LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 28 septembre 2017
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 8 heures, afin de poursuivre son étude sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.
Le sénateur Ghislain Maltais (président) occupe le fauteuil.
Le président : Je vous souhaite tous la bienvenue au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Aujourd’hui, le comité poursuit son étude sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.
Je suis le sénateur Ghislain Maltais, du Québec, et président du comité.
Nous recevons aujourd’hui, de l’Institut agricole du Canada, M. Serge Buy, directeur général, et Mme Kristin Baldwin, directrice des Relations avec les intervenants.
Avant de commencer, je demanderais aux sénateurs de se présenter.
La sénatrice Tardif : Claudette Tardif, de l’Alberta.
Le sénateur Pratte : André Pratte, sénateur du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
Le président : M. Buy, vous avez la parole.
Serge Buy, directeur général, Institut agricole du Canada : Je suis heureux d’être parmi vous aujourd’hui. J’ai eu l’occasion de travailler au Sénat quand j’étais beaucoup plus jeune, de 1993 à 2000. J’ai un profond respect pour l’institution et les travaux que vous menez. Je ferai ma présentation en anglais, mais n’hésitez pas à me poser des questions en français. Je serai heureux de répondre dans la langue de votre choix.
[Traduction]
Il est clair que le changement climatique est un sujet de discussion important parmi divers groupes, surtout dans le secteur agricole. Cependant, il a souvent du mal à retenir l’attention avec ce qui se passe au sud de la frontière où M. Trump et divers médias ignorent complètement la question, ce qui complique beaucoup les choses. Quoi qu’il en soit, si vous voulez connaître l’incidence du changement climatique, prenez les trois ouragans qui ont récemment dévasté les Caraïbes et des parties des États-Unis. Pour voir des exemples de changement climatique, vous pouvez aller à Terre-Neuve-et-Labrador, où j’étais il y a quelques jours, et vous constaterez à quel point il y fait beau. C’est extraordinaire. J’étais au cap St. Mary’s dimanche: le ciel était dégagé et il faisait 25 degrés. C’était incroyable.
Le changement climatique pose un peu plus problème en ce qui concerne l’agriculture. Il est la source de grandes incertitudes, et le secteur agricole y est particulièrement vulnérable, comme vous l’avez entendu dire dans les témoignages précédents.
Notre capacité future de produire des aliments, des aliments pour animaux, des fibres et du carburant est à risque. C’est maintenant qu’il nous faut nous adapter.
L’innovation agricole au pays transforme ce défi en possibilité. Le Conseil consultatif en matière de croissance économique du gouvernement fédéral, mené par Dominic Barton, a cité le secteur agroalimentaire dans le rapport Barton comme étant l’un des plus prometteurs sur le plan du développement économique, de l’emploi et de l’innovation. Voilà pourquoi nous devons conjuguer les innovations et les débouchés créés par cette nouvelle situation.
Notre secteur agricole donne du travail à plus de 2,3 millions de personnes au Canada, ce qui représente un emploi sur huit. Compte tenu de la croissance rapide de la population mondiale et des tendances favorables du marché mondial, la demande de produits agroalimentaires canadiens devrait se chiffrer à au moins 75 milliards de dollars d’ici à 2025.
Depuis 1920, l’Institut agricole du Canada a été le porte-parole de la recherche et de l’innovation dans le secteur agricole. Nous comptons parmi nos membres des scientifiques et des chercheurs, des groupes communautaires, des instituts de recherche scientifique, des universités et d’autres groupes au Canada qui ont un intérêt manifeste dans le secteur agricole, principalement sur le plan de la recherche.
Notre intention est d’accroître l’efficacité du secteur agricole tout en prenant des mesures pour atténuer le changement climatique. Qu’il s’agisse d’élaborer des initiatives de séquestration du carbone au moyen de biocharbon ou d’utiliser la génomique des plantes pour créer des cultures qui résistent à une vaste gamme de stress, y compris le changement climatique, la sécheresse, les inondations, et cetera, la recherche dans le secteur agricole est au premier plan.
Le canola est un exemple parfait de l’innovation agricole au Canada, et je pense que vous avez entendu les témoignages de groupes de producteurs de canola il y a quelques semaines. Il a été mis au point par des chercheurs agricoles dans les années 1970 au moyen de techniques de sélection traditionnelles. Le canola a fini par devenir une des cultures oléagineuses les plus importantes au monde et le produit le plus profitable pour les agriculteurs canadiens.
Les avancées technologiques et les innovations ne surviennent pas du jour au lendemain. Si le Canada veut être prêt à relever les défis que l’avenir lui réserve, il doit prendre des mesures dès maintenant. L’Institut agricole du Canada a dégagé un certain nombre de domaines dans lesquels le leadership gouvernemental contribuerait à stimuler le secteur des sciences et de l’innovation agricoles au Canada et à faire en sorte que les nouvelles technologies qui sont mises au point sont utilisées au meilleur escient possible.
Il faudrait notamment lancer une stratégie nationale d’innovation qui rassemblerait tous les intervenants autour d’un objectif commun: minimiser la contribution du secteur agroalimentaire au changement climatique tout en permettant au gouvernement d’assumer un de ses principaux rôles, soit celui de favoriser et d’appuyer l’innovation au Canada.
L’innovation dans le secteur agricole a le potentiel d’être un des principaux moteurs de la croissance économique, de la création d’emplois et de la productivité. Nous devons prendre des mesures pour tirer parti du grand potentiel d’innovation du Canada, et une stratégie nationale d’innovation complète est un bon départ.
Après avoir pris en compte les forces de divers intervenants ainsi que l’expertise et les occasions actuelles à plus grande échelle, la stratégie devrait dégager des priorités concrètes et précises par secteur. On devrait veiller à ce que les domaines de collaboration intersectorielle aient été relevés. Ainsi, on fera en sorte que la capacité de recherche du Canada soit utilisée au meilleur escient possible et que nos scientifiques et chercheurs disposent des outils dont ils ont besoin pour réussir. Au bout du compte, cette stratégie tracera la voie qui permettra au Canada de devenir un chef de file mondial dans le domaine de l’innovation.
Le Canada est maintenant le cinquième exportateur de produits agroalimentaires au monde avec des ventes à l’exportation totalisant 55 milliards de dollars, soit environ 5,7 p. 100 de la valeur des exportations agroalimentaires mondiales. On s’attend à ce que la croissance rapide de la population mondiale, la hausse des revenus dans les pays en développement et les tendances favorables du marché mondial fassent augmenter la demande de produits agricoles à l’échelle planétaire. Cette demande contribuera à une croissance annuelle prévue du commerce agricole canadien de 2 p. 100 d’ici à 2025. Le fait de tirer parti de notre grand potentiel d’innovation fera en sorte que la production agricole du Canada contribue à répondre à la demande future du marché.
Il arrive que la recherche et le développement technologique ne suffisent pas. Il faut déployer des efforts particuliers pour veiller à ce qu’on adopte ou qu’on mette en place des innovations et des nouvelles technologies capables de minimiser l’incidence du changement climatique sur l’agriculture. Le gouvernement a un rôle à jouer à cet égard. Le fait d’encourager l’adoption de ces technologies ou de créer des conditions favorables à leur utilisation fera en sorte que les avantages des innovations puissent se faire sentir à plus grande échelle.
Au printemps cette année, l’Institut agricole du Canada a réuni des fonctionnaires, des représentants de l’industrie et d’autres intervenants du milieu de la recherche agricole pour discuter de l’innovation dans le secteur agricole dans un environnement en évolution. Je crois que c’était la première conférence qui a vraiment rassemblé le gouvernement, les producteurs, les scientifiques et tout le monde dans la même pièce pour parler de débouchés importants.
Pendant cette conférence, les chercheurs agricoles et d’autres experts ont discuté de la façon dont l’innovation peut minimiser les contributions de l’agriculture au changement climatique. Un thème qui est revenu au fil des présentations et des séances a été celui du rôle du gouvernement pour créer des incitatifs en vue de favoriser le développement, la mise en œuvre et l’adoption de technologies vertes. Il existe d’innombrables exemples d’innovations agricoles qui influeront positivement sur l’incidence environnementale de l’agriculture, en particulier les émissions de gaz à effet de serre, et pourtant, la plupart d’entre elles ne sont pas utilisées à son potentiel maximal.
Au cours de notre récente conférence, nous avons entendu le témoignage d’un représentant du Prairie Climate Centre, initiative de l’Institut international du développement durable et de l’Université de Winnipeg. Il a expliqué comment les nouvelles technologies, en particulier l’agriculture de précision, ont le potentiel d’avoir une incidence importante et durable sur le secteur agricole. Cependant, dans bien des cas, l’infrastructure n’existe pas encore, si bien que les producteurs ne sont pas en mesure de profiter de cette nouvelle technologie.
Au cours des phases préliminaires de la technologie, celles du développement, il y a toujours un stade où le coût de l’adoption l’emporte nettement sur les avantages. Il est essentiel que l’on prenne des mesures pour combler cet écart. Un exemple d’incitatif pourrait être d’encourager les fermes et les producteurs à adopter les nouvelles technologies à des stades plus précoces. Pour ce faire, on pourrait s’y prendre de différentes façons, y compris en offrant une gamme élargie d’avantages fiscaux.
L’expérience nous a montré que la collaboration peut profiter à toutes les parties concernées, et la recherche agricole n’y fait pas exception. Sans la collaboration dans le domaine de la recherche, tant l’innovation universitaire et appliquée que les nouvelles technologies pourraient ne jamais être pleinement concrétisées. Le gouvernement a pris des démarches pour faciliter la collaboration des super grappes. C’est un bon début. Cependant, il faudrait aussi prendre des mesures pour créer un climat plus favorable à l’investissement privé dans le développement d’innovations et de technologies relatives au changement climatique.
Le principal objectif des super grappes est d’encourager la collaboration intersectorielle et de fédérer les intervenants en vue d’un objectif commun. C’est semblable à une recommandation clé de la politique nationale en matière de recherche agricole de l’Institut agricole du Canada. Nous croyons que le gouvernement devrait prendre des mesures supplémentaires pour encourager la collaboration et la recherche, et une première étape importante devrait consister à réunir tous les intervenants pour fixer les objectifs et priorités à moyen et à long terme.
Le gouvernement consulte divers organismes et tient des consultations individuelles sur l’établissement d’objectifs et de priorités, mais il ne réunit jamais tous les intervenants pour tenir des discussions intersectorielles, et je pense que c’est une lacune flagrante. On le faisait avant, mais les compressions d’il y a quelques années ont changé la donne, et nous pensons qu’on devrait recommencer à tenir ces discussions. Tous nos intervenants en disent autant.
L’investissement gouvernemental dans l’innovation agricole a baissé de façon constante au cours des trois dernières décennies. En 2015, les dépenses budgétaires qui finançaient précisément le système d’innovation agricole canadien représentaient moins d’un dixième de pour cent — ou 0,046 p. 100 — des dépenses totales du pays. C’est une tendance inquiétante. Cependant, des preuves suggèrent que la recherche agricole a un ratio coûts-avantages élevé et que la valeur de la recherche et du développement équivaut à plusieurs fois celle de ses dépenses mais, malgré cela, la baisse se poursuit. Nous devons inverser cette tendance et créer des conditions propices aux investissements privés dans les capacités de recherche; nous devons aussi rehausser les engagements publics.
