l’Est canadien. Ce n’est pas très stable. La meilleure façon d’améliorer la séquestration du carbone de l’agriculture sans labour est d’utiliser ce que nous appelons des « cultures intermédiaires », qui consistent à faire pousser des plantes pendant ces saisons intermédiaires, soit après la récolte. Nous savons maintenant que ce sont les racines des plantes qui aident réellement à stabiliser le carbone dans la terre.
Enfin, l’agriculture sans labour est pratiquée majoritairement avec les cultures annuelles dont les racines sont relativement peu profondes et dont les cycles de pousse sont relativement courts. Quand on peut inclure des plantes vivaces dans la rotation, on change la donne. L’utilisation des vivaces et des cultures intermédiaires permet de maximiser l’agriculture sans labour pour stocker de nouvelles quantités de carbone, de façon plus approfondie.
Le sénateur Woo : Vous dites qu’il y a encore place au développement de l’agriculture sans labour afin d’obtenir de meilleurs avantages de la séquestration; nous n’avons pas épuisé les possibilités?
M. Entz : Tony Vyn, de l’Université de Guelph, a fait une étude il y a plusieurs années en se demandant si c’est l’agriculture sans labour ou la diversité des plantes qui permet d’enrichir le sol. La diversité des plantes est plus importante que l’agriculture sans labour. La bonne nouvelle, c’est qu’on peut le faire dans tous les systèmes.
[Français]
Le président : Je vais demander aux sénateurs de se limiter à une question chacun, sinon on n’y arrivera pas.
Le sénateur Dagenais : Je remercie nos invités. Vous préconisez des modifications aux pratiques des agriculteurs. Madame Grossenbacher, comme vous l’avez mentionné, au Québec, c’est un succès — je croyais que vous parliez des taxes au Québec, car nous payons beaucoup de taxes, ce qui est aussi un succès.
Quelle est la différence entre les petits pays comme le Honduras et un pays aussi grand que le Canada, où on tente de mettre en oeuvre, de façon significative, de nouvelles pratiques de culture? Pouvez-vous expliquer cela en détail? J’imagine qu’on remarque une différence entre les petits et les grands pays. J’aimerais que vous nous expliquiez ce phénomène avec plus de détails.
Mme Grossenbacher : C’est une excellente question.
Je reviens un peu à ce que disait Martin plus tôt. Peu importent les pratiques, que ce soit un petit pays ou un grand pays, il faut augmenter la biodiversité. L’industrie comprend cette réalité, mais les pays n’ont pas encore fait les efforts nécessaires pour préserver la diversité. Au Canada, par exemple, on a accordé beaucoup d’importance à la nécessité de sauvegarder la diversité des semences dans des banques à l’extérieur des fermes. C’est important, mais il est encore plus important de favoriser la diversité au sein des fermes. La diversité à la ferme, c’est comme avoir de l’argent en poche; en cas de crise, on y a accès. En ce moment, on n’a pas investi dans ce modèle, et c’est ce qu’il faut faire.
Je réponds un peu différemment à votre question.
Le sénateur Dagenais : Vous y répondez très bien. À une courte question, une courte réponse : c’est très efficace.
[Traduction]
Le sénateur Ogilvie : Madame Grossenbacher, vous avez brièvement parlé de la taxe sur le carbone pendant votre présentation, et j’ai eu l’impression que vous étiez favorable à l’utilisation d’une telle taxe. Mais toutes les provinces ne partagent pas votre avis. En fait, on a récemment appris que le Québec et l’Ontario pourraient former une sorte de consortium avec la Californie en ce qui concerne un système de plafonnement et d’échange des droits d’émission. Que pensez-vous d’un tel système, par rapport à une taxe sur le carbone, tant par leurs incidences positives que négatives sur l’agriculture?
Mme Grossenbacher : En fait, peut-être que quelqu’un d’autre voudra répondre à cette question. Notre organisme n’a pas de position très arrêtée sur cette question parce que, comme je l’ai dit, les agriculteurs avec lesquels nous travaillons ne produisent pas d’émissions carboniques. Nous sommes favorables à l’utilisation de divers mécanismes. Nous voulons veiller à ce que les agriculteurs ne soient pas entravés davantage ou assujettis à d’autres coûts parce qu’ils se conforment au système. Nous voulons veiller à protéger les terres agricoles et la production alimentaire.
Cela étant dit, je pense qu’il existe d’autres modèles, mais je ne suis pas la mieux placée pour en cerner un en particulier.
[Français]
La sénatrice Tardif : Je vous remercie de votre présentation. J’ai trouvé regrettable de voir que l’enveloppe destinée à la recherche dans le domaine de l’agriculture biologique représentait 0,25 p. 100 du montant total qui a été investi en recherche et développement pour l’agriculture. C’est pitoyable.
Vous recommandez qu’il y ait une politique d’alimentation au Canada. Quel lien faites-vous avec le type de pratiques agricoles écologiques que vous préconisez et cette politique alimentaire que vous proposez pour le Canada?
Mme Grossenbacher : En fait, nous travaillons à la rédaction d’un court document qui résume nos recommandations au gouvernement quant aux mesures à prendre dans le cadre de la politique alimentaire pour le Canada.Cette politique alimentaire traite de la conservation des ressources naturelles, de l’eau, du sol et de la biodiversité, de la façon d’augmenter notre production et aussi de l’accès à la nourriture. Pour nous, c’est principalement dans le cadre des deux premiers piliers que j’ai mentionnés que le Canada peut faire plusieurs choses.
Au chapitre de la conservation de nos ressources, je parlais de l’importance de sauvegarder la diversité. Le Canada a des obligations à l’échelle internationale, à titre de signataire du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture. Le Canada est signataire de ce traité, mais il n’a pas investi dans la sauvegarde de sa biodiversité, et c’est quelque chose qu’il peut faire concrètement.
En ce qui a trait à la protection des fermes et des terres agricoles, vous avez produit un très bon rapport sur la disparition des terres agricoles. On n’en a pas beaucoup. On perd des fermes à un rythme incroyable. Des jeunes veulent se lancer en agriculture, mais ils n’y ont pas accès. Est-ce que le gouvernement fédéral pourrait créer des programmes pour amener les provinces à protéger leurs terres? C’est important.
Nous avons plusieurs autres recommandations, et c’est avec plaisir que je vous enverrai notre document final.
La sénatrice Gagné : Vous avez répondu à ma question.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Je suis désolée d’être arrivée en retard; merci pour votre présentation. Comme vous le savez, je vous ai rencontrée au printemps, et j’apprécie beaucoup le travail que vous faites avec USC Canada.
Si vous permettez, j’ai une question à deux volets.
