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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 45 - Témoignages du 21 mars 2018 (séance du matin)


CALGARY, le mercredi 21 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 9 h 31, pour étudier l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.

La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je remercie les témoins de leur présence. Nous accueillons un grand groupe aujourd’hui. Nous allons donner à tous les témoins la chance de présenter leur exposé, et les sénateurs poseront leurs questions par la suite.

Je suis la sénatrice Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard, et je préside le comité. Le vice-président est ici, et je vais lui demander de se présenter, et les autres sénateurs feront de même.

Le sénateur Maltais : Sénateur Ghislain Maltais, du Québec.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

Le sénateur R. Black : Sénateur Rob Black, de l’Ontario.

La présidente : J’aimerais tout d’abord dire à quel point nous sommes ravis d’être en Alberta aujourd’hui. Hier et avant-hier, nous étions à Vancouver et de très bons exposés nous ont été présentés. Nous pouvons nous attendre à entendre des exposés de qualité similaire aujourd’hui.

Je vous présente notre premier groupe de témoins. Nous accueillons des représentants d’Alberta Canola : le directeur de Turin, Alberta, et président de l’Alberta Canola’s Government and Industry Affairs Committee, M. Kevin Serfas, et le directeur général, M. Ward Toma. Ensuite, nous recevons M. D’Arcy Hilgartner, président de l’Alberta Pulse Growers Commission. Enfin, nous accueillons des représentants de la Commission albertaine du blé : le président, M. Kevin Bender, et le directeur général, M. Tom Steve.

Je vous invite à présenter vos exposés, et nous passerons aux questions par la suite. Monsieur Bender, nous allons commencer par vous, qui êtes assis au bout de la table, et nous continuerons en suivant l’ordre.

Kevin Bender, président, Commission albertaine du blé : Je vous remercie, madame la présidente, et je remercie les membres du comité. Nous sommes ravis d’avoir été invités à venir vous parler aujourd’hui.

Je m’appelle Kevin Bender. Je suis le président de la Commission albertaine du blé. Mon exploitation se trouve à environ une heure et demie de route d’ici, vers le nord, dans la région de Bentley-Sylvan Lake, juste à l’ouest de Red Deer. Je travaille avec mon père et mon frère. Je représente ici aujourd’hui les 14 000 membres de la commission.

La Commission albertaine du blé est une organisation sans but lucratif financée par les producteurs. Elle investit dans des activités novatrices de recherches, le développement des marchés, l’élaboration de politiques, les communications et le développement afin d’augmenter la rentabilité des producteurs de blé de l’Alberta.

Au fil des décennies, mon exploitation agricole familiale, comme c’est le cas pour les agriculteurs de partout au Canada et dans le monde, a changé et s’est adaptée en fonction de la disponibilité des ressources. Au Canada, l’avantage, c’est que nos ressources optimales, soit la terre, l’eau et le sol, sont abondantes, ce qui nous permet d’avoir une forte production.

En raison de nos capacités de production excédentaires, nous sommes devenus le sixième marché d’exportation de produits agricoles et agroalimentaires en importance, qui est évalué à plus de 40 milliards de dollars. Le climat influe directement sur la productivité, les conditions de nos sols et la capacité des agriculteurs d’adapter leurs stratégies de production au climat actuel. Dans les Prairies, le régime de température détermine en grande partie nos capacités de production et établit les bases pour les variations saisonnières, les organismes nuisibles et les maladies, les besoins de stockage et les exigences liées au chauffage et à la réfrigération de nos bâtiments.

Les agriculteurs sont à la merci du temps qu’il fait. Le risque élevé et la protection contre l’imprévisibilité de Dame nature constituent l’essence même de l’agriculture. Dans les Prairies, le secteur agricole doit s’adapter à des variations et à des conditions météorologiques extrêmes au cours d’une année donnée.

D’autre part, l’agriculture joue un rôle important concernant les conditions météorologiques, le climat et l’environnement. Les agriculteurs sont les gardiens des terres dont ils ont besoin. Par des mesures d’adaptation et l’amélioration des pratiques, le secteur agricole demeurera un joueur clé dans l’atteinte des objectifs en matière de changements climatiques.

L’amélioration continue des pratiques de gestion des terres au fil des décennies — comme le travail de conservation du sol, la réduction de la superficie en jachère d’été, l’augmentation de l’échantillonnage des sols, l’adoption de l’agriculture de précision, le recours accru à la rotation des cultures, l’amélioration de l’efficacité de l’utilisation de l’azote et les améliorations concernant la combustion dans les moteurs diésel, en plus d’un engagement ferme de la part des agriculteurs de s’attaquer à la dégradation des sols — s’est traduite par une vaste augmentation de la quantité de dioxyde de carbone retirée de l’atmosphère et stockée ou séquestrée dans le sol. Cela a fait en sorte que la productivité des récoltes a augmenté deux fois plus vite que les émissions de gaz à effet de serre, et depuis l’an 2000, les terres agricoles du Canada captent plus carbone qu’elles n’en émettent.

Il est difficile de généraliser, quant à ce que pourraient être, à court ou à long terme, les possibilités et les risques associés aux changements climatiques dans le secteur agricole. Un certain nombre de facteurs doivent être pris en considération, de manière globale, et peuvent varier selon les régions, non seulement à l’échelle mondiale, nationale ou provinciale, mais d’une exploitation agricole à l’autre.

Sur ma propre ferme, grâce à la technologie et à des pratiques de gestion exemplaires, nous voyons le rendement augmenter année après année. Quand je pense à certaines prévisions sur le changement climatique selon lesquelles la saison de croissance sera peut-être plus longue, je me demande comment cela pourrait avoir des répercussions positives sur ma productivité et mes options de culture. Toutefois, j’examine également quels pourraient être les effets indirects sur les éléments qui ont des effets sur mes activités agricoles périodiquement, comme les organismes nuisibles, les maladies et les mauvaises herbes.

Au Canada, l’un des avantages, ce sont les nuits fraîches et la variation saisonnière, ce qui nous permet de lutter contre les populations d’organismes nuisibles. Si notre climat était plus chaud, des organismes du sud pourraient se déplacer vers le nord et les organismes nordiques seraient moins touchés par la disparition rapide en hiver. Les prévisions de pluies et de sécheresse extrêmes pourraient se traduire par l’apparition de maladies produisant des mycotoxines comme l’agent pathogène de la fusariose, qui est déjà un problème majeur pour les céréales dans l’Ouest canadien. D’autre part, une saison de croissance plus longue et plus chaude pourrait m’offrir plus d’options et me permettrait de produire une plus grande diversité de cultures de grande valeur qui requièrent de la chaleur. Cette possibilité augmenterait vers le nord de notre province, mais en général, l’agriculture pourrait jouer un rôle plus important dans l’économie canadienne et en tant que ressource de plus en plus importante dans le système alimentaire.

L’ampleur des possibilités qui s’offrent peut être déterminée par la capacité continue des agriculteurs de bien s’adapter aux changements climatiques, ce qui peut se produire plus rapidement que les cycles météorologiques traditionnels. La gestion adaptative est une partie des activités courantes des producteurs des Prairies qui réagissent rapidement à des changements dans les événements météorologiques chaque année. Bien que les événements extrêmes posent de grands défis, d’une année à l’autre, nous faisons face à des conditions de quasi-sécheresse atténuées par des conditions d’humidité excessive.

La variabilité du climat représente un grand défi pour les producteurs. Un agriculteur qui connaît les diverses conditions qui se présenteront pendant un certain nombre d’années peut déterminer quelles cultures, pratiques, machines ou infrastructures représentent un investissement rentable dans des conditions précises.

L’imprévisibilité est à l’origine des pertes agricoles, et des scénarios de changement climatique laissent croire que dans l’avenir, le climat sera non seulement plus chaud, mais plus variable. Cela dit, concrètement, aucun changement dans le climat n’a encore touché mon exploitation agricole.

Les mesures correctives et les interventions d’urgence peuvent coûter cher et ne sont souvent que des solutions à court terme. L’adoption de stratégies de gestion des risques, comme des plans de gestion intégrée de l’eau, permet aux agriculteurs de réduire les effets de l’humidité excessive, le cas échéant.

Les avancées technologiques et la volonté des agriculteurs d’adopter des technologies font en sorte que le secteur agricole canadien est reconnu comme l’un des secteurs agricoles les plus avancés et durables au monde. Le fait que nous soyons capables d’utiliser des technologies agricoles de précision nous aide à continuer de nous adapter aux problèmes climatiques.

Au cours de la dernière année, dans le Sud de l’Alberta, même s’ils ont été confrontés à des conditions de sécheresse, les agriculteurs ont eu une récolte moyenne. S’ils avaient connu les mêmes conditions dans les années 1980, soit avant l’arrivée du travail de conservation du sol, leur récolte aurait été complètement ruinée.

De plus, il est essentiel d’investir continuellement dans les améliorations génétiques. Cela a déjà été utilisé comme mesure d’adaptation à des stress abiotiques et biotiques et assure un haut rendement aux producteurs. La détermination des caractères, qui répondront le mieux au changement des conditions climatiques, est nécessaire avec des méthodes de sélection traditionnelles et les investissements. L’accueil favorable des technologies de pointe, comme la correction génétique, peut accélérer l’arrivée de variétés qui sont résistantes aux conditions météorologiques variables.

Par l’intermédiaire de commissions, comme la Commission albertaine du blé, des producteurs albertains ont fait d’importants investissements en recherche et développement pour améliorer la génétique des cultures au moyen de la biotechnologie et de méthodes de sélection traditionnelles. Cela a mené à des résultats : augmentation des rendements, tolérance aux herbicides, cultivars résistants à la sécheresse et aux maladies, efficacité de l’utilisation de l’eau et efficacité de l’utilisation de l’azote.

On peut penser, par exemple, à un projet que nous finançons par l’intermédiaire d’Agriculture et Agroalimentaire Canada sur la fixation de l’azote dans le triticale et le blé. La réalisation de ce projet pourrait se traduire par une réduction de la dépendance aux engrais azotés manufacturés, ce qui entraînerait une réduction des émissions de gaz, à effet de serre, produites dans la production d’engrais.

En juin 2016, le gouvernement de l’Alberta a adopté le projet de loi 20, la Climate Leadership Implementation Act, une politique sur la gestion des émissions des gaz à effet de serre dans la province. L’un des éléments essentiels de la loi, c’est l’imposition d’une taxe sur le carbone aux consommateurs de carburant. Une série d’obligations en matière de paiement et de remise s’appliquent à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Le carburant coloré qui est utilisé sur nos fermes est exempté, mais nos commissions ont entrepris des travaux pour évaluer les coûts directs et indirects que cela entraîne pour les agriculteurs. Notre analyse a indiqué que pour les agriculteurs, la plus importante répercussion de la taxe sur le carbone découlera de la taxe sur l’utilisation du gaz naturel. La deuxième répercussion la plus importante, ce sera l’augmentation possible des coûts du transport du grain.

Avec le transfert de ces coûts et d’autres coûts, les agriculteurs craignent les effets qu’aura la taxe sur leurs marges, qui sont déjà minces. Paradoxalement, lorsqu’il s’agit du gaz naturel utilisé pour le séchage, en fait, les agriculteurs seront peut-être obligés d’utiliser davantage leurs séchoirs à l’avenir selon les futurs scénarios de changements climatiques qui s’annoncent dans certaines régions de l’Alberta.

Les politiques qui ont pour objectif la réduction des gaz à effet de serre et l’adoption de nouvelles pratiques doivent tenir compte des répercussions économiques sur la compétitivité des producteurs et la viabilité économique ainsi que sur les pratiques de gestion exemplaires actuelles. Il est essentiel, quand il est question d’un mécanisme de tarification du carbone, qu’on garantisse l’équité partout au Canada, de sorte qu’une région ne soit pas défavorisée par rapport à d’autres régions, comme c’est le cas de l’Alberta présentement.

Nos industries des céréales et des oléagineux dépendent des exportations. Ce sont des secteurs exposés au commerce et, par conséquent, la réglementation ou la charge fiscale, que ce soit voulu ou non, qui peuvent entraîner une augmentation des coûts pour les agriculteurs par des intrants comme le carburant et les engrais ou autre chose, ne peuvent pas être transférés à l’acheteur et sont donc assumés entièrement par le producteur, ce qui aura des effets sur notre capacité de soutenir la concurrence sur les marchés mondiaux.

Les agriculteurs de l’Alberta sont déterminés à faire partie de cette solution au changement climatique. Les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent réduire les effets de la tarification du carbone dans le secteur agricole tout en dépassant l’objectif de réductions voulues des émissions de gaz à effet de serre. C’est possible si l’on reconnaît que la production agricole est un atout dans la lutte contre le changement climatique et offre plusieurs occasions de réductions importantes et de séquestration dans le cadre du bon programme.

La création de fonds d’investissement stratégique pour l’agriculture et les recettes de la tarification du carbone pourraient servir à améliorer l’éducation et à surmonter les obstacles qui empêchent les agriculteurs d’adopter de façon continue des pratiques de gestion exemplaires et des technologies, et l’obstacle le plus important, c’est souvent le coût.

D’autres améliorations pourraient être apportées à des systèmes de crédits compensatoires comme le marché du carbone de l’Alberta, qui comprend un certain nombre de protocoles applicables au secteur agricole. Le Conservation Cropping Protocol a généré plus de 13,5 millions de tonnes de crédits, ce qui fait en sorte que plus de 100 millions de dollars ont été injectés dans les exploitations agricoles et les collectivités rurales. Cependant, d’après la structure du programme, les agriculteurs de l’Alberta ont vu la valeur diminuer, et la participation a baissé considérablement; il en a résulté une occasion ratée. Enfin, nous étions ravis que le gouvernement fédéral s’engage à investir 6,6 milliards de dollars dans la science et l’innovation dans le cadre du budget de 2018. Les fonds pour la science et l’innovation destinés à des activités d’atténuation et de séquestration ainsi qu’à des innovations dans les sélections des végétaux et à la génétique seront essentiels pour améliorer la compétitivité du secteur agricole.

C’est tout ce que j’ai. Je vous remercie encore une fois de nous accorder du temps.

La présidente : Monsieur Hilgartner.

D’Arcy Hilgartner, président, Alberta Pulse Growers Commission : Bonjour, honorables sénateurs. Je suis ravi de comparaître aujourd’hui pour présenter notre point de vue concernant les effets du changement climatique sur les secteurs agricole et agroalimentaire et, plus précisément, le point de vue d’un producteur de légumineuses.

Comme on l’a déjà mentionné, je m’appelle D’Arcy Hilgartner. Je préside l’Alberta Pulse Growers Commission, qui représente 6 000 producteurs de pois des champs, de haricots secs, de lentilles, de pois chiches, de fèveroles à petits grains et de soja de la province de l’Alberta. Notre vision consiste à faire en sorte que les consommateurs considèrent les légumineuses de la province comme étant des produits écologiques, sains et nutritifs et que tous les producteurs les considèrent comme étant un élément essentiel d’un système de culture durable.

J’aimerais tout d’abord vous donner un aperçu de notre ferme, des changements que nous avons apportés au fil des ans et de leur lien avec les trois questions que vous avez posées sur la capacité d’adaptation et la résilience du secteur, les répercussions de la tarification du carbone et le rôle du gouvernement dans l’atteinte des objectifs.

Notre ferme se trouve à 275 kilomètres au nord d’ici, dans la ville de Camrose, où vivent aussi mon frère, nos femmes, nos enfants et nos parents. Nous exploitons une ferme familiale typique. Mon frère et moi avons six garçons et de nombreux neveux et nièces. Puisque nous espérons que la prochaine génération reprenne la ferme, la durabilité est un aspect très important pour nous.

Chaque année, nous semons diverses cultures sur environ 8 500 acres de terres, ce qui inclut des légumineuses, des pois secs, des fèveroles à petits grains, du canola, du blé, de l’orge et du lin. Nous croyons que notre rotation des cultures diversifiée est un aspect essentiel de notre capacité d’adaptation et de notre résilience. Chacune de ces cultures a ses propres besoins sur le plan de l’humidité et des nutriments. De plus, les diverses plantes aident à limiter la pression causée par les mauvaises herbes, les maladies et les insectes dans les champs, ce qui favorise une diminution des besoins en intrants.

