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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 42 - Témoignages du 15 février 2018


OTTAWA, le jeudi 15 février 2018

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 8 h 2, pour étudier les effets potentiels du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier, puis à huis clos, pour examiner un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Je suis la sénatrice Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard, et je suis présidente du comité. J’invite d’abord les sénateurs à se présenter, en commençant par le vice-président.

[Français]

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Pat Bovey, Manitoba.

Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Terry Mercer, Nouvelle-Écosse.

La présidente : Je vois qu’on a des gens de partout au pays. Il y a beaucoup d’intérêt et d’engagement.

Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation à témoigner aujourd’hui. Nous sommes heureux de vous accueillir. J’invite maintenant le témoin à présenter son exposé. Je suis certaine que le greffier vous a informée que vous avez entre 7 et 10 minutes pour faire votre exposé. Nous passerons ensuite aux questions. À vous la parole.

Anja Geitmann, doyenne, faculté des sciences agricoles et environnementales, Université McGill, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir invitée aujourd’hui.

[Français]

Vous pourrez me poser des questions en français après ma présentation, que je ferai en anglais, si vous me le permettez.

[Traduction]

Je m’exprime aujourd’hui au nom de l’une des huit facultés canadiennes d’agriculture. Notre faculté compte environ 2 200 étudiants et environ 100 professeurs, dont bon nombre font de la recherche sur l’agriculture et les changements climatiques. J’aimerais toutefois souligner qu’au Canada, nous avons, au total, huit facultés d’agriculture et cinq facultés de médecine vétérinaire. Ensemble, nous formons ce qui s’appelle encore l’Association des facultés canadiennes d’agriculture et de médecine vétérinaire, mais nous allons bientôt changer de nom pour le Conseil des doyens des sciences de l’agriculture, de l’alimentation et de la médecine vétérinaire.

Ce groupe représente plus de 1 000 professeurs de partout au pays. En tout temps, il y a environ 26 000 étudiants inscrits. Il s’agit donc d’un bon groupe et d’un nombre considérable de gens et de chercheurs qualifiés. C’est très important, car nous formons les futurs travailleurs dans ce domaine.

J’ai appris que vous étudiez le lien entre les changements climatiques et l’agriculture depuis un certain temps, alors le sujet n’a pas besoin de présentation.

J’aimerais souligner le double rôle que joue l’agriculture dans le contexte des changements climatiques. D’un côté, l’agriculture est l’un des principaux facteurs contribuant aux changements climatiques. De l’autre, il est l’une des principales victimes des changements climatiques, si je puis m’exprimer ainsi. Ces deux aspects doivent faire l’objet de recherches afin de mieux comprendre la complexité des enjeux.

Pour l’ensemble de la population, l’aspect le plus difficile est justement la complexité des enjeux. Il s’agit aussi d’un aspect intimidant. Pour le grand public, si tout n’est pas noir ou blanc, il est très difficile de comprendre à quel point il y a des facteurs qui compliquent les choses. Il ne fait aucun doute que les changements climatiques sont réels, mais les façons d’y remédier et les incidences sur l’agriculture et d’autres domaines dépassent le grand public. Nous ne pouvons qu’essayer de mieux comprendre les répercussions des changements climatiques et les façons d’y remédier.

La recherche vise à mieux comprendre les choses. C’est ce que l’on fait en tout temps. Mieux comprendre nous aide à prendre des décisions fondées sur des données probantes. Le présent gouvernement veut prendre des décisions fondées sur des données probantes, et notre travail consiste à produire ces données. Voilà comment nous percevons notre rôle.

Je vais vous donner quelques exemples d’enjeux que nous devons mieux comprendre et pour lesquels la recherche peut fournir des données probantes. Je crois que vous avez déjà entendu parler d’un bon nombre de ces enjeux au cours des dernières semaines et des derniers mois.

Nous avons une série de questions qui portent sur les façons d’atténuer et de réduire la contribution de l’agriculture à la production de gaz à effet de serre et aux changements climatiques. Nous avons aussi une série de questions sur les façons de prévoir les effets des changements climatiques et d’améliorer la résilience. Il s’agit de la chose la plus importante. En raison des changements climatiques, les phénomènes météo seront de plus en plus intenses et imprévisibles. Nous ne savons pas exactement comment les choses vont se dérouler, mais nous savons que nous devons améliorer la résilience du système.

Je vais d’abord poser quelques questions. Je ne vais pas y répondre. Je vais seulement vous dire que nous avons besoin d’y répondre. Par exemple, comment pouvons-nous gérer efficacement les flux de carbone et d’azote afin de réduire la production de gaz à effet de serre? De façon très concrète, quels types de fourrage vont réduire la production de gaz à effet de serre et en quoi cela dépendra-t-il de la région géographique, du type d’élevage, et cetera? Comment peut-on changer les pratiques de gestion du fumier pour optimiser et, plus important encore, réduire au minimum les émissions de gaz à effet de serre? Quels processus métaboliques peuvent être manipulés sur le bétail et sur de nouvelles races de bétail afin de réduire cet effet?

Comment devons-nous traiter nos sols pour les préserver comme puits de carbone et les empêcher de devenir une source de carbone? Le sol peut se comporter de ces deux façons. Notre façon de traiter le sol aura une énorme incidence sur sa façon de réagir, tout comme la température.

À titre de scientifiques, nous voulons surtout produire ces données scientifiques, mais ça ne devrait pas se limiter à cela, et ça ne se limitera pas à cela, car nous avons aussi des experts qui calculent les effets. Nous devons aussi comprendre comment toute mesure prise par nous et par les gouvernements, ou les politiques mises en œuvre par les agriculteurs et l’industrie toucheront, dans les faits, la capacité des agriculteurs sur le marché international. Il est essentiel de procéder à une analyse des avantages et des coûts. Sinon, nous ne pourrons pas apporter de changements, car aucun agriculteur ne voudra adopter des mesures qui réduiront ses revenus.

Nos chercheurs peuvent également préparer des modèles de calculs et de prévisions à cette fin.

Le calcul des coûts doit se faire tout au long de la chaîne d’approvisionnement à partir de la ferme. Il doit aussi inclure l’effet des mesures prises sur la pollution et les coûts environnementaux plus loin dans la chaîne. Il est très tentant d’adopter des mesures qui produiront des effets immédiats au cours des prochaines années — comme, par exemple, nous réduirons les émissions de gaz à effet de serre de 20 p. 100 si nous adoptons cette mesure —, mais quels en seront les effets collatéraux dans 50 ans? Si nous ne tenons pas compte des effets à long terme — et les politiciens ne voient pas nécessairement plus loin que les quatre prochaines années, mais la présente génération a la responsabilité d’envisager l’avenir au-delà d’un cycle électoral.