[Français]
Le président : À l’intérieur de la même question.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : La question de l’accessibilité se pose souvent en matière d’agriculture biologique. Souvent, les gens n’ont pas accès à ces produits, soit parce qu’ils demeurent en milieu rural ou éloigné et les cultures biologiques ne sont tout simplement pas accessibles, et c’est souvent le cas en Nouvelle-Écosse, soit ils appartiennent à un milieu à faible revenu et n’ont pas les moyens d’acheter ces produits. Selon vous, en quoi une stratégie nationale pourrait aider à élargir l’accès?
Et voici le deuxième volet. Faisons le lien avec l’appui que vous offrez à la ferme Black Creek de Toronto. J’ai eu le privilège de visiter cet endroit cet été et j’ai été tout à fait impressionnée par leurs travaux. Si mes collègues ne la connaissent pas, il s’agit d’une ferme en milieu urbain située dans un secteur très dense près des rues Jane et Finch, dont le travail est extraordinaire. Pendant ma visite, j’ai compris qu’elle dispose de très peu de ressources, mais que la communauté est très engagée auprès d’elle.
Comment une stratégie nationale permettrait-elle de combler ces écarts dans l’accès? La ferme Black Creek est-elle un exemple à suivre?
Mme Grossenbacher : Excellente question. Je tenterai d’être brève. Comme vous le dites, il existe déjà de nombreuses initiatives partout au pays — par exemple la ferme Black Creek à Toronto ou notre travail dans les Prairies. Toutefois, ces initiatives ne reçoivent que très peu de soutien, et il est clair qu’il faut les soutenir.
Quant à l’accès aux aliments, et dans l’esprit des recommandations formulées pour une politique alimentaire nationale, je pense que nous pouvons certainement investir dans l’élaboration d’une stratégie de droit à l’alimentation. Olivier De Schutter est venu au Canada pour proposer qu’on le fasse, or de plus en plus de gens et d’experts du monde entier affirment qu’il faut parler du droit à l’alimentation au Canada et à l’étranger.
Quant à l’accès aux aliments, il existe tant de bons exemples d’investissement ailleurs dans le monde où on a investi, par exemple, pour s’assurer que l’approvisionnement institutionnel provienne de production biologique locale ou de fermes à pratiques durables. Par exemple, on veille à ce que, dans les écoles ou les hôpitaux, on ait accès à des aliments santé. Voilà où il faut investir.
[Français]
La sénatrice Gagné : La question qui se pose est la suivante : le Canada est structuré pour répondre à une demande mondiale, et il commence à y avoir de plus en plus de fermes. Il y a aussi de plus en plus de petites fermes qui réapparaissent dans le secteur.
Je pense au Grand Nord, et à la façon dont nous pourrions commencer à investir pour aider les communautés qui y sont situées. Auriez-vous des projets que vous pourriez décrire qui nous permettraient de constater le travail qui est fait dans cette région?
Mme Grossenbacher : Excellente question.
[Traduction]
M. Settle : La réponse pourrait paraître tranchée, mais USC Canada soulignerait que, tant en matière d’agriculture que d’économie, la diversité est importante. Nous ne proposerions jamais que le Canada envisage un système où toutes les productions agricoles sont mixtes et de petite taille parce que cela ne fonctionnerait pas à maints endroits dans les Prairies. Toutefois, peu importe où on se trouve, il faut envisager différentes options.
Toutefois, nous croyons que plus la production est locale, plus nous pouvons réduire le transport, et plus les aliments sont nutritifs, meilleurs ils sont. Notre programme destiné au Canada tente de relever un défi canadien, c’est-à-dire le manque de semences adaptées au terroir.
Les semences disponibles ici au Canada sont principalement cultivées dans des conditions à intrants élevés et les semences requièrent ces intrants afin d’assurer une production de même niveau, ou sinon, les semences sont importées. Dans ce cas, elles ne sont pas adaptées à notre environnement. Encore une fois, soit le rendement est plus faible, soit il faut ajouter des intrants.
Que ce soit dans le Grand Nord, dans les Prairies, à l’Île-du-Prince-Édouard, à Vancouver ou dans la vallée du fleuve Fraser, il faut examiner comment adapter les semences aux régions écologiques. On ne peut pas simplement avoir des semences canadiennes parce que, comme vous l’avez dit, le Canada est diversifié et les solutions doivent être locales.
Notre programme Bauta est déjà en place dans le Nord et nous serions ravis de vous en parler davantage.
La sénatrice Petitclerc : Une partie de ma question a déjà reçu une réponse, mais aux fins du compte rendu, je pense que tous comprennent que l’agriculture écologique ou biologique a moins d’incidence sur la planète. C’est facile à comprendre.
Le secteur agricole plus traditionnel continuera de dire qu’il s’agit d’un créneau, qui demeurera un créneau non viable à plus grande échelle. Autrement dit, on ne peut pas nourrir les Canadiens avec l’agriculture bio. J’aimerais vous entendre là-dessus. Est-ce réaliste? En tant que société, à quel point serions-nous ambitieux en faisant ce choix?
Mme Grossenbacher : Quelle belle question. Il n’est pas facile d’y répondre. Que pourrions-nous faire de plus? En fait, nous pourrions faire beaucoup plus. Peut-être n’ai-je pas assez insisté. Les progrès réalisés dans l’agriculture biologique ne profitent pas seulement à ce secteur précis. Les pratiques telles la rotation des cultures et les cultures sans labour et beaucoup d’autres sont issues de l’agriculture biologique et sont reproduites avec succès dans d’autres exploitations agricoles.
Nous n’essayons pas de créer une dynamique où cette agriculture est bonne et celle-là est mauvaise. Nous sommes tous dans le même bateau. Nous devons tous réduire notre empreinte environnementale et, pour y arriver, il faut apporter de sérieux changements à la manière dont nous produisons nos aliments. L’agriculture biologique et l’agriculture écologique ont beaucoup à offrir. Il faut simplement investir pour entraîner des résultats.
M. Entz : C’est selon moi une excellente question.
Les investissements — dans un paradigme différent, que ce soit l’agriculture ou la santé intégrée — sont positifs parce qu’on stimule les affaires et on suscite de nouvelles idées. Je parle chaque jour à des petites entreprises qui développent des technologies écologiques qui deviennent rapidement populaires.
Je ne suis pas d’accord avec l’agriculture traditionnelle qui affirme qu’il s’agit d’un créneau. J’estime que la situation évolue constamment. À titre d’exemple, Monsanto, l’une des plus grandes entreprises agricoles au monde, vend des inoculants destinés à la production d’aliments biologiques. Ils se sont rendus à l’évidence. Des petites entreprises dans les Maritimes développent des matières biologiques à partir de compost et elles emploient des microbiologistes dans leurs petits laboratoires qui cernent la manière précise d’utiliser ces microbes. Je ne suis pas d’accord avec cet argument.
