LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS
TÉMOIGNAGES
MONTRÉAL, le jeudi 5 octobre 2017
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 8 h 31, pour étudier l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.
Le sénateur Terry M. Mercer (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Je voudrais vous souhaiter la bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse, vice-président du comité. Je voudrais commencer par demander à mes collègues de se présenter, en commençant par ma gauche.
[Français]
La sénatrice Tardif : Bonjour. Claudette Tardif, de l’Alberta.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec, de la région de Montréal.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Le sénateur Victor Oh, de l’Ontario.
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, Terre-Neuve-et-Labrador.
Le vice-président : Aujourd’hui, le comité va poursuivre son étude sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricoles, agroalimentaire et forestier. Nous sommes heureux d’être ici, à Montréal — qui n’est pas heureux d’être ici, à Montréal, n’importe quand? Aujourd’hui, c’est tout simplement un autre jour heureux à Montréal — pour entendre le témoignage d’intervenants du Québec œuvrant dans les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.
Comme premiers témoins, nous accueillons un groupe de FPInnovations : M. Pierre Lapointe, président et chef de la direction; M. Jean-Pierre Martel, vice-président, Partenariats stratégiques; M. Patrick Lavoie, scientifique chevronné; et M. Richard Hamelin, chercheur pour l’entreprise.
Merci d’avoir accepté l’invitation. Je voudrais vous inviter à présenter un exposé, et nous passerons ensuite aux questions de mes collègues.
[Français]
Pierre Lapointe, président et chef de la direction, FPInnovations : Merci. Je suis heureux d’être ici. Merci de l’invitation. Nous allons faire la présentation en français. Vous avez reçu une copie des différentes diapositives, qui sont en anglais et en français. Pour poser les questions, soyez à l’aise, car les quatre personnes sont complètement bilingues.
Donc, je voudrais, dans un premier temps, commencer par vous dire qui nous sommes. FPInnovations est née de la volonté des industries canadiennes de la forêt, du gouvernement fédéral, du gouvernement du Québec et de celui de la Colombie-Britannique de mettre ensemble toutes les institutions de recherche sur le secteur forestier. Aujourd’hui, nous avons une vision qui est de mettre dans votre vie de tous les jours un morceau de fibre de bois. Nous allons vous démontrer la transformation du secteur forestier que nous avons lancée depuis déjà une dizaine d’années. À la diapositive 3, vous allez voir que FPInnovations est une compagnie à but non lucratif dont le siège social est situé à Montréal, bien que nous couvrions l’entièreté du Canada.
Nous avons près de 200 personnes à Montréal, 200 personnes à Vancouver et une soixantaine de personnes à Québec, y compris 40 agents industriels distribués partout dans chaque province. Le budget est de l’ordre de 75 à 80 millions de dollars par année, dont un tiers provient de l’industrie, c’est-à-dire des membres de cette industrie. Nous avons 170 différentes compagnies à travers le Canada. Le deuxième tiers provient des gouvernements fédéral et provinciaux. La seule province qui n’est pas là, c’est l’Île-du-Prince-Édouard. Nous avons aussi deux territoires, incluant le Yukon. Le dernier tiers est lié aux contrats, services, royautés, licences, et cetera.
Si nous allons dans le vif du sujet à la diapositive 4, quels sont les risques associés aux changements climatiques par rapport aux éléments du secteur forestier? Il est évident que l’un des événements les plus marquants au cours des deux dernières années, ce sont les feux de forêt. On a deux exemples frappants, soit celui de Fort McMurray et celui qui a ravagé la Colombie-Britannique cet été.
Quant au deuxième danger, effectivement, la destruction des forêts par les parasites, il y a dans l’Est du Canada la tordeuse des bourgeons. Dans l’Ouest, on parle du « Mountain Pine Beetle ». C’est important de pouvoir être en mesure de contrôler le tout parce que ça définit la disponibilité de la biomasse forestière.
Naturellement, et les chercheurs pourront vous en parler, les changements climatiques font en sorte que les espèces que l’on doit planter pour remplacer nos conifères ou nos bois durs vont changer avec le temps, et nous serons en mesure de vous présenter les problématiques reliées à tout cela.
Naturellement, tout ça a un impact important parce que la foresterie est en région et donc l’économie régionale, les emplois sont cruciaux pour ces raisons.
À la diapositive 5, il y a deux constats qui sont faciles à faire. D’abord, pour atténuer les changements climatiques, il faut nécessairement réduire les émissions de gaz à effet de serre et emmagasiner plus de carbone. Ce qu’on va vous démontrer aujourd’hui, c’est que la forêt et le secteur forestier peuvent vraiment jouer les deux rôles, et ce, de façon efficace.
À la diapositive 6, nous voulons vous illustrer le cycle du carbone forestier. L’arbre emmagasine du dioxyde de carbone. On peut le transformer. On peut construire en hauteur. On peut le recycler. On peut l’utiliser à des fins de chimie verte. On peut l’utiliser à des fins de remplacement des hydrocarbures. Donc, le cycle du carbone forestier est une solution unique pour combattre les changements climatiques.
L’autre élément, je pense, qui est important, c’est que l’arbre n’a pas deux pattes et ne peut pas quitter le Canada. Ça, je pense que nous devons le comprendre pour une raison très simple, c’est que c’est renouvelable, mais c’est aussi à nous.
Regardons la diapositive 7, les occasions pour la forêt et les produits forestiers de contribuer aux changements climatiques. Naturellement, la régénération des arbres fait en sorte qu’il y a une séquestration de CO2 qui est efficace. De plus en plus, de nos jours, et c’est pour ça que Richard est à côté de moi, l’aspect génomique des espèces va devenir important, à savoir quelles sont les différentes espèces qu’on devra planter à l’avenir.
Il y a aussi la question du stockage du carbone à long terme dans les produits du bois. Prenons, à titre d’exemple, les bâtiments en bois. Au Canada, nous sommes maintenant en mesure de construire six, huit étages, selon le nouveau Code du bâtiment. Cependant, la Colombie-Britannique et le Québec ont été précurseurs, car il y a un édifice de 18 étages en bois sur le campus de la UBC et, à Québec, un édifice de 13 étages. Tout près d’ici, à Montréal, il y a un projet de trois édifices à condos de huit étages totalement en bois, faits à partir de lamellé-croisé. Donc, je crois que c’est important aussi de noter que le Canada est revenu à la construction de bois.
Naturellement, un des éléments de transformation les plus importants pour le secteur forestier, c’est la chimie verte. Par conséquent, les biocarburants, les produits biochimiques et les biomatériaux, tous ces éléments de transformation sont importants et seront l’avenir du secteur forestier. Cette bioéconomie est l’industrie de l’avenir, mais elle est déjà commencée. Vous allez voir dans les prochaines diapositives des exemples bien réels de ces données.
À la diapositive 8, nous avons cerné quatre domaines d’intervention : le transport et mobilité, la production énergétique, le bâtiment et l’efficacité dans les procédés. Je voudrais, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, vous indiquer que le petit autobus que vous voyez en photo est un autobus électrique qui a été construit à partir des technologies de FPInnovations. Ils sont maintenant opérationnels au terminal 2 de Calgary.
Pourquoi FPInnovations a-t-elle un axe important de recherche dans le domaine du transport? Parce que le transport équivaut à 45 p. 100 du prix du bois. Donc, nous prenons les technologies développées pour le secteur forestier et les transférons du côté commercial.
La diapositive 9 traite du transport et de la mobilité. Vous voyez justement cet élément de transport électrique. La photo en bas, à droite, vous montre ce qu’on appelle le « platooning », c’est-à-dire un convoi routier de trois remorques successives conduites par un seul chauffeur. Il y a une économie d’énergie et de coûts, naturellement, puisqu’il y a un seul chauffeur, mais aussi une réduction des gaz à effet de serre parce que la deuxième remorque et la troisième remorque engendrent une économie d’énergie pouvant atteindre 18 p. 100. Donc, c’est relativement fondamental.
Ce qui est intéressant aussi dans la nouvelle économie au niveau du transport électrique, c’est que le Québec a décidé d’en faire une priorité. Un partenariat a déjà été établi entre FPInnovations, ABB et Ericsson pour aller de l’avant avec un projet qui prévoit du transport forestier et du transport en ressources naturelles avec diminution du nombre de chauffeurs et aussi avec une augmentation du remplacement du biodiesel.
Un des projets majeurs en biodiesel se situe justement dans la division sénatoriale du président du comité, c’est-à-dire à La Tuque. Nous avons un projet avec la compagnie finlandaise Neste pour faire du biodiesel. Éventuellement, une usine sera construite à La Tuque avec un investissement de 1 milliard de dollars.
Donc, à l’intérieur du transport et de cette mobilité, le secteur forestier transfère ses informations, sa science et son innovation de la forêt vers le secteur commercial. Il s’agit donc d’économie d’énergie, d’économie de personnes et d’économie à tous les niveaux.
À la diapositive 10, il est question de la production énergétique. On est capable d’extraire, à partir de la cellulose, des sucres et faire en sorte de produire des éléments qui vont remplacer les hydrocarbures. Donc, nous avons, comme je le disais, à La Tuque, un projet important de biodiesel. Ce projet de biodiesel pourrait être exporté un peu partout à travers le Canada afin de soutenir le développement du transport, et ce, de façon beaucoup plus saine du côté énergétique.
La diapositive 11 donne plusieurs exemples de constructions en hauteur, en bois. Actuellement, le Code du bâtiment accepte six ou huit étages, mais dans un avenir rapproché, le code devrait accepter des ouvrages encore plus hauts pouvant atteindre, fort probablement, jusqu’à 18 étages. Il est à noter que lorsque la construction se fait, elle se fait de façon beaucoup plus efficace et, disons, beaucoup plus saine pour l’environnement. Ce qu’il est important de comprendre, c’est qu’avec le lamellé-croisé, ce qu’on appelle le CLT, on est en mesure de construire un édifice, avec neuf personnes, un étage par jour, et ce, sans résidus et sans impact sur la circulation.
Je vous invite à regarder sur YouTube une vidéo qui a été faite sur l’édifice de Vancouver de 17 étages qui s’appelle le Brock Commons. C’est une résidence étudiante sur les terrains de la UBC. Le tout a été construit en trois mois, par neuf personnes. Ça, c’est l’avenir.
Vous voyez aussi une photo, à droite, d’un pont. Ce pont a été construit pour la mine Stornoway dans le Nord du Québec, c’est-à-dire à Chibougamau. Une fois que le socle de ciment est séché, le pont est bâti en une semaine. On a essayé de convaincre le ministre Lebel d’adapter cette méthode au pont Champlain, mais ça n’a pas fonctionné. Pour la mine Stornoway, il y avait 17 ponts à construire dans un environnement nordique, et ceux-ci ont tous été construits en trois mois. C’est donc un nouveau produit tout à fait prometteur.
En passant, la compagnie Nordic Structures construit aujourd’hui le deuxième aréna des Sabres de Buffalo en lamellé-croisé. Donc, c’est un produit d’exportation. Naturellement, ce produit étant un bois d’ingénierie, il n’est pas assujetti à l’entente sur le bois d’œuvre. Vous êtes à même d’apprécier le développement d’industries de différents types pour l’exportation.
Quant à l’efficacité énergétique, FPInnovations travaille avec plusieurs partenaires, notamment en matière de nouveaux types de séchoirs qui utilisent des radiofréquences et qui vont sécher la pièce de bois en continu, mais seulement aux endroits où la pièce de bois a besoin d’être séchée, réduisant ainsi les coûts de séchage de façon significative. Il y a également une économie des coûts énergétiques, du fait que le temps de séchage se voit réduit à une seule journée plutôt que quatre ou cinq jours. Donc, les coûts énergétiques sont réduits de façon extraordinaire.
Si on regarde ce qui s’est passé au cours des 10 dernières années, le secteur forestier est en pleine transformation. C’est un secteur qui a été en mesure, justement, de comprendre que les changements climatiques étaient une source de nouveaux produits, mais également une source où la forêt devenait l’un des éléments fondamentaux de la lutte contre les changements climatiques.
On a voulu ici vous donner, de façon très brève, quelques exemples illustrant le fait que le secteur forestier fait partie de la solution dans le cadre de la lutte aux changements climatiques. Nous sommes fiers de participer à ce combat.
Monsieur le président, nous sommes maintenant prêts à répondre aux questions du comité. Merci.
Le vice-président : Monsieur Lapointe, merci beaucoup pour votre présentation.
Sénateur Dagenais, s’il vous plaît.
Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités de cette présentation très intéressante. Je vais avoir deux questions. D’abord, j’aimerais que vous nous donniez un peu plus d’information, plus d’exemples reliés aux biomatériaux quand on parle du développement du bois à moyen terme. Vous avez quand même abordé le sujet. Également, j’aimerais connaître le prix par rapport aux matériaux conventionnels, et bien sûr, les possibilités d’un marché extérieur.
M. Lapointe : Excellente question. Pour la suite de ma réponse, je vais demander à Patrick, qui est l’expert en chaîne de valeurs, de parler de l’aspect économique. Je vais donner deux ou trois exemples de types de nouveaux matériaux.
Avant de commencer, je vais vous expliquer qu’à l’intérieur du Canada, plusieurs municipalités ont des problèmes d’enfouissement de déchets. La Ville de Vancouver, à titre d’exemple, a une réglementation qui fait en sorte que lorsqu’il y aura des constructions, comme la démolition d’un édifice à Vancouver, vous n’aurez plus le droit de l’enfouir dans des sites d’enfouissement de types normaux. Par conséquent, tout élément de construction d’un édifice doit être recyclable.
De ce fait, nous avons des objets de recherche qui, à titre d’exemple, remplaceraient les éléments de styromousse par des isolants, mais à base de fibre de bois. Il s’agit d’un des projets. L’isolant fonctionnerait autant pour l’aspect chaleur, l’aspect énergétique que pour l’aspect acoustique. Un des problèmes dans les condos d’aujourd’hui, c’est l’acoustique. Or, cela nous donnerait des produits qui seraient totalement recyclables, mais également des produits qui répondraient à certains problèmes liés à la construction et à la démolition.
Un deuxième produit, c’est l’utilisation de la fibre cellulosique, ce qu’on appelle amicalement le CF, dans les panneaux de gypse, réduisant le poids de façon significative, soit une réduction du poids des panneaux de gypse de l’ordre de 20 p. 100. Toute personne ayant essayé de fixer une feuille de gypse au plafond sait ce que ça signifie comme impact, tout en rendant plus recyclable la feuille de gypse elle-même.
Quant aux isolants, il y a aussi toute la problématique reliée au transport, c’est-à-dire que les fibres de verre, avec des fibres de bois, sont incorporées maintenant dans les polymères ce qui permet notamment de réduire de 20 p. 100 le poids des plateformes des camions de 53 pieds. Donc, tous ces biomatériaux ont un objet, c’est-à-dire celui de rendre le nouveau produit recyclable et aussi d’alléger de façon substantielle ces nouveaux produits.
Par conséquent, nous avons des projets de recherche avec Air Canada en matière de biodiesel et avec WestJet ainsi qu’avec Bombardier en matière de réduction du poids des principales pièces utilisées dans les différents avions. Je cède maintenant la parole à Patrick.
Patrick Lavoie, scientifique chevronné, FPInnovations : Votre question, je pense, porte sur l’empreinte carbone et sur l’impact que ça peut avoir, par exemple, sur la création d’une économie ou le développement de produits qui peuvent être destinés à des marchés.
Notamment, je pense que l’exemple que M. Lapointe soulevait par rapport aux isolants, les isolants cellulosiques qu’on peut utiliser dans les bâtiments, est un très bon exemple. On voit, par exemple, que ces produits, actuellement, ne sont pas disponibles au Canada ou très peu, et seulement en importation. Pourtant, on a la possibilité de les produire.
Ce qu’on voit, en fait, depuis trois ans ou cinq ans, c’est qu’il y a une demande réelle pour de tels produits dans le marché local pour les entreprises en construction qui cherchent à développer des bâtiments qui ont une empreinte carbone beaucoup moins importante que des bâtiments conventionnels où on utilisait, par exemple, des laines de roche, des styromousses ou de la laine minérale, comme on en utilise fréquemment.
Donc, il est très clair qu’il y a un gain à ce niveau. Lorsqu’on utilise ce type de ressource, elle est disponible actuellement. On a des problèmes à trouver des débouchés pour certains types de fibre. Dans certains cas, des résidus de construction peuvent être utilisés pour fabriquer ces produits.
Donc, ça devient extrêmement intéressant à ce moment-là. On prend un enjeu qui est un problème, entre guillemets, soit des résidus en fin de vie, puis on les transforme en produits à valeur ajoutée qui ont une deuxième vie, qui viennent réduire l’empreinte carbone qui aurait été nécessaire pour produire un produit équivalent. Donc, il y a énormément d’avantages par rapport à ça.
Le sénateur Dagenais : J’aimerais que vous parliez un peu plus en détail du projet de production de biodiesel de La Tuque. Évidemment, il y a l’échéancier de ce projet et la structure de financement. En peu de mots, j’aimerais que vous résumiez comment tout ça va se dérouler.
M. Lapointe : Le projet de biodiesel à La Tuque est un partenariat avec la compagnie finlandaise Neste. La compagnie Neste a une grosse usine de production, à Amsterdam et à Singapour, de biodiesel fait à partir d’huile de palme et des huiles résiduelles de cuisines de restaurants, et ainsi de suite. Un de leurs problèmes, c’est que les deux usines de biodiesel ont plafonné et qu’ils veulent trouver un environnement où ils seraient en mesure de produire du biodiesel à partir d’une ressource renouvelable pour les 25 prochaines années. Il s’agit là de l’objectif de Neste.
Ils nous ont abordés, la région de La Tuque et FPInnovations. Pourquoi la région de La Tuque? C’est que déjà, dans cette région, la biomasse forestière résiduelle est disponible, ce que nous avons prouvé. Deuxièmement, elle est déjà reliée par train à un port en eaux profondes qui est à Trois-Rivières, ce qui permettrait à Neste d’exporter autant vers l’est nord-américain que vers l’ouest nord-américain. Donc, ceci est l’objectif.
La structure de gouvernance, c’est un partenariat entre Développement économique La Tuque, FPInnovations et Neste. Il est à noter qu’un représentant des Premières Nations, qui sont parties prenantes du projet, siège au conseil d’administration. Tout cela existe depuis le début.
Au niveau de la structure de financement, elle est faite en trois étapes. La première étape, la phase I, qui est financée, est l’évaluation de la quantité de biomasse résiduelle. Pour être viable, pour être rentable, on doit avoir la disponibilité de 25 ans de biomasse. Deuxièmement, il faut une politique énergétique qui permettrait ou qui favoriserait 10 p. 100 de type biodiesel par province et par le gouvernement du Canada. C’est un défi que je vous laisse. Donc, ce sont les éléments du plan d’affaires.
La deuxième phase, qui est déjà initiée, c’est l’évaluation de 700 technologies à travers le monde qui ont déjà été testées, mais jamais intégrées dans une seule technologie pour partir de la biomasse forestière et aller jusqu’au biodiesel. Cette deuxième phase est déjà initiée. Nous sommes passés de 700 technologies à 40 technologies. La prochaine étape sera la création d’une usine pilote avant de produire une usine commerciale. Au niveau des deux premières phases, on croit finir pour l’automne 2018. Si c’est viable, l’usine pilote pourrait prendre deux ans, par la suite.
Quant à la structure financière, c’est un multipartenariat de la région de La Tuque, de FPInnovations, du ministère des Forêts de la province de Québec, de Ressources naturelles Canada et de Développement économique Canada, avec la participation de Neste.
[Traduction]
Le sénateur Doyle : Merci de votre présence.
Au sujet de l’établissement du prix du carbone, beaucoup d’intervenants que nous rencontrons de partout au pays se plaignent de l’incidence du prix du carbone sur leur propre compétitivité, surtout si on tient compte du fait qu’il n’y a eu aucune harmonisation à l’échelon international. J’imagine que les provinces étudient probablement cette question. Je pense que le Québec a adopté son propre prix du carbone. Pensez-vous qu’il est important de créer un système pancanadien d’établissement du prix du carbone, ou bien qu’est-ce qui vous a amené à adopter vos propres politiques relativement au prix du carbone? Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Je ne dis pas qu’il y a quoi que ce soit de mal. Peut-être que vous pouvez nous dire ce qui a mené à ce système et pourquoi vous estimez que c’est une bonne idée que de procéder ainsi?
M. Lapointe : Je répondrai à une partie de votre question, et, si vous êtes d’accord, je demanderai à Patrick de compléter ma réponse.
Le vice-président : Oui.
M. Lapointe : Serait-ce une bonne chose que nous établissions un système pancanadien?
Le sénateur Doyle : Oui.
M. Lapointe : Ma réponse portera sur l’aspect biodiesel des choses.
En ce moment, si un camion arrive de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, du Québec et de l’Ontario, chacune des provinces applique des exigences différentes en ce qui a trait au pourcentage de biodiesel. Il est impossible pour une économie de fonctionner selon un tel système. Alors, oui, au Canada, compte tenu de certains secteurs — le transport est un bon exemple —, il nous faut une solution pancanadienne. C’est très clair, à mes yeux.
Je vais laisser Patrick expliquer la situation au Québec en ce qui a trait à la taxe sur le carbone.
M. Lavoie : Merci de poser la question. En ce qui concerne le prix du carbone, la façon dont cela fonctionne, c’est que les émetteurs doivent atteindre un certain taux de réduction de leurs émissions d’année en année. En outre, les outils permettant d’obtenir ces réductions d’émissions… il y a plein de façons d’y arriver. Il peut y avoir des gains en efficience au chapitre des processus, dans le cas de notre industrie, lorsque des scientifiques se rendent dans des entreprises afin de modifier leur processus, d’améliorer la récupération de chaleur de diverses manières. Un autre moyen d’obtenir ces réductions consiste à adopter le diesel renouvelable, dans le cas des transports. Cela permet aux entreprises de réduire assez facilement leurs émissions.
Dans le cas du diesel renouvelable, la réduction est très importante. Ce que nous constatons, c’est que, selon la matière qui est utilisée dans le processus de production, les émissions peuvent être réduites dans une proportion pouvant aller jusqu’à 80 p. 100, parfois 90 p. 100. Dans le cas des industries qui utilisent pas mal de carburant dans leur processus ou dont les véhicules parcourent de longues distances, il s’agit d’un moyen facile pour y arriver. Dans certains cas, le fait que ces carburants sont un peu plus chers peut être compensé dans une certaine mesure par un prix sur le carbone, car les carburants qui sont bien plus efficients ont une empreinte moins importante, et le prix reflète cela.
Alors, voilà, selon moi, comment de nombreux intervenants envisagent cette question de la réduction de leurs propres émissions et tentent de trouver des moyens d’atteindre les objectifs fixés pour les diverses périodes.
Le vice-président : Il y a une courte question complémentaire à cette question. Monsieur le sénateur Dagenais.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ce n’est pas nécessairement une question complémentaire, mais lorsque j’ai posé la question sur le biodiesel, j’aurais aimé avoir plus de détails sur la structure de financement, sur la façon dont tout cela sera financé, et sur la question des coûts.
M. Lapointe : Sur l’aspect du financement, il s’agit de contributions directes de la part de FPInnovations, de Neste et de Développement économique La Tuque. Dans le cas du ministère des Ressources naturelles du Québec, de Développement économique Canada et du ministère des Ressources naturelles du Canada, ce sont des subventions.
Donc, c’est un consortium et c’est une contribution à différents niveaux. La compagnie Neste, elle, a une contribution directe en matière de chercheurs. Ils sont plusieurs centaines de chercheurs. Elle contribue également en matière de capital et d’équipement, et cetera. Donc, c’est un consortium.
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Lapointe.
[Traduction]
Le vice-président : Nous revenons maintenant à vous, monsieur le sénateur Doyle.
Le sénateur Doyle : Revenons au bois d’œuvre et aux exportations de bois d’œuvre; dans quelle mesure les États-Unis sont-ils votre principal marché, sans égard aux droits sur le bois d’œuvre résineux? Le fait que vous avez ajouté un prix du carbone à vos produits le rend-il moins concurrentiel sur le marché américain, ou bien ce prix a-t-il le moindre effet? Là-bas, le marché est hautement concurrentiel, compte tenu des problèmes liés au bois d’œuvre résineux dont on a parlé et de la place qu’occupe le Canada sur le marché et ainsi de suite. Est-ce que cela le rend moins concurrentiel? Rencontrez-vous des problèmes à cet égard également?
Le vice-président : Monsieur Martel.
Jean-Pierre Martel, vice-président, Partenariats stratégiques, FPInnovations : Je pense que vous soulevez un élément très important. En fait, en tant qu’organisation scientifique, nous n’intervenons pas beaucoup dans le volet des politiques. Nos collègues de l’Association des produits forestiers du Canada — l’APFC —, qui, je crois, ont comparu devant le comité la semaine dernière, ont présenté un exposé et répondu en partie à cette question. Nous adoptons une position semblable sur le prix du carbone. Je pense que la position adoptée par l’association était liée à la notion selon laquelle : « Nous ne voulons pas avoir différents… » Une seule taxe, au lieu de plusieurs taxes aux échelons municipal, provincial et fédéral, constituerait probablement une bonne approche — je pense qu’il s’agissait de sa position — et il faut aussi se demander ce que seront les conséquences sur la compétitivité en général. Nous sommes en concurrence avec nos producteurs américains, au sud de la frontière, et, s’ils n’ont pas de taxes, cela va avoir une incidence.
Par conséquent, je pense que, si une taxe est établie, il y aura des moyens de faire en sorte, que les conséquences soient neutres, d’une certaine façon, pourvu que la taxe soit réinvestie dans le secteur. Par exemple, en Ontario, on a établi une taxe sur le carbone, mais son produit est versé dans un fonds dont les gestionnaires veulent investir dans des édifices à plusieurs étages faits en bois. Ainsi, il s’agit d’un moyen de réinvestir dans le secteur également. Alors, je pense que la réponse, c’est d’assurer un impact neutre du point de vue de la compétitivité, de réinvestir dans le secteur, tout en atteignant l’objectif de la réduction des émissions de carbone ainsi que de dioxyde de carbone.
Le vice-président : J’ai une question pratique, pour donner suite à celle du sénateur Doyle. Nous avons au Québec un système de plafonnement et d’échange depuis 2011. Y a-t-il une partie de cet argent qui est réinvestie dans le secteur?
M. Martel : Du côté du Québec, je pense qu’il y a un potentiel, à ma connaissance, mais je n’en suis pas certain. Pierre a la réponse à cette question.
M. Lapointe : Ce n’est pas aussi structuré que ce que l’on voit en Ontario. Cette province a établi un fonds réservé à cette fin; ce n’est pas encore le cas au Québec. Toutefois, je peux vous dire une chose : le ministère du Développement économique du Québec et le ministère des Forêts et des Ressources naturelles appuient fermement FPInnovations. Alors, ils réinvestissent fortement dans le secteur forestier.
Si vous voulez examiner le Canada, la Colombie-Britannique et le Québec sont les provinces les plus proactives. La Nouvelle-Écosse prend aussi des mesures importantes. Alors, je ne dirais pas que la source de l’argent n’est pas pertinente pour nous, mais c’est bien plus structuré en Ontario. Je pense que l’Ontario et le Québec ont conclu une entente; ils ont un accord sur le secteur forestier, selon lequel ils vont le développer ensemble.
Le sénateur Oh : J’ai une question de suivi à poser au sujet du prix. Vous avez maintenant amorcé le projet pilote à l’Université de la Colombie-Britannique, un édifice de 18 étages. Savons-nous quoi que ce soit au sujet du coût de la construction par pied carré, comparativement à des immeubles conventionnels? À l’étranger, tout le monde a recours à la construction en acier, en masonite ou en béton. Quel est le coût de la construction, au pied carré? Vous gagnez beaucoup de temps. En trois mois, neuf personnes peuvent construire un édifice de 18 étages. Alors, quel est le coût sur le marché international de produits forestiers?
M. Martel : C’est une très bonne question. En fait, je dirais que, dans le monde, on s’intéresse de plus en plus à la construction en bois de bâtiments de moyenne ou de grande hauteur. De fait, nous avons organisé avec les Français et les Japonais une conférence appelée « Woodrise » qui a eu lieu il y a environ trois semaines à Bordeaux. Nous étions censés accueillir 400 personnes, mais nous nous sommes retrouvés avec 1 500 personnes de 20 pays différents, dont beaucoup d’architectes de grande renommée qui font la promotion de l’utilisation du bois comme matériau renouvelable privilégié pour la construction. Alors, il y a un grand intérêt à l’échelon international.