Au lieu d’être un défi inévitable, la tarification du carbone a le potentiel de devenir un moteur clé de l’innovation dans le secteur agricole au Canada. Au bout du compte, elle pourrait faire en sorte que l’innovation soit la façon la plus rentable de procéder. En travaillant avec les principaux intervenants de l’industrie, les chercheurs et d’autres parties intéressées, le gouvernement pourrait réinvestir les recettes fiscales perçues par l’intermédiaire de la tarification du carbone dans l’innovation écologique pour le secteur agricole. C’est donc dire que la tarification du carbone pourrait influer positivement sur le Canada de bien des façons, y compris en stimulant la création de nouvelles technologies, en encourageant l’adoption de ces innovations et, au bout du compte, en réduisant notre empreinte carbone.
En conclusion, le secteur agricole du Canada est particulièrement vulnérable au changement climatique, mais l’expertise pour en atténuer les effets, réduire notre incidence et adapter notre production repose sur nos chercheurs agricoles. Le biocharbon en est un parfait exemple. Les chercheurs ont pris une idée qui datait d’assez longtemps et l’ont révolutionnée pour pouvoir l’utiliser de façon à minimiser l’incidence de l’agriculture sur l’environnement tout en contribuant à rehausser les objectifs en matière de productivité. Cette innovation a le potentiel de transformer le sol des Prairies et d’accroître le rendement tout en restant à la fine pointe de la technologie en matière de séquestration du carbone.
S’il ne tire pas parti de son grand potentiel d’innovation, le Canada sera incapable de maintenir ses gains de productivité en agriculture dans le présent contexte en évolution de l’environnement commercial international.
La ministre canadienne de l’Environnement et du Changement climatique, l’honorable Catherine McKenna, a récemment fait la déclaration suivante:
Agir maintenant pour lutter contre les effets actuels et futurs des changements climatiques contribuera à protéger les Canadiens contre les risques associés aux changements climatiques et à réduire les coûts des dommages et des problèmes de santé liés au climat. En élaborant une expertise et une technologie canadiennes en matière d’adaptation afin de gérer les effets des changements climatiques, nous créerons de bons emplois pour la classe moyenne et nous favoriserons l’innovation.
L’Institut agricole du Canada abonde dans le même sens et croit que les investissements stratégiques dans l’innovation agricole du Canada nous aideront à atténuer les effets du changement climatique et permettront à notre secteur agricole de s’adapter à la nouvelle réalité.
Merci.
[Français]
Le président : Merci beaucoup, monsieur Buy. Nous passons maintenant à la première ronde de questions.
[Traduction]
Le sénateur Doyle : Merci de votre présentation. Elle était très intéressante. Pourriez-vous parler un peu plus de l’incidence sur les consommateurs de la réduction de l’empreinte carbone? C’est très important, bien sûr, de s’adapter aux pratiques et aux technologies visant à réduire l’empreinte carbone. Les consommateurs sont-ils disposés à payer le gros prix pour un produit qui est non seulement écologique, mais qui coûte aussi beaucoup plus cher à produire de façon plus écologique? Avons-nous la moindre idée de l’incidence sur les consommateurs et de la façon dont ceux-ci réagiront? L’industrie aura évidemment un prix à payer pour réduire l’empreinte carbone. Elle sera imposée; on ignore dans quelle mesure elle le sera, mais je ne pense pas que les consommateurs en soient pleinement conscients ou qu’ils se soient pleinement engagés à essayer de déterminer l’effet que cela aura sur leur portefeuille. Je me demande si vous avez une opinion à ce sujet.
M. Buy : La question, sénateur, est de savoir si les consommateurs sont disposés à assumer une hausse de coûts maintenant ou à assumer plus tard une hausse beaucoup plus marquée. Si, dans le cadre de diverses mesures, nous comptons encourager une certaine recherche et innovation dans le secteur agricole et que celle-ci a une incidence immédiate sur les coûts que paient les consommateurs, c’est une chose. Le fait est que si nous ne gérons pas la question maintenant, les prix augmenteront, et les consommateurs n’auront plus le choix de payer plus cher à l’avenir.
Il est probablement plus prudent et sage de ne pas attendre pour gérer la situation. Les consommateurs seront-ils contents? Probablement pas. Seront-ils contents plus tard si nous n’agissons pas maintenant? Certainement pas. Nous avons la responsabilité de faire preuve de clairvoyance et d’être de bons intendants de notre économie, de notre environnement et de nos ressources. Et l’agriculture est une ressource. Le fait de ne pas gérer la situation maintenant aurait, je pense, des conséquences très négatives pour les consommateurs.
Il est clair que l’adoption précoce de ces innovations contribuera à atténuer les coûts. Cela ne fait absolument aucun doute. En conséquence, le plus tôt nous adopterons certaines de ces technologies et innovations, le mieux ce sera.
Le sénateur Doyle : On parle peu de l’incidence que cela aura sur les consommateurs. Savez-vous si on a mené des travaux de recherche officiels pour essayer de maîtriser la situation et de déterminer exactement ce qui se passera, ou attend-on plutôt de voir ce qui arrivera? Comme dirait M. Trump: « Nous verrons ».
M. Buy : M. Trump est cité de bien des façons avec lesquelles je ne veux pas être associé. Je ne connais aucune recherche à ce sujet, sénateur Doyle. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas eu, et je peux demander à mon personnel de se pencher sur la question, bien sûr. Si nous trouvons quelque chose, nous pourrons vous le faire savoir. Nous avons aussi un bon réseau parmi nos membres et nos intervenants, alors nous pouvons très bien leur transmettre votre question et vous revenir là-dessus.
Le sénateur Doyle : Merci beaucoup.
La sénatrice Bernard : Je remercie mon collègue d’avoir posé cette question. La mienne était très semblable, alors je vais faire fond sur ce qu’il a dit. Considère-t-on les consommateurs comme des intervenants? Lorsqu’on rassemble des intervenants, estime-t-on que les consommateurs font partie de ce groupe en général?
M. Buy : Absolument, madame la sénatrice. Les consommateurs représentent probablement l’un des plus importants groupes d’intervenants. Il est clair que nous pouvons concevoir de nouvelles technologies et de nouveaux produits, mais si les consommateurs ne sont pas disposés à les adopter et à les acheter, ce sera en vain, et ce n’est pas une bonne idée. En conséquence, les consommateurs jouent un rôle important dans cette discussion, c’est certain.
La sénatrice Bernard : Cet élément ne ressort pas de votre présentation. Il pourrait être bon de le dire plus clairement.
M. Buy : Absolument.
La sénatrice Bernard : Compte tenu des nombreux consommateurs marginalisés qui dépendent des banques alimentaires ou qui vivent dans des déserts alimentaires, par exemple, ce n’est pas une question de volonté, mais bien de capacité. Est-ce que vous prenez ces réalités en considération lorsque vous étudiez le nombre d’options qui s’offrent à vous?
M. Buy : Nous ne sommes pas un groupe de réflexion sur le développement économique, sénatrice Bernard. Cette question est importante, mais je pense qu’elle s’adresse plutôt aux organisations gouvernementales qui s’intéressent aux Canadiens à faible revenu et à la façon dont nous allons les aider à faire face à la hausse des prix future.
Vous avez probablement vu, madame la sénatrice, l’incidence de la hausse des prix du riz dans des pays comme l’Inde, tout récemment, hausse qui a provoqué des émeutes et causé des décès. Il est clair que le changement climatique et les changements environnementaux ont déjà eu une incidence sur les consommateurs, et les moins nantis de notre société en ressentent déjà les effets, que ce soit dans les pays en développement ou au Canada.
Votre question est très valable et devrait être prise en considération; cela dit, je ne suis pas certain que nous soyons les mieux placés pour vous répondre au sein de notre organisation.
La sénatrice Bernard : Je ne veux pas me lancer dans un débat mais, même si votre organisation ne semble pas avoir d’influence directe, lorsque vous prenez l’aspect multisectoriel, il faut en tenir compte en raison de sa grande importance. Vous auriez beaucoup à apporter à ces discussions puisque ces discussions enrichiraient grandement le message général que vous véhiculez.
M. Buy : Loin de moi l’idée de m’engager dans un débat avec vous, madame la sénatrice. Mon intention est de discuter avec vous, de m’assurer que tout le monde soit entendu. Je pense que le gouvernement devra diriger ces discussions pour faire en sorte que les gens soient protégés et déterminer la façon d’aller de l’avant.
Alors je suis d’accord avec vous. Ma présentation ne donne pas l’impression que les consommateurs sont à l’avant-plan. Ce n’était pas son objet. Elle visait plutôt à parler de ce qu’on devrait et pourrait faire. De toute évidence, toutes les décisions doivent être prises en tenant compte des consommateurs. Merci, madame la sénatrice.
La sénatrice Tardif : Merci beaucoup d’être ici ce matin. Vous avez beaucoup insisté sur la recherche et l’innovation pour nous permettre d’avancer. Mardi, le groupe USC Canada nous a dit qu’il s’investit beaucoup dans l’agriculture écologique et les pratiques agricoles biologiques. Ses membres ont affirmé qu’ils recevaient moins d’un pour cent de financement pour ce type de recherche comparativement aux projets de recherche plus conventionnels. Quelle importance accordez-vous à ces types de pratiques agricoles?
M. Buy : Chaque type de pratique agricole doit être pris en considération et examiné pour déterminer les avantages qu’il offre à notre pays. Je pense, madame la sénatrice, qu’une partie de ma réponse se trouve dans ma présentation: j’ai mentionné que nous devons rassembler les gens et tenir une discussion approfondie sur nos priorités de recherche et d’innovation.
Le gouvernement a tenu des discussions individuelles avec des organisations ou des groupes d’organisations mais, à mon sens, il n’a pas su rassembler tous les secteurs pour tenir une discussion approfondie sur la nature des priorités de recherche et d’innovation que le gouvernement finance dans les faits. Les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, sont les principaux bailleurs de fonds de ce type de recherche.
Je vais éviter de cibler précisément cette organisation ou des organisations semblables. Je pense que nous devons arrêter d’essayer de choisir celles que nous préférons individuellement. Nous devons réunir la communauté de recherche, les groupes communautaires et même les consommateurs pour qu’ils aient de véritables discussions sur l’orientation que nous voulons prendre dans cinq ans, dans vingt ans, et commencer à nous pencher sur ces objectifs et à créer un plan à long terme.
Malheureusement, je ne pense pas que nous ayons de plan à long terme dans le cas qui nous intéresse. Je sais que nous avons tenu une gamme de consultations au cours des deux ou trois dernières années, et c’est fantastique. Cependant, nous n’en avons toujours pas vu les résultats. Il est possible que nous souffrions de ce que John Manley a qualifié de constipation consultative. Nous devons en revenir aux résultats et aux messages clairs.
Nous devons rassembler les intervenants pour tenir une véritable discussion et mettre ensuite la dernière main à nos objectifs de recherche. Qu’il s’agisse ou non d’agriculture biologique, je ne suis pas tout à fait certain que ce soit le sujet principal.
Nous devons aussi faire attention à ce que certaines personnes disent. Je me rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, le nouveau président des États-Unis se demandait si le changement climatique était réel ou pas. Nous trouvons un peu préoccupant que les paroles et les travaux de recherche des scientifiques soient rabaissés par des personnes qui affirment que ce n’est pas la meilleure idée. On observe la même chose en ce moment dans le cadre des discussions sur l’utilisation d’antibiotiques et de diverses choses dans les élevages de bétail.
