Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule no 38 - Témoignages du 9 novembre 2017
OTTAWA, le jeudi 9 novembre 2017
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 8 heures, pour poursuivre son étude de l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.
[Français]
Le sénateur Maltais : Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts continue son étude sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.Ce matin, nous avons le privilège de recevoir M. Jean-Denis Fréchette, directeur parlementaire du budget, et M. Philip Bagnoli, conseiller-analyste.
Avant d’entendre votre présentation, j’aimerais demander aux sénateurs de bien vouloir se présenter. Je suis Ghislain Maltais, sénateur du Québec, et je présiderai la réunion.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Tardif : Bonjour. Je suis Claudette Tardif, de l’Alberta.
La sénatrice Gagné : Bonjour. Raymonde Gagné, du Manitoba.
[Traduction]
Le sénateur Woo : Bonjour. Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Lankin : Bonjour et bienvenue. Frances Lankin, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Bonjour. Chantal Petitclerc, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
Le sénateur Maltais : Ce matin, non seulement nous recevons le directeur parlementaire du budget, mais aussi un apiculteur bien connu, qui est certainement au courant de notre dernier rapport sur les abeilles.
Monsieur Fréchette, c’est un privilège de vous recevoir. Nous vous écoutons. J’aimerais vous rappeler que plus votre présentation sera courte, plus les sénateurs pourront vous poser de questions. Nous disposons de 60 minutes en votre compagnie.
Jean-Denis Fréchette, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Ma présentation sera effectivement très courte. Je suis heureux également que vous ayez mentionné l’apiculture. Je me réjouis du fait que le sénateur Mockler et votre rapport aient mené le Sénat à installer éventuellement des abeilles urbaines au nouveau Sénat. Je vous en félicite, parce qu’il est extrêmement important d’avoir des abeilles en milieu urbain.
Je vous remercie de me donner l’occasion de présenter au comité les conclusions de l’analyse que nous avons menée l’année dernière sur les émissions de gaz à effet de serre au Canada, notamment leur impact sur le PIB au cours des 30 prochaines années. Les émissions de carbone dans le secteur agricole représentent environ 10 p. 100 du total des émissions. Elles proviennent du bétail à 5 p. 100, des cultures à 3 p. 100, et de l’énergie et de l’équipement utilisés sur les fermes à 2 p. 100.
Le méthane est un puissant gaz à effet de serre. Si on tient compte de l’énergie et des moyens de transport utilisés sur les fermes, les émissions provenant du secteur agricole ont été plus importantes que celles liées à l’extraction des sables bitumineux en 2015. Historiquement, de 1990 à 2015, les émissions de méthane provenant du secteur agricole ont varié énormément. Toutefois, elles n’ont augmenté que de 7 p. 100, et ce, même si les produits du bétail ont connu une hausse également de 7 p. 100 pendant la même période. Le bétail demeure toutefois la principale source d’émissions de méthane.
[Traduction]
Afin de réduire les émissions de carbone ou ses équivalents dans le secteur agricole et de créer les incitatifs souhaités, il faut fixer un prix explicite sur le carbone, comme une taxe sur le carbone, ou un prix implicite sous forme de mesures réglementaires. Si l’on a recours à des mesures réglementaires, il faut s’assurer que le coût associé au carbone est le même que dans les autres secteurs. Ce n’est pas une question d’équité, mais plutôt de nécessité pour s’assurer que les coûts demeurent minimaux pour l’ensemble de l’économie.
La difficulté que comporte le recours à la tarification du carbone est que les émissions sont calculées en fonction de moyennes, c’est-à-dire, selon le nombre d’animaux ou la quantité d’unités d’engrais répandues. Contrairement aux émissions provenant des combustibles fossiles, les facteurs d’émissions sont calculés à partir d’une panoplie de résultats dans le secteur agricole. Cela suppose que les émissions de bétail sont pareilles partout au pays, peu importe la condition dans laquelle vivent les animaux.
De plus, le recours aux facteurs d’émissions rend impossible la mesure de la diminution des émissions. Cependant, en utilisant la tarification explicite du carbone, il est nécessaire de mesurer la réduction des émissions afin de déterminer les coûts, s’il y a lieu, que les agriculteurs devront débourser.
Idéalement, la tarification du carbone serait jumelée à un mécanisme permettant aux agriculteurs de signaler les réductions vérifiables d’émissions. Ces crédits pourraient être fondés sur les recherches qui ont permis aux scientifiques de mesurer la diminution des émissions liées à diverses activités calculées dans le facteur d’émissions. Certains agriculteurs pourraient ainsi recevoir des crédits immédiats s’ils ont déjà un meilleur rendement.
[Français]
L’élément essentiel d’une politique de réduction des émissions est d’inciter les agriculteurs à l’appliquer. Le coût final de cette politique pour les agriculteurs est indépendant de cet objectif, car de nombreuses possibilités s’offrent à eux, notamment le recyclage des recettes. C’est d’ailleurs une question qui est régulièrement posée devant votre comité. Cette dernière observation est particulièrement pertinente, car les produits agricoles se négocient sur les marchés internationaux. Force est de reconnaître que, dans un tel contexte, les agriculteurs pourront difficilement refiler la facture aux consommateurs.
Nous serons maintenant heureux de répondre à vos questions.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Monsieur Fréchette, merci, à vous et à vos collègues, d’avoir accepté notre invitation. Vous nous avez quelque peu surpris ce matin. Nous avons examiné vos notes avant la séance. Vous dites que les émissions provenant du secteur agricole ont été plus importantes que celles de l’extraction des sables bitumineux en 2015. Vous faites référence en particulier à l’année 2015. Est-ce une constante? Je pose la question, car, un peu plus tard dans votre exposé, vous parlez de moyennes. Est-ce la moyenne des émissions provenant du secteur agricole comparativement à celles de l’extraction des sables bitumineux?
M. Fréchette : En un mot, il est question du méthane produit par le bétail. Philip, auriez-vous quelque chose à ajouter?
Philip Bagnoli, conseiller-analyste, Bureau du directeur parlementaire du budget : Pour répondre à votre question, 2015 est la dernière année pour laquelle nous avons de très bonnes données. La CCNUCC s’est appuyée sur l’inventaire national de 2015 pour faire son rapport qu’elle publié en juin dernier.
Plus précisément, si l’on regarde les données historiques du secteur agricole et du secteur des sables bitumineux… On ne parle pas du pétrole et du gaz en termes larges, mais bien seulement des sables bitumineux. Les émissions provenant de l’extraction des sables bitumineux sont en hausse. Si le prix du baril de pétrole était d’environ 100 $ ou bien au-dessus de 60 $ — car, si je ne m’abuse, c’est lorsque le prix du baril de pétrole se situe à environ 60 $ que la situation se stabilise pour les sables bitumineux, c’est-à-dire, que les prix engendrent une augmentation continue —, le taux d’augmentation des émissions provenant de l’extraction des sables bitumineux finirait par dépasser celui du secteur agricole. C’est simplement que cette situation ne s’est pas produite depuis 2015.
Le sénateur Mercer : Mettons les choses en contexte. En Nouvelle-Zélande, c’est l’industrie laitière qui produit le plus de gaz à effet de serre au pays. Autrement dit, les animaux sont les plus importants producteurs de gaz à effet de serre en Nouvelle-Zélande.
M. Bagnoli : C’est exact.
Le sénateur Mercer : Regardons la situation dans le contexte du Canada. Quelle est l’ampleur des gaz à effet de serre provenant du secteur agricole pour l’ensemble du pays? Mettons cela en contexte.
M. Bagnoli : M. Fréchette a déjà répondu à la question concernant le secteur agricole. Les bovins, lait et viande, comptent pour 5 p. 100 des émissions, et les cultures, 3 p. 100.
Le sénateur Mercer : En tout?
M. Bagnoli : Tous réunis, oui. L’essence utilisée dans le secteur agricole compte pour un autre 2 p. 100. En tout, on parle de 10 p. 100.
Les politiques adoptées jusqu’à maintenant ne tiennent pas compte du secteur agricole. C’est le cas pour les politiques de quatre provinces et le cadre publié par le gouvernement fédéral. De plus, le programme fédéral ne tient pas compte des déchets et des sites d’enfouissement.
Donc, 12 p. 100 de toutes les émissions ont été exclues. Cela signifie qu’il faut travailler encore plus fort pour réduire les 88 p. 100 qui restent. D’autres secteurs ont également été exclus.
En ne tenant pas compte du secteur agricole, on passe à côté d’options possiblement abordables dans le secteur agricole, mais plus dispendieuses dans d’autres secteurs. C’est l’idée derrière une tarification du carbone uniforme : profiter des possibilités les moins dispendieuses là où elles existent.
Le sénateur Mercer : Le directeur parlementaire du budget est-il en train de dire au comité que le secteur agricole ne devrait pas être exclu d’une tarification sur le carbone?
M. Fréchette : Le DPB ne fait jamais de suggestions ou de recommandations. Ce privilège revient aux comités.
Comme je l’ai précisé dans mon exposé, la tarification doit être uniforme. Tout le monde doit participer.
Le sénateur Mercer : Mais, si certains sont exclus, on ne peut pas parler d’une mesure uniforme.
M. Fréchette : C’est exact.
Le sénateur Mercer : Donc, sans vraiment le dire, vous nous lancez un message.
Le sénateur Doyle : Merci d’avoir accepté notre invitation. J’ai lu quelques-unes des notes dans le sommaire de votre rapport. Vous dites que pour atteindre l’objectif fixé par le gouvernement, il faudra éliminer l’équivalent de toutes les émissions provenant de toutes les voitures, de tous les camions et de tous les véhicules hors route en circulation aujourd’hui.
Selon le DPB, il faudra réduire de 30 p. 100 les gaz à effet de serre par rapport au niveau de 2005. C’est tout un défi. Savez-vous si une analyse des répercussions économiques a été réalisée pour l’ensemble du pays ou pour chacune des provinces? Est-ce que quelque chose a été réalisé en ce sens?
J’ai lu certaines de vos notes au sujet de Terre-Neuve-et-Labrador, notamment, et de la situation économique difficile de la province, et je me demande comment la province pourra contribuer aux coûts de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
M. Bagnoli : Notre étude porte sur les coûts nationaux. Selon cette étude — et je n’ai pas les données exactes —, ces coûts s’élèveront à entre 900 $ et 1 500 $, environ, par personne en 2030. C’est entre 1 et 3 p. 100 du PIB anticipé de 2030. Ces chiffres ont été calculés en fonction d’une augmentation de 11 p. 100 de l’économie par rapport à aujourd’hui. Plutôt que d’augmenter d’environ 11 p. 100 au cours de cette période, l’économie pourrait augmenter de seulement 9,5 ou 10 p. 100, selon la façon dont nous recyclons les revenus nous maintenons l’économie. Toutefois, les données fournies concernent les coûts nationaux.