On a effectué beaucoup de travail dans le but d’améliorer la technologie qui s’y rattache, d’être plus efficient, d’étudier les questions touchant l’insonorisation et les incendies ainsi que de s’assurer que c’est sécuritaire. Quand on regarde les coûts… en fait, le gouvernement du Canada s’est penché sur la façon de promouvoir une plus grande utilisation du bois et de créer ces édifices emblématiques. Celui de 18 étages, à l’Université de la Colombie-Britannique, est le plus haut du monde. En tant que Canadiens, nous pourrions être fiers d’avoir l’édifice en bois le plus haut du monde. Par ailleurs, je ne pense pas qu’on va s’arrêter là. Alors, ces constructions suscitent beaucoup d’intérêt.
Du point de vue des coûts, cela dépend. Dans certains cas, ils concordent avec la planification. À mesure que nous apprenons à connaître de mieux en mieux ces systèmes, je pense que le prix va aussi être réduit, car nous avons également un plus grand nombre de producteurs de produits de bois d’ingénierie. Actuellement, dans le cadre du programme relatif au bois, il y a de la concurrence en ce qui concerne le bois de grande hauteur, et on croit que c’est probablement de 10 à 15 p. 100 de plus, selon le projet. Toutefois, nous croyons que d’autres avantages — ceux qui sont liés au carbone, le temps de construction, par exemple — contribueront vraiment à réduire les coûts en général. Si on regarde la situation d’un point de vue historique, je pense que ce programme réduira les coûts en général.
L’un des autres projets consiste à recueillir de l’information au sujet de ces projets et de communiquer les leçons qui en sont tirées aux autres promoteurs. Alors, c’est actuellement un peu plus coûteux, mais je pense que ces coûts vont être réduits.
M. Lapointe : À Bordeaux, il y a deux semaines, un exemple a été donné de l’Angleterre, où on a comparé l’aspect purement économique, et la construction en acier coûtait 31 millions de livres, et celle en bois, 28 millions de livres. Alors, c’était la première fois que nous avons vu une comparaison des coûts.
L’Université Laval a construit un immeuble en bois à trois étages et a conclu, à la lumière de son évaluation des économies d’énergie, que la différence allait jusqu’à 18 p. 100. Je dirais — comme le mentionnait Jean-Pierre — que nous avons besoin d’un modèle qui nous permettrait d’évaluer clairement la différence de coûts. Nous ne disposons pas encore de cet outil, mais c’est quelque chose sur quoi nous travaillons, et ce sera très important pour ce qui est de l’exportation. En outre, il est très clair que, dans le cas de la Colombie-Britannique, on discute beaucoup avec la Chine concernant l’exportation, et François-Philippe Champagne, le ministre du Commerce international, veut voir la même chose se passer entre l’Est du Canada et l’Europe.
Le sénateur Doyle : J’imagine que vous avez tenu des discussions sur le système de plafonnement et d’échange par rapport à la tarification du carbone. Quel système est meilleur, à votre avis, pour ce qui est de réduire au minimum les conséquences économiques sur, disons, les secteurs forestier et agricole? Avez-vous une opinion à ce sujet? Ce n’est pas grave si vous n’en avez pas. Je me posais tout simplement la question.
M. Lavoie : Eh bien, je n’ai pas vraiment de réponse à cette question précise, mais peut-être que, si je puis simplement prendre une minute pour ajouter des éléments aux réponses précédentes sur la tarification du carbone et sur les conséquences qu’une telle mesure peut avoir sur la compétitivité des prix. Actuellement, le prix du carbone se situe autour de 15 à 20 $ la tonne. En réalité, les conséquences qu’a ce prix sur les coûts de production et sur les prix du béton et de l’acier sur le marché sont très minimes. À mesure que le prix du carbone augmentera pour s’établir à 100 et à 150 $ la tonne — c’est-à-dire la fourchette attendue à moyen et à long terme —, nous constaterons que l’écart entre le prix de ces matériaux va vraiment rétrécir, et cela va aider le secteur.
En ce moment, l’industrie de la construction est assez frileuse, alors, même si les prix étaient plus compétitifs dans le cas d’une construction en bois, on aurait tout de même besoin que cet écart soit important pour pouvoir vaincre cette aversion pour le risque. Alors, cela viendra à mesure que les choses progressent.
[Français]
La sénatrice Tardif : J’aimerais vous féliciter pour la résilience et l’innovation que vous avez démontrées. Je sais que le secteur forestier a connu des moments difficiles au cours des dernières années et, justement, vous avez pu transformer ce secteur et vous avez trouvé des moyens d’être résilients, je dirais, et de faire face au défi des changements climatiques. Alors, bravo pour cela!
Certains témoins nous ont indiqué qu’il était important d’attirer des capitaux et de nouveaux talents en recherche et développement, compte tenu des coûts élevés de développement, particulièrement avec les nouvelles technologies. Est-ce que vous partagez cette opinion qu’il faille attirer davantage de talents et de capitaux?
À l’échelle internationale, comment est-ce que le Canada se compare dans sa capacité d’attirer de nouveaux talents, surtout dans le secteur de l’économie verte?
M. Lapointe : C’est une excellente question. Merci. Je me lève tous les jours avec cette question. Au niveau des talents, premièrement, je vous dirais que 28 nations sont représentées dans l’équipe de chercheurs de FPInnovations.
Au niveau de l’attraction, c’est un mode de compétition extrême, j’oserais dire. Pour recruter un ingénieur chimique avec une connaissance dans le dossier des pâtes, il nous a fallu 18 mois, parce qu’il y a une compétition féroce à travers le monde. C’est un des éléments les plus importants.
Ce que nous avons fait pour contrecarrer cette difficulté, c’est de faire des partenariats. En matière de partenariats, nous avons maintenant des partenariats avec 28 universités et collèges au Canada. Nous en avons d’autres aussi avec la Scandinavie, la Finlande, la Suède et la France et, de plus en plus, avec la Chine. Nous avons des employés à Shanghai, nous faisons le Code du bâtiment à Shanghai, et plusieurs chercheurs chinois sont chez nous, maintenant. Donc, le problème, ce n’est pas de les attirer, mais bien de les garder, à cause de la compétition qui existe à travers le monde. Toute l’industrie forestière, partout à travers le monde, doit se transformer, et le Canada est à l’avant-garde de cette transformation. Par conséquent, nos chercheurs deviennent de plus en plus attrayants pour les autres pays. Donc, c’est un défi et il est constant.
En matière de capital, c’est très différent. Le Canada est très attirant pour le capital de risque et, à titre d’exemple, nous sommes en négociation avec Michelin pour la production de sucre, pour les caoutchoucs synthétiques, pour les pneus de Michelin.
Nous sommes aussi en négociation avec Lego pour l’utilisation des fibres de bois dans la transformation des blocs de Lego, afin de sortir des polymères à base d’hydrocarbone. Donc, à ce titre, le capital de risque est plus facile à attirer que les personnes elles-mêmes.
Un bon exemple du capital de risque, c’est la compagnie Schlumberger, qui œuvre dans le domaine du forage, et vous la connaissez probablement très bien. Elle acheté 8 p. 100 de l’une de nos coentreprises et a investi près de 10 millions de dollars au cours des deux dernières années.
Donc, en matière de capital, le Canada est très attirant. Au chapitre des personnes, c’est une compétition de tous les jours. Nos compétiteurs principaux sont la Suède et la Finlande.
La sénatrice Tardif : Alors, quel est le rôle du gouvernement fédéral à ce chapitre et qu’est-ce qu’on peut faire pour vous appuyer davantage et vous aider dans le secteur forestier?
M. Lapointe : Le rôle du gouvernement fédéral, représenté par Ressources naturelles Canada, a été, depuis les 10 dernières années, fantastique. Le soutien dont nous avons bénéficié a été constant. Cependant, il est évident que, pour l’avenir, il faudrait prévoir la longévité du financement, c’est-à-dire avoir du financement de plus d’un an ou deux, et recevoir des enveloppes sur trois ans ou cinq ans. C’est l’un des éléments qui nous aiderait énormément.
L’autre aspect, du côté du gouvernement fédéral, c’est d’augmenter notre capacité de recherche au sein des collèges et des universités. Cela est fondamental, comme Génome Canada et Génome Québec. C’est un élément qui est très important.
La sénatrice Tardif : Merci beaucoup.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Merci de votre exposé. Il est très stimulant d’entendre parler de toutes les innovations qui vont vraiment contribuer à transformer l’industrie. J’ai deux courtes questions à poser.
Premièrement, je me demande si votre organisation a effectué une analyse de l’incidence de certaines de ces innovations sur le marché du travail, plus particulièrement dans les collectivités rurales. Je songe plus particulièrement aux emplois dans le secteur de la construction, où travaillent certaines des personnes les plus sous-employées, et surtout dans les collectivités économiquement défavorisées, comme certaines des Maritimes. Je suppose que ma question, c’est, avez-vous effectué une analyse de cette incidence?
M. Lapointe : La réponse est oui. Croyez-moi, j’ai rencontré les ministres de l’emploi de quelques provinces, et des représentants syndicaux.
Je vais donner deux exemples : sur le plan de la construction, l’édifice Brooks, sur le campus de l’Université de la Colombie-Britannique, a été construit en trois mois, mais par neuf personnes. Le reste a été préfabriqué à l’usine. Alors, ce que vous verrez, dans l’avenir, c’est que le besoin de charpentiers ou de plombiers sur le chantier diminuera de façon marquée, et ces métiers seront remplacés par des emplois mieux rémunérés, à l’usine ou dans le domaine de l’assemblage industriel de ces constructions de grande hauteur préfabriquées. Ainsi, les conséquences seront majeures. Ce qui arrivera, c’est que l’expertise passera du côté de la construction à celui de l’industrie, le côté de la préfabrication. Il s’agira donc d’un type d’emploi différent. Le nombre d’emplois sera-t-il réduit? La réponse est probablement oui, malheureusement.
Le deuxième exemple que nous avons étudié, c’est celui des chauffeurs. L’un des problèmes liés aux chauffeurs, c’est que personne ne veut plus en être un; c’est un emploi très difficile. Alors, ce que nous envisageons, c’est la mise en peloton de véhicules sans conducteur. L’exemple que je vous donnais, c’est celui des trois camions dirigés par un chauffeur. Encore une fois, on passera du simple chauffeur normal à un chauffeur plus spécialisé. Il y aura encore une fois ce changement, alors, dans les régions rurales, les conséquences seront différentes : les travailleurs passeront d’emplois difficiles à des emplois hautement qualifiés.
Le vice-président : Il est intéressant que le Comité sénatorial permanent des transports et des communications soit au beau milieu d’une étude sur les véhicules branchés et autonomes et que l’une des questions qu’il aborde — il se trouve que je suis membre de ce comité également —, c’est justement ces conséquences sur la main-d’œuvre et pour l’avenir. Si je me souviens des chiffres, il y a déjà une pénurie de 45 000 camionneurs au pays. Alors, apprenez à conduire un gros semi-remorque, et vous aurez un emploi.
Madame la sénatrice Bernard.
La sénatrice Bernard : Il est clair que vous entretenez des liens étroits avec les universités. En avez-vous avec le secteur collégial également, pour ce qui est de multiplier les innovations?
M. Lapointe : Nous entretenons de plus en plus de liens avec les collèges pour la simple raison qu’ils sont habituellement bien plus en phase avec les PME et qu’ils cherchent beaucoup plus à diffuser rapidement de nouvelles technologies et de nouveaux produits. Nous en avons pas mal au Québec et en Ontario, à Thunder Bay. Nous en avons beaucoup en Alberta et en Colombie-Britannique. Alors, la réponse est oui. De fait, il y a environ sept ans, nous n’entretenions des relations qu’avec des universités, et maintenant, nous collaborons tant avec des collèges qu’avec des universités.
La sénatrice Bernard : Ma dernière question porte sur l’Île-du-Prince-Édouard. Dans votre exposé, vous avez mentionné que cette province était la seule à ne pas faire partie de votre partenariat. Je pense que mes collègues de l’Île-du-Prince-Édouard voudraient peut-être en savoir plus sur les raisons pour lesquelles c’est le cas. Je voudrais simplement en savoir un peu plus à ce sujet.
M. Lapointe : Eh bien, il n’y a pas d’industrie forestière à l’Île-du-Prince-Édouard, mais j’aurais tendance à penser qu’il devrait y avoir quelque chose que nous devrions étudier.
Richard est spécialiste en génomique. Il est certain que je ne sais pas ce qui arrivera à l’Île-du-Prince-Édouard en conséquence des changements climatiques. Peut-être que Richard pourrait formuler un commentaire. Toutefois, la situation des Maritimes est difficile. Il ne reste qu’une usine à Terre-Neuve, c’est-à-dire à Corner Brook. Tous les groupes de la Nouvelle-Écosse ont été frappés durement. À Port Hawkesbury, au Nouveau-Brunswick, l’usine est en mauvais état. Alors, peut-être que, dans le cas de l’Île-du-Prince-Édouard, l’aspect génomique du changement climatique pourrait apporter un changement dans l’avenir.
Je vais demander à Richard de formuler un commentaire.
Richard Hamelin, chercheur, FPInnovations : Un commentaire et une réponse rapides.
Le commentaire de Pierre est véridique; toutes ces innovations ne se produiront pas si les arbres ne sont pas là. Et les arbres pourraient ne pas être là si le changement climatique les tue ou s’ils subissent des sécheresses ou des épidémies d’insecte. Alors, il est nécessaire d’effectuer beaucoup de recherches, et une certaine partie est fondée sur la génomique.
Génome Canada nous appuie. Nous avons formé de grands partenariats, des consortiums, dont FPInnovations fait partie dans certaines des provinces.
Ainsi, l’Île-du-Prince-Édouard peut faire partie de ces solutions, même si l’industrie forestière n’y est peut-être pas importante. Toutefois, cette province ainsi que toutes les autres peuvent contribuer à la compréhension des façons dont nous pouvons atténuer les menaces que présente le changement climatique pour les arbres et les végétaux, car les arbres sont de grands végétaux.
Le vice-président : On peut croire que l’augmentation de la hauteur des marées à l’Île-du-Prince-Édouard serait intéressante.
M. Hamelin : Au déjeuner, ce matin, nous avons parlé d’une étude qui montre le problème lié à la façon dont nous plantons les arbres après les coupes. Nous les plantons dans les régions d’où ils viennent. Alors, si nous coupons des arbres à Shawinigan, nous plantons des semis provenant de semences qui ont été recueillies dans la région, dans la zone semencière. Cette méthode fonctionne pour l’instant, mais elle ne fonctionnera pas quand le climat aura changé. Ainsi, dans 50 ans, 75 ans, ces arbres seront mal adaptés, et ils se trouveront au mauvais endroit.
Alors, notre recherche vise à découvrir comment nous pouvons mettre les bons arbres au bon endroit pour l’avenir, pas pour maintenant, car c’est dans 50 ou 75 ans qu’il faudra qu’ils soient au bon endroit. Tous les scientifiques qui travaillent dans le domaine du changement climatique et de l’adaptation étudient ces questions très attentivement.
Le sénateur Oh : J’ai une courte question à poser. En ce qui concerne le projet mené à l’Université de la Colombie-Britannique, l’édifice de 18 étages, votre organisation a-t-elle participé directement au projet depuis le début?
M. Lapointe : La réponse est oui, car tous les essais relatifs au code du bâtiment ont été effectués dans notre laboratoire situé sur le campus de l’Université, où se trouve notre bureau. La prochaine fois que vous serez à Vancouver, vous serez le bienvenu pour nous rendre visite. Alors, nous participons à tous les essais physiques, les essais de résistance au feu et les essais sismiques. C’est notre domaine d’expertise.
Le sénateur Oh : Excellent, j’accepte votre offre. Je serai à Vancouver la semaine prochaine.
Le vice-président : Eh bien, espérons que, si le comité visite l’ouest du pays, il s’agira de l’une des choses que nous verrons. Il y a deux ou trois autres bâtiments intéressants en Colombie-Britannique, notamment l’anneau olympique, à Richmond, qui est une construction en bois très célèbre.
Messieurs, je vous remercie infiniment de votre exposé. Vous étiez manifestement pressés par le temps, et le fait que nous manquons de temps est une indication de la qualité de votre exposé et de l’intérêt de mes collègues.
M. Lapointe : Merci de nous avoir invités. C’était une discussion très amicale, ce que j’apprécie.
Le vice-président : Mesdames et messieurs les honorables sénateurs, nos prochains témoins sont de la Fédération des producteurs forestiers du Québec; il s’agit de Marc-André Côté, directeur général, et de Marc-André Rhéaume, qui est responsable de la gestion des forêts.
Messieurs, merci d’avoir accepté notre invitation à comparaître. Je vous invite à présenter votre exposé, qui sera suivi des questions des sénateurs.
Marc-André Côté, directeur général, Fédération des producteurs forestiers du Québec : Je vais expliquer notre proposition pour lutter contre les changements climatiques, mais, avant, je voudrais faire une petite présentation de l’organisation que je représente. Vous nous avez demandé de nous présenter ici au nom de la Fédération des producteurs forestiers du Québec, mais il y a aussi une Fédération canadienne des propriétaires de boisés, et nous faisons partie de ce réseau. Nous entendons beaucoup parler des forêts appartenant à l’État lorsque nous voyageons dans l’ensemble du pays. Nous entendons moins parler des forêts privées appartenant à plus de 400 000 propriétaires de boisés de partout au pays. Selon la province, on trouve plus de propriétaires de boisés dans l’est du pays. Plus de la moitié des forêts appartiennent à des personnes, à de petites entreprises et à de grandes sociétés. Si on se rend dans l’Ouest, il y a de plus en plus de forêts appartenant à l’État.
Au Québec, environ 16 p. 100 des forêts appartiennent à des propriétaires de boisés privés, et ils sont regroupés en associations. Je suis moi-même directeur général de la Fédération des producteurs forestiers du Québec, mais vous trouverez des associations semblables partout au pays, dans chaque province.
Le vice-président : Nous avons déjà rencontré les représentants de certaines d’entre elles, notamment dans ma province, la Nouvelle-Écosse.
[Français]
M. Côté : J’aimerais vous faire une petite présentation. J’imagine que vous avez pu regarder, en diagonale, le mémoire qu’on vous a déposé. Il s’agit d’une présentation sur notre proposition pour lutter contre les changements climatiques, à notre échelle.
Vous le savez, la lutte aux changements climatiques va impliquer beaucoup d’acteurs, en fait, tout le monde à travers le pays. Notre proposition est la suivante : en raison de leur superficie, les forêts agissent comme un puissant capteur et émetteur de carbone qui affecte le bilan du pays. D’un côté, les forêts émettent du carbone lorsqu’elles dépérissent et se décomposent à la suite d’un feu ou d’une épidémie d’insectes. Mais les forêts peuvent également agir comme un capteur de carbone lors de leur croissance.
De plus, et je crois que plusieurs personnes vous l’ont mentionné, les produits forestiers peuvent se substituer à des produits qui sont beaucoup plus dommageables pour l’environnement, comme le béton ou les plastiques. J’espère que vous en avez entendu parler, mais sinon, vous allez en entendre parler dans les 10 prochaines années, parce que c’est une épidémie qui va frapper durement. On a vécu le dendroctone du pin ponderosa dans l’Ouest et, présentement, s’amorce l’épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette.
Je suis assez vieux pour avoir vécu l’épidémie précédente, dans les années 1980, qui a détruit de vastes parties de la forêt canadienne, tant publique que privée. Donc, cette épidémie est repartie, elle frappe l’Est du Canada. Ça représente une menace ou une opportunité dans le cadre de la discussion qu’on a sur les changements climatiques.
Si rien n’est fait, toutes ces forêts vont se mettre à émettre du carbone, parce qu’elles vont mourir et se décomposer, et c’est déjà commencé. Mais on peut également utiliser cette crise pour décider de récolter les arbres avant qu’ils meurent afin de les transformer en produits forestiers et de reboiser avec des essences qui poussent plus rapidement. Je pense que vous avez entendu parler également de plantations qui poussent plus rapidement et, généralement, les plantations poussent plus rapidement que la forêt naturelle.
Donc, on se retrouve devant un paradoxe, qui est le suivant : la foresterie traditionnelle, qui est un secteur extrêmement traditionnel et qui existe depuis des centaines d’années, peut nous aider à lutter contre un problème qui est très contemporain, soit les changements climatiques.
À leur échelle, les propriétaires forestiers ont amorcé la récolte des peuplements affectés par la tordeuse. On a déjà commencé à récolter ces peuplements, et cette récolte va s’accélérer dans les prochaines années.
Déjà, le gouvernement du Québec investit 34,5 millions de dollars par année pour la réalisation de travaux sylvicoles en forêt privée, et ce, uniquement au Québec. Mais les besoins générés par cette épidémie surpassent la capacité des programmes existants. C’est-à-dire qu’il faut aller voir les propriétaires, il faut les conseiller, il faut récolter des forêts qui sont plus difficiles à récolter, parce que les arbres cassent, ils sont endommagés et il faut replanter des arbres avec les bonnes essences. Donc, les propriétaires ont besoin de soutien. On leur en fournit, il y a un réseau à travers le pays, et spécialement au Québec, pour soutenir les propriétaires forestiers.
Nous faisons des représentations depuis trois ans auprès du gouvernement fédéral afin qu’il soit actif dans ce dossier. En fait, la première étape était de nous inscrire dans le plan canadien de lutte contre les changements climatiques. Si vous l’avez bien lu, il y a une petite section sur les forêts, indiquant que la lutte aux catastrophes naturelles doit nous permettre d’améliorer le bilan de carbone au pays.
Le gouvernement du Québec a des discussions avec le gouvernement fédéral, et nous espérons qu’elles entraîneront des résultats positifs. Il nous manque 16 millions de dollars, pour poursuivre notre travail; c’est bien peu dans le contexte de la lutte aux changements climatiques. La demande est simple, il s’agit de 10 millions de dollars pour reboiser les forêts qu’on récolte avant qu’elles dépérissent, et de 6 millions pour payer les pépinières qui produisent les plants forestiers.
Également, le gouvernement du Québec a mis en place une mesure d’étalement du revenu forestier. Nous devons recommander aux propriétaires de récolter leurs arbres avant qu’ils meurent. Ça génère un revenu d’appoint subit, une année donnée, car tout d’un coup, on doit liquider la forêt. Or, ces gens ont d’autres revenus, ils peuvent être sénateurs, propriétaires forestiers, professeurs d’école ou encore il peut s’agir de votre garagiste. Monsieur et Madame Tout le monde peuvent être propriétaires forestiers. Donc, le gouvernement du Québec a mis en place une mesure d’étalement du revenu sur sept ans, pour éviter que le revenu qui est généré par la récolte soit absorbé par les impôts de par l’atteinte d’un sommet des revenus.
Il y a également une demande qui est faite au gouvernement fédéral, mais qui n’avance pas. Et voilà! Donc, pour nous, nos demandes auprès du gouvernement nous apparaissent assez simples, peu onéreuses, mais peuvent générer un résultat qui est très intéressant.
Le deuxième résultat qui est intéressant en termes de bilan de carbone, c’est d’impliquer les gens. On peut prendre des mesures qui vont nous permettre de lutter contre les changements climatiques, mais je pense que c’est important d’impliquer tous les Canadiens. En ce moment, si on implique les propriétaires forestiers, il y a 450 000 propriétaires forestiers au Canada. Ces gens ont des conjoints et ont deux enfants, généralement. Donc, tout d’un coup, on se retrouve avec 1,6 million de Canadiens qui sont associés à la propriété forestière. C’est donc une façon de les impliquer dans cette lutte aux changements climatiques.
Voilà, c’était ma présentation.
[Traduction]
Le vice-président : Monsieur Côté, je vous remercie de votre exposé. Il était précis et concis, et nous vous en sommes reconnaissants.
Nous allons passer aux questions des sénateurs dans un instant, mais j’ai une question à poser. Vous avez soulevé le sujet de la tordeuse des bourgeons de l’épinette. Je viens de la Nouvelle-Écosse, et, malheureusement, nous avons des problèmes avec ce ravageur depuis un certain temps. Nous voudrions l’éliminer, mais c’est un phénomène naturel qui se produit, et le cycle a recommencé. Ce sera bientôt notre tour.
Quand le comité a visité la Colombie-Britannique, il y a des années, nous avons examiné les effets du dendroctone du pin ponderosa sur les arbres du Nord de la Colombie-Britannique; il était dévastateur. Toutefois, ce que nous avons vu, quand nous avons visité les gens de deux ou trois petites collectivités, c’était une tentative de trouver une utilité aux arbres morts. En reconnaissant que la tordeuse des bourgeons de l’épinette s’en vient, si elle ne se trouve pas déjà dans certaines parties du pays, ne devrions-nous pas vérifier s’il y a des perspectives économiques, au lieu d’envisager le désastre évident qu’elle cause dans la forêt et dans les collectivités qui dépendent de la forêt? Ne devrions-nous pas étudier les possibilités de récolter ce bois qui est endommagé? Y a-t-il une façon dont nous pouvons utiliser ce bois de diverses manières qui pourraient contribuer à atténuer les conséquences économiques que causera la dévastation?
M. Côté : Oui. Eh bien, il y a deux étapes. La première étape consiste à couper les arbres qui vont bientôt mourir pour approvisionner l’industrie forestière actuelle. C’est ce que nous faisons. Nous envoyons une très grande quantité de bois dans les scieries, nos clients, et nous avons augmenté leur niveau de coupe au cours des deux ou trois dernières années. Le problème, c’est que nous n’avons pas assez de scieries qui peuvent acheter tout le bois que nous pouvons couper et expédier. On a donc l’occasion de construire de nouvelles scieries. C’est ce que nous avons fait durant le dernier cycle de l’épidémie de la tordeuse du bourgeon de l’épinette. Nous avons construit des scieries qui utilisent ce bois ainsi que des usines de pâte à papier, surtout dans la région du Bas-Saint-Laurent. La Colombie-Britannique a aussi construit des scieries et a augmenté l’approvisionnement des scieries actuelles. Il y a donc là une occasion économique.
Si nous ne faisons rien, ce sera non seulement un cauchemar environnemental, mais aussi un cauchemar économique. Nous perdons du capital, mais nous pouvons utiliser cette crise pour nous aider à lutter contre les changements climatiques et aussi pour aider les collectivités, les collectivités rurales, en renforçant leur industrie forestière grâce à la construction de nouvelles scieries et grâce aux scieries actuelles.
Le vice-président : Nous avons entendu d’autres intervenants nous dire que nous devrions réfléchir à ce que nous plantons actuellement, parce que c’est ce qu’on récoltera dans 50 ans. Il faut essayer de penser à ce que seront les besoins dans 50 ans. Devrions-nous planter les mêmes arbres que ceux que la tordeuse des bourgeons de l’épinette tue actuellement?
M. Côté : Nous ne devrions pas le faire et nous ne le faisons pas. Nous essayons de planter les bons arbres aux bons endroits. Je ne suis pas un spécialiste de pépinières, mais, ce qu’elles font, c’est qu’elles essaient de préparer la nouvelle génération d’arbres qui résistera dans le nouvel environnement. Nous ne plantons pas les mêmes arbres que nous plantions il y a 30 ou 50 ans.
Le vice-président : Alors qu’est-ce que vous plantez?
M. Côté : Nous plantons surtout de l’épinette blanche pour remplacer les sapins et l’épinette noire.
Marc-André Rhéaume, responsable de l’aménagement forestier, Fédération des producteurs forestiers du Québec : Une sapinière.
M. Côté : Une sapinière, oui.
Marc-André est mieux placé que moi pour répondre à cette question.
M. Rhéaume : Eh bien, les insectes s’attaquent plus au sapin. Le sapin est plus intéressant, et il meurt plus que l’épinette. C’est paradoxal, en raison du nom de l’insecte, mais c’est ainsi que les choses se passent.
Ce que nous suggérons dans notre documentation, c’est que si nous plantons des arbres maintenant, on pourra peut-être les couper dans 50 ou 60 ans, mais si nous ne plantons pas d’arbre maintenant, nous pourrons récolter naturellement les arbres qui seront là dans 100 ans. Par conséquent, durant la période entre 60 ans et 100 ans, nous pourrons nous rajuster.
[Français]
M. Côté : Oui, c’est l’autre chose, c’est que les forêts naturelles poussent plus lentement. Donc, si on laisse pousser naturellement les forêts, les arbres qui poussent actuellement vont être moins résistants à l’avenir. C’est un peu étrange. Tandis que si on plante des arbres, on va revenir très rapidement les récolter. Donc, à ce moment-là, quand on va revenir les récolter, on va replanter des arbres qui sont encore mieux adaptés à la période, mettons dans 30 ans ou 50 ans.