Nous devons revenir à la réalité et à ce que les experts indépendants ont formulé comme opinions concernant l’utilisation de ces nouvelles technologies et de ces nouvelles données scientifiques pour déterminer si nous devrions ou non leur faire confiance. Les scientifiques se fondent sur des faits. Je sais que le gouvernement s’enorgueillit de ses décisions fondées sur des preuves. Cependant, lorsqu’on dispose des preuves, on doit prendre des décisions et les justifier. Que l’on décide soudainement d’adopter un type d’agriculture biologique ou un autre, on doit s’appuyer sur des données scientifiques pour déterminer si c’est ou non la meilleure chose à faire. Je ne dis pas si ce l’est ou non; je dis simplement que lorsque nous prenons des décisions concernant le financement, nous devons nous assurer qu’elles s’appuient sur des données scientifiques rigoureuses.
La sénatrice Tardif : Je suis d’accord avec vous sur l’importance de prendre des décisions fondées sur des faits et des données scientifiques.
Le gouvernement du Canada a créé le Fonds d’appui technologique au développement durable. Comment cette initiative cadre-t-elle avec votre suggestion selon laquelle nous avons besoin d’un plan d’innovation national?
M. Buy : Nous n’avons toujours pas remarqué d’incidence marquée de ce fonds sur la recherche agricole et, à ce stade, nous ne voyons pas beaucoup d’incidence.
Nous sommes, en quelque sorte, déçus du fait que, dans bien des nominations qu’il a faites relativement aux sciences et à l’innovation, le gouvernement fédéral n’a pas tenu compte de l’agriculture. Lorsqu’on prend les chefs de file que les gouvernements nomment pour discuter de la stratégie scientifique, aucun d’entre eux ne fait de la recherche agricole. C’est difficile d’examiner ce qui semble être, du point de vue financier, une des priorités les plus importantes, nommément l’agriculture. Lorsqu’il est question du rapport Barton, de l’incidence de Finances Canada et des super grappes qui sont mises en place, il est difficile de concilier le fait que ces deux éléments semblent être des priorités capitales et élevées. Cependant, lorsqu’il est question de nommer des gens à des dossiers scientifiques, nous ne voyons pas beaucoup de chefs de file du secteur agricole.
Pour en revenir à votre question initiale, l’orientation du fonds n’est pas tout à fait claire pour nous en ce moment, mais je ne vois pas encore de grande incidence sur l’agriculture.
La sénatrice Tardif : C’est très intéressant. Merci de nous avoir fait part de ce commentaire.
[Français]
Le sénateur Pratte : J’aurais deux questions. D’une part, votre organisation milite pour un financement accru en matière d’innovation et de recherche agricole. Nous sommes ici pour parler de la lutte aux changements climatiques. Pour ce qui est de la recherche en innovation agricole, selon vous, quelle part devrait être réservée spécifiquement à la lutte aux changements climatiques?
M. Buy : J’avais grand plaisir à vous lire, sénateur, lorsque vous étiez journaliste. Je suis donc heureux d’être à cette table avec vous.
Je me suis toujours refusé à dire que nous devons obtenir tant de milliards ou de millions de plus en recherche ou tel pourcentage. Je crois que cela revient aux discussions que j’ai eues un peu plus tôt avec un autre sénateur et où j’ai dit qu’il faut réunir les gens pour qu’eux-mêmes prennent ces décisions. Il faut une table de concertation un peu plus grande qui puisse réunir les différents producteurs agricoles, les gouvernements, les universités et même les groupes de consommateurs, et tenir cette discussion. De vous dire qu’il faudrait soit 0,12 p. 100 ou 12,6 p. 100 ne serait pas raisonnable. Cette discussion doit avoir lieu.
L’une de mes principales recommandations serait de rassembler les gens afin qu’il y ait une vue globale de la question. On pourrait croire que ces discussions ont eu lieu, mais selon moi, elles auraient dû avoir lieu il y a longtemps. Malheureusement, personne n’a pensé à rassembler les gouvernements, les universités et les groupes de consommateurs. Ces discussions serviraient à définir les orientations et les objectifs en termes de pourcentage de financement alloué à la recherche ou à l’innovation dans le domaine de l’agriculture afin de faire face aux changements climatiques.
Le sénateur Pratte : Lorsqu’il est question de fixer un prix sur le carbone, que ce soit par le biais d’une taxe ou d’un quota pour limiter les émissions de CO2, vous vous montrez favorable à cela en affirmant qu’il faut réinvestir les sommes générées par ce même système de prix sur le carbone dans la recherche et les nouvelles technologies.
Les groupes de producteurs et d’agriculteurs que nous avons rencontrés, entre autres, ceux qui sont axés vers l’exportation, pensent la même chose que vous. Ils se disent inquiets du fait que cette taxe les rendra moins compétitifs par rapport à leurs concurrents à l’étranger, notamment aux États-Unis. Ils préfèrent ne pas avoir de taxe sur le carbone ou de quotas sur les émissions de CO2. Est-ce une observation que vous gardez à l’esprit?
M. Buy : Absolument, sénateur. Je partage cette préoccupation. On peut essayer de se battre contre cette idée, mais l’engagement demeure et il ira de l’avant. Il vaudrait mieux essayer de trouver des solutions pour diminuer l’impact que cela aura sur nos producteurs plutôt que d’essayer de se battre contre quelque chose qui, selon moi, est inévitable.
Je n’ai pas l’habitude de recommander de se battre contre des moulins à vent. C’est pourquoi je crois qu’il vaut mieux essayer de se battre pour quelque chose de plus atteignable. Ce qui serait plus atteignable, ce serait l’accès à des subventions pour soutenir les producteurs ou des solutions visant à combattre d’autres impacts, que ce soit en finançant mieux la recherche, ou par l’adoption de la recherche pour les agriculteurs.
Au Canada, le prix de la main-d’œuvre est élevé. La main-d’œuvre elle-même est de moins en moins accessible, surtout dans le secteur agricole. Ce n’est pas dans un tel contexte que nous serons en mesure de faire compétition de façon efficace. Nous pourrons le faire si nos technologies sont plus avancées et si notre innovation est plus élevée. C’est ainsi que nous pourrons aller de l’avant.
Il est important de veiller à ce que nous puissions aller de l’avant à l’aide de nos meilleurs éléments, qui sont l’adoption de la recherche qui existe déjà et qui offre beaucoup de possibilités, et l’appui à l’adoption de cette recherche qui existe déjà. C’est ma principale préoccupation.
Le sénateur Dagenais : Je remercie nos invités pour leur présentation. Ma première question s’adresse à M. Buy.
Vous avez parlé des effets positifs de l’innovation et de l’adoption d’une stratégie nationale. L’expérience pratique nous démontre que, dans un pays aussi vaste que le Canada, ce n’est pas toujours facile de rallier tout le monde pour établir des objectifs. Quels sont les principaux défis auxquels votre organisation fait face et quelles recommandations pourrions-nous inclure dans notre rapport pour vous aider?
M. Buy : Sénateur, vous avez totalement raison lorsque vous dites qu’obtenir un consensus dans un pays aussi vaste que le nôtre peut être parfois difficile. J’ai participé à plusieurs discussions au Sénat il y a longtemps, et quand nous avons établi notre politique de recherche agricole, la recommandation principale était justement de rassembler les gens. C’est cette recommandation qui a eu le plus de succès auprès de différents organismes. Plus de 75 organismes ont signé, affirmant qu’ils appuyaient notre politique de recherche agricole, entre autres avec la recommandation de tenir des discussions à l’échelle nationale pour établir des objectifs.
Ces organismes qui nous ont appuyés étaient des universités, des groupes de commodités diverses, des groupes de producteurs et des organismes de recherche agricole. Je peux vous dire que nous avons obtenu le consensus sur le fait que cette discussion était nécessaire pour établir ces politiques. Je ne sais pas si nous obtiendrons un consensus pour les politiques proposées par après, mais je crois qu’il faut au moins discuter, c’est la première des choses.
Sur le plan de la recherche agricole, vous devriez recommander que les gens se rassemblent pour discuter. Pour l’instant, on vous dira que cela se fait déjà et que nous avons des pourparlers avec les groupes de recherche agricole, mais cela se fait plutôt en silos, de façon individuelle, et ce n’est pas nécessairement avantageux.
Tous les organismes qui bénéficient d’un appui gouvernemental vous diront qu’ils sont satisfaits de ce côté. Cependant, allez les voir et dites-leur : « Ne pensez-vous pas qu’il faudrait établir des objectifs de recherche au niveau pancanadien et au niveau multidisciplinaire? » La réponse sera certainement celle-ci : « Oui, nous pensons que cela devrait être fait.» La meilleure façon d’établir ces objectifs, c’est en discutant.
L’autre recommandation nécessaire à une réglementation, c’est certainement l’adoption de mesures permettant l’utilisation de nouvelles technologies. En ce moment, nous faisons de la recherche et de nouvelles technologies sont développées, mais le temps entre le développement des recherches et de l’innovation et l’adoption des méthodes par les producteurs ou les agriculteurs est très long. Les mesures ne sont pas là pour les appuyer, et je pense qu’elles devraient y être.
Le sénateur Dagenais : Évidemment, je ne peux m’empêcher de parler de l’argent potentiel perçu par une taxe sur le carbone. On sait que le mot « taxe » fait peur à tout le monde, mais, selon vous, dans quelle proportion cet argent devrait-il être versé à la recherche par opposition à l’aide monétaire consentie aux producteurs sur le terrain? Je comprends que vous n’aimez pas nécessairement les pourcentages, mais je pense que cette taxe devrait servir à aider les producteurs.
M. Buy : Je comprends votre point de vue, sénateur, et je vais me référer à ce que j’ai dit. Je ne suis pas la personne qui va vous suggérer tel ou tel pourcentage.
Selon moi, essayer d’établir de façon individuelle des pourcentages revient à quelque chose qui ne sera jamais accepté et jamais adopté. Il faut rallier les gens pour tenir cette discussion et en arriver à des recommandations provenant de l’industrie et du secteur de la recherche. Je pense qu’il est préférable que cela vienne de ceux qui vont devoir payer cette taxe ou qui vont bénéficier de ces subventions. Je pense qu’il vaudrait mieux que cela vienne d’eux et non de moi. De toute façon, leur crédibilité est bien meilleure que la mienne.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Merci de votre présentation. En juillet 2015, les intervenants du secteur agricole se sont rassemblés à Ottawa à l’occasion de la Conférence de l’Institut agricole du Canada pour formuler des commentaires afin de façonner la politique nationale en matière de recherche et d’innovation en agriculture. Deux années se sont écoulées depuis la mise en œuvre de la politique. Pouvez-vous nous donner une brève mise à jour sur les progrès réalisés dans le secteur de la recherche et de l’innovation en agriculture en vue de réduire l’empreinte carbone? Qu’ont fait les intervenants ces deux dernières années?
M. Buy : La politique était la nôtre, sénateur Oh. Comme je l’ai mentionné, elle a reçu l’appui de plus de 75 organisations. Cela signifie-t-il que le gouvernement du Canada décidera d’appliquer chaque recommandation? Ce serait vraiment bien, mais ce n’est jamais le cas.