Au fil du temps, je pense que les choses vont continuer à évoluer, un peu comme pour la médecine intégrée. Je crois qu’il s’agit de la meilleure analogie, et elle fonctionne. On attribue une partie à l’art et l’autre partie à la science.
[Français]
Le président : Je remercie la sénatrice Petitclerc ainsi que nos quatre témoins pour leurs excellents témoignages. Nous aurions pu passer toute une journée à vous poser des questions. Malheureusement, nous sommes limités dans le temps.
Tout à l’heure, vous avez parlé d’un document que vous pourriez nous faire parvenir sur la santé et l’agriculture biologique. Puis-je vous demander de le faire parvenir à notre greffier? Nous pourrons ainsi le consulter et nous en servir pour rédiger notre rapport. Je tiens également à vous remercier de vous être déplacés.
Nous accueillons maintenant nos nouveaux témoins. Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Nous continuons notre étude sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier au Canada. Vous êtes les premiers forestiers à comparaître devant le comité à ce sujet. Nous accueillons Fred Pinto, ancien président de l’Institut forestier du Canada, Jonathan Lok, également ancien président de l’Institut forestier du Canada, Dana Collins, directrice générale de l’Institut forestier du Canada, ainsi qu’Anne Koven, professeure auxiliaire de l’Université de Toronto.
Je vous demanderai de présenter rapidement vos remarques et d’écourter vos réponses. Je demanderai aussi à chacun des sénateurs de se limiter à une question. S’il nous reste du temps, nous pourrons prévoir une deuxième ronde de questions. Nous vous écoutons.
[Traduction]
Dana Collins, directrice générale, Institut forestier du Canada : Merci de nous avoir invités à venir nous exprimer sur l’un des thèmes les plus d’actualité auxquels sont confrontés non seulement notre génération, mais aussi les générations futures.
Afin de vous présenter brièvement qui nous sommes et ce dont nous parlerons aujourd’hui, nous représentons l’Institut forestier du Canada. J’en suis la directrice générale et Fred Pinto, ancien président, est aussi le directeur général de l’Ontario Professional Foresters Association. Mme Anne Koven est conseillère et professeure auxiliaire à la faculté de foresterie de l’Université de Toronto. John Lok est l’ancien président immédiat de l’Institut forestier du Canada de même que le PDG de Strategic Natural Resource Consultants sur l’île de Vancouver. Il a aussi présidé pendant deux mandats l’Association of BC Forest Professionals.
L’Institut forestier du Canada est la plus ancienne société forestière au pays. Nous avons 109 ans. Nous représentons les professionnels de la foresterie de partout au pays. Il convient de faire remarquer qu’il ne s’agit pas seulement de l’industrie forestière; nous représentons aussi le gouvernement, les chercheurs universitaires et des organisations sans but lucratif. Nous reflétons la diversité des acteurs du secteur forestier.
En général, au quotidien, notre mandat a trois volets : la sensibilisation du public; la formation des professionnels de la foresterie partout au Canada; la promotion et la défense de la saine gestion forestière au Canada et à l’étranger.
Je tiens aussi à souligner que votre invitation tombe à point. Le Canada fête cette semaine la Semaine nationale de l’arbre et des forêts, alors je souhaite à tous et à toutes une bonne Semaine nationale de l’arbre et des forêts.
Je tiens à vous donner une brève introduction de la façon dont les forêts interviennent dans le contexte plus large du climat, du carbone et du changement climatique. Premièrement, quel est le rôle de nos forêts du point de vue du carbone et du changement climatique? Il est important de souligner que le Canada est un pays forestier. Notre pays compte dans l’ensemble 348 millions d’hectares de zones boisées. Cela représente environ 9 p. 100 du couvert forestier mondial. Notre secteur forestier fait véritablement preuve de la diligence requise pour assurer une gestion durable de ces forêts, pas seulement dans l’intérêt des Canadiens, mais dans celui de l’ensemble de l’humanité et du monde entier.
La bonne nouvelle, c’est que je suis heureux d’annoncer que les forêts du Canada sont bien gérées. Nous avons les politiques parmi les plus strictes et rigoureuses en matière de gestion durable de nos forêts. Le Canada fait figure de chef de file mondial pour ce qui est de la certification des forêts. Cela signifie pour vous, en tant que consommateur, que vous pouvez avoir l’assurance que les produits du Canada proviennent de sources durables.
Un autre point qu’il convient de souligner est qu’au Canada, le taux de déforestation est l’un des plus faibles du monde. Une très faible part de cela est attribuable au secteur forestier. Le taux est de 0,02 p. 100 pour l’ensemble du territoire canadien, l’un des plus faibles du monde.
Comment nos forêts sont-elles touchées par le carbone et le changement climatique? Il est indéniable que nous vivons un changement climatique. Cela affecte les forêts, et on s’attend à ce que cela se poursuive. Des exemples de ces effets sont bien connus et sont ceux dont vous avez probablement entendu parler dans les nouvelles dernièrement. Le fait qu’un climat plus sec et plus doux peut exacerber ou prolonger la saison des feux de forêt constitue un parfait exemple. On s’attend à assister à des feux de forêt plus importants, plus intenses et plus fréquents. Rien qu’en 2014, environ 4 millions d’hectares de forêt sont partis en fumée en raison des feux de forêt. Évidemment, il s’agit des chiffres de 2014. On a assisté à des feux de forêt dans l’ensemble de la Colombie-Britannique cette année, on s’attend par conséquent à ce que ce chiffre augmente cette année.
Les parasites et les maladies sont eux aussi affectés par le carbone et le changement climatique. En Colombie-Britannique, le dendroctone du pin en est un parfait exemple. En 2013, environ 20 millions d’hectares de forêt ont été touchés par les parasites et les maladies.
L’autre élément qu’il convient de faire remarquer est que ces facteurs ne sont pas isolés, ils interagissent les uns avec les autres. Pour revenir au dendroctone du pin, cela signifie que des forêts d’arbres morts peuvent parfaitement alimenter les feux de forêt.
L’autre élément à souligner dans ce contexte est le fait qu’un certain nombre de collectivités dépendent des forêts et de la gestion de celles-ci et que les zones forestières sont habitées. Cela ne concerne pas que les forêts qui sont touchées, mais aussi la question de la santé et de la sécurité humaines lorsque certains de ces facteurs interagissent.