La sénatrice Tardif : Merci d’être ici avec nous, ce matin. Je crois que votre groupe, la Fédération des producteurs forestiers du Québec, a mis en place un programme visant à sensibiliser les producteurs forestiers à la protection des forêts.
M. Côté : Oui.
La sénatrice Tardif : Pouvez-vous nous décrire ce programme et nous parler de son efficacité, selon vous?
M. Côté : Oui. Pour répondre à votre question, ce que je vous dirais, c’est que depuis 40 ans, au Québec, on a élaboré un réseau de conseillers forestiers. Donc, dans le cas des gens qui sont propriétaires forestiers, il y a des ingénieurs, des techniciens forestiers qui peuvent venir les aider à régler toutes sortes de problèmes qu’ils peuvent avoir dans leur boisé. On les accompagne et on les soutient financièrement, avec de l’argent qui vient principalement du gouvernement provincial, pour aménager leur forêt.
Aujourd’hui, on doit les conseiller spécifiquement au sujet de cette épidémie, et c’est ce que nous faisons. Donc, les conseillers peuvent aller voir les propriétaires forestiers. Entendons-nous bien, il s’agit d’aller rencontrer des dizaines de milliers de personnes. On ne parle pas d’aller rencontrer 200 ou 300 propriétaires, mais bien des dizaines de milliers de propriétaires forestiers qui seront touchés.
Actuellement, il y a 15 000 propriétaires qui sont touchés par l’épidémie et elle ne fait que débuter. On a donc des programmes afin que des ingénieurs forestiers et des techniciens forestiers visitent les propriétaires. On a également des programmes pour les aider à soutenir des travaux d’aménagement forestier dans leur propriété. Donc, on les conseille sur des travaux d’aménagement forestier.
Depuis l’année dernière, il y a un nouveau programme qui vise l’arrosage des peuplements qu’on ne peut pas récolter avec un insecticide biologique. Les arrosages vont débuter le printemps prochain et permettront de protéger certains peuplements forestiers. Donc, on intervient à différents niveaux pour faire face à cette crise. Mais tout cela coûte relativement cher.
Est-ce que je réponds à votre question, madame la sénatrice?
La sénatrice Tardif : Merci.
Nous avons rencontré des producteurs privés lorsque nous étions dans l'Atlantique, à Halifax, dans le cadre d’audiences publiques. Certains propriétaires privés nous ont indiqué qu’ils devaient davantage sensibiliser les producteurs privés en général quant à la réduction des émissions de carbone et à la façon dont ils pouvaient faire reconnaître leurs efforts pour séquestrer le carbone dans leur lot privé. Ils avaient besoin non seulement d’entraînement et de sensibilisation, mais aussi d’éléments incitatifs économiques pour leurs efforts. Qu’en pensez-vous?
M. Côté : Oui. En fait, si le stock de la forêt est plus élevé, il va emmagasiner plus de carbone. On s’entend tous là-dessus. Dans le fond, les arbres, c’est du carbone. La façon d’augmenter le stock, c’est par des travaux d’aménagement forestier. Donc, il faut aller au-delà de la sensibilisation des propriétaires : Il faut leur dire qu’ils participent à la lutte aux changements climatiques en ayant des forêts qui sont bien aménagées, mais la sylviculture coûte cher. C’est le gain par rapport à la forêt naturelle qui pousse, parce que les arbres poussent naturellement. Mais il y a un gain à faire lorsqu’on intervient et qu’on fait pousser la forêt plus vite. Le stock est plus gros, donc c’est ce gain qui est intéressant.
Maintenant, il y a un niveau d’intervention de la part des propriétaires pour accroître leurs travaux d’aménagement forestier. Quant à la transmission, comment peut-on transmettre ces gains sur le marché? Il se présente alors une difficulté qui vient agréger les efforts de tous en un volume, par exemple, qu’on pourrait vendre sur le marché du carbone. Ça devient excessivement compliqué si on implique 25 000 personnes en leur disant : « Toi, tu as fait un petit peu, toi tu as fait un petit peu, puis toi, un petit peu. » On l’a vécu avec le dossier de la certification environnementale, où on parlait de certifier les forêts FSC, par exemple. Il était difficile de déterminer comment on pouvait agréger le travail de dizaines de milliers de personnes qui ne possèdent qu’une petite forêt, souvent de 100 acres ou de 40 hectares.
Actuellement, on travaille davantage à augmenter le stock de bois dans les forêts privées canadiennes. C’est notre travail. Comment cela va-t-il se traduire sur les marchés? Est-ce qu’on peut aller chercher de l’argent sur les marchés? Il y a très peu de travail, dans le moment, qui est fait à ce niveau. Tout ce qui est agrégé, on y consacre peu de ressources pour le moment. Il y a beaucoup de consultants qui nous tournent autour, parce qu’ils disent qu’ils pourraient peut-être vendre cela sur le marché, mais on n’a pas vu encore le modèle économique qui nous convient.
Une grande forêt publique, c’est simple, c’est très grand, on fait des travaux d’aménagement forestier, on a augmenté le stock de 10 p. 100. Ce 10 p. 100, on peut aller le vendre sur le marché. Mais dans le cas des forêts individuelles, un propriétaire ne pourra pas le faire et augmenter son stock sur sa propriété. Les coûts pour faire valider tout ça seraient trop élevés pour un individu. Il va falloir agréger les propriétaires. Actuellement, il n’y a pas de programme pour nous aider à ce chapitre.
Est-ce que je réponds à votre question?
La sénatrice Tardif : Oui, tout à fait.
Alors, ce que vous dites, c’est qu’il n’y a pas de moyens de vérification ou de surveillance?
M. Côté : La surveillance est plus compliquée dans la petite forêt privée. Elle entraîne des coûts. La surveillance devra être faite pour des milliers de propriétaires à la fois. On ne pourra pas la faire pour chaque propriété, parce que le propriétaire n’y verra pas d’intérêt, de par les coûts qui y seraient associés. Le consultant va absorber tout le gain financier qu’il pourrait y avoir.
Le sénateur Dagenais : Merci pour votre présentation. Évidemment, pour avoir vécu dans la région des Laurentides pendant tout près de 24 ans, j’ai connu la première infestation de la tordeuse des bourgeons — pas de l’épinette, mais plutôt les bourgeons du sapin. L’arbre mourait en très peu de temps. Évidemment, vous avez mentionné aussi que les forêts du Québec sont pour la plupart des propriétés privées et familiales. J’espère que les propriétaires ne seront pas trop affectés par les modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu, mais il s’agit d’un autre dossier.
Ce que vous demandez ou suggérez aux propriétaires privés, évidemment, c’est qu’ils doivent prendre certaines mesures. Est-ce que ce sont les mêmes mesures qui sont prises pour les propriétaires de forêts publiques ou est-ce qu’elles sont différentes, compte tenu du fait qu’il s’agit du secteur privé?
M. Côté : En fait, en ce qui a trait à la forêt publique, l’État est en train d’intervenir. Il faut récolter les forêts avant de les perdre. Ça va bien, il n’y a qu’une seule personne à convaincre, c’est l’État. C’est le ministre des Forêts qui décide et qui met en place, comme c’est prévu dans la loi, des plans de récupération lorsqu’il y a une catastrophe naturelle.
Donc, le processus est déjà amorcé, la récolte se fait et c’est le même État qui décide de reboiser ensuite, à même des ressources de l’État. Le cycle fonctionne bien pour la forêt publique, et c’est bien en marche.
Pour la forêt privée, c’est plus délicat. Il faut d’abord aller voir les propriétaires et leur annoncer qu’ils vont perdre leur forêt. Dans les Laurentides, l’épidémie n’est pas encore présente pour le moment, mais elle pourrait y arriver un jour ou l’autre. Plusieurs autres régions sont touchées, soit l’Est du Québec, actuellement, et l’Abitibi-Témiscamingue. L’Ontario sera touché bientôt, de même que le Nouveau-Brunswick.
Donc, les propriétaires doivent être convaincus, il faut leur expliquer, et nous devons le faire un par un. On a toute la documentation à l’appui, des journaux et des revues, on leur en parle, mais il est difficile de convaincre quelqu'un qui habite là, en lui disant : « Vous allez perdre votre forêt. Il faut la récolter. » Il la regarde et ne comprend pas. On doit lui expliquer qu’une fois perdue, on ne pourra plus la récolter, les arbres n'auront plus de valeur économique pour la transformation. On les prévient que le feu s'en vient, on les informe, mais il faut les convaincre.
Le sénateur Dagenais : Maintenant, si on compare l'état de la reforestation au Québec à ce qui se fait dans les autres régions du pays, est-ce que le Québec est en meilleure posture ou est-ce qu'il est en retard? Évidemment, on a tendance à se comparer aussi à la Colombie-Britannique, je pense.
M. Côté : Oui, j'hésite toujours à dire qu'on est en meilleure posture dans quoi que ce soit, car ça choque tout le temps quelqu'un ou ça finit par le choquer. Mais ce que je peux vous dire, c'est qu'au Québec, on a un excellent système pour ce qui est de reboiser les terres privées et publiques.
Je peux vous donner un chiffre : l'année dernière, on a planté environ 10 millions d'arbres en forêt privée, au Québec seulement. Mais c'était notre plus petite année en 30 ans. Lors de la dernière épidémie, on plantait 80 millions d'arbres par année. Vous vous imaginez, 80 millions. Imaginez votre garçon ou vos petits-enfants qui veulent planter des arbres. Mais pour planter 80 millions d'arbres, ça demande du personnel.
Donc, on est équipé pour faire face à cette épidémie, mais c'est toujours une question d'argent. On a les ressources sur le terrain, on est prêt et on a l'expertise. On pourrait en faire plus avec nos connaissances et les ressources qu'on a actuellement. De plus, ça fait travailler des gens dans les milieux ruraux. Il y a aussi cet aspect à considérer.
Est-ce que cette épidémie va être un cataclysme pour les milieux ruraux ou une opportunité économique et environnementale? Tout dépendra des autorités publiques, du message qu'elles vont nous transmettre et des ressources qu'elles vont nous accorder. Le gouvernement du Québec entend nos préoccupations, mais on a mis trois ans à lui expliquer que la crise était imminente. C’est souvent le problème avec les administrations publiques; c'est parfois très long à démarrer.
Le sénateur Dagenais : En conclusion, si je peux me permettre une petite blague, c'est que les sénateurs du Québec, pour être membres du Sénat, selon la Constitution, doivent acheter un lopin de terre de 4 000 $, si ça peut vous aider. Malheureusement, mon district, c'est Verdun—Île-des-Sœurs. J'y ai cherché quand même un petit lopin de terre, mais c'était assez difficile. Cependant, pour les futurs sénateurs du Québec qui seront nommés au Sénat, on achètera des lopins de terre, ce qui pourrait vous aider, et on les reboisera.
M. Côté : Mais il y a des sénateurs qui ont des lopins de terre forestiers.
Le sénateur Dagenais : Oui, je les ai vus, mais il y aurait du travail à faire.
Je m'excuse, monsieur le président, c'était une petite blague, pour conclure.
Le vice-président : Merci beaucoup.
Sénateur Oh, s'il vous plaît.
[Traduction]
Le sénateur Oh : J’ai une question à poser sur les incendies de forêt. Les incendies sont-ils bons pour contrôler les insectes? Et de quelle façon influent-ils sur le carbone libéré dans l’atmosphère?
M. Côté : Eh bien, les feux de forêt sont la pire chose qui peut se produire parce que nous perdons des arbres qui pourraient être transformés et les feux libèrent beaucoup de carbone dans l’atmosphère. Avec les infestations d’insectes, nous avons le temps d’intervenir avant de perdre un arbre, mais les incendies détruisent des forêts, libèrent du carbone et, parfois, détruisent des investissements qui ont été faits dans la forêt. Des arbres sont plantés et n’ont pas encore été récoltés, et l’incendie détruit tout. L’État peut donc ainsi perdre beaucoup d’argent.
Nous avons un bon système pour lutter contre les incendies au pays parce que nous avons toujours dû composer avec les incendies de forêt, mais parfois nous perdons la bataille, comme on l’a vu en Alberta l’année dernière. Les incendies de forêt ne sont pas bons lorsqu’on pense aux changements climatiques, parce qu’ils libèrent de grandes quantités de carbone dans l’atmosphère.
Le sénateur Oh : Donc, pour qu’une forêt se remette, il faut 20 ans?
M. Côté : Cent ans.
Le sénateur Oh : Cent ans?
M. Côté : Oui. La forêt commence à repousser après quelques années, et on peut voir de petits arbres, mais pour obtenir une forêt mature, ici, au Canada, vu notre climat, il faut 100 ans, sauf si on plante des arbres. Lorsqu’on plante des arbres, il faut de 20 à 60 ans pour obtenir un peuplement mature, tout dépendant des espèces.
Le vice-président : Si vous me le permettez, les membres du comité ont visité au cours des dernières années les plantations d’arbres Irving et les forêts qui ont été gérées dans le Nord du Nouveau-Brunswick. On semble avoir réussi à raccourcir le temps nécessaire grâce à une meilleure gestion forestière.
M. Côté : Oui.
Le vice-président : Mais d’autres intervenants nous ont dit que la gestion forestière influe aussi sur les autres choses qui pousseraient naturellement au même endroit.
M. Côté : Exactement.
Le vice-président : Il faut donc se poser une question fondamentale : voulons-nous permettre la croissance naturelle ou voulons-nous d’une forêt gérée qui produira plus rapidement des arbres commercialisables?
M. Côté : C’est l’enjeu central. Si nous laissons la nature faire son travail, il faudra 100 ans, mais si nous intervenons, nous raccourcissons la période nécessaire. La période la plus courte que j’ai vue pour obtenir un peuplement mature, c’est 20 ans.
Le sénateur Oh : Par conséquent, si nous n’intervenons pas, cela pourrait causer de l’érosion sur le site?
M. Côté : Non, pas vraiment, parce qu’il y aura tout de même de la végétation qui pousse. Oui, il pourrait y avoir de l’érosion, mais, surtout, il y a là de petits arbustes et de petits arbres qui poussent. Cependant, en raison de notre climat, il faut beaucoup de temps pour faire pousser un arbre.
Le vice-président : Bien sûr, pour certains de nos compétiteurs, comme le Brésil, faire pousser un arbre prend beaucoup moins de temps. Quoi, 15 ans?
M. Côté : Oh, les Brésiliens peuvent le faire en sept ans.
Le vice-président : Sept ans, en raison du climat.
[Français]
M. Côté : Au Brésil, maintenant, grâce au climat, on peut faire pousser une forêt d’eucalyptus en sept années. Ils sont aussi améliorés génétiquement.
[Traduction]
Ils ont un gros avantage comparativement à nous, parce qu’ils font pousser ces forêts près des scieries.
Le sénateur Oh : Merci.
Le vice-président : Vous avez dit tantôt, lorsque j’ai posé une question au sujet de la tordeuse des bourgeons de l’épinette et que je vous ai demandé s’il y avait là une occasion économique plutôt qu’une catastrophe, qu’il faut plus de scieries, mais il y a des scieries qui ferment un peu partout, du moins dans le Canada atlantique. Dans la banlieue de Halifax, il y a une usine qui est là depuis 100 ans, maintenant, si je ne m’abuse, et elle a presque fermé ses portes, pas parce que les gens ne travaillent pas dur, mais parce qu’il ne semble pas y avoir de marché.
Les responsables ont diversifié leurs opérations dans la mesure où ils ont une génératrice sur place et qu’ils utilisent tous les déchets de bois pour produire de l’électricité et faire fonctionner l’usine, mais ils renvoient aussi de l’électricité sur le réseau électrique, ils en vendent à la compagnie d’électricité, ce qui les aide du point de vue économique. Mais la scierie reste au bord de la faillite, et elle s’est retrouvée de nombreuses fois sous la protection de la loi sur les faillites. À quoi bon couper les arbres qui seront attaqués par la tordeuse des bourgeons de l’épinette et les transformer s’il n’y a pas de marché?
Bien sûr, les Canadiens de l’Atlantique ont un avantage sur les autres parce que, dans le passé, nous n’avons pas participé au conflit du bois d’œuvre avec les Américains, en raison du grand nombre de terres publiques dans le Canada atlantique, comparativement aux terres privées qui sont utilisées dans le reste du pays. Nous avons été exclus de ce conflit, mais il faut tout de même développer le marché assez rapidement afin que nous puissions en profiter.
M. Côté : Oui, mais les gens qui ont comparu devant nous ont parlé des nouveaux produits qui seront fabriqués grâce à la nouvelle génération de scieries. Oui, vous avez raison. Beaucoup de scieries ont fermé au cours des 10 dernières années partout au pays. C’est un problème majeur dans les régions rurales du Canada, puisque la foresterie et l’agriculture sont les principaux moteurs économiques là-bas. Les choses devraient rester ainsi à l’avenir avec les bonnes usines, et il faut approvisionner en fibre ces nouvelles scieries sans nuire à celles qui existent déjà. Les gens construisent de telles scieries partout dans le monde. Chaque année, de nouvelles usines sont construites partout dans le monde, aux États-Unis et chaque fois que j’apprends qu’une usine a été construite, je suis frustré qu’elle ne l’ait pas été ici, au pays.
Il y a une occasion de construire de nouvelles usines, et, selon moi, nous devrions être plus proactifs pour obtenir ces investissements. Ici, à Montréal, le gouvernement a fait preuve de beaucoup de dynamisme pour attirer des intervenants du domaine de l’intelligence artificielle. Au cours des dernières années, les gens se sont déplacés partout dans le monde pour attirer des investissements et des gens dans ce domaine. Nous devrions faire la même chose avec l’industrie forestière et, selon moi, nous ne le faisons pas assez.
Le vice-président : Par conséquent, nos témoins précédents... Nous devrions surveiller attentivement FPInnovations.
M. Côté : Sinon, ce sera les Chinois, les Brésiliens ou les Chiliens qui construiront les usines pour fabriquer les produits mis au point par FPInnovations.
Le vice-président : Exactement.
M. Côté : Ils ne sont pas les seuls à travailler sur ces nouveaux produits.
[Français]
La sénatrice Tardif : Vous avez indiqué que le gouvernement du Québec avait mis en œuvre une mesure d’étalement du revenu forestier.
M. Côté : Oui.
La sénatrice Tardif : Ceci pourrait bénéficier aux propriétaires lorsqu’ils doivent liquider leur forêt. Est-ce que cette mesure existe du côté du gouvernement fédéral, et que peut-il faire pour vous appuyer davantage? Quelles seraient les recommandations que vous pourriez nous faire pour nous aider à préparer notre rapport?
M. Côté : Il s’agirait de mettre en œuvre la même mesure. Actuellement, un propriétaire forestier, s’il déclare son revenu forestier au gouvernement provincial, il peut l’étaler sur sept ans, alors qu’au gouvernement fédéral, ce n’est pas étalé, c’est donc comptabilisé sur une année. Ça devient excessivement compliqué. Je pense que cette mesure peut nous permettre de convaincre les gens de récolter leur forêt avant qu’elle soit en perdition, et puis de reboiser ensuite.
Nous vous avons présenté trois propositions. On pense que ces propositions sont relativement simples et mineures dans l’appareil fédéral pour être appuyées par le gouvernement. On sait également que, lorsque le Sénat produit un rapport, on peut s’en servir. Il est lu et cela permet de maintenir une discussion avec d’autres ministères.
Le gouvernement a retenu les forêts comme moyen de lutter contre les changements climatiques, mais, à ce jour, il n’a pas mis beaucoup de mesures en place. Nous avons appris qu’il y a un fonds sur la bioéconomie, mais cela ne s’est pas traduit en programmes ni en mesures sur le terrain. Il y a uniquement une orientation au niveau de la politique gouvernementale du gouvernement libéral.
Les recommandations que nous proposons dans notre document, au coût de 16 millions de dollars, pour prévoir un étalement du revenu semblable à ce qui existe au Québec sont bien peu de choses, mais elles pourraient générer un impact sur le terrain.
Ce qu’il faut retenir également, c’est que le gouvernement fédéral a investi énormément en faveur des forêts au Québec, il y a 20 ou 30 ans. Il s’est retiré il y a une quinzaine d’années en indiquant qu’il n’y aurait plus d’investissements dans les forêts québécoises, et que les gouvernements provinciaux devraient s’en occuper.
Mais ce serait une bonne occasion pour lui d’intervenir quant à l’aspect environnemental de la chose, mais aussi économique.
La sénatrice Tardif : Merci, monsieur Côté.
Le sénateur Dagenais : Évidemment, monsieur Côté, vous avez parlé beaucoup de reforestation, mais d’où viennent les pousses de reforestation? Des serres?
M. Côté : Il y a des pépinières partout au Québec qui en produisent, peut-être au nombre de 16, environ. Au moins, il y aurait une quinzaine de pépinières gouvernementales et privées à travers le Québec qui produisent des plants. Elles y sont depuis des dizaines d’années et elles ont le mandat de produire des plants forestiers.
Le sénateur Dagenais : J’ai une seconde question. Évidemment, on n’est pas loin du Vermont. Comment la reforestation se passe-t-elle au Vermont? Ont-ils aussi le problème de la fameuse tordeuse des bourgeons?
M. Côté : La tordeuse touche moins les forêts du sud, qui sont plutôt composées de feuillus, comme les érables. Les domaines des érablières ne sont pas vraiment affectés.
Au Vermont, il y a moins d’impact. Mais le Maine, lui, est touché. Je ne sais pas si l’épidémie est commencée, mais actuellement ils sont en train de s’y préparer de façon assez active, je crois. L’épidémie va frapper le Maine de la même façon que nous.
M. Rhéaume : Ils sont très inquiets.
Le sénateur Dagenais : Aux États-Unis, est-ce qu’on fait de la reforestation également? J’imagine bien que oui.
M. Côté : Ils ont des programmes. Ils ont des consultants privés qui vont chez les propriétaires. En fait, le métier forestier est un très vieux métier et on le retrouve partout dans le monde. Et puis on intervient de façon très semblable, un peu partout.
Il y a des programmes gouvernementaux partout pour soutenir cette activité, parce que pour un individu, il n’y a pas de rentabilité économique à planter un arbre. Il n’y a pas de rentabilité privée pour lui. Il y en a une pour l’économie du pays. Pour l’individu, s’il plante un arbre, il doit en payer les coûts, et ce sont ses petits-enfants qui récolteront dans 60 ans, pas ses enfants. Il y a quelque chose qui ne marche pas au point de vue financier. C’est pour cette raison que l’État intervient. Ici, au Japon, en Australie, c’est partout pareil, et aux États-Unis aussi.
[Traduction]
Le vice-président : Les Américains continuent de nous accuser de subventionner le secteur, et comme je l’ai dit souvent lorsque nous parlons de l’agriculture, plus particulièrement, la pièce d’équipement la plus importante sur les fermes américaines, quelles qu’elles soient, c’est la boîte aux lettres, parce que c’est là qu’arrivent les subventions gouvernementales. C’est un fait, et nous avons été très vertueux quant à la façon dont nous traitons nos producteurs agricoles et forestiers. Cependant, parfois, tout ce qu’on reçoit lorsqu’on fait la bonne chose, c’est une petite tape amicale et un « beau travail! », mais ce n’est pas ainsi qu’on crée des emplois, et cela ne stimule pas la croissance économique.
Et là, je ne dis pas qu’il faut faire quoi que ce soit de mal, mais je crois que nous devons être plus proactifs et plus réalistes quant à la façon dont nous commercialisons nos produits. Nous sommes ici à parler du problème, nous parlons de certaines des solutions, mais personne ne réagit assez rapidement.
Prochain intervenant, sénateur Oh.
Le sénateur Oh : Je veux revenir à la question des investissements. Nous avons beaucoup parlé de replantation et de gestion des forêts. Vous faites très bien les choses. Cependant, la situation globale, c’est, comme vous l’avez mentionné plus tôt, le fait que de nouvelles usines ont été construites aux États-Unis, au Brésil, au Chili… En fait, partout sauf au Canada. Comme notre président l’a dit précédemment, nous n’attirons pas d’investissement au pays permettant de créer des emplois.
L’innovation est l’une des choses centrales que vous avez mentionnées tantôt. La construction de nouvelles usines s’accompagne d’innovations, mais nous avons planté énormément d’arbres. Pourquoi n’y a-t-il pas de nouvelles usines qui ouvrent leurs portes ici? Elles sont toutes construites au sud de la frontière.
Avez-vous publié des articles sur l’avenir du secteur forestier s’il n’y a pas de nouveaux investissements qui arrivent? Nous n’arrêtons pas de faire pousser les arbres.
M. Côté : Je n’ai pas écrit d’article à ce sujet.
Nous faisons un peu de lobbying auprès du gouvernement québécois pour dire que nous avons besoin de plus d’investissement, et, en ce moment, nous documentons les sources de fibre disponibles pour ces nouvelles usines. Avant Noël, nous devrions savoir combien de fibres nous pouvons fournir à une, deux ou trois nouvelles scieries, et nous saurons où cet approvisionnement se trouve au Québec. C’est quelque chose que nous faisons, tant du côté privé que du côté public. Nous nous demandons donc où sont les arbres disponibles, dans les forêts publiques et les forêts privées. Voilà une chose.
Il y a eu certains investissements au Québec, alors je ne devrais pas dire qu’il n’y a pas d’investissement. Essentiellement, on est en train de moderniser les scieries existantes, sans en construire de nouvelles à partir de rien. Oui, on construit actuellement certaines scieries qui produiront des biocarburants. Ce que je constate, c’est simplement que les gouvernements étrangers sont plus proactifs et en font plus pour attirer ces investissements.
L’autre chose que je constate, c’est que les entreprises familiales sont plus susceptibles d’investir dans leur pays. Les multinationales ne se soucient pas vraiment de l’endroit où elles investissent. Elles peuvent fermer une scierie et en construire une nouvelle ailleurs dans le monde. Vous savez, ce sont seulement des décisions d’affaires, elles ne pensent pas aux gens ni à l’avenir du pays où elles investissent. C’est une différence que j’ai constatée.
Si vous parlez aux intervenants de l’industrie forestière canadienne, ils vous diront : « Eh bien, il y a certains investissements en ce moment, mais nous ne pouvons pas investir si nous ne faisons pas d’argent. Si notre argent est taxé, c’est seulement les Américains qui empochent .» Par conséquent, l’accord que nous conclurons avec les Américains aura un impact sur les investissements futurs. Si nous payons encore 20 p. 100 de taxes, ce sont les Américains qui investiront cet argent.
[Français]
La sénatrice Tardif : Est-ce que vous voyez les différents mécanismes de tarification du carbone comme ayant un effet sur votre secteur?
M. Côté : Le rêve serait qu’on fasse pousser la forêt et qu’on puisse vendre l’accroissement qu’on obtient par l’aménagement forestier sur un marché, à un certain prix. C’est le rêve. Oui, on encourage le développement de ces mécanismes. C’est que, pour l’instant, on n’a pas eu de soutien pour agréger l’effort que l’on fait ou le gain qu’on obtient. Il faudrait l’agréger pour le vendre sur le marché et tester le marché.
On parle beaucoup dans ces mécanismes d’accroître la superficie de la forêt, donc d’aller dans des endroits, par exemple, qui seraient agricoles et d’y planter de nouvelles forêts. Cela ne pourra pas être le cas au Québec, parce qu’il n’y a pas de très grandes superficies agricoles, mais il y a beaucoup de superficies forestières. Donc, il va falloir que ce soit un gain sur la forêt elle-même.
On commence. Il y a des exemples au Québec, où quelques grandes forêts ont vendu des crédits dernièrement, dans la dernière année, mais la situation ne s’est pas encore multipliée. L’avenir est peut-être là : vendre beaucoup de crédits de carbone avec la forêt pour ainsi financer les travaux d’aménagement forestier. Mais cette roue n’est pas encore partie, et si elle part, tant mieux. On dira aux propriétaires qu’ils ne font plus des produits forestiers, mais qu’ils font du carbone. C’est ce qu’on va leur dire. Ils vont peut-être être très heureux de faire cela. Ils vont peut-être se dire qu’ils voient une nouvelle utilité à leur travail.
La sénatrice Tardif : Est-ce que le fait de vendre vos produits du bois à des compétiteurs qui n’ont pas une taxe sur le carbone vous met dans une situation difficile sur le plan économique?
M. Côté : Que voulez-vous dire?
La sénatrice Tardif : Par exemple, on se demande si les États-Unis sont favorisés puisqu’ils n’ont pas de taxe sur le carbone, alors qu’elle est en vigueur au Canada.
M. Côté : Je n’ai pas senti cet effet. Dans les discussions qu’on a avec nos acheteurs, les usines, ils ne nous en font pas mention.