C’est exactement ce qu’étaient nos recommandations stratégiques: des recommandations. Le fait que, deux ans plus tard, je parle toujours de réunir des intervenants pour tenir des discussions m’inquiète un peu. Cela me dit que le gouvernement n’a peut-être pas écouté aussi attentivement qu’il aurait dû le faire.
Nous avons été ravis de voir que certaines recommandations avaient été mises en œuvre dans divers budgets; il y a notamment eu une hausse du soutien versé à la recherche et à l’innovation dans les deux ou trois derniers budgets. Nous avons aussi été ravis de voir que, au cours des dernières élections fédérales, les trois principaux partis ont réellement parlé de recherche agricole dans leurs programmes ou les addenda à ces programmes. C’était la première fois depuis 1984 — et je promets que je ne suis pas allé au-delà de 1984 — que les trois principaux partis politiques parlaient de recherche agricole. À mon sens, c’était assez pertinent.
Pour ce qui est de la question de savoir où nous en sommes, sénateur Oh, nous tenons toujours des discussions et des consultations. Nous n’avons pas atteint notre but, je dirais, et cela me préoccupe un peu. Lorsque je dis qu’il y a peut-être trop de consultations et pas suffisamment d’action, je persiste et je signe. Je pense qu’il est temps de vraiment appliquer diverses propositions.
Il a été intéressant de voir que le rapport de Dominic Barton a été publié ce printemps, qu’on a presque immédiatement recommandé la création d’une super grappe, qu’on dispose maintenant du financement pour la mettre en place et qu’on a rendu une décision à ce sujet. Je pense que c’est une très bonne chose, honnêtement. Je crois qu’on peut aussi en faire davantage dans divers autres secteurs.
Le sénateur Oh : Je pensais que notre gouvernement avait suscité bien des grands titres et fait bien des interventions sur la scène internationale pour dire à quel point nous nous préoccupons du changement climatique. Alors aucune mesure n’a été prise?
M. Buy : Je ne veux pas dire qu’aucune mesure n’a été prise, sénateur Oh. En fait, la ministre Duncan se trouve actuellement à une réunion du G7 pour faire un certain nombre de déclarations. Je ne dirais pas qu’aucune mesure n’a été prise. Je pense que nous avons au moins fait avancer les discussions et que nous avons réussi à obtenir probablement un peu plus de collaboration de la part des divers intervenants sur des questions variées. En conséquence, je ne voudrais pas donner l’impression qu’on n’a rien fait. Pourrions-nous prendre et mettre en place plus de mesures? Probablement. Je pense qu’il est peut-être temps d’arrêter les consultations et de commencer à envisager de prendre des mesures concrètes.
Le sénateur Oh : Merci.
[Français]
Le président : Monsieur Buy, il y a deux sujets que j’aimerais aborder avec vous.
En 2014, je crois, le Sénat a produit un rapport sur l’innovation dans l’agriculture. À cette époque, nous avions invité la très grande majorité des universités canadiennes qui font de la recherche dans le domaine agricole d’un bout à l’autre du pays. Nous avions invité de grandes entreprises agricoles et des agriculteurs. Il semblait se dégager une plateforme d’unité pour la recherche. Évidemment, les chercheurs n’ont jamais assez d’argent. Je n’ai jamais rencontré un chercheur qui disait avoir trop d’argent, c’est normal. La recherche s’effectue d’étape en étape. Quand une étape est finie, on passe à l’autre. C’est avant-gardiste, c’est de cette façon qu’on peut effectuer des recherches importantes qui font évoluer les domaines qui intéressent les gens.
Est-ce que l’Institut agricole du Canada est partie prenante avec les universités et les entreprises agricoles en ce qui a trait à la recherche?
M. Buy : Absolument. Certains des membres de l’Institut agricole sont des universités. Je suis aussi très heureux de dire que, lorsque nous avons des conférences, la majorité des universités qui font de la recherche agricole y participe. À notre conseil d’administration, nous avons plusieurs représentants des différentes universités. Ainsi, dans le domaine universitaire, nous sommes bien représentés.
Quant au domaine privé, prenons l’un des bons exemples de ce qui se passe en recherche agricole, soit le Vineland Research and Innovation Centre près de Niagara. Vous en avez certainement entendu parler. Il fait un excellent travail et fait partie de nos membres, et l’un de ses représentants est membre de notre conseil d’administration. Il est clair que nous écoutons tous nos membres et pas seulement eux, mais les gens qui participent à nos conférences. Lorsque nous terminons une conférence, nous établissons une politique. Nous allons aussi chercher l’appui d’organismes qui n’ont pas participé à nos conférences, mais qui pourraient vouloir donner leur opinion.
Quand nous avons établi notre politique en recherche agricole, nous avons consulté plus de 475 organismes qui s’occupent d’agriculture. C’était une énorme consultation, et nous continuons à consulter les organismes sur différents sujets. Donc, la réponse courte, c’est oui, sénateur.
Le président : J’aurais un dernier point, monsieur Buy. Vous êtes sans doute au courant que la communauté européenne impose une taxe sur le carbone qu’elle redistribue aux pays membres de la communauté. Est-ce qu’on peut comparer cette approche à celle du Québec et à celle que propose l’Ontario?
M. Buy : Je ne suis un expert en la matière; je préfère donc ne pas me prononcer à ce propos. Je m’en excuse.
Le président : La communauté européenne redistribue les revenus de la taxe qu’elle a amassés à ses pays membres. Le seul problème, c’est qu’il n’y a pas de reddition de comptes. On ne sait pas ce que les pays font avec les revenus de cette taxe, et beaucoup d’entre eux sont en grogne. Certains consacrent vraiment cet argent à la recherche et à la réduction des émissions de carbone. Le Québec le fait bien, parce qu’il investit dans la recherche avec les entreprises. La taxe sur le carbone, qu’on le veuille ou non, sera imposée dans l’ensemble du pays. Nous avons rencontré beaucoup d’intervenants et, contrairement à ce que les gens pourraient penser, la majorité des entreprises ne sont pas contre, loin de là. Cependant, leur inquiétude, c’est de savoir si cette taxe servira réellement à la recherche permettant d’éliminer le plus possible les effets des émissions de carbone.
M. Buy : Sénateur, c’est une très bonne question. Ce qui se passe en Europe concernant le manque de clarté sur les façons dont l’argent est dépensé, cela arrive dans tout système fédéral ou confédéral ou autre organisme de ce genre, et nous avons eu le même problème au Canada. Chaque fois que vous établissez un programme national où l’argent est redistribué, il y a toujours des questions à ce sujet.
On a vu récemment la même situation au Canada dans le domaine de la santé ou dans un autre domaine, où le gouvernement fédéral demandait aux provinces de rendre compte des sommes reçues. Les provinces ne sont pas très heureuses de devoir rendre des comptes. Dans un système comme le nôtre, c’est normal. Il serait important que les profits de la taxe sur le carbone soient redistribués, de façon intelligente, en faveur de la recherche agricole et de l’innovation. Parler uniquement de la recherche, ce n’est pas une bonne chose, c’est bien la recherche et l’innovation.
D’autre part, il faut prévoir des enveloppes pour créer des mécanismes d’aide à l’adoption de cette recherche et innovation pour les producteurs, afin de leur donner plus d’appui de ce côté.
Donc, je suis 100 p. 100 d’accord avec vous, sénateur. Il faut vérifier où l’argent sera distribué et redistribué, et il est important qu’on puisse rendre des comptes de façon efficace sur la distribution de cet argent à l’avenir.
Le président : Merci.
La sénatrice Petitclerc : Merci d’être ici. Ma question, et je vous écoute depuis tout à l’heure, c’est que, d’un côté, avant d’avoir des solutions, avant même d’avoir des objectifs, il faut avoir toute la documentation et les preuves scientifiques à l’appui, d’où le besoin d’effectuer de la recherche.D’un autre côté, vous parlez beaucoup du travail en silos et du besoin de réunir tous les acteurs.
J’essaie de comprendre un peu comment c’est organisé pour savoir, quand on parle de l’impact des changements climatiques sur l’agriculture, si on est bien équipé et à jour du point de vue scientifique et des données. Si on regarde le passé et le présent, dispose-t-on de suffisamment de données? Est-on bien équipé? Faisons-nous bien nos devoirs pour être capables de faire des projections et éventuellement de prendre des décisions?
M. Buy : Beaucoup de recherche a été faite dans ce domaine. On a fait suffisamment de recherche pour prendre des décisions basées sur de la bonne science. De ce côté, nous sommes assez bien armés.
Vous m’avez entendu dire deux choses. D’une part, il y a trop de consultation. D’autre part, je dis pourtant qu’il faut réunir les gens pour discuter. Cela peut sembler contradictoire, mais je pense que la consultation se perpétue. Nous avons vu des consultations sur Facebook, et c’est très gentil, mais à un certain moment, il faut réunir les gens. Maintenant que nous avons fait toutes ces consultations de façon individuelle, sur différents sujets et en silos, il faut voir ce que le secteur en général, le secteur qui touche la recherche agricole, et aussi les consommateurs en pensent afin de déterminer notre orientation. C’est la dernière étape avant de prendre des décisions intelligentes, et tout le monde doit se réunir.
Alors, je dis qu’il faut moins de consultations, mais en même temps, je dis qu’il manque une étape. Il est parfois plus facile pour le gouvernement de dire qu’il a consulté de façon individuelle que de rassembler les gens et, du coup, comprendre qu’ensemble ils peuvent mieux communiquer et avoir des visions différentes quand il s’agit du secteur en général.
[Traduction]
Le sénateur Oh : J’aimerais enchaîner sur la question que notre président a posée plus tôt. Pensez-vous que les gouvernements devraient consacrer les recettes de la taxe sur le carbone au Canada à la recherche et à l’innovation au lieu de proposer cet argent sur la scène internationale où nous ne saurons pas s’il sera dépensé judicieusement? Il s’agit de recettes importantes provenant du secteur agricole.
M. Buy : Les gens parlent des politiques « acheter aux États-Unis » ou « acheter au Canada ». Je ne vais pas lancer une politique de « recherche au Canada ». Ce que je dirais, sénateur Oh, c’est que nous avons certainement la capacité d’entreprendre des projets de recherche et d’innovation. Notre capacité de faire mener des travaux de recherche au Canada est sans égal. Les rapports et études produits par nos chercheurs sont fantastiques, alors je préférerais nettement que la contribution du Canada à ces projets soit importante et que ceux-ci soient menés sous la direction de la communauté de recherche canadienne.
Cependant, j’aurais tort de ne pas dire que nous avons aussi de nombreux liens internationaux, et c’est en invitant des chercheurs de divers pays à se joindre à nos recherches qu’il nous arrive d’accroître notre capacité de progresser. Je prends pour exemple un des membres de notre conseil, un docteur de l’Université de Guelph, qui communique beaucoup avec des chercheurs au Brésil. Ces échanges ont permis tant au Brésil qu’au Canada d’avancer. La collaboration intersectorielle est essentielle. L’accent sur la communauté de recherche canadienne est essentiel, mais ne nous limitons pas à cela; faisons aussi participer la communauté internationale.