Afin de prévoir l’avenir, nous avons besoin de gens qui vont calculer et modéliser les effets. Pour ce faire, nous avons besoin de plus de données. Les données sont les preuves dont nous avons besoin pour déterminer les mesures qui réduiront les effets de l’agriculture sur les changements climatiques.

D’un autre côté, afin d’affronter ce qui est en train de se produire — il est inévitable que le climat change — nous devons accroître notre résilience. Pour ce faire, nous devons mieux comprendre, par exemple, comment les cultivars utilisés au Canada réagissent aux pathogènes invasifs qui, sans aucun doute, se dirigeront vers le nord. Des pathogènes qui ne sont pas encore présents ici parce que notre climat est trop froid remonteront vers le nord.

Il n’est pas suffisant d’étudier ce que font les États-Unis au sujet de certains pathogènes à 200 kilomètres au sud de notre frontière, parce que nos plantes sont différentes, nos cultivars sont différents, notre géographie est différente et notre microclimat sera différent. Il faut donc mener notre propre recherche. Aucun autre pays ne mènera de recherches pertinentes pour notre pays, car leur emplacement géographique, leur bétail et leurs plantes sont différents. Tout est différent. Nous devons mener ces recherches nous-mêmes.

Comment allons-nous consolider le besoin de nourrir une population mondiale de 9 milliards de personnes attendues d’ici les quelques prochaines décennies, le besoin d’améliorer l’efficacité en agriculture et l’augmentation de la production avec le besoin de réduire l’incidence de l’agriculture sur le climat? C’est très difficile. Pour ce faire, nous avons encore besoin de données.

Nous devons aussi comprendre comment la population générale réagira aux mesures. Je crois que vous avez entendu des témoignages à ce sujet mardi soir. L’une des mesures qui seront nécessaires est qu’il faudra repenser notre consommation de viande. Comme nous le savons tous, la viande gaspille non seulement de 15 à 20 fois plus de calories que la consommation directe d’aliments d’origine végétale, mais elle produit aussi une incroyable quantité de gaz à effet de serre. En tant que pays développé, pouvons-nous continuer de consommer autant de viande alors que des pays du tiers-monde et les pays en développement veulent faire la même chose, à juste titre?

Nous devons repenser l’économie et nous devons repenser nos priorités et nous devons repenser comment les consommateurs vont réagir aux différentes mesures. Le secteur agricole canadien doit prévoir ce mouvement. Nous devons probablement prévoir que nous devrons produire davantage de protéines à partir de plantes, par exemple.

Parlons maintenant des effets collatéraux. Par exemple, comment les changements climatiques influenceront-ils les maladies à transmission vectorielle qui touchent directement notre bétail et qui nous touchent indirectement? Nous avons besoin de prévoir cela.

Tout cela pour illustrer que nous avons besoin de réponses à beaucoup de questions afin de prendre des mesures fondées sur des renseignements solides. Pour ce faire, nous devons appuyer la recherche. La recherche en agriculture est menée, bien sûr, dans le contexte d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, et elle est menée dans les universités du pays.

Nous avons simplement besoin d’augmenter le financement de la recherche dans toutes les sphères de recherche. Le rapport Naylor l’a énoncé très clairement. Toutefois, nous devons investir en recherche de façon stratégique. Dans le contexte de l’agriculture, la recherche sur le climat doit représenter une occasion stratégique de financement pour nos chercheurs.

Il est essentiel d’adopter une approche interdisciplinaire. Les chercheurs ont tendance à travailler en vase clos. Ils étudient en détail un seul problème, mais ils n’ont pas tendance à collaborer avec des partenaires d’autres disciplines.

Malheureusement, cela est aussi une conséquence de notre système de financement. On dit qu’on ne veut pas que les chercheurs travaillent en vase clos, mais au Canada, le CRSNG, le CRSH et les IRSC classifient le secteur de recherche en sous-catégories. Ces organismes ont bien sûr de bonnes raisons de le faire, mais il est très difficile d’obtenir du financement pour des projets multidisciplinaires. Il est possible qu’un biologiste veuille collaborer avec un économiste, un spécialiste des sciences sociales et un responsable de l’élaboration des politiques.

Il devrait être beaucoup plus facile d’obtenir du financement pour une approche multidisciplinaire. À l’heure actuelle, les projets interdisciplinaires passent entre les mailles du filet. Le CRSNG dit : « Non, c’est le domaine des IRSC », mais les IRSC disent que le projet devrait être financé par le CRSNG et, au bout du compte, personne ne donne d’argent. Il faut corriger cette situation.

Enfin, un peu de promotion en faveur de l’infrastructure de recherche. Les huit facultés d’agriculture et les facultés de médecine vétérinaire sont logées dans les plus vieux bâtiments universitaires au pays. Leur infrastructure est à peu près la plus vieille et nous sommes dépassés par ce qui se fait dans d’autres pays, mais ce qui est plus tragique, c’est que nous sommes également dépassés par ce qui se passe dans l’industrie.

Des enfants de familles agricoles viennent au campus Macdonald pour voir notre ferme et pour apprendre. Ils viennent à l’Université McGill et veulent apprendre ce qu’est la norme de l’industrie. Ils regardent notre ferme et disent : « Pourquoi suis-je venu ici? Ce n’est pas la norme de l’industrie. » Nous devons fournir aux chercheurs un équipement à la fine pointe de la technologie et un investissement stratégique.

Enfin, au cours de la dernière décennie, et certainement sous l’ancien gouvernement, les fonds de recherche étaient en général accordés aux projets de recherche dans lesquels des partenaires de l’industrie avaient un intérêt. Cela se justifie puisque, tout d’abord, cela fait en sorte qu’un projet de recherche aura réellement des applications. Deuxièmement, cela fait en sorte que l’industrie s’investit dans la partie. Il y a de bonnes raisons de procéder de cette façon.

Cependant, ce ne sont pas tous les projets de recherche qui peuvent être financés au moyen de fonds de contrepartie. Je vous donne un exemple. Thomas Edison n’obtiendrait probablement pas de fonds de la part des fabricants de chandelles puisqu’il allait tuer leur entreprise. L’invention de l’automobile n’a sûrement pas été financée par les éleveurs de chevaux. La véritable innovation perturbatrice ne se fait pas avec des fonds de contrepartie de l’industrie. Elle se fait dans les universités, et c’est pourquoi il faut financer la recherche pure afin que nous puissions faire efficacement ce que nous faisons.

Merci de m’avoir écoutée.

La présidente : Merci, madame Geitmann. Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par le vice-président.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bienvenue, madame Geitmann. C’est un privilège de vous accueillir ici, aujourd’hui. Je tiens à vous féliciter pour votre travail exceptionnel en matière de recherche agricole.

J’ai deux ou trois courtes questions à vous poser. Votre faculté regroupe 26 000 étudiants dans les différentes phases de recherche. Croyez-vous que c’est suffisant pour un pays comme le Canada qui compte 36 millions de personnes?