La bonne nouvelle, c’est que le secteur forestier fait partie de la solution. Des forêts bien gérées peuvent aider à limiter le changement climatique. Le fait d’avoir des forêts saines, productives et efficaces signifie que nos arbres peuvent continuer à stocker et à séquestrer le carbone.
La deuxième bonne nouvelle, c’est que, grâce à des produits du bois novateurs, nous pouvons aussi séquestrer du carbone supplémentaire. Si l’on commence à remplacer des produits dont la production consomme beaucoup de carburant fossile, comme du ciment et de l’acier, par des produits du bois, cela nous donne la possibilité de stocker davantage de carbone dans ces produits du bois de longue durée. On pourrait, par exemple, modifier les politiques encadrant la construction d’immeubles de grande hauteur afin d’utiliser plus de bois et moins de béton ou d’acier.
L’économie verte ou la bioénergie est un autre élément. Elle consiste à utiliser les sources d’énergie de remplacement, plus particulièrement le bois et les sources d’énergie que l’on trouve dans notre propre cour.
Il convient aussi de noter que l’on confie aux forestiers professionnels inscrits la responsabilité de gérer nos forêts de façon durable. Peu de gens savent qu’il s’agit de professionnels autorisés qui comptent parmi les rares professionnels chargés de gérer nos ressources naturelles.
Il y a là aussi une autre bonne nouvelle qui en découle. S’il y a un message que nous devons tous retenir, c’est que le secteur forestier et les professionnels qui œuvrent au sein de ce secteur — pas seulement l’industrie forestière, mais le gouvernement, les ONG, les associations de produits du bois — ont tous un rôle à jouer pour limiter les effets du changement climatique et s’y adapter.
[Français]
Le président : Merci beaucoup. En nous limitant à une question chacun, nous aurons peut-être le temps de faire un deuxième tour. La parole est au sénateur Mercer.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Merci de vos exposés. Vous avez mentionné plusieurs choses, par exemple, le cas du dendroctone du pin. Cela fait longtemps que je siège à ce comité. Je suis allé dans le Nord de la Colombie-Britannique et j’ai pu voir les effets ravageurs du dendroctone du pin et la difficulté que la lutte contre ce parasite représente pour les citoyens de la Colombie-Britannique. Que faire de tout ce bois mort? Ils ont tenté de faire preuve de créativité en se servant, par exemple, de ce bois pour faire des meubles et d’autres choses.
À la lumière de la saison des feux de forêt que nous venons de connaître, une théorie veut que les feux de forêt soient un phénomène naturel. Devrait-on se préoccuper du fait que ces phénomènes naturels ont pris une ampleur beaucoup plus importante que si nous avions laissé la nature faire les choses? En effet, nous intervenons en tentant d’arrêter les feux de forêt.
Aujourd’hui, nous tentons d’aborder la question des effets du changement climatique sur le secteur agricole et le secteur forestier, mais nous souhaitons aussi aborder la question de l’imposition d’une taxe sur le carbone et de ses effets sur ces secteurs.
Mme Collins : Je répondrai rapidement à votre premier point. Il se peut que j’aie à m’en remettre à John, notre représentant de l’Ouest canadien.
Pour ce qui est de votre premier point concernant le dendroctone du pin, les feux de forêt et tout le reste, en effet, la plupart des forêts canadiennes sont adaptées du point de vue écologique à des catastrophes de grande envergure comme celles qui sont causées par les parasites, les maladies et les feux de forêt. Le problème maintenant, c’est que ces phénomènes vont devenir plus fréquents, plus importants et plus intenses que ce que l’on observerait naturellement sur le territoire. Dans certaines zones, on s’attend à ce que ces feux de forêt soient de 10 à 100 fois plus importants que ce qu’ils auraient été naturellement.
L’autre élément dans le contexte de ce débat plus large sur le changement climatique, c’est que lorsqu’une forêt brûle, elle émet une quantité incroyable de carbone dans l’atmosphère. S’il existe une façon de gérer ces forêts, plus particulièrement les forêts qui sont actuellement les plus à risque de faire l’objet d’un feu — peut-être celles qui ont été touchées ou qui sont susceptibles d’être touchées par le dendroctone du pin — et si nous pouvons développer ces produits du bois pour en faire des produits novateurs qui stockent le carbone en leur sein, car nous avons aussi l’obligation juridique de replanter sur l’ensemble du territoire, il existe un potentiel de stockage de carbone au sein des produits du bois eux-mêmes, mais aussi du fait des nouvelles plantations. John, souhaitez-vous ajouter quelque chose?
Jonathan Lok, ancien président, Institut forestier du Canada : C’est une excellente question. Je suis un résidant de la Colombie-Britannique et j’ai pu voir de mes yeux les feux de forêt de cet été. Plus d’un million d’hectares ont été touchés. Vous avez tout à fait raison de dire que les feux de forêt sont un phénomène régulier naturel que nous connaissons dans l’Ouest. En fait, bon nombre de forêts ont évolué pour être remplacées par ces feux de forêt. Il y a environ 60 ou 75 ans, nous avons fait le choix de prévenir ces incendies sur le territoire en intervenant et en les éteignant. Notre intention était d’épargner ces arbres pour les transformer en produits du bois dans le secteur manufacturier. Nous n’avons pas été en mesure de récolter ce bois suffisamment rapidement ou régulièrement, et pendant ce temps, le sous-bois s’est développé, ce qui a entraîné un risque d’incendie accru. Lorsque vous combinez cela aux effets du dendroctone du pin, que vous connaissez bien, au cours des 20 dernières années, tous ces facteurs se sont cumulés pour créer la bombe incendiaire qui s’est déclenchée cette année.
Nous pouvons tenter de laisser les processus naturels remplacer les peuplements, pour les rétablir à leur état initial tout en émettant une quantité incontrôlée de carbone, ou nous pouvons choisir de mettre sur pied une intervention plus globale et intensive, qui suppose la manipulation de ces peuplements. Une partie de cette intervention consiste à récolter le bois. Une partie consiste à aménager le territoire de façon stratégique et à créer des zones de protection. Une partie consiste à éliminer le combustible lorsqu’on peut en accroître l’utilisation afin de favoriser des sources d’énergie diverses comme la biomasse, auxquelles Mme Koven a fait référence.
La meilleure solution ne consiste pas nécessairement à laisser les choses telles quelles, ni à laisser la nature faire son travail. Je pense que la solution consiste davantage à mettre en place un régime de gestion intensive appliquée de façon stratégique à l’ensemble du territoire afin de réduire le risque pour la population, pour assurer la viabilité des industries et du développement économique rural, et pour promouvoir les utilisations différentes à des fins de séquestration du carbone.