Je ne soutiens pas que nous devrions investir tout notre argent à l’échelle internationale, mais je m’efforce de dire que nous ne devrions pas limiter nos investissements au Canada, parce que l’enjeu est important. Le changement climatique a une portée mondiale, sénateur. Les technologies agricoles que nous utilisons ici ont parfois été conçues ailleurs, et vice versa. La coopération internationale est essentielle.
La reddition de comptes est également essentielle. Je conviens avec vous que nous devons nous assurer que des comptes sont rendus pour tous les fonds dépensés. La communauté agricole serait beaucoup plus rassurée de voir que des comptes sont rendus à cet égard.
Le sénateur Oh : Merci.
M. Buy : Si je peux mentionner quelque chose, sénateur, le 28 novembre — vous avez peut-être déjà reçu un avis à cet égard —, l’IAC se réunira à Ottawa, et nous aurons quelques discussions avec un certain nombre de personnes de la région. Nous vous ferons rencontrer plusieurs de nos intervenants qui font des recherches et des innovations à Ottawa. Ce sera pour notre communauté un jour important sur la Colline du Parlement, qui nous permettra d’expliquer les recherches et les développements agricoles que nous réalisons. Si vous me permettez de faire pratiquement de la publicité à cet égard, je dirais que nous avons besoin que des sénateurs soient présents.
Je suis extrêmement préoccupé par le fait que l’agriculture et la recherche agricole sont souvent traitées comme une note en bas de page au cours des discussions de notre Parlement. Je remarque aussi que les médias parlementaires n’ont absolument aucune idée de la contribution que l’agriculture apporte au Canada. Chers sénateurs, vous avez un rôle à jouer dans leur éducation, dans la tâche visant à leur faire savoir ce qu’il en est. Le 28 novembre, nous ferons de notre mieux pour les renseigner, et nous continuerons de le faire régulièrement. Toutefois, il est essentiel de leur apprendre l’importance que revêtent l’agriculture et le changement climatique. C’est un rôle-clé qui vous incombe également.
[Français]
Le président : Nous attendrons sans doute votre invitation avec beaucoup d’attention. Merci de votre mémoire et de la discussion que nous avons eue. Nous préparons un rapport qui sera produit au cours de l’année et nous tenons à avoir les opinions de tous les intervenants du monde agricole et de la foresterie. Le Canada est un pays d’avenir dans le domaine de l’agriculture et de la foresterie, et nous tenons à ce qu’il en soit ainsi pendant encore plusieurs siècles.
Notre deuxième groupe de témoins ce matin est composé de Robert Larocque, vice-président directeur de l’Association des produits forestiers du Canada, et de Kate Lindsay, vice-présidente, Durabilité et partenariats environnementaux, Association des produits forestiers du Canada.
Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation et je vous souhaite la bienvenue à notre comité.
[Traduction]
Robert Larocque, vice-président directeur, Association des produits forestiers du Canada : Merci, monsieur le président, merci, chers membres du comité. J’ai des copies de mes observations que j’ai mises à la disposition des membres du comité.
Je suis ravi d’être ici aujourd’hui pendant la Semaine nationale de la forêt, afin de représenter l’Association des produits forestiers du Canada dans le cadre de votre étude sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.
J’aimerais également vous présenter Kate Lindsay, notre vice-présidente, Durabilité et partenariats environnementaux. S’il y a des questions concernant le volet forestier de notre secteur, elle sera en mesure d’y répondre.
[Français]
L’Association des produits forestiers du Canada, l’APFC, offre une voix, au Canada et à l’étranger, aux producteurs canadiens de bois et de pâtes et papiers pour les questions touchant le gouvernement, le commerce, l’environnement et le sujet dont nous allons discuter aujourd’hui, l’impact des changements climatiques sur notre secteur.
[Traduction]
Permettez-moi de vous donner un bref aperçu de l’importance que le secteur des produits forestiers revêt pour l’économie du Canada. C’est une industrie dont les revenus de 67 milliards de dollars par année représentent 12 p. 100 du PIB manufacturier du Canada. L’industrie, qui est l’un des plus importants employeurs du Canada, exerce ses activités dans 600 collectivités tributaires du secteur forestier, situées dans des régions surtout rurales du Canada. Nous employons directement environ 230 000 Canadiens des quatre coins du pays.
Le secteur apporte aussi une importante contribution à l’environnement canadien. En tant que gardiens de près de 10 p. 100 des forêts de la planète, nous prenons très au sérieux nos responsabilités d’intendants de l’environnement. Le Canada possède le plus grand nombre de forêts certifiées de façon indépendante du monde entier, lesquelles totalisent 166 millions d’hectares ou environ 43 p. 100 de toutes les forêts certifiées. En fait, des enquêtes menées à répétition auprès des clients internationaux ont révélé que l’industrie canadienne des produits forestiers jouissait de la meilleure réputation au monde sur le plan environnemental.
Le changement climatique se révèle être le cheval de bataille de notre époque. Les entreprises de produits forestiers ont pris une longueur d’avance en travaillant sans relâche à la réduction de leur empreinte carbone et en exploitant des installations plus efficaces. En fait, depuis 1990, les usines de pâtes et papiers ont réalisé une impressionnante réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 66 p. 100, soit l’équivalent de 9 mégatonnes de CO2 par année. Nous n’utilisons plus de charbon, et nous nous servons à peine du pétrole — c’est-à-dire qu’il compte pour moins d’un pour cent. À l’heure actuelle, plus de 30 de nos usines utilisent des résidus de biomasse pour produire de l’électricité verte sur place.
À la suite de l’engagement pris par le Canada dans le cadre de l’Accord de Paris, l’industrie des produits forestiers a promis en mai dernier d’éliminer 30 mégatonnes d’émissions de gaz à effet de serre par année d’ici 2030. Cela représente environ 13 p. 100 de l’objectif du gouvernement en matière de réduction des émissions. Nous appelons cette initiative le Défi « 30 en 30 » des changements climatiques, et j’ai fourni aux membres du comité des brochures à ce sujet. Nous sommes fiers de contribuer à la solution au problème, et il ne fait aucun doute que l’industrie canadienne des produits forestiers est un chef de file en matière environnementale.
[Français]
Les effets des changements climatiques auront un impact sur notre secteur, qu’il s’agisse d’impacts négatifs tels que les feux de forêt ou les infestations d’insectes, ou d’impacts positifs tels que celui d’accélérer la transformation du secteur pour produire des biocarburants, des biomatériaux et des immeubles à grande hauteur.
Aujourd’hui, j’aimerais concentrer mes commentaires sur la gestion de nos forêts, l’innovation potentielle liée à l’utilisation de nouveaux produits et l’impact positif et négatif relié à nos usines.
[Traduction]
Les forêts du Canada sont vraiment une ressource stupéfiante. Elles occupent 348 millions d’hectares de terres forestières. La forêt absorbe une incroyable quantité de dioxyde de carbone et, ce faisant, elle contribue à régler les systèmes climatiques de la planète. Par conséquent, pendant que le Canada fait face à la difficulté de passer à une économie à faibles émissions, nous avons été très satisfaits de constater que le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques mentionnait la nécessité d’accroître le nombre de puits de carbone fournis par les forêts, les terres humides et les terres agricoles.
Les gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral ont une excellente occasion de travailler avec notre industrie à l’accélération du reboisement, comme dans le cas du programme entrepris récemment par la Colombie- Britannique, de continuer à améliorer et innover les pratiques en matière de gestion, d’accroître l’utilisation de bois et de résidus laissés dans la forêt, et de planter des arbres qui croissent plus rapidement et qui absorbent davantage de carbone.
Le secteur forestier collabore également avec des universitaires, des gouvernements et des groupes comme Canards Illimités Canada, afin de mieux mesurer et conserver le carbone emmagasiné dans les complexes de milieux humides et de tourbières. Ces zones ont un énorme potentiel de séquestration du carbone.
Les répercussions du changement climatique liées à l’accroissement du nombre de feux de forêt et d’infestations de ravageurs ont une incidence considérable sur les Canadiens, nos collectivités et l’industrie forestière. Nous avons tous vu ce qui s’est passé l’été dernier à Fort McMurray et cet été en Colombie-Britannique. Nous croyons aussi qu’on peut en faire davantage pour rendre nos forêts plus résilientes et assurer leur durabilité à long terme. Nous devons poursuivre nos recherches sur les effets à long terme possibles du changement climatique, par exemple au moyen de la modélisation — nous devons connaître l’incidence qu’il aura dans 30 ou 40 ans sur les arbres que nous plantons en ce moment, mettre en œuvre des solutions résilientes au climat, comme les collectivités intelli-feu, et travailler avec nos homologues provinciaux, afin de modifier nos activités de gestion forestière en vue de permettre la sélection et la plantation d’arbres en fonction des conditions climatiques à venir.
[Français]
L’utilisation de nouveaux bioproduits forestiers tels qu’un composite de fibre de bois pour remplacer du plastique, par exemple dans la console d’une Ford Lincoln, contribue de deux façons à une économie faible en carbone. Nous remplaçons le plastique qui est tiré de combustibles fossiles et nous réduisons le poids du véhicule, ce qui diminue sa consommation d’essence.
Le secteur forestier pourra aussi fabriquer de l’huile pyrolytique — récemment annoncée pas Canfor et Licella, en Colombie-Britannique — qui remplacera l’huile produite de sources non renouvelables.
Par ailleurs, n’oublions pas qu’à long terme, le bois stocke le carbone dans nos maisons et nos édifices. Le Canada a une occasion d’apporter des amendements au Code du bâtiment afin de permettre la construction de bâtiments à étages tels que la toute nouvelle résidence de 18 étages de l’Université de la Colombie-Britannique. Chaque mètre cube de bois utilisé représente près d’une tonne de carbone qui est retiré de l’atmosphère.
[Traduction]
Comme je l’ai mentionné plutôt, depuis 1990, l’industrie des produits forestiers a déjà réduit de 66 p. 100 les émissions de gaz à effet de serre de ses usines. Il sera difficile de réduire l’empreinte carbone des installations, mais le secteur croit qu’il peut réduire encore plus ses émissions. Nous pouvons continuer d’améliorer notre efficacité énergétique en perfectionnant les activités de nos usines; de trouver des substituts aux carburants en remplaçant les combustibles fossiles par des déchets d’usines, comme l’utilisation des biogaz produits par nos systèmes de traitement des eaux usées pour remplacer le gaz naturel; et de réduire nos émissions liées au transport en ayant de plus en plus souvent recours au système ferroviaire plutôt qu’à des camions pour transporter les arbres jusqu’aux usines ou pour expédier nos produits aux clients.
Il faudra investir des capitaux dans les installations pour tirer parti de ces possibilités. Bien que le secteur appuie l’imposition d’un prix sur le carbone, il est crucial que la tarification du carbone n’ait pas d’incidence sur les recettes du gouvernement et que les fonds versés soient rendus à l’industrie, par exemple sous forme d’un fonds d’appui technologique.
J’aimerais aussi souligner que notre secteur exporte une quantité considérable de biens. Nous exportons 70 p. 100 de nos produits dont la valeur est estimée à 37 milliards de dollars. Nos principaux concurrents pour nos produits du bois sont la Russie et les États-Unis, tandis que pour les pâtes et papiers, ce sont les États-Unis, l’Asie et l’Amérique du Sud. En raison du caractère concurrentiel de notre marché mondial, il est impératif que le mécanisme de tarification du carbone — que ce soit une taxe sur le carbone ou une norme pour les carburants qui comprend un genre de prix — tienne compte de la concurrence.