Le semis direct, que nous pratiquons sur notre ferme depuis le milieu des années 1990, a changé la donne. Il nous a permis de produire continuellement — il n’y a donc pas de jachère d’été — et d’ensemencer et d’appliquer les engrais au printemps en un seul passage. Cela nous permet de limiter la perte d’humidité, de moins utiliser notre équipement, ce qui nous fait économiser sur la consommation de carburant et sur l’entretien, tant des pièces que de l’huile, et de séquestrer plus de carbone. Par ailleurs, les tracteurs, les camions, les moissonneuses-batteuses et d’autres types d’équipement motorisé que nous utilisons sur notre ferme sont équipés des tout derniers moteurs et technologies. Les nouveaux modèles consomment moins de carburant et produisent moins d’émissions.

L’agriculture de précision nous a permis d’accroître davantage notre efficacité sur notre ferme. Le guide GPS et la gouverne automatique nous permettent de réduire les chevauchements de sorte que, peu importe l’intrant de culture, nous ne faisons pas de surutilisation — ce qui est bon pour nos sols, notre environnement et nos résultats nets.

Puisque l’engrais représente une partie substantielle de nos coûts, nous voulons en faire une utilisation judicieuse. Nous adoptons une approche à quatre piliers : bonne source, bonne dose, bon moment et bon endroit. Nous constatons que les méthodes de semis directs que nous employons, parallèlement à l’analyse du sol, donnent de meilleurs résultats.

Je crois que les changements que nous, les agriculteurs, avons apportés à nos pratiques culturales jusqu’à maintenant sont sous-estimés; on ne reconnaît pas à leur juste valeur leur contribution sur le plan de l’atténuation du changement climatique. Nous sommes d’avis que nous faisons partie de la solution et non du problème.

Malheureusement, les divers mécanismes de tarification du carbone qui sont utilisés et qui sont étudiés ont des répercussions. Avec notre population relativement faible et notre capacité à produire des récoltes de haute qualité, nous continuerons d’être une nation exportatrice. Soixante-quinze pour cent des légumineuses sont exportées. Bon nombre des pays dans lesquels nous faisons la commercialisation et avec lesquels nous rivalisons n’imposent pas de taxe sur le carbone ou n’y accordent pas d’importance. Cela nous désavantage sur le plan concurrentiel, et je parle non seulement des producteurs primaires, mais également du secteur de la valeur ajoutée.

À titre de représentant d’Alberta Pulse Growers, j’aimerais vous faire part de résultats récents obtenus grâce à la recherche que notre organisation a menée en collaboration avec le ministère de l’Agriculture et des forêts de l’Alberta. Alberta Pulse Growers, ou APG, a récemment obtenu une déclaration de produit environnemental pour le petit pois de l’Alberta. Cette déclaration se fonde sur les données concernant le rendement des plants, les intrants, le travail agricole, les distances parcourues pour le transport entre la ferme et les lieux de livraison, de même que le facteur d’émission et la modélisation des données sur l’inventaire international du cycle de vie.

Cette déclaration de produit environnemental attribuée à un aliment récemment est la première en son genre en Amérique du Nord. La majorité des autres aliments ayant réussi à en obtenir une sont des produits alimentaires européens d’entreprises comme Barilla, qui est réputée pour ses pâtes haut de gamme et son engagement envers les chaînes d’approvisionnement durables.

Je ne suis pas un expert de ces recherches, mais j’en comprends que cette information confère aux petits pois produits dans notre province une cote particulière selon l’analyse du cycle de vie, ce qui pourrait constituer un atout dans la chaîne de valeur ajoutée pour ceux qui cherchent à offrir un produit ayant une faible empreinte carbone. C’est une belle réalisation environnementale pour les producteurs de petits pois de l’Alberta, et nous sommes très fiers d’y avoir contribué.

Il est très important de reconnaître la contribution des nouvelles pratiques de gestion adoptées par les producteurs à ce jour pour augmenter la séquestration du carbone et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, la perte de rétroactivité dans diverses propositions et l’établissement d’un point de référence sans qu’on ne tienne compte des divers changements apportés aux pratiques des agriculteurs à ce jour créent de la résistance de leur part à appuyer certains efforts du gouvernement.

Les programmes de crédit d’émissions de carbone doivent être plus abordables. Environ le tiers seulement des agriculteurs de l’Alberta y participent. La participation est un peu plus élevée parmi les grandes fermes de plus de 5 000 acres, puisque presque la moitié y participe, mais bien souvent, les avantages qu’on peut en tirer ne valent pas toute la paperasse, le temps et les approbations nécessaires. Cela donne l’impression que ce sont les grands conglomérats qui profitent le plus de ces crédits.

Toute politique visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre devrait tenir compte de la viabilité du producteur. Bien souvent, on en décharge les coûts directs ou indirects sur le secteur sans tenir compte de la contribution positive de l’agriculture à l’atteinte de nos objectifs.

Il faut appuyer l’inclusion de responsabilités environnementales à la production à valeur ajoutée afin de favoriser des produits faisant partie du système alimentaire comme le petit pois de l’Alberta. Le gouvernement devrait participer autant que possible au financement de la recherche afin que les producteurs primaires puissent profiter des avancées technologiques pour assurer la compétitivité et la viabilité de l’industrie à long terme.

Je vous remercie de nous accorder du temps et j’ai hâte de répondre à vos questions.

La présidente : Nous entendrons maintenant le dernier exposé. La parole est à vous.

Kevin Serfas, directeur de Turin et président du Government and Industry Affairs Committee, Alberta Canola : Merci et bonjour. Je m’appelle Kevin Serfas. Je suis président du comité des affaires gouvernementales et industrielles de l’Alberta Canola Producers Commission, ainsi que directeur du Conseil canadien du canola. Je suis un agriculteur de troisième génération de Turin, en Alberta, qui se trouve à deux heures au sud-est de Calgary. Je cultive de l’orge, du maïs, du canola sur 65 000 acres de terre, en plus de nourrir 6 000 bovins avec mon père, mon frère, nos épouses et nos enfants.

Je suis accompagné aujourd’hui de Ward Toma, directeur général d’Alberta Canola. L’Alberta Canola Producers Commission est une organisation dont le conseil d’administration se compose de membres élus par les producteurs et qui représente les intérêts de 14 000 cultivateurs de canola en Alberta. Nous sommes financés par nos membres grâce à une cotisation remboursable qui nous permet de déployer divers projets de sensibilisation et d’information et de conseiller les gouvernements sur les mesures les plus avantageuses pour nos producteurs en matière de recherche et de politiques, par exemple. Nous sommes membres de l’Association canadienne des producteurs de canola et du Conseil canadien du canola.

Nous représentons ensemble une industrie de 26,7 milliards de dollars au Canada. Aujourd’hui, je veux vous parler de la résilience des agriculteurs face au changement climatique, des répercussions de la tarification du carbone et des possibilités futures.

Le canola est un produit typiquement canadien. Il a été mis au point ici même au Canada par des chercheurs canadiens pour convenir aux conditions de croissance par temps froid du Canada, un projet qui a été couronné de succès. Le canola est maintenant cultivé sur environ un tiers des terres arables de l’Ouest canadien, et il est la culture par excellence pour ce qui est des recettes.

Les fermes, plus que toute autre entreprise, sont à la merci de la nature et dépendent de l’environnement pour leur succès. Les conditions météorologiques, les mauvaises herbes et les insectes varient d’une année à l’autre, et leurs répercussions peuvent être considérables sur nos fermes.

Dans la région où nous nous trouvons, par exemple, nous venons de traverser plusieurs années consécutives d’une sécheresse qui a été aussi sévère que tout ce qu’a connu mon père depuis qu’il a immigré au Canada en 1952. Les phénomènes météorologiques graves peuvent nuire à la production agricole. Au cours des 10 dernières années, par exemple, les pluies trop abondantes ont été la principale cause des pertes agricoles au Manitoba et en Saskatchewan.

Pour nous prémunir contre cette incertitude, nous avons commencé à adopter, rapidement et volontairement, des technologies modernes qui ont été à la fois économiques et bénéfiques pour l’environnement. Au nombre de ces technologies, mentionnons l’utilisation de variétés de semences génétiquement modifiées, l’ensemencement par semis direct et l’agriculture de précision. Si ces années de sécheresse consécutives s’étaient produites il y a 20 ans, les conséquences auraient été désastreuses. Ce qui a permis d’atténuer ses effets, c’est l’adoption de pratiques agricoles nouvelles et bénéfiques.

Il y a 30 ans, l’armée était la seule organisation qui utilisait les GPS. Aujourd’hui, le GPS est un outil indispensable dans mon travail. Grâce à la technologie, je peux pratiquer une agriculture de précision, en appliquant des engrais de façon ciblée et en utilisant les pesticides de façon judicieuse. On peut ainsi réduire les coûts et les émissions liés à l’utilisation du carburant et à l’application des engrais. Sur une période de 30 ans, les pratiques de ce genre ont permis de réduire la consommation d’énergie de 43 p. 100 par tonne de canola produite, et de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 53 p. 100.

J’utilise également, lorsque c’est possible, la culture sans labour, une technique qui permet à mes champs d’éliminer des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, et qui permet également de réduire l’érosion du sol qui peut mener à des phénomènes désastreux comme la grande sécheresse des années 1930. Cela permet aussi de réduire l’utilisation du tracteur, donc la consommation de carburant, et de laisser l’humidité nécessaire dans le sol. En 1991, 30 p. 100 des agriculteurs dans l’Ouest canadien utilisaient les pratiques sans labour; en 2011, ce pourcentage avait doublé pour atteindre 61 p. 100.

Lorsque le sol n’est pas labouré, il emmagasine ou séquestre les gaz à effet de serre. En 2000, et c’était une première dans l’histoire du Canada, les terres agricoles ont séquestré plus de carbone qu’elles en ont émis auparavant. L’industrie agricole y est parvenue en raison de sa solide détermination à réduire la dégradation des sols et ainsi prévenir leur perte de fertilité et leur érosion dévastatrice. Grâce à des pratiques comme la culture sans labour, les terres cultivées au Canada séquestrent maintenant 12 millions de tonnes de gaz à effet de serre chaque année, ce qui équivaut à retirer 2,5 millions de voitures de la circulation.

Il est important de souligner ici que ces résultats ont été atteints en l’absence de règlements sur le changement climatique et de tarification du carbone.

En adoptant de nouvelles pratiques comme la culture sans labour, les agriculteurs ont ainsi pu réduire leur vulnérabilité aux aléas climatiques et demeurer concurrentiels sur les marchés mondiaux. Nous allons devoir continuer d’en faire autant dans l’avenir pour demeurer concurrentiels, et c’est ce que nous ferons. En collaboration avec l’industrie et les gouvernements, nous examinons et instaurons de nouvelles pratiques dans le cadre d’initiatives comme farmsustainability.ca, la Table ronde canadienne sur la production durable des cultures, la Canadian Field Print Initiative, le Plan environnemental national de la ferme et le programme de gestion des nutriments 4B, mais il y aura de nouvelles pressions chaque année, et l’adaptation peut prendre du temps. Nous avons donc besoin d’une solide gamme de programmes de gestion des risques. À l’heure actuelle, dans le cadre du Partenariat canadien pour l’agriculture, les programmes font l’objet d’un examen, et nous pressons les gouvernements de travailler avec les associations de producteurs pour trouver ceux qui seront les mieux à même de répondre à nos besoins au cours des 10 à 20 prochaines années, au lieu de se contenter de quelques petites modifications aux approches existantes.

Par ailleurs, le gouvernement fédéral s’est doté d’un plan ambitieux pour lutter contre le changement climatique, et la tarification du carbone en constitue un élément. Pendant que chaque province se penche sur la façon d’instaurer un prix sur le carbone, ses répercussions continuent d’inquiéter les agriculteurs. Le secteur des grains et des oléagineux est dépendant des exportations et exposé aux aléas des échanges commerciaux.

Nous sommes des preneurs de prix sur les marchés mondiaux. Nous ne pouvons pas transférer ces coûts. C’est une préoccupation en particulier pour le canola, étant donné que 90 p. 100 de sa production, que ce soit sous forme de graines, d’huile ou de tourteau, est exportée chaque année. Nous devons faire concurrence à des agriculteurs qui n’auront pas ces coûts additionnels à assumer. Nous vous demandons donc instamment de faire preuve de prudence lors de l’ajout de tout fardeau fiscal, intentionnel ou non, qui pourrait diminuer la compétitivité des producteurs du secteur primaire, les transformateurs à valeur ajoutée, les malteurs, les meuniers et les triturateurs oléagineux de l’Alberta.

Comme il est indiqué dans le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques, le gouvernement peut aider à atteindre les cibles de réduction des émissions en menant des recherches sur les nouvelles pratiques exemplaires et en investissant dans les technologies environnementales. Comme je l’ai déjà mentionné, les agriculteurs ont l’habitude d’adopter rapidement les nouvelles technologies pour réduire leur empreinte environnementale tout en protégeant leur profitabilité, et ils vont continuer de le faire. Toutefois, les agriculteurs ont déjà pris de nombreuses mesures en ce sens, et ces efforts doivent être reconnus.

Nous demandons donc à ce que les agriculteurs ne soient pas pénalisés par le prix du carbone, que leur compétitivité ne soit pas compromise, et qu’on envisage de mettre en place de solides programmes ou mécanismes de compensation du carbone pour absorber les coûts supplémentaires.

On devrait reconnaître les efforts des agriculteurs et les récompenser pour avoir adopté volontairement des pratiques de gestion bénéfiques et de nouvelles technologies qui retirent du carbone de l’atmosphère. Honnêtement, nous préférerions qu’on nous encourage à aider le gouvernement à atteindre ses objectifs en matière de changement climatique plutôt que d’être taxés. L’agriculture est un secteur prospère de l’économie canadienne et possède un brillant avenir, à condition que nous luttions à armes égales avec nos concurrents.

L’industrie du canola peut jouer un rôle en réduisant les émissions de gaz à effet de serre du Canada. La bioénergie fait partie des solutions pour lutter contre le changement climatique. Le canola est un intrant de qualité et à faible intensité de carbone pour produire du biocarburant canadien. Le biocarburant fabriqué à partir du canola émet 90 p. 100 moins de gaz à effet de serre que le diesel conventionnel.

Si l’ordonnance fédérale de 2 p. 100 pour le biodiesel passait à 5 p. 100, on en retirerait un avantage immédiat. En utilisant le canola, on pourrait réduire les émissions de gaz à effet de serre au Canada de 5,1 millions de tonnes par an, soit l’équivalent de retirer un million de voitures de la route chaque année. La hausse de l’ordonnance se traduirait par une réduction immédiate et quantifiable des gaz à effet de serre, et ce, à un coût mimine pour le gouvernement.

En terminant, Alberta Canola demeure optimiste à l’égard de l’avenir des producteurs de canola du Canada et de leur capacité de continuer à contribuer de façon positive à l’économie et aux objectifs de lutte contre le changement climatique. Les agriculteurs canadiens devraient être considérés comme des partenaires stratégiques du dialogue.

Je vous remercie encore une fois de nous avoir donné l’occasion de comparaître devant le comité pour discuter d’un sujet d’une grande importance pour les producteurs de canola.

La présidente : Merci de vos excellents exposés. Nous sommes bien réchauffés pour entamer la période de questions, et c’est le vice-président du comité, le sénateur Maltais, qui sera le premier intervenant.

Le sénateur Maltais : Merci, messieurs. Je suis très heureux de vous voir ici ce matin. Ça fait sept ans que je fais partie du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Je l’ai présidé pendant quelques années, et l’on continue. C’est un vase communicant.

Les changements climatiques en agriculture causent bien des problèmes dans chacun de vos secteurs. Par contre, d’entrée de jeu, je vais vous dire, j’ai eu l’occasion à deux reprises d’aller en Chine, de diriger une mission en Chine. Vos produits, le canola en particulier, le bœuf et le groupe Canadian Beef sont très présents. Ma collègue, la sénatrice Gagné, était avec moi. Nous avons vu que ces exportations étaient appréciées pour leur qualité.