Le sénateur Mercer : J’ai aussi visité l’exploitation d’Irving dans le Nord du Nouveau-Brunswick, une société qui participe considérablement à la gestion des forêts. Ils ont notamment recours au nettoyage des sous-bois. La méthode qu’ils emploient est remarquable et les résultats qu’ils obtiennent le sont tout autant, de même que la qualité du produit qu’ils commencent maintenant à récolter. Ils sont à l’œuvre depuis 50 ans et commencent à récolter certains des arbres. S’agit-il là d’un processus qui peut être appliqué universellement à l’échelon du pays? Je sais qu’Irving est une grande société qui a accès à beaucoup de territoires, mais s’agit-il d’une méthode qui peut être exportée à la Colombie-Britannique et au Nord de l’Alberta, et cetera?
M. Lok : C’est une méthode qui est largement employée. Elle est très coûteuse. C’est ce qui nuit habituellement à sa mise en application. Utilisée de façon stratégique et mesurée, je pense que cette méthode peut accroître la résilience des forêts. Une autre méthode consisterait à rétablir la pratique du brûlage dirigé, une façon d’avoir recours au feu comme outil naturel dans les écosystèmes. On peut avoir recours à toute une gamme de stratégies. Celle dont vous avez parlé est l’une des plus importantes, qu’il convient d’appliquer plus largement et dans laquelle il convient d’investir davantage, mais je pense qu’il y a d’autres stratégies qui auraient leur place sur le territoire.
Le sénateur Woo : Je crois que j’ai entendu le sénateur Mercer vous demander votre opinion sur une taxe sur le carbone dans l’industrie. Je tiens à dire d’entrée de jeu que, bien que l’Institut forestier du Canada ne soit pas l’industrie forestière en tant que telle, j’aimerais connaître l’opinion de ce dernier, ainsi que votre perception de l’opinion de l’industrie.
Toujours dans le cadre de cette question, pourriez-vous également nous donner une idée de la contribution du secteur forestier aux émissions de gaz carbonique canadiennes? Pourriez-vous aussi nous expliquer comment vous parvenez à ce chiffre, vu qu’il requiert un calcul complexe tenant compte d’une double réalité : d’une part, les peuplements forestiers existants; d’autre part, les produits du bois récoltés, les carburants et l’énergie brûlés durant la récolte évidemment, ainsi que le transport vers la côte? Qu’est-ce qui est ajouté et qu’est-ce qui ne l’est pas?
Mme Collins : Voulez-vous, l’un ou l’autre, répondre à la question concernant la taxe sur le carbone?
Anne Koven, professeure auxiliaire, Université de Toronto, à titre personnel : Je ne suis absolument pas en mesure de parler au nom de l’industrie forestière. J’ignore complètement quelle serait leur position et s’il existerait une position unique ou plutôt différents point de vue. L’industrie forestière est très diverse d’un bout à l’autre du Canada. Elle inclut les toutes petites scieries de l’Ontario et du Québec qui ont beaucoup souffert lors de la dernière décennie avec les problèmes du bois d’œuvre résineux et d’accès au marché. Elle comprend aussi l’industrie des pâtes et papiers de l’Est canadien, qui affronte un ensemble de problèmes radicalement différents et qui est en transition. Je ne pourrais donc absolument pas répondre à cette question. Quant à la Colombie-Britannique, sa situation est très différente.
Je ne suis pas une experte en matière de taxe sur le carbone. C’est une notion que j’ai découverte, avec le concept même de changement climatique, il y a une quinzaine d’années. À cette époque, le Service canadien des forêts s’est rapidement positionné. Le service a approché l’Ontario, disant qu’il voulait contribuer au boisement des terrains privés. Cela s’intitulait programme Forêt 20 sur 20. Le gouvernement fédéral, par le biais du Service canadien des forêts, a alors investi de l’argent, pas énormément, mais un peu. C’est grâce à cette initiative que nous avons aujourd’hui un organisme appelé Forests Ontario. Nous avons boisé des milliers d’acres de terres privées, souvent avec l’aide du Programme d’encouragement fiscal pour les forêts aménagées. Au fil des ans, on a graduellement envisagé de s’adresser aux propriétaires fonciers privés pour qu’ils combinent leurs terres boisées en cas d’adoption d’un système de plafonnement et d’échange ou de taxes sur le carbone, afin de pouvoir vendre les droits d’émissions.
Une fois de plus, je ne suis pas une experte pour vous dire si c’est le système de plafonnement et d’échange ou la taxe sur le carbone qui est la meilleure approche. Je crois qu’il s’agit d’une décision très politique. Vous pouvez parler d’économie toute la journée, mais au bout du compte, il s’agit d’une décision très politique. Je crois aussi qu’il ne fait aucun doute que nous devons agir sur les deux fronts. Nous devons, tout d’abord, réduire la quantité d’émissions, comme il nous est requis de le faire en vertu des accords internationaux et autres. Ensuite, nous devons aussi être en mesure d’aider les secteurs et les gens qui seront touchés par cela.
Je le répète, quand je me tourne vers l’industrie forestière, je vois qu’il s’agit d’une industrie très diversifiée qui ne peut être traitée comme une seule entité.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Ma question s’adresse à Mme Collins.
Nous avons un voisin immédiat qui s’appelle les États-Unis. Il existe sûrement des similitudes entre les forêts de l’Oregon et celles de la Colombie-Britannique. Pouvez-vous nous parler des différences que présente le mode de gestion des forêts de nos voisins? Pouvez-vous aussi comparer les résultats obtenus selon le mode de gestion en usage dans les deux pays?
[Traduction]
Mme Collins : Je vais soulever quelques éléments pour commencer. Une chose importante, c’est qu’au Canada, 94 p. 100 de nos forêts sont des forêts de la Couronne. La population peut jouer un rôle en nous donnant des renseignements sur la façon dont elles sont gérées. Les plans de gestion doivent être consultés par la population. Six pour cent de nos forêts appartiennent à des groupes privés. C’est presque le contraire aux États-Unis. La plupart de leurs forêts sont gérées par le secteur privé. Peu de forêts appartiennent au secteur public ou sont gérées par ce dernier. Généralement, on y trouve de plus petites unités de gestion comparativement au Canada. Ici, nous avons de bien plus grandes unités, parfois des millions d’hectares, qui sont gérés à tout moment.
L’autre chose importante à soulever, c’est que puisque nous avons de bien plus grandes unités de gestion qui sont gérées, nous avons plus d’occasions d’aspirer à la certification. Par rapport aux États-Unis, nous avons un degré de certification forestière beaucoup plus élevé. Comme on l’a dit plus tôt, le consommateur peut être certain que le bois récolté dans les forêts canadiennes provient d’une source de gestion durable.