La sénatrice Tardif : Merci.
M. Côté : Peut-être à l’avenir.
[Traduction]
Le vice-président : J’ai une dernière question. Est-ce que les fonds découlant du programme de plafonnement et d’échange au Québec sont réinvestis dans l’industrie?
M. Côté : Jusqu’à présent, nous n’avons pas vu ces fonds consacrés à des activités de gestion forestière.
Le vice-président : Ces fonds sont simplement ajoutés au Trésor de la province?
M. Côté : Je ne peux pas répondre à cette question. Je ne suis pas un spécialiste du système.
Le vice-président : Eh bien, si vous ne savez pas de quelle façon l’argent est dépensé, quelqu’un d’autre pourra peut-être nous le dire à l’avenir. Si les fonds sont versés dans le Trésor, c’est à ce moment-là que c’est très difficile d’obtenir les fonds pour quoi que ce soit d’autre, si les fonds ne sont pas réservés. Si les fonds sont générés par l’industrie, mais qu’ils ne sont pas réinvestis dans l’industrie, ça peut devenir problématique.
M. Côté : Oui, mais je ne crois pas que tous les mécanismes sont en place en ce moment. On met un nouveau système en place, et je crois qu’il se passera des choses au cours des deux prochaines années.
Le vice-président : Mais votre programme de plafonnement et d’échange est en place depuis 2011.
M. Côté : Oui, mais, jusqu’à présent, nous n’avons pas vu les fonds être réinvestis dans la gestion forestière.
Le vice-président : D’accord.
M. Côté : Cependant, le gouvernement nous donne certains fonds pour réaliser des activités de gestion forestière, et je ne sais pas si ces fonds sont justement ceux qui ont été versés dans le Trésor de la province.
Le vice-président : Eh bien, nous allons poser la question au gouvernement du Québec, j’imagine, lorsque nous rencontrerons des représentants de cette province.
[Français]
Monsieur Côté et monsieur Rhéaume, merci beaucoup pour votre présentation.
M. Côté : Merci beaucoup de nous avoir accueillis, ce fut un plaisir pour nous de venir vous voir.
[Traduction]
Le vice-président : Honorables sénateurs, le comité accueillera maintenant le prochain groupe de témoins. Nous accueillons Marcel Groleau, président général, et Daniel Bernier, agronome, Recherches et politiques agricoles, de l’Union des producteurs agricoles, et Benoit Legault, directeur général des Producteurs de grains du Québec.
Messieurs, merci d’être là. Veuillez nous présenter votre exposé. Nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.
[Français]
Marcel Groleau, président général, Union des producteurs agricoles : Je remercie le comité sénatorial de nous inviter à nous exprimer sur l’enjeu des changements climatiques et des conséquences de ceux-ci.
Je suis accompagné, comme vous l’avez dit, de Daniel Bernier, qui va vous résumer le mémoire qu’on a déposé, hier, sur la question. Naturellement, ce sera un résumé. Comme prévu, il y aura une période de questions par la suite qui vous permettra de déborder des points dont nous aurons traité et d’aborder les points qui vous intéressent concernant l’agriculture au Québec ou tout autre secteur qui compose l’agriculture au Québec.
Tout d’abord, au Québec, il y a 28 000 entreprises agricoles réparties dans plusieurs secteurs différents. L’Union des producteurs agricoles regroupe 43 affiliés qui sont soit régionaux ou spécialisés. Alors, on a une bonne connaissance des enjeux de l’ensemble des secteurs.
On est aussi réparti sur un grand territoire, de l’Abitibi, qui est le territoire le plus au nord, jusqu’au sud du Québec, à la frontière américaine. Le climat est très différent dans ces zones, et donc, les impacts des changements climatiques auront aussi des conséquences différentes, selon qu’on se trouve au sud ou au nord du Québec.
Alors, après cette brève présentation, je vais demander à Daniel de vous résumer le mémoire qu’on a déposé.
Daniel Bernier, agronome, Recherches et politiques agricoles, Union des producteurs agricoles : Oui, merci. Est-ce que vous avez entre les mains le mémoire? On n’a que la version française étant donné les délais. Il y a aussi celui des Producteurs de grains du Québec. Mais, en fait, comme nous sommes deux groupes à nous présenter ce matin, nous avons le mémoire de l’UPA. Alors, compte tenu du temps alloué, je vais vous faire un résumé du mémoire qu’on a déposé hier.
Dans le mémoire, on a voulu répondre à l’ensemble des questions qui ont été soulevées par le comité sénatorial dans son invitation.
Tout d’abord, il y a la question de l’impact potentiel des changements climatiques. Donc, a priori, et selon l’avis des experts, il va y avoir des effets positifs aux changements. On observe déjà, notamment, un allongement de la période de croissance des plantes. On profite déjà au Québec, dans une certaine mesure, de ces changements en pouvant ensemencer des variétés plus exigeantes en unités thermiques. On peut donc espérer de meilleurs rendements.
Il y a aussi des inconvénients aux changements, notamment les événements climatiques extrêmes qui sont plus fréquents. Selon les experts, l’intensité de ces phénomènes extrêmes et leur fréquence devraient aller en augmentant. Donc, c’est assurément néfaste pour l’agriculture.
Il y a la question de l’eau qui est une grande préoccupation. Avec les changements climatiques, les événements extrêmes vont apporter des excès d’eau à certains moments, mais des pénuries d’eau à d’autres moments. Donc, la gestion de l’eau va être un facteur déterminant. Notre capacité à bien gérer l’eau va être un facteur déterminant dans la résilience des fermes au Québec.
Dans les mesures d’adaptation, il y a toute l’importance de mettre des mesures en place pour gérer cette eau, notamment par des systèmes d’irrigation. Déjà, dans les productions maraîchères, on a recours de façon systématique maintenant à l’irrigation, parce que les périodes où on observait des déficits hydriques devenaient de plus en plus fréquentes. Voilà donc une mesure d’adaptation qui a été mise en place pour essayer de contrer les effets négatifs des changements climatiques.
Évidemment, lorsqu’il s’agit d’irrigation, on parle de prélèvement d’eau dans la ressource, que ce soit des eaux de surface ou souterraines, ce qui exerce une pression supplémentaire sur la ressource. Il y a des inquiétudes selon lesquelles dans les années à venir, on pourrait se retrouver avec des conflits d’usage de l’eau. Il y a un grand intérêt à instaurer des mesures d’économie d’eau et de financer des systèmes d’irrigation plus performants.
Tous les secteurs d’activités économiques devront faire attention à l’eau et éviter le gaspillage. Dans le secteur agricole, pour l’irrigation, on sait que de gros volumes d’eau peuvent être nécessaires. Donc, les mesures d’économie d’eau vont être très pertinentes et pourraient aider à améliorer la résilience des fermes et à diminuer la pression sur la ressource.
Ceci nous amène aux mesures d’adaptation. Il y a donc, évidemment, la gestion de l’eau. Il y a la gestion des ennemis des cultures. Avec les changements climatiques, on s’attend à l’arrivée de nouveaux ravageurs, que ce soit des insectes, des maladies ou des mauvaises herbes. De tels changements surviennent assez rapidement. Il faudra établir des services-conseils qui vont aider les producteurs à réagir assez rapidement à l’arrivée de ces ravageurs et à élaborer des stratégies de gestion des ennemis des cultures.
Cela soulève toute la préoccupation de l’usage des pesticides. Nous sommes tous interpellés par cette question, et il en va de même pour nos concitoyens. On a des stratégies visant la réduction de l’usage des pesticides, mais en même temps, nous voyons les risques augmenter. Donc, si nous voulons atteindre nos objectifs de réduction des pesticides, il faudra élaborer des stratégies et développer des solutions de rechange aux pesticides, parce que lorsque les niveaux de risque augmentent, la tendance naturelle irait plutôt vers une augmentation de l’usage des pesticides.
Du côté des élevages, en matière d’adaptation, il y a toute la question des épisodes de chaleur intense qu’on va devoir gérer. Au Québec, par le passé, des périodes de chaleur survenaient occasionnellement et duraient quelques jours, et c’était l’histoire du passé. De plus en plus, on a des périodes de chaleur qui persistent sur une plus longue période. Cela soulève aussi des préoccupations en termes de bien-être animal. Donc, il faudra penser à des systèmes de climatisation — soit la brumisation ou la ventilation — adaptés pour rafraîchir les animaux afin de les aider à supporter ces périodes de chaleur intense.
Je vous amènerais, par la suite, à la section 4, intitulée « Les répercussions de l’établissement de mécanismes de tarification du carbone ». C’est une grande préoccupation. On le sait, le gouvernement canadien a annoncé la mise en place d’un cadre pour la réduction des gaz à effet de serre, qui implique notamment une tarification du carbone. Au Québec, on a déjà cette tarification par l’intermédiaire d’un marché du carbone. Il y a là un impact économique, on ne peut le nier. Nous l’avons évalué, vous allez retrouver les chiffres.
Mais au prix du carbone actuel, les agriculteurs québécois, pour leur consommation d’énergie, auront une facture additionnelle de 38 millions de dollars pour l’année 2017. Depuis la mise en place de cette tarification, c’est plus de 100 millions de dollars que les agriculteurs québécois ont payé en surcoûts directement attribuables à la taxe. Ce sont là des coûts directs à la ferme, on n’y inclut même pas les coûts additionnels de transport.
Donc, notre préoccupation est la suivante : de la manière dont les choses se dessinent à l’échelle nationale, les agriculteurs québécois pourraient être les seuls à devoir payer cette tarification du carbone. On voit que dans certaines provinces, notamment l’Alberta et la Colombie-Britannique, il y a des mesures de remboursement de cette tarification. Dans le cadre canadien qui a été annoncé au mois de mai dernier, il y a des exemptions prévues pour le secteur agricole.
Or, au Québec, avec les mesures que le gouvernement québécois a mises en place, et étant donné que ces mesures répondent au cadre minimal prévu par le gouvernement fédéral, on pourrait maintenir notre système de marché du carbone, de tarification du carbone et, de ce fait, être les seuls, en fin de compte, à devoir assumer ces coûts.
On verra du côté ontarien comment ça va se passer. Parce qu’en Ontario, il y avait une démarche pour joindre le marché du carbone québécois à celui de la Californie. Il y a de l’incertitude un peu. On verra où cela va aller. Mais, a priori, pour l’instant, il n’y a que des agriculteurs québécois qui paient cette tarification.
Il y a donc une question d’équité. On demande au gouvernement fédéral de prendre des mesures pour s’assurer qu’il y ait équité à l’échelle nationale. Si les agriculteurs canadiens sont de façon générale exemptés de la tarification du carbone, il faudrait que les agriculteurs québécois le soient également. On pourra imaginer la façon de le faire, que ce soit par des mesures de compensation, mais il y a nettement un problème d’équité.
Concernant les perspectives de réduction des gaz à effet de serre dans le secteur agricole, il y en a. On peut réduire les gaz à effet de serre en agriculture. Ce n’est pas simple, par contre. En fait, on a toute la partie qui est associée à des phénomènes biologiques. Il s’agit des gaz, du méthane qui est émis par les ruminants. Il y a aussi les gaz qui sont émis par les champs en culture à la suite de la fertilisation et les gaz qui sont émis par les lieux de stockage des fumiers.
Donc, il y a des choses qu’on peut faire, mais c’est, somme toute, assez limité. D’ailleurs, jusqu’à présent, les gouvernements s’y sont assez peu intéressés. Mais on pense qu’on pourrait mettre en place des mesures pour favoriser la réduction des gaz à effet de serre.
On pourrait, par exemple, favoriser la conversion à l’électricité pour certains usages. Mais, pour cela, il faudrait prolonger le réseau électrique triphasé dans le secteur agricole québécois. À défaut du réseau triphasé, on n’a pas accès au moteur dont on aurait besoin, par exemple, pour faire fonctionner des pompes pour l’irrigation et pour un certain nombre d’usages agricoles. Donc, on pourrait éviter d’utiliser la prise de force du tracteur, mais ça nous prendrait le réseau électrique triphasé, et encore faut-il y avoir accès. Pour le moment, c’est une minorité qui y a accès.
L’usage de la biomasse, on en fait mention. On pourrait remplacer avantageusement certains combustibles fossiles par la biomasse pour le chauffage, pour le séchage des grains. Cela se fait en acériculture pour la production du sirop d’érable. Mais ici encore, il faut donner un coup de pouce à la filière pour l’implanter.
Pour ce qui est des autres mesures de réduction des gaz à effet de serre dans le secteur agricole, on pense à la captation des biogaz qui émanent des lieux de stockage du fumier, à la réduction du méthane par les ruminants en modifiant leur alimentation, et à la réduction du protoxyde d’azote dans les champs cultivés par une meilleure gestion de la fertilisation azotée. Il y a aussi la séquestration du carbone dans les champs avec certaines pratiques culturales.
Le dernier point, on le mentionne, parce qu’il n’est que théorique. Au Québec, le reboisement des terres agricoles n’est pas une solution à envisager, parce qu’on est déjà sous pression avec l’urbanisation. Des terres agricoles, on en a de moins en moins. Donc, penser reboiser des terres agricoles, ce n’est pas une bonne idée.
Je terminerai donc avec les interventions et le rôle des gouvernements, selon nous. En matière de réduction des gaz à effet de serre, il faut aider le secteur à investir dans des mesures d’économie d’énergie, grâce au remplacement des énergies fossiles par des énergies renouvelables. Donc, des aides en ce sens seront nécessaires. Ce n’est pas facile à rentabiliser dans le contexte actuel, surtout qu’il n’y a souvent pas de solution de rechange aux énergies fossiles pour le secteur agricole.
Parmi les demandes, il y a la question d’instaurer des conditions équitables entre les agriculteurs canadiens en matière de tarification du carbone, d’offrir des aides financières facilitant la transition énergétique et d’améliorer la couverture du milieu rural québécois par le réseau triphasé, dont j’ai parlé. Il faudrait aussi améliorer les conditions d’accès au marché du carbone pour les producteurs agricoles, notamment en permettant l’agrégation des projets de réduction des gaz à effet de serre.
Brièvement, quant à la question du marché du carbone, théoriquement, ça devait être un levier pour inciter les agriculteurs à faire des projets de réduction des gaz à effet de serre à la ferme, sauf que, concrètement, cela ne fonctionne pas. Les coûts d’entrée dans le marché sont trop élevés. Ça coûte très cher. Il faut imaginer qu’à l’échelle d’une ferme, on n’a pas des milliers et des milliers de tonnes de carbone de réduction à mettre en marché. Les coûts de transaction sont aussi élevés que les bénéfices, ce n’est donc pas intéressant. De toute façon, il y a un seul protocole de quantification qui est reconnu par le marché du carbone. Bref, il n’y en a pas eu dans le secteur agricole québécois. Donc, il faudra penser à améliorer les conditions d’accès au marché du carbone et à développer davantage de protocoles. Or, ce sont les gouvernements qui peuvent jouer un tel rôle. Voilà.
Toujours concernant les rôles du gouvernement, je terminerais avec la question de la résilience, donc de l’adaptation. On pense que l’État doit investir dans la recherche, que ce soit pour des variétés culturales mieux adaptées aux changements climatiques ou pour des systèmes d’irrigation qui vont permettre de mieux gérer les périodes de sécheresse. Il y a aussi toutes les mesures de gestion de l’eau au champ, l’aménagement hydro-agricole, la gestion de la nappe phréatique et le contrôle des nappes.
On va avoir besoin d’aide financière pour aider les entreprises agricoles à s’adapter aux changements climatiques, soit des programmes de sécurité du revenu adaptés à ces conditions changeantes. Les événements climatiques extrêmes étant plus fréquents, on est mal équipé actuellement en termes de programmes d’assurances pour indemniser adéquatement les producteurs qui auraient tout perdu à la suite d’événements climatiques extrêmes.
Donc, pour résumer le volet de l’adaptation, on pense qu’il faut améliorer la couverture et la protection de l’assurance-récolte et prévoir l’adaptation des bâtiments d’élevage. Comme je l’ai mentionné plus tôt, pour la ventilation, il faut assurer le bien-être des animaux en période de chaleur intense.
Il faut aussi mettre en œuvre des systèmes d’irrigation plus efficaces, le goutte-à-goutte. Il y a des systèmes qui permettraient d’économiser l’eau tout en irriguant adéquatement. Il serait intéressant aussi de financer des projets visant l’aménagement d’ouvrages de rétention des eaux de pluie et de fonte des neiges et l’aménagement des systèmes de drainage des terres agricoles munis d’un dispositif de contrôle de la nappe, sans oublier la rétribution des biens et services écologiques fournis par les milieux humides.
Le vice-président : Monsieur Bernier, merci beaucoup.
Maintenant, la parole est à M. Legault.
Benoit Legault, directeur général, Producteurs de grains du Québec : Le président de l’organisation s’excuse de ne pas être ici aujourd’hui, on est en pleine période de récolte en ce moment. On remercie le comité sénatorial de nous avoir invités. Juste pour préciser que les Producteurs de grains du Québec représentent plus de 11 000 producteurs, dont 4 000 sont des producteurs spécialisés principalement dans la production de grains. La production de grains, c’est cinq millions de tonnes, un peu plus de 1 million d’hectares et un chiffre d’affaires qui oscille entre 1 et 1,5 milliard de dollars par année.
Les mesures d’adaptabilité et de résilience que ces producteurs ont mises et mettront en place au cours des prochaines années ont avant tout une incidence, un effet sur la consommation d’énergie des opérations au champ, de la quantité d’intrants utilisés, notamment les engrais, et sur la santé des sols.
Plusieurs de ces mesures sont en vigueur et d’autres sont seulement implantées. Certaines auront besoin d’un coup de pouce pour aller plus loin. On parle ici du drainage, du nivellement des terres, des pratiques comme le travail réduit du sol, le semis direct, l’utilisation des plantes de couverture en automne ou de façon intercalaire, qui est identifiée comme une pratique d’avenir, mais qui nécessite encore une fois, ici, beaucoup de recherches avant d’aller plus loin.
Les outils de modélisation. Les producteurs du Québec se sont donné des outils de modélisation et d’aide à la décision pour avoir un plus grand raffinement dans l’utilisation des intrants, pour mieux gérer les ravageurs, mieux gérer la fertilisation. On aussi des diagnostics pour bien comprendre les enjeux du secteur. D’un point de vue global, les Producteurs de grains du Québec se sont donné une analyse de cycles de vie qui leur permet de mieux comprendre leurs empreintes sur les ressources et de mieux cibler les actions et les priorités. Ils le font maintenant avec leurs confrères du Canada, par l’intermédiaire de la Table ronde pour des cultures durables, où la table devrait, d’ici quelques mois, produire des indicateurs et des pistes d’actions prioritaires pour le secteur des grains.
L'autre outil d’adaptabilité de mesures qui présentent beaucoup de potentiel, c’est l’agriculture de précision, qui prend sa place tranquillement au Québec. Ça permet une meilleure utilisation des intrants. On parle de la cartographie des parcelles, la conduite autoguidée, l’application variable des intrants et l’utilisation et le partage des données, ce qu’on appelle communément le « big data ».
Évidemment, je ne peux pas passer sous silence tout l’aspect de l’accès et l’adoption de nouvelles technologies, la biotechnologie et la nouvelle génétique adaptée aux nouvelles conditions climatiques, qui aide à faire face à ces enjeux et permet cette résilience. Il y a une production durable, notamment, en matière d’émissions de carbone.
L’allongement de la période de croissance et la hausse de la chaleur accumulée durant une saison créent de nouvelles opportunités. Il y aura accès à de nouvelles cultures. Aujourd’hui, on voit déjà beaucoup plus de nouvelles cultures dans les régions un peu plus nordiques.
Le soja qui était une culture de régions plus chaudes est implanté de plus en plus dans les régions plus nordiques. Le maïs fait aussi son apparition dans plusieurs régions nordiques. Alors, il y a des opportunités de ce côté.
Évidemment, selon les prévisions, l’amélioration globale des rendements permettra probablement, avec cette nouvelle production, ce nouveau volume de grains, des occasions en termes de valeur ajoutée pour ce grain en matière d’élevage ou dans d’autres filières.
Peut-on parler de remise en culture plus accessible pour les terres en abandon, étant donné que ces terres seront peut-être plus rentables? On nous parle aussi de nouvelles terres agricoles. On nous dit souvent que l’Abitibi-Témiscamingue a un potentiel de trois millions d’hectares. Il s’agit plutôt d’un objectif à très long terme si le réchauffement climatique va dans le sens prévu actuellement.
À l’heure actuelle, notre organisation se penche principalement sur les défis plus que sur les opportunités. Daniel l’a expliqué plus tôt. On parle des excès de météo qu’on vit déjà et qui augmenteront dans le temps, que ce soit au niveau des températures et des précipitations. On parle aussi des enjeux liés à la présence de ravageurs et de maladies en termes d’intensité, de nouveaux insectes et de nouvelles maladies.
On parle de la possibilité d’une augmentation des performances moyennes, mais aussi d’une instabilité des performances agronomiques et économiques. Donc, le rendement peut augmenter, mais les variations de rendement sont beaucoup plus fortes. Il est aussi question d’instabilité des marchés locaux, d’instabilité sur les marchés internationaux au niveau des prix et d’une hausse des risques financiers pour les entreprises.
C’est sûr que ces enjeux de changements climatiques signifient aussi des investissements plus importants afin d’être résilients, affronter ces défis et répondre aux enjeux d’émissions de carbone, qu’il s’agisse des investissements dans les biotechnologies, les technologies, les équipements et la machinerie.
Je dois souligner aussi qu’il y a un défi autour de l’utilisation intensive des pesticides. M. Bernier l’a mentionné un peu plus tôt. S’il y a plus d’insectes, on aura peut-être un enjeu plus fort sur le plan des traitements, avec des produits phytosanitaires. Il y a donc un enjeu en matière d’accès aux produits.
De plus, il y a l’enjeu de l’acceptabilité sociale, si on parle aujourd’hui en fonction de l’avenir, soit le besoin d’utiliser plus de produits phytosanitaires. Du point de vue des perceptions du grand public cet égard, il pourrait peut-être y avoir un enjeu d’accessibilité à ces produits à l’avenir.
Compte tenu de ce que je vous ai dit précédemment, il est important pour nous de prévoir différentes mesures ou différentes actions. Certaines sont déjà en place, mais il faudrait peut-être les bonifier et les améliorer au niveau du soutien. On parlait de la recherche publique sur le plan de la génétique. Avec les nouvelles pratiques, il faut aller chercher de nouvelles connaissances avant de les intégrer dans les fermes. Je parlais plus tôt des plantes de couverture. Il y a là un défi. Ça semble être une technique d’avenir, mais il faut bien la connaître avant de pouvoir la promouvoir.
Améliorer le transfert de connaissances. Il faut rendre les services-conseils accessibles et, surtout, s’assurer qu’ils soient de qualité afin d’aller plus loin dans les mesures d’adaptabilité et de résilience. Il y a aussi des mécanismes privés et publics de gestion des risques adaptés et évolutifs. Tout change rapidement. Donc, il faut que ces mécanismes, à la fois publics et privés, puissent évoluer dans le temps et rapidement. On souhaite aussi qu’il y ait des mécanismes qui permettent peut-être une meilleure circulation de l’information et des données entre les institutions et tout au long des chaînes de valeurs. Aujourd’hui, tout réagit au quart de tour. Il est important que ces informations circulent et qu’elles existent. On constate qu’au Canada l’information agricole est beaucoup moins disponible comparativement avec nos confrères états-uniens.
Ce qu’on souhaiterait aussi, c’est qu’il y ait un leadership des gouvernements dans la promotion de la science et dans l’application de la science au sein de ses différentes institutions, notamment dans la gestion des risques sanitaires et phytosanitaires. Il y a l’enjeu du cadre réglementaire, qui devra s’adapter rapidement pour permettre l’accès rapide aux nouvelles technologies, aux biotechnologies. On croit que le Canada a un rôle important à jouer là aussi. Il le fait déjà, mais il faudra continuer à le faire de façon intensive, soit de continuer son rôle de leader en matière d’harmonisation des normes dans la gestion des mesures phytosanitaires à travers le monde.
Les gaz à effet de serre. La production de grains émet des gaz à effet de serre. Je vous le dis tout de suite. Plus grande est la production, plus elle en émet. C’est le dilemme que nous avons. On veut que l’agriculture soit plus productive. Le monde demande plus de grains. Plus elle est intensive et productive par unité de superficie, plus il y a des chances qu’elle émette plus de gaz à effet de serre.
La production de grains en est un bon exemple. Le maïs, sur une base du produit à la tonne ou au kilo, émet la même quantité de gaz à effet de serre que les céréales à paille, l’avoine, l’orge ou le blé. Pour une superficie comme un hectare ou une acre, étant donné qu’on produit trois ou quatre fois plus de maïs sur cette unité de superficie, il génère trois à quatre fois plus de carbone. On doit donc faire face à ce dilemme.
Il faut comprendre aussi d’où vient ce carbone dans la production de grains. Pour le maïs, par exemple, 62 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre proviennent de la fertilisation; 20 p. 100 viennent du séchage du grain. Le maïs doit être séché par des séchoirs. On doit utiliser du propane ou du gaz naturel. Seulement 15 p. 100 proviennent des opérations spécifiques au champ. L’utilisation des tracteurs pour produire ces cultures représente 15 p. 100 de l’empreinte carbone.
On doit aussi dire que les gains passés et les plus récents, qui proviennent de l’amélioration technologique et de l’amélioration des pratiques, s’appuyaient sur une perspective de gains économiques. Cela a été beaucoup plus facile. Ces gains économiques étaient évidents. Il y avait moins de risques. Ils ont donc été plus facilement intégrés aux opérations à la ferme.
La prochaine phase de gains en consommation d’énergie et d’émissions de GES laisse entrevoir de plus faibles retombées économiques pour le producteur parce qu’elle interpelle davantage des éléments et des enjeux sociaux. Les risques pour l’entreprise seront beaucoup plus élevés par rapport à ce qu’on veut obtenir dans la prochaine phase. En l’occurrence, la prochaine phase repose beaucoup sur une meilleure fertilisation azotée. Comme je l’ai dit plus tôt, une grosse partie de l’empreinte carbone vient de la fertilisation azotée.
Ce qui nous interpelle aussi pour les gaz à effet de serre, c’est la confrontation entre l’acceptabilité sociale et les nouvelles technologies. Pour l’affronter, pour pouvoir faire un pas de plus, ce qui sera encore plus risqué pour l’entreprise, c’est d’avoir accès à ces technologies. Il y aura l’enjeu de la confrontation, qui est beaucoup moins prévisible pour l’agriculteur chez lui, à savoir jusqu’à quel point il y aura des restrictions pour accéder à ces technologies.
Une des solutions mise de l’avant par le gouvernement actuellement pour gérer les émissions, c’est la tarification du carbone. Pour l’instant, les producteurs de grains n’y voient pas vraiment d’avantages. Pour nous, il y a plus de défis que d’opportunités dans la tarification, en ce moment.
Nous avons aussi discuté des répercussions actuelles avec M. Groleau et M. Bernier. Il y a déjà un coût assez important pour la ferme. Depuis la mise en place d’un système de tarification en 2013, une ferme spécialisée dans la production du grain au Québec assume des coûts additionnels de 4 000 $ par année, soit 2 $ la tonne de grains. Si la politique canadienne est mise de l’avant comme prévu, soit d’augmenter le crédit carbone ou la valeur de la tonne de carbone à 50 $ la tonne d’ici 2022, ce sera 11 000 $ par ferme et environ 5 $ la tonne de grains en coûts supplémentaires pour la ferme.
De plus, il faut comprendre que nous sommes au début de la filière. En ce qui concerne tous les coûts additionnels liés à la tarification du carbone, selon notre perception et notre compréhension, il sera très difficile de les transmettre aux consommateurs, étant donné que les biens mis en marché ici au Québec font concurrence avec des biens qui viennent des États-Unis. Ce sera difficile de les transférer aux consommateurs. Vous savez que les États-Unis n’ont pas un tel système de tarification.
Nous craignons que cette tarification amène un transfert de l’ensemble de coûts vers le bas de la filière, donc surtout vers les producteurs agricoles et les producteurs de grains. Selon notre compréhension, la politique de réduction des gaz à effet de serre pourrait avoir un impact très négatif sur le secteur des grains, ce qui pourrait affecter sa capacité à la résilience et à la réduction des émissions.