Évidemment, vous souffrez de deux problèmes majeurs. Un, les changements climatiques, vous n’y pouvez rien. Ce n’est pas vous qui faites tourner les tourbillons dans le ciel ou qui créez les pluies, les sécheresses ou les inondations. Vous ne pouvez rien contre ça. Moi, je constate une chose depuis une quinzaine d’années, parce qu’avant d’être au Sénat, j’étais dans un Parlement provincial et je m’intéressais à l’agriculture. On constate une chose. C’est très facile, les deux mauvais points, c’est que vous ne pouvez rien faire contre le changement climatique et que la presse a pris position contre vous. Je vais vous le dire carrément. Regardez toutes les émissions de télévision qui parlent des pollueurs. On voit toujours un petit ruisseau avec un petit débit, des pesticides qui s’en vont et, finalement, ils nous montrent une grenouille qui est morte. Ou bien, ils nous montrent une cheminée qui fait de la fumée, qui émet des gaz à effet de serre. C’est ça le portrait que les Canadiens ont de l’agriculture. C’est très triste, parce qu’ils n’ont pas suivi l’évolution que vous avez faite au cours des 20 dernières années.

La recherche, tout le monde l’a soulignée. Vous trois avez souligné son importance. On parle de la taxe sur le carbone et des carburants moins nocifs. Personne ne parle d’imposer la taxe sur le carbone au fabricant d’équipements de tracteurs. C’est lui qui, après tout, fabrique le tracteur ou la machinerie nécessaire à l’agriculture. C’est à lui d’avoir de meilleures voitures moins polluantes. Et s’il n’en fait pas, que la taxe sur le carbone s’applique à lui et non à vous. Vous êtes les utilisateurs et, lui, c’est le fabricant. Donc, il faut absolument que les deux soient équilibrés.

La taxe sur le carbone, vous l’avez souligné, monsieur Bender, et je vous félicite, elle doit servir à la recherche. Elle doit servir à la recherche et pas à autre chose. Le gouvernement fédéral va élaborer une réglementation nationale et ce seront les provinces qui vont la gérer. Il faut veiller à ce que les recettes de cette taxe ne soient pas consacrées à d’autres choses qu’à la recherche sur l’agriculture, dans votre domaine, et je suis certain que l’agriculture en Alberta représente une très grosse partie des budgets des exportations.

Je voudrais en revenir à ce que vous avez dit, monsieur Bender, et ça, je pense que c’est important : « savoir s’adapter aux changements climatiques ». Vous nous avez assez bien expliqué le travail que vous avez fait. Est-ce que les nouvelles technologies dont vous disposez aujourd’hui vous permettent de sauver les meubles avec ce qu’on appelle « les incidences terrestres », soit les pluies et les sécheresses, ce genre de choses? Est-ce que ça vous permet de mieux lutter contre ça pour garder votre production à un niveau rentable? Parce qu’il faut être rentable dans une entreprise.

[Traduction]

M. Bender : Sénateur, je vous remercie de poser la question. Comme nous l’avons mentionné, et mes collègues également, les agriculteurs s’adaptent facilement aux changements. Comme nous l’avons dit également, les technologies ont beaucoup amélioré notre capacité à atténuer les risques de sécheresse grâce, par exemple, au travail de conservation du sol. Il y a deux générations, lorsque le travail du sol était au cœur de toutes nos activités, nous avions de graves problèmes d’érosion liés au vent et à l’eau. Nous laissons maintenant les résidus de nos récoltes dans les champs. Nous les laissons sur place, et le système racinaire tient le sol ensemble. Le fait de laisser les résidus à la surface permet en outre de garder l’humidité dans le sol et de cultiver en utilisant beaucoup moins d’eau que par le passé. C’est un exemple.

Nous avons aussi d’autres technologies. On a mentionné le GPS qui nous permet d’être très précis dans la quantité de produits que nous appliquons sur nos terres, afin de ne pas en mettre trop ou pas assez.

Ce ne sont là que deux exemples d’améliorations que nous avons apportées. Il y en a plusieurs autres, comme la création de variétés à l’aide de la génétique pour rendre nos cultures plus résistantes à certaines formes de stress comme la sécheresse et l’humidité excessive, ou même les organismes nuisibles comme les insectes. Les agriculteurs s’adaptent habituellement très bien, et nous avons réussi en général à demeurer profitables, en dépit des nombreuses formes de stress que nous avons dû affronter.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci.

Mon autre question s’adresse à M. Hilgartner. Vous avez dit dans votre témoignage que vous travaillez dans le domaine des produits de canola, d’orge et d’autres produits de la terre. Vous avez dit une chose, je pense, qui est assez importante. En ce qui a trait aux légumineuses, vous avez été accusé très longtemps d’être des épandeurs de pesticides mortels. On a vu des têtes de mort posées sur des affiches disant que les producteurs de légumineuses étaient les plus grands pollueurs. Qu’en est-il aujourd’hui de l’application des pesticides sur les légumineuses?

[Traduction]

M. Hilgartner : Pour ce qui est de l’utilisation des pesticides et des autres formes d’intrants dans la production de mes légumineuses, la quantité est certainement moindre que par le passé. Il est toujours utile de procéder à une rotation des cultures, et je ne dirais pas que j’y ai davantage recours pour cette culture que pour une autre. Mon utilisation des produits a diminué, en fait, au fil des ans grâce à une meilleure gestion, aux applications localisées, au degré de précision dont nous avons parlé, soit le fait de pouvoir appliquer un produit exactement là où il le faut, au lieu de l’appliquer partout. On essaie de faire un usage judicieux des produits.

[Français]

Le sénateur Maltais : D’accord, merci.

J’ai une dernière question, monsieur Serfas. Vous êtes dans l’élevage de bovins. On arrive de la Colombie-Britannique, on a rencontré des scientifiques qui sont en train d’essayer de faire une nouvelle sorte de bête qui va vivre dans le climat que l’on va avoir peut-être dans 15 ou 20 ans. Quelle sorte de bête est-ce que vous avez et comment se comporte-t-elle avec les changements climatiques?

[Traduction]

M. Serfas : Je vous remercie de poser la question. Nous élevons des bovins exclusivement pour la viande. Les bovins ont été sélectionnés au cours des dernières générations en vue de s’adapter au climat. On utilise la génétique et on le fait depuis longtemps. Lorsque le climat change, les modes de reproduction changent; on peut, par exemple, effectuer des croisements avec des bovins qui proviennent d’Europe ou du Brésil ou d’ailleurs. Les bovins qu’on élevait il y a 20 ans étaient complètement différents de ceux qu’on élève maintenant, uniquement grâce à la sélection. Certains bovins engraisseront plus facilement dans certaines conditions climatiques, par exemple, et cela continue d’évoluer.

C’est la même chose pour la génétique qu’on utilise dans les cultures. Les choses continuent d’évoluer. Qu’il s’agisse d’élever des bovins ou de faire pousser du maïs ou du canola, nous voulons le faire de la façon la plus efficace possible. Quelle culture peut-on faire pousser avec le moins d’eau possible? Même chose du côté des bovins : quel animal peut convertir les aliments en viande le plus efficacement possible?

Au fil des années, nous avons vu les gains d’efficacité du côté des cultures se produire également du côté du bétail. Nous produisons plus de livres de viande en utilisant moins d’intrants également. Les choses évoluent constamment, et beaucoup de gens y travaillent, comme vous avez pu le constater en Colombie-Britannique.

Le sénateur Maltais : Merci.

La sénatrice Gagné : Merci de vos exposés fort intéressants. Nous vous sommes très reconnaissants de tous les points soulevés et de vos recommandations.

J’aimerais revenir à la correction génétique. Vous avez mentionné que la correction génétique était très utilisée en Alberta. Vous avez aussi mentionné qu’il existe de nombreuses possibilités pour améliorer les cultures. J’aimerais que vous nous parliez des défis liés à la correction génétique.

M. Bender : Je vais sans doute demander l’avis de mes collègues à la table également. Un des défis, dont a parlé le sénateur précédent, ce sont les craintes qui vont véhiculées dans les médias à l’égard de ce qui est nouveau. Dès le départ, on fait face à la résistance de la population. Ces craintes sont souvent véhiculées par les médias sociaux, mais aussi par les médias en général, où cela est perçu comme mauvais ou anormal. On résiste alors à quelque chose qui pourrait être très bénéfique pour l’ensemble de la société.

Je vais demander à mes collègues s’ils ont quelque chose à ajouter.

Tom Steve, directeur général, Commission albertaine du blé : Je vais ajouter un point. En ce qui concerne le blé en particulier, les recherches sont effectuées à l’Université de la Saskatchewan, au Conseil national de recherche sur la correction génétique du blé. L’objectif est d’accélérer le cycle de sélection. Peut-on identifier des caractères, par exemple, pouvant prévenir l’apparition de certaines maladies ou améliorer le rendement?

Selon nous, c’est une façon d’accélérer le processus de sélection. Dans le cas du blé, il faut habituellement environ 10 ans pour amener une nouvelle variété sur le marché par la méthode conventionnelle, puis deux ou trois ans supplémentaires pour la commercialiser. Le travail de pionnier qu’on fait en ce moment, principalement à Saskatoon encore une fois, vise à accélérer ce processus. C’est différent des cultures transgéniques du canola, auxquelles nous ne sommes pas opposés, mais la question sera de savoir ce que la population pensera de cette technologie qui est à nos portes. C’est différent de la technologie transgénique, et c’est ce qu’on pourrait appeler, je pense, de la biotechnologie, car on utilise des outils plus précis que les simples croisements, comme on le fait à l’heure actuelle pour amener le blé sur le marché.

La sénatrice Gagné : Pensez-vous que ce sera une façon de refondre le débat sur les OGM?

M. Steve : C’est une très bonne question. La communauté scientifique a décodé le génome du blé maintenant, et c’est un effort international. C’est une tentative d’utiliser la technologie à notre avantage. Je pense que ce qui est arrivé dans le passé, et c’est certainement le cas des cultures génétiquement modifiées, c’est qu’il y a tendance à y avoir une réaction négative de la population, ou à tout le moins de groupes particuliers, lorsque cela tombe entre les mains d’une société. Cela étant dit, je pense que tous ceux à cette table qui cultivent utilisent des cultures génétiquement modifiées dans leur rotation.

Ward Toma, directeur général, Alberta Canola : J’aimerais ajouter quelque chose à ce que Tom vient de dire. Il a tout à fait raison. Beaucoup des critiques au sujet des cultures génétiquement modifiées sont nées de la fièvre anti-société, et elles ont évolué grâce à la science. La différence fondamentale entre la correction génétique et la modification génétique tient au fait que la modification génétique consiste à introduire des gènes d’une autre espèce, alors que la correction génétique consiste à allumer ou à éteindre quelque chose que, comme Kevin et Tom l’ont mentionné, la nature ferait d’elle-même par la mutation, mais à le faire de façon plus rapide. Le résultat en fin de compte est le même, le séquençage génétique, mais cela prend beaucoup plus de temps.

Nous participons à des recherches à l’Université de l’Alberta sur la résistance génétique à certaines maladies très graves du canola, la hernie et la jambe noire. La jambe noire a des répercussions sur le commerce également. Il n’existe pas d’autres façons de traiter ou de contrer une maladie comme la hernie. Par contre, on peut utiliser des fongicides ou d’autres produits pour lutter contre la jambe noire.

Dans le cas de la résistance génétique, soit un programme de correction génétique plus précis, les avantages environnementaux apparaissent très rapidement, puisqu’on n’a pas besoin d’utiliser de solutions chimiques. C’est la première étape, et c’est très bon pour l’environnement et pour la productivité de la ferme.

La sénatrice Gagné : Ce que je comprends, c’est que le défi consiste à amener la population à accepter de telles solutions en s’appuyant sur des faits, soit qu’on améliore ainsi la culture. On pourrait aussi améliorer la résilience de la culture, par exemple. Que font les agriculteurs et les chercheurs pour amener la population à les écouter et pour les rassurer?

M. Toma : Toutes nos organisations font beaucoup de sensibilisation auprès des consommateurs et de la population en général sur le travail des agriculteurs dans leurs fermes et sur le travail des chercheurs dans leurs laboratoires et leurs essais en champ, afin de les rassurer sur la salubrité des produits et des aliments qui sont produits. C’est un élément très important pour nos partenaires commerciaux. Ces relations sont très importantes.

Comme vous l’avez entendu, il y a des intérêts contraires qui s’opposent à ces avancées, pour des raisons qui leur sont propres.

Nous travaillons étroitement avec des responsables de la réglementation et des membres du gouvernement tels que vous. Ce sont strictement des preuves scientifiques, et c’est très important que la réglementation partout dans le monde soit fondée sur des principes scientifiques pour que les gouvernements soient sur la même longueur d’onde.

La sénatrice Gagné : Vous avez mentionné qu’un tiers des terres cultivées sert à la production du canola. Avez-vous dit en Alberta ou dans l’Ouest canadien?

M. Toma : Je ne sais pas si c’est aussi élevé qu’un tiers en Alberta, mais c’est la culture commerciale la plus importante des Prairies. Il s’agit d’une grande source de revenus pour les agriculteurs de l’Ouest canadien.

La sénatrice Gagné : Les changements climatiques multiplieront certainement les types de maladies et d’organismes nuisibles. Étant donné qu’un nombre limité de types de cultures sont produits dans l’Ouest canadien, ne risquons-nous pas la destruction massive causée par une maladie ou un organisme nuisible? Comment pouvons-nous réduire ce risque?

M. Serfas : Des entreprises déploient de grands efforts pour que nous puissions produire des cultures non traditionnelles dans l’Ouest canadien.

Par exemple, traditionnellement, le soja et le maïs ne sont pas cultivés dans les provinces de l’Ouest, mais aujourd’hui, ils sont très répandus au Manitoba, et les entreprises travaillent maintenant à les modifier de façon à ce qu’ils puissent être cultivés en Saskatchewan et en Alberta.

Ainsi, au cours des 10 dernières années, nous avons vu des cultures comme le soja et le maïs se déplacer vers l’ouest, et il en est de même pour des cultures traditionnellement produites dans les provinces de l’Ouest. Comme on l’a déjà dit, la manipulation génétique nous permet d’atténuer certains de nos problèmes, comme la jambe noire. Je ne peux pas parler précisément des légumineuses, mais nous modifions des cultures pour en augmenter la résistance afin de ne pas avoir à utiliser de produits chimiques pour surmonter de nombreuses difficultés.

M. Hilgartner : Nous en avons tous parlé. Les agriculteurs de l’Alberta et du Canada sont très innovateurs, et nous sommes prêts à essayer maintes nouvelles choses pour que nos exploitations demeurent viables et donc durables. J’ai déjà énuméré les diverses variétés de légumineuses que nous avons, dont certaines peuvent pousser dans différents climats, et nous nous adapterons en conséquence.

La majorité des agriculteurs sont toujours à l’affût de nouveautés qu’ils peuvent essayer pour améliorer leurs exploitations et répondre à tous les besoins éventuels. Peut-être qu’une culture ne donnera pas de bons résultats cette année, pour d’autres raisons que les risques commerciaux habituels. En outre, il y a toujours les investissements que nous faisons en tant qu’industrie, en partenariat avec les différents ordres de gouvernement, dans les secteurs de la recherche et autres pour tenter de réduire certains risques, comme ceux liés aux maladies, aux organismes nuisibles, aux sécheresses, et cetera.

M. Bender : J’appuie les propos de D’Arcy et de Kevin. Les organisations de producteurs travaillent aussi aux communications : nous communiquons avec nos producteurs. Comme on l’a déjà dit, la diversité fait partie de la solution. Nous avons élaboré des plans de rotation des cultures basés sur la recherche. Nous avons constaté que diversifier nos rotations aide à éloigner certains risques. Lorsque mon père était agriculteur, il faisait pousser du blé année après année et il était satisfait d’un rendement médiocre. Aujourd’hui, nous cherchons continuellement à améliorer notre production. Pour y arriver, nous devons notamment rompre le cycle des maladies et des organismes nuisibles : si nous cultivons du blé une année, nous produisons une légumineuse ou un oléagineux l’année suivante.

