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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 45 - Témoignages du 21 mars 2018 (séance de l'après-midi)


CALGARY, le mercredi 21 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 13 h 1, pour étudier l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.

La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Chers sénateurs, notre premier groupe cet après-midi est composé d’un seul témoin. Je vous présente Brock Mulligan, directeur des communications de l’Association des produits forestiers de l’Alberta.

Nous allons maintenant nous présenter. Je suis Diane Griffin, sénatrice de l’Île-du-Prince-Édouard. Je vais maintenant demander au vice-président du comité, le sénateur Maltais, de se présenter.

Le sénateur Maltais : Sénateur Ghislain Maltais, du Québec.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

Le sénateur R. Black : Rob Black, de l’Ontario.

La présidente : Nous venons de l’autre bout du pays et nous sommes très heureux que vous soyez là aujourd’hui.

L’étude que nous réalisons actuellement concerne précisément les changements climatiques et leurs répercussions potentielles sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier. Ce matin, nous avons reçu beaucoup de témoins du domaine agricole. En Colombie-Britannique, nous avons entendu d’excellents témoignages liés à la foresterie, mais vous êtes notre premier témoin de ce secteur en Alberta.

Je vous cède maintenant la parole.

Brock Mulligan, directeur des communications, Association des produits forestiers de l’Alberta : C’est la journée parfaite pour parler de foresterie, puisque c’est en fait la Journée internationale des forêts. Ça ne pouvait pas mieux tomber.

En guise d’introduction, l’Association des produits forestiers de l’Alberta représente différentes installations de fabrication albertaines. Notre association compte environ 45 installations. Nous existons depuis 1942 et avons célébré notre 75e anniversaire l’année dernière.

La foresterie est une industrie assez importante en Alberta. En effet, 20 000 personnes travaillent directement pour des entreprises forestières, et le secteur crée aussi 40 000 emplois indirects. Je parle ici des entrepreneurs, des fournisseurs, des services techniques, des services d’hébergement et ainsi de suite. Le secteur joue un rôle assez important dans 70 collectivités réparties un peu partout dans la province.

Comme vous le savez sûrement, l’économie albertaine a été touchée assez durement par le ralentissement dans le secteur pétrolier et gazier, mais l’industrie forestière s’est assez bien portée durant cette période, ce qui a permis de compenser assez efficacement le ralentissement dans beaucoup de collectivités.

Mon témoignage ce matin portera sur trois points principaux. Premièrement, je vous parlerai de notre engagement à l’égard de la durabilité et du fait que la foresterie a été parmi les premiers secteurs à s’efforcer d’atténuer les changements climatiques.

Deuxièmement, je vous parlerai des possibilités liées à la biomasse forestière et de la façon dont, selon nous, cette dernière a été un peu oubliée — dans une certaine mesure — au moment de trouver des façons de composer avec les changements climatiques.

Troisièmement, je vous parlerai de certains des différents coûts et différents règlements qui seront peut-être requis à mesure que nous adoptons des politiques et du fait que, jusqu’à un certain point, notre industrie peut être touchée par leur application.

Le secteur forestier est à l’œuvre depuis de nombreuses générations en Alberta. Le plus vieux membre de notre association, celui qui est là depuis le plus longtemps, œuvre dans le domaine depuis maintenant 100 ans. En passant, il s’agit d’une entreprise familiale. Il y a un certain nombre d’autres entreprises familiales qui ne sont pas loin derrière. La raison pour laquelle ces entreprises ont résisté à l’épreuve du temps, c’est un réel engagement à l’égard du territoire et de la durabilité. Elles ont aussi investi dans leurs installations.

Nous avons vraiment été parmi les premiers à prendre des mesures d’atténuation liées aux changements climatiques. De 2004 à 2014, l’industrie forestière canadienne a réduit sa consommation d’énergie de 35 p. 100 et ses émissions de gaz à effet de serre de 49 p. 100, grâce à la modification des activités manufacturières et à des investissements assez importants dans les installations.

Nous n’avons pas terminé. L’Association des produits forestiers de l’Alberta compte parmi ses membres beaucoup d’entreprises qui sont aussi membres de l’Association des produits forestiers du Canada. Nous nous sommes engagés à retirer 30 mégatonnes de carbone de l’atmosphère d’ici 2030 dans le cadre du défi de l’APFC « 30 en 30 » lié aux changements climatiques.

Parlons un peu du potentiel. Nos forêts et la forêt boréale canadienne sont parmi les plus grandes réserves de carbone du monde; elles sont probablement notre meilleure défense contre les changements climatiques. La construction d’habitations en bois est une excellente façon de capter du carbone. Ces bâtiments ont une empreinte carbone beaucoup plus petite que les autres bâtiments. En fait, nous avons fait quelques calculs relativement à certains projets d’infrastructure majeurs réalisés à Edmonton et avons déterminé que, en raison de l’utilisation du bois plutôt que d’autres matériaux dans quatre grands projets, il a été possible d’éliminer une quantité de gaz à effet de serre équivalente à celle que produisent 2 100 véhicules sur la route par année. Il y a un réel avantage à utiliser le bois dans le cadre de la construction et à capter du carbone de cette façon.

On a beaucoup discuté de l’adoption de sources d’énergie durable. Nous entendons beaucoup parler d’énergie éolienne et solaire. Ce sont d’excellentes façons de contrebalancer notre empreinte carbonique, mais la biomasse forestière a aussi un grand potentiel.

Ici, en Alberta, nos membres génèrent suffisamment d’électricité verte pour alimenter environ quatre villes de 70 000 personnes. Nous aimons dire quatre « Grande Prairie ». Il reste encore beaucoup de biomasse dans laquelle puiser, ce que nous appelons les rémanents d’exploitation, qu’on retire des arbres dans le cadre des opérations forestières, mais qui ne se rendent pas à l’usine. De plus, nous pourrions probablement aussi utiliser en partie la biomasse découlant des processus manufacturiers — si cette activité était viable d’un point de vue économique —, afin d’aider à contrebalancer les émissions.

D’une façon ou d’une autre, les programmes doivent récompenser les premiers adopteurs. Nous entendons parler de la méthode des niveaux de référence qui serait utilisée pour déterminer les coûts pour les émetteurs. Il faut comprendre que beaucoup de nos entreprises ont déjà fait beaucoup de choses et ont beaucoup investi. Si on leur impose ce niveau de référence et qu’on les pénalise si elles n’en font pas plus, tandis que les entreprises et les secteurs qui n’ont rien fait sortent gagnants lorsqu’ils finissent par passer à l’action, c’est un peu injuste et un peu contre-productif.

Je vais passer à mon dernier point, soit le fait que l’industrie forestière est sensible à la juxtaposition des coûts et des règlements. Nous avons un grand avantage au Canada. En effet, nous possédons la deuxième forêt en importance du monde. Nous la gérons mieux que quiconque. Nous avons aussi des coûts importants que d’autres pays et d’autres compétiteurs n’ont pas. Nous sommes situés très loin des marchés. Nous payons des salaires probablement plus élevés que partout ailleurs, à part dans les pays scandinaves. Nous sommes aussi au beau milieu d’une lutte commerciale avec les États-Unis, qui imposent d’importants tarifs sur notre industrie.

Lorsque nous entendons parler des différents coûts qui seront peut-être imposés pour réduire les émissions de carbone, nous sommes un peu préoccupés par toute la question des tarifs et des droits imposés par différentes administrations, les provinces et le gouvernement fédéral, en plus des mesures réglementaires qui seront prises. Tout cela s’additionne au point où nos compétiteurs peuvent nous voler nos emplois.

Ce peut être un peu problématique pour les intervenants du domaine de la foresterie parce que, parfois, en tant que premiers adopteurs, nous sommes peu susceptibles d’obtenir un crédit pour les mesures déjà prises. Une fois une politique en place dans un secteur, il est très difficile d’en atténuer les répercussions en exemptant, possiblement, une partie de l’industrie, parce que l’industrie américaine criera immédiatement à l’injustice et dira qu’il s’agit d’une subvention. Nous avons très peu de marge de manœuvre pour faire ce genre de choses.

En conclusion, nous aimerions participer dès les premières étapes aux discussions. Nous vous remercions de nous avoir accueillis ici aujourd’hui pour en parler. Nous serons heureux de répondre à toutes vos questions. Merci.

La présidente : Parfait. Merci de votre exposé. Nous allons passer aux questions en commençant par le vice-président, le sénateur Maltais.

Le sénateur Maltais : Merci, monsieur Mulligan, de votre présentation fort intéressante. En ce qui concerne le coût réglementaire de vos entreprises, ces règlements proviennent-ils du gouvernement de l’Alberta ou sont-ce des règlements fédéraux?

[Traduction]

M. Mulligan : Je crois que ça pourrait possiblement être les deux. Nous avons déjà vu des règles établies en Alberta qui ressemblent à une taxe sur le carbone et qui constituaient un coût supplémentaire important pour notre industrie. On a aussi laissé planer la possibilité d’augmenter les taxes à l’échelon fédéral. Nous comprenons qu’il s’agit peut-être d’un processus nécessaire, mais nous aimerions que ce soit fait de façon coordonnée et de façon à ce qu’on ne finisse pas, essentiellement, par payer des taxes sur des taxes.

[Français]

Le sénateur Maltais : D’accord. Merci. Vous avez dit que la construction d’édifices en bois revenait à la mode. On l’a vu en Colombie-Britannique. On le voit dans d’autres provinces dans l’Est du Canada. Croyez-vous vraiment que le bois peut reprendre la place qu’il avait dans la construction d’édifices publics?

[Traduction]

M. Mulligan : Oh, je crois vraiment qu’on peut. On constate vraiment un retour des bâtiments en bois un peu partout dans le monde, en Europe de l’Est et, ici, au Canada. La Colombie-Britannique et le Québec sont vraiment des chefs de file. Cependant, on commence aussi à réaliser des projets de construction en bois de haute qualité et d’assez grande envergure.