Mme Geitmann : C’est une question fort intéressante. Au cours de la dernière décennie, le nombre d’étudiants a augmenté de façon significative, soit d’environ 1 000 étudiants. Nous comptons maintenant 2 200 étudiants. Il y a un besoin et un intérêt. Nos étudiants trouvent du travail très facilement une fois leur diplôme en main. Au Québec, nous n’avons pas suffisamment d’agronomes. Il y a un besoin énorme d’agronomes pour informer les industries agricoles. De toute évidence, on pourrait augmenter le nombre d’étudiants.

En ce qui concerne notre faculté, nous n’avons pas d’espace suffisant pour accommoder nos 2 200 étudiants. Certains se retrouvent dans les couloirs. Nos salles de cours sont toutes occupées. Nous avons l’expertise, les professeurs et la volonté, mais nous ne pouvons pas accepter un nombre plus élevé d’étudiants, malheureusement.

Le sénateur Maltais : Il faudrait agrandir.

Mme Geitmann : Oui, avec plaisir.

Le sénateur Maltais : Vous avez soulevé une préoccupation — nous travaillons d’ailleurs dans ce dossier — à savoir comment nourrir les générations à venir.

Le Canada est un très grand pays en territoires, avec des aires agricoles impressionnantes. Il pourrait être encore beaucoup plus vaste, si on le voulait. Les habitudes alimentaires, comme vous l’avez dit, doivent changer et cela ne se fait pas en criant lapin. Comment le Canada pourra-t-il évoluer au cours des 10 ou 15 prochaines années avec l’objectif de mieux nourrir la planète tout en réduisant le plus possible la pollution?

Mme Geitmann : C’est une question très complexe. Nous avons le luxe de vivre dans un pays qui a une abondance de superficie et de cours d’eau. Ce sont deux facteurs qui nous donnent la possibilité d’augmenter la production agricole. On tirera profit de la première phase du réchauffement global, parce que la superficie qu’on utilise pour l’agriculture va probablement augmenter.

Il faut donc en profiter. Il faut s’assurer d’être un leader dans le développement des technologies qui réduisent au maximum les émissions de gaz à effet de serre et dans la production mondiale d’aliments de qualité. La salubrité alimentaire est une préoccupation et nous jouons un rôle privilégié à ce chapitre, parce que nous disposons d’un système exceptionnel de contrôle de la qualité. Toutefois, en tant que leader, le Canada doit exporter cette expertise à l’échelle mondiale.

Il faudra se poser de nombreuses questions individuelles à cet égard.

Le sénateur Maltais : Le Canada est un leader reconnu mondialement en matière de traçabilité. Est-ce qu’on a atteint notre pleine capacité ou s’il nous reste des voies à explorer pour s’assurer que le Canada demeurera un leader et que la population canadienne consommera de bons aliments?

Mme Geitmann : Nous sommes loin d’avoir atteint le maximum. Il y a tellement de nouvelles méthodes, dont l’agriculture moléculaire qui nous permet d’assurer la traçabilité. Il y a un potentiel et des occasions extraordinaires. Par exemple, nous sommes capables de produire les empreintes digitales de tous nos aliments et d’en assurer théoriquement la traçabilité. Il nous reste à développer une méthodologie abordable afin de l’utiliser à grande échelle. Nous avons des chercheurs qui y travaillent. Nous pouvons tracer des microorganismes dans les nutriments, entre autres. Nous avons le potentiel et l’expertise a priori. Il y a de nombreuses occasions en matière d’expansion dans ce domaine et des occasions d’exporter cette expertise.

Le sénateur Pratte : Merci, madame Geitmann, de votre présence ce matin. J’aimerais que vous apportiez quelques précisions. Je vais peut-être vous demander de fournir des chiffres, que vous n’avez pas nécessairement en main. Si c’est le cas, vous pourrez nous les fournir plus tard.

En matière de recherche agroalimentaire au Canada, quelle proportion de la recherche est consacrée aux changements climatiques? Est-ce une partie importante de la recherche?

Mme Geitmann : C’est une question à laquelle il est difficile de répondre parce que, dans ce contexte, les chercheurs sont chargés de projets plus ou moins en lien avec les changements climatiques. C’est une question de définition qu’on pourrait, toutefois, examiner au sein de nos institutions.

Au sein de notre faculté, nous disposons d’un inventaire de chercheurs. Je peux, en un clic, voir qui travaille sur des projets reliés à l’eau, à la salubrité alimentaire et aux changements climatiques. Cela pourrait se faire pour toutes les facultés. Il est donc possible d’avoir une estimation.

Cela dit, c’est sûr que ce n’est pas seulement nos facultés qui travaillent sur les changements climatiques. Dans les facultés des sciences, les départements de géographie et de biologie, entre autres, y travaillent également. Il y a donc un chevauchement avec ces autres facultés.

Le sénateur Pratte : Quand vous parlez de la nécessité d’établir de meilleures communications entre les chercheurs et les producteurs, qui détermine si ces liens se font ou non?

Mme Geitmann : Les États-Unis disposent d’un système appelé « land-grant universities », selon lequel on confie un mandat et on fournit du financement destinés à un système d’extension. Certaines personnes au sein de l’université font le transfert des connaissances auprès des producteurs.

Le système au Canada est différent. Il varie selon les provinces. Au Québec, le travail d’extension est dirigé par le MAPAQ, soit le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec. En Ontario, je crois que c’est le ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires rurales qui s’en occupe. Ce travail est fait par des agronomes — qui sont souvent nos diplômés — provenant d’institutions liées au ministère.

Puisqu’il s’agit d’institutions différentes, il manque peut-être ce contact direct, qui doit être réciproque. D’un côté, les données que nos chercheurs produisent sont publiées sous forme d’articles qu’aucun agriculteur ne lira. Cela doit être traduit en livre blanc et en politiques pour avoir un effet. De l’autre côté, la même chose s’applique. Nos chercheurs ne sont pas toujours en contact direct avec l’industrie pour connaître les enjeux. Ce contact pourrait être mieux établi.

Si on nous offrait du financement pour motiver nos chercheurs à établir ce contact, cela pourrait faciliter les choses. Je ne veux pas dire que cela ne se fait pas du tout. Au contraire, nous avons des chercheurs et des professeurs qui ont de très bons contacts. Toutefois, ce n’est pas aussi automatique qu’aux États-Unis, où le système est direct au sein de la même institution. Étant donné que cela relève du ministère provincial et non du ministère fédéral, il faut examiner le flux d’information et voir s’il y a moyen de l’augmenter et de faciliter la communication entre les chercheurs et les utilisateurs finaux.