Nous n’avons pas utilisé de modèles provinciaux, mais nous donnons une bonne idée de certaines des répercussions. Nous avons produit un tableau qui montre les répercussions par secteur dans les provinces. Vous pouvez voir lesquelles produisent le plus d’émissions par unité de PIB.
Nous avons pris la peine de préciser dans ce rapport qu’il existe de grandes différences entre les divers secteurs et les diverses régions du pays. C’est problématique, mais pas impossible. Les politiques de redistribution actuelles, qui sont à l’origine des différences dans la proposition du gouvernement fédéral à cette étape du cadre, sont très explicites : des sommes seront redonnées aux régions d’origine. Elles ne précisent pas comment, mais, selon ce que j’ai pu comprendre du texte de ces politiques, les régions recevront de l’argent. Le comment n’est pas expliqué. Tout ce que l’on sait, c’est que des sommes seront remises aux régions d’origine. Donc, on tente de réduire l’impact sur le revenu.
Plus précisément, si vous voulez changer les comportements des gens, il suffit de changer les incitatifs, soit le prix relatif. Vous pouvez leur redonner de l’argent de façon à ce que leurs revenus demeurent inchangés et réussir tout de même à modifier leurs comportements en changeant les prix des produits et services qu’ils achètent.
Dans une certaine mesure, sinon dans une grande mesure, le gouvernement a adopté l’idée de réduire les disparités régionales et sectorielles.
Le sénateur Doyle : Savez-vous si d’autres consultations ont été menées entre le gouvernement fédéral et les provinces sur les répercussions de ces mesures? Si une analyse des répercussions économiques doit être effectuée, qui s’en chargerait? Est-ce que cette responsabilité reviendrait au VG ou à votre bureau? Pourriez-vous m’éclairer à ce sujet?
M. Fréchette : Environnement Canada serait certainement celui qui mènerait une telle étude, évidemment en collaboration avec les provinces, car il y aura un impact. Puisque la tarification du carbone sera redistribuée aux provinces, il faudra conclure une sorte d’entente fédérale-provincial sur la façon d’administrer cet argent.
Comme nous l’avons déjà dit, si nous avons un ensemble disparate d’abattements ou de mesures d’atténuation pour l’ensemble du pays, la situation pourra être difficile si certains secteurs sont exclus. Un tel processus pourrait s’avérer difficile à gérer.
Si vous me le permettez, j’aimerais vous rappeler que, selon les prévisions, le PIB devrait augmenter de 11,5 p. 100, soit de 55 000 $ par personne en 2014 à 61 800 $ en 2030. Pour atteindre la cible fixée à l’aide de mesures d’atténuation et de la tarification du carbone, la réduction devrait être d’environ 1 à 3 p. 100, soit environ 600 $ à 1 900 $ par personne.
Le sénateur Doyle : C’est significatif.
[Français]
La sénatrice Tardif : Merci beaucoup à nos témoins pour leur présentation de ce matin. Vous nous avez dit que, dans le domaine de l’agriculture, le méthane produit énormément d’émissions de gaz à effet de serre. À votre avis, les fermiers qui se tournent vers les technologies vertes telles que des biodigesteurs devraient-ils pouvoir bénéficier de crédits compensatoires? À votre avis, cela pourrait-il être un incitatif potentiel?
M. Fréchette : Si les mesures établies visent de tels incitatifs pour les fermiers qui utilisent ce genre d’approche ou ce type de nouvelles technologies, cela pourrait certainement être une bonne façon de les récompenser. Nous sommes deux économistes ici, et nous croyons vraiment aux changements de comportement grâce aux incitatifs. On le voit dans la vie de tous les jours, et je ne vois pas pourquoi ce serait différent dans le domaine de l’agriculture.
Les nouvelles technologies ont permis une diminution de 7 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre. Les animaux peuvent être engraissés plus rapidement, et cetera. C’est vrai pour le bétail et pour l’industrie du poulet. Pour permettre des changements en génétique et en recherche, ces incitatifs sont susceptibles d’améliorer la situation. S’il y a un incitatif qui peut faire avancer notre cause, c’est vraiment celui-là.
La sénatrice Tardif : J’essaie de comprendre quelque chose. Lors de votre présentation, vous avez indiqué qu’il y avait des variations et une certaine difficulté à mesurer les émissions de méthane. Pouvez-vous préciser ce point? Est-ce que cela varie selon la géographie ou selon le type d’animal? À quels éléments cette variation des émissions de méthane est-elle attribuable?
M. Fréchette : Vous connaissez bien votre agriculture; ce sont les deux éléments de réponse que je voulais donner. C’est géographique. On sait très bien, par exemple, que la production de poulet dans le Sud des États-Unis est beaucoup moins grande que dans le Nord des États-Unis à cause de la température. C’est la même chose pour le bétail. Le sénateur Maltais a parlé de l’industrie laitière; par exemple, cette dernière doit chauffer des bâtiments, alors que dans le Sud ou le centre des États-Unis, ce n’est pas le cas. La difficulté est effectivement de mesurer les émissions de méthane sur une base par animal, et je peux faire une analogie avec le pétrole, le gaz naturel, l’huile, le diesel et ainsi de suite. On sait quelles sont les émissions et, peu importe où on est, les émissions de carbone seront les mêmes, mais, en ce qui a trait aux animaux, c’est tout à fait différent.
[Traduction]
Le sénateur Woo : Ma question dépasse quelque peu la portée de votre rapport, mais elle concerne les mesures et votre bureau se spécialise dans les mesures. J’aimerais connaître votre opinion sur un point : les effets de la substitution internationale fondés sur les politiques du carbone d’un pays.
Si la politique du carbone d’un pays entraîne un effet de substitution dans un autre pays où les émissions sont moins élevées, comment cela devrait-il être pris en compte dans le cadre de notre contribution à la réduction mondiale des gaz à effet de serre? Je parle plus précisément du GNL. Je sais que cela dépasse la portée de votre rapport, mais il s’agit d’une question de mesure. C’est une question importante en raison de tous les autres problèmes qui surgiront à l’échelle mondiale, car, comme nous le savons tous, il s’agit d’un problème mondial. Même si nous trouvons une solution à notre problème, cela aura peu d’impact si le reste du monde ne trouve pas une solution à ses problèmes d’émissions.
Théoriquement, si la production et l’exportation du gaz naturel liquéfié au Canada permettent à la Chine, à la Corée et au Japon, notamment, de réduire leur recours à des centrales thermiques alimentées au charbon, soit leur principale source d’énergie, surtout la Chine et la Corée, comment cela devrait-il être pris en compte dans notre contribution à la réduction des gaz à effet de serre, s’il y a lieu?
M. Bagnoli : C’est une bonne question. C’est surtout intéressant, car on dit toujours que les politiques canadiennes feront augmenter les coûts au Canada, que nous devrons expédier notre gaz naturel dans des pays où les émissions sont plus élevées et que, par conséquent, cela entraînera une augmentation des émissions à l’échelle mondiale. Cependant, c’est tout le contraire.
Cette question pourrait être plus facile à régler, puisque nous avons un accord mondial, soit l’Accord de Paris. Si la Chine réussit à réduire ses émissions et à atteindre les cibles qu’elle s’est fixées en utilisant notre gaz naturel, tant mieux. C’est une bonne nouvelle.
Le problème, c’est la production du gaz naturel, car c’est au moment de la production du gaz naturel que les émissions sont calculées contre le total du pays, et non lorsque le produit quitte le pays. La production a un certain coût, mais la marge est suffisamment petite, que la production de notre gaz naturel pour aider d’autres pays n’aurait pas un gros impact sur nos émissions.
Même s’il y avait un impact, les profits liés à l’expédition du gaz naturel dans d’autres pays permettraient aux entreprises de payer les permis d’émissions ou de mener des activités visant la réduction des émissions. Ces coûts seraient compensés. Il s’agit vraiment d’une question économique : la vente à l’étranger de notre gaz naturel permet-elle de compenser les émissions relatives à l’extraction et à la production du produit?
Le sénateur Woo : Je ne parle pas de la décision financière des entreprises. Je me demande si nous ne devrions pas recevoir un certain crédit pour aider indirectement la Chine à réduire ses émissions et si les émissions relatives à la production du GNL ne devraient pas être omises des calculs, disons, puisque cette production entraîne une réduction des émissions dans d’autres pays.
M. Bagnoli : De façon générale, en raison de la façon dont les émissions sont calculées…
Le sénateur Woo : En raison des calculs nationaux.
M. Bagnoli : Si vous produisez un bidule, les émissions associées à la production de ce bidule sont calculées pour le pays où se fait la production, et non pour le pays où le bidule est utilisé. Puisque le gaz naturel sera brûlé dans un autre pays et que les émissions seront calculées pour ce pays — cette question a déjà été soulevée et, pour un économiste, c’est clair —, elles ne devraient pas être calculées pour le Canada, car nous retirons un avantage économique de la production du gaz naturel et l’autre pays réussit à réduire ses émissions.
Dans un contexte international, ils se sont engagés à réduire leurs émissions, tout comme nous, et nous devrions tous travailler à l’atteinte de la cible ultime.
Dans un sens, dire que les réductions des autres pays devraient être comptées comme des réductions pour nous, c’est faire le choix pour eux. En Chine, le gaz naturel est peut-être plus dispendieux que le charbon, une ressource très peu dispendieuse, et, si c’est le cas, il serait plus dispendieux pour la Chine de passer du charbon au gaz naturel, car le pays devrait importer le gaz naturel du Canada. Il serait moins dispendieux de continuer à utiliser le charbon local. Ce n’est peut-être pas le cas si l’on tient compte des facteurs environnementaux, mais, sur le plan commercial, ce l’est.
Le recours au gaz naturel est un choix. Si nous retirons à la Chine certains des avantages associés à ce choix, nous leur retirons également l’avantage économique du choix. La situation devient complexe. Il est préférable de calculer les émissions générées dans chaque pays.
Le sénateur Woo : Je comprends. Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je remercie nos deux invités. J’aimerais revenir à la question des équipements utilisés par les agriculteurs. Pourriez-vous nous fournir des précisions sur la pollution produite par les équipements? Qu’est-ce que les agriculteurs pourraient faire pour favoriser une réduction plus rapide des émissions de gaz à effet de serre en ce qui a trait à l’utilisation de leur équipement? On sait, par exemple, que certains agriculteurs ne laboureront pas nécessairement leur champ tous les ans afin d’éviter d’utiliser des équipements.