À Edmonton, d’où je viens, on compte environ quatre ou cinq projets, dont un très grand centre des loisirs et une installation de transports sur notre ligne de SLR. Le potentiel est vraiment là, et nous espérons reproduire ici les progrès que nous avons constatés dans d’autres administrations.

[Français]

Le sénateur Maltais : Lors d’une mission précédente en Chine, où Produits de bois canadien est très présent, on a vu un quartier huppé où les constructions sont en bois. Votre marché est-il ouvert uniquement aux États-Unis ou exportez-vous vers d’autres pays?

[Traduction]

M. Mulligan : Historiquement, nos deux plus importants marchés ont été les États-Unis — notre plus gros marché d’exportation — et le Japon, un marché qui paie à prix fort des produits de très haute qualité, mais il n’y a pas beaucoup de croissance. La population là-bas vieillit, et il n’y a plus beaucoup de construction. La Chine est un marché où nous avons beaucoup investi. Nous commençons à constater des percées positives. Historiquement, la Chine achète nos produits de moins bonne qualité et elle les utilise pour des applications non structurales, comme des palettes, des coffrages pour béton et le genre de choses qu’on peut faire avec du bois de relativement faible qualité.

Cependant, elle a commencé à utiliser des produits de plus haute qualité pour des applications structurelles. L’un de nos arguments de vente là-bas, c’est que le bois résiste beaucoup mieux aux tremblements de terre que les autres matériaux. Si on le secoue, il plie, puis reprend sa forme initiale. Nous avons constaté un intérêt vraiment positif là-bas.

Comme vous le savez peut-être, notre plus grand défi en Chine, probablement, c’est que le rouble russe s’est complètement effondré. Il commence à reprendre du poil de la bête, mais cet effondrement a donné aux Russes un avantage majeur sur nous du point de vue des devises. Vous savez, ils ont déjà un très bon avantage géographique; ils sont plus près. Ils ont aussi un avantage du point de vue de la main-d’œuvre. Lorsqu’on ajoute la situation de la devise, dans une certaine mesure, cela a chassé des entreprises canadiennes de ce marché. Nous sommes convaincus de pouvoir y retourner, mais, en même temps, il y a un réel défi là-bas.

[Français]

Le sénateur Maltais : J’ai une courte question à propos de la taxe sur le carbone. Dans quelle mesure cette taxe touchera-t-elle vos producteurs?

[Traduction]

M. Mulligan : La taxe sur le carbone est un défi unique pour nos producteurs dans la mesure où la taxe mise en place en Alberta les touche à différents niveaux. Au bout du compte, ils doivent payer les entrepreneurs pour les coûts du carburant plus élevés. Ils paient la taxe, quelle que soit la source d’énergie utilisée dans les installations de fabrication. Lorsque vient le temps d’envoyer la production aux consommateurs, il faut encore payer. Habituellement, tous les fournisseurs doivent aussi composer avec un type ou un autre de taxe sur le carbone.

Lorsque ces différents coûts commencent à s’ajouter les uns aux autres et que l’industrie en subit les conséquences sur différents fronts, cela peut vraiment miner la compétitivité.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci.

La sénatrice Gagné : Quels changements avez-vous constatés au cours des dernières années par rapport aux changements climatiques et quelles ont été les répercussions directes de ces changements sur votre industrie?

[Traduction]

M. Mulligan : Merci beaucoup de la question. J’espérais qu’on me pose ce genre de questions, parce que je n’ai pas eu le temps de parler du dendroctone du pin. Puisque notre climat se réchauffe, nous constatons que le dendroctone du pin a un taux de survie beaucoup plus élevé et que sa présence s’est beaucoup étendue. Ce parasite a déjà dévasté des forêts en Colombie-Britannique.

En Alberta, l’industrie et le gouvernement ont pris beaucoup de mesures, ce qui a vraiment permis de limiter les dégâts. La seule lacune, dans notre cas, semble être le parc national de Jasper. Le parc est absolument infesté par le dendroctone du pin. Chaque arbre dans ce parc est rouge et mort. Le problème commence à avancer vers l’est et dans le reste des forêts de l’Alberta. Je ne veux pas critiquer l’approche stratégique prise dans le parc, mais les efforts initiaux consistaient essentiellement à laisser la nature suivre son cours. Pour les compagnies forestières voisines, c’est vraiment problématique, parce que, si on laisse la nature suivre son cours, le dendroctone se répandra dans leurs terres à bois et minera la qualité marchande de leur production. On augmente aussi ainsi les probabilités de feux de forêt catastrophiques.

Au cours des deux dernières années, les responsables du parc ont commencé à prendre des petites mesures pour atténuer le problème; ils ont procédé à certains brûlages dirigés de plus vieux peuplements de pins susceptibles aux infestations. Ils ont aussi procédé à certaines activités de récolte mécanique autour de la ville pour la protéger. Nous aurions aimé qu’une approche beaucoup plus dynamique soit adoptée plus rapidement et espérons que, si d’autres parcs nationaux sont confrontés à un défi similaire, leur réaction sera beaucoup plus rapide que dans le cas de Jasper.

[Français]

La sénatrice Gagné : Avez-vous pu cerner des débouchés pour votre industrie, qui est vraiment liée aux changements climatiques?

[Traduction]

M. Mulligan : Absolument. Nous croyons que l’éventuelle production de plus d’électricité verte et durable à partir de notre biomasse est une réelle occasion pour le secteur. Nous sommes déjà très proactifs dans ce dossier. Comme je l’ai mentionné, nous avons produit environ 420 mégawatts d’électricité complètement verte et renouvelable. Elle est produite à partir de matériaux qui étaient auparavant des déchets dans le cadre de notre processus manufacturier, qu’on parle de la sciure de bois ou de ce genre de choses, des matériaux qu’on ne peut pas utiliser pour produire de la pâte et du bois de sciage vendable.

La prochaine étape en ce qui a trait à la production d’électricité à partir de la biomasse verte, c’est probablement ce qu’on appelle les rémanents d’exploitation. Ce sont les branches et les cimes d’arbres laissés de côté dans le cadre de notre processus d’exploitation. Actuellement, il n’y a pas de bonne façon de produire de l’électricité sur place, et il n’est pas logique de transporter tout ça dans une usine parce que la quantité d’énergie nécessaire pour transporter le tout à l’usine est supérieure à l’énergie qu’on peut produire au bout du compte.

Il faut réaliser des recherches sur des moyens de transport plus efficients et des petites centrales sur place pouvant transformer ces résidus en biodiesel ou un autre type de produit. Il y a là un réel potentiel, mais il faudra plus de recherches et plus d’investissements.

[Français]

La sénatrice Gagné : Alors, de quel secteur provient la recherche? Vos entreprises investissent-elles dans la recherche et développement ou est-ce que cela vient d’autres intervenants?

[Traduction]

M. Mulligan : C’est principalement un partenariat entre les entreprises du secteur forestier et le gouvernement. FPInnovations est une organisation cofinancée et — j’imagine qu’il serait juste d’ajouter — le principal organe de recherche du secteur forestier. Les responsables comptent sur des fonds du gouvernement et de l’industrie. Ils font là certains travaux vraiment importants. Ils croient pouvoir obtenir de très bons résultats et réussir à élargir notre production énergétique grâce à certaines de ces différentes occasions.

C’est un peu préoccupant d’avoir constaté, durant la dernière ronde de financement, ici, en Alberta, une préférence assez marquée pour des projets dans d’autres domaines, que ce soit l’énergie solaire ou l’énergie éolienne. Je crois qu’on fait ainsi fi d’une excellente ressource dans notre propre cour, une ressource que nous gérons de façon durable depuis 100 ans. Nous avons déjà commencé à saisir cette occasion, alors miser sur le flux des matières résiduelles est très logique.

Le sénateur R. Black : Vous avez parlé d’une production d’énergie suffisante pour alimenter quatre villes de la taille de Grande Prairie. Comment produisez-vous cette électricité?

M. Mulligan : L’énergie est principalement produite par nos usines de pâtes à papier à partir de certaines liqueurs résiduaires et d’autres résidus découlant de nos processus. Je ne suis pas chimiste, mais la matière est produite dans le cadre du processus de production et elle est ensuite brûlée, essentiellement, pour produire de l’électricité. Une partie de l’électricité part dans le réseau, et une partie est utilisée directement dans les installations.

On voit aussi certains projets de cogénération du côté des usines de pâtes à papier. Dans ces cas-là, on utilise l’écorce, la sciure de bois et ce genre de matières excédentaires. On les brûle pour produire de l’électricité. Habituellement, le gros de la production est utilisé dans les installations lorsque le niveau de production n’est pas élevé ou dans des situations similaires. L’équipement permet aussi de transférer l’électricité dans le réseau.

Le dernier type d’énergie que nous utilisons, c’est dans les séchoirs à bois, qui sont très énergivores. Dans ce cas-là, on fait brûler des choses comme l’écorce et la sciure de bois pour chauffer le séchoir. On produit de l’énergie de cette façon.

Le sénateur R. Black : Vous avez parlé du fait que les adopteurs précoces sont pénalisés. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Je crois que je comprends, mais j’aimerais que vous nous en reparliez.

M. Mulligan : Bien sûr. Nous avons constaté l’utilisation de niveaux de référence dans différentes approches économiques visant à gérer nos émissions. Si quelqu’un produit 100 tonnes de carbone, on s’attend à ce qu’il en produise moins d’année en année. Si ce n’est pas le cas, il y a des pénalités.

C’est fondamentalement injuste qu’une entreprise qui est déjà passée de 150 à 100 tonnes soit tenue de commencer au niveau de référence de 100 tonnes et de réduire davantage sa production, tandis qu’une entreprise qui n’avait rien fait et était restée à 150 tonnes et réduit ensuite son empreinte, ne serait-ce que de 10 tonnes, sera récompensée par un avantage concurrentiel comparativement à l’entreprise qui avait déjà amélioré ses opérations.