Le sénateur Pratte : Depuis le début de nos audiences sur les changements climatiques et l’agriculture, j’ai suis frappé de constater que les gens du secteur agricole nous disent, d’une part, qu’ils sont depuis toujours les gardiens de l’environnement. Ils ne se perçoivent pas comme des producteurs d’émission de gaz à effet de serre, mais plutôt comme des gardiens de l’environnement. Ils affirment qu’ils ont toujours protégé l’environnement. D’autre part, face à la menace des changements climatiques sur leurs productions, ils disent qu’ils ont toujours été confrontés à des changements naturels. Donc, ils ne sont pas vraiment conscients de la menace que cela représente. On a l’impression qu’ils ne sont pas très préoccupés par cette question. Ce qui les préoccupe le plus, c’est la taxe sur le carbone.

Mme Geitmann : On est juste au début de l’ère des changements climatiques. On n’a pas encore vu le pire.

Je vous donne un exemple qui ne relève pas du secteur agricole, mais plutôt du secteur forestier. Il s’agit de l’agrile du frêne. Lorsque cette bestiole représente une menace pour nos jardins, c’est dramatique. Cependant, lorsqu’elle menace la survie de notre arbre, c’est tout à coup tragique. Je n’irai pas jusqu’à dire que les producteurs se cachent la tête dans le sable, mais ils ne sont pas conscients de l’impact immédiat. C’est peut-être le problème.

Deuxièmement, vous avez dit que nos agriculteurs sont les gardiens de nos terres. Effectivement, ils le sont. Ils ont en même temps une grande responsabilité parce qu’ils occupent une grande superficie. Leurs actions ont des conséquences. Tout ce qu’ils mettent sur le terrain finira dans les cours d’eau.

[Traduction]

C’est une très grande responsabilité.

[Français]

Nous ne pouvons pas attribuer cette responsabilité à eux seuls. Nous devons travailler avec eux pour les éclairer sur les effets de leurs activités sur le fleuve Saint-Laurent. Le lac Saint-Pierre est beaucoup affecté par les phosphates provenant des terres agricoles.

La responsabilité ne finit pas avec notre terrain. Je ne veux pas dire qu’elle est globale, mais il y a un effet beaucoup plus grand. Il faut transmettre le message aux agriculteurs et il faut les aider. Je ne suis pas en train de blâmer personne. C’est une grande responsabilité que nous devons partager.

Le sénateur Pratte : Pouvez-vous vérifier auprès de vos collègues la proportion de la recherche qui est axée sur les changements climatiques? Si notre comité doit faire une recommandation quant aux budgets de recherche, cette information nous serait utile. Je vous remercie.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Madame Geitmann, merci beaucoup d’être venue. Vous nous avez appris beaucoup de choses. Vous avez posé beaucoup de questions et nous espérons trouver également des réponses.

De toutes ces questions, laquelle est votre priorité? Vous nous avez donné toute une liste de questions. Laquelle est la priorité?

Mme Geitmann : C’est très difficile à dire.

Le sénateur Mercer : Et votre faculté vous écoute.

Mme Geitmann : Précisément. Je pense qu’il faut avoir une vue d’ensemble plutôt que de nous attarder à de petites questions, car, en soi, chaque petit élément de données de recherche ne sera qu’une goutte d’eau dans la mer à moins qu’on ait l’image de l’ensemble. C’est très tentant de dire que telle mesure pourrait réduire telle quantité de carbone et tout va bien pour le moment. C’est très difficile. Il faut vraiment avoir une vue d’ensemble et une perspective à long terme.

C’est très difficile, car les prévisions météorologiques, en partant, sont tellement variables. Nous ne savons pas vraiment ce qui va se passer. Ce que nous savons c’est que le climat sera plus imprévisible. Nous aurons à la fois plus de sécheresse et plus d’eau, mais à des moments différents de l’année, de manière plus irrégulière. Les deux auront des effets dévastateurs. L’un ne compensera pas l’autre.

Nous devons nous y attendre, développer notre résilience et voir les choses d’un point de vue global. Nous devons sortir les chercheurs de leur tour d’ivoire et essayer de les amener à voir l’ensemble, à voir au-delà de leur propre projet de recherche, aussi fascinant et intéressant soit-il. Il faut avoir une perspective globale. Il faut que les différentes disciplines travaillent ensemble pour modéliser l’effet global afin de pouvoir prévoir ce qui va se produire.

Pour répondre à votre question, il me faudrait choisir un projet plutôt qu’un autre, alors que ce qu’il nous faut, c’est une approche pluridimensionnelle.

Le sénateur Mercer : C’est exactement comme ici. Nous avons beaucoup de questions, mais nous avons rarement beaucoup de réponses.

Le fait est que la recherche qui se fait sur votre campus et ailleurs au pays est extrêmement importante. Je remarque que l’Association des facultés canadiennes d’agriculture et de médecine vétérinaire adopte un nom plus clair. Ce sont des facultés importantes qui se trouvent un peu partout au pays.

Quand vous poursuivez vos recherches — ce que nous vous encourageons à faire —, je suppose que vous pensez aussi à la façon dont vous en commercialiserez les résultats. Prenons l’exemple de la Wisconsin Alumni Research Foundation de l’Université du Wisconsin, dont l’acronyme est WARF, comme dans warfarine. C’est là qu’on a inventé la warfarine et que, grâce à des capitaux de démarrage, on a pu faire les recherches sur ce poison à rat.

Les facultés de médecine vétérinaire et d’agriculture du pays coordonnent-elles leurs efforts afin que, quand une découverte est imminente à McGill, Guelph, Dalhousie ou ailleurs, on soit prêt à la commercialiser?

La commercialisation a un effet considérable sur l’industrie, mais aussi sur les sommes qui seront versées aux facultés d’agriculture et de médecine vétérinaire pour la recherche. Il ne faut pas rater cette occasion.

Mme Geitmann : Je peux vous décrire la situation de ma faculté. Nous avons créé un programme d’entrepreneuriat pour former nos étudiants. Ils savent comment utiliser une pipette ou un microscope ou comment recueillir des données sur le terrain, mais nous voulons leur donner les compétences qu’il leur faut pour commercialiser le résultat de leurs études. Nous leur donnons cette formation. Nous avons fait de cette discipline une mineure. C’est le premier élément.

Le deuxième élément est le bureau de la recherche commanditée qui offre de l’aide en matière de propriété intellectuelle. De nos jours, les universités souhaitent promouvoir leurs recherches et amener non seulement les professeurs, mais aussi les étudiants diplômés et même de premier cycle à traduire leurs idées en résultats applicables, modifiables et commercialisables.

Le sénateur Mercer : Vous avez fait mention de l’infrastructure sur les campus des écoles d’agriculture. Ceux parmi nous qui ont visité certains de ces campus peuvent témoigner du piètre état de l’infrastructure. Peu d’argent a été investi dans les facultés de médecine vétérinaire et d’agriculture ces dernières années. Vous avez déclaré que les étudiants vous disent parfois qu’ils ont un meilleur équipement chez eux, dans leur ferme. Il est difficile de former les agriculteurs de l’avenir si nous ne leur donnons pas accès au meilleur équipement.