Une partie de notre travail consiste à communiquer avec les producteurs dans le but de leur suggérer les meilleures pratiques pour diminuer les risques. Nous nous adaptons bien et nous innovons bien. Nous sommes toujours à la recherche de nouvelles façons de nous améliorer.

Le sénateur R. Black : Kevin, juste pour préciser, avez-vous dit que le biocarburant à base de canola produit 90 p. 100 moins de gaz à effet de serre? Vous ai-je entendu dire cela vers la fin de votre exposé?

M. Serfas : Oui.

Le sénateur R. Black : C’est incroyable; c’est formidable.

M. Serfas : C’est une des raisons pour lesquelles nous aimerions que le niveau d’inclusion soit augmenté de 2 p. 100 à 5 p. 100. Tous y gagneraient : l’industrie, l’environnement, le gouvernement canadien et nombre d’intervenants à toutes les étapes du cycle.

Le sénateur R. Black : D’Arcy, vous avez mentionné que les producteurs primaires ne reçoivent pas la reconnaissance qu’ils méritent pour l’important travail qu’ils ont accompli et qu’ils continuent de faire. Comment le gouvernement pourrait-il mieux montrer sa reconnaissance? Je sais que vous avez parlé de frais d’administration et de choses de ce genre, mais donnez-nous plus de détails.

M. Hilgartner : Je pense que nous avons parlé tous les trois des changements divers que nous avons apportés à nos exploitations en l’absence de réglementation. Les mesures incitatives fonctionnent à tous coups. La carotte est toujours plus efficace que le bâton. Je trouve que les producteurs canadiens ont fait grand usage de la carotte.

À mon sens, la plupart des taxes ou des mécanismes de tarification s’apparentent davantage au bâton, avec un soupçon de carotte. « Nous n’allons pas facturer votre utilisation de carburant diésel », mais, comme nous l’avons dit, d’autres frais nous sont imputés.

Monsieur le sénateur, vous avez parlé de faire payer les fabricants, de les imposer pour la fabrication des équipements que nous utilisons. Malheureusement, je sais qui devra payer, et ce ne seront pas les fabricants. C’est une préoccupation pour nous. Tous ces coûts sont répercutés sur nous. Vous voyez les coûts directs, mais ce sont les coûts indirects qui nous frappent le plus durement. Nous avons une exemption pour le carburant diésel et l’essence, mais les frais que nous devons payer pour le gaz naturel sont élevés, et nous en utilisons beaucoup dans notre production. C’est une de nos préoccupations.

Nous regardons ce que nous avons fait. Depuis les années 1990, mon exploitation agricole est passée à une culture sans labour. Ce n’est pas une décision que nous avons prise par ordre du gouvernement. Nous l’avons fait parce que c’était rentable et parce qu’il s’agissait d’une façon d’améliorer mon exploitation agricole.

Avec les différentes propositions de tarification ou d’autres mécanismes, on déclare souvent : « Nous n’allons pas reconnaître le travail déjà accompli, nous tiendrons seulement compte des mesures prises dorénavant. » On a tendance à simplement employer un plus gros bâton.

M. Steve : J’ai tenté d’obtenir des renseignements pour notre secteur auprès du gouvernement du Canada au sujet de ses hypothèses économiques concernant les répercussions du prix du carbone dans ses politiques. Nous avons vécu quelque chose de semblable ici en Alberta : des politiques ont été adoptées et nous y avons été assujettis, et lorsque nous sommes allés rencontrer des représentants du gouvernement, ils nous ont dit : « Oh, nous n’avons pas pensé à l’agriculture et aux répercussions… »

Prenons, par exemple, les industries de manutention et de transformation. Les coûts de l’énergie des silos, des usines de trituration du canola et des malteries augmentent. Quelles sont les répercussions sur le prix à la ferme? Il y a manifestement une incidence sur le prix. Le gouvernement de l’Alberta a ignoré tout cela lorsqu’il a élaboré son plan sur les changements climatiques, et à ma connaissance, le gouvernement du Canada aussi. Nous tentons d’obtenir des renseignements auprès de ces deux gouvernements depuis qu’ils ont mis sur pied leurs programmes. C’est nous qui sommes obligés de trouver les données, et c’est ce que nous essayons de faire.

Le sénateur R. Black : Monsieur Bender, vous avez dit, durant votre exposé, que le Conservation Cropping Protocol avait généré plus de 13,5 millions de tonnes de crédits, ce qui a fait en sorte que plus de 100 millions de dollars ont été injectés dans les exploitations agricoles et les collectivités rurales; or, la participation baisse considérablement. Pourquoi la participation baisse-t-elle?

M. Bender : Je pense que D’Arcy a abordé le sujet durant son exposé. Le processus est lourd; c’est beaucoup de travail, et les producteurs ne trouvent tout simplement pas que les avantages en valent la peine.

M. Serfas : Un autre problème, c’est qu’une grande partie de tout cela vise les propriétaires fonciers et non les producteurs. Nous louons beaucoup de terres; c’est la direction dans laquelle se dirige l’agriculture dans l’Ouest canadien. Le nombre de personnes qui exploitent des terres louées augmente. À l’heure actuelle, c’est le propriétaire foncier qui profite de l’incitatif sur le carbone. Si vous êtes propriétaire de quelque 2 000 acres, cela représente beaucoup d’argent, que vous ne voudrez pas laisser tomber. C’est le producteur qui doit payer le prix du carbone, et nous n’avons aucune façon de récupérer quoi que ce soit.

Il y a un défaut fondamental dans le processus, à savoir que l’incitatif sur le carbone vise le propriétaire foncier et non le producteur primaire.

M. Hilgartner : Or, l’incitatif dépend de la pratique du producteur. La culture sans labour donne droit au crédit pour compensation de carbone, mais il faut obtenir l’approbation du propriétaire foncier avant de le demander, et le processus d’approbation est très lourd.

La présidente : Ce qui est à tout le moins décevant.

J’aimerais remercier nos témoins pour une très bonne discussion. Je sais que nous pourrions continuer longtemps, mais un autre groupe de témoins attend.

Le sénateur Ghislain Maltais (vice-président) occupe le fauteuil.

Le vice-président : Nous sommes ravis d’accueillir notre prochain groupe de témoins. Je souhaite la bienvenue à M. Lynn Jacobson, président, et à M. Graham Gilchrist, directeur, de la Fédération de l’agriculture de l’Alberta.

Bienvenue aussi à M. Todd Lewis, président de l’Association des producteurs agricoles de la Saskatchewan.

Nous recevons également M. Dan Mazier, des Producteurs agricoles de Keystone du Manitoba, et Mme Carmen Sterling, vice-présidente de l’Association des municipalités rurales de Saskatoon. Bienvenue.

Monsieur Jacobson, la parole est à vous.

Lynn Jacobson, président, Fédération de l’agriculture de l’Alberta : J’aimerais remercier le comité de m’avoir invité à venir présenter le point de vue de la Fédération de l’agriculture de l’Alberta sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole et agroalimentaire, ainsi que sur les actions entreprises pour améliorer les stratégies d’adaptation et de réduction des émissions.

Je m’appelle Lynn Jacobson et je suis président de la Fédération de l’agriculture de l’Alberta. Je suis agriculteur à Enchant, en Alberta, à 120 milles au sud d’ici. Nous faisons de la culture en terrain irrigué. Dans une certaine mesure, je suis un peu immunisé contre les changements climatiques, mais la taxe sur le carbone nous préoccupe.

La Fédération de l’agriculture de l’Alberta est une organisation agricole générale de la province qui représente les producteurs sur des questions d’ordre général et des dossiers liés à des produits précis. La fédération existe sous diverses formes depuis 1905 et elle a été constituée en personne morale en Alberta en 1959, au moyen d’une loi d’intérêt privé.

La fédération a une vision pragmatique des changements climatiques. Bien qu’il y ait différentes conceptions ou opinions par rapport aux changements climatiques, la vaste majorité des scientifiques s’entendent sur leur existence.

La plupart des producteurs albertains reconnaissent l’existence des changements climatiques, quelles qu’en soient les causes. La vulnérabilité de notre industrie face aux phénomènes météorologiques extrêmes et aux effets des changements climatiques ne vient que renforcer le fait que nous devons contribuer aux efforts visant à atténuer ces effets.

L’agriculture se trouve dans une position unique en raison de sa capacité de capter le carbone atmosphérique au moyen des cultures en croissance et de stocker une partie du carbone dans la matière organique du sol.

Les sols agricoles peuvent être une source de carbone en émettant du CO2 ou un puits de carbone en stockant du CO2, selon les pratiques de gestion des sols employées. Avec ses quelque 24 millions d’acres de terres cultivées et près de 22 millions d’acres de pâturages, l’Alberta se trouve dans une position unique pour grandement contribuer aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre du Canada. La bonne nouvelle, c’est que nos agriculteurs et nos grands éleveurs ont déjà pris de nombreuses mesures visant à réduire, à éliminer ou à remplacer les émissions de gaz à effet de serre, ce qui a aussi permis d’accroître l’efficacité, la productivité et la durabilité. Les émissions de gaz à effet de serre produites par l’agriculture ne représentent que 8 p. 100 — certains disent 10 p. 100 — des émissions totales de l’Alberta.

Les pratiques d’agriculture de conservation, comme le semis direct, la culture sans labour et l’épandage d’engrais adéquat, ont augmenté les niveaux de carbone organique du sol, ce qui aide à compenser les émissions de gaz à effet de serre et à réduire la contribution nette de l’industrie en diminuant les intrants tels que les pesticides et l’essence. L’adoption de ces pratiques de gestion contribue également à l’amélioration de la qualité de l’eau, du sol et de l’air, ce qui a pour effet d’augmenter la résistance aux changements climatiques.

Nous, les agriculteurs, savons que les ressources naturelles durables les plus importantes des Prairies canadiennes sont le sol et l’eau. Les deux sont essentiels à la production d’aliments nécessaires à la vie humaine, et pourtant, nous travaillons sur des terres décroissantes. Aujourd’hui, 10 p. 100 des terres au Canada sont privées, et deux tiers des terres privées sont urbaines et industrielles.

Selon une étude menée par l’Université de l’Alberta, de 2000 à 2012, la croissance urbaine nous aurait enlevé environ 13 hectares par jour. Cela signifie que nous perdons non seulement des terres agricoles précieuses, mais aussi la capacité de générer des réductions de carbone de 3,5 tonnes par jour.

Tout comme l’industrie forestière, l’agriculture est un secteur primaire qui consiste essentiellement à retirer du carbone de l’air et à le combiner avec de l’eau et des substances nutritives dans le sol afin de produire de la nourriture, de l’énergie et du carbone séquestré. Selon ce concept, il serait naturel que l’agriculture soit l’un des premiers outils que nous utilisions pour réduire notre empreinte carbone. La protection des terres agricoles contre l’empiétement urbain demeure un enjeu critique, tant pour l’environnement que pour la production alimentaire.

Passons à l’adaptation et à la résistance. La production agricole dépend fortement du climat et des conditions météorologiques, et l’évolution des tendances aura une incidence sur cette production. Des indications montrent qu’il y a des fluctuations dans les précipitations et les températures en Alberta, et les répercussions sont différentes dans chacune des neuf écorégions de la province, selon les décisions individuelles en matière de gestion agricole, ainsi que l’influence des nouvelles technologies, des marchés, du commerce et des politiques. La plupart des modèles de changement climatique prédisent une hausse des températures, ainsi qu’une augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes et des précipitations dans certaines parties des Prairies.

Selon nous, il y a trois domaines principaux où les répercussions obligeront les agriculteurs à s’adapter : la prolongation de la saison de croissance, potentiellement accompagnée du raccourcissement et du réchauffement de la saison hivernale; des changements dans les quantités de précipitations et les moments où celles-ci ont lieu; ainsi que le besoin de trouver de nouvelles cultures et des façons de lutter contre de nouveaux insectes, de nouvelles mauvaises herbes et de nouvelles maladies. Par exemple, que ce soit pour le blé, le canola ou l’orge, nous nous tournerons davantage vers les récoltes hivernales plutôt que vers les récoltes printanières comme mesure pour limiter certaines répercussions des changements climatiques. De plus, l’ajout de légumineuses et d’autres cultures dans la rotation des cultures sera une partie essentielle de notre adaptation aux changements climatiques. Les cultures fourragères contribuent aussi grandement à la résilience de nos exploitations agricoles. Compte tenu des nombreuses variables inconnues qui accompagnent les changements climatiques, nous ne saurions trop insister sur l’importance de poursuivre la recherche et le développement dans ces secteurs afin de permettre à nos agriculteurs de surmonter les obstacles qui se dresseront devant nous.

Parlons maintenant de la tarification du carbone et du prélèvement relatif au carbone. Le marché du carbone de l’Alberta, le premier en son genre en Amérique du Nord, permet aux agriculteurs de vendre des crédits pour compensation de carbone au moyen des améliorations qu’ils apportent volontairement à leurs exploitations dans le but de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Le régime de compensation est un bon point de départ pour ce qui est de récompenser les producteurs pour leurs bonnes pratiques, mais malheureusement, il ne tient pas compte de l’ensemble du tableau. À l’heure actuelle, les compensations sont basées sur des protocoles qui ne prennent en considération qu’un seul concept, comme la culture sans labour ou un produit unique. Un exemple est le bétail dans un parc d’engraissement. Pourtant, nous captons et nous stockons du carbone dans nos pâturages, dans les hautes terres autour de nos marécages et de nos milieux humides, ainsi que dans les zones racinaires de nos cultures.

L’équipement s’améliore et les déplacements à travers, autour et entre les champs sont plus efficaces, ce qui entraîne une réduction des apports de carbone. Nous consommons ainsi moins de carburant, et les nouvelles technologies nous permettent également de réduire nos émissions de carbone. À l’heure actuelle, il n’y a pas suffisamment d’études ni de données pour déterminer plus précisément l’empreinte carbone nette de nos installations agricoles. La FAA aimerait que plus de recherches soient effectuées à cet égard, en mettant l’accent sur la séquestration nette du carbone dans les installations agricoles.

En ce qui a trait au prélèvement d’une taxe sur le carbone, nous savons que certains voient cela comme un moyen efficace pour encourager les gens à réduire leur empreinte carbone. Il est cependant difficile pour les producteurs de transférer cette taxe aux transformateurs ou aux consommateurs. Les agriculteurs ne fixent pas eux-mêmes leurs prix; ils sont plutôt dictés par le marché. C’est entre autres pour cette raison que les agriculteurs canadiens, en particulier ceux de l’Alberta, ont exploré les possibilités offertes par les crédits compensatoires de carbone. Nous ne pouvons pas transférer ces coûts aux transformateurs ou aux consommateurs comme le font d’autres industries.

Nous croyons que le secteur agricole, et l’énergie nécessaire à ses activités, devrait être exempté de la taxe sur le carbone. Nous sommes certainement en faveur des efforts déployés pour exempter l’essence et le diesel que nous utilisons, mais nous sommes d’avis que cette exemption devrait aussi s’appliquer au propane et au gaz naturel que nous employons pour faire sécher nos produits, chauffer nos étables de vêlage, et alimenter nos pompes et génératrices lors de l’irrigation de nos cultures et pâturages.

Finalement, nous réclamons un taux d’amortissement plus intéressant pour l’achat d’immobilisations, ces technologies qui soutiennent nos efforts de réduction des émissions de carbone : des panneaux solaires sur la toiture de l’étable ou un nouveau dispositif pour le tracteur, par exemple. Un taux d’amortissement accéléré inciterait les agriculteurs à faire ces investissements.

En tant qu’agriculteurs, notre objectif est de toujours être plus efficaces et concurrentiels. Si cela nous permet de réduire notre empreinte de carbone, c’est encore mieux. Toutefois, pour que les gens adhèrent au programme de taxe sur le carbone, le gouvernement doit songer à réinvestir le tout dans la recherche et les programmes qui nous permettront d’améliorer nos activités davantage, tout en continuant de réduire nos émissions.

Au nom de la Fédération de l’agriculture de l’Alberta, je remercie le Sénat de m’avoir écouté. Nous sommes disposés à répondre à vos questions.

Le vice-président : Monsieur Mazier.

Dan Mazier, président, Producteurs agricoles de Keystone du Manitoba : Merci, monsieur le président, et merci à vous, membres du comité, de me donner l’occasion de vous parler aujourd’hui des changements climatiques et de leurs répercussions sur l’agriculture.