M. Fréchette : Comme nous l’avons mentionné précédemment, principalement, le bétail représente 5 p. 100, la culture, 3 p. 100, et tout ce qui a trait aux équipements utilisés, 2 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre.
Quant aux solutions, je dois dire que je m’y connais dans le domaine des abeilles, mais que je m’y connais moins en termes de production. Vous avez mentionné le labour, c’est-à-dire aucun labour, parce que si on laboure, on émet effectivement plus d’émissions, puisque c’est une façon de capter les gaz à effet de serre.
Mentionnons également que le contrôle de l’azote en matière de fertilisant est une autre source importante, ainsi que tout ce qui se fait sur le plan du contrôle de la réduction de l’utilisation d’azote, qu’il s’agisse de produits naturels ou d’autres méthodes.
On a aussi mentionné plus tôt que le méthane est, en matière d’équivalence, le gaz le plus nocif et le plus néfaste. Donc, tout ce qui correspond au contrôle de l’alimentation des animaux qui émettent du méthane devient probablement le critère no 1, puisque le méthane est le gaz le plus nocif. Tout ce qui se fait sur le plan de la recherche et de l’alimentation devient quelque chose d’impératif à suivre comme méthode ou approche.
Il est aussi nécessaire de contribuer à favoriser le changement de comportement, et il faut toujours garder en tête qu’un prix est associé au changement de comportement. S’il n’y a pas d’incitatifs pour changer de comportement, il n’y aura pas de changement.
M. Bagnoli : Certains aliments et certaines activités sont aujourd’hui reconnus pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il existe un type de bromoforme qui provient du varech et qui a été découvert en Australie, et il paraît qu’il pourrait réduire de façon importante les émissions de méthane.
En ce qui concerne le compost, le fait d’épandre le fumier directement dans les champs est une méthode efficace qui permet de diminuer la création d’oxyde nitreux. Il y a des façons de faire qui sont reconnues aujourd’hui pour réduire les émissions.
Le sénateur Dagenais : Lorsqu’un agriculteur fait des efforts pour travailler à une réduction rapide des gaz à effets de serre par les moyens que vous avez mentionnés, est-ce qu’il peut, à ce moment, bénéficier de certains crédits qui l’encourageront à continuer à travailler en ce sens?
J’ai connu beaucoup d’agriculteurs, ils aiment faire des efforts, mais ils aiment aussi recevoir les crédits qui accompagnent ces efforts.
M. Bagnoli : Pour mesurer les émissions, il y a des facteurs d’émissions qui sont appliqués aux animaux. On n’utilise pas les animaux pour mesurer les émissions. Il faut donc établir un système, soit un prix sur le charbon, soit une réglementation ou, encore, on peut développer les comportements des fermiers qui seront utilisés, par la suite, pour mesurer les niveaux d’émissions. C’est l’activité du fermier qui doit être observée plutôt que les émissions, parce qu’il est impossible de mesurer le changement des émissions. À ce moment, on peut élaborer une politique ou imposer une taxe implicite sur chaque animal et, ensuite, donner une recette au fermier qui pourra déclarer ce qu’il a fait, mais le crédit sur les taxes et les subventions peut être accordé à certains niveaux. C’est ce type de politiques que nous devons adopter. Nous ne voulons pas proposer des politiques, mais il y a beaucoup d’options pour intégrer l’agriculture à la politique de réduction des émissions des gaz à effet de serre.
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup de votre présentation. J’ai une question, et j’espère ne pas vous amener trop loin de votre expertise. Vous avez parlé, à quelques reprises, de l’importance d’une uniformité, d’une certaine standardisation dans les mesures de réduction des gaz à effet de serre.On a entendu plusieurs intervenants, provenant surtout de petites fermes, de plus petites exploitations agricoles, surtout dans le domaine de l’agriculture biologique, qui disaient qu’ils avaient des moyens différents. Or, les investissements qui sont faits dans ce secteur de recherche sont très minimes.
Est-ce que vous pensez que cette uniformité va demeurer équitable afin que ces petits secteurs ou ces secteurs à créneaux ne soient pas pénalisés, surtout dans l’optique un peu plus idéologique où ils fonctionnent déjà selon un processus de protection de l’environnement? Pouvez-nous dire comment vous voyez cela?
M. Fréchette : Merci de cette question. Nous sommes deux économistes qui croyons à la justice. Parfois, la justice est équitable dans le sens où plus on a d’exceptions, plus c’est difficile par la suite. Je ne parlerai pas de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui est un bel exemple d’un document où il y a tellement d’exceptions qu’il devient difficile à gérer.
Effectivement, il y a des secteurs plus petits, plus marginaux qui demeurent tout de même importants, comme l’agriculture biologique, par exemple. Nous savons qu’ils génèrent moins d’émissions, parce que, comme nous l’avons mentionné, ils font du compostage et ils recyclent leurs produits. Ils ont tendance à utiliser des moyens qui laissent une empreinte écologique moins importante.
Cela dit, il devrait y avoir un système juste, qui demeure équitable pour tout le monde, mais qui touche également tout le monde. Si les gens ont une empreinte écologique, ils devraient payer le même coût que tout le monde.
Je vais faire une analogie. Vous verrez, dans notre rapport, les chiffres que j’ai mentionnés auparavant, c’est-à-dire la croissance du PIB; l’atteinte de cette cible équivaudrait à imposer une taxe de 26 cents le litre. Il faudrait que tout le monde paie cette taxe, sauf les gens qui possèdent des voitures électriques. Est-ce que les gens qui possèdent des voitures électriques sont déjà indemnisés parce qu’ils ont une voiture électrique? Ou est-ce qu’on donne un crédit spécial à ces gens? Tout le débat vous revient. Avec l’analogie que je viens de faire, qu’allez-vous faire des recommandations en ce sens? Il vous appartient d’analyser cette analogie et de décider ce que vous allez faire avec ce type de recommandation.
La sénatrice Gagné : Merci de votre présentation. Vous avez signalé le fait qu’il faut fixer un prix explicite sur le carbone ou un prix implicite sous forme de mesures réglementaires, et ce, dans tous les secteurs.
Vous avez également souligné l’importance d’accorder des crédits qui pourraient être fondés sur la recherche. Plusieurs témoins nous ont confié que les investissements qui sont consentis dans le domaine de la recherche sont tout de même assez limités, surtout les investissements destinés aux chercheurs dans les diverses facultés d’agriculture ou à toute recherche reliée à l’agriculture. Il y a aussi un défi en ce qui a trait à l’analyse des données et à transfert des connaissances.
En tant qu’économiste, avez-vous fait des analyses sur les coûts des gaz à effet de serre et avez-vous analysé les investissements nécessaires qui doivent être faits en faveur de la recherche pour renverser la vapeur — je devrais peut-être dire renverser le méthane —, afin d’essayer d’en réduire les effets?
M. Fréchette : On n’a pas spécifiquement ciblé cet aspect. On examine toujours les coûts, mais on n’évalue pas comment la compensation peut se faire. Ma réponse sera en termes d’agriculture. Comme je l’ai dit, dans une autre vie, j’ai commencé ma carrière ici, à côté du président, à la place de votre analyste. L’agriculture et la recherche sont des sujets qui prennent beaucoup de temps avant d’aboutir à un résultat concret qui va favoriser une certaine efficience ou de meilleurs profits pour les agriculteurs.
Le secteur laitier au Canada est l’exemple parfait qui est connu de tous. Il a fallu quelqu’un, la volonté politique de l’ancien sénateur Whelan, dans les années 1970, qui a créé une gestion de l’offre. Cependant, c’était plus que de la gestion de l’offre, car il s’agissait de créer un cheptel laitier canadien reconnu. Évidemment, l’outil était différent, mais il a fallu 25 ans avant d’avoir un cheptel laitier reconnu.
Je ne sais pas si M. Bagnoli voudrait rajouter quelque chose de précis en ce qui concerne les montants consacrés à la recherche.
M. Bagnoli : J’aimerais ajouter qu’il y a beaucoup de recherches qui sont déjà reconnues. J’ai oublié de mentionner la luzerne. Cela a beaucoup aidé à réduire les émissions de méthane. Nous pouvons faire beaucoup de choses grâce à la technologie d’aujourd’hui qui peut nous permettre de réduire de 20 ou de 30 p. 100 les émissions. La question est de savoir s’il s’agit de 10 $, de 20 $ ou de 50 $ par kilo de dioxyde de carbone, et si la technologie est suffisante pour y arriver.
Mais pour les gens, il y a toujours une réaction à court terme et à long terme. Ce que je viens de mentionner, ce sont les réactions à court terme. À long terme, il y a les gens qui reçoivent des incitatifs pour faire de la recherche avec les laboratoires nationaux et privés. Il faut avoir ces incitatifs. En agriculture, s’il y a un prix implicite ou explicite, ils auront ces incitatifs pour faire de la recherche.
Ça ne répond pas exactement à la question que vous avez posée, mais c’est plus général et c’est pour dire qu’il y a une capacité de prendre des mesures; nous pouvons faire des progrès avec ce que nous avons aujourd’hui et nous pourrons faire mieux à l’avenir.
La sénatrice Gagné : En fin de compte, l’analyse se fait beaucoup, comme vous le dites, du point de vue économique, sur les coûts, mais pas nécessairement sur la question des investissements qui doivent être faits pour être en mesure de découvrir de nouvelles façons d’appuyer les agriculteurs dans la réduction de leurs émissions.
M. Fréchette : Cela revient encore à une question de gouvernement fédéral-provincial. N’oubliez pas ce que j’ai dit auparavant : il y a les coûts, et il y a les recettes qui se feront en fin de compte sur le prix du carbone. Vous connaissez très bien la compétence fédérale-provinciale en agriculture. Évidemment, le coût sera imposé, parce que c’est un programme national. Les recettes se feront au niveau provincial et, bien qu’il y ait de la recherche et des améliorations au niveau national par l’intermédiaire d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, c’est au niveau provincial qu’une bonne part des efforts devraient se faire pour accroître l’efficacité et diminuer l’empreinte écologique.
La difficulté de votre étude se situera également là, c’est-à-dire savoir qui sera responsable de soutenir la recherche pour atteindre une cible de niveau national, mais qui favorisera tout le monde dans l’ensemble du pays.
La sénatrice Gagné : Merci.
Le sénateur Maltais : Monsieur Fréchette, je veux continuer dans le même ordre d’idées que la sénatrice Gagné. Vous avez le modèle européen dans lequel, comme vous le savez, le Parlement européen collecte la taxe sur le carbone en Europe et la redistribue aux pays au prorata de la population. Le problème, c’est que cela n’a rien changé, parce qu’il n’y a pas de reddition de comptes. Si vous allez en Europe, vous allez voir qu’il y a plus d’automobiles et d’autobus au diesel; le diesel n’a jamais été aussi prospère, et je ne pense pas que c’est de cette façon que l’Europe atteindra les objectifs de l’Accord de Paris.