Cela s’explique-t-il par le fait que bon nombre de facultés d’agriculture et de médecine vétérinaire ne se trouvent pas sur le campus principal de l’université? McGill en est un exemple : le Collège Macdonald est situé à Sainte-Anne-de-Bellevue. De même, la faculté d’agriculture de Dalhousie n’est pas à Halifax, mais à Truro.

Mme Geitmann : Cela contribue peut-être au problème, en effet. Il est facile pour l’administration centrale de, je n’ose pas dire « négliger », mais pas voir ce deuxième campus où se trouve souvent la faculté d’agriculture comme un lieu principal d’investissement.

Cela dit, la haute direction de mon université a compris ces dernières années que le Collège Macdonald est un véritable joyau, non seulement en raison de sa faculté, mais aussi comme espace vert. C’est l’un des plus grands espaces verts de Montréal; on y trouve un arboretum et des installations riveraines.

On est conscient que des investissements sont nécessaires, mais les budgets pour les projets d’immobilisations sont limités, même avec l’injection récente d’argent. Dans le cas de McGill, la maintenance est un défi, non seulement sur mon campus, mais aussi sur le campus du centre-ville.

L’infrastructure de recherche est directement liée à l’accès aux fonds pour la moderniser. Les facultés d’agriculture sont rarement parmi les priorités, je l’admets.

Le sénateur Mercer : J’ai déjà travaillé dans le domaine des campagnes de financement, et c’est pourquoi je vais tenter d’établir des liens. Il est difficile de convaincre les secteurs industriels canadiens, en particulier, de s’engager à investir dans la recherche universitaire au Canada à moins qu’ils y voient — et ça revient en fait à ma deuxième question sur la commercialisation — un avantage, par exemple la création d’une nouvelle warfarine ou d’un nouveau Pablum, comme l’hôpital pour enfants malades de Toronto a été capable de le faire afin d’obtenir des fonds de recherche.

Mme Geitmann : Il y a des débouchés sous-exploités. Parfois, le secteur industriel doit avoir une vision à long terme, car la recherche ne donnera aucun résultat avant trois ans. Il faut avoir une vision à long terme et il faut du soutien. Nous travaillons souvent avec des partenaires de l’industrie, mais il est souvent plus facile de les convaincre de contribuer à un projet de recherche concret qui, nous le savons, aboutira pour eux au cours des cinq prochaines années, que de les amener à investir dans un immeuble où les résultats ne seront pas au rendez-vous avant 10 ans.

Obtenir des fonds pour des projets de construction est le plus difficile à faire. Je travaille également dans le domaine des campagnes de financement, en tant que doyenne, et la construction est souvent le projet le plus difficile à financer, même si nous offrons aux investisseurs la chance d’apposer leurs noms sur nos immeubles.

Le sénateur Oh : Je vous remercie, madame. Votre exposé était excellent et si facile à comprendre.

Permettez-moi tout d’abord de vous féliciter pour la subvention que vous avez obtenue de la FCI le mois dernier pour votre projet ECP3. Ce projet vise à concevoir de nouvelles variétés végétales, des outils agricoles de précision et des pratiques de gestion adaptés aux changements climatiques dans l’Est du Canada.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette soi-disant plante idéale pour le changement climatique? Comment cette plante pourra-t-elle aider à combattre le changement climatique?

Mme Geitmann : Je le ferai avec grand plaisir. Je suis chanceuse, car notre équipe a récemment obtenu une subvention de la Fondation canadienne pour l’innovation. Cette somme considérable sera partagée entre les universités McGill et Sherbrooke, entre notre faculté et le Département de biologie de la faculté des sciences. Grâce à cette subvention, nous voulons acquérir une infrastructure de recherche qui nous permettra d’accroître la résilience. Dans une des questions que j’ai soulevées plus tôt, je parlais de la façon dont nous allons devoir composer avec l’augmentation des pathogènes qui arrivent dans notre pays, de même qu’avec la multiplication des sécheresses, l’augmentation des températures, le changement du CO2 et l’accroissement des précipitations à des moments inopportuns de l’année. Quel type de plantes nous permettra de composer avec tous ces facteurs et quels types de cultivars nous faudra-t-il pour y parvenir? Avant même de penser à trouver une solution, nous devons chercher à comprendre comment les plantes le font.

Je suis une biologiste cellulaire et une biologiste des plantes. J’essaie de comprendre la croissance des plantes. C’est de la recherche fondamentale. Les plantes croissent grâce à la division cellulaire, comme nous, et nous essayons de comprendre comment les plantes deviennent plus grosses ou plus grandes, avec des feuilles plus grandes, et cetera. Ce sont les éléments fondamentaux d’information dont nous avons besoin pour comprendre le rendement, car le rendement est le résultat direct de la croissance des plantes.

Ensuite, il nous faudra comprendre comment les plantes se défendent contre les pathogènes. Certaines plantes ont des mécanismes moléculaires, tandis que d’autres n’en ont pas. Pouvons-nous transférer cette capacité d’une plante à une autre?

Disons que ce soit possible pour la pomme de terre, mais pas pour le maïs. Est-il possible de transférer ce gène dans l’autre plante, pour lui permettre de se défendre sans qu’il soit nécessaire d’épandre des pesticides dans le champ? C’est le but, n’est-ce pas? On veut réduire la quantité de pesticides et de fongicides appliqués en permettant aux plantes de se défendre d’elles-mêmes.

Cette infrastructure de recherche nous permet donc, tout d’abord, de comprendre comment fonctionnent les plantes, et ensuite, on veut pouvoir choisir de nouvelles lignées qui sont capables de faire ce que nous voulons qu’elles fassent. L’un des instruments de cette énorme infrastructure sera l’équipement qui lit, pour ainsi dire, automatiquement les plantes. Non seulement peut-il mesurer la croissance de la plante et la taille de ses feuilles, mais aussi ce qu’elle fait comme photosynthèse, la quantité de carbone qu’elle emmagasine, et cetera.

La machine peut faire tout cela dans le laboratoire — nous en avons une par laquelle passent toutes ces petites plantes, des photos sont prises, et tout est quantifié —, mais nous avons aussi maintenant des machines qui en font tout autant sur le terrain. Imaginez donc un immense robot qui traverse les terrains et prend des photos de chacune des plantes. Nous avons pu faire cette expérience sur le terrain, dans des conditions environnementales réelles. C’est une étape.

Un autre aspect important est celui de l’agriculture de précision. Vous savez ce que c’est. Pour que l’agriculture de précision soit efficace, il nous faut mesurer les conditions sur le terrain : combien y a-t-il d’humidité? Combien de nutriments dans un mètre carré, et combien dans le mètre carré suivant? Quelle quantité de mauvaises herbes pousse dans ce mètre carré?