Nos fournisseurs — de produits chimiques, de carburants, d’électricité et de services de transport — nous refilent leurs coûts, et nous devons les absorber. Comme notre industrie est tributaire du commerce, les prix de nos produits sont fondés sur le cours international des produits, et nous ne pouvons donc pas refiler nos coûts à nos clients.
[Français]
En conclusion, le monde entier est aux prises avec un urgent besoin de s’attaquer aux changements climatiques et de réduire les émissions de carbone. Il va falloir travailler ensemble, développer de nouvelles idées et s’assurer d’adopter des politiques et des programmes efficaces. L’industrie canadienne des produits forestiers a la détermination et la volonté de contribuer à la transition vers une économique à faibles émissions de carbone en travaillant avec les gouvernements pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.
Merci beaucoup de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Larocque. Avant de céder la parole aux sénateurs, j’aimerais faire une remarque à l’Association des produits forestiers du Canada.
Depuis les années 1980, on a l’impression que l’industrie forestière, contrairement à d’autres industries, a été très avant-gardiste dans la modernisation de ses équipements et la réduction des émissions de carbone, et qu’elle continue à le faire.
Selon les témoignages entendus au comité, il reste un secteur dans lequel la recherche doit être importante : celui du transport. On sait que l’industrie s’attaque à la recherche, mais ce n’est pas facile. On va chercher des produits dans les forêts et dans les montagnes, il faut les acheminer aux centres de distribution des grandes villes et aux ports de mer. Je crois qu’au cours des prochaines années, ce domaine de recherche sera très important pour l’industrie. En fait, je suis convaincu que l’industrie forestière est un leader de la recherche sur les émissions de carbone, et je crois qu’elle a atteint les objectifs qu’elle s’était fixés.
Je dois féliciter les industries forestières qui ont accompli un travail exceptionnel à ce chapitre. Elles ont investi à coups de milliards. On n’a qu’à penser aux papetières et aux grandes scieries qui ont investi des montants faramineux dans leurs équipements, et c’est un phénomène qu’on ne retrouve pas dans d’autres industries.
On entend dire sur tous les médias au pays que d’autres industries investissent à hauteur de 25 millions de dollars, mais dans l’industrie forestière, on ne parle pas de millions, on parle de milliards de dollars qui proviennent des profits des actionnaires. L’industrie forestière nous a donné une garantie, et je voulais vous en féliciter. Sur ce, je cède la parole au sénateur Doyle.
[Traduction]
Le sénateur Doyle : Je vous remercie de votre exposé. Vous avez partiellement répondu à ma question, mais nous avons entendu cette semaine des témoins dire que, selon Ressources naturelles Canada, les produits de construction à base de bois sont considérés en général comme d’excellentes solutions de rechange écologiques pour l’acier et le béton.
Lorsque nous avons parlé en privé, vous m’avez dit que vous aviez abordé cette question à Toronto. Savez-vous si des changements qui pourraient rendre possible la construction d’immeubles de plus de quatre étages dans les années à venir seront apportés au Code national du bâtiment? Qu’en pensez-vous?
M. Larocque : Nous avons été heureux de constater que le budget de 2017 prévoyait un investissement dans le code du bâtiment. Nous sommes en voie de passer à des structures en bois de grande hauteur d’ici 2020, et même des structures plus hautes de 12 étages d’ici 2025. La modification à laquelle nous devons continuer de travailler est liée à la notion de consommation énergétique nette zéro. Il s’agit là d’un concept intéressant, et des définitions doivent être établies, mais, jusqu’à maintenant, nous avons mis l’accent seulement sur l’énergie utilisée pour chauffer un immeuble, si l’on se sert du gaz naturel ou d’un combustible de ce genre.
Pour boucler le cycle de vie complet du carbone, nous devons nous assurer que les matériaux que vous utilisez dans la construction de votre immeuble produisent peu d’émissions de carbone. Si le bois est génial, il serait génial de pouvoir le combiner au béton. C’est la direction que nous devrions prendre, à savoir celle du carbone intrinsèque. À cet égard, nous accusons un peu de retard par rapport aux pays d’Europe, mais nous nous employons à rattraper le temps perdu.
Le sénateur Doyle : S’il advenait que nous soyons autorisés à passer aux structures en bois de grande hauteur, y aura-t-il des craintes à prendre en considération à propos de l’industrie forestière elle-même? L’industrie canadienne peut-elle maintenir suffisamment sa croissance pour être en mesure de réagir à des changements de ce genre? Cela entraînerait assurément un accroissement considérable de l’utilisation des produits forestiers.
M. Larocque : D’après nos calculs, une augmentation de 10 p. 100 pourrait être enregistrée d’ici 2030, comparativement à la quantité de produits utilisés au Canada à l’heure actuelle, et cela représenterait trois ou quatre mégatonnes de CO2, c’est-à-dire près de la totalité des émissions de notre secteur liées aux pâtes et papiers.
Le sénateur Doyle : L’industrie forestière n’aurait donc aucun problème à répondre à la demande?
M. Larocque : Non. Nous croyons aussi que nous souhaiterions créer de nouveaux produits novateurs comme des panneaux de copeaux orientés et du bois lamellé-croisé. Ces produits requièrent différents types d’arbres de la forêt. Par conséquent, des changements devront être apportés à la façon dont nous gérons les forêts en ce moment, mais nous avons le sentiment que tout cela peut être accompli d’ici 2030.
Le sénateur Doyle : Vous avez formulé une observation à propos de ce que vous appelez le reboisement, je suppose. Vous avez parlé de planter des arbres qui poussent plus rapidement, et cela a touché une corde sensible chez moi. Je me demandais ce dont vous parliez à ce moment-là. Pouvez-vous décrire un peu ce dont il s’agit?
Kate Lindsay, vice-présidente, Durabilité et partenariats environnementaux, Association des produits forestiers du Canada : De nombreux programmes et recherches sont menés en ce moment pour déterminer le bon arbre à planter à un endroit particulier. Comme Bob l’a mentionné, nous voulons nous assurer que les semences que nous plantons actuellement sont adaptées au climat à venir. Un certain nombre de projets de recherche sont donc effectués dans ce domaine.
En fait, j’ai entendu hier Mme Sally Aitken de l’Université de Colombie-Britannique parler de la migration assistée et des types d’arbres à planter à certains endroits. La Colombie-Britannique est probablement la province la plus progressive en ce qui concerne la réalisation de plusieurs essais de multiplication de semences. Ses chercheurs plantent diverses semences hors des endroits où elles sont habituellement plantées afin de déterminer dans quelle mesure leur croissance sera facilitée par le changement climatique prévu pour la région en question. C’est l’une des façons de nous adapter. En outre, idéalement, nous pourrons, avec un peu de chance, commencer à faire pousser des forêts qui résisteront davantage à des périls comme les feux de forêt, les ravageurs et les conditions de sécheresse.
Le programme que Bob a mentionné également en Colombie-Britannique s’appelle la Forest Enhancement Society of BC. Ils ont investi des sommes afin d’examiner la possibilité de réensemencer des zones après des feux de forêt ou des infestations de ravageurs afin que les zones se reboisent et séquestrent le carbone plus rapidement. Évidemment, cela représente un défi pour la Colombie-Britannique en raison des feux de forêt et des ravageurs qui ont envahi la province dernièrement. Nous avons l’occasion d’utiliser des technologies novatrices adaptées pour assurer la résilience des forêts à l’avenir.
[Français]
Le président : Madame Lindsay, je ne sais pas si vous avez de l’information sur la rapidité de la croissance. En 1986, Irving, au Nouveau-Brunswick, à l’issue de recherches, a créé un arbre hybride qui vient à maturité après 22 ans. Je suis allé chez Irving pour en planter à titre de député provincial, et je suis allé les récolter en tant que sénateur 22 ans plus tard. Les arbres avaient atteint leur maturité et ils sont exceptionnels. Il y a très longtemps que l’industrie forestière fait des recherches à ce chapitre. Je vous remercie.
[Traduction]
Le sénateur Oh : La question que je vous adresse donnera suite à celle que le sénateur Doyle a posée au sujet des codes du bâtiment. Pour pouvoir exporter et avoir accès au marché requis pour élaborer des codes du bâtiment, des activités ont-elles été entreprises pour mettre au point un code international du bâtiment? Je sais que vous avez mentionné plus tôt que nous pourrions avoir à modifier le Code national du bâtiment du Canada. Qu’en est-il du code international? Cela permettrait à nos produits du bois d’être vendus sur le marché international et à nos exportations de croître.
M. Larocque : J’aurais dû mentionner cet aspect. En modifiant le code du bâtiment du Canada, nous pourrons devenir des chefs de file à l’échelle mondiale et démontrer nos projets dans d’autres pays. Nous avons déjà amorcé une partie de ce travail en Chine et au Japon, mais je crois que nous pouvons faire davantage. L’utilisation du bois présente des avantages sur le plan du carbone, mais elle est également profitable d’un point de vue commercial. Malgré ce qui se passe aux États-Unis à propos du bois d’œuvre, nous avons été en mesure d’accroître de 30 p. 100 nos exportations commerciales vers l’Asie. En continuant dans cette veine dans les années à venir, nous aurons un effet bénéfique sur les émissions de carbone, et nous assurerons la prospérité économique de notre secteur.
[Français]
La sénatrice Gagné : Dans votre dépliant, il y a une page intitulée « L’innovation est dans notre nature », et je suis bien d’accord avec cela. En tant que membre du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, je suis consciente que les secteurs de l’agriculture et des forêts ont chacun un plan stratégique de réduction des émissions de carbone. Je me suis posé la question à savoir s’il y a une mise en commun entre les deux secteurs de façon à faire des transferts de connaissances et de pratiques exemplaires, ou si on travaille beaucoup en silos. Si c’est le cas, ne serait-il pas plus avantageux de faire cette mise en commun? J’aimerais que vous nous fassiez part de votre réflexion à ce sujet.
M. Larocque : C’est une très bonne question. Je peux vous confirmer que nous ne travaillons pas en silos, mais nous pouvons toujours nous améliorer. Dans le cadre du programme d’innovation avec Industrie Canada, nous travaillons avec le secteur de l’agriculture pour créer de nouveaux produits, des biomatériaux, du biocarburant, par exemple. L’agriculture peut faire du bioéthanol et nous pouvons faire du biobrut. Nous travaillons avec environ 42 partenaires industriels du secteur agricole et avec des consommateurs, par exemple WestJet, le CN, Danone et Nestlé.
Récemment, il y a eu une annonce concernant la bioéconomie forestière de la part des groupes interprovinciaux et du ministère fédéral des Ressources naturelles. Nous avons l’intention d’adopter une stratégie en matière de bioéconomie pour les forêts et l’agriculture. En ce qui concerne la biomasse renouvelable, nous devons travailler ensemble et maximiser les efforts de recherche et d’investissement pour accélérer la bioéconomie. Il y a deux ou trois ans que nous travaillons ensemble et nous avons beaucoup de travail à faire avec Ressources naturelles Canada et Agriculture et Agroalimentaire Canada.
La sénatrice Gagné : Avez-vous des recommandations à faire pour les années à venir pour justement ...