Je m’appelle Dan Mazier et je suis le président des Producteurs agricoles de Keystone du Manitoba, l’organisation agricole générale de la province, représentant plus de 7 000 familles d’agriculteurs au Manitoba. Je suis aussi producteur de céréales et d’oléagineux au nord-est de Brandon, au Manitoba, deux heures à l’ouest de Winnipeg.

Les Producteurs agricoles de Keystone, ou PAK, ont entrepris un projet de recherche de 18 mois sur les changements climatiques, la Manitoba Agriculture Climate Initiative. Le projet était mené par Sean Goertzen. Si je ne m’abuse, vous avez reçu la semaine dernière une copie du rapport intitulé « Agricultural Solutions to Climate Change ». Le rapport est aussi affiché sur notre site web. Bon nombre des points que j’aborderai aujourd’hui ont été mis en lumière par ce projet.

Je veux d’abord résumer les répercussions majeures qu’auront les changements climatiques sur le secteur agricole. D’ici 10 à 30 ans, si les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter à l’échelle planétaire, le Prairie Climate Centre prévoit que la région de Brandon connaîtra 19 jours sans gel de plus par année. Jusque-là, ce n’est pas si mal. Toutefois, d’ici 30 à 60 ans, ce sera 33 jours sans gel de plus. C’est un mois complet. Un changement de cette envergure pour la saison de croissance pourrait faciliter l’hivernage du bétail et permettre la production de nouvelles cultures au Manitoba.

Toutefois, ces nouvelles possibilités seront limitées par de nouveaux risques. La province sera aux prises avec de nouveaux ravageurs : mauvaises herbes, maladies et insectes. De plus, on prévoit que les saisons de croissance prolongées s’accompagneront de périodes de sécheresse et de chaleur extrême supplémentaires. À Brandon, par exemple, on s’attend à ce que d’ici la seconde moitié du siècle, la moyenne de jours par année où le mercure grimpe à plus de 30 degrés passe de 14 à 49. Parallèlement, on prévoit plus de précipitations pour le Manitoba en hiver, au printemps et à l’automne. Cela ne laisse donc qu’une saison sans pluie.

Entre 2051 et 2080, le printemps devrait connaître son plus grand bouleversement, avec une hausse de 26 p. 100 des précipitations par rapport à la période allant de 1981 à 2010. Outre ces projections précises, le Prairie Climate Centre avance que, en général, les Prairies vont connaître des conditions climatiques moins stables. Même si les moyennes de températures et de précipitations à long terme peuvent suivre des tendances prévisibles, les conditions au jour le jour risquent d’être plus variables. Des précipitations et des conditions météorologiques extrêmes seront vraisemblablement plus fréquentes. Nous le constatons déjà avec les pertes considérables qu’occasionnent les précipitations extrêmes. Selon la Société des services agricoles du Manitoba, les réclamations pour humidité excessive représentaient en moyenne 38 p. 100 de toutes les pertes enregistrées aux programmes d’assurance agricole entre 1996 et 2015. En 2016 et 2017, ce chiffre a grimpé à 71 p. 100. Si les projections climatiques se concrétisent, les pertes ne feront qu’augmenter.

Face aux changements climatiques, les agriculteurs doivent faire deux choses : s’adapter au changement et faire tout ce qui leur est possible pour atténuer les effets projetés à long terme.

Pour ce qui est de l’adaptation, bien des agriculteurs tentent de favoriser la santé du sol avec des cultures de couverture et diverses pratiques, comme un labourage minimal. Cela contribue à la capacité du sol de retenir l’eau en prévision des périodes de sécheresse. D’autres utilisent le drainage par canalisations pour retirer l’eau de leurs terres qui sont constamment détrempées; des terres qui étaient tout à fait propices à l’agriculture il y a quelques années, d’ailleurs.

Par contre, l’adaptation aux changements climatiques ne passe pas que par les agriculteurs, et c’est pourquoi nous demandons l’aide des gouvernements. Nous réclamons entre autres une gestion de l’eau saine et innovatrice, et cela suppose de simplifier la réglementation afin que les dispositions soient justes, efficaces et clairement communiquées. Cela suppose également de diffuser des données actuelles et utiles sur le drainage par canalisations, de façon à ce que les agriculteurs et les municipalités puissent protéger l’écosystème. Les gouvernements peuvent aussi aider les agriculteurs en s’unissant à divers intervenants en vue de trouver des moyens novateurs pour concevoir et financer l’infrastructure de gestion de l’eau. De plus, financer des modèles de données en fonction de l’infrastructure naturelle pourrait aider les agriculteurs à gérer l’approvisionnement en eau avec plus de précision.

Pour aider les agriculteurs à se préparer aux périodes de sécheresse et de chaleur extrême, les gouvernements doivent examiner et améliorer les capacités d’irrigation. Ils doivent également modifier les codes de construction afin de permettre aux agriculteurs d’adapter leurs bâtiments aux changements climatiques.

Accroître la précision des prévisions météorologiques est une autre mesure que pourraient prendre les gouvernements pour venir en aide au secteur agricole. Le gouvernement du Canada doit investir dans la modernisation du réseau canadien de radars météorologiques, en faisant notamment l’acquisition de super ordinateurs et de modèles climatiques de pointe, pour une proactivité accrue. Je ne peux m’expliquer pourquoi nos méthodes n’ont pas changé depuis 20 ans.

Enfin, les gouvernements doivent financer des systèmes améliorés d’alerte précoce visant les ravageurs qu’entraîneront les températures plus élevées, et assouplir les critères d’assurance agricole à l’égard des nouvelles cultures que nous serons en mesure de produire.

J’aimerais maintenant vous parler des mesures d’atténuation et de ce qui doit être fait. Les agriculteurs sont déjà d’importants agents d’atténuation des changements climatiques. Par exemple, plus de la moitié des 11 millions d’acres de terres cultivées au Manitoba le sont grâce à des systèmes à travail réduit du sol ou de semis direct. On minimise ainsi la perturbation du sol et on favorise une pratique qui entraîne la séquestration d’importantes quantités de dioxyde de carbone. On estime que les agriculteurs du Manitoba assurent la séquestration de 1,4 million de tonnes de dioxyde de carbone par année grâce à leurs systèmes de culture.

Les agriculteurs manitobains ont adopté le soja, une culture qui ne requiert aucun engrais azoté de source carbonique. La production de soja a explosé au cours des dernières années, passant de 18 000 acres en 2000 à 2,3 millions d’acres à l’heure actuelle. En 2016 seulement, cela a permis de réduire les émissions de dioxyde de carbone de 245 000 tonnes, l’équivalent du retrait de 52 000 voitures de la circulation.

Quant aux productions laitière et bovine, les avancées en matière de conversion alimentaire ont permis, au cours des 30 dernières années, de réduire les émissions de méthane de 15 p. 100 le litre pour la production laitière, et de 15 p. 100 le kilogramme pour la production bovine. En ce qui a trait à l’industrie porcine, les fermes du Manitoba émettent 35 p. 100 moins de gaz à effet de serre qu’il y a 50 ans. L’agriculture de précision repousse les frontières, car elle utilise des données de terrain pour ajuster la quantité d’engrais appliquée en fonction de conditions précises. Cela permet ainsi de réduire la quantité d’engrais utilisée, comme l’a mentionné le témoin précédent.

Les gouvernements peuvent prendre différentes mesures afin de soutenir les efforts d’atténuation des agriculteurs. Il s’agit notamment d’élargir le mandat sur le biodiesel, de même que d’assurer l’accès aux marchés de crédits compensatoires, pour que les agriculteurs puissent obtenir des crédits en échange de la réduction de leurs émissions, et les revendre aux grands émetteurs industriels. Le soutien de solutions innovatrices pour favoriser la santé du sol est aussi une de nos quatre demandes.

Une autre mesure d’atténuation consiste à soutenir le programme Gérance des nutriments 4B. Il s’agit du cadre de travail guidant les agriculteurs vers l’application de la bonne source de nutriments, à la bonne dose, au bon moment et au bon endroit. La norme des 4B s’avère un excellent moyen pour les agriculteurs de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre découlant de l’épandage d’engrais, tout en réduisant les déperditions de nutriments, en limitant les coûts de production, et en maximisant les récoltes.

J’aurais encore bien des choses à vous dire, mais le temps me presse. J’aimerais tout de même aborder la question de la taxe sur le carbone avant de conclure. Il est intéressant de noter qu’en Alberta on parle de « prélèvement », mais ce terme n’est pas du tout utilisé au Manitoba. C’est une taxe, ni plus ni moins, et c’est ainsi qu’on me l’a décrite. Au Manitoba, comme en Alberta, les agriculteurs bénéficieront d’une exemption sur les combustibles identifiés qui sont utilisés pour alimenter les moissonneuses-batteuses et les tracteurs. Les émissions liées à l’élevage du bétail ou à la production de cultures seront exemptées. Jusque-là, tout va bien. Par contre, il est faux de croire que les agriculteurs profitent d’une exemption complète de la taxe sur le carbone. L’expérience des agriculteurs des autres provinces nous a appris que les coûts leur sont refilés quand ils achètent des matières premières ou qu’ils font affaire avec des fournisseurs de services. Par contre, les agriculteurs n’ont pas la possibilité de transférer ces coûts aux consommateurs, car leurs prix sont fixés par la demande du marché international. Les prix du Manitoba ne peuvent donc pas être modifiés de façon à récupérer les coûts de production supplémentaires et la taxe.

Nous espérons que les gouvernements reconnaîtront ces coûts et qu’ils investiront dans le secteur agricole afin d’aider les agriculteurs à s’adapter aux changements climatiques.

Aussi, au Manitoba, les combustibles de chauffage utilisés pour les serres, les séchoirs à grains et les étables n’ont pas été précisément identifiés au titre de l’exemption. Il n’en est pas question dans le dernier budget, alors ils seront assujettis à la taxe. Nous militons toujours en faveur de leur exemption. Ce sera encore là des coûts supplémentaires que nous ne pourrons pas récupérer.

Merci beaucoup de m’avoir écouté. Si ce n’est pas déjà fait, je vous encourage fortement à lire notre rapport. Vous le trouverez sur notre site web.

Le vice-président : Monsieur Lewis.

Todd Lewis, président, Association des municipalités rurales de la Saskatchewan : Merci, sénateurs. Vous remarquerez des thèmes récurrents dans mon exposé. Mon témoignage rejoindra sans doute celui des autres, à quelques différences près.

Je m’appelle Todd Lewis. Je suis un agriculteur de Gray, en Saskatchewan, tout près de Regina, au sud de la province. Je suis le président de l’Association des municipalités rurales de la Saskatchewan, l’organisation agricole générale de la province, représentant des agriculteurs, des propriétaires de ranch et des familles d’exploitants agricoles à l’échelle de la Saskatchewan.

Les politiques sur les émissions de carbone et les changements climatiques et les politiques sur la variation de la teneur en carbone ont suscité de vives discussions en milieu rural depuis que le gouvernement fédéral a annoncé sa politique de tarification du carbone, en octobre 2016. La tarification du carbone et les répercussions des changements climatiques sur les exploitations agricoles sont des enjeux majeurs pour les producteurs agricoles.

La nécessité d’accroître la production alimentaire est un facteur essentiel. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, la production alimentaire mondiale devra augmenter de 70 p. 100 d’ici 2050 pour nourrir une population mondiale en pleine croissance.

L’Ouest du Canada est un important exportateur de graines, de graines oléagineuses, de légumineuses et de produits de viande. On parle en particulier des régions confrontées à des pénuries de production en raison des changements climatiques. À titre d’exemple, il arrive que la production des producteurs de lentilles de la Saskatchewan, qui sont une source d’appoint en Inde pour cet aliment de base, soit insuffisante pour satisfaire à la demande.

Les changements climatiques nuisent également à la production des producteurs des Prairies. Au cours des 10 dernières années nous avons été frappés tant par des précipitations et des inondations sans précédent que par des sécheresses record. Nous avons l’habitude de composer avec des conditions météorologiques variables et extrêmes, mais ce qu’on a observé récemment dépasse la folle réalité qui est la nôtre.

La saison de production est habituellement très courte. Les inondations ont eu diverses conséquences : perte de production, retard des semis, de la fenaison et des récoltes. Les niveaux élevés d’humidité du sol ont entraîné la propagation de maladies fongiques comme la hernie du canola et la fusariose du blé. L’humidité élevée a nui à l’entreposage du foin et a également entraîné la propagation de mauvaises herbes envahissantes.

Des températures plus élevées pendant la maturation des cultures posent également un risque. Ironiquement, au cours des deux dernières années de récolte, les cultures de canola ont résisté à une vague de chaleur grâce à l’épais couvert de fumée provenant des feux forêts dans l’Ouest du Canada. L’été dernier, le Sud des Prairies a connu une sécheresse record. Si les cultures ont pu survivre dans plusieurs régions, c’est uniquement grâce à l’humidité résiduelle du sol emmagasinée au cours des années précédentes. Les éleveurs de bétail du Sud de la Saskatchewan ont été les plus durement touchés en raison des pénuries d’aliments du bétail et d’eau potable.

Les producteurs se sont adaptés à ces conditions de plus en plus variables et extrêmes et leurs récoltes ont été parmi les plus importantes de l’histoire. Nous avons modifié nos méthodes de production et nos rotations de culture. Il s’agit d’une grande réussite des provinces de l’Ouest. Nous produisons plus de cultures et plus de bétail que jamais auparavant, avec une empreinte énergétique réduite. Toutefois, pour demeurer viables et réussir à produire les aliments dont le monde a besoin, nous devons toujours faire des investissements considérables, faire preuve de résilience et nous adapter.

Nous devons accorder une importance accrue à la gestion et au stockage de l’eau ainsi qu’aux infrastructures de lutte contre les inondations. Nous devons examiner des stratégies d’adaptation, notamment la création de systèmes d’irrigation. Nous devons poursuivre la recherche sur les variétés de culture et les méthodes de production du bétail afin de composer avec ces extrêmes. Nous avons besoin de stratégies pour freiner la propagation des maladies des plantes et du bétail et la propagation des mauvaises herbes envahissantes.

Grâce aux activités de gestion des terres, le secteur agricole est l’un des principaux secteurs de la lutte contre les émissions de carbone. Lors de la signature de l’Accord de Paris sur le climat, en 2015, il a clairement été reconnu qu’une augmentation de quatre parties par millier de la séquestration du carbone dans les sols agricoles par les agriculteurs du monde entier pouvait freiner l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère. Personne n’en sait plus que les agriculteurs et les éleveurs des Prairies sur la séquestration du carbone grâce à l’agriculture.

À titre d’intendants de 40 p. 100 des terres cultivées et de 35 p. 100 des pâturages du pays, les producteurs de la Saskatchewan jouent un rôle clé dans la gestion de l’utilisation des terres et du cycle du carbone. Actuellement, les producteurs de culture de la Saskatchewan séquestrent 8,5 mégatonnes de CO2 supplémentaires grâce à l’amélioration continue, chaque année, des pratiques de gestion. Les pâturages des Prairies séquestrent plus de 2 milliards de tonnes de CO2.

D’autres éléments des terres des agriculteurs et des éleveurs permettent la séquestration du carbone : les cultures fourragères, les arbres et les milieux humides. Les efforts actuels de séquestration peuvent être considérablement augmentés grâce à la recherche et aux sciences appliquées. Par exemple, la séquestration du carbone par les plantes se fait habituellement dans le système radiculaire. Le canola est la culture courante ayant le plus important système radiculaire; par conséquent, l’augmentation de la production entraînait une hausse du carbone séquestré. Des recherches sur la sélection végétale ont été entreprises à l’Université de la Saskatchewan dans le but de doubler la masse racinaire des cultures. Fait intéressant, le canola est l’une des cultures les plus réfléchissantes; son feuillage très dense permet de réfléchir l’énergie infrarouge vers l’espace, contribuant ainsi à réduire l’accumulation de chaleur.

D’autres recherches novatrices ont été entreprises pour améliorer le taux de photosynthèse des plantes afin d’en améliorer la croissance, mais sans augmenter les quantités d’eau et d’énergie solaire requises, ce qui contribuera également à accroître la séquestration du carbone.