En revanche, au Canada, nous avons la chance d’être avant-gardistes. Le Québec, lui, perçoit une taxe sur le carbone et la redistribue pour soutenir la recherche dans le domaine des transports, de l’agriculture et même des activités maritimes. L’Ontario est en train de faire la même chose. Si une taxe nationale sur le carbone est mise en place, collectée, supposons-le, par le gouvernement fédéral et redistribuée au prorata de la population, est-ce que le gouvernement fédéral devrait avoir une obligation de reddition de comptes à l’égard des provinces?
M. Fréchette : Merci pour la question. C’est une question politique plus qu’autre chose. Avant de parler de reddition de comptes, je dirais certainement qu’il faut une transparence. Vous le savez très bien, les parlements autorisent non seulement la collecte des taxes, mais aussi la distribution des revenus, et le directeur parlementaire du budget existe justement pour vérifier s’il y a une transparence et si cette distribution se fait de façon correcte. Lorsqu’on affirme qu’il devrait y avoir une reddition de comptes, il devrait toujours y en avoir une, et c’est le cas pour n’importe quel programme. On peut investir dans tout ce qui passe par la tête du législateur, mais le législateur devrait, en retour, puisqu’il l’a autorisé, avoir un certain rapport en termes de rendement. Vous avez tout à fait raison sur cette question.
Pour ce qui est de l’Europe, la question est un peu plus complexe. C’est une grande fédération, avec des cultures différentes, et une agriculture différente également. Effectivement, l’autonomie des pays européens a toujours prédominé sur le gouvernement central. Évidemment, on se retrouve avec cette situation où de l’argent est redistribué du national vers le subnational, sans qu’il y ait nécessairement de reddition de comptes.
Vous allez probablement avoir la même problématique au Canada, c’est-à-dire que vous avez des types d’agriculture différents et, par exemple, des provinces productrices de pétrole et certaines qui ne le sont pas. Vous allez avoir le même problème que pour la péréquation si vous n’avez pas ce genre de reddition de comptes.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Messieurs, merci d’avoir accepté notre invitation. J’aimerais revenir à votre exposé. Vous dites que le problème de la tarification du carbone, c’est que les émissions sont calculées en fonction de moyennes. C’est un problème, car, bien entendu, les moyennes s’appuient sur un ensemble de chiffres, certains élevés, certains plus bas et certains dans la moyenne. Je crois qu’il serait plus intéressant ou révélateur de parler de tendances. Si, dans le calcul d’une moyenne, les chiffres plus bas sont le début et les chiffres plus hauts sont la fin, les moyennes demeureront les mêmes. Toutefois, si la tendance est à la hausse, au fur et à mesure qu’une situation progresse, les données seraient plus intéressantes et révélatrices de la situation réelle.
C’est faisable?
M. Bagnoli : Il y a peut-être un malentendu. Les moyennes sont les coefficients d’émission par animal, donc par vache, et le coefficient des vaches de race laitière est plus du double de celui des vaches d’élevage à viande. Ces coefficients sont propres à l’animal et ils n’ont pas vraiment changé dernièrement, même si les animaux sont devenus plus gros. Nous obtenons donc plus de lait par animal. Le coefficient d’émission n’a pas beaucoup changé. Chacun est une moyenne établie pour l’ensemble du Canada, mais de petites différences existent entre les provinces. On reconnaît donc que, dans certaines régions, les vaches ne produisent pas autant de gaz. C’est ce que nous essayons de faire comprendre. Ça rend difficile l’application d’une politique. Il ne comporte pas vraiment encore une dimension temporelle.
Le sénateur Mercer : Monsieur Fréchette, vous avez parlé de la culture sans travail du sol et du pourcentage important qu’elle présente. Connaissons-nous le pourcentage de nos agriculteurs qui l’ont adoptée? Connaissant ce pourcentage, pouvons-nous aussi calculer les réductions d’émissions de gaz à effet de serre attribuables à l’adoption de ce mode de culture?
M. Bagnoli : La réponse est oui, mais je ne l’ai pas à portée de main. En fait, elle se trouve dans les documents que j’ai sous les yeux. On peut le calculer à partir du rapport d’inventaire national d’Environnement Canada. Je n’ai pas fait ce calcul. Mais il y a là-dedans un élément de réponse. Les tendances évoluent, et la culture sans travail du sol réduit les émissions, ce qui a aidé aussi à les réduire. La jachère est une source d’émissions, parce que quand la végétation est maintenue à une faible hauteur puis que le terrain est labouré, quand la végétation s’accumule, qu’elle est exposée, elle crée des émissions, mais la jachère a perdu du terrain au fil des années. Par le passé, elle occupait une grande surface, maintenant très réduite. Cela a permis de réduire les émissions de cette source. Il y a des renseignements détaillés sur toutes sortes de choses. Nous n’avons tout simplement pas fait le calcul en prévision de la séance.
Le sénateur Mercer : Nous serons heureux de recevoir les résultats de vos calculs un de ces jours.
Nous continuons de discuter de l’établissement du prix du carbone sous une forme ou une autre, et le gouvernement fédéral envisage un prix national uniforme et, d’ailleurs, il a caressé l’idée d’en imposer un aux provinces qui ne satisfont pas à ses normes.
Est-ce qu’un système unifié reconnaît les disparités régionales? En effet, des provinces et des régions peuvent ne pas être également en mesure de s’adapter. L’effet de l’établissement du prix du carbone risque d’être plus considérable dans une région que dans une autre. Il n’est pas inhabituel, au Canada, de tenir compte des disparités régionales dans l’imposition de programmes. Le gouvernement fédéral, dans ses discussions sur le prix du carbone, ne me semble pas avoir reconnu que telle ou telle région risquait de ne pas satisfaire à la norme, contrairement à telle autre, qui serait plus en mesure de le faire grâce à ses capacités. Ai-je raison?
M. Bagnoli : Nous avons effectivement reconnu l’existence de différences régionales. La figure 3.1 du rapport montre vraiment un écart important dans les émissions par millier de dollars du produit intérieur brut. Le Québec a le rapport le plus bas, 200 kilogrammes pour 1 000 $ de PIB. En 2014, la Saskatchewan, sur une échelle de 12, se situait à plus de 1 000 kilogrammes d’émissions par unité de PIB. Voilà un obstacle de taille. Ça ne signifie pas nécessairement que la Saskatchewan soit tirée d’embarras, pour un motif très important.
Le Québec est si efficace, que la prochaine tonne d’émissions pourrait lui coûter très cher, tandis que, en Saskatchewan, le coût pour le producteur de cette dernière tonne pourrait être très faible, parce que, essentiellement, aucun prix n’est attaché à cette tonne ou cette tonne n’est l’objet d’aucune politique. Aucun prix implicite n’y correspond. Dans ce contexte, il conviendrait de rémunérer la Saskatchewan pour réduire ses émissions, parce que nous obtiendrions beaucoup plus de réductions à moindre coût. Et c’est là que se pose pour nous le problème dont nous parlions, celui d’un prix uniforme, mais, ensuite, on gomme les disparités régionales au moyen de politiques secondaires qui font qu’on n’accable pas une province plus que les autres. Le gouvernement fédéral, en promettant de rembourser leurs revenus aux provinces, essaie vraiment d’atteindre cet objectif.
Toutefois, pour que ce soit bien compris, la politique fédérale actuellement proposée consisterait à taxer le carbone dans certains secteurs et à imposer des normes dans d’autres. Ainsi, les gros pollueurs industriels, qui émettent plus de 50 tonnes par installation s’exposent à devoir respecter une norme de tant d’unités d’émissions par unité de production. Ça revient presque à la question dont nous discutions encore tout à l’heure. Êtes-vous toujours certain que la norme correspondra à la taxe de 20 $ sur le carbone? Est-ce que ce sera à plus ou à moins? Ces trucs comportent toujours des coûts implicites.
Voyez un bel exemple : l’Ontario a un programme pour payer le remplacement des thermostats domestiques par des thermostats dits intelligents. Je soupçonne que, quand on tient compte des émissions réduites grâce à ces thermostats par rapport à leur coût, le coût par tonne de dioxyde de carbone sera très élevé, mais c’est un programme que la province voulait instituer dans un but de motivation.
Le sénateur Mercer : Mais est-ce à court terme?
M. Bagnoli : C’est vrai. Il faut tenir compte de la durée des immeubles. Il faudrait les construire selon des normes permettant de recouvrer l’efficacité à long terme, 50 ans. Les normes en vigueur ne nous permettent pas d’obtenir ce résultat. En gros, il s’agit d’uniformiser autant que possible les coûts pour l’économie canadienne de manière à les maintenir les plus bas possible.
Le sénateur Mercer : Discutons d’un autre sujet, qui concerne particulièrement l’agriculture. On estime que, en 2050, la population mondiale sera de 9,7 milliards de personnes. Actuellement, il nous est impossible de nourrir une telle population. Elle sera donc en colère et affamée et elle cherchera des façons de se nourrir.
Seulement quelques pays, parmi lesquels le Canada, peuvent augmenter leur superficie productive. Le réchauffement planétaire n’est pas une bonne chose, mais, au Canada, il nous donne peut-être la possibilité d’étendre vers le nord les superficies agricoles. Avez-vous fait des calculs pour montrer l’effet, sur les émissions de gaz à effet de serre, de l’avancée vers le Nord de l’Ontario, le Nord du Québec et les Prairies des exploitations agricoles? Bien sûr, il ne faut pas s’attendre au climat de la Floride là-haut. Il fera encore froid en hiver. Avez-vous fait ces calculs et une analyse des avantages qui en découleraient?
M. Bagnoli : Nous ne l’avons pas fait, mais nous sommes économistes. Les scientifiques sont le plus au courant du déplacement des diverses zones climatiques en fonction des changements provoqués par le réchauffement planétaire.
Il y a quelques années, j’ai participé à un projet. Nous savons maintenant que, au Canada, la production à l’acre est sensiblement inférieure à celle de la plupart des cultures en Europe. Si la Chine, qui, actuellement, est importatrice de denrées alimentaires, adoptait les techniques agricoles canadiennes, elle serait autosuffisante. Ensuite, si elle adoptait les techniques européennes, elle serait une exportatrice importante. La conclusion que j’en ai tirée est que ce n’est pas une question de superficie. C’est de savoir combien on est disposé à payer pour l’agriculture. Si la terre devient rare, son prix s’envolera, nous motiverons les Canadiens à employer des techniques plus intensives comme en Europe, et la production augmentera.