Nous avons donc ce robot qui sillonne le terrain, qui prend des photos et détermine, grâce à l’intelligence artificielle, qu’il y a ici une mauvaise herbe, ici la plante cultivée que je veux, et qui détermine exactement ce qui se passe dans le champ. Cette méthode nous permet, au lieu de simplement appliquer des pesticides dans tout le champ, de ne le faire qu’à des endroits précis, ou même d’arracher les herbes dont on ne veut pas.

Ces méthodes nous permettent de produire des cultivars adaptés à un climat changeant et de cerner la méthode qui nous permettra de réduire l’application d’engrais et de pesticides chimiques, et cetera. Nous nous efforçons d’adapter l’agriculture dans l’est du Canada à un climat changeant. Il faut, pour cela, procéder par région. L’agriculture est tout à fait différente ici comparativement aux Prairies.

Le sénateur Oh : Est-ce que ces nouvelles plantes seraient considérées comme des OGM?

Mme Geitmann : Ça dépend de la façon dont elles sont produites. Actuellement, une plante est considérée comme un OGM si on greffe un gène d’une plante à une autre. Vous avez probablement entendu parler du CRISPR-Cas9, un procédé qui nous permet de simplement modifier les gènes qui se trouvent déjà dans la plante. Ce n’est généralement plus considéré comme des OGM parce qu’on ne greffe pas de gènes étrangers.

Nous pouvons les manipuler, mais ce n’est plus un OGM, puisque c’est le gène de la plante elle-même qui est utilisé; il est simplement modifié. Ce serait la même chose en sélection. Les méthodes conventionnelles de sélection font la même chose. On choisit des plantes qui ont été modifiées par les effets des rayons UV émis par le soleil, par exemple, et on choisit celles qu’on veut avoir. On en fait tout autant dans le laboratoire, tout simplement plus rapidement.

Le sénateur Oh : Pour revenir sur la question du sénateur Mercer, le Canada a beaucoup de terres. Dans votre vision, est-ce que le Canada s’établit comme un pôle important de l’infrastructure de pointe, en se fondant sur la recherche future?

Mme Geitmann : Absolument. C’est une occasion extraordinaire. La seule réponse que je puisse vous donner, c’est oui. Ce qu’il nous faut, c’est avoir cette réflexion globale. Nous devons penser au-delà de nos propres frontières. Nous avons cette responsabilité, à l’échelle mondiale, de penser à la population mondiale en croissance, et de ne pas penser qu’à nos propres méthodes agricoles, mais aussi à ce qui arrivera, par exemple, dans les pays africains.

Est-ce que nous pourrions concevoir des méthodes qui pourraient s’appliquer là-bas? J’ai des chercheurs, par exemple, qui s’intéressent aux méthodes d’irrigation. C’est un énorme problème. Comment distribuer l’eau? Pour arroser tel champ, on doit prendre l’eau de tel lac. Comment peut-on parvenir à optimiser les méthodes d’irrigation?

Cela s’applique ici, dans certaines régions, mais aussi dans d’autres pays qui ont de plus graves problèmes de sécheresse que nous. Le fait d’avoir un centre à la fine pointe de la technologie changera tout. Nous faisons ce que nous pouvons. Il y a des grands centres en Saskatchewan, comme le Global Institute for Food Security à Saskatoon qui est en construction. Il y a des centres et d’excellentes universités. Ce qui manque, c’est simplement un groupe de pointe qui travaille sur ce sujet précis. Oui.

Le sénateur Oh : D’accord. Nous approuvons cette construction.

Mme Geitmann : Bien. Le chèque sera rédigé à la fin de cette séance, n’est-ce pas?

La présidente : Nous aimerions beaucoup pouvoir vous aider, c’est certain.

La sénatrice Bovey : Je suis une intruse aujourd’hui, puisque je remplace quelqu’un, et je trouve cela fascinant. Je viens bien évidemment de l’Ouest, et j’entretiens depuis longtemps des rapports avec l’Université du Manitoba. J’aimerais dire que nos bâtiments agricoles sont peut-être les plus anciens parce que tant d’universités canadiennes ont été fondées en raison des facultés d’agriculture. Je dirais qu’à l’image des plantes et de leurs racines, les racines des universités de ce pays sont souvent ancrées dans l’agriculture.

Mme Geitmann : Absolument.

La sénatrice Bovey : Je veux parler de recherche collaborative et de financement de la recherche. J’ai une question, très rapidement. Je sais qu’il y a des projets de recherches transversales entre les universités. Est-ce qu’il y en a aussi avec les fermes expérimentales fédérales?

Mme Geitmann : Je le pense. Les chercheurs entretiennent eux-mêmes ces rapports. Il faudrait voir ce que nous avons dans notre cas précis.

La sénatrice Bovey : Je pense que cela pourrait être une autre possibilité.

Mme Geitmann : Absolument. Autre chose à quoi il faudrait réfléchir, en ce qui concerne l’infrastructure, pour éviter les chevauchements, qui sont particulièrement inefficaces, c’est non seulement les établissements universitaires, mais aussi Agriculture et Agroalimentaire Canada et l’ACIA, et cetera, afin d’optimiser l’accès à l’infrastructure de recherche. Plutôt que d’acheter le même microscope, ou quoi que ce soit d’autre, pour chaque campus, on devrait optimiser l’accès aux diverses installations.

La sénatrice Bovey : Ceci m’amène à parler de chiffres. Vous avez parlé de recherches que font les organismes fédéraux, et des moyens, et vous avez aussi parlé du parrainage de la recherche dans l’industrie.

J’aimerais bien que les provinces entrent en jeu, ce qui pourrait être dangereux. Je m’inquiète que les règles du jeu soient inégales, dans différentes régions du pays. Si je peux parler du Manitoba, un instant, je connais bien le sujet. Le gouvernement du Manitoba ne fournira des fonds de recherche que quand le gouvernement fédéral en aura fourni. Au Manitoba, si vous regardez la proportion de financement provincial à la recherche, c’est moins par étudiant ou par membre du corps professoral — quels que soient les paramètres qu’on applique — que dans toute autre province du pays.

Comme vous êtes si nombreux à mener d’importantes recherches axées sur l’avenir, en réaction à des problèmes de la société, pour composer avec ceux de l’avenir, les changements climatiques et les situations environnementales, y a-t-il moyen, par l’intermédiaire des doyens de votre association, de contribuer à corriger ces iniquités afin que les chercheurs de toutes les régions du pays, dans ces projets de collaboration, puissent tirer le meilleur parti possible de leur travail?

Mme Geitmann : Voilà une question intéressante. Pour pouvoir y répondre, il faudrait évaluer la situation.