Beaucoup des adopteurs précoces dans l’industrie ont déjà réduit leurs émissions liées à la consommation d’énergie de 35 p. 100 et leurs émissions de gaz à effet de serre de 49 p. 100. Si on s’attend à ce que ces entreprises livrent concurrence à d’autres entreprises qui n’ont rien fait et qui sont assujetties à la même approche fondée sur les niveaux de référence, il y a quelque chose de fondamentalement injuste dans tout ça.

Le sénateur R. Black : Si, demain, les organismes de réglementation du gouvernement tenaient compte de la réduction de 150 à 100 tonnes que vous avez déjà réalisée... Y a-t-il assez d’intervenants dans votre secteur qui l’ont fait? Savez-vous où ils en étaient avant d’être des adopteurs précoces et de réduire les émissions?

M. Mulligan : Oui, en gros, les intervenants du secteur savent exactement là où ils ont commencé.

Le sénateur R. Black : Où ils en étaient.

M. Mulligan : Habituellement, ils ont fait des investissements assez importants dans le but de réduire les émissions et la consommation énergétique. Ils connaissent assez bien les statistiques connexes.

La présidente : J’ai deux ou trois questions. Comme vous le savez, beaucoup d’ordres de gouvernement jouent un rôle en matière de protection environnementale au pays. Lorsqu’il est question des forêts et de la gestion des forêts, il s’agit principalement d’une responsabilité provinciale, et, dans une certaine mesure, il y a un aspect municipal lorsqu’on se trouve dans les limites et le zonage d’une municipalité.

Je réfléchis à la façon dont nous abordons la question à l’échelon fédéral. De façon générale, la boîte à outils fédérale compte deux types d’instruments. D’un côté, la réglementation, mais ce n’est pas vraiment le cas ici, sauf si on parle du parc national de Jasper ou d’autres terres appartenant au fédéral, et de l’autre — et c’est celle qui a la plus grande incidence sur l’utilisation des terres partout au pays —, les instruments économiques et les mesures incitatives ou les façons d’encourager certains comportements et de subventionner la recherche.

Pour le dire en peu de mots, quelles seraient les deux choses les plus importantes que le gouvernement du Canada pourrait faire relativement aux forêts et aux changements climatiques?

M. Mulligan : C’est une question très intéressante. Vous avez parlé des mesures incitatives. Avant la prise de mesures incitatives, les entreprises devraient discuter de façon vraiment approfondie avec leurs avocats et le gouvernement. Il faudrait prévoir une importante discussion à ce sujet en raison de tous les défis constatés dans le dossier du bois d’œuvre, et maintenant, dans le dossier du papier, puisque les mesures incitatives sont considérées rapidement comme des subventions par les Américains, ce qu’ils utilisent ensuite, essentiellement, pour nous pénaliser.

Au bout du compte, l’Organisation mondiale du commerce et les responsables de l’ALENA affirmeront que ces accusations ne sont pas valides, et les mesures prises sont rejetées, à répétition, mais, habituellement, au cours des trois ou quatre années qu’il faut pour régler ces dossiers, les entreprises canadiennes auront à payer des milliards de dollars pour compenser ces prétendues subventions. Cet aspect du dossier peut être vraiment très difficile.

Si je parlais à beaucoup de nos petites entreprises — et même les grandes —, elles diraient probablement, dans un premier temps, que la meilleure chose que le gouvernement peut faire, c’est de soutenir la recherche, parce que c’est essentiel à l’avenir et, deuxièmement, de bien réfléchir et de parler aux autres ordres de gouvernement avant d’imposer des règlements ou des taxes. Il est absolument essentiel que tout ça soit coordonné afin que chacun n’impose pas une réglementation légèrement différente ou une taxe similaire faisant en sorte que nous devons payer deux fois. Ce peut être un vrai problème.

La présidente : Le problème des taxes qui s’ajoutent aux taxes dont vous avez parlé tantôt?

M. Mulligan : Oui.

La présidente : Vous avez mentionné le parc de Jasper et l’infestation par le dendroctone. Essentiellement, il a servi d’incubateur pour le dendroctone, dont la population a explosé. Cette situation s’est-elle produite dans d’autres parcs nationaux en Alberta? Ces parcs ont-ils été des incubateurs pour d’autres insectes nuisibles ou le dendroctone?

M. Mulligan : Le cas de Banff dans les années 1990 est très intéressant, parce qu’il y avait eu là une assez importante infestation de dendroctones. Les responsables avaient pris des mesures vraiment très énergiques. Ils coupaient les arbres infestés dès qu’ils pouvaient. Ils ont cerné les plus vieux peuplements de pins, ceux qui ont tendance à être plus susceptibles aux infestations et les ont éliminés avant tout problème. Il y a de bonnes nouvelles et un peu d’espoir dans le cas de la lutte contre le dendroctone du pin, et c’est Banff. Les mesures qui ont été prises là-bas ont fonctionné.

Pour ce qui est des autres parcs nationaux, je ne crois pas que la géographie ou la composition des espèces justifient d’importantes préoccupations. Il y a le parc national du Canada Wood Buffalo, loin dans le nord-est. Il est assez isolé. Je ne crois pas qu’il y ait là une importante population de pins. Ce n’est pas nécessairement très préoccupant. Le dernier parc national qui me vient à l’esprit, c’est celui d’Elk Island, juste à l’est d’Edmonton. Encore une fois, il s’agit principalement d’une forêt de trembles, et on ne parle pas d’une très grande zone. C’est dans le milieu d’une prairie.

La présidente : Et qu’en est-il du parc national du Canada des Lacs-Waterton? Il doit y avoir des pins là-bas.

M. Mulligan : Oui, il y en a probablement. Actuellement, il est probablement protégé des infestations par sa position géographique. Les vraies zones préoccupantes sont plus au nord parce que la région de Prince George en Colombie-Britannique a été grandement touchée. Les zones à l’est sont très préoccupantes pour nous parce que c’est là où l’infestation s’en ira. On n’a pas constaté dans la partie sud de la Colombie-Britannique le même niveau d’infestation, même s’il pourrait y avoir des problèmes là-bas. Il serait juste de dire qu’il y a là un risque, mais il ne se concrétise pas nécessairement à l’heure actuelle. Jasper est l’épicentre.

La sénatrice Gagné : Dans le contexte des changements climatiques, croyez-vous que le secteur forestier s’adapte assez rapidement pour répondre aux demandes des nouveaux marchés et des marchés qui évoluent?

C’est un milieu très concurrentiel. Comment le Canada et l’Alberta s’en sortent-ils dans ce contexte?

M. Mulligan : Actuellement, nous nous en sortons assez bien. Nous avons vu la demande pour nos produits exploser au cours des deux ou trois dernières années, principalement en raison de la solide économie américaine, de deux ou trois catastrophes malheureuses là-bas, puis, finalement, de certains importants incendies en Colombie-Britannique qui ont éliminé une bonne partie des stocks. C’est une période raisonnablement bonne pour le secteur forestier actuellement.

La principale préoccupation qui nous attend, c’est probablement le manque de diversité de notre marché. Il y a le Canada, qui est un bon marché. Puis, il y a les États-Unis, un marché difficile et très protectionniste. J’ai mentionné certaines des limites du côté du Japon, où la population vieillit et où l’on ne construit plus beaucoup, et la Chine, où la concurrence d’autres producteurs est de taille, bon nombre d’entre eux bénéficiant de certains avantages sur nous.

Je crois qu’on peut dire que les choses se passent assez bien actuellement. Nous avons pris beaucoup de mesures pour nous assurer d’être concurrentiels, mais il y a certains problèmes qui nous attendent et qui suscitent assurément une certaine réflexion.

La présidente : Sénateur Maltais, aviez-vous d’autres questions?

[Français]

Le sénateur Maltais : J’ai une toute dernière question. Lors de nos visites en Chine, nous avons constaté que le bois importé de Russie était de moins bonne qualité. Les Chinois ont peur de trouver à l’intérieur de ces « bundles » de bois – comme on le dit ici au Canada – des parasites. Les Chinois sont très intransigeants sur la qualité du bois à cause des parasites. Ils ont peur que les parasites infectent le peu de forêts qui leur reste.

Le bois que vous exportez en Chine est-il traité de manière à éliminer les parasites?

[Traduction]

M. Mulligan : Oui, il y a un programme de traitement phytosanitaire très complet qui est administré conjointement par des entreprises et par l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Essentiellement, le bois est traité thermiquement pour qu’il n’y ait pas de parasites. La Chine a des exigences particulièrement strictes que nous devons respecter.

En ce qui concerne l’autre partie de votre question au sujet du rôle des produits de la Russie en Chine, il est juste de dire que beaucoup de raisons justifient de ne pas importer du bois russe, parce qu’il est de faible qualité. Si c’est assez bon marché, et ça l’est en ce moment parce que le rouble est très faible, vous pouvez prendre des mesures pour atténuer la faible qualité, les parasites ou quoi que ce soit d’autre.

Depuis toujours, nous faisons probablement assez bonne figure par rapport à ce concurrent. C’est vraiment difficile, parce que son produit est très bon marché en ce moment.

La présidente : J’aimerais remercier notre intervenant, Brock Mulligan. Nous avons beaucoup aimé vous recevoir ici. Comme je l’ai dit, nous sommes arrivés hier de la Colombie-Britannique, et c’est donc fantastique d’entendre parler aussi de la situation de l’Alberta. Je vous remercie d’être venu aujourd’hui.

M. Mulligan : Tout le plaisir est pour moi. Merci.

La présidente : Mesdames et messieurs, nous avons adopté lundi une motion que nous devons maintenant mettre à jour. Je propose :

Que, nonobstant la motion adoptée le lundi 19 mars 2018, le jeudi 22 mars 2018, conformément à l’article 12-17 du Règlement, la présidence soit autorisée à tenir des réunions pour entendre des témoignages et à en permettre la publication en l’absence de quorum, pourvu qu’un autre membre du comité soit présent.

Êtes-vous en faveur de la motion?

Des sénateurs : D’accord.

La présidente : La motion est adoptée.

Nous avons deux témoins dans notre deuxième groupe cet après-midi : M. Danny Blair, directeur scientifique, Centre du climat des Prairies, et M. Dave Sauchyn, coordonnateur de la recherche, Collectif des Prairies pour la recherche en adaptation.