Nous pourrions jouer un rôle important dans la lutte contre les émissions de carbone, mais il nous sera impossible de faire notre part si nous subissons les répercussions des politiques de tarification du carbone. Les taxes sur le carbone ne sont pas adaptées au secteur de l’agriculture. Nous ne pouvons tout simplement pas transmettre les coûts supplémentaires dans la chaîne de valeur, jusqu’à nos clients. Les producteurs agricoles n’établissent pas les prix de leurs propres produits. Nous évoluons dans le marché mondial. Nos marges de profits sont très faibles et nous devons assumer des risques élevés liés aux prix du marché, aux conditions de culture et même aux problèmes de transport, comme certains d’entre vous le savent peut-être.

Les coûts de l’énergie et des intrants ont une incidence considérable sur la rentabilité des exploitations agricoles. Cela incite les producteurs à réduire leurs coûts d’exploitation, ce qui passe par le fonctionnement le plus efficace possible. Voilà comment fonctionne le secteur agricole. Nous avons tendance à adopter rapidement les technologies, les cultures et les pratiques de gestion plus efficaces. À elle seule, l’exonération pour les dépenses en carburant agricole ne suffira pas à protéger le secteur de l’agriculture des effets négatifs. Dans un modèle de tarification du carbone à 50 $ la tonne, l’effet combiné sur les coûts de tous les intrants pourrait être une augmentation de 15 $ à 20 $ l’acre.

Notre message aux décideurs du gouvernement est clair : n’imposez pas de taxes et ne nous compliquez pas la tâche. Trouver une véritable solution passe par la reconnaissance du rôle du secteur agricole dans la lutte contre le problème du carbone. Les décideurs doivent de toute urgence accorder leur attention à diverses options stratégiques, notamment la reconnaissance des avantages que représentent certains éléments de paysage pour la séquestration du carbone, comme les pâturages, les arbres et les milieux humides, et le renforcement de ces avantages grâce à des mesures incitatives.

Les producteurs ne peuvent assumer l’ensemble des coûts liés à l’offre de biens et services environnementaux à la société. Les programmes de compensation carbone doivent être conçus de façon à offrir un avantage financier réel aux producteurs et à éviter les formalités administratives inutiles. Une augmentation radicale du financement destiné à la recherche sur la génétique végétale, la rotation des cultures et les pratiques de gestion favoriserait une augmentation de la séquestration du carbone dans le secteur agricole.

L’APAS a eu le plaisir d’organiser en juillet dernier, à Saskatoon, un sommet sur les enjeux liés au carbone dans le secteur agricole des Prairies afin de poursuivre les discussions sur ces enjeux importants. Nous serons heureux de fournir aux membres du comité un exemplaire du rapport préparé dans la foulée de cet événement.

Je remercie le comité de m’avoir donné l’occasion de traiter de cet enjeu. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Nous passons maintenant à Mme Carmen Sterling.

Carmen Sterling, vice-présidente, Association des municipalités rurales de la Saskatchewan : Bonjour. Je vous remercie de l’occasion de comparaître aujourd’hui. Je m’appelle Carmen Sterling. Je suis vice-présidente de l’Association des municipalités rurales de la Saskatchewan et préfète de la municipalité de Yarmouth-Weyburn, dans le sud-est de la Saskatchewan. Avec mon mari, j’exploite une entreprise agricole dans la région de Weyburn; nous produisons du maïs, du soja, des lentilles, du canola, du blé dur, du lin et de l’orge, selon les années de culture.

L’Association des municipalités rurales de la Saskatchewan, ou SARM, est l’association indépendante qui représente les 296 municipalités rurales de la Saskatchewan. Elle est la principale représentante de ces municipalités auprès des échelons supérieurs du gouvernement. L’association suit les directives de ses membres et élabore sa politique en conséquence. Constituée en société en 1905, la SARM continue d’être la voix de la Saskatchewan rurale encore aujourd’hui.

Le secteur agricole de la Saskatchewan est le moteur de l’économie et l’a été tout au long de l’histoire de la province. Les données indiquent que le secteur continue de jouer un rôle central dans l’économie provinciale et qu’il en sera ainsi à l’avenir. En 2016-2017, selon les renseignements du ministère de l’Agriculture de la Saskatchewan, la valeur des exportations de produits agricoles de la province s’élevait à 14,3 milliards de dollars. Les producteurs agricoles canadiens seront appelés à produire davantage à mesure que la population mondiale augmentera, que plus de pays seront en développement et que le Canada aura un accès accru aux marchés.

Le secteur agricole est en voie d’atteindre l’objectif fixé par le gouvernement de la Saskatchewan, qui est de porter à 15 milliards de dollars d’ici 2020 la valeur des exportations de produits agricoles et alimentaires. Pour atteindre cet objectif et nourrir le monde, il faudra optimiser le rendement de la production et des technologies et mettre en place un contexte réglementaire et stratégique favorable.

Le Partenariat canadien pour l’agriculture et les programmes qui l’ont précédé sont de bons exemples de politiques et de programmes gouvernementaux visant à appuyer le secteur et à assurer sa réussite. Ces mesures d’aide sont importantes pour un secteur si tributaire des cours du marché, des bonnes conditions météorologiques, d’un contexte commercial favorable et de politiques nationales stables. À l’inverse, les principales menaces au secteur agricole sont l’augmentation du coût des intrants, la taxe sur le carbone et les autres taxes environnementales qui pourraient être imposées à l’avenir — comme pour le méthane et l’oxyde nitreux —, les conditions commerciales défavorables et les répercussions des changements climatiques.

La SARM a exprimé haut et fort son opposition à la création d’une taxe sur le carbone en raison de l’augmentation du coût des intrants et du transport qui en découlerait, coûts qui seront tous transférés directement au client, c’est-à-dire le producteur agricole. Une taxe sur le carbone aura des répercussions sur le secteur du transport, un secteur dont le secteur agricole dépend pour l’acheminement des produits aux marchés.

La SARM a appris de son équivalent albertain, l’Alberta Association of Municipal Districts and Counties, que la taxe albertaine sur le carbone a entraîné l’augmentation des coûts du carburant utilisé pour le transport des produits agricoles. Comme vous le savez peut-être, les producteurs agricoles sont preneurs de prix et ne peuvent augmenter le prix de leurs produits en fonction de l’augmentation des coûts des intrants découlant des conditions du marché et de la tarification du carbone. Les intrants, ce sont notamment l’équipement, la machinerie, le carburant, les engrais, et cetera. Ce qui est menacé, dans le cas présent, c’est la rentabilité des agriculteurs et la compétitivité de leurs produits par rapport aux produits provenant d’administrations qui n’ont pas une taxe sur le carbone. Tous les carburants utilisés pour la production alimentaire devraient être exonérés de toute forme de taxe supplémentaire. Par exemple, il convient de ne pas oublier d’inclure le gaz naturel et le propane dans les exemptions pour le secteur agricole. Pour la SARM et ses membres, l’idéal serait qu’il n’y ait aucune taxe sur le carbone. Nous considérons qu’il existe de meilleures méthodes pour lutter contre les changements climatiques.

Les changements climatiques figurent parmi les principales menaces pour le secteur agricole. La Saskatchewan demeure le grenier du Canada. En 2016, Statistique Canada indiquait que la Saskatchewan « comportait plus que deux cinquièmes de la superficie totale des terres en culture au Canada, soit 36,7 millions d’acres », ce qui est plus que les provinces de l’Alberta et du Manitoba réunies. La superficie totale des terres agricoles de la Saskatchewan est de 61,6 millions d’acres.

La Saskatchewan est la deuxième province productrice de bovins de boucherie en importance au Canada. Il convient aussi de souligner que, en 2015, 3,1 p. 100 des exploitations agricoles de la Saskatchewan ont indiqué avoir un système de production d’énergie renouvelable. Des mesures incitatives supplémentaires pour l’acquisition de produits d’énergie verte ainsi que des programmes d’aide à la modernisation des équipements et de la machinerie pour améliorer la consommation de carburant seraient utiles au secteur de l’agriculture.

En 2017, le sud-ouest de la Saskatchewan a été frappé par la sécheresse extrême et les feux de forêt. Dans d’autres régions de la province, comme dans la région des lacs Quill, les terres agricoles ont été inondées plusieurs années consécutives. Le gouvernement et les intervenants du secteur de l’agriculture devraient être axés sur l’atténuation des répercussions des changements climatiques et sur l’état de préparation du secteur pour les interventions lors de catastrophes naturelles dont la fréquence et la gravité ne cessent d’augmenter.

La SARM considère que les mesures d’atténuation sont un important outil pour réduire les dommages qui ont été causés. Il convient de financer adéquatement les fonds de secours pour appuyer les efforts de rétablissement. Les producteurs saskatchewanais touchés par les feux de forêt ont pratiquement tout perdu. Il s’agit de leur gagne-pain, et avoir à tout recommencer est une expérience traumatisante.

Une des occasions qui s’offrent au secteur agricole est celle des crédits de carbone pour les producteurs qui séquestrent du carbone dans le sol. Ces pratiques contribuent activement à la réduction des émissions en emprisonnant le carbone dans le sol. Les agriculteurs de la province ont adopté des techniques et des équipements agricoles qui permettent les semis directs ou le travail minimal du sol, ce qui contribue à la séquestration d’un volume considérable de carbone dans le sol. Selon les données scientifiques, si on utilisait la totalité du carbone séquestré en Saskatchewan dans les terres agricoles sans labour, les pâturages, les parcelles fourragères et les forêts, la province serait un émetteur net de GES. Le gouvernement saskatchewanais estime à quelque 9 millions de tonnes métriques la quantité de carbone séquestré annuellement dans le sol grâce aux pratiques agricoles.

La reconnaissance de ce fait, qui a été étayé par la Saskatchewan Soil Conservation Association, est primordiale. Les producteurs agricoles qui ont recours aux pratiques sans labour ou au travail minimal du sol séquestrent 9,64 millions de tonnes de nouvelles émissions de CO2 chaque année sur près de 28 millions d’acres de terres agricoles.

La SARM croit que les éleveurs contribuent également à la séquestration du carbone dans les pâturages naturels. Les vastes zones forestières de la Saskatchewan revêtent une importance encore plus grande, puisqu’elles serviront toujours de puits de carbone, aujourd’hui et à l’avenir, grâce à l’amélioration des techniques de reboisement et d’autres nouvelles technologies.

La contribution annuelle des agriculteurs de la Saskatchewan — pour les terres cultivées seulement — équivaut au retrait de 2 millions d’automobiles de la circulation, ce qui est, soit dit en passant, bien plus du double du nombre de véhicules enregistrés dans la province. Si un système était conçu pour punir les pollueurs, alors ce même système devrait récompenser ceux qui contribuent activement au retrait du carbone de l’environnement.

Grâce à leurs pratiques de gestion exemplaire, les agriculteurs sont d’excellents gardiens des terres. Ils illustrent parfaitement la relation étroite qui peut exister entre l’économie et l’environnement. Les politiques sur les changements climatiques doivent reconnaître les innovations dans le domaine de la gestion agricole, car elles jouent un rôle important dans la recherche de solutions pour affronter les changements climatiques.

Essentiellement, les changements climatiques et les mécanismes mis en place pour les contrer représentent à la fois une occasion et une menace pour le secteur agricole. Il est impératif d’utiliser les outils adéquats et d’éviter toute approche uniforme. Les diverses administrations trouveront chacune des idées novatrices les mieux adaptées à leurs besoins.

Nous poursuivons nos discussions avec les autorités provinciales concernant la résilience des Prairies, c’est-à-dire une stratégie sur les changements climatiques pour la Saskatchewan. La SARM considère qu’elle doit participer aux consultations avec les ordres supérieurs du gouvernement et les Premières Nations pour la création d’un plan de protection contre les effets des changements climatiques. Il s’agit des mesures à prendre lors du remplacement d’infrastructures vieillissantes ou de la construction de nouvelles infrastructures pour atténuer les effets des changements climatiques auxquels nous sommes tous confrontés.

Nous avons tous un rôle à jouer pour atteindre la cible fixée par la province pour 2030, qui est de satisfaire à 50 p. 100 des besoins énergétiques grâce aux sources d’énergies renouvelables, que ce soit l’énergie solaire ou l’énergie éolienne. Les exploitations agricoles, les ranchs et les municipalités doivent travailler de concert avec l’industrie pour aider la province à atteindre cet objectif. Les occasions comme celle qui nous est offerte aujourd’hui sont importantes si nous voulons trouver les meilleures solutions pour atténuer les changements climatiques et protéger le secteur agricole.

Je vous remercie de l’occasion de discuter avec vous aujourd’hui. C’est avec plaisir que je répondrai aux questions.

La présidente : Nous passons au dernier témoin, M. Gilchrist.

Graham Gilchrist, directeur, Fédération de l’agriculture de l'Alberta : Lynn a déjà fait notre présentation.

La présidente : Je suis désolée; j’ai dû m’absenter. Je vous présente mes excuses. Je m’informerai plus tard sur les présentations qui ont été faites. J’ai heureusement eu la chance de rencontrer certains d’entre vous précédemment, notamment M. Mazier.

Nous allons maintenant passer aux questions. Le sénateur Maltais est notre premier intervenant.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci à tous pour vos exposés.

Les changements climatiques touchent particulièrement, bien sûr, tous les agriculteurs. Vous êtes désavantagés parce que le produit de votre travail est fixé non pas par vous, mais par les marchés. Donc, vous ne pouvez pas intervenir personnellement pour faire changer les marchés. Vous êtes pris dans un carcan duquel il est très difficile pour vous d’en sortir. La taxe sur le carbone arrive ensuite, et je suis certain que ça dérange énormément les prévisions financières de chaque agriculteur dans vos provinces respectives, mais elle est inévitable.

Le Canada s’est engagé à atteindre certains objectifs. Dans une mauvaise situation, il faut essayer de tenter d’en tirer le meilleur. Le gouvernement prêche beaucoup pour la transformation des transports publics pour qu’ils soient moins énergivores. Beaucoup de provinces subventionnent par la taxe sur le carbone les changements dans le domaine de l’automobile, qu’il s’agisse d’électricité ou de biénergie. Pourquoi n’en serait-il pas ainsi pour vous, les consommateurs de machinerie agricole? Vous n’auriez pas à refiler la taxe à vos vendeurs, à vos marchés, parce que ce n’est pas vous qui fixez le prix. De cette façon-là, le fabricant, lui, aurait l’obligation d’avoir des véhicules beaucoup moins énergivores, et cette augmentation de prix ne vous serait pas transférée, mais bien à la taxe sur le carbone. De cette façon-là, ça vous permettrait au cours des années d’acquérir de l’équipement beaucoup moins énergivore. Vous n’auriez pas à en assumer le coût parce que — que vous le vouliez ou non — la taxe sur le carbone sera imposée. C’est comme un ravageur, vous devrez y faire face. Alors, il faut tenter d’en tirer le meilleur possible. Si ça se fait dans le secteur privé, dans le secteur de l’automobile, dans les transports publics, pourquoi ça ne se ferait-il pas dans l’agriculture? Pourquoi ne seriez-vous pas exemptés comme moi? Comme citoyen, quand je m’achète un véhicule biénergie, j’ai une subvention de 8 à 10 000 $ de la part du gouvernement. Pourquoi n’auriez-vous pas la même chose pour vos équipements agricoles? C’est une première question.

Au cours des 10 à 15 dernières années, les agriculteurs canadiens ont probablement été ceux qui ont été les plus sensibles aux changements climatiques et qui ont fait les plus grands efforts pour tenter de s’y adapter. C’est facile de pointer du doigt l’agriculture, quand on a dans l’autre œil de la fumée, du biodiesel et du diesel de nos rues. Alors moi, je dis une chose. Si toutes les entreprises avaient fait les mêmes efforts que les agriculteurs, on aurait probablement pu réduire les émissions de GES au Canada. Pourriez-vous me dire, n’importe qui d’entre vous, si les efforts que vous avez faits ont engendré des coûts supplémentaires? Dans quelle proportion l’agriculteur — le petit agriculteur, l’agriculteur moyen et l’agriculteur à grande échelle — a-t-il dû investir pour s’adapter aux changements climatiques et émettre moins de GES? Monsieur Lewis?