Le sénateur Mercer : D’accord. Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Tardif : Selon les données d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, le fait d’établir un coût de 50 $ pour une tonne de CO2 d’ici 2022 entraînerait un coût de production plus élevé pour les fermes de taille moyenne situées dans l’Ouest du Canada que pour celles dans l’Est du Canada. Êtes-vous d’accord avec cette analyse? Pourquoi cette variation?
M. Fréchette : Dans ma présentation, nous avons fait des calculs par ferme. Je pourrai vous fournir les tableaux qui sont disponibles et qui répondent en grande partie à votre réponse. Je ne les avais pas inclus, parce que cela ne faisait pas partie de notre rapport et découlait d’une demande spéciale. Je serai heureux de transmettre ces renseignements au greffier pour vos futures discussions.
La sénatrice Tardif : Merci beaucoup, monsieur Fréchette. Nous serions très heureux de recevoir cette information.
Le sénateur Dagenais : Monsieur Fréchette, afin de créer des politiques, il faut mettre en place des structures qui permettent de mieux gérer ces politiques. Par contre, les structures peuvent parfois coûter plus cher que l’argent qui est investi pour l’atteinte des objectifs climatiques. Avez-vous une idée de la répartition des sommes qui permettraient la mise en place des structures liées à l’établissement des objectifs climatiques?
M. Fréchette : Non, on n’a pas examiné le coût des infrastructures comme telles, car on ne sait pas exactement quelles seront ces infrastructures.
Le sénateur Dagenais : Merci.
Le sénateur Maltais : Monsieur Fréchette, dans les années 1986 et 1987, le gouvernement du Québec et le gouvernement de l’Ontario avaient signé un protocole d’entente sur les émissions de GES sur les Grands Lacs. Vous savez qu’une très grande partie de la pollution dans le Sud de l’Ontario et du Québec provient des villes américaines situées le long des Grands Lacs et en bordure, ce que nous appelions dans le temps la « pollution non responsable », c’est-à-dire que nous n’avions pas un mot à dire dans ce dossier, mais que nous en subissions les conséquences.
Dans le cas où le gouvernement canadien décidait d’appliquer une taxe nationale sur le carbone, qu’arriverait-il de ces ententes? Est-ce qu’il y aurait des ententes spécifiques avec les villes comme Chicago ou d’autres villes qui longent les Grands Lacs et qui, en raison de la direction des vents, nous amènent de la pollution au Canada? Nous n’en sommes pas responsables, mais nous aurons à en payer le coût. Comment cela pourrait-il se faire avec le gouvernement américain?
M. Fréchette : Je suis assez vieux pour me souvenir des pluies acides. Vous mentionnez l’impact qu’elles auront eu sur les érablières du Sud et de l’Est de l’Ontario et du Québec. Vous vous souvenez du débat et que le problème n’a jamais été réglé.
Ma réponse en sera une de politicien. Je ne peux pas vous dire comment le Canada pourra négocier avec les États-Unis. Des ententes sont en place sur le partage des responsabilités, mais on revient au même point qu’on a toujours soulevé. Dans un contexte nord-américain où il y a exportation et importation de produits, de même que pour la pollution, il faut que l’entente s’applique non pas à un seul pays qui absorbera tous les coûts; il faut qu’elle soit plus que nationale pour éviter ce qui s’est passé en 1986.
Le sénateur Maltais : Messieurs, je vous remercie d’être venus témoigner ce matin. Votre témoignage est très important pour les membres du comité.
Nous savons fort bien que, s’il y a une taxe sur le carbone, cela influencera vos décisions et les budgets avec lesquels vous devrez travailler. Il est vrai que l’agriculture émet des gaz à effet de serre. Toutefois, sans agriculture, on élimine à la fois les gaz à effet de serre et aussi les êtres humains. Rappelons-nous que c’est par le ventre que l’être humain grandit, se forme, et devient scientifique pour combattre les GES. L’agriculture demeure le premier maillon de la chaîne pour l’être humain. Comme le soulignait mon collègue, le sénateur Mercer, le Canada ne doit plus penser qu’à lui. Maintenant, le Canada international et universel doit penser à ceux qui ont faim. Il devra transformer son agriculture, la modifier, mais toujours en produire plus pour la population de la planète.
Nous avons maintenant le privilège et le bonheur de recevoir Stéphane Lemay, directeur de la recherche et du développement de l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement, par vidéoconférence, de la ville de Québec.
Monsieur Lemay, bienvenue. Nous écouterons votre présentation, puis les sénateurs vous poseront des questions.
Stéphane P. Lemay, directeur de la recherche et du développement, Institut de recherche et de développement en agroenvironnement : Bonjour, tout le monde. Comme on vient de l’indiquer, mon nom est Stéphane Lemay. Je suis directeur de la recherche et du développement à l’IRDA, à Québec. C’est un grand bonheur et un privilège de vous adresser la parole ce matin pour partager avec vous le point de vue et la vision de l’IRDA sur l’impact des changements climatiques pour le secteur agricole.
L’IRDA est un institut de recherche qui compte une centaine d’employés réguliers. Il occupe deux sites principaux au Québec. La mission de notre institut consiste à mener des activités de recherche, de développement et de transferts en agroenvironnement, de façon à constamment améliorer les pratiques agricoles en les rendant toujours plus respectueuses des ressources de base, du sol, de l’air, de l’eau et de la biodiversité. Notre but est de rendre ces pratiques efficientes et de faire en sorte qu’elles soient socialement acceptables tout en protégeant la santé publique. En d’autres mots, le travail de l’IRDA consiste à rendre la recherche disponible au développement durable de l’agriculture.
Dans l’intérêt du temps, je ne vous donnerai pas plus de détails sur l’institut. J’ai joint à l’envoi le rapport annuel de la corporation, qui vous donnera plus d’information. Je serai heureux de répondre à vos questions si vous en avez à ce sujet.
Lorsqu’il s’agit de questions qui touchent l’environnement et le secteur agricole au Québec, l’IRDA est un joueur clé pour le développement des connaissances. En termes d’impacts, nous croyons, comme plusieurs intervenants, que les changements climatiques posent soit des risques, ou représentent des avantages et des opportunités pour le secteur agricole. Je ne veux pas entrer dans tous les scénarios de changements climatiques qui ont été avancés par plusieurs entités. Toutefois, si on prend l’exemple de l’accroissement des températures, on peut facilement démontrer que celles-ci pourront représenter soit des avantages ou des risques pour le secteur agricole. Une augmentation de la température permettra de cultiver des terres situées dans des régions plus nordiques auxquelles on n’avait pas accès par le passé. Elle permettra d’accroître la saison de culture et de produire davantage dans des conditions qui n’étaient pas accessibles auparavant.
À l’opposé, un accroissement de la température aura un impact dans certains cas, par exemple sur des terres ayant un taux de matière organique élevé et qui n’ont pas été cultivées. Mettre ces terres en culture augmentera les émissions de gaz à effet de serre des sols. On verra peut-être aussi l’apparition de nouveaux ennemis des cultures. L’augmentation des températures impliquera peut-être la nécessité de climatiser les bâtiments ou certaines parties des bâtiments aux fins de l’élevage animal. Ceci aura un effet sur les coûts de production.
Plusieurs autres aspects de l’augmentation de la température représenteront un avantage ou un inconvénient pour le secteur agricole. On peut penser aux nouvelles cultures, à la gestion de l’eau et à d’autres impacts potentiels liés aux changements climatiques.
Les changements climatiques auront un impact majeur sur l’environnement en agriculture, mais aussi sur la société et sur d’autres aspects de l’économie. À notre avis, il est important de toujours garder une vue d’ensemble sur les solutions qu’on préconisera pour être en mesure de réduire les émissions ou de s’adapter aux changements climatiques.
Les impacts sont complexes dans le monde agricole, et plusieurs paramètres ne sont pas toujours compris. Il n’est pas toujours clair de savoir de quelle façon on peut réduire les émissions de gaz à effet de serre et, par conséquent, l’impact des changements climatiques sur certains aspects du système de production. À notre avis, un retard important est accusé en ce qui a trait au développement des connaissances, tant scientifiques que techniques, pour contribuer efficacement à cette lutte aux changements climatiques. Il faudra aussi être capable d’aborder le problème sous deux angles principaux, soit être en mesure d’atténuer les émissions de gaz à effet de serre à partir des processus à différents égards, et s’adapter aux changements climatiques qu’on verra à court et long terme.
Nous désirons souligner que l’approche en agriculture doit être différente de celle des autres secteurs de production. Dans le domaine de l’agriculture, les sources de gaz à effet de serre sont diffuses, nombreuses et très souvent de faible intensité. Je ne veux pas entrer dans les détails, car je crois que vous êtes certainement bien au fait de toutes les valeurs en ce qui concerne l’importance des émissions de gaz à effet de serre pour le secteur agricole au Québec et au Canada dans différentes conditions, mais il est important de souligner que si l’on veut profiter de progrès intéressants du point de vue agricole, il faut garder à l’esprit qu’on a affaire à de multiples sources diffuses dont les taux sont faibles.
Au fil des années, notre institut s’est penché sur certaines avenues, certaines thématiques pour modérer la production d’émissions de gaz à effet de serre. Nous poursuivons nos projets actifs en recherche et développement. On peut penser à l’amélioration de la gestion de l’azote dans les champs, à la gestion de la diète de certains animaux, à certains élevages ainsi qu’à la sélection génétique des animaux. On peut remplacer l’énergie fossile, que ce soit au niveau de la production des engrais, du chauffage des bâtiments ou de l’opération de la machinerie. Chaque fois qu’on peut réduire ou remplacer de l’énergie fossile, on le fait dans sa globalité. On peut également travailler différemment avec la gestion des déjections animales et faire en sorte de réduire les émissions de gaz à effet de serre de ce point de vue.
Lorsqu’on parle d’adaptation, il faudrait pouvoir développer de nouvelles pratiques culturelles, de nouvelles façons de faire pour atténuer les effets négatifs et saisir les opportunités qui se présenteront.
En ce qui concerne les avenues potentielles, il faudra évidemment trouver de nouvelles façons de contrer les nouveaux ravageurs, les nouveaux ennemis des cultures qui vont se présenter, par une modification des stratégies de traitement. Qu’est-ce qu’on entend par cela? Il faudra certainement développer de nouveaux outils et produits pour contrer ces ennemis. Il faudra possiblement aller vers des méthodes alternatives, considérer la combinaison des techniques, la combinaison d’outils et les appliquer à différents moments ou de façon différente pour faire en sorte qu’on puisse les adapter au nouveau climat auquel on fera face.
À titre d’exemple, en ce qui a trait à la gestion de l’eau, différents scénarios climatiques prédisent le fait qu’il y aura peut-être des événements extrêmes plus fréquents, ce qui fera en sorte qu’il faudra gérer l’eau différemment pour l’irrigation des cultures et faire en sorte qu’on ait soit des réservoirs tampons ou des consignes d’irrigation différentes, et cetera.