Bien que nous nous réunissions deux fois par année et que nous ayons tous les mois des conférences téléphoniques, en plus d’échanges constants sur la situation du financement fédéral, on ne parle pas forcément du financement dans chaque province, parce que chacun de nous compose avec sa propre situation.

Le Québec est la seule province qui compte deux facultés de l’agriculture; les autres provinces n’en ont qu’une, si elles en ont. Il serait intéressant de s’occuper de cette situation. On pourrait s’en occuper, certainement, dans une situation de travail où nous comparons nos notes.

La sénatrice Bovey : Madame la présidente, si je peux jouer le rôle d’intruse, j’aimerais suggérer qu’il s’agit probablement d’un sujet d’envergure nationale. Je suis présidente du conseil d’administration d’une université, et c’est une question sur laquelle les présidents de conseil d’administration se sont penchés dernièrement, tout comme les recteurs d’ailleurs. Je ne sais pas si cela a été fait avec les facultés principales de nombreuses universités, et on parle vraiment ici de multiples dimensions de l’avenir. Il faut trouver une façon de régler cette question à l’échelle nationale.

Mme Geitmann : Absolument.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Madame Geitmann, j’aurais le goût de vous demander si vous avez effectué des recherches sur la culture du cannabis, mais ce sera dans le cadre d’un autre dossier.

Par ailleurs, vous avez parlé des problèmes de transfert de connaissances, qui est une question fort importante. Loin de moi l’idée de prêter de mauvaises intentions, mais quand on veut transférer les connaissances, cela implique l’obligation d’accorder des subventions.

Sur le plan politique, lorsque vous demandez du financement, y a-t-il un délai d’attente? Vos recherches doivent-elles être validées pour recevoir une subvention? Avez-vous parfois l’impression que c’est comme si vos constatations n’étaient pas suffisamment concluantes pour recevoir une subvention?

Mme Geitmann : Vous me demandez s’il est nécessaire pour un chercheur de transférer des connaissances?

Le sénateur Dagenais : C’est exact. Vous dites que vous avez fait des recherches et que vous avez besoin d’une subvention afin de poursuivre votre travail. La personne au bout du fil vous dit que vos recherches doivent être validées pour savoir si elles sont admissibles à une subvention.

Mme Geitmann : La validation de la recherche se fait par des pairs. Les subventions sont accordées par le MAPAQ et elles sont évaluées par le personnel du MAPAQ, et non par des pairs. J’ignore les critères qu’utilise le MAPAQ et si le résultat d’une recherche doit être appliqué pour qu’une subvention soit accordée ou renouvelée. Je peux me renseigner auprès de mes collègues pour voir s’ils ont vécu de telles expériences. Je ne sais pas si cette situation s’est déjà produite.

Le sénateur Dagenais : Vous dites qu’il faut changer les habitudes de consommation des Canadiens, entre autres, en ce qui concerne la consommation de la viande en raison de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. J’imagine que ce sera difficile parce que, même avec le pétrole, on dit qu’on doit diminuer notre consommation de pétrole, pourtant, on n’a jamais vu autant de VUS sur la route.

À moins d’une crise sévère qui nous fera prendre conscience des répercussions, avez-vous élaboré une stratégie qui porte sur cette grande préoccupation et sur l’importance de changer nos habitudes de consommation, qu’on pourrait utiliser dans la rédaction de notre rapport?

Mme Geitmann : C’est très difficile de changer les habitudes de la population. Il est impossible de le faire de façon obligatoire. On vit dans un pays où la population a le choix.

Par contre, on peut sensibiliser la population et, à tout le moins, obliger l’industrie à justifier le prix d’un aliment. La viande a été produite à un coût lié non seulement à l’agriculteur, mais aussi à l’environnement et à la pollution. Si on inclut ces facteurs dans le prix et si on explique les raisons à la population, au moins, elle sera consciente qu’on doit faire des choix en tenant compte de tous ces facteurs.

Comment le faire sans causer une révolution? C’est une question délicate. Je ne dis pas non plus qu’il faille devenir végétariens. Le prix des aliments devrait tenir compte des coûts liés à l’environnement, au transport et à la production des gaz à effet de serre. Ce sont des coûts qu’il faudra payer. Si ce n’est pas nous, ce sera nos enfants qui devront le faire. Il faut être conscient que nous avons le choix, mais que ce choix doit se faire en connaissant les facteurs qui y contribuent. C’est une question très délicate.

[Traduction]

Le sénateur Doyle : Fait-on encore du déboisement des terres forestières au Canada pour l’utilisation agricole, ou est-ce que cela se produit surtout dans les pays du tiers-monde?

Mme Geitmann : Je n’ai pas les chiffres pour le Canada. Je ne crois pas que ce soit énorme au Canada. Ça l’est à l’échelle de la planète, bien sûr. Si on pense à l’Amérique du Sud et au Brésil où on produit le bétail qui est vendu à travers le monde, c’est un problème mondial plutôt qu’un problème particulier au Canada.

Le sénateur Doyle : Dans votre exposé, vous avez posé la question suivante : quels sont les effets à long terme des mesures prises à court terme pour augmenter la productivité agricole? Pourriez-vous être un peu plus claire par rapport à ce que vous voulez dire?

Mme Geitmann : Oui. Nous nous rendons compte que la population mondiale est en croissance. Nous devons produire davantage de nourriture, et, dans un pays comme le Canada, nous pouvons le faire. Nous avons la superficie nécessaire.

Afin d’augmenter l’efficacité agricole, la chose la plus rapide à faire est de faire pousser des monocultures dans des champs énormes, et d’obtenir l’équipement lourd nécessaire pour en faire la récolte. À court terme, c’est très bien; le rendement est bien meilleur. À long terme, nous compromettons la biodiversité. Nous compromettons la résilience à long terme parce que nous réduisons le nombre d’insectes en réduisant la biodiversité dans le système végétal.

Nous devons concilier notre tendance immédiate à augmenter la production avec les effets à long terme sur la biodiversité et l’environnement, car à long terme, cela va revenir nous hanter. Il faut non seulement des agronomes, mais également des écologistes pour réfléchir aux effets à long terme. Nous avons une tendance à penser à court terme. Nous devons inclure des gens qui peuvent voir plus loin que demain et l’an prochain.

Le sénateur Doyle : Merci.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Vous avez parlé avec passion des recherches qui sont réalisées. J’aimerais savoir si vous êtes satisfaite des outils — de l’indépendance, surtout — et de la latitude dont vous bénéficiez lorsqu’il s’agit du choix des recherches.

Il a été question de l’industrie qui a le pouvoir de décider. On a entendu des témoins qui ont soulevé la question du sous-financement en ce qui concerne les études liées à l’agriculture biologique. Êtes-vous satisfaite de cette liberté, de cette indépendance? Les demandes de financement sont-elles accordées selon les priorités du gouvernement qui est en place?