[Traduction]

M. Lewis : Je dirais que nous nous trouvons un peu au-dessus de l’agriculteur moyen. Nous avons cultivé jusqu’à 11 000 acres à un certain point. Nous avons investi dans la technologie en vue d’accroître notre efficacité. Pour répondre à votre première question, en ce qui a trait à l’équipement, de nombreuses technologies sont créées dans l’Ouest canadien. Les équipements qui émettent le moins de carbone au monde sont produits par nos fabricants, qui se trouvent surtout en Saskatchewan. Il est donc important de reconnaître que les agriculteurs de l’Ouest canadien sont à la fine pointe de la technologie en ce qui a trait à l’agriculture à faibles émissions de carbone. Nous avons les meilleurs équipements au monde. Par exemple, nos tracteurs répondent aux normes de la Californie en matière d’émissions. Les tracteurs John Deere qu’on utilise en Saskatchewan sont les mêmes que ceux utilisés en Californie. Nous sommes à la fine pointe de la technologie.

Si l’on veut parler d’une politique fiscale et de déductions pour amortissement accéléré qui permettraient aux agriculteurs de radier plus rapidement le coût des équipements, ce serait une façon très simple d’accroître les achats d’équipement pour améliorer la technologie dans l’Ouest canadien.

Sur ma ferme, j’ai deux semoirs pneumatiques de marque Bourgault à la fine pointe de la technologie. Ensemble, ils valent plus d’un million de dollars. Je parle d’une seule ferme. Ces équipements nous permettent de produire de meilleures cultures, plus variées, et d’accroître notre efficacité. C’est ce que nous voulons. Les semoirs ont des commandes par poste. Nous utilisons les nouvelles technologies et cela nous permet d’économiser au bout du compte.

Ce n’est pas que la bonne gestion du carbone est un sous-produit de cette efficacité. C’est à cela que se résume l’agriculture moderne… Nous voulons accroître notre efficacité, miser sur les cultures actuelles et produire de nouvelles cultures.

Lorsque j’ai étudié à l’université, à Saskatoon, au début des années 1980, on parlait de colza. Le canola n’existait pas. On parlait aussi d’un pois ou d’une gesse des bois qui pourrait apporter de l’azote au sol. Eh bien, ce sont maintenant les lentilles. Toutes ces variétés de lentilles ont été créées et adaptées à l’Université de la Saskatchewan. Il s’agit de la principale source génétique de lentilles au monde. Souvent, nos concurrents achètent nos cultures et les ensemencent dans leur pays. La meilleure génétique au monde provient de l’Université de la Saskatchewan. Ces cultures n’existaient même pas il y a 25 ans.

Il ne faut pas oublier à quel point les agriculteurs de l’Ouest canadien font preuve d’adaptation. En fait, nous avons créé des cultures pour accroître notre efficacité, et cela a donné lieu à une bonne gestion du carbone.

M. Mazier : J’aimerais parler des investissements, des méthodes de paiement et des façons de s’adapter ou de réduire les émissions. Le processus de planification environnementale à la ferme de Cultivons l’avenir 1 comptait un volet sur la réduction des gaz à effet de serre. C’est à ce moment-là que le GPS, la première version du système guidé pour nos tracteurs, a été lancé. Cela faisait partie du processus de planification environnementale à la ferme de 2006, je crois, ou peut-être de 2004.

Le gouvernement a investi en ce sens, ce qui nous a permis de nous familiariser avec l’équipement, et nous avons intégré les systèmes de direction. Ce n’était que des lumières; on n’était pas encore rendu à ne pas toucher le volant. C’était intéressant : on suivait les lumières, mais il fallait tout de même conduire. Le gouvernement finançait une partie de l’entreposage des engrais dans des compartiments et la gestion de la paille. Tout cela au nom de la réduction des gaz à effet de serre.

D’autres pratiques, comme les cultures sans labour, se sont avérées bénéfiques. Il faudrait lancer une autre initiative du genre, qui se centrerait sur la réduction du carbone. La culture sans labour s’est avérée être un avantage indirect. Je ne crois pas qu’elle visait la réduction des émissions de carbone. Nous y avions recours pour la conservation du sol et de l’eau, dans une autre optique, donc. Toutefois, le programme nous est offert. C’est comme cela que nous avons investi et que le gouvernement nous a aidés. Il faut plus de programmes du genre. Il faut ramener ces programmes.

La deuxième ronde de Cultivons l’avenir 2 a éliminé tout cela et les provinces ont été abandonnées à leur sort. Ce sera réintégré dans le CAP, le programme de partenariat, qui comporte un volet environnemental. On investit en ce sens.

M. Gilchrist : Ce que je dirais, c’est qu’il ne faut pas le prendre au départ. Toutefois, pour répondre à votre question sur les subventions, nous devons éviter les transferts de capitaux. Si vous acceptez les fonds, ils doivent être isolés pour ne pas qu’ils se perdent dans les revenus généraux et qu’on élargisse les possibilités associées à ces fonds. Si l’objectif est de recueillir des fonds, il faut les mettre dans un bassin distinct afin qu’on puisse les utiliser pour la recherche et le développement ou à titre de crédits d’impôt. Il faut toutefois faire attention au risque moral et ne pas choisir les gagnants et les perdants par l’entremise d’une subvention ciblée. Il y a un regroupement de fonds, comme c’est le cas pour l’industrie lourde et les émetteurs finaux de l’Alberta, qui regroupent leurs fonds par l’entremise de la gestion des émissions. Ces fonds serviront ensuite à mettre au point un nouvel épurateur-laveur, par exemple.

En d’autres termes, si vous voulez que l’agriculture au sens large profite de ces fonds, il faudrait qu’ils servent à répondre à nos questions, que ce soit au sujet des séchoirs ou d’autres machineries, et non à donner un chèque aux agriculteurs « juste parce qu’ils existent. »

Mme Sterling : Mon commentaire fait suite au vôtre au sujet des services de transport et des attentes relatives à leur mise à niveau. Je crois que cela démontre l’importance de laisser les administrations prendre les décisions et élaborer les plans, puisque ce sont elles qui les utiliseront.

Comme vous le savez probablement tous, la géographie et la population de la Saskatchewan sont telles qu’il n’y aurait pas vraiment de système de transport admissible à ces programmes. Nous avons des défis uniques en ce qui a trait à l’offre de services d’infrastructure aux contribuables.

Vous devez aussi comprendre que les producteurs paient déjà pour la technologie par l’entremise de la réduction des émissions des équipements qu’ils achètent. Il serait difficile pour nous de déterminer de manière exacte les coûts de cette adaptation ou des achats qui ont été faits pour réduire notre impact sur les changements climatiques, notamment parce que certaines de ces décisions sont prises uniquement pour améliorer les opérations ou les résultats. Je pense par exemple aux cultures sans labour et avec peu de labour. Elles entraînent des résultats avantageux. Les producteurs n’auraient probablement pas recours à ces pratiques pour le simple fait de réduire leur empreinte carbone ou leur impact sur les changements climatiques. Il serait très difficile pour un producteur d’affecter un coût en dollars et en cents à certaines des bonnes pratiques qu’il a adoptées parce qu’elles donnent lieu à un double avantage. Je crois que c’est pour cela qu’il est important de reconnaître l’agriculture, cette contribution et ce mécanisme.

M. Jacobson : La situation de l’Alberta diffère un peu de celle du Manitoba et de la Saskatchewan, parce que nous avons de grands émetteurs et que nous avons aussi un système de plafonnement et d’échange. Nous pouvons, dans une certaine mesure, compenser pour certains des coûts du carbone pour les producteurs de l’Alberta. C’est pourquoi nous aimerions, dans le pire des cas, voir une taxe neutre sur le carbone pour les producteurs de l’Alberta, pour qu’il n’y ait pas de coûts. C’est aussi l’occasion, si nous désignons les émissions et le piégeage de manière appropriée, de concevoir un système qui reconnaît ce qui se passe. Au bout du compte, cela pourrait même être un avantage pour les producteurs albertains.

Chaque province est différente. Comme je viens de le dire, nous avons de grands émetteurs et nous avons plus de facilité à compenser les coûts que les autres provinces.

La sénatrice Gagné : Nous vous remercions pour vos témoignages très utiles. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Le sénateur Maltais a posé quelques-unes des questions que j’avais en tête.

Pour influer sur les décisions, il faut faire partie du processus décisionnel. Je me demandais si l’une ou l’autre de vos organisations serait prête à travailler avec les décideurs pour peaufiner les détails de la tarification du carbone et d’autres mesures incitatives qui pourraient être prises en compte, ou même sur les investissements dans la recherche et ailleurs. Je voulais savoir si vous aviez une incidence sur les décisions stratégiques.

M. Gilchrist : Je témoignerai à nouveau demain, mais, pour ce qui est de mon rôle ici aujourd’hui, nous avons déjà parlé à la ministre de l’Environnement des mécanismes de tarification du gouvernement et je crois que le processus s’est terminé à la fin du mois de février. On avait parlé des redevances et des extrants qui feraient l’objet d’une taxation. Toutefois, la question des compensations n’a pas encore été abordée et nous retenons notre souffle en attendant de voir ce qui se passera. Nos membres sont à Ottawa pour parler de la forme que pourrait prendre le système de compensation, et nous allons certainement offrir nos judicieux conseils ici aujourd’hui si vous avez d’autres questions du genre à nous poser.

La sénatrice Gagné : C’est pour cette raison que je pose la question.

M. Jacobson : Nous sommes très intéressés, c’est certain. Par l’entremise de la FCA, la Fédération canadienne de l’agriculture, les provinces peuvent faire part de leurs préoccupations et il s’agit probablement de la meilleure façon pour nous de présenter nos commentaires au gouvernement fédéral. Nous le faisons par l’entremise de la FCA et d’autres organisations du genre parce qu’elles nous demandent notre avis à mesure que nous avançons.

M. Mazier : En ce qui concerne le Manitoba, nous sommes une petite province et nous ensemençons 10 millions d’acres seulement. Notre comité de l’agriculture représente surtout le Sud du Manitoba, bien que nous comptions les villes de Le Pas et de Swan River. Nous communiquons assez bien. KAP a dit qu’il voulait être à la table. C’est un sujet qui divise, cela ne fait aucun doute. Nous sommes tous confrontés à des réalités politiques. Je crois que Todd Lewis a bien dit les choses. Nous comprenons que nous avons mis notre cou sous la lame lorsque nous avons présenté notre point de vue en tant qu’organisation agricole.

Notre gouvernement provincial nous a grandement aidés lorsqu’il a dit qu’il voulait que l’agriculture fasse partie de la solution. Il ne voulait pas nous mettre des bâtons dans les roues et nous a donc demandé notre avis sur les mesures à prendre et les cadres à établir. Nous avons mis la main à la pâte. Nous avons tenu de nombreuses réunions. Tout cela revient au plan vert du Manitoba. Dave McLaughlin a établi notre cadre écologique.

La tarification du carbone ne représente qu’un petit volet du plan vert. Nous discutons présentement de la réglementation et nous préparons le projet de loi 7, la Surface Water Managment Act. Nous travaillons en étroite collaboration avec ISD, qui se trouve à Winnipeg. Nous entretenons une très bonne relation.

Le Prairie Climate Centre se trouve à Winnipeg. Il étudie ce dossier depuis deux ans. Ce qui est le plus troublant, c’est que les changements se produisent trop rapidement pour que les modèles puissent les rattraper. C’est la chose la plus surprenante et l’année passée, j’ai posé la question : « Quelle sera la situation dans 10 ans? » Les modèles se sont renforcés depuis.

C’est une chose à surveiller. Nous devons mettre sur pied un système qui nous permettra d’être proactifs et de comprendre les conséquences pour la société. De façon générale, je crois que la communauté agricole du Manitoba est plus agressive à cet égard.

M. Lewis : La Saskatchewan a une fédération de l’agriculture. Je siège au conseil de la Fondation de recherches sur le grain de l’Ouest, au nom de l’APAS, et elle s’est beaucoup intéressée aux possibilités de recherche dans ce dossier. Pas plus tard qu’hier, nous avons rencontré les responsables du ministère provincial pour discuter du plan sur le carbone « fait en Saskatchewan » et du rôle que nous pouvons jouer à cet égard.

L’été dernier, notre sommet sur le carbone a été très populaire, et nous avons pu en tirer des renseignements utiles. Bon nombre des organisations présentes et qui ont témoigné devant votre comité, comme le Global Institute for Food Security de l’Université de la Saskatchewan, réalisent des recherches de pointe et de calibre mondial sur ce sujet. Nous pouvons raconter notre histoire de nombreuses façons.

À l’échelon fédéral, nous avons rencontré les responsables du ministère de l’Environnement, de même que le secrétaire parlementaire. Nous avons tenu des tables rondes avec lui. Nous avons aussi tenu de nombreuses réunions avec notre député, le ministre Ralph Goodale, sur ce sujet. Nous nous sommes pleinement engagés dans ce dossier, depuis le début. Je crois que l’agriculture nous raconte une belle histoire. Il faut une certaine reconnaissance et nous travaillons d’arrache-pied en ce sens depuis le début.

La présidente : Avez-vous des commentaires à faire sur la dernière question?

Mme Sterling : J’allais dire que l’Association des municipalités rurales de la Saskatchewan réalise d’importantes activités de lobbying et offre notamment ses services lorsqu’il est question de rédiger des lois ou de proposer des modifications. Nous sommes très heureux d’utiliser les outils à notre disposition pour communiquer avec nos membres afin d’obtenir des rétroactions directes qui orienteront nos recommandations.

C’est ce que nous avons fait dans ce dossier, tout comme dans bien d’autres : nous avons fait des activités de lobbying à l’échelon fédéral et provincial. Nous travaillons en étroite collaboration avec la province de la Saskatchewan en vue d’élaborer un plan « fait en Saskatchewan » et nous travaillerons aussi avec le gouvernement fédéral au besoin.

M. Lewis : Au sujet du lobbying, j’aimerais ajouter que nous avons reçu le premier ministre à notre ferme en avril dernier. Il voulait savoir comment on faisait pousser le canola. Pendant sa visite, nous avons parlé du fonctionnement des semoirs pneumatiques et de l’importance de la tarification du carbone.

Le sénateur R. Black : J’ai trois courtes questions à vous poser et je crois déjà connaître les réponses.

Y a-t-il suffisamment de recherche et est-elle financée? Lynn a parlé de la recherche sur la séquestration nette des fermes.

M. Mazier : C’est l’un des domaines visés par notre étude et qui pourraient profiter de l’aide du gouvernement. Nous avons réalisé d’autres projets de recherche et nous avons fait la sélection végétale, mais pour la réduction du carbone, cela nous aiderait grandement. Comment peut-on calculer les émissions? Si nous examinons les émissions des fermes et qu’il faut les consigner, quel sera le cadre pour la collecte de données? Il faudra établir des normes. C’est comme un nouveau produit pour le Canada. C’est ainsi qu’il faut voir les choses et c’est pour cela qu’il faut faire plus de recherche en ce sens.

M. Lewis : Des recherches sont menées, et on peut toujours en faire plus. Toutefois, même quand c’est le cas, il y a des occasions ratées. Un bon exemple à l’heure actuelle est une plante oléagineuse qu’on appelle carinata et qui rassemble au canola. On en tire un biocarburant pour les moteurs à réaction. Qantas — vous pourrez chercher ce nom dans Google — a effectué un vol, si je me souviens bien, de Los Angeles à Sydney sans aucune émission. La carinata en question a été produite dans l’Ouest canadien. La génétique et tout le reste prennent actuellement la route des États-Unis. Cette nouvelle technologie sera probablement utilisée par l’armée américaine.

Ce que je veux dire, c’est que nous pourrions exploiter cela, ici, au Canada. Nos agriculteurs pourraient, probablement sur une période de deux ans, produire cette plante sur deux à trois millions d’acres. De plus, nous avons l’infrastructure. Le produit peut être transformé dans une usine de trituration du canola et donner à l’autre bout du biocarburant pour les moteurs à réaction. Tout est déjà en place. C’est une occasion ratée pour notre pays. L’armée canadienne pourrait facilement reprendre le flambeau. Toute la recherche a été effectuée, et elle l’a été en grande partie dans l’Ouest canadien, mais nous n’en profitons pas. La recherche est importante, bien sûr, mais si on ne profite pas des occasions qui en découlent, nos agriculteurs et notre économie n’en retirent rien.