Concernant les températures plus élevées, plusieurs productions animales y seront sensibles, que ce soit relatif au taux de gain des animaux ou de la productivité, et il faudra revoir la conception des systèmes de ventilation des bâtiments pour inclure, dans certaines parties, soit des options de refroidissement ou d’autres solutions pour réduire l’impact d’une température plus élevée.
L’autre message qu’on veut vous transmettre ce matin, c’est que si on veut réduire ou atténuer les émissions de gaz à effet de serre et s’adapter au contexte, il serait important de le faire de façon globale, en intégrant le mieux possible l’ensemble des connaissances pour arriver à un impact global réellement positif en fin de compte. Il faudra travailler sur les systèmes de production. Il ne faut pas considérer seulement de petites parties du système parce que, dans bien des exemples, il est facile de déplacer le problème. On sait d’ailleurs que dans le cas des déjections animales, on peut trouver des méthodes alternatives afin de réduire les émissions d’ammoniac dans les bâtiments et de faire en sorte que l’on conserve une plus grande quantité d’azote dans ces déjections. Cependant, si on ne les gère pas de façon adéquate quand on les utilise dans les cultures et dans les champs, on peut en quelque sorte perdre le gain qu’on essaie d’aller chercher.
Il y a des exemples que l’on peut souligner, si vous le voulez, où il faut s’assurer d’avoir une vue d’ensemble, une vue globale pour faire en sorte qu’on ait vraiment des retombées importantes et souhaitables dans le but d’avoir un impact positif réel en fin de compte.
Il faut également s’assurer de ne pas déplacer le problème d’un secteur d’activités à un autre. Lorsqu’on considère la production d’éthanol à partir de résidus agricoles ou de production agricole comme le maïs, il ne faut pas engendrer un conflit au niveau de la disponibilité d’un intrant pour l’alimentation humaine ou animale. Il faut s’assurer que le système se tient dans son ensemble.
À notre avis, et de façon très neutre, il nous semble qu’il faudra s’assurer de bien développer les connaissances nécessaires pour avoir des solutions complètes. La recherche et le développement, ainsi que l’acquisition de connaissances, joueront un rôle central à cet égard.
En ce qui a trait à la répercussion de la tarification du carbone, le seul message que l’on veut partager avec vous concerne la mesure des gaz à effet de serre. Au Québec, je crois qu’un seul protocole est reconnu présentement pour mesurer les émissions des structures d’entreposage. Si on veut être en mesure de mettre en place un système d’échange de tarification ou de mesure des émissions de carbone, il sera important d’avoir de bons protocoles de mesure pour s’assurer qu’on quantifie et qu’on traite ces valeurs de façon juste et répétitive.
Il faut faire attention encore une fois au modèle utilisé parce que, étant donné que les sources sont très différentes de celles de plusieurs autres secteurs — secteur des transports, secteur industriel —, il faut s’assurer que les protocoles élaborés soient bien adaptés au monde agricole. Encore une fois, je crois que l’accompagnement technique et scientifique sera nécessaire pour faire en sorte que ces protocoles soient bien élaborés et soient performants au fil du temps.
En conclusion, il est clair qu’on estime que l’un des rôles que les différents ordres de gouvernement peuvent jouer, c’est certainement de favoriser le développement de systèmes de production agricole à faibles émissions et bien adaptés aux changements climatiques. Les différents ordres de gouvernement doivent être en mesure de soutenir le travail de recherche afin d’accélérer le développement des connaissances et de faire en sorte que l’on puisse transférer ces connaissances et les mettre en application dans le secteur agricole, en tenant compte de sa particularité et des réalités territoriales et sectorielles auxquelles ce secteur faire face.
Brièvement, c’est l’exposé que je voulais vous présenter ce matin. J’aurai grand plaisir à répondre à vos questions.
Le sénateur Maltais : Je vous remercie infiniment, monsieur Lemay. Vous vous souvenez peut-être, il y a quelques années, que le Comité de l’agriculture et des forêts a visité votre institut à Québec, ce qui nous a permis de constater le travail extraordinaire que vous effectuez. Nous vous en remercions.
La sénatrice Gagné : Je vous remercie de votre présentation. Vous avez conclu votre présentation avec un constat sur les investissements dans le domaine de la recherche. Vous nous disiez que le pays a pris du retard sur le plan du développement des connaissances et des technologies. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les défis qui se posent quant à l’accès aux investissements pour développer ces connaissances et technologies, au Québec et au Canada? Pouvez-vous également nous dire comment fait votre institut pour assurer le transfert des connaissances aux agriculteurs? Enfin, travaillez-vous en réseau avec d’autres instituts de recherche ou d’autres facultés ailleurs au pays et à l’international?
M. Lemay : Si j’ai bien compris, la première partie de votre question concerne l’accès aux moyens de mettre en place des projets et des activités de recherche. La façon dont un institut comme le nôtre peut mettre des projets de l’avant pour faire avancer les connaissances liées à une thématique comme celle de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou de l’adaptation aux changements climatiques, c’est souvent en répondant aux appels de propositions des différents ordres de gouvernement ou des différents organismes subventionnaires qui peuvent fournir un appui financier au développement et à la mise en place de ces projets.
Souvent, un institut comme le nôtre est doté d’orientations de recherche qui sont mises de l’avant. Entre autres, en ce qui a trait aux changements climatiques, l’un de nos objectifs est de trouver des solutions à la réduction de ces émissions. Lorsque les programmes sont mis en place, lorsque les appels de propositions sont lancés, nos équipes de recherche sont alors en mesure d’imaginer et de développer les solutions des projets qui seront à suggérer, afin d’arriver à les évaluer et à cibler les meilleures solutions à retenir pour réduire ces émissions.
Vous me demandez de parler de ces outils. Je peux vous dire qu’il est très important que les outils financiers qui seront mis en place soient bien adaptés aux équipes de recherche qui travaillent dans le domaine de l’agriculture à travers le Canada. Je veux dire par là qu’il faut, idéalement, que les sommes mises de l’avant soient suffisantes pour accomplir des projets de bonne envergure et nous permettre de travailler adéquatement à faire avancer le niveau de connaissances. D’autre part, il faut aussi que les sommes soient adaptées au milieu agricole ou que la façon d’investir ces sommes soit adaptée à la réalité du milieu agricole.
Je vais essayer de vous donner encore plus de précisions. Si le financement disponible pour un projet de recherche ne permet pas que plusieurs équipes travaillent ensemble de façon adéquate, en ayant suffisamment de moyens pour appuyer le personnel, le matériel et faire un travail adéquat afin de faire avancer le niveau de connaissances, on ne pourra pas faire des projets qui ont du sens. D’autre part, si l’on forme quelques équipes de recherche, on parle d’un projet de recherche de plusieurs centaines de milliers de dollars pour être en mesure de progresser dans le cadre d’une thématique comme celle-là à un rythme intéressant.
Pour commenter l’autre partie de mon point, je vais prendre un autre exemple. Récemment, au Québec, il y a eu un appel de proposition pour des projets mobilisateurs en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur agricole. Dans ce cas-là, de la façon dont l’appel de proposition a été fait, on souhaite le développement de projets de l’ordre de 6 millions de dollars et plus. On est en mesure de demander une aide financière de l’ordre de 3 millions de dollars au minimum, avec une contribution du secteur privé à hauteur de 50 p. 100, pour un projet de l’ordre de 6 millions de dollars.
Dans le secteur agricole, à mon avis, un tel projet est trop gros pour aboutir à un résultat concret mis sur la table. Le secteur agricole ne sera ni en mesure ni prêt à investir des sommes semblables, compte tenu de la capacité du secteur et du niveau d’avancement des connaissances. Je ne veux pas donner une valeur précise, mais je veux bien illustrer mon point. Si l’on veut avoir un certain nombre d’équipes de recherche qui travaillent ensemble sur une problématique qui prendra de trois à cinq ans, cela ne nécessite pas seulement une somme de 10 000 $, mais cela ne nécessite pas non plus une somme de 6 millions de dollars. Lorsque vous me demandez de parler de l’accès à ces sommes, c’est ce que je pourrais vous répondre.
L’autre élément important à garder à l’esprit est le suivi du financement accordé à la recherche. À mon humble avis, c’est vrai pour l’ensemble des secteurs économiques du Québec et du Canada. Je comprends très bien comment cela fonctionne; cela fait plus de 20 ans que j’œuvre dans le domaine de la recherche. J’ai travaillé à titre de chercheur et je suis maintenant directeur. Il est très important d’atteindre le meilleur équilibre possible entre un suivi financier et une reddition de comptes qui soit juste et qui permette une utilisation correcte des ressources canadiennes mises à profit. En même temps, il faut être en mesure de bien doser ces efforts, parce qu’il faut garder à l’esprit que chaque fois qu’une équipe de recherche refait le rapport d’étape ou refait une reddition de comptes sur le projet, on retarde le développement de connaissances, et ce sont des énergies qui ne sont pas dépensées à cette fin. C’est un petit peu ce que je voulais dire concernant la première partie de votre question.
Deuxièmement, vous me demandez comment nous transférons l’information. Dans notre institution, nous tentons de travailler à plusieurs niveaux et nous avons recours à l’utilisation des canaux réguliers de diffusion, c’est-à-dire que nos équipes de recherche doivent rayonner à tous les niveaux, tels celui de la communauté scientifique, celui des utilisateurs et celui du secteur comme tel, qu’il s’agisse de conférences scientifiques, de conférences vulgarisées, d’articles, de publications ou d’entrevues. Nous tentons de mettre à profit tous les véhicules de diffusion disponibles pour transférer une partie de l’information.
De plus, pour certains sujets et certains projets, nous tentons d’aller plus loin et de faire une alliance avec des partenaires du secteur pour faire en sorte que les connaissances développées soient mises en application et en démonstration sur une ferme, avec une entreprise, afin d’évaluer correctement tout ce qui se fait. On travaille également avec les joueurs qui font davantage de transfert de sorte que l’information chemine le plus possible vers son application réelle en fin de compte.
Vous me demandez aussi comment nous travaillons en réseau au Canada ou ailleurs, à l’échelle internationale. Le monde de la recherche — et je crois que c’est vrai dans tous les secteurs — est très petit. Je veux dire que nous avons maintenant tous les moyens de communication disponibles; dans les secteurs très pointus, c’est un petit monde. Nos chercheurs à l’IRDA, comme dans d’autres instituts, sont très bien réseautés avec d’autres chercheurs au Québec, au Canada et à l’échelle internationale. Des projets sont faits en collaboration de façon concrète. À titre d’exemple, nous avons des projets dans différentes grappes de recherche scientifique dans le cadre desquels nous collaborons avec d’autres chercheurs canadiens. On bénéficie aussi d’échanges à l’échelle internationale dans le cadre de conférences, d’échanges d’étudiants et d’échanges de collaboration entre les laboratoires. Le type de réseau dont on dispose selon les secteurs est très varié.