Nous avons fait un voyage d’études dans l’Ouest et tenu des audiences publiques. Nous sommes restés deux jours en Colombie-Britannique, et il s’agit de notre première journée ici. Ce matin, nous avons entendu des intervenants du secteur agricole et nous venons juste d’entendre un groupe de témoins du secteur forestier en Alberta.

Nous sommes impatients d’entendre vos exposés, à la suite desquels nous vous poserons quelques questions et nous nous joindrons à la conversation.

Danny Blair, directeur scientifique, Centre du climat des Prairies : Le Centre du climat des Prairies, à l’Université de Winnipeg, se préoccupe grandement des changements climatiques actuels et futurs au Canada. Notre mission consiste à faire savoir aux gens du Manitoba, des provinces des Prairies et de tout le Canada que les changements climatiques sont beaucoup plus importants que ce que de nombreuses personnes pourraient croire.

À cette fin, nous avons créé un atlas électronique sur les changements climatiques, atlasclimatique.ca. Il est actuellement axé sur les provinces des Prairies, mais bientôt, dans un mois environ, une nouvelle version de l’atlas qui englobe l’ensemble du Canada sera lancée.

Dans cet atlas, nous présentons des projections détaillées sur les changements climatiques localisés pour deux des scénarios d’émissions utilisés dans la plus récente évaluation effectuée par la CIPV, en utilisant des données en haute résolution et réduites statistiquement fournies par le Pacific Climate Impacts Consortium, le PCIC, à l’Université de Victoria. Pour 12 modèles climatiques différents, nous présentons des projections climatiques à l’aide des scénarios RCP 8.5 et RCP 4.5. Nous appelons le scénario RCP 8.5 le « scénario à fortes émissions de carbone ». Il s’agit essentiellement d’un scénario d’émissions comme à l’habitude. Nous désignons le scénario RCP 4.5 comme « à faibles émissions de carbone ». C’est un scénario où l’on a beaucoup moins d’émissions, à tout le moins, c’est ce qu’on prévoit. Bien sûr, le scénario RCP 8.5 entraîne beaucoup plus de changements climatiques au Canada et dans le monde.

Nous avons travaillé d’arrache-pied pour présenter ces projections de manière à ce que tout le monde puisse comprendre. Nous avons créé des cartes, des graphiques et des tableaux de grande qualité. Ceux-ci sont tous organisés à l’aide d’un texte facile à comprendre.

Par-dessus tout, nous intégrons aussi des vidéos de grande qualité dans lesquelles des Canadiens de partout au pays parlent de leur expérience avec les changements climatiques et leurs répercussions et décrivent leurs réactions par rapport à ces répercussions réelles ou possibles. Nous sommes heureux de dire que le nouvel atlas sera entièrement bilingue.

Nous prévoyons que l’atlas permettra d’accroître la sensibilisation aux changements climatiques et à leurs répercussions possibles et d’aider les décideurs de toutes sortes à prendre des décisions éclairées sur la façon de s’adapter aux changements climatiques. Nous espérons que l’atlas motivera les Canadiens à s’engager davantage à réduire les émissions.

Depuis ses débuts, l’atlas compte parmi ses thèmes principaux l’agriculture. Par exemple, nous travaillons en étroite collaboration avec Keystone Agricultural Producers, KAP, Dan Mazier et son équipe au Manitoba, pour présenter les changements climatiques et agrémenter l’atlas d’une façon qui serait pertinente et utile pour la communauté agricole. Nous avons aussi interviewé des agriculteurs de partout au Canada. Bon nombre de ces vidéos seront présentées dans l’atlas. Dans celles-ci, les agriculteurs s’expriment sur les défis que posent les changements climatiques, mais aussi sur leurs possibilités. Dave Sauchyn apparaît également dans une vidéo dans l’atlas.

Pour moi, les visualisations les plus frappantes dans notre atlas sont celles qui illustrent comment les étés chauds sont projetés dans l’avenir dans les deux scénarios. De façon générale, je crois que la plupart des gens comprennent que les hivers deviendront plus chauds et plus courts, mais je ne crois pas qu’ils aient conscience des changements qui toucheront les étés.

Par exemple, l’atlas montre que, durant la dernière partie du siècle, soit de 2051 à 2080, dans ma ville natale de Regina, le nombre annuel moyen de jours de chaleur d’au moins 30 degrés Celsius sera plus de trois fois supérieur, passant de 16 à 50 dans le cadre du scénario à fortes émissions de carbone, par rapport aux moyennes de 1976 à 2005.

Dans le scénario à faibles émissions de carbone, les chiffres doublent seulement, passant de 16 à 30 environ. Cela demeure un changement radical. Ces types de changements de la chaleur estivale sont tous projetés dans l’ensemble du Sud des Prairies. Dans le Sud de l’Ontario, le Sud du Québec et dans des régions de la Colombie-Britannique, on s’attend à voir apparaître dans certaines régions encore plus de changements spectaculaires pour ce qui est du nombre de journées de chaleur.

En bref, l’avenir devrait être beaucoup plus chaud au Canada. Bien sûr, il y a un aspect positif à un climat chaud. Les saisons de culture seront beaucoup plus longues. Elles sont déjà beaucoup plus longues que ce qu’elles étaient récemment. Cela permettra de faire pousser de nouvelles cultures partout au Canada. Toutefois, de longues saisons sans gel et de longs degrés-jours de croissance ne sont pas suffisants pour cultiver des produits. L’eau, bien sûr, est très importante.

Malheureusement, un autre aspect étonnant des projections climatiques, c’est qu’elles montrent que les étés pourraient s’assécher dans une bonne partie du Sud du Canada. On prévoit particulièrement des mois de juillet et d’août plus secs, particulièrement à long terme, jusque vers la fin du siècle, dans le cadre du scénario à fortes émissions de carbone, et particulièrement dans le Sud des Prairies et de la Colombie-Britannique. Je fais référence à la carte du mois d’août qui montre le changement des précipitations.

En plus d’avoir des étés beaucoup plus chauds, ces importantes régions agricoles pourraient recevoir moins de précipitations l’été. Cela me préoccupe beaucoup, parce que cela évoque la possibilité de taux d’évapotranspiration supérieurs qui pourraient déboucher sur de graves pénuries d’eau pour nos producteurs agricoles.

Dans l’ensemble, ces conditions semblent indiquer des sécheresses plus fréquentes, ce qui représente, bien sûr, une préoccupation pour les agriculteurs et les forestiers. De façon ironique, peut-être, les modèles climatiques indiquent aussi que nombre des régions qui s’attendent en quelque sorte à recevoir moins de précipitations cet été devraient connaître des hivers, des printemps et des automnes plus humides. Par exemple, dans le scénario à fortes émissions de carbone, les modèles indiquent des printemps beaucoup plus humides en moyenne dans le Sud des Prairies, y compris au Manitoba. Je vous renvoie à l’autre côté de la carte, qui montre le changement accru des précipitations au mois d’avril dans l’ensemble du Canada.

Cela soulève la possibilité de cas où on aura trop de précipitations durant certaines parties de l’année, et pas assez dans d’autres. Pour moi et de nombreuses autres personnes, cette situation exige que nous prenions bien plus au sérieux la gestion de l’eau au Canada. En particulier, les Prairies doivent prendre bien plus au sérieux la gestion de l’eau. Par exemple, durant les périodes d’abondance, nous devons avoir un système de réservoirs locaux et régionaux pour emmagasiner l’eau en prévision des moments où nous pourrions en avoir besoin pour satisfaire à la demande du secteur agricole et d’autres secteurs aussi, bien sûr. Ce n’est qu’au moyen de stratégies de gestion de l’eau efficaces, novatrices et opportunes que le secteur agricole sera le mieux placé pour saisir les occasions que présentent les changements climatiques et être en mesure de réduire au minimum les risques.

Bien sûr, les gens qui composent le secteur agricole ont toujours fait preuve d’innovation, de souplesse et d’opportunisme, parce qu’ils ont toujours connu les réactions découlant de l’énorme variabilité au sein de notre système climatique. Toutefois, vu la gravité des changements climatiques projetés pour le Canada dans le cadre du scénario à faibles émissions de carbone et du scénario à fortes émissions, il importe que nous nous préparions aux défis présentés par le nouveau climat. Il semble clair que les avantages d’une adaptation efficace et opportune surpasseront les coûts, peu importe l’évolution des changements climatiques. De façon très importante, nous devons travailler fort à l’échelle locale, nationale et internationale pour réduire nos émissions globales afin de réduire au minimum le risque global.

Merci de votre intérêt.

La présidente : Merci de votre exposé.

D.J. (Dave) Sauchyn, coordonnateur de la recherche, Collectif des Prairies pour la recherche en adaptation : Je vais m’intéresser à cet ensemble-ci de diapositives. Je crois que vous avez tous une copie de cet exposé.

La première diapositive définit notre Collectif des Prairies pour la recherche en adaptation, qui est notre centre de recherche sur les changements climatiques à l’Université de Regina. Le PARC a été créé il y a 20 ans par le gouvernement du Canada. Au cours des 20 dernières années, nous avons travaillé abondamment avec l’industrie agricole, en fournissant la science qui lui permet de s’adapter aux changements climatiques.

La prochaine diapositive est une citation du Canadien Pacifique. C’est une des nombreuses citations ou observations qui donnent à penser que c’était un hiver froid. Dans ce cas, le CP utilise les conditions rigoureuses. C’est la façon dont il décrit l’hiver. Il utilise notre hiver rigoureux qui vient de se terminer pour expliquer son incapacité à déplacer tout le grain des Prairies. L’hiver était-il vraiment rigoureux?