Au fur et à mesure qu’on se déplace du nord vers le sud, la composition des forêts change. Je pense que la plupart d’entre vous ont été informés des différends et des négociations en cours entourant le bois d’œuvre résineux. Il y a également une différence dans la composition des espèces. Donc, le Canada a l’occasion, par exemple, de continuer d’exporter du bois d’œuvre aux États-Unis. Je ne crois pas que les États-Unis aient les ressources nécessaires pour fournir tout le bois d’œuvre requis dans le marché du logement. Il existe donc encore des possibilités au Canada.
M. Lok : Comme je viens de la Colombie-Britannique, je connais bien la situation dans l’État de Washington et de l’Oregon. J’allais justement dire que sur la côte nord-ouest du Pacifique aux États-Unis, cette notion de gestion active est moins présente dans l’exploitation des forêts nationales qu’ici. C’est ce qui inquiète les Américains à qui je parle. Ces derniers constatent que nous avons une gestion plus active en Colombie-Britannique et que nous agissons de façon plus cohérente. À l’inverse, comme Dana l’a dit, l’approche aux États-Unis est plus fragmentée, ce qui fait en sorte qu’il est peut-être plus difficile de réaliser des gains considérables sur le plan environnemental. C’est ce qui se produit lorsque le processus est fragmenté.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Dans le mode de gestion des forêts, diriez-vous que le mode privé génère de meilleurs résultats?
[Traduction]
M. Lok : Tout dépend des paramètres que l’on utilise pour savoir si les résultats sont meilleurs.
Mme Koven : Puis-je ajouter quelque chose à cette réponse? Je ne connais pas très bien le régime de gestion utilisé en Oregon, mais en ce qui a trait au changement climatique, je suis très avant-gardiste et je veux me concentrer sur les solutions. Il y a un projet que je connais en Oregon qui est très intéressant selon moi. Dans les cinq dernières années, l’Université de l’Oregon a mis en place un projet de collaboration très réussi — ce projet porte le nom de Tallwood Design Institute. Il s’agit d’un projet collaboratif entre deux universités et un collège, une faculté de foresterie et deux collèges, ainsi que l’école d’architecture. Ces institutions cherchent carrément des façons de capturer le CO2 dans les produits forestiers et de faire valoir aux gens que c’est une très bonne idée de construire avec du bois.
Il est clair qu’en Ontario, en Colombie-Britannique et au Québec, on envisage de grands édifices construits en bois. Je pense que cela offre une occasion fantastique de s’attaquer au changement climatique tout en faisant la promotion de produits forestiers durables et résilients et en mettant vraiment de l’avant ce genre de technologie et de projets de construction en bois. Je sais qu’à Toronto, les métiers de la construction sont très enthousiastes à la perspective d’un tel potentiel. Je crois que c’est une chose que le Canada a à offrir. Assurément, la collaboration qui se fait à l’Université de l'Oregon est très intéressante.
La sénatrice Tardif : Merci d’être ici aujourd’hui. Dans votre exposé, vous avez parlé des catastrophes naturelles qui ont touché le secteur forestier. J’ai passé un peu de temps en Colombie-Britannique cet été et j’ai pu constater les dommages et la dévastation causés par les feux de forêt. Il y a aussi le dendroctone du pin.
Vous avez peut-être déjà répondu à cette question, mais quel est l’effet à court et à long terme de toutes ces catastrophes naturelles sur votre secteur? Les coûts doivent bien sûr être énormes. Que faites-vous pour vous adapter à ces circonstances?
Mme Collins : Je répondrai d’abord que oui, il y aura des difficultés à court et à moyen terme, surtout en ce qui concerne l’approvisionnement en bois, non seulement parce que certaines de ces forêts ont été durement touchées et ont presque disparu — à cause des feux de forêt, certaines sont mortes —, mais parce qu’il y a aussi un changement de la composition et de la distribution des espèces et de la catégorie d’âge également. Dans une région touchée par un feu de forêt, cela signifie que nous n’avons maintenant que des peuplements plus jeunes. On prévoit qu’il y aura des peuplements ou des forêts plus jeunes sur nos territoires.
John pourrait en parler un peu plus, puisque leur forestier en chef vient de rédiger le taux de coupe annuel pour la Colombie-Britannique, et une grande partie devra être recalculée pour tenir compte des problèmes causés par les feux et le dendroctone du pin ponderosa dans l’Ouest.
M. Lok : En effet, on n’a pas encore calculé les répercussions humaines, pour tout vous dire. De toute évidence, le dendroctone du pin ponderosa est un phénomène naturel qui a été exacerbé par la tradition de suppression des feux à laquelle j’ai fait allusion plus tôt. Nous composons avec le dendroctone du pin ponderosa depuis maintenant une vingtaine d’années. Le pire était passé et le chef forestier avait finalement pris une décision. Tout d’un coup, le feu a tout dévasté. En toute honnêteté, je ne peux pas dire qu’on ne s’y attendait pas. Nous savions que des incendies allaient survenir, mais peut-être pas aussi rapidement et peut-être pas sur un territoire aussi vaste, soit plus d’un million d’hectares.
Mais si, au départ, on avait calculé qu’il y avait peut-être 60 millions de mètres cubes de bois disponibles à moyen terme, on compte sur des collectivités comme Williams Lake Quesnel pour les aider à survivre au cours des prochaines années. Des milliers d’emplois et d’installations manufacturières pourraient être touchés. À Williams Lake, un de mes amis est le chef forestier de cette collectivité. Il dit qu’à l’heure actuelle, il y a trois scieries et une usine de contreplaqués. Dans cinq ans, il s’attend à ce qu’il n’y ait plus qu’une scierie et une usine de contreplaqués en opération dans cette collectivité, par exemple. En conséquence, la perte de centaines d’emplois dans une collectivité de 15 000 habitants est considérable.
La forêt reprendra ses droits. Les efforts de restauration font déjà l’objet de discussions. La remise en valeur a débuté. Dame Nature fera son travail, mais les répercussions humaines et les répercussions sur le tissu social et tous les Canadiens sont encore inconnues. La population autochtone et les Premières Nations dans la région tenteront certainement de calculer les conséquences économiques sur leurs propres terres.
La sénatrice Gagné : Le changement climatique a des répercussions sur le taux de croissance des forêts et même sur la distribution des espèces. Pensez-vous que le Canada est bien équipé pour suivre, contrôler et mesurer tous les changements qui touchent les stocks forestiers? Pouvons-nous prévoir les conséquences du changement climatique sur nos forêts à l’avenir?