Voici donc nos constats : les coûts imposés sont importants, difficiles à comptabiliser, même aujourd’hui, et surtout, difficiles à planifier. On parle d’une entreprise agricole qui doit penser pour les 15 prochaines années parce qu’elle prend des prêts à aussi long terme. C’est difficile d’évaluer et de prévoir tous les coûts inhérents, dont la tarification. Cela réduit donc la capacité d’investir dans les technologies et l’équipement, qui permettent justement des gains sur le plan de la performance économique et environnementale.
Je conclurai avec quelques recommandations concernant la gestion de la tarification du carbone. En fait, la première recommandation des Producteurs de grains, c’est l’instauration de mécanismes qui élimineront complètement l’impact économique négatif de la tarification. Certaines provinces l’ont fait, par exemption. Certaines pourraient le faire étant donné que c’est plus une bourse utilisée pour créer un fonds vert et rembourser les producteurs touchés. Cela n’est pas dans le but d’être gentil avec les producteurs, mais bien de leur permettre d’être efficaces et rentables afin qu’ils investissent dans les mesures visant à réduire les émissions.
Nous demandons qu’il y ait une politique de réciprocité sous forme de taxe à l’importation sur les produits sans tarification de carbone. Il y a peut-être de la tarification de carbone en Californie, mais il n’y en a pas dans le Midwest. Les grains qui sont produits dans le Midwest en ce moment n’ont pas de tarification de carbone. Donc, toute la filière, par défaut, est désavantagée du point de vue de la concurrence.
On demande aussi qu’il y ait des incitatifs financiers aux investissements verts dans le contexte de pratiques agricoles et des technologies qui sont plus risquées. Comme j’ai dit plus tôt, les prochains gains seront encore plus difficiles à faire parce que les gains économiques ne sont pas là. Ce sont des gains sociaux.
Alors, il y a encore plus de risques. Ces fonds spéciaux pourraient aider les producteurs à aller plus loin en termes de gestion des émissions, et tout cela exigera des mesures incitatives financières importantes.
Enfin, M. Bernier l’a déjà abordé, on demande des protocoles permettant d’échanger de façon efficace et rentable les crédits compensatoires d’atténuation des émissions pour les entreprises agricoles. Mesdames et messieurs les sénateurs, ceci fait le tour de ce que je voulais vous dire ce matin. Merci.
Le vice-président : Merci beaucoup.
M. Groleau : En fait, comme vous voyez, les mémoires étaient assez techniques. Le comité aura tout le temps pour bien les analyser. Je ramènerais ma conclusion à des considérations plus générales.
Au Québec, et c’est à peu près la même chose au Canada, l’agriculture pour environ 10 p. 100 des émissions totales. Dans notre secteur, la réduction des émissions demeure complexe et difficile. On travaille avec du vivant. On ne peut pas juste changer une huit cylindres pour une six cylindres. C’est beaucoup plus compliqué.
Si on arrivait à réduire de 10 p. 100 les gaz à effet de serre dans le secteur agricole, cela ne représenterait qu’une réduction de 1 p. 100 des gaz à effet de serre au Canada. Selon nous, ce n’est pas le secteur sur lequel on devrait le plus compter pour atteindre les cibles que le Canada s’est fixées. Par contre, on doit faire des efforts pour maintenir ou diminuer nos émissions. Je pense que cette approche serait mieux adaptée au secteur agricole. Le secteur agricole, c’est la production de la nourriture. Peu de citoyens seront prêts à réduire leur consommation de nourriture pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Je pense qu’il faut aussi le voir sous cet angle : nous produisons de la nourriture.
Un autre élément c’est que la demande alimentaire mondiale est en croissance et il faudra répondre à celle-ci. Si on met trop de pression sur le secteur agricole et qu’on s’exclut du marché alimentaire mondial parce qu’on devient moins compétitif ou parce qu’on n’a pas d’ambition, je pense qu’on ne rend pas service au Canada.
En conclusion, les gaz à effet de serre et les changements climatiques nous font peur. Il ne faut pas que cela empêche le Canada d’avoir de l’ambition. Oui, il y a un défi, mais il ne faudrait pas que ça nous empêche, encore une fois, d’avoir de l’ambition et d’envisager les marchés à venir. Le Canada devra répondre à ces marchés et être en bonne position afin d’être un des grands fournisseurs alimentaires du XXIe siècle et dans les années à venir. Merci.
[Traduction]
Le vice-président : Merci, messieurs. Vos exposés étaient très audacieux et soulèveront beaucoup de questions de mes collègues.
J’ai été intéressé au début de l’exposé, lorsque M. Legault a parlé de gestion de l’eau, un enjeu dont nous avons beaucoup parlé. J’ai été tout particulièrement surpris qu’on en parle dans une province comme le Québec, qui compte sur tellement de ressources hydriques, y compris le grand fleuve Saint-Laurent, qui coule pas très loin d’ici. Mais en plus, vous avez parlé de la gestion des ressources hydriques sans pour autant parler de gestion de l’érosion découlant des niveaux d’eau plus élevés prévus à l’avenir. Si le niveau du Saint-Laurent devait augmenter, il s’ensuivrait l’érosion de certaines des meilleures terres agricoles du Québec. Plus il y a d’eau, plus il y a d’érosion, et plus l’impact serait élevé sur le secteur. Par conséquent, j’aimerais que quelqu’un me parle de ce sujet.
Les Producteurs de grains ont parlé d’éliminer l’impact de la tarification du carbone sur les producteurs qu’ils représentent. De quelle façon proposez-vous d’y arriver? Proposez-vous que les producteurs de grains soient exclus du cadre de tarification du carbone en raison du caractère unique de l’industrie? Comme toujours, je reviens à mon argument initial sur la tarification du carbone, tandis que nous en parlons dans le cadre des travaux du Comité de l’agriculture. Les agriculteurs ne sont pas le problème principal, mais, la mauvaise nouvelle, c’est que les agriculteurs sont une des composantes importantes de la solution, alors vous êtes pris dans l’engrenage pour cette raison.
Voilà donc mes deux premières questions, et j’ai ici une liste de mes collègues qui aimeraient aussi vous poser des questions.
[Français]
M. Groleau : En ce qui concerne les phénomènes d’érosion, dans le secteur des terres agricoles, l’eau ne se retire pas aussi rapidement. On a des crues au printemps lorsqu’il y a de fortes pluies. Nos terres sont en bordure du fleuve, et non en bordure de la mer, où les vagues créent cette érosion. Le fleuve ne crée pas d’érosion. Lorsque le niveau est élevé, les terres restent inondées plus longtemps. On a l’enjeu de gérer à la fois les pratiques agricoles dans des terres qui, à l’occasion, sont inondées. Au Québec, c’est plus à ce niveau que l’enjeu se situe, soit celui de gérer l’eau qui inonde les terres.
M. Legault : En fait, c’est un bon commentaire. La réponse sera peut-être courte. Comment exclure les Producteurs de grains des systèmes de tarification? Certains systèmes sont plus simples. Lorsque ça s’applique comme une taxe, c’est peut-être beaucoup plus simple, comme c’est le cas dans l’Ouest canadien. Je ne sais pas exactement quelles provinces appliquent l’exemption de taxes.
C’est sûr que dans un système de gestion de droits d’émissions, cela devient un peu plus difficile. Vous savez comment cela fonctionne. Les compagnies doivent acheter des droits. Par la suite, la valeur de ces droits est transférée dans le prix des intrants ou des énergies que ces compagnies rendent disponibles aux utilisateurs. Donc, ça devient plus difficile d’exclure un groupe à ce niveau.
Aujourd’hui, je ne pourrais pas vous dire techniquement comment cela pourrait être géré d’un point de vue administratif. J’aurais beaucoup de difficulté à vous expliquer comment cela pourrait se faire, soit par une approche de taxation ou par la gestion d’un fonds vert qui serait accessible aux producteurs pour les dédommager relativement à leurs coûts. Les Producteurs de grains pourraient être assez imaginatifs pour trouver des solutions si le gouvernement en vient à accepter un tel principe. D’ailleurs, certains gouvernements provinciaux ont accepté l’idée.
Au Québec et en Ontario, c’est assez particulier. Je ne sais pas, en Ontario, où ils en sont rendus dans leur réflexion à ce sujet. Ils devraient implanter eux autres aussi, et si ce n’est pas déjà fait, un système de gestion des droits des émissions. Au Québec, je vous dirais qu’aujourd’hui, on n’a pas vraiment de réponse concrète à vous donner sur comment techniquement, d’un point de vue administratif, on pourrait appliquer cette façon de faire.
Le sénateur Dagenais : Merci, messieurs, de votre présentation. Je vais revenir sur la fameuse taxe sur le carbone. Depuis le début, je pense que la taxe sur le carbone est une espèce de grande improvisation qui aide à faire paraître le Canada comme un pays écologique à l’échelle mondiale. Cependant, le pays ne se préoccupe pas des impacts économiques sur l’agriculture.
Je constate, et vous l’avez dit, qu’il y a quand même une certaine iniquité dans l’application de cette taxe par rapport aux différentes provinces. Faites-nous part des recommandations que vous souhaitez qu’on transmette au gouvernement dans le cadre de notre rapport. Parce qu’actuellement, une taxe, c’est une taxe. Je ne pense pas que cette taxe sera utile pour l’agriculture ni que l’argent reviendra aux agriculteurs. Nous sommes au Québec et j’aimerais faire une comparaison avec la SAAQ. Vous savez, à la SAAQ, on paie un peu plus cher notre permis de conduire, notre plaque d’immatriculation, puis on dit qu’on retourne l’argent sur les routes. Hier, j’ai emprunté la 40. C’est trop peu trop tard. On n’investit pas l’argent au bon endroit. Je comprends vos préoccupations.
J’aimerais entendre votre point de vue à ce sujet. De toute évidence, cette taxe créera de la pression sur les agriculteurs. Je suis un agriculteur. J’ai une ferme familiale. Avez-vous entendu dire que certains agriculteurs hésitent maintenant à bâtir une relève familiale en raison des coûts qui vont se répercuter?
Vous l’avez mentionné aussi. Cette taxe aura des répercussions sur beaucoup de choses, les grains, le transport, et cetera. C’est une taxe par-dessus une taxe par-dessus une taxe. Vous subissez la pression des États-Unis. J’aimerais savoir quelles recommandations vous souhaiteriez qu’on insère dans notre rapport pour dire au gouvernement en place : écoutez et arrêtez.
On est au courant de ce qui se passe en Ontario et au Québec. Le premier ministre serait peut-être mieux au Parti vert parce qu’il est très écologiste. Il faut penser aussi aux producteurs et je pense que cette taxe nuira aux agriculteurs. C’est bien de penser aux changements climatiques, mais il faut trouver le moyen de s’entendre.
Hier, j’écoutais la radio et ce n’est pas tout le monde qui est d’accord en ce qui concerne les changements climatiques. Les changements sont plus forts, mais ils ne sont peut-être pas si fréquents que cela. Alors, j’aimerais vous entendre à ce sujet. Évidemment, ma question s’adresse aux trois participants.
M. Legault : Je pourrais peut-être commencer en énonçant un point de vue global. Le problème qu’on vit beaucoup en agriculture, sous plusieurs aspects, c’est que lorsqu’il y a une dynamique internationale qu’on essaie de régler juste à un endroit, il y a un problème. Ailleurs, ils ne le font pas et on perd notre avantage concurrentiel. La gestion des émissions de carbone, il faut le faire. Il faut le faire, mais il faudrait que tout le monde le fasse en même temps.
Je trouve ça dommage, et je ne porterai pas de jugement sur ce qu’on fait dans les autres domaines, mais en agriculture, ce qu’on constate, c’est qu’on veut donner l’exemple, mais c’est comme si on sacrifiait une activité économique, les producteurs et leurs familles qui en vivent. C’est un peu le sentiment qu’ont les producteurs.
On souhaite que ça se fasse. Le Canada demeure quand même un petit pays par rapport à des géants comme l’Union européenne et les États-Unis. Donc c’est toujours difficile d’implanter des contraintes ici, alors qu’ils ne les ont pas ailleurs. On le vit et on le vivra peut-être encore plus fortement dans d’autres domaines. Donc le carbone, c’est une réalité très forte et on le vit même à l’intérieur du Canada, comme vous le dites.
Ce n’est plus juste une question de nous et les Américains. C’est une question de nous à l’intérieur du Canada. Aujourd’hui, le grain de l’Ouest canadien, qui entre régulièrement dans ma région, et j’en suis très fier aussi, c’est le mouvement naturel des grains. Ce grain vient faire concurrence avec le grain du Québec. C’est naturel, mais il arrive produit et livré dans un contexte qui n’est plus égal.
Dans certaines provinces, on a dit qu’elles n’assumeraient pas de coûts liés à la tarification. Ce grain arrive chez nous pour faire concurrence au grain du Québec. Il y a quelque chose d’injuste, même à l’échelon canadien.
Nous, on cible souvent les enjeux avec les États-Unis, et ce serait un défi si on l’appliquait à l’échelle provinciale. Premièrement, il devrait y avoir une forme d’imposition pour les produits importés, surtout pour les produits en provenance des États-Unis. D’un point de vue interprovincial, cela serait plus compliqué à faire.
Deuxièmement, les producteurs commencent-ils à ressentir les effets de telles politiques? En fait, c’est ce qui est un peu plus sournois de la tarification. Je ne pense pas que ceux qui l’ont mise en place avaient cette intention. Souvent, on met ça en place et on oublie certains secteurs d’activités et certaines des répercussions. Nous avons de la difficulté à évaluer quel est le coût de cette politique de tarification du carbone pour le secteur du grain.
Le producteur, quant à lui, il le voit et il le constate : ses coûts de production augmentent. En tant qu’organisme, j’ai de la difficulté à faire un calcul précis. C’est encore plus difficile pour les producteurs de le capter. Mais ils le savent. On en a parlé dans l’Ouest. En Ontario, il y a eu de bonnes discussions lors d’assemblées générales réunissant des producteurs agricoles.
Être moins compétitif est un nouvel élément de contraintes et de coûts qui rend la production agricole moins attrayante. Lorsqu’on se fait dire qu’on sera moins compétitifs que nos concurrents, ce n’est pas encourageant pour la relève. Le problème avec ces nouvelles contraintes — que je qualifie de « sociales » et qui deviennent un tout autre enjeu quand on veut les appliquer ici, mais qui pourtant ne sont pas appliquées ailleurs —, c’est qu’elles sont difficiles à comptabiliser et à planifier.
Il est difficile pour un producteur aujourd’hui d’évaluer quelle sera sa rentabilité dans cinq, six, sept, huit, quinze ans. Alors que là, il prend un prêt, il renouvelle un prêt ou j’ai une relève qui prend une nouvelle ferme. Il s’engage pour 15, 20 ou 25 ans. Comme vous l’avez dit, ce n’est pas très encourageant en termes de contraintes et de coûts.
Le comité sénatorial et le président de l’UPA pourront ajouter des commentaires, mais pour l’instant, on se trouve plus dans une dynamique qui est néfaste pour le secteur. Je ne peux pas arriver aujourd’hui avec des mesures. J’ai des mesures à proposer, mais je ne peux pas vous dire comment elles s’appliqueraient dans la réalité juridique du Canada, du point de vue constitutionnel, comment imposer un genre de taxe à la réciprocité au niveau du carbone par rapport aux produits importés des États-Unis.
Ce serait une bonne approche à envisager. On trouve que c’est une belle façon de démontrer qu’on est un pays ouvert. On implante des mesures, mais on veut aussi qu’elles soient équitables. Dans le cadre de cette politique de gestion du carbone, il serait bien aussi d’imposer des mesures aux pays qui ne le font pas et avec lesquels on fait du commerce pour s’assurer que notre économie, notre production agricole locale n’est pas affectée ou qu’on minimise au maximum cet aspect.
En même temps, la meilleure façon d’aider les producteurs est de les appuyer avec des actions concrètes. C’est sûr que la solution réside dans la recherche publique. Daniel Bernier et le président de l’UPA l’ont dit et le diront encore. Quand on se compare à certains pays, on a encore beaucoup de chemin à faire en termes de soutien public. Il y a une bonne décroissance du soutien public à la recherche.
On nous dit souvent que cela a augmenté au cours des dernières années. Quand on s’arrête pour regarder comment a évolué le soutien à la recherche publique depuis 1994, cela a fondu comme de la neige au soleil. Il y a eu une chute spectaculaire du soutien en recherche publique. Quand on ramène cela en dollars, notre capacité de recherche a fondu depuis 1994 de façon importante. Je peux vous dire que c’est quasiment du un pour deux.
On constate qu’il y a eu une reprise des investissements. C’est intéressant, mais c’est sûr qu’on est encore loin. Si on veut aller plus loin et faire en sorte que nos producteurs soient encore plus compétitifs que les autres parce qu’ils ont à assumer des contraintes supérieures, il faut vraiment investir des sommes qui sont bien au-delà de ce qu’on dégage à l’heure actuelle.
Soit on investit en recherche et en soutien aux producteurs de façon très importante, bien au-delà de ce qu’on fait en ce moment, ou, à tout le moins, on leur permet d’évoluer dans un environnement équitable. Ce n’est vraiment pas le cas actuellement.
La sénatrice Tardif : J’ai une question complémentaire à celle de mon collègue, le sénateur Dagenais, à propos de la recherche publique. Je crois que, à l’Union des producteurs agricoles, vous faites aussi des investissements dans la recherche. Pouvez-vous me dire quelle part de la recherche est allouée à toute la question des stratégies d’adaptation et de mitigation?
M. Groleau : En fait, chaque groupe collabore. Les Producteurs de grains soutiennent un centre de recherche, le CEROM, le Centre de recherche sur les grains. Les producteurs de bovins et les producteurs de lait travaillent avec des centres de recherche et des universités. Nous, à l’UPA, on fait faire aussi des études. Comme Benoit Legault vient de le dire, ce sont des sommes défrayées par les producteurs pour soutenir des centres de recherche gouvernementaux. L’IRDA, l'Institut de recherche et de développement en agroenvironnement, est un autre centre de recherche.
Donc, oui, il y a une série de centres de recherche qui travaillent sur les changements climatiques, bien que ce ne soit pas la majorité de nos investissements en recherche qui vont dans ce secteur en particulier. On a beaucoup d’autres enjeux sur lesquels on fait de la recherche, tels que la réduction des pesticides, des herbicides, et cetera. Les méthodes alternatives à de telles solutions accaparent aussi une bonne partie des recherches qu’on finance, comme le bien-être animal.
Donc, cela s’ajoute maintenant aux enjeux auxquels font face les agriculteurs, mais les fonds disponibles pour soutenir la recherche dans ces secteurs posent problème. Par exemple, on n’est pas admissible au Fonds Vert, au Québec. On a très peu de recherches financées par le Fonds Vert en agriculture, actuellement. Alors, c’est un enjeu.
Un autre impact est que lorsque les taxes ne sont pas appliquées également à travers le pays. Cela incite à d’autres comportements au niveau des investissements. Si je suis un producteur en serre et que je m’installe au Québec, et que je sais qu’en 2022, mes coûts augmenteront de 15 p. 100 à 18 p. 100, mais que si je m’établis dans l’Ouest, je n’ai pas ces coûts — même si je dois payer des frais de transport pour me rendre sur les marchés —, je vais m’installer dans l’Ouest. On déplace les investissements par des décisions ou des taxes que les gouvernements n’appliquent pas uniformément.
Cela peut même inciter des producteurs à s’installer dans un autre pays parce qu’ils n’auront pas à assumer cette taxe pour les prochaines années. Alors, l’enjeu de l’équité fiscale au chapitre de la taxe sur le carbone est très très important pour les producteurs agricoles.
Les changements climatiques représentent un enjeu réel. Pour nous, il n’y a pas de doute là-dessus. C’est une réalité. Au Québec, depuis 1971, on a gagné l’équivalent de vingt jours de croissance supplémentaire. On s’attend à gagner un autre 20 jours de croissance d’ici 2050. Alors, oui, la température se réchauffe. On peut s’obstiner sur les causes, mais la température se réchauffe.
Donc, cela crée des enjeux. Quant à la taxe sur le carbone, je pense que le gouvernement fédéral devrait tout simplement exclure les agriculteurs parce qu’on est des producteurs de nourriture. On peut réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au transport en modifiant les moteurs, en favorisant le transport par rail plutôt que par camion. Il y a des alternatives.
Je demeure dans une région où il n’y a pas de gaz naturel et où je n’ai pas accès au courant triphasé. Je n’ai pas d’alternative à utiliser le diesel. Alors, vous avez beau me taxer, que voulez-vous que je fasse? C’est l’enjeu. Alors, je pense que le secteur agricole devrait être exclu de la taxe sur le carbone.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Merci de nous avoir présenté vos exposés ce matin.
J’ai une question sur laquelle j’aimerais revenir, et c’est le point que vous avez formulé, monsieur Legault, le fait de nourrir les gens. Je crois que vous avez dit que, si nous réduisons la consommation d’aliments, nous pourrions réduire les émissions de gaz à effet de serre. Par conséquent, je me demande : est-ce un problème de consommation ou de gaspillage? Puis, si nous voulons vraiment interagir avec le grand public pour fournir plus de renseignements et accroître la sensibilisation à ce sujet, de quelle façon faudrait-il s’y prendre? De quelle façon pourrions-nous mobiliser le public?
[Français]
M. Groleau : Lorsque je faisais la relation entre nourriture et aliments, et que je posais la question : est-ce que les gens seraient prêts à réduire leur consommation de nourriture pour qu’on diminue la production de gaz à effet de serre? C’était un peu une façon ironique de dire que ce sont les consommateurs, en fin de compte, qui ont le dernier mot. Nous, on répond à une demande. Est-ce qu’on pourrait consommer des aliments qui, à la source, produisent moins de gaz à effet de serre? Oui. Si on réduisait la consommation de viande, on produirait moins de gaz à effet de serre. C’est un fait connu parce que les animaux génèrent des gaz à effet de serre. L’élevage génère des gaz à effet de serre.
En matière de gaspillage alimentaire, tout ce qu’on produit à la ferme est vendu. Tout, sauf, à quelques rares exceptions près. Il n’y a pas de céréale qui n’est pas récoltée. Le gaspillage alimentaire ne se fait pas à la ferme, il se fait par la suite. Les gens jettent au lieu de récupérer, entre autres dans le milieu de la restauration en raison des méthodes de conservation. Nous, ce qu’on produit à la ferme, tout est vendu. Alors, le gaspillage ne se situe pas au niveau de la ferme, c’est certain.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : En fait, je n’ai pas obtenu une réponse sur le volet de la question concernant la sensibilisation du public. Si le problème est de ce côté-là, de quelle façon pouvons-nous sensibiliser le public et quelle responsabilité ont vos organisations dans ce processus? De quelle façon pouvez-vous créer des partenariats avec d’autres intervenants pour y arriver?
[Français]
M. Groleau : L’éducation commence à un très jeune âge et à l’école. On l’a vu avec la récupération des matières réutilisables. C’est à l’école que cette préoccupation s’est installée dans l’esprit des enfants. Ils sont devenus de meilleurs récupérateurs. Ils ont même encouragé leur famille à adopter de meilleures habitudes.
Nous l’avons souvent suggéré dans plusieurs mémoires qu’on a déposés. Sur le plan alimentaire, on devrait mieux former les enfants pour qu’ils deviennent de meilleurs consommateurs. Les campagnes de sensibilisation publiques donnent des résultats limités par rapport à de tels enjeux parce que le changement des habitudes alimentaires se fait à long terme. Ce n’est pas quelque chose qu’on fait, à moins de suivre un régime. On sait que bien souvent, les gens reviennent, malgré tout, à leurs vieilles habitudes. Donc, le changement des habitudes alimentaires se fait à long terme et cela commence par l’éducation des enfants.
M. Legault : J’aimerais ajouter que la réalité est différente d’une province à l’autre. Agir sur la réalité locale, sur la population, sur la société d’ici, c’est une chose. En même temps, l’agriculture interagit beaucoup avec la société en dehors du Canada et du Québec. On exporte. Il y a aussi ce dilemme. Je pourrais vous dire qu’on s’améliore au Canada. La consommation de viande diminue.
On a de bons taux. Dans toute la chaîne de valeurs, on s’est amélioré beaucoup, et le consommateur est au cœur de cela. Sauf qu’il y a le « ailleurs ». Ailleurs, la tendance est différente. L’Asie veut consommer plus de viande. Alors, l’agriculture québécoise est au cœur de cela aussi. Elle doit répondre. C’est le défi important qu’on a, et il n’est pas facile à gérer, soit de faire face à la réalité de l’exportation et à la réalité locale qui ne sont souvent pas tout à fait pareilles. Le producteur a le défi de répondre aux deux en même temps. C’est tout un défi pour l’agriculture du Québec et l’agriculture canadienne.
La sénatrice Tardif : Merci, monsieur le président. Alors, j’aimerais revenir aux interventions que vous avez suggérées pour réduire les émissions de GES liées aux phénomènes biologiques. Vous avez indiqué que chacune de ces interventions offrait un potentiel de réduction, mais qu’il n’y avait pas de protocole de quantification des réductions spécifiques au secteur agricole, sauf celui reconnu par la Western Climate Initiative (WCI). Pouvez-vous nous donner plus d’informations et sur les actions qu’on devrait prendre pour assurer que davantage de protocoles soient mis en place?
M. Bernier : Oui. En matière de protocole de quantification, il nous faut des scientifiques qui se penchent sur une question et qui déterminent la réelle réduction des gaz à effet de serre associée à une bonne pratique. C’est facile de dire que telle ou telle pratique contribue à réduire les gaz à effet de serre, mais en agriculture, il faut être capable de la mesurer. Quand on parle d’objectifs de réduction des gaz à effet de serre, cela implique qu’on soit capable de mesurer ce qu’on fait.
D’ailleurs, c’est tout le défi dans le marché du carbone. Si on veut « mettre en vente une réduction » que pourra acheter quelqu’un qui a besoin de réduire, il faut être capable de quantifier cela de façon rigoureuse et de faire certifier que cette réduction, elle a bel et bien eu lieu, qu’elle est réelle, et qu’elle est récurrente.
Actuellement, avec le marché du carbone, ce qui est prévu, c’est que pour les activités agricoles qui contribuent à réduire les gaz à effet de serre, on peut mettre en marché des crédits compensatoires lorsqu’on adopte une pratique telle que décrite dans un protocole de quantification. Comme on le mentionne dans le mémoire, il n’y en a qu’un seul de reconnu pour le marché, pour la WCI, donc le marché du carbone entre le Québec et la Californie, et éventuellement l’Ontario.
Donc, pour avoir davantage de protocoles, il faut de la recherche. Idéalement, ça prend l’État qui finance de la recherche, qui crée des incitatifs pour que de tels protocoles soient développés parce que c’est très coûteux à développer, un protocole de quantification. Cela représente des années de recherche. Il faut aussi un consensus entre les scientifiques pour établir de quelle façon on doit réaliser la pratique et de quelle façon on doit mesurer la réduction de gaz à effet de serre.
Actuellement, on sait qu’il y en a quelques-uns qui sont en préparation. On en parle depuis quelques années et c’est constamment retardé. Il y en a un, en principe, qui devrait être disponible pour gérer différemment l’alimentation des ruminants. Il y en a un pour les grandes cultures, pour la gestion de l’azote.
C’est très long avant de rendre ces protocoles disponibles. On espérait que le gouvernement puisse mettre davantage de ressources pour développer ces protocoles, par l’entremise de la recherche.
La sénatrice Tardif : Évidemment, c’est une recommandation que vous nous faites en ce sens. Vous avez aussi parlé de la nécessité d’améliorer le transfert des connaissances et que les données, souvent, n’étaient pas disponibles. Je crois que c’est crucial. Alors, comment y arriver?
M. Bernier : Encore là, quand on parle de réduction de gaz à effet de serre, c’est quelque chose d’abstrait, a priori. Dans une activité agricole, qu’est-ce qui émet réellement des gaz à effet de serre? Comment peut-on interagir et modifier nos pratiques pour réduire les gaz à effet de serre? Ce sont des questions très complexes.
Au-delà de la recherche, il faudra du transfert de connaissances, des services-conseils qui sont spécialisés dans le domaine, qui pourront accompagner les entreprises agricoles dans la mise en œuvre de ces nouvelles pratiques. Le transfert de connaissances est fondamental parce qu’on est dans quelque chose d’abstrait, a priori.
La sénatrice Tardif : Y-a-t-il y a des mécanismes en place en ce moment où les fermiers peuvent échanger les meilleures pratiques pour réduire, entre autres, le CO2?
M. Bernier : Très peu. Quelques initiatives ont été menées ici et là, mais c’est toujours ponctuel. Il n’y a pas de continuité dans le temps. Les activités de sensibilisation dans ce domaine sont marginales.