La prochaine diapositive montre un tableau de températures hivernales minimales à Regina qui remonte jusqu’à l’année 1900. L’hiver dure 3 mois ou environ 90 jours. J’ai utilisé la température minimale moyenne pour ces 90 jours pour chaque année. Ce triangle représente l’hiver que nous venons de connaître. Si votre expérience s’est limitée aux 30 dernières années, il s’agissait d’un hiver plus froid que d’habitude. Si vous comparez ce triangle aux années 1970, 1960 et 1950, on parlerait d’un hiver moyen. Si vous remontez encore plus loin jusqu’à la première partie du XXe siècle, on parlerait d’un hiver chaud.

Le réchauffement de notre hiver est une des données probantes les plus claires indiquant que notre climat change dans les Prairies. Notre climat est beaucoup moins froid. Bien sûr, c’est un phénomène mondial.

La prochaine diapositive provient du gouvernement américain. Malheureusement, elle n’a pas été imprimée en couleur, contrairement à l’originale. En réalité, chaque mois depuis les années 1980 a été plus chaud que la moyenne.

Vous pourriez faire valoir que le climat change toujours. Est-ce inhabituel? Nous pouvons situer les changements climatiques récents, le réchauffement des 30 dernières années, dans le contexte des 2 000 dernières années. La prochaine diapositive présente les résultats d’une étude qui vient d’être publiée. Nous nous sommes désignés comme un consortium, parce qu’il y a 98 auteurs. Plutôt que d’énumérer les 98 auteurs, nous nous sommes appelés « consortium ».

Nous avons recueilli des variables de température d’environ 700 lieux de partout dans le monde. Il existe quatre types de variables de température. Si vous regardez n’importe lequel de ces quatre graphiques, de gauche à droite depuis l’année 0 jusqu’à l’année 2000, vous pouvez voir que les températures dans le monde ont diminué lentement jusqu’à il y a environ 150 ans, lorsqu’il y a eu un reversement des températures mondiales, et elles ont augmenté rapidement depuis ce moment. Eh bien, les humains ont commencé à brûler du charbon, du pétrole et du gaz il y a 150 ans.

On cite cette étude comme une des meilleures indications selon lesquelles notre climat mondial change rapidement et comme résultat des activités humaines. Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir? Nous n’avons pas de renseignements en ce qui concerne l’avenir. Par conséquent, nous devons utiliser des modèles. La prochaine illustration montre deux types de modèles, soit ceux qui simulent le climat du monde entier et ceux qui simulent le climat d’une petite région. C’est ce genre d’information qui est contenue dans l’Atlas climatique des Prairies au Centre du climat des Prairies que M. Blair décrivait.

Je vais vous montrer certains des extrants, d’abord, à partir des modèles sur les changements climatiques. L’hiver se trouve à gauche, et l’été, à droite. Le changement de la température est indiqué sur l’axe de gauche. Le changement des précipitations apparaît sur l’axe horizontal. Il s’agit du passé récent jusque vers le milieu du siècle.

On voit essentiellement que les hivers deviennent beaucoup plus chauds et humides et que cette tendance se maintiendra. Les étés deviennent aussi plus chauds, mais probablement plus secs. Même une augmentation des précipitations de 10 à 15 p. 100 n’est pas suffisante pour compenser l’évaporation à laquelle nous nous attendons dans un climat plus chaud.

Cela concorde essentiellement avec ce que M. Blair disait. C’est le scénario le plus élémentaire. Au cours d’une année moyenne, nous pouvons nous attendre à un hiver plus court et à un été plus long. Par conséquent, de nombreux universitaires, commentateurs et scientifiques disent que c’est bon pour le Canada. Notre hiver raccourcit. Notre été allonge.

En moyenne, c’est une bonne chose, mais la prochaine diapositive montre que les Prairies, dans l’Ouest canadien, connaissent rarement une année moyenne. Le taux d’humidité fluctue d’une année à l’autre, passant de positif à négatif. Les agriculteurs disent souvent : « Nous avons ou bien des années humides ou bien des années sèches; nous n’avons rien entre les deux. » Voilà l’appui scientifique pour cette observation.

Si vous comparez le passé jusqu’à l’an 2000 et, à gauche, jusqu’à l’avenir qui commence en 2040 et va vers la droite, regardez comment la plage de l’humidité devient de plus en plus grande. Une des conclusions scientifiques les plus robustes ou importantes, c’est que les années humides deviennent plus humides et que les années sèches deviennent plus sèches. C’est le défi auquel l’agriculture fera face.

La prochaine diapositive représente un point de vue emblématique de l’Amérique du Nord, qui montre qu’elle est entourée d’eau. La raison pour laquelle nous, dans les Prairies, connaissons des années humides ou des années sèches, c’est que notre eau ne vient pas d’ici. Elle vient de l’océan. Elle vient de milliers de kilomètres à la ronde. Parfois, elle arrive jusqu’à nous, et parfois, non. Comme résultat du réchauffement de la planète, nous réchauffons les océans, et ils produisent plus de vapeur d’eau. Lorsqu’il y a bel et bien des nuages et de la pluie, il y en a plus que par le passé. Lorsqu’il n’y a pas de nuages et de pluie, c’est plus sec, parce que notre climat est plus sec. C’est essentiellement ce qui explique comment les années humides deviennent plus humides et les années sèches, plus sèches.

Voici une image du sud de Calgary, où l’on voit les montagnes. Ce genre de variabilité d’une année à l’autre est en réalité préservé dans le paysage, parce que ce paysage a été révélé par les glaciers il y a environ 12 000 ans. À l’Université de Regina, nous avons un laboratoire où nous avons recueilli 6 000 morceaux de vieux bois, parce que la croissance des arbres est une indication de l’eau. Nous avons été en mesure de déterminer la quantité d’eau qui s’était retrouvée dans le bassin de la rivière Saskatchewan chaque année jusqu’à l’an 1108. C’est le tableau que vous voyez.

Vers le bas, ce sont les années sèches. Si vous regardez vers la droite, vous pouvez voir les années 1930. Elles étaient sèches, mais absolument pas aussi sèches que les sécheresses qui ont précédé l’établissement des Prairies.

Le pire avenir possible pour l’agriculture, en fait, pour le Canada, c’est qu’une de ces sécheresses qui ont duré 30, 40 ou 50 ans se produise dans l’avenir, mais dans un climat beaucoup plus chaud que dans le passé. Nous devons nous préparer à cette éventualité.

Nous avons récemment mené un projet, financé par le gouvernement fédéral, où nous avons examiné l’agriculture dans cinq pays différents : quatre en Amérique du Sud et un dans l’Ouest canadien. Nous avons communiqué ces renseignements aux agriculteurs. Il y a ici une diapositive de notre rencontre avec des agriculteurs et des éleveurs, dans des salles de réunion et à la ferme, où nous leur avons fourni l’information dont nous disposions au sujet du passé et de l’avenir du climat dans les Prairies. Voici ce qu’ils nous ont dit.

La dernière diapositive présente certains des commentaires et des recommandations d’agriculteurs et d’éleveurs. Nous avons reçu beaucoup de conseils de leur part, comme vous vous en doutez sûrement. Voici les commentaires qui concernaient la politique sur la gouvernance. Ils nous ont dit qu’ils reconnaissaient que, dans le cadre des changements climatiques, ils devaient se préparer, mais il y a des limites à ce qu’un agriculteur peut faire. Ainsi, ils reconnaissent la nécessité de la planification, des institutions et des administrations locales et des gouvernements fédéraux. Ce dont ils ont vraiment besoin, c’est d’un accès à un certain type de réseau de coordination des intervenants, des chercheurs et de tous les ordres de gouvernement. Il doit y avoir un certain type d’organisme qui fait le lien entre la science et les préoccupations des gens locaux.

En fait, un organisme du gouvernement fédéral qui faisait précisément cela a existé pendant 70 ans. Il a été éliminé il y a environ cinq ans. J’ai parlé récemment à un député très éminent des Prairies qui aime à dire : « La chose la plus brillante que le gouvernement du Canada ait jamais faite a été de créer l’ARAP. La chose la plus stupide qu’il ait jamais faite a été de l’éliminer. » Nous n’avons plus cet organisme gouvernemental qui fait le lien entre la science et les gens sur le terrain.

Je vous laisse avec une dernière diapositive, une diapositive de conclusion qui montre les occasions que le réchauffement climatique présente pour l’agriculture, mais aussi les défis. Merci.

La présidente : C’est fantastique, merci. Pour partir le bal avec les questions, je demanderais à notre vice-président, le sénateur Maltais.

[Français]

Le sénateur Maltais : Ma première question s’adresse à M. Blair. Dans votre déclaration, vous avez mentionné que les trois provinces des Prairies n’ont pas de réglementation sur la conservation de l’eau, soit recueillir l’eau de pluie pour la distribuer lors des périodes de sécheresse.

Le gouvernement de chacune de ces trois provinces envisage-t-il d’instaurer une réglementation sur la conservation de l’eau, qui pourrait être utile aux agriculteurs?

[Traduction]

M. Blair : Merci de poser la question. Je n’ai pas dit qu’il n’y avait pas de capacités dans les provinces des Prairies ou les provinces de l’Ouest pour emmagasiner de l’eau. À mon avis, nous devrons en faire davantage dans l’avenir. Il y a des réseaux de réservoirs. Il y a des fosses-réservoirs. Il y a des réseaux locaux.

Compte tenu des défis que présente l’avenir, du cycle des sécheresses dont M. Sauchyn a parlé, des nombreuses humidifications au cours de l’année et de l’extrême variabilité des précipitations, beaucoup de personnes, dont certaines que vous avez peut-être entendues aujourd’hui, croient que nous devons renforcer ou améliorer la capacité d’égaliser le cycle hydrologique, essentiellement être prêts à ces sécheresses particulièrement longues. M. Sauchyn dit depuis longtemps que nous allons finir par en avoir, et ce sera assurément le cas. Nous ne savons seulement pas quand cela arrivera.

L’humidification du climat se produit dès aujourd’hui. Il me paraît logique d’améliorer notre capacité d’égaliser les extrêmes hydrologiques, de sorte que les agriculteurs et quiconque a besoin d’eau puissent gérer ces extrêmes lorsqu’ils surviennent.