M. Larocque : On vient d’annoncer une stratégie sur la bioéconomie des forêts, et j’aimerais qu’elle devienne une stratégie nationale pour les forêts et l’agriculture d’ici décembre 2018.
La sénatrice Gagné : Je vous remercie.
Le sénateur Pratte : Bon nombre de groupes que nous avons rencontrés jusqu’à présent, soit des groupes de producteurs agricoles dont l’industrie est axée vers l’exportation, ont soulevé bon nombre de préoccupations par rapport à un système de taxe sur le carbone, parce qu’ils craignaient de perdre leur compétitivité par rapport à leur principal concurrent aux États-Unis. Votre industrie est axée sur l’exportation, notamment aux États-Unis. Vous dites que vous acceptez la taxe sur le carbone, peut-être pas avec enthousiasme. Qu’est-ce qui fait que vous l’acceptez, même si vous faites face au même problème de compétitivité avec notre principal concurrent?
M. Larocque : En ce qui concerne la taxe sur le carbone, nous l’acceptons, parce que c’est important. Il y a des impacts négatifs liés au changement climatique. Donc, nous devons prendre des mesures, et nous croyons que la taxe sur le carbone est l’un des moyens qui favoriseront la situation par l’adoption de règles prescriptives. Cela donne quand même une chance sur le plan de l’investissement, par exemple pour les usines, car l’argent provenant de la taxe pourra servir à l’innovation.
L’un des problèmes, c’est lorsque plusieurs politiques fédérales s’appliquent sur le même carburant. C’est ce qui se passe aujourd’hui. Il y a la taxe sur le carbone, mais il y aura également une nouvelle taxe sur le carbone avec les normes sur les carburants à faible teneur en carbone. Des règlements seront mis en place pour la production de l’électricité avec du gaz naturel. Tous ces règlements s’appliquent sur le même carburant fossile. C’est à ce moment-là que nous devons travailler ensemble pour examiner attentivement ces politiques. Le prix continue de grimper et cela devient un problème.
Bref, il ne faut pas oublier qu’une taxe sur le carbone peut représenter de belles occasions pour le secteur forestier en ce qui a trait aux biomatériaux. Nous croyons donc que l’imposition d’une taxe sur le carbone est une bonne chose.
Le sénateur Pratte : Dans votre défi « 30 en 30 », vous avez donné quelques idées générales. Sans faire une présentation de 50 minutes, comment comptez-vous atteindre cet objectif?
M. Larocque : Dans un premier temps, si on apporte des changements en forêt, on parle de 15 mégatonnes. C’est la moitié du 30. On absorbera plus de carbone. Donc, le gouvernement fédéral pourra utiliser cela dans ses objectifs à atteindre dans le cadre de l’Accord de Paris. Dans un deuxième temps, il faut utiliser les bioproduits, des bâtiments à grande hauteur, pour remplacer les produits fossiles, ce qui représente environ 10 mégatonnes. Enfin, la dernière partie, les cinq mégatonnes, concerne le transport ferroviaire, nos usines et l’élimination du gaz naturel comme énergie en créant de l’énergie plus efficace.
Le sénateur Pratte : Lorsque vous parlez de changements en forêt, cela signifie la reforestation, une croissance plus rapide, et cetera.
M. Larocque : Exactement. Il s’agit par exemple de brûlage à plat. Cette méthode est beaucoup plus utilisée dans l’Ouest que dans l’Est. On coupe les arbres et il reste des produits en forêt que l’on brûle, ce qui émet du méthane immédiatement dans l’atmosphère.Si on pouvait prendre ces produits en forêt et les transformer en huiles pyrolytiques, en copeaux de bois, en produits tels que les panneaux OSB, on éliminerait ces sources. C’est une combinaison, mais nous pensons qu’elle représente la moitié.
Au cours des deux prochaines années, toutes les politiques fédérales seront seulement axées sur l’énergie. Il faut mettre davantage l’accent sur la forêt. Quinze mégatonnes, c’est deux à trois fois les émissions totales du secteur des produits forestiers. Il s’agit d’une belle occasion, mais on n’avance pas aussi vite qu’on le souhaiterait.
Le sénateur Pratte : Vous avez donc besoin d’un coup de pouce financier du gouvernement fédéral?
M. Larocque : Un coup de pouce financier et une meilleure collaboration entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Vous avez parlé d’Irving, mais 70 p. 100 des produits forestiers proviennent des terrains provinciaux. Nous devons travailler avec les provinces pour veiller à ce que ces changements se fassent en forêt et non pas seulement avec le gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral peut aider avec des investissements, comme il le fait pour le secteur de l’énergie, mais il faut travailler aussi avec les provinces. Irving possède des terrains privés. Elle a donc plus de flexibilité pour explorer d’autres types de bois que les provinces.
La sénatrice Tardif : Je tiens à vous féliciter pour ce dépliant très attrayant où l’on retrouve beaucoup d’information.Dans le dépliant, vous indiquez que le Canada a la plus grande superficie de forêt certifiée au monde.
Quels critères sont utilisés pour atteindre cette certification et qu’est-ce que cela représente réellement?
M. Larocque : Je vais demander à Mme Lindsay de répondre à cette question.
[Traduction]
Mme Lindsay : Pour être membre de l’APFC, il faut être certifié en vertu de l’une des trois normes possibles. Ces normes sont reconnues à l’échelle internationale. Les trois normes dont nous faisons la promotion sont celles de l’Association canadienne de normalisation, de la Sustainable Forestry Initiative et du Forest Stewardship Council. Celle du FSC est une norme internationale qui a été adaptée au Canada. Il va sans dire que celle de l’ACN est d’origine canadienne. Il s’agit d’un processus très rigoureux. L’ACN a élaboré des normes pour un grand nombre d’industries canadiennes, mais aussi pour le secteur de la gestion forestière. La norme de la Sustainable Forestry Initiative a été établie en Amérique du Nord, mais elle est aussi reconnue mondialement en vertu de la norme du PEFC (Programme for the Endorsement of Forest Certification).
Ces normes sont très rigoureuses, et elles sont vérifiées par une tierce partie. Par conséquent, chaque entreprise forestière certifiée en vertu de ces normes reçoit la visite annuelle d’un vérificateur membre d’une tierce partie, mais une vérification complète de sa conformité est effectuée tous les trois ans. Les normes de certification font également l’objet d’un examen quinquennal. Ainsi, les nouveaux renseignements, les innovations, les nouvelles technologies et les nouvelles façons de faire les choses sont intégrés tôt ou tard dans ces normes. Cela permet aussi d’assurer une amélioration continue.
Toutes les organisations ont aussi l’occasion d’alimenter ces normes. Par exemple, le FSC compte quatre différentes chambres au Canada: les chambres économique, sociale, environnementale et autochtone. Les organisations responsables des autres normes sont composées de conseils d’administration très diversifiés et de groupes consultatifs publics qui alimentent les normes. Le processus de certification est grandement transparent. Vous pouvez voir en ligne les entreprises certifiées en vertu de chaque norme, et les mesures qu’elles prennent pour maintenir ces titres de compétences.
[Français]
La sénatrice Tardif : Merci pour cette explication.
Vous avez mentionné le Forest Stewardship Council of Canada. Je crois qu’il utilise des étiquettes environnementales. Les consommateurs exigent-ils ces étiquettes? Croyez-vous que cela vous aide à atteindre vos objectifs en matière de réduction de gaz à effet de serre?
[Traduction]
Mme Lindsay : Je crois que les normes pourraient être améliorées en y intégrant des pratiques écologiques. Ce processus d’amélioration a été entamé pour les trois normes. Les directives mentionnent donc la façon dont les forêts devraient être gérées pour atténuer leur incidence sur le changement climatique et pour qu’elles soient adaptées à celui-ci à l’avenir, mais je pense que, dans la prochaine version de ces normes, vous trouverez un plus grand nombre de critères ou d’indicateurs propres au changement climatique. Les responsables de l’ACN et de la SFI ont modifié certaines de leurs directives pour aborder la question de la réalisation d’évaluations de la vulnérabilité, de la familiarisation avec les risques que vous pourriez courir au sein de l’industrie forestière compte tenu de la région où vous vous trouvez au Canada et de la prise de mesures pour atténuer ces risques. Je crois sincèrement qu’à l’avenir, les trois normes évolueront pour présenter un plus grand nombre d’indicateurs du changement climatique.
[Français]
M. Larocque : J’aimerais ajouter que les consommateurs demandent que nos produits soient certifiés. C’est la raison pour laquelle nous avons l’une des meilleures réputations au monde en matière de gestion des forêts.
Le sénateur Dagenais : Comme nous sommes dans une ronde de félicitations, mieux que des félicitations, j’aimerais parler de compensation. Comme vous devez payer une taxe sur le carbone, cela aura certainement une incidence sur les prix par rapport à nos voisins du sud. À quoi vous attendez-vous de la part du gouvernement? Avec une taxe sur le carbone, tôt ou tard, le gouvernement devra vous aider et vous offrir une compensation.Avez-vous une idée de la façon dont le gouvernement pourrait vous offrir une indemnisation?
M. Larocque : Nous avons fait une analyse qui a révélé que la taxe sur le carbone coûtera environ 275 millions de dollars par année au secteur forestier en 2022, si on assume que le prix est de 50 $ la tonne.
Nous recherchons une aide financière en matière d’avancement technologique. Recevoir une aide quand on veut créer du biobrut, des biomatériaux ou faire de la recherche pour créer des produits pouvant servir à la construction de bâtiments, ce n’est pas de l’indemnisation. On vous donne un autre reçu et vous recevez la moitié de ce que vous avez payé. Il s’agit d’adopter un système technologique qui fera progresser notre secteur.
En 2030, selon ma vision, nos forêts seront gérées de façon durable quant aux changements climatiques, aux espèces en péril, et cetera. On utilisera les produits du bois pour obtenir de la valeur ajoutée dans le bois d’œuvre ou dans les gros bâtiments. Ensuite, on utilisera les résidus pour faire de la pâte et des bioproduits et pour produire de l’énergie. Il y aura alors une diversification. On ne fera pas uniquement de la pâte et du papier journal, et on ne sera pas pris avec des problèmes de commerce avec les États-Unis ou d’autres pays. C’est le genre de compensation qu’on aimerait obtenir ou qu’on souhaiterait aller chercher auprès du gouvernement fédéral. Le gouvernement est là pour nous en ce moment, mais l’argent ne provient pas nécessairement de la taxe sur le carbone. Il y a de l’argent pour l’innovation, mais il pourrait y en avoir plus avec une taxe sur le carbone.
Le sénateur Dagenais : La semaine prochaine, nous serons dans la région de Montréal où nous visiterons un projet de logements abordables construits en bois. Vous êtes sûrement au courant que l’intérieur de la Maison symphonique de Montréal est faite en bois. C’est un bel exemple de l’utilisation du bois.
Y a-t-il d’autres projets d’envergure semblables au Canada? On sait qu’il y a des projets de construction d’immeubles hauts en bois. Y a-t-il d’autres projets qui sont envisagés de la part des producteurs forestiers?
M. Larocque : Pour ce qui des constructions en bois, ce sont surtout des bâtiments à plusieurs étages. À Québec ou à Trois-Rivières, on construira un condo de 12 ou 14 étages. C’est surtout dans ce domaine où il y aura des constructions.