M. Legault : Si vous me permettez de réitérer un élément que j’ai dit plus tôt, c’est que ces nouveaux gains qu’on souhaite avoir en agriculture, ils sont beaucoup plus risqués et beaucoup moins attrayants pour le producteur sur le plan économique. C’est très intéressant la réduction des émissions de GES du point de vue des enjeux sociaux. Cependant, ces gains coûteront plus cher aux producteurs en termes de risques. En sous, on verra, mais en termes de risques, c’est beaucoup plus élevé.
Daniel y a fait référence et moi aussi. Il y a un enjeu au cœur de la fertilisation sur le plan du rendement et de la rentabilité. À quel point le producteur peut raffiner sa fertilisation, la baisser ou, à tout le moins, mieux capter ces fertilisants pour qu’ils ne soient pas perdus dans l’atmosphère? Combien va-t-il perdre en termes de rendement pour faire un effort de fertilisation plus raffinée? Parce qu’il est déjà très raffiné. Il faut aller plus loin.
Au stade où nous en sommes, ça va prendre, selon nous, beaucoup plus de connaissances et un soutien au producteur pour l’aider à faire face à ces nouveaux risques, qui sont beaucoup plus élevés. Il y a un enjeu de connaissances parce qu’on est plus dans le raffinement au niveau de la fertilisation. Il y a un enjeu de soutien parce qu’on tombe beaucoup plus dans l’inconnu.
On pense que ce ne sont pas juste les producteurs qui devraient subir les contrecoups de ces inconnus. Il manque encore beaucoup de connaissances pour aller dans ce raffinement à moindres risques.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Ma question concerne le transport. Lorsqu’on a une bonne récolte, il faut la transporter rapidement vers le marché. En ce qui a trait à l’argent de la taxe sur le carbone recueilli par le gouvernement, savez-vous si le gouvernement réinvestit les fonds dans le transport afin d’aider les agriculteurs à transporter leur production?
[Français]
M. Legault : La réponse est non. Déjà là, on contestait le fait qu’ils réinvestissent dans le transport en général, certainement pas pour améliorer le transport et la logistique, et la performance du transport des produits agricoles.
En même temps, ce qui est particulier, c’est que le transport des produits de grain, de la ferme vers l’utilisateur, ou peut-être vers les terminaux portuaires pour l’exportation, c’est une fraction de l’empreinte carbone. On parle d’environ 3 p. 100 dans le cas du maïs. Ce n’est pas une partie de l’empreinte qui est très forte.
Il y a un coût quand même important. Les chiffres ne me reviennent pas parce que le 4 000 $ dont je vous faisais mention tantôt, ou 2 $ la tonne, cela inclut les coûts de transport.
Le plus gros coût, c’est principalement le diesel utilisé sur la ferme. Cela représente un coût indirect en raison de l’augmentation du prix du diesel et du propane, dans le cas du maïs. Je m’aventurerais à dire que les coûts de transport de la ferme vers l’utilisateur représentent environ 25 p. 100 de la facture.
Pour répondre plus précisément à votre question, c’est sûr et clair, je n’ai pas de document pour vous le prouver, mais mon impression forte. C’est que non, effectivement, le gouvernement n’investit pas du tout dans des mesures pour améliorer les enjeux liés au transport du grain ou des produits agricoles en général.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Votre organisation demande-t-elle au gouvernement d’investir?
[Français]
M. Groleau : En matière de transport, comme je le disais tout à l’heure, il y a des équipements qui sont plus performants que d’autres, qui permettent de réduire les coûts de transport. Il y a des moteurs plus performants.
Donc, les gens qui travaillent dans le secteur des transports ont des alternatives. Le marché fait en sorte que les plus compétitifs se développent ou forcent les autres à devenir plus compétitifs. Il n’y a pas de camionneurs américains qui viendront faire du transport au Canada parce qu’ils ne paient pas la taxe sur le carbone. Ils achèteront leur diesel ici.
Alors, on est dans un milieu compétitif. Cette taxe, dans ce milieu, engendrera probablement des changements de comportement, une amélioration de la logistique, et fera en sorte que les camions rouleront moins inutilement. Donc, cette taxe sur le transport favorisera une meilleure utilisation des énergies fossiles ou une réduction des énergies fossiles.
Dans le cas du secteur agricole, on ne peut pas. Si je suis un producteur, je n’ai pas d’autre option que l’énergie fossile. C’est là où on se trouve devant deux enjeux différents.
Par exemple, dans le secteur aérien, les transporteurs vont vers des avions plus légers, plus économiques, qui permettent d’économiser du carburant. Donc, avec la taxe, on est gagnant sur le plan environnemental. Pour nous, c’est très difficile de réaliser de tels gains parce qu’on ne peut pas les transférer au marché. On n’a pas d’option ou d’alternative en ce moment.
Il est fondamental d’investir dans la recherche pour trouver des alternatives. Il faut investir pour qu’on ait accès au gaz naturel afin de remplacer l’huile dans les serres, ou la biomasse, ou le triphasé. Il faut donc une approche spécifique au secteur agricole.
Le sénateur Dagenais : Croyez-vous que le gouvernement pourrait indemniser les agriculteurs qui versent une taxe sur le carbone au moyen d’un crédit pour aider les agriculteurs à se munir d’équipements moins énergivores?
L’année dernière, j’ai visité deux fermes laitières, dont l’une d’entre elles était entièrement automatisée. C’était fascinant à voir. Je pense que pour inciter les agriculteurs à moderniser leur équipement ou à réduire les gaz à effet de serre, le gouvernement devrait accorder un crédit. Je comprends que cela ne se fait pas en ce moment, mais on pourrait faire cette recommandation dans notre rapport en disant que la taxe sur le carbone doit retourner aux agriculteurs sous forme de crédits pour les aider à moderniser leur équipement et à réduire les gaz à effet de serre.
Il faudrait investir dans la recherche ou, du moins, accorder des crédits qui pourraient aider les agriculteurs à réduire les émissions des GES.
Si j’ai bien compris, jusqu’à présent, vous allez payer une taxe sur le carbone, puis elle sera dans une bourse du carbone et vous n’en verrez pas la couleur.
La sénatrice Tardif : On a beaucoup parlé de la tarification du carbone aujourd’hui. Comment cela se passe-t-il dans l’Union européenne? Les agriculteurs sont dans un système d’échange de crédits. Comment sont-ils affectés, eux? Avez-vous des discussions avec vos collègues européens?
M. Groleau : La politique agricole commune apporte un grand soutien à tout ce qui s’appelle investissements en bien-être animal ou en amélioration énergétique. En Europe, le pétrole a toujours été plus onéreux qu’en Amérique. Ils sont, depuis longtemps, en avance sur l’économie énergétique.
Ils sont aussi en transition en matière de « décarbonisation » de l’énergie. Il y a beaucoup de programmes qui soutiennent, en Allemagne, des « biodigesteurs » à la ferme pour récupérer le méthane du fumier. De plus, l’électricité est rachetée par l’État à des prix intéressants.
L’énergie éolienne et l’énergie solaire sont aussi d’autres exemples en Europe, notamment l’utilisation de panneaux solaires sur des bâtiments de ferme pour récupérer l’énergie. L’approche en Europe est très axée sur l’investissement plutôt que sur la taxation. On soutient l’investissement pour produire des énergies propres et on utilise le secteur agricole pour faire ces investissements.
Alors, cela pourrait être un volet intéressant pour l’agriculture du Canada aussi.
[Traduction]
Le vice-président : Messieurs, merci beaucoup de nous avoir présenté vos exposés. Vous avez généré beaucoup de discussions, ici, et vous nous avez aussi beaucoup fait réfléchir à des choses dont nous devrons tenir compte lorsque nous déterminerons, au bout du compte, le contenu de notre rapport. Vous avez participé de façon très importante à notre étude, et je vous en remercie.
Nous passons à notre dernier groupe de témoins. Nous accueillons un éventail de personnes, Sidney Ribaux, cofondateur et directeur général, et Claire Bolduc, membre du conseil d’administration, d’Équiterre, Caroline Larrivée, chef d’équipe, Vulnérabilités, impacts et adaptation, d’Ouranos, Andrew Gonzalez, directeur du Centre de la science de la biodiversité du Québec, et Jean Nolet, président-directeur général de COOP Carbone.
Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Je vais vous demander de présenter vos exposés, après quoi nous procéderons à une séance de questions et de réponses.
Monsieur Gonzalez.
Andrew Gonzalez, directeur, Centre de la science de la biodiversité du Québec : Merci beaucoup, monsieur le président, et merci beaucoup, mesdames et messieurs les sénateurs, du temps que vous m’accordez. Je suis très heureux d’être ici aujourd’hui pour vous parler et formuler certaines idées et certaines recommandations du Centre de la science de la biodiversité du Québec. Je m’appelle Andrew Gonzalez et je suis directeur du CSBQ. Vous avez probablement une copie du rapport que j’ai fourni. Il est en français et en anglais, et je vais vous en faire lecture aujourd’hui.
L’un des défis scientifiques et sociaux les plus importants du siècle, c’est de comprendre de quelle façon la diversité biologique et les écosystèmes canadiens réagissent aux changements climatiques. L’économie du Québec et du Canada est fondée sur des écosystèmes et des ressources naturelles sains et résilients. Les analyses de la valeur de notre richesse écologique ou du capital naturel provinciaux et nationaux ont montré à maintes reprises qu’on parle de dizaines ou de centaines de milliards de dollars par année.
La biodiversité est la source de l’adaptation et de la résilience, mais elle est menacée. De quelle façon pouvons-nous atténuer les risques découlant de l’accélération des changements liés à la biodiversité et des changements climatiques continus? Le Centre de la science de la biodiversité du Québec est une source de connaissances, d’expertise et de formation unique dans le domaine scientifique de la biodiversité qui se concentre sur l’évaluation des causes et des conséquences des changements liés à la biodiversité. Fondé en 2009 et hébergé à l’Université McGill, le CSBQ est une grappe stratégique du FQRNT comptant plus de 120 professeurs et 750 étudiants diplômés d’autres universités québécoises et de plusieurs autres organisations du Québec et du Canada.
Les données et les prévisions découlant des recherches du CSBQ indiquent de façon constante que les humains sont responsables des très hauts taux de changements liés à la biodiversité qui ont des répercussions majeures sur notre économie et l’environnement. Nous réalisons des recherches axées sur les solutions et formulons des recommandations pour assurer la durabilité environnementale.
La biodiversité urbaine, agricole, maritime et celle liée à l’eau douce du Canada réagissent rapidement aux répercussions de la présence humaine, mais la science doit évaluer de quelle façon cela influe sur l’adaptabilité de notre biodiversité et sur les services écosystémiques qu’elle fournit à notre économie. Nous devons mettre en place des mesures pour observer et quantifier les tendances liées à la biodiversité de façon à nous assurer que nous pouvons assurer une gestion adaptative qui permettra d’assurer sa résilience à long terme. Les recherches réalisées par le CSBQ nous poussent à recommander la mise en place d’un système d’observation de la biodiversité pour nos écosystèmes agricoles et nos forêts. Les nouvelles technologies peuvent générer des données quasiment en temps réel qui peuvent être utilisées dans des modèles permettant de prévoir ce qui nous attend. Cette infrastructure pourrait fournir des indicateurs et des avertissements précoces de perte critique d’adaptation et de résilience de nos écosystèmes agricoles.
Beaucoup de propositions visant à atteindre l’objectif double d’accroître la production agricole tout en réduisant l’impact environnemental sont fondées sur l’augmentation de l’efficience de la production, tout en évitant les résultats inattendus, comme la perte de la biodiversité. On n’a qu’à penser ici à l’extinction des espèces pollinisatrices qui influent sur nos cultures ou à la pollution de l’eau et aux émissions de gaz à effet de serre. Même si des efficiences accrues du côté de la production sont presque assurément nécessaires, elles ne seront pas suffisantes, et, dans de nombreux cas, elles réduiront la résilience agricole à long terme, par exemple, en dégradant les sols et en augmentant la vulnérabilité des systèmes agricoles à l’égard des ravageurs, des pandémies de maladie et des chocs climatiques.
Le message clé lié à nos écosystèmes agricoles, c’est que nous devons gérer leur capacité d’adaptation. Nous devons utiliser des approches globales de l’aménagement fondées sur des mesures de la persistance, de l’adaptation et de la transformation. Nous sommes bons pour assurer la persistance grâce à des subventions et d’autres techniques pour maintenir les systèmes agricoles en place, mais nous le sommes beaucoup moins lorsqu’il est question d’adaptation. Nous devons éviter les résultats négatifs, ces effets négatifs sur l’environnement découlant des pratiques fondées sur une optimisation à court terme de la production, parce qu’ils minent la résilience à long terme. Il y a rarement des pratiques en place pour permettre une transformation sans effondrement du système.
Par exemple, les recherches au CSBQ financées conjointement par la Fondation canadienne pour l’innovation se penchent sur des solutions novatrices, sociales et économiques afin de gérer la perte irréversible de la qualité de l’eau, de la qualité des eaux douces — par exemple, attribuable à l’eutrophisation qui se produit lorsque nous ajoutons des fertilisants à notre eau — ou le signe des floraisons bactériennes qui sont si toxiques.
Cette perte de la qualité de l’eau survient en raison du ruissellement de fertilisants et de pesticides des champs vers les cours d’eau de nos paysages. Mais nous avons besoin de projets novateurs qui reconnaissent le coût de ces effets sur l’environnement et la valeur de l’ensemble complet des services écosystémiques sur nos terres agricoles. Les agriculteurs devraient être récompensés pour l’adoption de pratiques qui améliorent la biodiversité, si essentielle pour la résilience du système.
Dans une étude, financée conjointement par Ouranos, nous nous sommes concentrés sur l’adaptation aux changements climatiques dans la région du sud-ouest des basses-terres du St-Laurent, autour de Montréal. Nous avons proposé la protection d’un réseau de forêts. Ce plan repose sur la gestion de la configuration de nos paysages, de sorte que la biodiversité forestière et agricole qu’ils renferment puisse exister en coadaptation avec les changements climatiques. J’ai présenté cette recherche lors du Forum économique de Davos plus tôt cette année, dans le but de communiquer ces connaissances d’une façon générale. Nous travaillons maintenant avec de nombreux intervenants, y compris des villes, des municipalités et des ONG comme Conservation de la nature Canada, dans la région pour mettre en œuvre cette stratégie concernant la résilience.
Les incendies de forêt sont la cause principale de la perturbation des forêts dans la forêt boréale du Canada, une moyenne de 2,3 millions d’hectares étant brûlés annuellement. C’est un coût annuel qui s’élève à environ de 500 millions à 1 milliard de dollars.
Les études sur les changements climatiques prévoient des changements importants dans les cycles de feu, comme des augmentations de l’intensité, de la gravité et de la fréquence des incendies, et nous avons récemment pu en être témoins dans les actualités. Mme Liliana Perez, membre du CSBQ, et ses collaborateurs ont modélisé les incendies de forêt en fonction de divers scénarios de changement climatique. Leurs résultats donnent à penser que, selon tous les scénarios, l’aire moyenne brûlée augmentera probablement à l’échelle provinciale. Dans un scénario de maintien du statu quo, l’aire moyenne des forêts brûlées augmentera probablement de 30 p. 100 d’ici la fin du siècle. De plus, les limites des incendies vont se déplacer vers le nord et vers l’est, et, dans la plupart des endroits, le risque d’incendie va augmenter de façon importante.
En plus des incendies, nous avons la tordeuse des bourgeons de l’épinette. Les épidémies de tordeuse des bourgeons de l’épinette se produisent en ce moment même et changent la composition de nos forêts, tuant des millions d’arbres et coûtant à l’industrie des milliards de dollars. M. Patrick James, membre du CSBQ, a montré que la défoliation — ce qui signifie la perte des feuilles de nos arbres — causée par la tordeuse des bourgeons de l’épinette augmente le risque de feux d’origine naturelle se déclenchant de 8 à 10 ans après l’épidémie. Donc, ces deux choses, soit les changements climatiques et la tordeuse des bourgeons de l’épinette, agissent ensemble.
Étant donné que les changements climatiques devraient augmenter les incendies et l’activité des insectes dans la forêt septentrionale, il recommande que la défoliation causée par des insectes soit incluse dans les modèles de risque des incendies qui sont si essentiels à la gestion efficace des incendies et des forêts à long terme.
Je vais terminer avec quelques messages importants. Le Canada a besoin de systèmes d’observation et de surveillance de la biodiversité. Nous en avons un pour nos systèmes météorologiques, nous en avons un pour la pollution, et c’est une aberration que nous n’en ayons pas un pour notre diversité biologique. Nous en avons besoin. Nous avons besoin des données, nous avons besoin des prévisions qu’un tel système fournirait pour mettre en œuvre des pratiques d’adaptation que le comité, je crois, aimerait découvrir.
Les études climatiques de nos écosystèmes prévoient des changements importants dans les cycles de feu qui, nous le savons, vont augmenter l’intensité, la gravité et la fréquence des incendies et toucheront des millions de vies en plus d’avoir des répercussions énormes sur notre économie.
Nous avons besoin d’approches intégrées axées sur le paysage qui tiennent compte de la persistance, de l’adaptation et de la transformation pour assurer la résilience de nos agroécosystèmes. Cela signifie souvent l’innovation sociale, tout comme cela signifie l’innovation économique et scientifique. Nous devons travailler avec des intervenants sur le terrain afin de concevoir en collaboration avec eux des solutions pour l’avenir.
Des stratagèmes sociaux et économiques novateurs sont nécessaires pour aider les agriculteurs et les propriétaires fonciers à adapter leurs pratiques afin d’éviter ces résultats négatifs pour la biodiversité et les écosystèmes à long terme. Je vous rappelle ces ressources d’eaux douces précieuses que nous essayons de protéger.
Ce ne sont que quelques recommandations que les chercheurs du CSBQ aimeraient présenter au comité sénatorial. Nous sommes disponibles pour aider le comité par rapport à tout besoin futur qu’il pourrait avoir en matière de connaissances, d’expertise et de recommandations.
Merci de votre attention.
Le vice-président : Monsieur Gonzalez, merci beaucoup.
Monsieur Nolet, c’est à vous.
[Français]
Jean Nolet, président-directeur général, COOP Carbone : Bonjour, monsieur le président, messieurs les sénateurs et mesdames les sénatrices. Je suis très heureux d'être ici aujourd'hui pour présenter un peu ce qu'est la COOP Carbone et ce que l'on fait en termes de lutte aux changements climatiques relative à l'agriculture.
Juste pour vous situer rapidement, la COOP Carbone est une organisation qui a pour mission de générer des projets de réduction de gaz à effet de serre au Québec. J'ai choisi aujourd'hui de mettre l'accent sur cet aspect parce que d'abord, on n'a pas beaucoup de temps et plusieurs personnes parleront de l’adaptation.
On a pour mission de générer des projets de réduction de gaz à effet de serre au Québec. Comme on est une coopérative, on veut générer ces projets par l’entremise d’une action coopérative ou par des projets collaboratifs. Donc, c’est une particularité de la COOP Carbone.
À la COOP Carbone, on a deux principaux axes d'intervention quand vient le temps de parler de changements climatiques. On est des experts du marché du carbone. Donc, on fait des transactions sur le marché du carbone. D'autre part, on élabore des projets de réduction de gaz à effet de serre au Québec. Le volet transactions, sur lequel on vise à réaliser des profits, sert à générer des revenus qui seront ensuite utilisés pour lancer des projets de réduction de gaz à effet de serre au Québec. Donc, on fait du recyclage des revenus du marché du carbone à l'intérieur de la COOP Carbone pour pouvoir mener des projets, et cela, dans trois secteurs d'activités : le transport, l’énergie et l’agroalimentaire.
J’aimerais vous présenter de façon plus détaillée ce que l'on fait du côté agroalimentaire. Nous avons une initiative qui s'appelle « Agrocarbone » à la COOP Carbone. Ce projet vise principalement le secteur laitier.
On a ciblé le secteur laitier dans cette initiative parce qu’il c’est qu’il s’agit du secteur d'activité économique agroalimentaire le plus important au Québec. C’est là où on retrouve le plus d'entreprises agricoles. Par conséquent, c’est également là où se trouvent les plus grandes quantités d'émissions de gaz à effet de serre en agroalimentaire au Québec.
Vous avez une figure qui illustre l'importance des émissions de gaz à effet de serre. Pour la filière laitière dans son ensemble, on parle de 3.4 p. 100 des émissions au Québec. Quand on inclut l'agroalimentaire au total, et quand je dis « au total », cela veut dire que l'on inclut le transport des aliments. À titre d’exemple, les émissions de gaz à effet de serre dues au secteur agroalimentaire au Québec passent à 16 p. 100 du total des émissions de la province. C’est donc très important.
Si on se concentre maintenant sur le secteur laitier, surtout à la ferme d’où émane la majorité des émissions de gaz à effet de serre, on constate qu'une grande portion des émissions de gaz à effet de serre sont associées à la fermentation entérique. Donc, concrètement, ces émissions sont liées à la digestion des aliments par les vaches et à l'émanation de méthane qui en résulte, puis à la gestion des fumiers et des sols.
Quand on se demande ensuite ce que l'on peut faire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre en agriculture et si on se pose la question spécifiquement pour le secteur laitier, à la COOP Carbone, on a développé une approche que nous pensons intéressante. Il s’agit d’une approche axée sur la chaîne des valeurs, toute la « supply chain » finalement, donc depuis la ferme jusqu'à la distribution des aliments de façon à ne pas regarder le secteur en silo, mais bien dans son ensemble.
Cela nous permet d'aborder des projets beaucoup plus globaux qui auront un impact à la fois sur les producteurs agricoles, les transformateurs et, parfois, les transporteurs, notamment.
Pour élaborer ce projet, on est allé chercher différents partenaires, dont le ministère de l'Agriculture, le ministère de l'Environnement et le ministère de l'Économie. La MRC des Mascoutins participe également à ce projet parce que c’est la région agroalimentaire par excellence au Québec.
De plus, on est allé chercher les Producteurs laitiers du Québec, La Coop Fédérée, Agropur, Gaz Métro, ainsi que des partenaires financiers dont Fondaction et Desjardins. Rapidement, ce que nous avons cherché à faire dans ce projet, c’est d'abord de faire un diagnostic de la situation dans le secteur laitier. Ces diagnostics valent probablement pour plusieurs des productions agricoles au Québec.
En gros, très simplement, ce qui freine l'adoption de nouvelles pratiques qui permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur laitier, ce sont d'abord les facteurs économiques qui sont importants pour les producteurs agricoles parce qu’il s’agit bien souvent de petites entreprises qui n'ont pas nécessairement de grands moyens et qui ont aussi une certaine résistance naturelle aux changements.
Concrètement, les producteurs agricoles sont des gens très occupés qui travaillent très fort. Quand on leur demande de modifier leur comportement, il ne faut pas que cela leur demande du travail supplémentaire parce qu’ils sont déjà débordés. Donc, il y a là des freins naturels aux changements, non pas parce que les producteurs agricoles sont moins ouverts que d'autres aux changements, mais il y a une réalité à laquelle ils font face dont nous devons tenir compte lorsqu’on cherche à travailler dans ce secteur d'activités.
Un autre constat, c’est que les barrières auxquelles les producteurs font face peuvent être difficilement levées à l'échelle de l'entreprise. Cela prend des projets collectifs et des organisations collectives pour amener les producteurs à travailler ensemble afin de trouver des économies d'échelle pour faire en sorte que les projets se réalisent.
Enfin, dans le secteur agricole, on parle par définition d'un très grand nombre d'entreprises. Au Québec, on parle de 32 000 entreprises. Dans le secteur laitier, on parle d’environ 8 000 entreprises. Donc, une quantité importante d'émissions de gaz à effet de serre sont le fait d'une multitude de petits joueurs qui sont répartis sur le territoire.
Alors cela rend la tâche beaucoup plus complexe quand on veut réduire les émissions de gaz à effet de serre. On ne peut pas interpeller simplement quelques gros joueurs en disant qu’en ciblant les plus gros, on va faire le gros de la job. Non. En agriculture, en agroalimentaire, cela ne fonctionne pas.
À ce propos, qu'est-ce que cela veut dire? Cela nous indique que notre intuition de départ était bonne à la COOP Carbone, c’est-à-dire qu'il faut mettre en œuvre des projets collectifs et structurés si on veut obtenir des résultats qui feront une différence sur le terrain.
On n'a pas la prétention d'avoir cerné tous les types de projets sur lesquels il y aurait lieu de travailler dans l’avenir, mais pour la cause aujourd'hui, je vous en présente trois. On travaille sur un projet qu'on appelle chez nous le « projet fermentation entérique ». Concrètement, ce projet pourrait mener à modifier l'alimentation des vaches de façon à ce qu'elles émettent moins de méthane lors de leur digestion. Modifier l'alimentation des vaches veut dire, dans ce cas-ci, ajouter du lin à la ration alimentaire. Ce n’est pas de la haute technologie, mais c’est quelque chose qui, actuellement, ne se fait pas ou se fait très peu. Il y a des études scientifiques qui montrent que si l'on modifiait l'alimentation des vaches, on pourrait réduire grandement les émanations de méthane. Certaines études parlent de 30 p. 100 de réduction, mais nous parlons de 20 à 30 p. 100 de façon générale.
Alors nous avons un objectif ici dans ce projet qui est de réunir des acteurs significatifs dans le secteur. On parle actuellement avec des transformateurs, comme Danone, Nutrinor et Agropur qui sont des transformateurs qui pourraient s’intéresser à avoir un approvisionnement en lait différent, plus riche en oméga-3.
Les producteurs agricoles de leur côté pourraient voir les coûts de santé améliorés dans leurs troupeaux laitiers. Et, de façon générale, on pourrait arriver à mettre en place un projet qui a du sens économiquement et qui réduit les émissions de gaz à effet de serre.
Ici, je mets l'accent sur un élément. Au travers la description de ce projet, ce que je vous exprime, c’est que pour faire arriver des projets de réduction de gaz à effet de serre chez les producteurs agricoles, il ne suffit pas de leur dire : « Vous allez participer à l'effort collectif en réduisant les émissions de gaz à effet de serre sur la planète, et de ce fait, réduire les impacts des changements climatiques. »
Malheureusement, cela n'est pas suffisant comme motivation. Concrètement, il faut trouver des projets qui font une différence positive dans la vie des producteurs agricoles. Et ceci est vrai pour l'ensemble de la population, de toute façon. La clé, ce sont des projets qui font une différence positive dans la vie des gens, dans ce cas-ci, des producteurs agricoles et qui, en parallèle, vont réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Alors une partie appréciable de notre travail est d'identifier ce genre de projets qui ont du sens pour les gens, qui mériteraient d'être étendus et qui réduiraient les émissions de gaz à effet de serre en parallèle.
La biométhanisation est un autre exemple de projet que nous examinons à mettre en œuvre. En fait, on avance passablement dans ce genre de projet. Ici, concrètement, on parle d'utiliser les déchets provenant des entreprises agricoles, des fumiers et des lisiers, et de les « pooler » dans des bioréacteurs régionaux pour produire du biométhane qui pourrait être ensuite utilisé à toutes sortes de fins, et peut-être, dans certains cas, redistribué dans le réseau de Gaz Métro ou autrement, peut-être compressé et utilisé à d'autres fins par la suite.
Mais encore une fois, pour que le projet ait du sens, il faut amener des producteurs et probablement de petites municipalités à travailler ensemble dans de petits bioréacteurs régionaux. C’est ce qui pourra faire éventuellement la différence. Alors on travaille sur un projet dans ce sens actuellement.
Je pourrais vous nommer quand même plusieurs projets, mais tout en réservant du temps pour les questions du comité, je désire vous faire part, d’un autre projet sur lequel nous travaillons, soit la gestion d'énergie par agrégation d'entreprises.
Alors un constat que l'on fait, qui est valable en agriculture, mais également chez d'autres petites entreprises, c’est qu'il y a des gains en efficacité énergétique importants qui peuvent être faits dans les petites entreprises. Par contre, les petites entreprises sont confrontées au fait qu'elles sont centrées sur leurs activités principales. Elles ont peu de ressources. Elles n'ont pas l'expertise à l'interne. Et cette expertise, lorsqu'elle est à l'externe, leur paraît onéreuse pour les gains potentiels qu'ils pourraient réaliser en efficacité énergétique.
L'idée, c’est de les regrouper et de leur offrir une expertise commune qui est adaptée à leur réalité. En prenant, par exemple, les producteurs agricoles et les producteurs laitiers qui ont des réalités communes, on peut les regrouper, trouver quels sont les domaines qui les rassemblent en ce qui concerne la problématique de consommation d'énergie et ensuite, réduire les émissions de gaz à effet de serre par différentes techniques qui seront identifiées et qui leur seront propres.