La sénatrice Gagné : Merci beaucoup, monsieur Lemay.
M. Lemay : C’est avec grand plaisir.
Le sénateur Dagenais : Monsieur Lemay, je vous remercie de votre présentation.
L’adaptation semble parfois l’ennemi numéro un à combattre; vous avez bien fait valoir les actions possibles. Existe-t-il des programmes ou des stratégies pour joindre les producteurs qui sont des gens très occupés, afin que ces programmes produisent un impact dans leur milieu? En d’autres mots, pouvez-vous mesurer le succès de vos protocoles et nous en faire part?
M. Lemay : C’est une excellente question à laquelle il est difficile de répondre, mais je vais faire de mon mieux pour vous donner davantage de précisions à ce sujet.
Afin de mesurer nos protocoles ou l’impact de nos travaux de recherche, en fin de compte, nous devons mesurer le niveau d’adaptation finale de ce que l’on aura développé comme connaissances en matière de pratiques agricoles, de techniques ou d’information. J’aimerais indiquer également que l’agroenvironnement est un secteur horizontal très large qui touche l’ensemble des secteurs de production. À l’IRDA, on ne dispose pas de mesures exactes et justes d’adaptation ou de la prise de possession de l’ensemble de l’information que l’on développe, mais on a essayé de faire l’exercice dans certains secteurs et avec certaines des technologies que nous avons développées, afin d’examiner quel résultat avait été atteint au bout du compte. Il est difficile d’avoir une mesure juste, précise et exacte pour déterminer si les producteurs de pommes de terre, par exemple, auront adopté à 30 p. 100 la philosophie ou la stratégie que l’on aura développée pour fertiliser les cultures d’une façon X, Y ou Z.
Je dirais que la stratégie que l’on essaie de mettre en place pour tenter de maximiser cette adoption de nos travaux, c’est d’avoir une stratégie variée ou modifiée d’adoption des techniques issues de nos travaux. Pour ce faire, nous allons utiliser les moyens classiques de diffusion et faire des activités de démonstration à la ferme. On a aussi des activités de communication directe avec les producteurs. À titre d’exemple, l’été dernier, nous avons mis en place ce que l’on a appelé une « caravane de l’irrigation ». Cela a fait en sorte que, durant l’été, nos équipes de recherche se sont déplacées à la ferme et ont fait une quinzaine d’activités directement avec les producteurs. On est capable de travailler avec eux et de les aider à gérer leur système d’irrigation.
Ces activités nous permettent d’avoir une immersion directe avec nos recommandations de projet. Pour mesurer l’adoption de ces recommandations, nous allons revisiter ces producteurs l’année suivante afin de voir combien d’entre eux ont adopté ces techniques. Lorsqu’on travaille avec les pratiques agricoles, et pour réduire les gaz à effet de serre et s’adapter aux changements climatiques, c’est l’ensemble des pratiques agricoles qui aura un effet en fin de compte. Il est difficile d’avoir une mesure exacte de l’impact, mais il faut faire en sorte de se donner les moyens de les transférer le mieux possible.
[Traduction]
La sénatrice Griffin : Merci pour votre exposé. Comme notre président l’a dit, je suis de l’Île-du-Prince-Édouard. Dans notre province, les plans de fermes écologiques connaissent une grande popularité. Dans ces plans, bien sûr, les agriculteurs précisent exactement comment ils exploiteront leur exploitation de façon plus durable. Dans votre province, ces plans ont-ils la cote auprès des divers exploitants agricoles?
[Français]
M. Lemay : D’une certaine façon, il y a des outils ou il y a des méthodes qui peuvent ressembler à cette approche. Au Québec, à titre d’exemple, il y a une structure complète de clubs en agroenvironnement qui est en place dans le secteur agricole et qui permet aux producteurs de s’adresser à ces clubs. Ces clubs sont formés de professionnels et d’ingénieurs agronomes qui peuvent accompagner ou aider l’agriculteur dans la mise en place et l’application de meilleures pratiques agricoles liées à la protection de l’environnement à la ferme. Ils offrent leur aide à la gestion des engrais de ferme, à la planification des bandes enherbées et à la planification de la gestion de l’eau ou des engrais minéraux. Dans le réseau des clubs en agroenvironnement au Québec, le producteur paie un certain montant et il peut être accompagné par ces professionnels qui l’aideront dans sa prise de décision.
Ce système est peut-être un peu différent de celui que vous avez évoqué, mais je crois qu’il poursuit un peu les mêmes buts et qu’il y a une similarité entre eux.
[Traduction]
La sénatrice Griffin : C'est formidable. Merci. On m’a dit que l’agriculture biologique contribuait à réduire les émissions de gaz à effet de serre. D’après votre expérience, cette réduction est-elle sensible?
[Français]
M. Lemay : Pas toujours, malheureusement. Il faut le voir dans son ensemble. En effet, je crois qu’il est très important que l’on augmente davantage nos connaissances en agriculture biologique afin de réduire l’utilisation de pesticides et d’engrais minéraux qui engendrent, lors de leur production, des gaz à effet de serre, car on utilise de l’énergie fossile pour le faire.
Pour ce qui est des gaz à effet de serre, dans le cas où un producteur doit multiplier les travaux mécaniques du sol pour contrer des mauvaises herbes ou certains ennemis qui s’attaquent à la culture, il faudrait s’assurer de voir le bilan dans son ensemble, car on peut augmenter de façon importante l’énergie fossile utilisée.
C’est aussi vrai dans la production biologique animale, dans certaines conditions où l’on doit augmenter la surface de sol pour être capable de produire le même nombre de kilogrammes de viande. Ce sont des analyses de type cycle de vie qui vont nous permettre de savoir si nous pratiquons l’agriculture biologique de façon X, Y ou Z dans un secteur en particulier, et aussi de savoir si nous pourrons réduire les gaz à effet de serre.
[Traduction]
La sénatrice Griffin : Je pensais bien que c’est ce que vous répondriez.
M. Lemay : C’est sympathique.
La sénatrice Griffin : Comme toute autre forme d’agriculture, elle dépend de la manière dont on s’y prend et de ce qu’on fait, bien sûr.
Ma dernière question concerne la production de méthane par les animaux. Quels exemples précis donneriez-vous de systèmes de production qui contribueraient à la réduire?
[Français]
M. Lemay : Je pourrais vous donner deux exemples quant à cet élément. Je suis ingénieur de formation, je ne suis pas nutritionniste, et donc pas spécialiste de l’alimentation animale, mais je sais qu’il est possible de modifier la diète des vaches en ajoutant certains ingrédients à la diète ou en formulant la diète différemment de façon à modifier les micro-organismes que l’on va retrouver dans le corps de la vache afin de réduire sa production de méthane. Beaucoup de travaux doivent être faits, parce qu’à ma connaissance, nous n’en sommes pas rendus à avoir une formule de diète qui soit efficace, économique et rentable, mais il y a une possibilité de ce côté afin de réduire la production de méthane du cheptel laitier.
L’un des sujets sur lesquels une de nos équipes de recherche a travaillé est la biofiltration de l’air à la sortie des structures d’entreposage afin de décomposer le méthane. Il est possible d’installer un biofiltre à la sortie d’une fosse à lisier ou d’une structure d’entreposage des déjections. Ensuite, il faut filtrer l’air que l’on va retirer du dessus de cette structure pour capter le méthane, et les bactéries du biofiltre se nourriront du méthane afin d’éviter son relâchement dans l’environnement. Ce sont des exemples à brûle-pourpoint que je peux vous mentionner à cet égard. Encore une fois, il s’agit d’un système de biofiltration du méthane, et nous savons que c’est faisable du point de vue technique et à petite échelle, car nous l’avons testé sur un petit entreposage de déjections animales réelles. Il nous reste à aller plus loin pour le faire à l’échelle commerciale.
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup, monsieur Lemay, de votre présentation intéressante et de vos réponses très éclairantes et très bien développées.
J’aurais envie de revenir au financement de la recherche. J’y connais très peu de chose. J’aimerais vous entendre sur la structure de ce financement. Vous avez mentionné plus tôt un exemple où 50 p. 100 du financement de la recherche venait du secteur privé. Est-ce fréquent? Est-ce qu’il y a beaucoup d’investissements privés? Quelles sont les implications qui ont des conséquences positives ou négatives? Le secteur privé a-t-il un intérêt financier ou autre dans cet investissement?
La raison pour laquelle je pose cette question, c’est qu’on a entendu quelques témoins, surtout dans le secteur de l’agriculture biologique ou des secteurs à créneaux, comme le vin, qui disaient qu’un très faible pourcentage de la recherche est investi dans leur secteur. J’aimerais que vous nous brossiez un tableau de ce à quoi ressemble ce type de financement. Est-ce qu’on passe à côté de certaines recherches parce que le secteur privé se concentre sur un domaine en particulier plutôt que sur d’autres?
M. Lemay : Merci beaucoup pour vos bons mots. Je vais tenter de continuer dans ce sens pour mes réponses. Je crois que votre question est très pertinente. J’ai constaté une tendance au fil des 20 dernières années, qui montre que, pour ce qui est du financement de la recherche au Canada, et je crois que c’est vrai dans tous les secteurs, on migre beaucoup vers des questions qui sont davantage à court terme et qu’on demande de plus en plus au secteur privé de montrer un intérêt financier pour un projet avant de le soutenir avec des fonds publics.
En soit, le principe de base est bon, parce qu’au départ, on veut s’assurer que les travaux seront d’intérêt, qu’ils serviront au secteur privé, et on demande au secteur privé d’investir 10, 20, parfois jusqu’à 50 p. 100 du financement nécessaire pour réaliser les travaux.
Mais dans le secteur dans lequel nous travaillons, nous sommes confrontés à cela pratiquement tous les jours. Nous travaillons en agroenvironnement. Notre thématique de travail est très importante, parce que nous devons protéger nos ressources. Lorsqu’on voit l’horizon de production alimentaire, d’ici 2050, compte tenu de l’augmentation de la population et des changements climatiques dont on parle ce matin, il sera très important d’être en mesure de protéger nos ressources de base. Mais pour le producteur, ce n’est pas toujours payant de façon immédiate.