[Français]

Le sénateur Maltais : Vous avez également abordé la question de la prolongation des saisons qui pourrait même entraîner la production d’une récolte de plus par année. Par contre, il y a des saisons de pluie plus longues, des saisons sèches plus longues.

Est-ce que cela comporte des avantages ou tout simplement des désavantages?

[Traduction]

M. Blair : Oh non, ce n’est pas une série de désavantages. Il y a assurément des avantages à une longue saison de croissance. Les étés ou les saisons sans gel, comme nous les appelons, sont beaucoup, beaucoup plus longs maintenant qu’ils l’étaient à la fin du XIXe siècle, par exemple, lorsque les pionniers sont arrivés dans l’Ouest canadien. Il y a des semaines et des semaines de capacité de croissance supplémentaires. Il y en a davantage qui se profilent à l’horizon, peu importe le scénario de carbone que nous avons. Le fait de savoir si cela va se traduire par une capacité augmentée de doubler les récoltes dépend de la culture.

Absolument, si on fait fi de tout le reste, une longue saison de croissance signifie une plus grande capacité pour les cultures et possibilité de récoltes, tant et aussi longtemps qu’il y a de l’eau et de l’engrais. Et tant et aussi longtemps qu’il y a des parasites qui aimeront, bien sûr, la saison de croissance chaude, la chaleur et le système climatique. Il ne fait aucun doute que les parasites agricoles deviendront de plus en plus problématiques. Cela indique peut-être que nous devrons employer une stratégie différente ou améliorée pour nous en occuper.

Pour répondre à votre question, absolument, il y a des avantages, tant et aussi longtemps qu’ils ne sont pas limités par les extrêmes périodiques dont M. Sauchyn parle, particulièrement ceux qui concernent la pénurie d’eau souterraine ou d’eau de surface. Il y a assurément des occasions. Je ne veux pas mettre l’accent uniquement sur les aspects négatifs. Il y a des aspects positifs, mais à long terme, ce sont les aspects négatifs qui sont les facteurs limitants. Ils peuvent vraiment détruire le système agricole. Ils peuvent vraiment détruire l’économie à un point tel qu’elle ne sera pas aussi résiliente qu’elle souhaite l’être, à moins que nous nous y préparions.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci.

Monsieur Sauchyn, j’ai regardé attentivement votre carte. Est-ce qu’on peut l’étendre à l’Amérique du Nord?

[Traduction]

M. Sauchyn : Les cartes ont été fournies par M. Blair.

M. Blair : Vous aimeriez voir les cartes pour avril, à tout le moins, et pour l’ensemble des…

[Français]

Le sénateur Maltais : Ce qu’on retrouve au Canada, est-ce une partie de l’Amérique du Nord? Avez-vous extrapolé jusqu’au Brésil?

[Traduction]

M. Blair : C’est une très bonne question. En tant que géographes, nous sommes terriblement frustrés par les frontières artificielles qui sont mises sur les ensembles de données. Bien sûr, le climat des grandes plaines de l’Amérique du Nord est un continuum. Les données que nous utilisons dans notre atlas s’appliquent uniquement au paysage canadien.

Toutefois, je dirai que nous avons un autre ensemble de données qui regroupe l’ensemble de l’Amérique du Nord et n’est pas produit par Environnement Canada ni par le PCIC. Il s’agit de l’ensemble de données AdaptWest. Il produit essentiellement les mêmes données, mais à une résolution différente. Il produit des données mensuelles, tandis que les données du PCIC sont quotidiennes. Cela nous permet de calculer des choses comme le nombre de jours de la saison sans gel entre cette date-ci et cette date-là. Il montre la même chose.

Je peux obtenir une partie de ces données pour vous. Je pense que nous en avons produit une certaine partie. Nous avons utilisé ces données. Ce matin, Dan Mazier, de KAP, a été très aimable lorsqu’il a parlé de l’atlas. Dans le document qu’il a présenté, il a souligné comment nous pourrions connaître, dans l’avenir, des étés comme ceux qu’ont connus le Kansas ou le Nord du Texas. Cela provient de notre analyse, où nous avons demandé : « Si la température devient aussi chaude à Winnipeg ou à Calgary dans l’avenir, qui a ce climat en ce moment? » Nous faisons des analogies climatiques. Nous utilisons les données d’AdaptWest pour le faire. Nous sommes en mesure de le faire, parce que c’est un ensemble de données nord-américain, mais qui n’est pas extrapolé jusqu’au Brésil. Les ensembles de données tendent à être segmentés entre les régions, selon ceux qui ont payé pour les obtenir.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je vais revenir sur mes cours de géographie du primaire. Ça va vous ramener très loin dans votre vie et dans la mienne.

Au Québec, à l’époque où on étudiait la géographie et un peu l’agriculture, le blé devenait mûr après 90 jours. On disposait de 90 jours pour le récolter. En Ontario, c’était 100 jours, soit 10 jours de plus qu’au Québec. Dans l’Ouest, c’était 120 jours. Aujourd’hui, est-ce encore le cas?

[Traduction]

M. Blair : Je ne suis pas agriculteur. Je ne connais pas les dates de maturation pour les différents types de cultures, mais je sais que la chaleur est un facteur limitant. S’il y a de la chaleur qui n’est pas limitée par la disponibilité de l’eau ni touchée par d’autres choses, cela devrait arriver à maturité plus vite.

La communauté agricole est très opportuniste. Elle sélectionne des variétés de cultures qui vont arriver à maturité durant le temps qui lui est imparti, en moyenne. Les agriculteurs que KAP représente, par exemple, sont très souples et s’assurent que les variétés qu’ils utilisent conviennent au climat actuel. Je n’ai aucun doute qu’ils changeront leurs variétés. La recherche dont on a parlé s’intéresse à de nouvelles cultures ou à l’importation de nouvelles variétés de cultures de différentes régions, pour qu’il y ait une bonne correspondance entre le climat et la culture. Ce genre de recherche doit assurément continuer.

[Français]

Le sénateur Maltais : Si on compare les températures, disons, en remontant 150 ou 200 ans en arrière, est-ce que c’est cyclique? Il y a 10 ou 15 ans de température normale, puis une sécheresse. On revient, puis une autre saison de pluie. Est-ce cyclique et constant ou est-ce que cela a évolué au cours des dernières années? Le CO2 existe partout dans le monde. Il existe chez nous, bien sûr. M. Sauchyn l’a mentionné avec l’arrivée du charbon, du gaz et du pétrole brut. Est-ce cyclique ou est-ce attribuable uniquement à l’arrivée du charbon et du pétrole lourd?

[Traduction]

M. Blair : Eh bien, je dois dire que le type de changements du système climatique dont nous parlons aujourd’hui et les changements climatiques décrits dans les projections sont causés par les émissions de gaz à effet de serre produites par l’activité humaine. La principale cause de ces changements est sans équivoque liée aux émissions de dioxyde de carbone, qui se sont beaucoup intensifiées depuis 150 ans. On dit généralement que c’est en 1750 que la révolution industrielle a commencé. Après un certain temps, les émissions de carbone produites par le charbon, le gaz et le pétrole ont fini par s’accumuler. Elles se sont accumulées à un rythme épouvantable. Nous émettons chaque année dans l’atmosphère 37 milliards de tonnes de dioxyde de carbone. Si nous continuons ainsi, nous atteindrons le RCP 8.5.

Nous sommes responsables, mais je reconnais que la variabilité du système climatique est en partie naturelle. Le signal anthropique submerge tout cela, à l’échelle mondiale et à l’échelle locale. M. Sauchyn a peut-être lui aussi une opinion sur le sujet.

M. Sauchyn : Sur la diapositive que je vous ai montrée, qui vient d’une publication récente, vous voyez des cycles. Vous avez probablement entendu parler, par exemple, d’El Niño et de La Niña. Pendant le phénomène El Niño, lorsque l’eau des océans se réchauffe le long de l’équateur, nos hivers sont en général plus doux. Pendant le phénomène La Niña, comme cette année, nous avons en général des hivers plus froids. Les différences d’une année sur l’autre sont le résultat de cette circulation et de la chaleur emmagasinée ou libérée par l’océan Pacifique.

La tendance dominante dans tous ces graphiques, c’est le renversement des températures d’il y a 150 ans environ. Le seul facteur à quoi on peut l’attribuer, c’est le changement de la composition chimique de l’atmosphère, causée par les êtres humains.

La sénatrice Gagné : Je crois que le gouvernement du Canada a l’intention de créer le Centre canadien de la modélisation et de l’analyse climatique. Avez-vous déjà entendu parler de ce nouveau centre canadien?

M. Blair : Il y a à Victoria un centre qui s’appelle le CCMAC. Il y a un centre d’une très bonne réputation internationale, un centre très respecté, à l’Université de Victoria. Il produit les types d’extrants de modèles qui sont intégrés à ces analyses, c’est certain. Vous faites peut-être référence à quelque chose d’autre.

La sénatrice Gagné : Ça se peut. Je regarde l’analyste de la Bibliothèque du Parlement pour savoir s’il s’agit de la même chose. C’est un nouveau centre qu’on a l’intention de créer.

M. Blair : Je crois que vous voulez parler du Centre canadien des services climatiques. Il tente de réunir les données dont il dispose de façon que les gens puissent y avoir accès. En fait, nous collaborons avec lui.

La sénatrice Gagné : Vous collaborez avec lui. Je suis allée sur votre site web; Aïcha, notre analyste, affirme que, dans le nouveau budget, le gouvernement du Canada dit vouloir créer un centre canadien de la modélisation et de l’analyse climatique, qui pourra compiler les données sur les changements climatiques et faciliter le processus décisionnel touchant les activités d’adaptation aux effets potentiels des changements climatiques. Je me demandais tout simplement si vous alliez y participer.

M. Blair : Oui. Le Centre du climat des Prairies est très heureux d’avoir reçu récemment du financement d’ECCC, du bureau de la ministre McKenna.

La sénatrice Gagné : Oui.

M. Blair : L’annonce n’a pas encore été faite, mais, depuis plusieurs mois, nous travaillons en étroite collaboration avec ce centre, et nous y prenons un immense plaisir.