Donc, encore là, projets collectifs de façon à aller chercher des réductions dans de multiples sources. Nous pensons que le mode coopératif ici peut faire une grande différence. Un commentaire que je peux faire d'ordre général : on a beaucoup de soutien à l'innovation technologique dans le cadre des programmes de lutte aux changements climatiques qui sont en train d'être mis en place au Canada et dans les différentes provinces.
Un enjeu auquel nous sommes confrontés dans les actions qu'on essaie de mettre en place, c’est qu’il ne s’agit pas nécessairement de nouvelles technologies pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Souvent, de telles technologies existent ou sont sur le point d'apparaître. Parfois, ce sont des mariages technologiques qui manquent.
On pourrait tout simplement utiliser et mieux marier les technologies de communication avec les technologies propres, les technologies environnementales qui sont développées. Mais ensuite, il faut travailler à tout mettre en œuvre afin que ces technologies soient adoptées. De notre côté, à la COOP Carbone, on se concentre sur les projets collectifs qui peuvent faire une différence. Alors, c’est ce que je voulais vous dire aujourd’hui.
Le vice-président : Merci beaucoup.
Monsieur Ribaux.
Sidney Ribaux, cofondateur et directeur général, Équiterre : Alors bonjour, tout le monde. Merci de l'invitation, puis de l'occasion de témoigner devant vous.
Mon nom est Sidney Ribaux, et je suis le directeur général et aussi le cofondateur de l'organisation Équiterre qui existe depuis 25 ans. Je vous souligne que Claire Bolduc, qui m'accompagne et qui siège à notre conseil d'administration, est agronome, a été présidente de l'Ordre des agronomes, présidente de Solidarité rurale du Québec et a aussi été directrice régionale pour le ministère de l'Environnement. Elle est donc l’une de nos expertes au sein d’Équiterre sur le dossier de l'agriculture.
Équiterre est une organisation citoyenne. On travaille sur deux enjeux depuis que l'on existe : les changements climatiques et l'agriculture. Donc, votre thématique d’aujourd'hui est tout à fait pertinente pour nous.
Rapidement, pour ceux qui ne nous connaissent pas, vous indiquer que nous sommes une organisation, comme je disais, composée de membres, soit 20 000 membres qui sont aussi notre principale source de financement. Cent quarante mille sympathisants, donc des gens qui nous lisent, qui nous suivent, qui participent à nos projets, des gens qui nous suivent de toutes sortes de façons.
On a des installations, des bureaux à Montréal, à Québec et à Ottawa. Et donc, on intervient à la fois directement auprès de citoyens par toutes sortes de projets, mais aussi auprès des gouvernements fédéral et provincial. Et dans une certaine mesure, on intervient sur des négociations internationales, notamment sur la question du climat.
Je vous donne un exemple de ce qu’Équiterre fait pour que vous compreniez un peu qui nous sommes. Alors on a mis sur pied, il y a maintenant plus de 20 ans, un réseau de fermes certifiées biologiques qui vendent directement leurs produits à des consommateurs. Alors on est parti avec sept fermes en 1996 qui nourrissaient 250 familles. Et cette année, ce sont plus de 112 fermes partout, dans toutes les régions du Québec, qui livrent leurs paniers de légumes dans 600 points de vente et qui nourrissent ainsi 60 000 personnes.
C’est un exemple, à une échelle très locale, de ce que l'on peut faire pour promouvoir des modes alternatifs de mise en marché des produits biologiques. Puis, vous allez voir pourquoi je vous parle en particulier de ce projet. On va revenir plus tard à cette question de promotion d'alimentation biologique.
Sur la question des changements climatiques et sur un autre niveau, Équiterre suit les négociations internationales sur le climat depuis qu'elles ont débuté en Allemagne en 1995. On a été présent à toutes les grandes conférences : Kyoto, Copenhague. Nous étions présents à Paris, où nous faisions partie de la délégation canadienne, comme nous l'avions aussi fait à plusieurs reprises auparavant.
On a participé à convaincre les gouvernements du Québec et du Canada à mettre en place plusieurs politiques en lien avec le climat et, entre autres, la bourse sur le carbone dont Jean a parlé un petit peu plus tôt. Voilà, c’est un enjeu qui est important pour nous.
Je vous ai remis le diagramme circulaire des émissions de gaz à effet de serre au Canada. Je suis certain que vous l'avez déjà vue. Mais je l'ai jointe pour deux raisons. Premièrement, pour vous dire que l'on est en train de faire beaucoup de progrès, même si l'on est encore aux balbutiements en ce qui a trait à la réduction des gaz à effet de serre de source des énergies fossiles.
Quant au charbon, il y a une orientation très claire au niveau du gouvernement fédéral et de plusieurs gouvernements provinciaux pour réduire l'utilisation du charbon. Le pétrole, également. Il y a plusieurs initiatives qui sont mises de l'avant, notamment les normes d'efficacité énergétique pour les voitures, la promotion des véhicules électriques. Récemment, la Chine a annoncé des cibles ambitieuses de pénétration du domaine des véhicules électriques.
Alors tout cela va avoir un impact considérable sur la réduction de consommation des énergies fossiles. Pourquoi est-ce que je vous parle de cela? Parce que dans 10 ou 15 ans, ce qui va rester comme enjeu, c’est effectivement la forêt et l'agriculture. Ce sont ces sources qui vont rester.
Donc, c’est une bonne idée de commencer à y penser maintenant parce que ce sont des réductions qui vont être plus difficiles, à notre avis, à obtenir. Mais ce sont des réductions qu’il faudra atteindre aussi, lorsqu'on regarde les objectifs qui ont été fixés à Paris ainsi que les objectifs aussi qui ont été adoptés par le Québec et l'Ontario, notamment qui visent une réduction de 80 à 95 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050.
Or, ces réductions nécessitent des réductions dans tous les secteurs, incluant l'agriculture, évidemment. L'autre raison pour laquelle je vous montre ce diagramme — et, ensuite, je vais céder la parole à Claire —, c’est que les 8 p. 100 que représente l'agriculture en ce qui a trait aux émissions de gaz à effet de serre excluent certains éléments importants – Jean en a parlé un petit peu –, mais qui sont liés à l'agriculture, notamment la production d'engrais qui ne rentre pas dans ces 8 p. 100. Dans certains cas, ce sont des engrais qui sont produits à l'extérieur du pays, mais dont il faut, à notre avis, quand même tenir compte lorsque l'on réfléchit aux mesures à mettre en place pour réduire les gaz à effet de serre au Canada.
Claire Bolduc, membre du conseil d'administration, Équiterre : Merci, Sidney. Alors comme M. Ribaux le faisait remarquer, le réseau des fermiers de famille en est un basé sur l'approvisionnement pour les familles en agriculture biologique. Et cela n'est pas anodin d'avoir retenu ce type d'agriculture pour lancer le réseau des fermiers de famille.
En effet, cette agriculture contribue largement à répondre à de nombreux besoins des citoyens canadiens. Mentionnons seulement que les objectifs retenus par l'agriculture biologique sont économiques et sociaux. Elle contribue à la réduction des impacts écologiquement néfastes de l'agriculture industrielle. Elle contribue à la production d'une agriculture saine et de haute qualité nutritive. Elle renforce la compétitivité de l'agriculture canadienne en ce moment. Le soutien et le développement rural ne sont pas à négliger non plus. C’est pour ces raisons que l'agriculture biologique a été le mode agricole qui a été retenu pour le réseau des fermiers de famille.
Si l’on regarde les secteurs qui contribuent le plus, dans les émissions agricoles, deux types d'activités sont particulièrement ciblés. M. Nolet a évoqué la fermentation entérique ou les animaux polygastriques. On a parlé de vaches laitières, mais les bovins de boucherie, les ovins et les caprins, les chèvres et les moutons sont aussi des polygastriques qui contribuent à l'émission de gaz à effet de serre. Ces gaz augmentent très significativement les quantités d'émissions.
Les sols agricoles sont également contributifs. Il faut savoir que le sol agricole que l'on travaille peut capter le CO2 ou en émettre. Et la façon dont on choisira de cultiver nos sols va faire en sorte qu'on capte plus ou qu'on émette plus de CO2 . Voilà pourquoi l'on met de l'avant la nécessité de promouvoir les pratiques d'agriculture biologique. Le mode d'agriculture en mode biologique permet une plus grande captation de CO2 et aide également à maintenir dans le sol le CO2 capté.
De fait, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture l’a analysé depuis le début des années 2000. C’était inscrit dans son rapport de 2001 ainsi que dans celui de 2008, et plus récemment, dans le rapport de 2016. On y voit que les évaluations du cycle de vie révèlent que dans les systèmes de production conventionnels, les émissions de gaz à effet de serre sont toujours supérieures à celles des systèmes biologiques.
De nombreuses expérimentations sur le terrain, partout dans le monde — particulièrement dans des pays qui nous ressemblent — comme l'Allemagne, la Suisse ou la France, montrent que la fertilisation biologique, comparativement à la fertilisation minérale, augmente le carbone biologique du sol et permet une meilleure captation du CO2 de l'atmosphère et son maintien dans le sol.
Si l'on évoquait, dès les années 2000, les grands avantages de l'agriculture biologique, il semble qu'il y ait des signaux que l'on n'a peut-être pas nécessairement perçus, mais qu'il y aurait peut-être un intérêt à les capter dès maintenant.
Selon les analyses et les études qu'a faites Équiterre, le potentiel de réduction de la consommation d'énergie fossile pour l'agriculture bio, c’est 45 p. 100 moins d'énergie utilisée qu'une entreprise conventionnelle. Ne serait-ce là, on voit déjà qu'il y a un avantage à miser sur la production biologique.
Et toujours selon la monographie produite par Équiterre, l'utilisation d'engrais azotés constitue l'un des principaux postes d'utilisation indirecte d'énergie en agriculture et serait même responsable du tiers de toute l'énergie consommée par les entreprises agricoles en général. Dans un tel contexte, on se doit de constater que non seulement l'agriculture biologique est une option très importante pour la réduction des gaz à effet de serre, mais c’est aussi une solution qui rend l'agriculture plus résiliente face aux changements climatiques.
Ceci est l'autre aspect du commentaire que l'on voulait vous livrer parce que les changements climatiques sont actuellement accélérés, imprévisibles et surprenants à bien des égards, autant en intensité au moment où ils se produisent, que sur les impacts qu'ils produisent sur les activités agricoles.
Choisir des modes d'agriculture biologique qui misent sur la connaissance agronomique d'abord avant de miser sur la technologie, comme le sont les intrants de synthèse, permet de développer une agriculture plus résiliente qui fait face à ces changements et qui permet de réfléchir à l'activité agricole plutôt que de simplement réagir aux changements.
D'ailleurs, quelques mesures qui permettraient de réduire les émissions de gaz à effet de serre en agriculture, outre le fait de miser sur la production biologique, ce serait aussi de miser sur la réduction de la production animale et de la consommation de viande, notamment les viandes rouges.
C’est un élément que la science ramène de l'avant de plus en plus fréquemment sur les risques de surconsommation de viande rouge. Et également sur les enjeux liés à la production animale, comme on l'a vu avec la fermentation entérique. Réduire l'utilisation des engrais chimiques en misant sur les engrais biologiques, le compost, les engrais verts, les cultures enfouies et aussi une réduction du travail du sol.
Bien entendu, il faut promouvoir l'agriculture biologique et améliorer l'efficacité énergétique des bâtiments agricoles. On reste un pays d'agriculture nordique. Il faut y songer. Réfléchir également aux performances des machineries agricoles utilisées en agriculture, à la manière de les améliorer, à leur entretien.
Voici quelques actions, pour réduire notamment la consommation de viande, qui pourraient être amenées. Le Guide alimentaire canadien est actuellement en révision. On a beaucoup parlé, depuis un an et demi, du Guide alimentaire brésilien, un guide alimentaire qui, au lieu de miser sur une portion et des nutriments pour induire une saine alimentation, mise sur des comportements et des choix d'aliments.
Dans le Guide alimentaire brésilien, aux pages 18 et 19, on cible clairement que la production et la consommation d'aliments biologiques est susceptible d'améliorer la santé des personnes et des écosystèmes.
On propose également de regarder les curriculums scolaires, les programmes pour faire une réelle éducation à la nutrition et, évidemment, une réelle éducation à l'environnement, mais aussi pour faire une vraie éducation à la nutrition, à la nécessité des aliments de proximité et des aliments de saison et à la nécessité de changer certaines habitudes alimentaires.
Je reviens au Guide alimentaire brésilien. On parle beaucoup de comportement, de préparer les aliments, de limiter l'utilisation ou la recherche d'aliments transformés ou ultra-transformés. Il y a des notions éducatives que l'on a besoin de se redonner.
La promotion, évidemment, des modes d'alimentation sains et des modes de santé où l'on peut réduire notre consommation de viande rouge est essentielle. La recherche et la sensibilisation sont d'autres actions et elles sont dans les capacités du gouvernement canadien.
Je reviens à l'agriculture biologique. Il s’agit d’un système de production qui mise sur la connaissance de la science agronomique. C’est un système de production qui bénéficie de tous les apports des sciences chimiques, botaniques, des sols, de la mécanique, des calculs, de l'alimentation animale, de la génétique et qui mise sur la compréhension des processus plutôt que sur l'application de recettes.
Soutenir efficacement la conversion de l'agriculture conventionnelle à l'agriculture biologique est susceptible de produire deux effets très positifs, celui de réduire les émissions de gaz à effet de serre de façon significative, particulièrement pour les sols, mais aussi de rendre l'agriculture plus résiliente.
Il y aurait également lieu de mettre en place un fonds fédéral dédié à la valorisation des produits biologiques pour appuyer leur mise en marché, notamment dans les marchés de proximité. On a peu parlé du transport des aliments et de l'effet que l'on dit tout de même négligeable sur les gaz à effet de serre. Mais rendre l'alimentation de proximité accessible aux personnes devient aussi une façon de contribuer à la réduction de gaz à effet de serre et devient également une belle façon de soutenir nos agricultures locales et nos communautés rurales.
Je laisse M. Ribaux terminer l’énumération des recommandations pour l'essor d'une agriculture plus durable au Canada et pour conclure la présentation.
M. Ribaux : Rapidement, les dernières recommandations sont les suivantes. Pour améliorer la performance environnementale de l'agriculture, lorsque l'on se compare aux pays de l'OCDE, le Canada doit rendre conditionnel le soutien à l'agriculture à l'adoption de bonnes pratiques agro-environnementales. Donc, autrement dit, il y a des agriculteurs qui pourraient être amenés à l'agriculture biologique, alors qu’on pourrait en amener d'autres à adopter de meilleures pratiques. Le type de condition que l'on donne au financement est important à cette étape et c’est un principe qui est reconnu un peu partout dans le monde.
Et, finalement, il s'agit d'attribuer les ressources nécessaires aux agriculteurs pour assurer un encadrement législatif et normatif qui garantit le maintien de la compétitivité de l'ensemble de l'industrie biologique canadienne. Essentiellement, ce que l'on veut dire par cette recommandation, c’est qu'il y a un système législatif qui encadre le domaine biologique, présentement, au Canada.
Mais l'évaluation que l'on en fait, c’est qu'on manque de ressources pour veiller à ce que ce système évolue, que les normes évoluent, que les types de produits, par exemple, qu'on utilise en agriculture biologique puissent évoluer de façon efficace. Voilà! Alors je vous remercie beaucoup pour ce temps que vous nous avez alloué.
Le vice-président : Merci beaucoup.
Madame Larrivée, s'il vous plaît.
Caroline Larrivée, chef d'équipe, Vulnérabilités, impacts et adaptation, Ouranos : Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs. Ça me fait plaisir et je vous suis très reconnaissante de l'occasion de pouvoir faire une présentation cet après-midi et de permettre d'alimenter un peu votre réflexion.
Ma présentation vise surtout à présenter un bref état des lieux sur les changements climatiques et ses effets pour les secteurs agricoles et forestiers, mais aussi le genre de mesures que l'on pourrait imaginer mettre en place pour nous aider à composer avec ces effets et ces impacts.
J'aimerais juste commencer en disant un bref mot sur l'organisation que je représente aujourd'hui. Donc, Ouranos est un consortium de recherche sur la climatologie et l'adaptation aux changements climatiques. On est une organisation frontière entre la recherche et la prise de décision.
On a été mis sur pied, notamment par les gouvernements, à différents paliers pour aider à produire une recherche qui aide à prendre une décision, qui aide à prendre des décisions plus éclairées. On fournit donc de l'information sur le système climatique, son évolution en fonction des changements climatiques, les vulnérabilités, les impacts associés pour plusieurs secteurs, dont l'agriculture et la foresterie. Et puis, on travaille aussi à une recherche qui est très collaborative en partenariat avec les praticiens et les décideurs pour faire en sorte que, en fait, la recherche demeure pertinente et que l'on aide à développer ou à analyser des mesures d'adaptation qui sont réalistes et qui puissent être mises en application.
On est une organisation à but non lucratif qui a plusieurs membres, dont plusieurs membres gouvernementaux à tous les paliers. Donc, notre action est surtout autour de l'adaptation aux changements climatiques. Mais je trouvais qu’il était quand même nécessaire de rappeler que les deux secteurs ont un rôle à jouer, comme mes collègues avant moi l’ont bien mentionné, dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est donc un rôle très important. C’est, en fait, la première étape à l'adaptation aux changements climatiques.
On ne pourra pas s'adapter à tout changement ou toute ampleur de changement, sans d’abord réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Les deux secteurs sont concernés par cet enjeu. En même temps, ce sont deux secteurs qui sont très sensibles aux conditions climatiques et qui en sont très affectés.
Au-delà des enjeux environnementaux, se posent aussi des enjeux sociaux et économiques très importants. Cela affecte la santé des populations, le mode de vie des populations. Il y a des enjeux économiques. Notamment, on peut penser aux régions qui dépendent énormément de ces activités.
Donc, il y a aussi des éléments sociaux et économiques à considérer en matière d'adaptation aux changements climatiques. Pour mieux comprendre, en fait, les impacts à la fois pour l'agriculture et pour la foresterie, il devient nécessaire de rappeler un peu le genre de changements auxquels on s'attend, sur le plan climatique.
Juste brièvement, donc, on s'attend quand même, avec un réchauffement du climat, à un allongement de la saison de croissance. On anticipe aussi des hivers plus doux, peut-être avec des redoux, un enneigement moins substantiel. Ceci est important pour les végétaux parce que cela peut les affecter négativement et positivement.
On prévoit aussi, pendant l'été, des périodes plus chaudes et plus sèches. Et l'on s'attend à des événements extrêmes, par exemple, des pluies excessives, une pluie qui tombe qui n'est pas toujours favorable, par exemple, à la production agricole ou à la croissance des forêts.
Mais donc, en fait, on peut imaginer que certains de ces changements seront bénéfiques, surtout pour un pays nordique comme le Canada, que certains de ces changements seront bénéfiques, notamment pour la croissance des végétaux. On peut s'attendre à de plus grands rendements en ce qui a trait à la production agricole.
On peut imaginer aussi que l'on puisse cultiver ou récolter, par exemple, le bois encore plus au Nord. On pourrait imaginer aussi la possibilité d'introduire de nouvelles variétés et de nouvelles espèces qui pourraient diversifier davantage l'agriculture. Et pour les cultures en serre, on pourrait s’attendre aussi à une réduction des besoins en chauffage si la saison hivernale était moins longue.
Mais s'il y a des effets positifs et bénéfiques à la fois pour la forêt et pour l'agriculture, on s'attend aussi à ce qu'il y ait de plus gros risques. Notamment, si un allongement de la saison estivale est bénéfique pour certains végétaux, elle le sera aussi pour des végétaux qu'on veut peut-être moins. Elle le sera pour des insectes que l'on préférerait ne pas avoir, qui affectent négativement nos cultures et aussi pour certaines maladies.
On peut imaginer aussi que précisément au moment où l'on aura besoin de plus d'eau, notamment en matière de production agricole, cela va correspondre exactement au même moment où l'on prévoit disposer de moins d'eau. Il fera plus chaud et ce sera plus sec. Il pourrait y avoir une augmentation potentielle des conflits d'usage autour de la ressource en eau.
On ne sait pas non plus quel effet ces changements auront, par exemple, sur la valeur nutritive ou sur la qualité du bois qui sera produit. On sait que les événements extrêmes qu'on a pu vivre récemment — et que l'on continuera d'avoir de manière peut-être plus fréquente et plus intense — provoquent des dommages considérables pour les cultures, mais aussi pour tous les équipements dont on dépend pour être capable de réaliser ces activités, à titre d’exemple, au niveau des routes.
Donc, le secteur du transport qui sera affecté aussi négativement par les événements extrêmes, et qui est essentiel, en fait, pour assurer les activités agricoles et forestières au pays. On sait aussi que pour la forêt, comme il a été mentionné tout à l'heure, le risque de feu de forêt est en augmentation.
On sait aussi qu'au-delà de la ressource en bois, la forêt sert à plusieurs usages qui seront aussi affectés. Citons le tourisme, par exemple, dans les régions plus forestières, ainsi que d'autres usages de la forêt. Donc, ce sont tous des impacts qui font en sorte qu’à la fin, le bilan net ne soit pas très clair à savoir si les effets bénéfiques ou les possibilités seront plus importants que les effets négatifs.
Ce qui semble assez clair cependant, c’est que s'il y a des possibilités, c’est surtout à court, peut-être à moyen terme, mais qu'à plus long terme, l'ensemble des impacts sera plus négatif que positif.
J'ai mentionné aussi que toute activité périphérique, toutes les infrastructures ou les autres secteurs très liés à l'agriculture et à la foresterie, et qu'on parle du transport notamment, de même que tout le secteur bioalimentaire, seront aussi affectés par les changements climatiques.
On ne connaît pas très bien l'ensemble de ces impacts pour ces secteurs. On n'a pas non plus une bonne idée de l'ampleur des coûts et l'étendue des effets que cela pourrait générer. On sait cependant que les impacts des changements climatiques se feront ressentir aussi à l'échelle mondiale.
Il y a d'autres régions agricoles et d’autres régions où l'on pratique des activités en foresterie qui seront aussi affectées, qui pourront aussi venir changer le positionnement concurrentiel du Canada. Donc, il est essentiel aussi de comprendre ce qui se passe ailleurs sur la planète pour saisir ce qui risque de se passer chez nous, non seulement pour nos secteurs, mais aussi en ce qui concerne les enjeux de sécurité alimentaire, par exemple, qui pourront être très importants et nous affecter très profondément. Donc, ces observations concernent les impacts.
Sur le plan des vulnérabilités, clairement, nos façons de faire actuelles et l'état de nos infrastructures joueront un rôle ou affecteront, en fait, l'ampleur des impacts que l'on va ressentir. Donc, si nos routes sont en mauvais état, si nos pratiques agricoles sont déjà à la limite, en fait, de pratiques durables, les changements climatiques vont juste venir exacerber des problématiques avec lesquelles on vit actuellement.
La bonne nouvelle est qu'il y a quand même plusieurs éléments et plusieurs actions et types de solutions que l'on peut mettre en place pour s'adapter. Je dirais que la première, c’est la sensibilisation. En fait, la première étape, déjà, est de reconnaître qu'il y en a un enjeu, de veiller à ce que les intervenants comprennent bien les risques auxquels ils font face, mais conçoivent aussi qu'ils ont un rôle à jouer, eux, dans leurs pratiques et dans ce qu'ils font, donc sur cette chaîne de valeurs ou l'ensemble de ce système, qu’il s’agisse de l'agriculture ou de la foresterie.
Les politiques et les programmes sont un autre moyen par lequel on peut venir insérer, inciter et soutenir les acteurs dans ces deux secteurs. Soutenir, par exemple, la recherche, appuyer les bonnes pratiques, être des incitatifs. Il en a été question un peu plus tôt par les collègues. Des politiques, des programmes et des plans d'action sur les changements climatiques sont nécessaires pour venir encadrer l'action et vraiment venir soutenir les acteurs qui doivent modifier leur façon de faire et leurs pratiques.
Des normes et des règlements sont aussi une façon efficace de venir encadrer ces bonnes pratiques. Si l'on veut aller vers des pratiques plus durables et plus résilientes, on peut mettre en place des normes qui viennent vraiment aider les acteurs à comprendre ce qu'ils doivent faire, le genre d'actions ou de pratiques qu'ils doivent mettre en place.
On travaille aussi beaucoup à développer des outils d'aide à la décision. Donc, développer des guides techniques pour la conception de bâtiments plus résilients, plus à même de faire face à des événements extrêmes ou des changements dans les régimes de précipitations, par exemple, peuvent être très importants.
On travaille aussi à développer, par exemple, des atlas qui fournissent de l'information sur les scénarios futurs de changements climatiques, qui peuvent aussi aider à mieux se préparer, planifier et prendre de meilleures décisions. Des solutions, évidemment, technologiques, mais pas toujours de la grosse technologie.
Cela peut également être de la technologie plus traditionnelle. Enfin, on peut modifier nos pratiques et retourner vers des procédés qui étaient beaucoup plus durables. Avoir aussi des systèmes d'irrigation plus efficaces. Mieux gérer l'eau et les sols, de manière générale, va aussi nous aider à faire face aux changements climatiques. Il faut modifier le type d'équipement que l'on utilise.
Et finalement, au niveau de l'expertise ou du suivi, il s’agit de mieux comprendre ce qui s'en vient. Par exemple, des réseaux de surveillance pour voir venir les problèmes, échanger avec des régions qui, par exemple, subissent le climat auquel on s'attend dans le futur et voir quelles sont leurs pratiques et quels sont leurs défis afin d’essayer de mieux planifier pour faire face à ce qui nous attend. En fait, ce sont toutes des solutions qui peuvent nous aider à mieux faire face aux changements climatiques.
Dans les deux cas, en fait, on ne part pas de zéro, et il y a quand même de très bons éléments qui existent. En agriculture, il y a une très bonne capacité d'adaptation de manière générale dans le secteur, et je pense qu'il faut vraiment tirer profit de ces compétences. Mais peut-être que l'on est plus habitué à réfléchir à court terme et que l'ampleur des changements auxquels on s'attend va exiger que l'on se prépare davantage, que l'on voit un peu mieux venir quels sont les risques et quels sont les changements auxquels on s'attend et que l'on mette en place des actions, peut-être, à un peu plus long terme.
En foresterie, c’est une gestion qui doit se faire, de toute façon, sur le très long terme. On parle de centaines d'années quand on planifie, en fait, l'aménagement ou la gestion de la forêt. Mais il y a énormément de travail en cours ou du travail qui a été réalisé, notamment par le Service canadien des forêts.
Je pense qu’il est vraiment essentiel de poursuivre ce travail. Pour donner un exemple, sur la question des feux de forêt, on sait que le risque est là. Ce n’est pas une question de savoir si ça va brûler, mais bien quand ça va brûler. On connaît beaucoup les pratiques pour réduire les risques, notamment, les risques pour les communautés qui sont vraiment à l'interface des zones de forêt.
Il s'agit juste de mettre en place ces pratiques. Elles sont bien documentées. On les connaît. Elles sont appuyées par la recherche. Il s'agit juste maintenant de vraiment en faire la promotion et consacrer les investissements nécessaires pour réduire ces risques.
Finalement — et ceci a été mentionné par l'ensemble des collègues avant moi —, toutes ces actions vont vraiment demander une mobilisation de l'ensemble des acteurs ou des intervenants des deux secteurs. Donc, il ne suffit pas de dire que ce n'est qu'une question réglementaire ou c’est une question uniquement de changer le comportement des agriculteurs; c’est vraiment l'ensemble du système qui doit intervenir et s'assurer d'une action coordonnée, en fait, pour arriver à bien s'adapter aux changements climatiques.
Donc, voilà ce que je voulais présenter cet après-midi. Il y a des risques. Il y a des solutions. Il s'agit juste de travailler ensemble pour identifier les solutions les plus adéquates. Je vous remercie beaucoup.
[Traduction]
Le vice-président : Merci à vous tous. Vous nous avez donné matière à réflexion et, nous l’espérons, vous avez aussi généré quelques questions.
Monsieur Gonzalez, je ne vais pas poser de question, mais je souhaite attirer l’attention sur quelque chose que vous avez dit dans votre déclaration. Vous avez parlé de l’extinction d’espèces de pollinisateurs nécessaires pour les cultures. Je vous renvoie au site web du Sénat du Canada, où vous trouverez un rapport du présent comité intitulé L’importance de la santé des abeilles pour une production alimentaire durable au Canada, lequel présente une vaste étude sur la santé des abeilles et les pollinisateurs en général. Je souhaite simplement porter ce rapport à votre attention. Cela a beaucoup attiré l’attention, et le gouvernement a dû y répondre, et nous continuerons de le faire.
Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par le sénateur Dagenais, s’il vous plaît.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Évidemment, comme il y a peu de temps, je vais essayer d’être rapide. Juste à titre d’information, en 2012, par contre, au nom du ministre des Infrastructures, M. Lebel, je suis allé porter un chèque de 11 millions de dollars à Saint-Hyacinthe avec Mme Brochu, un représentant du gouvernement du Québec et M. Arcand, évidemment, pour terminer l’usine de biométhanisation qui est un bel exemple. J’espère que plusieurs villes vont faire de même. D’ailleurs, je pense que l’usine fonctionne à merveille aujourd’hui.
Monsieur Ribaux, j’ai une question : vous avez parlé évidemment des véhicules électriques, parce que les véhicules sont des pollueurs. Vous savez, la plupart des agriculteurs, malheureusement, ont ce qu’on appelle de gros pick-up. Alors, j’espère qu’on va essayer de trouver une façon de les sensibiliser, mais je comprends qu’ils en ont besoin pour travailler. Un jour, il va falloir les sensibiliser, mais c’est un pollueur et, évidemment, je pense que les agriculteurs sont au courant.
Je m'adresse à M. Nolet, ici. Il ne faut pas toujours alourdir la tâche des agriculteurs. J’étais dans la région de Saint-Hyacinthe, j’en connais plusieurs et ils ont des horaires très chargés.
La réduction du méthane, évidemment, c’est important. On dit que l’ajout de lin à l’alimentation pourrait aider à diminuer les émanations de méthane. Qu’est-ce qui manque pour qu’on procède immédiatement au changement de l’alimentation?
M. Nolet : Eh bien, je ne prétends pas avoir toutes les réponses.
[Traduction]
Le vice-président : Je ne suis pas sûr que le sénateur Dagenais ait entendu ma déclaration liminaire au sujet des questions courtes.
[Français]
Le sénateur Dagenais : C’est parce que vous me brandissez le marteau. Ça m’inquiète.
M. Nolet : En fait, on lance un projet dans le cadre duquel on va trouver des réponses à cela. A priori, je vous dirais très concrètement, actuellement, le lin n’est pas très cultivé au Québec, d’une part.
Le sénateur Dagenais : D’accord.
M. Nolet : Et ensuite, même s’il était cultivé, il faut quand même que le lin soit transformé un peu avant d’être donné comme aliment aux vaches ou aux bovins. Je pense qu’on dit qu’il faut qu’il soit extrudé.
Mme Bolduc : Oui.
M. Nolet : Je pense que c’est la bonne formulation. Donc, il y a ceci, d’une part. Ensuite, il faudrait le produire, il faudrait qu’il soit extrudé, il faudrait qu’il soit ensuite distribué aux producteurs agricoles. Enfin, pour les producteurs agricoles, on l’a mentionné, modifier l’alimentation de leur troupeau, c’est quand même un gros changement, dans le sens où leur paie en dépend directement.
Il faut donc bien leur prouver qu’il y aura plus de bénéfices que d’inconvénients avant d’être en mesure de les amener à modifier leur comportement. Je résumerais de cette manière pour le moment, mais peut-être que Claire a autre chose à ajouter. Elle est agronome, alors que je ne le suis pas.
Mme Bolduc : En fait, je ne suis pas spécialiste en industrie animale, mais ce que je sais c’est que le lin devra être associé à une plus grande quantité de fourrage, de plantes fourragères, alors qu’en ce moment, on a diminué beaucoup la portion de plantes fourragères dans l’alimentation des vaches laitières, des bovins de façon générale pour les remplacer par des suppléments comme le maïs et autres céréales.
Alors, ce changement, effectivement, ne pourra pas se faire dans une courte période. On peut parler, par contre, de quelques années, de deux à trois ans pour faire le changement, mais il m’apparaît que l’approvisionnement en lin ici, au Québec, comme ailleurs au Canada, pourra être un des enjeux de ce changement qui est, par ailleurs, très prometteur.
Puisqu’on revient à une culture comme la culture fourragère, on revient à des plantes fourragères qui sont des plantes pérennes, et ce sont des cultures qui contribuent à diminuer la production de gaz à effet de serre par les sols.
Le sénateur Dagenais : Et avec votre permission, monsieur le président, une très courte question. La production biologique, je pense que c’est bien, mais il faut penser aussi que les produits sont plus coûteux pour le consommateur, et comme vous le savez, il y a toujours la compétition.
Avez-vous un peu évalué la réceptivité du consommateur à payer plus? Parce qu’on sait que pour bien des gens, le budget est un facteur important et le prix entre en ligne de compte quand ils vont faire l’épicerie. Mais est-ce que vous avez évalué la réceptivité des consommateurs face aux produits biologiques et à leur capacité aussi d’en acheter?
Mme Bolduc : Je peux répondre en deux temps. La première des choses, c’est que c’est un marché qui évolue entre 10 et 30 p. 100 par année depuis plusieurs années. Donc, c’est un marché où le consommateur recherche le produit biologique et de plus en plus.
Quand on parle aussi d’agriculture biologique et de soutenir l’agriculture biologique, la transition et la production biologique, on s’adresse à un soutien direct à la production, à la production agricole. On le fait déjà au Canada, on vit dans un pays d’agriculture nordique où l'on a des contraintes à la production que d’autres pays ne connaissent pas. On a fait des choix, particulièrement au Québec, mais c’est vrai dans toutes les provinces du Canada, de même qu’avec le Canada : on soutient nos activités agricoles.
Si c’est une des orientations que fait le Canada de mieux soutenir l’agriculture biologique, on peut miser sur le fait que le différentiel de prix ne sera pas si élevé, pour les consommateurs. Et vous soulevez un enjeu qui est très préoccupant sur la capacité des consommateurs et des consommatrices à se procurer des aliments recherchés, des aliments de qualité, des aliments sains. Ceci devrait tous nous préoccuper.
On est au-delà des changements climatiques. On devrait tous, comme citoyennes et citoyens canadiens, avoir accès aux meilleurs aliments possible.
Mais j’entends bien votre préoccupation, et quand on sait que c’est un marché qui est en évolution, en augmentation, il y a de l’intérêt pour ce type de production. Il y a de la curiosité, mais il y a aussi de la volonté de modifier son régime alimentaire, c’est clair.
Le vice-président : Merci beacoup.
Monsieur Ribaux.
M. Ribaux : J’aimerais simplement vous dire que présentement — pour prendre l’exemple du Québec et je pense que ce serait semblable dans le reste du Canada —, la moitié des aliments biologiques qu’on consomme ici est importée. Alors, sans rien changer à ce que les consommateurs paient, on peut beaucoup augmenter la production ici et saisir ce marché qui existe et qui, de plus, grossit de 15 p. 100 par année. Donc, il y a de très grandes occasions économiques.
Comment le gouvernement peut-il aider? Présentement, l’agriculture biologique représente 4 p. 100 de la production; c’est 0,25 p. 100 des budgets de recherche. Alors, il y a là un besoin énorme en recherche et développement du côté biologique.
Le sénateur Dagenais : D’accord, merci.
La sénatrice Tardif : Alors, on vient de parler de l’ouverture des consommateurs face à l’agriculture biologique. Y a-t-il une ouverture aussi de la part des producteurs à transformer leur façon de produire et à changer leurs pratiques agricoles? Sinon, quels sont les facteurs limitatifs?
Mme Bolduc : Oui, il y a un intérêt à changer. Je suis agronome depuis 37 ans, j’ai vu les agriculteurs adopter, à plusieurs occasions, de nouvelles façons de faire. Quand on les accompagne de façon appropriée, les changements se réalisent.
M. Nolet évoquait d’autres façons de travailler, la mise en coopérative d’actions. La façon dont c’est énoncé, c’est qu’il s’agit de mutualiser certaines actions, faire des actions collaboratives, oui, les agriculteurs sont prêts à le faire pour peu qu’on les accompagne correctement.
Il s’agit de présenter aux agriculteurs les avantages de certaines pratiques, de leur soumettre ce que cela peut représenter face aux changements climatiques, comme résilience de système de production, comme façon de faire face à ces enjeux, tout en les accompagnant de façon adéquate.
Ils doivent être accompagnés sur le plan technique, généralement c’est un soutien professionnel. C’est de les accompagner avec les modes de production appropriés et l’aide financière nécessaire. Quand ils sont accompagnés, les changements se font et ils ont été faits au fil des ans.
Je parlais de 37 ans de vie agronomique, mais si l'on regarde comment a évolué l’agriculture au Canada depuis le début du XXe siècle jusqu’à maintenant, c’est phénoménal, toute l’innovation qui a été apportée. Alors, oui, les agriculteurs sont capables et sont prêts à le faire, pour peu qu’on les accompagne adéquatement.
En ce qui a trait à l’agriculture biologique, le transfert est d’abord un transfert de connaissances et de soutien à ce transfert, à cette conversion, bien plus qu’il est technologique. Il faut offrir un soutien approprié de savoir et de notions, de compétences pour le producteur et un soutien approprié pour faire face aux éventuelles pertes de revenus durant la période de transition. Si les pertes sont convenablement compensées par un gouvernement qui souhaite que cette transition se fasse, les agriculteurs, c’est clair, vont adopter cette façon de faire.
La sénatrice Tardif : Vous avez beaucoup parlé de la nécessité de transfert de connaissances, mécanisme de transfert de connaissances. Est-ce qu’il y a des mécanismes en place présentement? Est-ce que les fermiers doivent présenter un plan environnemental qui démontre qu’ils font face à certains risques environnementaux? Je sais que certaines provinces exigent des plans environnementaux. Est-ce que c’est le cas au Québec, et est-ce que vous croyez que c’est une bonne pratique?
Mme Bolduc : Je peux répondre pour le Québec et l’Ontario. En ce qui concerne le Québec, oui, il y a des plans de fertilisation qui sont exigés et qui sont associés, c’est le bien écoconditionnel. Les soutiens financiers accordés par La Financière agricole du Québec sont conditionnels au dépôt et au respect du plan de fertilisation qui, lui, est fait par un agronome.
En Ontario, ce n’est pas tout à fait le même phénomène, mais on a aussi des mécanismes d’aide qui sont conditionnels au respect de règles environnementales. On peut aller beaucoup plus loin en la matière et quand on parle de soutien, de connaissances, de compétences, cela existe. Dans toutes les provinces, on a ces compétences, c’est de la connaissance agronomique.
Transférer de l’agriculture actuelle vers une agriculture plus biologique, le transfert, c’est la mise en application de connaissances agronomiques. Dans toutes les provinces, il y a des agronomes et il y a des écoles d’agronomie qui permettent d’accompagner de tels changements.
Et comme M. Ribaux l’a soulevé, on aurait intérêt, comme pays, à mieux soutenir la recherche de base et la recherche fondamentale dans le domaine de l’agriculture biologique, dans le domaine bio, pour bien supporter le travail des conseillers.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Nous venons de parler des serres. Récemment, j’ai visité quelques serres en Ontario, et les gens se plaignaient à moi en disant que, avec l’arrivée de la taxe sur le CO2, ils seront exclus des affaires et devront se déplacer vers le sud, aux États-Unis, parce que de telles taxes n’existent pas là-bas. Pouvez-vous expliquer comment nous allons régler ce problème? Parce que s’il n’y a pas de CO2, il n’y a pas non plus d’affaires.
[Français]
M. Nolet : Alors, c’est une crainte qui s’est manifestée dans tous les secteurs d’activités, là où l'on impose soit une taxe, soit un système de plafonnement et d’échange, soit un « cap and trade », en anglais.
Je pense qu’il y a une erreur qui est faite très régulièrement, c’est de supposer qu’ailleurs, il n’y aura pas de réglementation, qu’il n’y aura pas de coût environnemental supplémentaire, qu’il n’y aura pas de taxe, qu’il n’y aura pas de système de plafonnement et d’échange, alors que ce qu’on voit à l’échelle mondiale de plus en plus — et c’est le cas également aux États-Unis de façon générale — c’est de nouvelles taxes mises en œuvre pour lutter contre les changements climatiques.
On l’a vu au Canada. D’accord, le Québec, l’Ontario et l’Alberta ont leur système de plafonnement et d’échange, mais le gouvernement fédéral met de l’avant un système de taxation. On a même déjà prévu l’évolution de la taxe au fil des ans qui va être à 50 $ en 2022.
Aux États-Unis, plusieurs États du nord-est américain ont mis en place également un système de plafonnement et d’échange. C’est aussi le cas des États de la Californie, de l’Oregon et de Washington.
Oui, il y a encore des États qui n’ont pas encore de système de plafonnement et d’échange ou de taxe, mais je pense qu’une entreprise canadienne qui prendrait une décision de se délocaliser pour aller s’établir dans un État où il n’y a pas de taxe carbone aurait vraiment une vision à très court terme. Ce serait prendre le risque d’engendrer des coûts considérables pour se délocaliser pour finalement, peut-être, se retrouver dans quelques années avec une taxe carbone qui serait implantée dans cet État où elle est déménagée.
Est-ce que ça répond à votre question?
[Traduction]
Le sénateur Oh : Oui, mais pensez-vous que le gouvernement devrait aussi se pencher sur une certaine forme de progrès pour les aider à surmonter ce problème, plutôt que simplement adopter tout de suite cette taxe?
[Français]
M. Nolet : Vous avez raison. Voyons un peu comment les gouvernements du Québec et fédéral évoluent dans la mise en œuvre de la réglementation. C’est seulement un exemple que je peux vous donner, mais très concrètement, pour tous les secteurs qui sont en compétition avec l’étranger au Québec, il y a des droits d’émissions qui sont donnés aux entreprises pour les aider à faire face à la compétition étrangère. C’est valable pour toutes les industries au Québec et c’est la même logique en Ontario et en Californie où ils mettent en place leur système de plafonnement et d’échange.
Par ailleurs, les règles qui vont définir les allocations gratuites de droits d’émissions aux entreprises au Québec, par exemple, vont être déterminées sur la base d’une étude comparative des réglementations, des taxes et des systèmes de plafonnement et d’échange mis en œuvre ailleurs dans le monde.
C’est donc un souci qui est manifestement bien fondé. À ma connaissance, les gouvernements, lorsqu’ils mettent en place les réglementations, ont tout à fait cette préoccupation à l’esprit. De sorte qu’ils essaient de mettre en œuvre leur réglementation de façon à se synchroniser avec une mouvance réglementaire à l’échelle internationale.
Il y a peut-être des exceptions, il y a peut-être des secteurs d’activité qui sont pénalisés momentanément et qui vont souffrir davantage que d’autres, mais c’est qu’il y a réellement un souci des autorités gouvernementales, oui, d’être progressifs et innovateurs, mais également, de ne pas pénaliser leur secteur industriel localement.
En Ontario, sans être un spécialiste de la réalité des serres en Ontario, on a un secteur d’activités où le coût de l’énergie est déjà à peu près trois fois plus élevé qu’au Québec, par exemple. Et malgré tout, on a des serres en Ontario qui sont compétitives par rapport aux serres québécoises. En fait, le secteur serricole en Ontario est beaucoup plus dynamique que celui du Québec, et cela, malgré le coût plus élevé de l’énergie en Ontario.
Le coût que va représenter la mise en œuvre d’une réglementation sur le carbone en Ontario par rapport au prix de l’énergie payé actuellement dans la province ne sera pas majeur parce que concrètement, c’est assez marginal, ce qu’on imagine comme coût pour la tonne de carbone en ce moment.
[Traduction]
Le vice-président : Je pense que c’est important de reconnaître que, au fil des ans, notre comité a visité un certain nombre de serres. Plus particulièrement, j’attire votre attention sur la très grande serre située au nord de Trois-Rivières que le comité a visitée il y a quelques années, et nous étions très impressionnés par cette exploitation. Mais nous avons aussi été impressionnés non seulement par l’activité de la culture des tomates cerises, mais aussi par l’intégration de l’utilisation de l’énergie, parce qu’on tire du méthane du site d’enfouissement municipal afin de fournir une partie du chauffage requis pour alimenter la serre. Je pense que les consommateurs ont un rôle à jouer, dont on ne parle pas souvent.
Comme le savent mes collègues, dans mon ménage, lorsque je suis à la maison, c’est moi le cuisinier. C’est aussi moi qui fais l’épicerie. Je prends l’habitude, particulièrement l’hiver, de réprimander les épiceries qui continuent d’importer des tomates cerises du Mexique, lorsque nous avons des endroits comme la serre que j’ai mentionnée qui est au nord de Trois-Rivières, et celle-ci cultive de superbes tomates cerises. Je pense que nous, les consommateurs, avons l’obligation de continuer de demander ces produits cultivés localement, même durant l’hiver. Si nous continuons de le faire, la demande augmentera, les serres vont prendre de l’expansion, et nous commencerons à obtenir certains de nos propres produits.
C’était ma tirade de l’après-midi. Ce ne sera peut-être pas la seule, mais c’est ma première.
Madame la sénatrice Bernard,, s’il vous plaît.
La sénatrice Bernard : Je pense que je vais revenir un peu sur votre tirade, mais je vais l’amener dans une direction légèrement différente.
Merci à tous de votre exposé. Pour revenir sur certains des éléments de la conversation, un des éléments invisibles, à mon avis, est l’insécurité alimentaire. Je pense aux gens qui veulent manger des aliments sains, qui veulent acheter des produits locaux, qui veulent participer à ce que certaines personnes appellent le mouvement biologique, mais qui sont si désavantagés sur le plan économique que cela n’est pas possible pour eux. De quel genre d’orientations stratégiques avons-nous besoin et quelles recommandations feriez-vous concernant la façon de nous assurer que nous abordons la question de l’insécurité alimentaire et que nous examinons aussi toutes ces réalités auxquelles nous sommes confrontés?
M. Nolet : Il faut taxer les riches.
Mme Bolduc : Lorsque j’avais 15 ans, j’étais parfaitement bilingue. Maintenant, j’ai plus de 50 ans, près de 60 ans, et je ne parle plus si bien l’anglais. Donc je vais m’exprimer en français.
[Français]
Donc, je vais parler en français.
Au Québec et au Canada, on soutient les activités agricoles. Ce soutien qui est apporté à nos activités agricoles, c’est une façon de faire en sorte que les Canadiennes et les Canadiens puissent avoir un panier d’épicerie à un coût abordable.
Oui, il reste des citoyens, des consommateurs et des consommatrices qui n’ont pas accès à ce panier d’épicerie, mais il faut savoir que le soutien qu’on apporte aux producteurs agricoles, ils le reçoivent. C’est un soutien à l’ensemble de la société. L’agriculture, c’est une activité qui n’est pas une activité économique, c’est socioéconomique, on nourrit notre monde.
La préoccupation d’une nation pour son agriculture sert à cela, soit de veiller à ce que tout le monde puisse manger.
Alors, j’entends très bien ce que vous dites quand vous parlez d’insécurité alimentaire et de quelle façon on pourrait, par exemple, avec des aliments bio, qui sont naturellement un peu plus chers, faire en sorte que tous les gens puissent y avoir accès.
Et là, il me semble qu’il y a de la sociologie qui doit intervenir. Ce n’est plus seulement une question d’agriculture, bien que le soutien à l’activité agricole continue de veiller à ce que tout le monde puisse manger ou qu’une proportion élevée des citoyens puisse manger. Je comprends très bien votre préoccupation.
Il me semble que ce sont maintenant des activités plus sociologiques. Je donne trois exemples. D’abord, les jardins communautaires. La façon de promouvoir des espaces urbains de jardinage communautaire où l'on soutient le savoir agronomique pour faire cette sorte de jardinage.
Au sujet de la transformation alimentaire de groupe, je vais vous parler d’une expérience qui a eu lieu à Val-d’Espoir qui est un village de la Gaspésie qui a fusionné avec Percé où s’est développé un projet qui s’intitulait « Produire la santé ensemble ». C’était un projet sur de l’agriculture locale, des jardins communautaires dans tout le village.
Parfois, c’étaient des jardins mixtes, mais à quelques endroits ils avaient concentré, par exemple, les pommes de terre chez deux personnes. Il y a aussi la culture d’autres légumes qui demandent plus d’espace comme les tomates ou les framboises, chez d’autres personnes, mais en général la récolte globale était mise en commun et transformée aussi en commun.
Le savoir culinaire qui accompagne la production alimentaire était un beau complément pour que les gens aient accès à de la nourriture, qu’ils sachent la transformer et qu’il n’y ait pas de perte.
On se situe dans des actions plus sociales que strictement agricoles ou agronomiques. Le troisième élément, c’est justement dans une des actions qu’on a mises de l’avant à Équiterre, c’est-à-dire, l’éducation et les cursus scolaires peuvent contribuer grandement à rendre les gens plus connaisseurs de la saine alimentation et des principes, et comment on la retrouve.
J’ai toujours en tête que de consommer les légumes durant la saison où ceux-ci sont produits est une des façons d’avoir accès à une alimentation la moins chère possible. Faire des conserves, faire de la congélation au moment où les légumes sont peu coûteux, c’est aussi un moyen.
Alors, dans les cursus scolaires, si l'on parlait mieux d’éducation à l’alimentation et à l’environnement, on apporterait des connaissances à une plus grande proportion de citoyens. Je la partage totalement votre préoccupation sur l’insécurité alimentaire. Il reste que comme pays, on doit soutenir les personnes qui sont plus démunies que nous, en ce moment.
Mme Larrivée : Je suis tout à fait d’accord avec ce que Mme Bolduc vient de dire. J’ajouterais juste sur le plan de l’éducation aussi, d’autres politiques qui permettent d’intégrer, justement dans le cheminement scolaire, des jardins à l’école et d’amener les étudiants à contribuer, en fait, à jardiner eux-mêmes. C’est extrêmement efficace, cela a un effet transformateur sur les étudiants et c’est très impressionnant de constater comment des jeunes de l’école primaire peuvent s'enthousiasmer à planter des légumes, à les manger et à les partager; c’est un impact monstre.
Donc, pour un effet à plus long terme, une politique de soutien dans les écoles pour que ça devienne moins des projets qui sont portés par un seul professeur qui y croit plus particulièrement, mais peut-être plus quelque chose qui serait insérée dans le système scolaire. Donc, je vais tout à fait dans le même sens que Mme Bolduc.
[Traduction]
Le vice-président : C’est un excellent point.
La sénatrice Bernard et moi pourrions tous deux vous parler d’un programme à Halifax, dans une communauté du centre-ville, où le travail d’éducation des jeunes a été excellent. Ces jeunes ont lancé leur propre jardin communautaire. À l’extérieur du jardin communautaire, ils ont aussi commencé à produire quelques vinaigrettes. Ils se sont présentés à l’émission Dragons’ Den, et tous les dragons voulaient investir dans leur petite entreprise. Par ailleurs, un d’entre eux possède une grande chaîne de restaurants au Canada et est maintenant leur plus grand client. Tout un groupe de jeunes de cette école apprend des choses sur la production des aliments et aussi sur les affaires, et c’est vraiment une bonne chose pour cette communauté. Votre observation est donc fort opportune.
Mme Larrivée : J’aimerais simplement ajouter que, oui, tout à fait, dans des écoles du centre-ville de quartiers pauvres, mais je dirais que l’effet est aussi énorme dans les quartiers riches, où les enfants qui ne sont même pas habitués à cela mettent la main à la pâte, et ce travail a un pouvoir de transformation. J’aimerais simplement encourager cela.
Le vice-président : Madame la sénatrice Bernard.
La sénatrice Bernard : J’allais juste donner l’exemple de Hope Blooms. L’une des choses qu’il faut savoir à propos de Hope Blooms, c’est qu’il réagit vraiment à toute la question de l’insécurité alimentaire, pas seulement pour les personnes directement concernées, mais aussi pour d’autres personnes qui sont témoins de ce qui se passe là-bas. On vend maintenant aussi là-bas les vinaigrettes dans deux des grands supermarchés. C’est donc un modèle fantastique.
Il y a un autre modèle dans un quartier semblable de la région de Toronto, j’essaie de me rappeler son nom. Cela va me revenir. C’est un modèle semblable où il y a des jardins communautaires, de l’agriculture biologique, la participation de personnes qui vivent de l’insécurité alimentaire chaque jour. C’est un exemple de la façon dont nous pouvons changer les choses. Mais parmi ces programmes, il y en a qui ne reçoivent pas beaucoup de financement, et c’est vraiment difficile pour eux de se lancer, et puis il y a la question de la durabilité. Donc, je crois que les idées sont vraiment bonnes et que le fait de consacrer des ressources à ces idées va aider.
Le vice-président : Bon nombre de ces jeunes ont dit aux personnes qui les ont interviewées que c’est une des rares fois qu’ils ont eu des légumes frais à la maison, parce que ces légumes sont chers pour quiconque a un revenu fixe ou un faible revenu. C’est une histoire exceptionnelle, et c’est quelque chose que nous devrions faire partout. Vous avez raison, cela ne devrait pas seulement se faire dans les quartiers pauvres, mais c’est un très bon endroit où commencer, si vous voulez mon avis, parce que la valeur nutritive qui accompagne cela est un avantage pour les jeunes qui n’ont peut-être pas une bonne alimentation.
La sénatrice Bernard : J’ai le nom de cette exploitation agricole.
Le vice-président : Ah, elle l’a trouvé. Je savais que si je parlais assez longtemps, elle s’en souviendrait.
La sénatrice Bernard : Black Creek Farm. C’est dans le secteur Jane-Finch à Toronto.
Mme Larrivée : J’aimerais juste ajouter une chose très rapidement. Les écoles, c’est une chose, mais des efforts ont aussi été déployés à Montréal concernant le logement social. L’idée, c’est que nous ciblons aussi la réduction des ilots de chaleur et l’amélioration de la gestion des eaux de pluie, deux problèmes qui devraient s’intensifier avec les changements climatiques. Les personnes qui ont travaillé sur ces choses ont fait participer des personnes qui vivaient dans les logements sociaux et les ont aidées à utiliser tout l’espace mis à leur disposition pour créer ce genre de jardins, et donc, cibler aussi l’insécurité alimentaire, tout en contribuant à s’adapter aux changements climatiques.
Le vice-président : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Tardif : Je voulais faire participer M. Gonzalez à notre conversation. Alors, vous avez indiqué qu’avec les changements climatiques, il y avait risque de plus de feux de forêt et que l’intensité de ceux-ci serait augmentée. Une solution que vous avez proposée, c’était la défoliation, je crois, causée par des insectes.
Est-ce que vous pouvez nous donner un peu plus d’explications? J’ai vécu un petit peu, cet été, les feux de forêt en Colombie-Britannique lorsque j’y étais. J’ai vu les ravages que peuvent produire les feux de forêt, alors j’étais intéressée à connaître quelles mesures d’adaptation on pourrait développer afin d’essayer de les prévenir.
M. Gonzalez : Oui. Effectivement, la défoliation c’est une conséquence négative due à l’attaque par les ravageurs. Ce n’est malheureusement pas une solution. Mais les chercheurs ont démontré qu’en fait, les ravageurs augmentent les risques de feu, par la suite. Évidemment, ça tue les arbres et, du coup, ils deviennent plus sensibles à l’incendie.
C’est une interaction négative. Il faut donc gérer les deux facteurs à la fois et c’est ce que les chercheurs proposaient d’ajuster. Parce qu’en fait, en gestion de la forêt, on utilise des modèles mathématiques pour prévoir l’avenir et anticiper les changements. Pour l’instant, ils ne se servent pas des connaissances concernant ces ravageurs et de leur impact sur la mortalité des arbres.
Donc, c’est une solution très simple d’amener cette connaissance et de l’intégrer dans ces modèles pour mieux prédire quels endroits sont les plus sensibles aux incendies. Ce n’est pas une question d’un manque de connaissances, mais plutôt une absence d’intégration des connaissances, et il faut faire jouer plusieurs secteurs à la fois.
La sénatrice Tardif : D’accord. Alors, à la suite de la défoliation par des insectes, il y a davantage de risque de feu de forêt?
M. Gonzalez : Voilà.
La sénatrice Tardif : Merci.
[Traduction]
Le vice-président : Eh bien, chers collègues, nous avons été interpellés cet après-midi par les excellents exposés que nous avons entendus, et je veux sincèrement remercier nos témoins. Vous nous avez donné beaucoup de matières à réflexion. Vous avez suscité beaucoup de discussions. De plus, vous avez réussi à nous tenir éveillés après le dîner, ce qui est toujours un défi. Nous aimerions vous en remercier, nous apprécions le temps que vous nous avez consacré et nous vous souhaitons bonne chance.
(La séance est levée.)