Fred Pinto, ancien président, Institut forestier du Canada : Je peux répondre à cette question. Sommes-nous bien équipés? Oui, nous avons des gens vraiment bien formés au Canada. Nous avons de bonnes infrastructures et de bons stocks. Nous avons des connaissances de pointe sur ce sujet ici même au Canada et, pour cette raison, nous pouvons jouer un rôle à cet égard. Nous devons toutefois nous assurer de continuer à avoir des gens bien formés qui sont capables d’offrir ces services.
Une des choses que nous devons faire est d’informer les jeunes sur les emplois disponibles et les endroits où ils se trouvent. À l’heure actuelle, le diplômé d’un programme reconnu en foresterie se trouve un emploi en moins de six mois. C’est le taux de recrutement le plus élevé de tous les groupes professionnels au Canada. Il faut que les jeunes le sachent.
Toutefois, il nous est un peu difficile de répondre à certaines des questions, car, comme certains d’entre vous l’avaient déjà découvert, c’est un domaine compliqué. En foresterie, on aime dire qu’on ne peut pas comparer la foresterie à la fabrication de fusées; en fait, la foresterie est plus compliquée. On ne parle pas seulement du changement climatique, mais également de la biodiversité, du gagne-pain des gens et de la sécurité. Les solutions à ces enjeux devront être définies à l’échelle locale.
Le Canada a déjà une solution : huit provinces ont des professionnels spécialistes de la réglementation des forêts. Parmi ces huit provinces, quatre ont le droit de pratiquer la réglementation, c’est-à-dire la Colombie-Britannique, l’Alberta, l’Ontario et le Québec. Nous pouvons faire appel à ces gens, car ils sont maintenant responsables de protéger l’intérêt public. Nous pouvons faire appel à eux pour élaborer des plans de gestion locaux du carbone, des plans de biodiversité et des plans de durabilité des forêts et mettre cette information à la disposition du public. De cette façon, les collectivités pourront prendre les décisions qui leur conviennent.
La réponse ne sera pas simple pour chaque région. La solution doit être prise à l’échelle sociale pour tenir compte de l’infrastructure locale existante et des technologies disponibles. Nous devons intégrer les principes technologiques à la technologie.
Par exemple, la tempête de verglas qui s’est abattue sur le Sud de l’Ontario il y a environ quatre ans a provoqué de longues pannes de courant dans différentes collectivités. Les collectivités qui avaient à leur emploi des forestiers professionnels ont été moins touchées et se sont remises plus rapidement. Nous avons donc des solutions ici même au Canada; utilisons-les.
Deuxièmement, nous devons élaborer des plans de carbone pour les forêts, notamment. Encore une fois, faisons appel à des professionnels de la réglementation, tout comme on utilise les services des ingénieurs, par exemple. Il ne s’agira pas simplement d’une solution qui viendra directement du gouvernement. Il faudra intégrer et utiliser les connaissances de divers groupes de personnes et s’assurer que les jeunes comprennent que ces débouchés existent. Nous pouvons le faire ici et, par la suite, exporter nos solutions partout dans le monde.
M. Lok : J’ajouterais un petit élément. La seule chose sur laquelle je ne suis pas tout à fait d’accord avec Fred est que j’entends partout que les stocks ne sont pas aussi élevés qu’ils devraient l’être, étant donné l’importance accrue de l’exploitation forestière. Nous avons d’excellents professionnels qui peuvent établir des inventaires et nous avons des stocks raisonnables, mais si on veut continuer d’insister sur les stocks, je pense que c’est ce que chercherait chaque province et probablement chaque pays sur la planète. C’est un domaine où un gouvernement national pourrait montrer la voie à suivre pour réaliser des améliorations.
[Français]
Le président : Monsieur Pinto, vous avez parlé de régime forestier. À une autre époque, au Québec, je siégeais au sein d’un autre parlement. En 1986, nous avons élaboré un nouveau régime forestier. Nous avons nationalisé les forêts, qui appartenaient à de grandes compagnies; c’était ce qu’on appelait des concessions forestières. Nous avons créé, avec les entreprises, des contrats d’approvisionnement pour leur industrie, contrats selon lesquels elles payaient le quintuple de ce qu’elles déboursaient auparavant. Le gouvernement construisait des routes, et celles-ci n’étaient pas conçues pour durer un an, mais bien dix ans, car le gouvernement choisissait les territoires de coupe.
Il existait également une politique, que vous n’avez pas l’air de connaître, car je pense que vous n’avez pas beaucoup travaillé avec le gouvernement du Québec à cet égard. Cette politique s’énonçait ainsi : un arbre coupé, un arbre planté. Ce n’est pas le Québec qui a inventé cette politique, c’est Irving, au Nouveau-Brunswick. Le modèle que le Québec a repris pour élaborer son nouveau régime forestier était celui d’Irving. Les fonctionnaires voulaient nous envoyer en Suède, en Norvège et au Danemark, mais la meilleure solution pour notre forêt au Québec, c’était le modèle d’Irving, et nous l’avons appliqué.
Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si vous, qui travaillez avec l’industrie forestière, êtes au courant du programme que les industries forestières dans leur ensemble vont mettre en oeuvre en ce qui concerne la réduction des émissions de carbone pour l’avenir.
[Traduction]
M. Pinto : Je ne suis pas certain de ce que l’industrie forestière fera valoir pour l’avenir, mais je pense que différents éléments doivent être mis en place avant qu’on puisse répondre à cette question. Une analyse doit être effectuée à l’échelle provinciale pour établir les stratégies adéquates et aussi à l’échelle régionale. Il faudrait ensuite se pencher sur le rôle que l’industrie joue à l’échelle locale.
Les solutions proviendront de différentes sources. Si on examine le passé, on constate que l’un des avantages qu’a eus le Canada est d’avoir joué un rôle de premier plan dans le règlement de certains des grands enjeux environnementaux que nous avons connus. Lorsque nous travaillions à ces enjeux, c’était compliqué. Pensons par exemple aux pluies acides et au rôle d’envergure que le Canada a joué dans ce dossier. Le Canada a aussi été un acteur important dans le dossier de l’appauvrissement de la couche d’ozone. Ce sont des enjeux auxquels on a trouvé des solutions.
De même, le carbone et les gaz à effet de serre sont des enjeux compliqués qui touchent encore plus de secteurs. Tout ce que nous faisons y passe. Tous les écosystèmes consomment de l’énergie. Toutes les civilisations humaines consomment de l’énergie. C’est un enjeu complexe.
Quelles solutions seront retenues? À l’heure actuelle, personnellement, je ne sais pas ce qui pourra être fait, mais il y a des solutions qui commencent à prendre forme.
Si je reprends l’exemple des pluies acides, les États-Unis sont une fédération, tout comme le Canada. Les différents États et les différentes provinces avaient adopté des solutions variées. Comme vous l’avez dit, cela a mené à une solution.