Mme Geitmann : On dit toujours que l’avantage d’être dans une institution académique universitaire, c’est la liberté de pouvoir faire ce qu’on veut.

En pratique, on peut faire les recherches pour lesquelles on a obtenu du financement. On essaie de vendre nos idées afin d’obtenir les fonds nécessaires pour mener nos recherches, ce qui est un facteur limitant. Si on trouve un partenaire industriel qui peut contribuer, cela dirige le projet de recherche. Cela ne doit évidemment pas diriger les résultats, mais plutôt le sujet sur lequel on travaille. On a des limites claires : si on n’a pas de partenaire, on n’a pas de projet à moins de trouver du financement fédéral ou provincial.

Le système canadien, y compris le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), est très bon parce qu’il finance des projets de recherche de base avec le programme de subventions à la découverte, qui offrent un financement sur cinq ans pour qu’un chercheur puisse mener à bien un projet de recherche.

Cela dit, le financement accordé est très modeste, ce qui n’est pas le cas à l’échelle internationale. Ce que je peux me permettre avec une subvention à la découverte, c’est d’employer un ou deux étudiants diplômés. C’est très, très limité. Je ne peux jamais avoir un groupe de 10 chercheurs à l’aide de mes fonds du CRSNG uniquement, parce que l’argent n’est pas suffisant.

Sous le gouvernement précédent, le financement de la recherche a été relativement stable du point de vue de la valeur nette, mais il n’était pas adapté à l’inflation, ce qui veut dire que c’est une perte nette. C’est assez dramatique si l’on compare la situation avec celle de nos voisins du Sud ou des pays européens.

La sénatrice Petitclerc : Est-ce qu’on irait jusqu’à dire qu’en matière de changements climatiques, certaines recherches, qui sont nécessaires, et que vous souhaitez mener, ne sont pas réalisées?

Mme Geitmann : Absolument. C’est le facteur limitant. Nous utilisons nos subventions de recherche pour embaucher des diplômés pour effectuer de la recherche et faire des études postdoctorales. Un peu d’argent sert à acheter des produits chimiques, mais la majorité des fonds est versée aux salaires du personnel. Les dollars se traduisent directement en fonction du nombre d’étudiants et des projets de recherche que nous pouvons mener.

Le sénateur Maltais : De combien vos budgets ont-ils augmenté au cours des deux dernières années?

Mme Geitmann : Les budgets des chercheurs en général? Pas beaucoup.

Le sénateur Maltais : Pas significatif?

Mme Geitmann : Non, pas de façon significative. L’année dernière, il n’y a eu aucun budget supplémentaire du CRSNG. On nous dit que ce sera peut-être mieux cette année.

Les intentions sont bonnes. Le gouvernement a pris des mesures avec le conseiller scientifique en chef et avec le rapport Naylor pour produire un rapport de l’État avant — je l’espère — d’injecter plus de fonds dans la recherche.

Le sénateur Maltais : Ce qui vous conviendrait le mieux, ce sont des mesures concrètes?

Mme Geitmann : Oui.

[Traduction]

La présidente : J’ai remarqué que le nom de votre faculté est faculté des sciences, de l’agriculture et de l’environnement, et il est bien de le voir exprimé de cette façon. À votre université et au Collège Macdonald, cela a pris beaucoup de temps avant que les sciences environnementales soient incluses dans le titre.

Mme Geitmann : Oui, en effet.

La présidente : Cela s’harmonise très bien avec le mandat de notre comité, qui s’appelle Comité de l’griculture et des forêts, mais cela a également beaucoup à voir avec la conservation en général. Nous avons un très grand mandat également.

Dans votre mémoire, vous dites que la biodiversité et l’environnement doivent être conservés et conciliés avec le besoin d’augmenter l’agriculture à grande échelle. Vous parlez de mesures innovatrices pour augmenter la biodiversité. Dans votre point final, vous dites : « À une plus grande échelle, la même question peut être soulevée : À quel point des parcelles de forêt ou d’espaces verts doivent-elles être connectées pour permettre le mouvement des espèces entre elles? » Pouvez-vous en parler un peu plus? Je sais que vous l’avez posé comme question, mais maintenant je vous la pose.

Mme Geitmann : Je crois que vous avez déjà reçu M. Andrew Gonzalez, et il doit en avoir discuté. Pour que les espèces animales, les insectes, les oiseaux, et cetera, puissent se déplacer, elles ont besoin de pouvoir « traverser la rue », pour ainsi dire. Si la route est trop large, elles ne peuvent pas le faire. Si les zones forestières sont trop éloignées les unes des autres, les espèces animales ne pourront pas s’y rendre. Si une zone forestière est trop petite, eh bien il s’agit d’un facteur limitant en termes de résilience.

Cela s’applique à très petite échelle. Disons que nous avons un champ agricole. Si le champ est plus grand que, disons, 500 mètres, le papillon ne sera pas en mesure de le traverser. Je donne des exemples tout à fait arbitraires, mais vous comprenez ce que j’essaie de dire.

Ce que nous pourrions faire, c’est planter de petites bandes de fleurs sauvages entre les zones pour s’assurer que les papillons puissent passer d’une zone à l’autre. Cela s’applique à l’intérieur d’un champ d’un demi-kilomètre ou de deux hectares. Cela peut également s’applique dans un écosystème plus grand, où nous devons nous assurer d’avoir une bonne distribution des terres pour permettre la connectivité entre les zones forestières et les zones contentant beaucoup de biodiversité pour nous assurer que la biodiversité globale soit maintenue.

Je crois que M. Gonzalez pourra vous en parler plus en détail; il est beaucoup plus qualifié que moi dans ce domaine. Mais c’est quelque chose dont nous devons tenir compte dans notre utilisation du territoire. La gestion des écosystèmes est réellement importante. Lorsqu’on réfléchit à notre utilisation du territoire, comment le territoire nous sert et quels effets nous avons sur le territoire, l’agriculture n’est pas la seule utilisation que nous en faisons. Nous utilisons les terres pour des activités de loisir et toutes sortes de choses. La façon dont nous utilisons le territoire tout en jouant notre rôle d’intendant est quelque chose que nous devons examiner, et pour cela nous avons besoin de données. Nous devons savoir à quelle distance peut voler le papillon.

La présidente : D’où l’importance de la recherche.

Mme Geitmann : En effet.

La présidente : Très bien. Merci, madame Geitmann, d’avoir été avec nous aujourd’hui. C’était très intéressant. Beaucoup de bonnes questions ont été posées, et vous voyez donc que cela a suscité beaucoup d’intérêt. Au nom du comité, je vous remercie sincèrement d’avoir été avec nous aujourd’hui.

Mesdames et messieurs les sénateurs, avec votre accord, nous allons prendre une brève pause et ensuite passer à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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