La sénatrice Gagné : Il s’agit d’audiences publiques, et c’est pourquoi l’annonce n’a pas encore été faite.

M. Blair : Dans un mois.

La sénatrice Gagné : Je voulais vous féliciter pour votre site web, qui est très convivial. Ce sera un excellent outil pour les enseignants. J’ai vraiment eu du plaisir à le parcourir. Félicitations.

M. Blair : Merci beaucoup. Vous n’avez encore rien vu. Si nous en avons le temps, je vais vous montrer le nouveau, qui n’est pas encore en ligne. Il est 10 fois mieux. L’équipe est tout simplement formidable. Le Centre du climat des Prairies compte cinq employés à temps plein, grâce au financement de la province du Manitoba et d’ECCC.

C’est un site remarquable pour tout le Canada. Il cible les enfants, les enseignants, les citoyens, les chefs d’entreprise, les membres du gouvernement et les agriculteurs. Nous en sommes terriblement fiers. Nous allons organiser un grand événement, et nous espérons pouvoir le faire à la fin du mois d’avril.

La sénatrice Gagné : C’est très utile.

M. Blair : J’apprécie vos commentaires.

La sénatrice Gagné : On pose une question intéressante sur le site web : comment pouvez-vous faire des prévisions climatiques si vous ne pouvez même pas faire des prévisions météorologiques? Je vous pose la question.

M. Blair : Ce sont deux choses différentes. La météo, en général, ne concerne que les deux ou trois prochains jours. De manière générale, les prévisions météorologiques les plus longues, au Canada, concernent environ 14 jours, sauf les prévisions expérimentales. On s’attend à ce que ces prévisions soient exactes, presque à l’heure près. Le but, c’est de donner aux citoyens des informations sur les conditions atmosphériques auxquelles ils doivent s’attendre pendant les jours qui viennent.

Les modèles climatiques ne cherchent pas à prédire le temps qu’il fera le 5 juillet 2051. Ils servent à décrire les conditions moyennes dans l’avenir. Vous pouvez réunir des données pour une année ou pour plus de 10 ans, pour 20 ans ou pour 30 ans. Cependant, vous ne devez jamais penser que ces données équivalent à des prévisions météorologiques. Il s’agit de prévisions climatiques. Nous préférons d’ailleurs ne pas utiliser le mot prévisions, car il dénote une précision que nous ne cherchons même pas. Je ne suis pas un modélisateur. Je suis un utilisateur de données modélisées.

Les modèles climatiques et les données du modèle climatique que nous présentons doivent être regroupés, car c’est ainsi qu’on peut voir quelles seront les conditions moyennes touchant la température, les précipitations, les vagues de chaleur, les extrêmes et ainsi de suite.

Ensuite, le climatologue interprète les nuances pour expliquer ce que tout cela veut probablement dire; il se fonde sur des recherches, il ne se contente pas de deviner. Il s’intéresse à la fréquence des événements extrêmes et à tout ce qui constituera un problème, dans l’avenir. C’est là justement une chose que bien des citoyens ne comprennent pas ou ne saisissent pas. C’est ce qui les amène à se montrer sceptiques, peut-être. Si vous ne pouvez pas prévoir la température avec efficacité, comment pouvez-vous prévoir le climat? Ce sont deux choses différentes, sur le plan géographique et sur le plan du temps. C’est toutefois une magnifique question.

La sénatrice Gagné : J’aimerais revenir sur l’une de vos diapositives. L’ARAP, est-ce que c’est l’Administration du rétablissement agricole des Prairies?

M. Blair : C’est exact.

La sénatrice Gagné : Bien sûr, cette entité a été éliminée il y a cinq ans et n’a pas été remplacée par un autre organisme de coordination; il n’y a rien.

M. Sauchyn : C’est exact.

La sénatrice Gagné : Qu’est-ce qui se fait actuellement pour relier la science aux intérêts et préoccupations des agriculteurs?

M. Sauchyn : Selon les agriculteurs que nous avons interrogés, il ne se fait pas grand-chose. Depuis la disparition de l’ARAP, on utilise davantage une approche ponctuelle lorsqu’il faut donner aux agriculteurs de l’information de nature scientifique. L’ARAP comptait du personnel dans les régions. Elle avait des bureaux dans les petites villes, un peu partout dans les Prairies. Les agriculteurs pouvaient s’adresser au bureau local de l’ARAP et obtenir des conseils sur la gestion des cultures, des terres et des eaux. L’ARAP est pris pour exemple à suivre, dans le monde entier, peut-être, de l’adaptation d’une institution à un phénomène climatique.

C’est à la suite de la sécheresse et des ravages des années 1930 que le gouvernement a créé l’ARAP pour rétablir le paysage agricole des Prairies. Comme tout bon organisme gouvernemental, une fois le but atteint, l’ARAP s’est trouvée un nouveau mandat, à savoir de collaborer avec les agriculteurs pour assurer la durabilité des activités agricoles dans les Prairies. Il a incroyablement bien réussi, peut-être même trop bien.

La sénatrice Gagné : Merci de nous faire cette recommandation.

Le sénateur R. Black : On a assez bien répondu à ma question. Vous nous avez dit qui utilisait à l’heure actuelle le site web. Je ne suis pas allé le consulter, mais j’ai bien hâte de pouvoir le faire.

D’où viennent les visiteurs? Du Manitoba seulement ou de toutes les Prairies?

M. Blair : Pour le moment, uniquement des Prairies. Les visiteurs viennent de ces trois provinces, du Nord et du Sud, de l’Est comme de l’Ouest.

Le sénateur R. Black : Combien y a-t-il de visiteurs ou d’accès?

M. Blair : Nous faisons un suivi à l’aide de Google Analytics. C’est un outil qui est utilisé partout dans le monde. Les écoliers et les enseignants sont nombreux à l’utiliser. Toutefois, et il est important de le souligner, des représentants municipaux l’utilisent eux aussi.

L’atlas des Prairies actuel vous permet entre autres, si vous cliquez sur n’importe quelle municipalité rurale ou n’importe quel comté d’une des provinces des Prairies, d’obtenir les prévisions moyennes pour votre ville ou votre région. C’est une caractéristique que nous avons tenu à avoir. Quand nous parlons de changements climatiques, nous parlons de l’augmentation de la température à l’échelle du globe. Tout est très important. Nous parlons aussi des températures moyennes au Canada. Si nous voulons que les gens, peu importe d’où ils viennent, prennent la chose au sérieux et réagissent, il faut que les données soient pertinentes pour eux.

Nous essayons de personnaliser, comme on dit, les données sur le climat. Dans l’atlas actuel, vous pouvez sélectionner n’importe quel comté de l’Alberta ou n’importe quelle municipalité rurale de la Saskatchewan et du Manitoba. Si vous nous soumettez un fichier de formes quelconque sur une région qui vous intéresse, la limite d’un bassin hydrographique ou un milieu autochtone, nous pouvons vous donner les 12 modèles climatiques qui devraient se réaliser au cours des 30 prochaines années et des 30 années suivantes, selon les deux scénarios.

Nous sommes très heureux de voir que, même si nous n’avons pas publié un nouvel atlas, nous recevons des appels de la ville de Selkirk, nous recevons des appels de la Saskatchewan, de l’Alberta, de Premières Nations, qui veulent des conseils et de l’aide pour leurs stratégies d’adaptation. Les mesures d’adaptation sont constantes, ici, au Canada, mais nous estimons que, dans une large mesure, elles sont limitées par les données et l’expertise accessibles à l’échelle locale.

L’une des missions du Centre du climat des Prairies consiste à régionaliser, voire à personnaliser les données de façon que les gens qui vivent à un endroit donné puissent savoir ce que cela signifie pour eux et pour leurs enfants. Lorsqu’ils ont les données en main, ils peuvent y réfléchir et se poser les questions suivantes : qu’est-ce que cela veut dire pour l’infrastructure de ma municipalité? Qu’est-ce que cela veut dire pour les niveaux d’eau, la vie aquatique et la vie sauvage, dans ma collectivité? Nous sommes certains que le nouvel atlas sera encore plus efficace à cet égard.

Le sénateur R. Black : Quand pourrais-je aller voir ma ville natale de Fergus, en Ontario, dans le nouvel atlas?

M. Blair : Pour le moment, le nouvel atlas fournira des cartes à une échelle de 1 sur 250 000. Cela représente 100 kilomètres sur 100 kilomètres.

Le sénateur R. Black : Quand sera-t-il prêt?

M. Blair : C’est la question. C’est une cible mobile. Nous sommes aujourd’hui le 21 mars. Nous espérons maintenant qu’il sera prêt le mois prochain.

Le sénateur R. Black : J’ai vraiment hâte de le voir. Comment pourrions-nous remettre sur pied l’Administration du rétablissement agricole des Prairies, monsieur Sauchyn?

M. Sauchyn : Je suis presque certain qu’il ne sera jamais remis sur pied, puisque les gouvernements n’ont pas tendance à faire ça. Il ne sera pas non plus remplacé. Nous avons d’ailleurs perdu toute cette capacité. Des centaines et des centaines de scientifiques, d’ingénieurs et d’analystes des politiques ont travaillé pour l’ARAP pendant de nombreuses décennies. Ils ont perdu leur emploi, alors ils sont passés à autre chose. Dans bien des cas, ils ont quitté le pays et ont été embauchés par les États-Unis.

Je n’arrive pas à croire qu’il sera remplacé, mais il faudra que quelque chose comble le vide, étant donné que les gouvernements ont pour mandat de faciliter l’adaptation aux changements climatiques. Nous savons que certains organismes comblent ce vide, mais pas dans la mesure nationale et avec la coordination qu’offrait l’ARAP.

La présidente : Revenons brièvement sur les renseignements que vous nous avez présentés, organisés en plus de 41 points, monsieur Blair. Au 40e point, vous avez dit, et c’est très important, que nous devons travailler avec acharnement, à l’échelle locale, nationale et internationale, pour réduire le volume total de nos émissions afin de réduire au minimum le risque général.