M. Gilchrist : Sénateur, nous nous heurtons aussi à quelques problèmes. Il y a tout juste deux semaines, le Canada a diffusé ses nouvelles priorités de recherche, et au nombre de celles-ci figurait l’adaptation au changement climatique. Quand on leur a demandé s’ils allaient financer la recherche sur de nouvelles formes de compensation, on nous a dit que le financement ne pouvait pas servir à la conformité. Cela veut dire que si on veut financer de nouvelles recherches ou établir la séquestration nette dans les fermes comme nous en avons parlé, on ne peut pas utiliser ces fonds, de même que les installations et l’expertise de recherche au pays. Il va falloir qu’on retourne voir Mme McKenna pour obtenir des fonds de recherche de son ministère. Malheureusement, Environnement Canada n’a pas de plan de recherche pour l’agriculture. On fait donc des pieds et des mains pour essayer de savoir qui fera la recherche et s’il est possible de la financer à partir de ces programmes.

Mme Sterling : Je me fais l’écho des commentaires qui viennent d’être faits. Il faut, bien sûr, investir davantage dans la recherche sur le changement climatique, sur l’atténuation de ses effets et sur les technologies qui vont nous aider à y arriver. Il faut se rendre compte aussi toutefois qu’on a également besoin de faire de la recherche et de se concentrer sur nos marchés. Il faudra bientôt composer avec la tarification du carbone et faire concurrence à des pays où il n’y en a pas, où il n’y pas cette exigence. Nous devons comprendre le marché dans lequel on s’attend à vendre nos produits agricoles.

M. Jacobson : Il y a aussi encore beaucoup de recherches qui ne sont pas menées, en particulier sur la séquestration du carbone au sein des fermes mêmes. Les formules utilisées ne sont pas très précises. Il faut donc des recherches pour les améliorer.

On parlait justement de cela hier soir, et on disait à la blague qu’on aurait peut-être besoin d’une commission du carbone, un peu comme la commission des grains. On a peut-être besoin d’une commission du carbone pour s’occuper des dossiers de ce genre. On disait cela à la blague, mais cela pourrait être une idée.

Le sénateur R. Black : Merci beaucoup.

On vient d’annoncer le lancement du Partenariat canadien pour l’agriculture, ou PCA. Pourrez-vous en profiter? Je pense que vous avez déjà répondu à cette question.

M. Gilchrist : Oui, en effet. Quand les deux hauts dirigeants sont venus nous parler des programmes, ils disaient, bien sûr, que les fonds sont là pour tous ceux, y compris nos établissements de recherche, qui veulent mener des recherches sur le climat. Toutefois, comme je l’ai dit, quand on leur a demandé précisément si on pouvait faire des demandes pour trouver d’autres compensations à partir des cultures fourragères ou des pâturages, on nous a répondu qu’il s’agissait de questions de conformité et que cela débordait le cadre des programmes. Plus d’un ministère est concerné et il faut qu’ils se parlent si on veut obtenir des fonds de recherche pour examiner cette question.

M. Lewis : Je pense qu’il faut se rendre compte que beaucoup de recherches visent essentiellement à recueillir des données et à obtenir une reconnaissance. Il n’y a pas autant de données, loin s’en faut, sur les cultures fourragères et les pâturages qu’il y en a sur les terres cultivées, et sur le carbone qui s’y trouve; il faut simplement une reconnaissance. Je pense que les producteurs sont prêts à assumer leur juste part, et si les gouvernements mettent la main à la pâte pour accélérer la recherche, on arrivera à une reconnaissance beaucoup plus rapidement.

M. Mazier : Je pense que le financement offert dans le cadre du PCA, et même de Cultivons l’avenir 2, a donné lieu à un profond virage, en ce sens que les projets sont passés de la ferme à l’industrie, et je ne sais pas si avec les programmes du PCA on revient à la ferme. Il sera très intéressant de voir comment s’équilibrera le tout. On investit davantage dans la recherche environnementale, mais on se demande si au bout du compte les mesures d’atténuation du carbone reviendront aux agriculteurs ou à l’industrie, et ce sera intéressant de voir ce qu’il adviendra.

M. Lewis : On revient toujours à la question de savoir qui paiera la note. Pour les agriculteurs, c’est une simple question de logique. Il y a une taxe sur le carbone; beaucoup de fonds sont disponibles; il faut donc simplement cibler ce problème. On réglera ainsi en grande partie la question des compensations et on diminuera la pression. Le Canada a besoin de compensations et l’agriculture peut les lui fournir. Il faut juste que nous obtenions la reconnaissance pour ce que nous faisons.

Le sénateur R. Black : Une dernière question. Y a-t-il des plans agroenvironnementaux dans chacune de vos provinces?

M. Mazier : Nous sommes en fait le vérificateur pour le gouvernement du Manitoba et donc la tierce partie qui administre le programme au nom du gouvernement.

M. Jacobson : L’Alberta a un plan agroenvironnemental. Je siège également au comité directeur du Plan environnemental national de la ferme, que nous essayons de remettre sur les rails; il est un peu au point mort à l’heure actuelle.

Le sénateur R. Black : Ici?

M. Jacobson : Oui, ici, en Alberta. Les gens ont des plans agroenvironnementaux qui datent de plus de 10 ans, et ils n’ont jamais eu à les renouveler. Je pense qu’il faut déployer des efforts à cet égard. J’imagine l’industrie poser des questions comme : « Quelles pratiques utilisez-vous dans la production alimentaire? », et d’autres du même genre. On exigera de plus en plus des producteurs qu’ils documentent leurs pratiques, et le plan agroenvironnemental est une façon de le faire. Cela pourrait également être intégré assez facilement à un éventuel plan sur le carbone.

M. Gilchrist : Le problème qu’on a, c’est qu’ils ne s’équivalent pas tous. Comme on l’a vu avec les plans agroenvironnementaux, la Table ronde canadienne sur le bœuf durable et la Table ronde canadienne sur la production durable des cultures, on n’arrive pas à mesurer avec suffisamment de précision la tonne de carbone séquestrée. Ils sont excellents pour apposer des autocollants verts qui disent qu’une ferme a un plan agroenvironnemental, ou une affiche devant mon ranch qui dit que je produis du bœuf durable, mais quand vient le temps des choses sérieuses et de dire si une tonne de carbone, de CO2, a été éliminée, leurs données ne sont pas assez précises.

Dans le cas de l’Alberta, on parle d’un taux d’erreur de 5 p. 100, soit 2,5 p. 100 de chaque côté du zéro. C’est une tolérance relativement élevée quand on veut faire des transactions sur le marché du carbone. La plupart de nos programmes, de nos plans agroenvironnementaux, sont efficaces pour, disons, donner confiance aux consommateurs, car j’ai un bel autocollant vert. Toutefois, je ne fais pas vraiment confiance aux données de ces programmes pour mesurer la tonne de carbone séquestrée.

M. Lewis : La Saskatchewan a un plan agroenvironnemental depuis longtemps. Il se concentre surtout sur les pratiques d’atténuation, comme les nouvelles clôtures, les clôtures transversales et le forage de nouveaux puits pour les éleveurs de bétail. Il existe, et je pense qu’il sera facile de l’intégrer à la conversation sur le carbone.

Le sénateur R. Black : Merci.

La présidente : Les plans agroenvironnementaux sont très importants, et je pense qu’on pourrait dire qu’il s’agit de la première génération. Je sais que, à l’Île-du Prince-Édouard, quand on les a introduits il y a environ 15 ans, il s’agissait d’une grande avancée. Cette première étape constituait une grande avancée. Je pense que le plan sera de plus en plus raffiné avec le temps, mais que ce sera un excellent plan. À l’Île-du-Prince-Édouard, soit dit en passant, nous nous sommes grandement inspirés du Manitoba. Copier quelqu’un est la forme de compliment la plus sincère.

Cela étant dit, ma première question s’adresse à Mme Sterling. Vous êtes vice-présidente de l’Association des municipalités rurales de la Saskatchewan. Est-ce que toutes les régions rurales de la province sont constituées en municipalités?

Mme Sterling : C’est le cas, oui. Quand nous disons que nous représentons 296 municipalités rurales, le Nord serait considéré comme séparé, et une partie des attributions relève du provincial. Les régions que nous représentons regroupent des incorporations de toutes sortes. Au sein de nos municipalités rurales, on trouve, en effet, des hameaux organisés de même que des villes et des villages.

La présidente : Quelle taille a la région dont vous êtes la préfète?

Mme Sterling : Elle encercle complètement la ville de Weyburn.

Je dirais qu’elle s’étend sur une distance d’environ 10 milles dans toutes les directions à partir de la ville de Weyburn. Je n’arrive pas à me rappeler du nombre exact d’acres que cela représente.

La présidente : Combien de personnes?

Mme Sterling : Environ 1 100.

En plus de l’industrie agricole, nous avons aussi du pétrole et du gaz.

La présidente : Vos grandes municipalités font probablement partie d’une association distincte, n’est-ce pas?

Mme Sterling : Oui, en effet. Il y a une association urbaine qui représente essentiellement les villes et les villages.

La présidente : J’en déduis de votre exposé que presque toutes les municipalités, grâce à vos efforts de coordination, sont bien au fait du changement climatique et savent, par exemple, qu’elles doivent s’y adapter.

Mme Sterling : Oui, bien sûr, c’est un sujet dont discutent toujours nos membres, alors je pense que tout le monde est bien informé.

La présidente : Monsieur Mazier, je suis vraiment désolée d’avoir raté votre exposé. Je présume que vous avez repris textuellement votre document, que j’ai lu. J’ai remarqué que vous aviez des commentaires précis à l’intention des trois ordres de gouvernement au pays. Je regarde la situation du point de vue du gouvernement fédéral, parce que c’est lui que nous conseillons au bout du compte. Nous avons deux types d’instruments. Le premier que nous avons est, bien sûr, la réglementation, mais elle n’occupe pas une grande place dans les recommandations de votre exposé et de votre rapport, qui est excellent, soit dit en passant, et elle touche principalement des enjeux provinciaux ou municipaux.

Je vois, à part quelques exceptions, que vous insistez beaucoup sur l’instrument économique du gouvernement fédéral, c’est-à-dire sur le fait d’offrir des incitatifs et d’agir non seulement dans le domaine agricole, mais aussi dans d’autres domaines qui jouent un rôle positif sur le territoire.

Je vous remercie d’avoir inclus le rapport qui a été produit pour votre organisation. Il contient beaucoup de bons éléments qui s’appliquent à tous les ordres de gouvernement, et nous pouvons certainement en retirer quelque chose. Quelles seraient d’après vous les deux principales mesures, de nature économique ou réglementaire, que pourrait prendre le gouvernement fédéral pour aider les agriculteurs à atténuer le changement climatique?

M. Mazier : Il faudrait simplement comprendre l’agriculture. Je sais que c’est une réponse simplette, mais combien de fois les représentants du ministère de l’Environnement et la ministre McKenna ont-ils consulté les agriculteurs pour comprendre les répercussions de leurs politiques? Quels effets aura la tarification du carbone sur l’agriculture ? Quels en seront les effets sur les industries ? Nous avons des entreprises qui roulent, et cette tarification va les rendre moins concurrentielles. Quels en seront les effets sur un de vos principaux partenaires ou secteurs d’exportation au Canada, un moteur économique? C’est ce que je n’arrive pas à comprendre.

Le ministère de l’Agriculture brandit le rapport Barton pour dire qu’on veut cultiver pour je ne sais plus combien de milliards de dollars de produits agricoles au Canada d’ici 2030, mais on instaure une taxe sur le carbone en nous disant de nous adapter. Nous avons beaucoup de potentiel quand nous faisons partie de la solution. Le gouvernement fédéral aura besoin d’approches pluriministérielles.

C’est ce qu’ont fait les provinces, en particulier le Manitoba. Les approches sont pluriministérielles. Pour le plan vert, il y a quatre ministères autour de la table, dont celui des Finances. Il faut qu’on examine le tout de cette façon. Il faut abattre les cloisons. Si le gouvernement fédéral examinait sérieusement la question et écoutait les provinces dans le dossier de l’agriculture, on ferait un grand pas en avant, et c’est ce qu’on observe. On parle de transformer complètement les façons de faire, les façons de cultiver les produits agricoles au Canada. La politique agricole standard consistait à défricher la terre, l’irriguer, maximiser la production et maximiser les revenus. Il s’agit d’un modèle novateur.

M. Mazier : Le gouvernement fédéral envoie un signal très clair qu’il faut penser aux émissions de carbone. L’idée est venue d’abord des provinces. C’est ce que j’ai dit à notre ministre de l’agriculture et à Dave McLaughlin. Vous nous demandez maintenant de ne pas penser seulement à la rotation des cultures, aux conditions météo, aux parasites, mais aussi de penser aux émissions de carbone issues de nos cultures. C’est un concept tout à fait différent. Nous pouvons le faire d’une façon qui profitera à toute la société, et à mon avis, le gouvernement fédéral n’a pas encore compris cela.

C’est ma principale demande, travaillez avec nous, au lieu d’y aller avec l’approche descendante du style « tenez, voici ». Je pense qu’on s’en va dans cette direction, mais cela prendra un certain temps.

La présidente : Il est important de noter à cet égard que beaucoup d’entre nous autour de la table ont sans doute grandi dans des fermes. Toutefois, nos enfants et leurs enfants sont à deux et trois générations de cela, et il faut qu’il y ait un changement de mentalité. C’est un très bon point.

M. Gilchrist : Madame la présidente, j’aimerais mentionner quelque chose — et je vais faire une blague ici — les vaches ne viennent pas au monde avec un compteur. Nous avons un nouveau produit appelé carbone, et il serait utile qu’il y ait une standardisation partout au Canada afin qu’on sache à quoi ressemble une tonne de carbone et comment s’effectue le transfert dans les provinces. On ne peut pas calculer la tonne de carbone d’une façon en Colombie-Britannique, utiliser une formule différente en Saskatchewan et en avoir encore une autre à Halifax.

Il faut qu’il y ait une standardisation, tout comme le gouvernement fédéral l’a fait pour le blé dur no 1, en en définissant les caractéristiques. Si on veut pousser l’analogie, on pourrait dire que nous avons du carbone no 1, qui comporte une définition claire. On aurait donc ainsi une fongibilité partout au Canada en sachant qu’une tonne est une tonne, peu importe dans quelle province elle est produite.

La présidente : Excellent argument.

Y a-t-il d’autres commentaires à ce sujet?

M. Lewis : C’est très facile de mesurer ce qui sort d’une cheminée ou d’un tuyau d’échappement, ou ce qui sort du derrière d’une vache. Beaucoup de recherches ont été menées, et on en accepte les résultats.

On examine et on effectue des recherches sur tous les aspects de l’agriculture actuellement. La frustration des agriculteurs vient du fait qu’on ne sait pas combien d’années il faudra pour que ce que l’on fait soit reconnu. Nous ne nous en sommes pas tenus aux pratiques habituelles. Nous avons amélioré nos méthodes et nous avons besoin que ce que nous avons fait soit reconnu.

La présidente : Je ne vois pas de mains levées pour une deuxième série de questions, alors merci à nos témoins. Nous sommes heureux de votre présence. Je sais que vous êtes tous très occupés, et nous vous sommes très reconnaissants de votre contribution aujourd’hui.

M. Mazier : Je veux aussi vous remercier. C’est vraiment une très belle expérience de comparaître devant le comité. C’est gentil de votre part de vous déplacer. Je pense que beaucoup de gens à Ottawa se font reprocher de ne pas aller ailleurs au Canada. Nous y sommes sensibles, et je vous en suis sincèrement reconnaissant. Vous êtes, vous aussi, tout comme nous, très occupés, et cela demande un effort supplémentaire de se déplacer pour voir ce qui se passe ailleurs au Canada. Je vous en remercie sincèrement.

La présidente : Je vous en prie.

(La séance est levée.)

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