On souhaiterait obtenir plus de soutien financier de la part du gouvernement fédéral sous forme technique pour modifier les codes du bâtiment. Par exemple, on pourrait organiser des concours pour les architectes, où on leur offrirait 1 milliard de dollars pour concevoir un bâtiment de 16 étages en bois. Cela les inciterait à travailler avec les municipalités. Ce serait avantageux pour le secteur des produits forestiers, qu’il s’agisse de la construction d’un aéroport, de hauts immeubles ou d’un centre commercial.
On envisage d’investir dans l’utilisation du bois et des forêts, pas uniquement dans l’énergie.
Le sénateur Dagenais : L’année dernière, nous avons effectué une mission en Chine. Nous avons visité des constructions en bois. J’imagine que vous envisagez de réaliser des projets avec la Chine?
M. Larocque : Oui, nous réaliserons des projets avec la Chine. Le premier ministre Trudeau ira peut-être y faire une visite. Nous apprécions beaucoup le soutien du gouvernement fédéral. Il faut continuer dans cette voie. Nous avons obtenu de l’aide après la récession de 2010 à 2014. Assurer une continuité et travailler avec l’Asie, c’est très important pour nous.
[Traduction]
Le sénateur Doyle : J’ai une brève question à poser aux représentants des produits forestiers que je n’ai pas eu le temps de formuler la dernière fois. À quel point est-il difficile pour une entreprise de se rendre dans la forêt pour abattre des arbres? À quel point est-il difficile pour une entreprise d’utiliser des techniques d’exploitation vraiment respectueuses de l’environnement? Tout exploitant forestier est à la recherche d’arbres adultes, n’est-ce pas, car c’est ce bois que vous récoltez ou peu importe?
Au fil des ans, vous avez entendu de nombreux commentaires concernant la coupe à blanc. Je sais que c’est mon cas. À quel point la pratique de la coupe à blanc est-elle répandue? À quel point cette technique est-elle écologique? Manifestement, on ne respecte pas l’environnement lorsqu’on procède à des coupes à blanc pour atteindre les arbres adultes. Cette technique est-elle utilisée fréquemment? Je sais que, dans ce que j’appellerai « l’ancien temps », les gens étaient toujours préoccupés à ce sujet. Il y avait trois usines de pâtes et papiers dans la province, et les gens parlaient toujours de façon critique des coupes à blanc effectuées pour fournir du bois à ces usines. De nombreux arbres étaient détruits. Cette pratique en matière d’exploitation forestière est-elle commune de nos jours? Cela pose-t-il un problème à l’ACN, à laquelle vous avez fait allusion, ou à un organisme de ce genre?
Mme Lindsay : Je serais heureuse de répondre à cette question. Dans les années 1980 et 1990, une guerre de grande ampleur se déroulait dans les forêts — ces pratiques forestières suscitaient une grande controverse. Cependant, vous constaterez maintenant que les pratiques se sont considérablement améliorées. Comme Bob l’a mentionné, nous devons nous conformer à la réglementation provinciale de la foresterie la plus stricte qui soit, comparativement à tous nos concurrents, et nous devons également obtenir une certification qui va beaucoup plus loin que le régime réglementaire.
La coupe à blanc est un terme qui est toujours employé pour décrire la façon dont nous venons à bout d’une zone forestière particulière. Cependant, la coupe à blanc n’est plus ce qu’elle était. Un grand nombre d’arbres sont conservés dans le bloc de coupe. Nous devons respecter un certain nombre de différents indicateurs fauniques et de différents indicateurs de la biodiversité et de la santé des bassins hydrographiques. Des marges de recul doivent être respectées autour des étendues d’eau. Des arbres sont laissés dans les blocs de coupe pour fournir des graines aux espèces sauvages. Il y a beaucoup de facteurs à prendre en considération lorsque nous planifions la coupe d’une zone.
Dans la plupart des provinces, on élabore ce qu’on appelle un plan stratégique, qui examine les 150 à 200 ans à venir, ainsi qu’un plan portant sur les 10 à 20 prochaines années, auxquels s’ajoute un plan annuel. Trois niveaux de plans sont élaborés et mis en œuvre pour envisager le tableau en entier. Comment pouvons-nous maintenir la fonction écologique au fil du temps et des espaces, tout en nous procurant le bois nécessaire pour alimenter nos usines et fabriquer les produits qui importent aux Canadiens?
Le processus de planification est très détaillé et rigoureux, et beaucoup de choses ont changé. Il est probable qu’en raison des conflits du début, nous avons été forcés de dire: « D’accord, nous devons passer ces pratiques en revue et les améliorer ».
En outre, je vais vous citer un chiffre. Seulement un demi pour cent des forêts aménagées que nous gérons font l’objet de coupes annuelles. Cela représente un très petit nombre.
De plus, nous envisageons à l’avenir d’émuler les perturbations naturelles, ce qui signifie que nous pourrions, dans certaines régions, récolter du bois sur de plus grandes surfaces uniquement dans le but d’imiter les formes de perturbations naturelles. Si ces régions font partie d’un écosystème naturellement régi par des feux de forêt, ces feux surviendront habituellement tous les 80 à 100 ans. Nous reproduirons donc ces périodes de rotation et ces fréquences d’incendie. Nous espérons exercer nos activités dans les limites de ces intervalles, et non précocement.
Le sénateur Doyle : Dans quelle mesure l’industrie forestière participe-t-elle aux efforts déployés pour prévenir la destruction des forêts par le feu, par exemple? Dans quelle mesure pouvez-vous jouer un rôle à cet égard? Employez-vous des techniques particulières? Les incendies semblent être l’une des forces les plus destructrices qui menacent les forêts de nos jours. Dans quelle mesure pouvez-vous intervenir dans la prévention des feux de forêt et les dangers de ce genre? Je sais que vous devez, entre autres, nettoyer les blocs de coupe et éliminer le bois sec, mais utilisez-vous d’autres techniques pour gérer ces dangers?
Mme Lindsay : Le Conseil canadien des ministres des forêts a mis en place une stratégie liée aux feux de forêt, mais il y a de nombreuses autres mesures que nous pouvons prendre. À l’heure actuelle, des initiatives visant à élaborer un plan global de lutte contre les incendies de forêt sont en cours. Pour prévenir les incendies, la réglementation prévoit des pratiques pour réduire la quantité de résidus de carburant laissés dans les forêts.
Mais, à mon avis, nous pouvons faire davantage, en particulier dans les collectivités. Il existe par exemple des programmes appelés Intelli-feu. Il faut aussi organiser de nombreuses activités de sensibilisation du public et diffuser de nombreuses communications pour faire comprendre aux habitants des collectivités que la création de coupe-feux, c’est-à-dire de zones exemptes d’arbres autour de leur collectivité, peut être à leur avantage en cas d’incendies. Nous devons déployer plus d’efforts et sensibiliser davantage le public pour obtenir une mise en œuvre plus généralisée de cette mesure, mais un certain nombre de stratégies sont en cours d’élaboration en ce moment.
M. Larocque : Je tiens seulement à ajouter qu’il en va de même pour les ravageurs. Les dendroctones du pin nous ont appris beaucoup de choses. Si vous y réfléchissez, vous constaterez que la plupart de ces arbres ont été endommagés ou tués. Nous avons été en mesure d’en préserver quelques-uns, mais certains d’entre eux n’ont pas été utilisés. C’est la raison pour laquelle nous soutenons qu’en ce qui concerne le carbone, nous devons passer davantage de temps dans les forêts. Nous devons nous efforcer de faire tout en notre pouvoir pour prévenir les feux de forêt et les infestations de ravageurs, pour utiliser le bois pour séquestrer le carbone et pour planter de nouveaux semis qui absorberont davantage de carbone. Cela fait partie des 50 mégatonnes dont nous parlons.
[Français]
Le président : J’aimerais ajouter un point. Je pense que les régimes forestiers de chacune des provinces ont cette responsabilité. À ce jour, deux provinces ont un régime forestier fort strict; il s’agit du Québec et de la Colombie-Britannique. Au Nouveau-Brunswick, comme on l’a dit, ce sont des forêts privées à 75 p. 100. L’Ontario a quand même un régime forestier acceptable. Quant aux coupes à blanc, on n’en voit plus et il n’y en aura plus jamais. En ce qui a trait au reboisement, la majorité des provinces mettent en oeuvre la politique d’« un arbre coupé, un arbre planté ». Cela fait partie de la reconstruction de nos forêts.
J’ai une petite remarque à faire concernant la recherche. Je voyage tous les lundis et vendredis. Sur la route Québec-Ottawa, il y a beaucoup de transporteurs de bois d’œuvre dont le bois est enveloppé de plastique. Dans la recherche sur les fibres, est-ce qu’on ne pourrait pas trouver un substitut pour ce plastique qui provient des produits dérivés du pétrole? Cela me fait penser aux supermarchés qui nous font payer à la caisse le sac à 5 ¢. Dans le sac, il y a environ trois livres de plastique qui représentent l’emballage plastique de tous les produits achetés. C’est le comble du ridicule dans l’alimentation. Cependant, dans votre secteur, est-ce qu’on ne pourrait pas faire une petite recherche afin de trouver un meilleur produit pour envelopper le bois d’œuvre pour son transport?
M. Larocque : La bonne nouvelle, c’est qu’on va trouver ce produit dans un ou deux ans. Le plastique qui vient des produits fossiles provient du carbone. On peut faire la même chose avec un tronc d’arbre. Nous ne ferons pas le plastique, mais nous vous donnerons la molécule qui est semblable à celle des produits fossiles. Pour nous, une usine de pâte sera une bioraffinerie. La lignine qui colle permettra de remplacer toutes les colles utilisées pour le bois d’œuvre et les panneaux qui viennent des produits fossiles. Ensuite, on va utiliser le restant des produits chimiques. La cellulose va se transformer en pâte, et le restant des produits chimiques va servir à faire des produits bioplastiques. On entend beaucoup parler de l’acide succinique dans ce domaine.
Nous allons donc devenir des bioraffineries. Il y en a une en Europe, mais il en coûterait de 2 à 3 milliards de dollars pour convertir une usine traditionnelle de pâtes et papiers.
Au Canada, on entame cette transition par étapes. Il y a des usines qui font du biométhanol, une autre qui le fait avec le bioplastique et encore une qui utilise la lignine. On espère que ces recherches permettront la création d’une ou de deux nouvelles raffineries au Canada d’ici 2025 à 2030.
Le président : Merci pour vos témoignages qui ont été très instructifs. Je vous remercie de votre travail. Continuez, car c’est très utile pour notre rapport. Je vous souhaite aussi de bonnes bourses de carbone rentables.
M. Larocque : Je tiens à vous remercier de votre invitation, parce que nous avons encore beaucoup de monde à convaincre dans le secteur urbain en ce qui concerne la coupe des arbres dans les forêts. Il faut en parler avec le plus grand nombre de Canadiens possible pour ainsi pouvoir leur expliquer qu’une forêt qui travaille, qui apporte des avantages en matière de carbone, contribue à la création d’emplois et au commerce et que, en fin de compte, c'est une bonne chose. C’est pourquoi nous étions très heureux de recevoir votre appel afin de comparaître devant vous.
Le président : Je vous remercie et vous souhaite une bonne Semaine nationale de l'arbre et des forêts, qui se fête d’un océan à l’autre.
(La séance est levée.)