Donc, il est excessivement difficile parfois pour nous d’aller chercher cette partie de financement privée, même si parfois on demande 10 ou 20 p. 100 de financement. C’est très difficile pour le secteur agricole. Premièrement, les ressources sont limitées à la base, et le producteur n’a pas d’intérêt financier direct, immédiat, pour pouvoir justifier un tel investissement.
Alors, mon message par rapport à votre question, pour bien la camper, c’est que, pour des thématiques comme l’agroenvironnement, les changements climatiques et la façon dont on réduira les émissions de gaz à effet de serre pour pouvoir amener le secteur agricole à s’adapter à cette thématique, il ne faut pas demander une grande contribution du secteur privé. À la limite, je me demande s’il faut même en demander une, car il est très difficile de l’obtenir. En même temps, je ne dis pas que tous les chercheurs, à l’échelle du Canada, devraient travailler sur des projets comme bon leur semble sans que ce soit utile et bien accroché aux besoins. Mais il est très important de comprendre que, lorsqu’on élabore ces programmes de financement et qu’on émet ces demandes pour des thématiques comme les gaz à effet de serre, l’agroenvironnement ou l’environnement comme tel, c’est très difficile à mettre en place. Cela peut faire en sorte que l’on passe à côté de projets intéressants et qui ne sont pas soutenus. Ensuite, il est difficile pour les équipes d’arriver et mettre le financement en place pour avancer.
L’autre élément à considérer, si on parle de pratiques agricoles, c’est que, souvent, pour avoir la recette gagnante, il faut dire au producteur : « On doit fertiliser les cultures, gérer les lisiers de certaines façons en combinaison avec cette fertilisation, et on va incorporer ou intégrer, par exemple, les engrais organiques au sol de la façon X, Y ou Z. » Mais ce sont des pratiques agricoles pour lesquelles même un industriel ne pourra pas investir beaucoup d’argent et espérer un retour sur investissement grâce à un changement de pratique.
Supposons qu’une technologie est développée et qu’elle est suffisamment avancée pour permettre un contrôle de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Imaginons, par exemple, qu’on soit capable de développer un système qui serait installé à la sortie d’un bâtiment agricole et qui permettrait de capter complètement le méthane émis par les vaches. Dans un contexte comme celui-là, lorsque le niveau est suffisamment avancé, le secteur privé peut commencer à investir pour prendre le relais d’une certaine façon. Mais il faut s’assurer de ne pas l’exiger trop tôt.
Ensuite, en termes d’échanges et de façons dont ces projets sont mis en place, dans tout le système de la recherche — et c’est vrai tous azimuts —, je crois que, aujourd’hui, plusieurs chercheurs canadiens passent énormément de temps à mettre le financement en place et à en faire la reddition de comptes. Chaque fois qu’on fonctionne ainsi, on ne trouve pas de recette pour soigner le cancer et on ne trouve pas de recette pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. On n’est pas toujours efficace de cette façon. Je pense que, lorsqu’on bâtit des programmes de financement, il faut toujours avoir cet élément à l’esprit, et trouver le bon équilibre entre une reddition de comptes qui est équitable, juste et loyale du point de vue sociétal, et ce qu’on demande aux équipes de chercheurs. Est-ce que ça répond à votre question?
La sénatrice Petitclerc : Oui, ça répond tout à fait à ma question. Iriez-vous jusqu’à dire que, à cause des intérêts du secteur privé qui ne sont pas nécessairement toujours à court terme, dans l’agroenvironnement, c’est un secteur qui est sous-financé au chapitre de la recherche, et que, dans le fond, il serait important d’alléger la lourdeur administrative que vous subissez dans le cadre de la recherche? Ce sont deux petites clarifications différentes.
M. Lemay : Je répondrais oui à vos deux questions. Évidemment, tout bon chercheur va toujours vous dire qu’il n’a pas assez de financement; je suis tout à fait convaincu de tout ce que j’ai dit quant au financement. Est-ce que l’agroenvironnement est sous-financé? Je ne vous répondrai jamais non à cela. Sérieusement, l’agroenvironnement, les changements climatiques et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ce sont des secteurs pour lesquels, à mon sens, il faut prévoir plus de ressources et de financement. Pour faire le lien avec votre deuxième question, certainement pour une bonne partie de l’amorce du programme, il ne faut pas demander de contribution du secteur privé nécessairement pour mettre de bonnes idées en place, parce qu’on n’aura pas cette contribution. Il sera très difficile de la mettre en place et il sera difficile de proposer de bons projets qui vont avancer.
Si je peux me permettre, concernant le deuxième élément de votre question, je n’ai pas la réponse complète à cela, mais je crois personnellement et fermement que le système de la recherche au Canada, et dans le monde, est un peu malade. Le défi auquel on fait face est le même partout. Et la réponse que je donne à votre question est peut-être de portée plus large, mais je crois que, au global, il nous faudrait vraiment revoir comment on attribue les fonds de recherche pour faire avancer les connaissances, et c’est vrai dans tous les secteurs.
Je ne serais pas surpris de voir, si on faisant un calcul juste, tous secteurs d’activités confondus, de la médecine aux sciences sociales, en passant par tous les aspects techniques, que le temps passé à rédiger des propositions de recherche, à chercher l’argent et à en faire la reddition de comptes représente un pourcentage majeur du temps des chercheurs. C’est sûrement de l’ordre de 30 à 40 p. 100. Alors, c’est très important.
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup.
Le sénateur Dagenais : Monsieur Lemay, comme vous y avez fait un peu allusion, on va parler un peu de politique. Il est certain que, parfois, entre les budgets et la reddition de comptes, les budgets peuvent rester en place, vous n’avez pas nécessairement l’occasion de les dépenser. Je vais me risquer à poser cette question : est-ce que, parfois, les politiciens voient trop grand pour la capacité de la recherche? Vous pouvez me répondre ou non. Vous savez, parfois, les politiciens peuvent avoir des idées de grandeur, ils ont des perceptions. Mais est-ce qu’ils ne voient pas trop grand pour la capacité de la recherche quand vient le temps de transmettre ces perceptions?
M. Lemay : Je ne suis pas politicien et ce n’est pas mon rôle de commenter cet élément.
La réponse que je voudrais vous faire, c’est que l’appui financier qui doit être donné, ou les attentes par rapport à l’appui qu’on va donner à la recherche doivent être bien campés, je crois, avec les secteurs concernés. Comme je le mentionnais tout à l’heure, je crois que lorsque les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux veulent s’investir dans des questions comme les changements climatiques et les gaz à effet de serre, l’élément que je peux vous indiquer, c’est que la façon dont on doit aborder ces questions, c’est en s’assurant de bien comprendre le secteur d’activité dans lequel on travaille. En outre, il faut aussi faire en sorte que les moyens soient bien ajustés ou bien dosés avec le secteur qui est considéré.
Il est difficile pour moi de dire si les ambitions sont démesurées, et je ne veux pas m’aventurer sur ce terrain. Par contre, ce qui est à retenir, c’est qu’il faut toujours s’assurer de bien camper les outils avec les secteurs concernés.
[Traduction]
La sénatrice Griffin : Revenons à la fermentation qui a lieu dans les intestins des animaux, l’intestin postérieur. Il y a plusieurs mois, j’ai entendu dire que l’utilisation d’algues, dans une expérience réalisée dans l’Île-du-Prince-Édouard, semblait aider à réduire la production de gaz. Avez-vous eu vent de ces travaux ou d’une telle utilisation des algues dans l’alimentation animale en général?
[Français]
M. Lemay : Je ne suis pas au courant de ce projet en particulier, mais je crois qu’il est fort probable que des additifs alimentaires ou des combinaisons de nutriments, comme le fait d’alimenter les bovins avec différentes rations de végétaux ou des additifs différents ajoutés aux végétaux, puissent avoir un effet sur la microflore de nos intestins. De ce point de vue, je ne peux pas me prononcer sur l’étude en tant que telle, car je ne la connais pas suffisamment, mais cela pourrait être plausible. Il faudrait l’examiner en détail, mais ça ne me semble pas impossible.
Ce qu’il faut faire, ensuite, c’est essayer de bien comprendre que, lorsqu’on modifie une diète comme celle-là, il faut pouvoir examiner quel effet cela aura sur la productivité de l’animal et sur la composition des émissions et des déjections animales. Il faut aussi être en mesure de voir quel est l’impact, entre autres, pour ce qui est du bovin laitier, des changements nutritionnels sur le goût du lait. Il faut se rendre jusque-là. Lorsqu’on veut travailler sur un ingrédient de cette nature, il faut être en mesure, encore une fois, de l’examiner au complet, d’avoir une vue d’ensemble.
Il y a un travail similaire dont je peux parler à titre d’exemple. Par le passé, en tant que chercheur, j’ai fait des travaux sur la modification de la diète des porcs afin de comprendre l’impact qu’aurait le fait de changer le niveau de protéines brutes dans la diète de l’animal sur les émissions d’ammoniac et les émissions d’odeurs. Nous savons que, techniquement, il est possible de modifier l’alimentation du porc et de changer le taux de protéines brutes de la diète de l’animal y en ajoutant des sucres, de sorte à réduire les émissions d’ammoniac et à changer les émissions d’odeurs. Nous savons que c’est faisable. Mais il y a un coût à cela, et c’est toujours l’équilibre. Une fois qu’on a établi les connaissances liées à cette question, dans ce cas précis, il s’agit beaucoup plus d’un impact économique, et c’est le coût de la modification de la diète qui fait en sorte qu’il est plus difficile de l’implanter. Dans cet exemple précis, le coût de la modification de la diète pouvait aller jusqu’à 5 $ par porc produit, ce qui peut représenter une augmentation de l’ordre de 7 à 10 p. 100 des coûts de l’alimentation de l’animal. Je sais que c’est possible de le faire en ce sens pour le porc.
Le sénateur Maltais : Monsieur Lemay, merci infiniment de votre témoignage qui a été très instructif pour les membres du comité. Comme vous l’avez si bien dit, la recherche est malade financièrement. Il faudrait peut-être que vous commenciez à trouver le remède afin de recevoir assez d’aide pour continuer vos recherches
J’aurais un dernier commentaire. Vous savez, d’ici quelques années, nous serons peut-être 9 milliards d’habitants sur la Terre. Il faudra produire beaucoup plus, sans endommager l’environnement. Il y aura sans doute une très grande transformation qui devra se faire dans le domaine agricole. Je sais que le Québec, l’Ontario et les Maritimes voient cette perspective d’un bon œil. Je souhaite que vos recherches — ou une partie, en tout cas — soient faites en vue de l’avenir, afin de permettre que le Canada devienne une épicerie un peu mondiale pour aider les pays en voie de développement, qui sont des pays extrêmement pauvres au chapitre de l’alimentation.
Merci beaucoup, et bonne chance au cours de la prochaine année.
(La séance est levée.)