[Français]
Le président : Je vous arrête, car ce n’est pas ce que je veux savoir. Je veux savoir si vous êtes au courant du plan que l’ensemble de l’industrie forestière canadienne veut mettre en oeuvre pour le carbone. Êtes-vous au courant? L’industrie forestière a-t-elle un plan? Quand va-t-elle le mettre en oeuvre? Comment ce plan va-t-il fonctionner? Vous êtes tout de même de l’Institut forestier du Canada. Il doit bien y avoir quelqu’un qui vous consulte de temps à autre. Est-ce que les entreprises forestières vous consultent au sujet des émissions de carbone? Expliquez-nous cela, c’est important.
[Traduction]
Mme Collins : Je vais commencer ici. Un fait à souligner est que, oui, nous travaillons avec l’industrie de certaines façons, mais nous travaillons avec cet aspect interdisciplinaire du secteur forestier. Biologistes, environnementalistes, ingénieurs, ingénieurs forestiers, technologues et responsables de l’élaboration des politiques, tous ces gens travaillent ensemble pour trouver une solution aux problèmes du carbone et du changement climatique. Je veux simplement dire que l’industrie est un volet de la solution, mais pour les gens avec lesquels nous travaillons, la tâche est beaucoup plus interdisciplinaire que cela.
Le secteur met l’accent sur le développement de produits du bois novateurs. À l’heure actuelle, comme je l’ai mentionné dans mes remarques liminaires, lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre des initiatives politiques qui portent sur nos ressources naturelles, celles-ci ont tendance à être très strictes. Lorsqu’on abat des arbres, on est tenu de les replanter pour des raisons juridiques afin de veiller à ce que le secteur forestier ne contribue pas à la déforestation.
D’autre part, il y a une vague importante qui souhaite promouvoir des produits du bois novateurs capables d’atténuer les effets du changement climatique en remplaçant des produits qui consomment beaucoup de combustibles fossiles par d’autres plus écologiques.
[Français]
Le président : Je comprends que vous n’avez pas ce contact avec l’industrie forestière. À qui devrions-nous nous adresser, en tant que Comité de l’agriculture et des forêts, pour connaître le programme de l’industrie forestière canadienne en matière de réduction des émissions de carbone? À qui faut-il s’adresser? Je croyais que l’Institut forestier du Canada était le bon interlocuteur, mais vous me dites que non. Alors, à qui nous faut-il nous adresser?
C’est très important. Il s’agit de 346 millions d’acres au Canada, soit une grande partie du Canada. Il doit bien y avoir quelqu’un de responsable quelque part en ce bas monde, proche de l’industrie forestière canadienne. Je ne dis pas cela pour vous critiquer, c’est simplement que nous voulons savoir ce que l’industrie a l’intention de faire à l’avenir, et nous n’avons pas de réponse. Il nous faut une réponse pour notre rapport. Si jamais vous étiez en mesure de nous mettre en contact avec des décideurs de l’industrie canadienne de la foresterie, nous vous en serions très reconnaissants.
[Traduction]
La sénatrice Petitclerc : J’aimerais vous demander une précision plutôt qu’une question. Je n’arrête pas d’y penser. Vous avez mentionné à plusieurs reprises le recours à des constructions ou à des produits du bois afin d’absorber et de stocker le CO2. Il s’agirait d’une solution pour répondre au problème du changement climatique. J’aimerais savoir ce qu’il en est de l’ampleur de cette solution. Je comprends bien que chaque petit geste peut aider, mais j’aimerais savoir à quel point. Si tout le monde commence à construire des maisons en bois, est-ce que cela nous permettra de sauver la planète? S’agirait-il plutôt d’une aide minime, mais qui reste néanmoins importante? J’aimerais avoir une idée de la mesure dans laquelle cette solution est efficace.
Mme Collins : Il s’agit d’un concept qui est difficile à comprendre. Quelle est la quantité de carbone que nous pourrons économiser? Un exemple qui a été cité à plusieurs reprises dans des documents de recherche sur ce sujet souligne que, si vous prenez un édifice de quatre étages construit en béton et en acier et que vous le comparez à une construction équivalente en bois, la construction en bois permettrait des économies de carbone qui seraient équivalentes à ce qu’on pourrait économiser en enlevant 100 voitures de la route pendant toute une année. C’est un peu plus facile de le comprendre comme cela. Il s’agit d’un montant tout de même considérable, car le carbone est stocké dans le bois à long terme.
La sénatrice Petitclerc : C’est fort utile. C’est plus important que je ne le croyais.
Le sénateur Woo : Quelle hauteur peut-on atteindre avec les immeubles en bois?
Mme Collins : Cela varie d’une province à l’autre. Chaque province est responsable d’en déterminer la limite. Je crois que la hauteur maximale revient à la Colombie-Britannique en ce moment, avec une hauteur de 14 étages.
M. Lok : La Colombie-Britannique vient d’en ouvrir un de 14 étages.
Le sénateur Woo : Est-ce que les exigences en matière d’ingénierie nous permettraient de construire un immeuble encore plus élevé?
Mme Collins : Oui.
M. Lok : Si ma mémoire est bonne, l’Europe vient tout juste de construire un immeuble de 18 étages.
Le sénateur Mercer : J’aimerais souligner que, par le passé, le comité a mené une étude sur l’utilisation du bois. Nous avons visité le magnifique stade olympique de Richmond, en Colombie-Britannique, ainsi que d’autres endroits. Nous n’utilisons pas le bois de la manière la plus créative qui soit. Et on peut construire en hauteur. Un immeuble de six étages représente un bon point de repère.
[Français]
Le président : Quant aux provinces, prenons l’exemple du Québec, où il y a une loi liée au domaine de la construction qui rend obligatoire l’usage d’un certain pourcentage de bois, et ce, particulièrement dans la construction de gymnases et de centres de soccer couverts. Malgré la température au Québec, en février, le soccer demeure populaire, mais se pratique à l’intérieur. Il y a des provinces qui ont des lois quant aux normes de la construction et qui exigent un certain pourcentage de bois dans les constructions.
Je vous remercie de vos témoignages. Comme vous le voyez, le comité est toujours heureux d’entendre des opinons diverses, car il doit produire un rapport et a besoin de gens comme vous. Si toutefois vous aviez autre chose à ajouter, n’hésitez pas à nous faire parvenir vos commentaires par l’intermédiaire de notre greffier. Nous serons heureux de les examiner de plus près afin d’améliorer notre rapport dans l’intérêt des Canadiens et des Canadiennes.
Merci, et à bientôt.
(La séance est levée.)