J’envisage les choses principalement du point de vue du gouvernement du Canada, parce que c’est à lui que nous fournissons des conseils. Je sais que d’autres ordres de gouvernement sont concernés, mais le gouvernement du Canada a essentiellement à sa disposition une trousse qui comprend deux outils importants. Le premier, ce sont les instruments de réglementation, mais puisque, la plupart du temps, ce sont les gouvernements provinciaux qui s’occupent de l’aménagement du territoire, il s’agit davantage d’une responsabilité provinciale ou municipale. Le deuxième outil du gouvernement du Canada, ce sont les instruments économiques avec lesquels il peut encourager ou décourager certains comportements.

Sachant cela, quelles seraient à votre avis les deux mesures les plus importantes que le gouvernement du Canada pourrait prendre en ce qui concerne les changements climatiques?

M. Blair : Ouf! Je soutiens fermement et depuis longtemps la taxe sur le carbone. Premièrement, si nous nous retrouvons face à ce dilemme, c’est que nous n’avons pas payé pour tout ce qui a causé ces dommages. Les pollueurs n’ont pas payé. C’est un peu gênant de le dire, mais une taxe, c’est important. Je félicite le gouvernement Trudeau d’avoir imposé cette taxe, et je félicite le gouvernement Pallister, dans ma province natale, de l’avoir imposée. Selon nous, c’est une étape importante.

Est-ce que les montants sont ceux qu’ils devraient être? En tant que climatologue, j’affirme qu’on est loin du compte. Les taxes sur le carbone sont loin d’être ce qu’elles devraient être par rapport aux coûts connexes de l’adaptation et aux répercussions des phénomènes extrêmes, et ainsi de suite, à l’échelle nationale et à l’échelle internationale. Les répercussions des émissions de carbone se feront sentir encore longtemps.

Il est vraiment important, bien sûr, que l’argent recueilli auprès des contribuables serve surtout à réduire les émissions. L’objectif, c’est de réduire les émissions. L’atténuation est importante. L’instrument économique que représentent les taxes sur le carbone doit servir à investir dans la réduction des émissions. Cela se fait déjà en partie, c’est certain, mais il faut que cela se fasse davantage, c’est aussi certain; il faut mener des recherches et assurer l’écologisation de l’économie, ce qui en soi réduira les émissions.

Deuxièmement, je dirais que le leadership est important. Je suis certainement plus satisfait qu’il y a plusieurs années quant aux dirigeants du Canada. Je félicite le gouvernement fédéral et la plupart des gouvernements provinciaux, qui ont fait des progrès dans ce dossier, mais il faut que les échelons municipaux en fassent également. Les maires du Canada et les décideurs de tout acabit doivent prendre position et prendre la décision parfois difficile d’investir dans des changements qui amèneront une réduction des émissions. Vous avez entendu les représentants des agriculteurs, ce matin. Ils ont été nombreux à me dire qu’ils avaient la volonté et la capacité de participer et de changer leurs façons de faire afin de capter le carbone et de réduire leurs émissions.

Il faut que quelqu’un prenne la décision d’aller de l’avant; c’est pourquoi nous avons toujours besoin de dirigeants courageux, à l’échelle locale, régionale, nationale et internationale, qui soient prêts à le faire, parce que nous accusons un important retard.

Nous nous dirigeons malheureusement assez vite vers le scénario à fortes émissions, le RCP 8.5 dont j’ai déjà parlé. Les changements comme ceux que cela imposera aux Canadiens, sans parler des gens du monde entier qui sont beaucoup plus vulnérables que nous le sommes, sont catastrophiques et absolument indésirables.

Il nous faut prendre quelques décisions rapidement et nous battre pour avoir le droit de prendre ces décisions. J’espère vous avoir aidés. Merci.

La présidente : Je remercie les témoins d’être venus ici aujourd’hui. C’était un plaisir de vous recevoir.

Mesdames et messieurs les sénateurs, j’ai maintenant le plaisir d’accueillir nos prochains témoins. Merci d’être venus à notre rencontre aujourd’hui. C’est un plaisir de vous accueillir. Nous sommes très satisfaits des témoignages que nous avons entendus jusqu’ici pendant notre voyage d’information, et nous nous attendons à des témoignages de la même grande qualité de votre part. Je veux juste vous rendre nerveux.

Je vais présenter les témoins. Nous accueillons M. Howard Wheater, professeur à l’Institut de sécurité de l’eau, Université de la Saskatchewan; M. Maurice Moloney, directeur général et chef de la direction du Global Institute for Food Security, Université de la Saskatchewan; et M. Stephane McLachlan, professeur au Département de l’environnement et de la géographie, Université du Manitoba.

Nous allons suivre l’ordre de présentation; vous avez donc le premier la parole, monsieur Wheater.

Howard Wheater, professeur, Institut de sécurité de l’eau, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Vous comprendrez probablement, à mon accent, que je suis arrivé assez récemment au Canada. Je suis arrivé en 2010 comme titulaire d’une chaire d’excellence en recherche du Canada.

J’ai fondé Global Institute for Water Security en 2011. C’est pertinent, puisque l’objectif était de réunir des intervenants de plusieurs disciplines pour qu’ils réfléchissent ensemble aux problèmes touchant l’eau et l’agriculture, à l’échelle de l’Université de la Saskatchewan. Notre principal objectif, à l’époque, était le bassin de la rivière Saskatchewan. La rivière Saskatchewan est vitale pour les Prairies.

En 2013, j’ai présidé un comité du Conseil des académies canadiennes, qui a déposé un rapport sur l’agriculture et l’eau. Je crois que vous avez vu ce document; il pourrait avoir de la pertinence pour vos séances.

En 2013 également, j’ai mis sur pied une équipe financée par le Programme de recherche sur le climat du gouvernement fédéral et chargée d’examiner les changements observés dans l’Ouest du Canada. Nous nous sommes ensuite intéressés au bassin de la rivière Saskatchewan, et nous avons inclus le fleuve Mackenzie, ce qui fait que nous avons étudié toute la région qui va de la frontière avec les États-Unis, au sud, jusqu’en Arctique.

Le projet prend fin ce mois-ci, et je peux donc vous communiquer des résultats encore inédits. Nous nous sommes intéressés essentiellement aux changements observés dans la région en essayant de les comprendre et d’améliorer notre capacité de faire des prévisions touchant l’avenir. Certaines de ces prévisions sont accessibles.

Le Changing Cold Regions Network réunit des représentants de huit universités et de quatre organismes fédéraux. Cela pourrait vous intéresser. Environnement et Changement climatique Canada est un partenaire clé, tout comme Agriculture et Agroalimentaire Canada, Parcs Canada et Ressources naturelles Canada. Le réseau compte une quarantaine de chercheurs principaux qui s’attachent aux problèmes des changements observés dans la région.

J’avais pensé vous parler un peu de certains des défis qui concernent l’eau et l’agriculture autour du bassin de la rivière Saskatchewan, dans le simple but de mettre en relief certains des problèmes actuels qui sont susceptibles de s’aggraver, dans l’avenir, lorsque le climat se réchauffera.

La première chose que j’aimerais souligner, c’est que l’irrigation est un enjeu très important pour le bassin de la rivière Saskatchewan. Dans le Sud de la Saskatchewan, 82 p. 100 des ressources en eau servent à l’irrigation. Dans le Sud de l’Alberta, toutes les ressources en eau sont attribuées; il n’y a aucune ressource en eau qui ne le soit pas. Nous vivons à une époque où les différents secteurs sont en concurrence pour l’eau.

La deuxième chose que je voulais souligner concerne la diapositive où l’on voit que les choses ont évolué assez rapidement, dans les Prairies. Vous avez entendu le témoignage de Dave Sauchyn et de ses collègues à ce sujet. J’ai présenté une série chronologique sur l’écoulement fluvial d’un bassin versant des Prairies, et, fait intéressant, on voit que l’eau s’écoule de la Saskatchewan vers le Manitoba. Vous y voyez au fil du temps un changement important de l’écoulement fluvial de ce bassin.

Il y a deux côtés à cette histoire. D’un côté, c’est que le climat a changé. Ces dernières années, nous avons vu dans les Prairies des inondations estivales inconnues jusque-là, puis des inondations dues à des précipitations plutôt que, comme c’était en général le cas, à la fonte des neiges chaque printemps. Bien sûr, le drainage agricole a aussi joué un très grand rôle dans tout cela. Environ 80 p. 100 des milieux humides naturels des Prairies ont probablement aujourd’hui été drainés.

Le drainage est un important enjeu. Il est évidemment bien utile aux agriculteurs qui veulent augmenter la superficie cultivable. Le drainage permet un meilleur accès aux terres à la machinerie, mais il réduit quelque peu la capacité naturelle de retenue. C’est pourquoi l’eau s’écoule en aval, ce qui entraîne en même temps des problèmes touchant la qualité de l’eau et aussi les éléments nutritifs.

La diapositive suivante concerne le problème des éléments nutritifs. Je crois que les Canadiens d’un océan à l’autre sont au courant du problème venant du fait que notre société met trop d’éléments nutritifs dans ses systèmes hydrographiques. C’est le principal problème de qualité de l’eau, un problème planétaire et envahissant, et tous les pays industrialisés y font face. Une superficie de 15 000 kilomètres carrés du lac Winnipeg a été couverte d’algues. Nous savons que le lac Érié, qui vient de se rétablir d’un problème de pollution par les éléments nutritifs, entame de nouveau une phase qui suppose d’importants problèmes de prolifération d’algues.

J’ai montré un petit diagramme du bassin de la rivière Saskatchewan Sud. Voici à titre d’exemple, Calgary, où nous sommes, sur la rivière Bow. Si nous nous déplaçons vers le nord, nous arrivons à la rivière Red Deer. Vers le sud, nous arriverons à la rivière Oldman. Ce sont les trois principaux affluents de la Saskatchewan Sud. Sur la diapositive suivante, nous voyons l’accumulation progressive du phosphore dans la rivière à mesure que nous suivons son courant.

Il y a une petite ligne rouge qui servait à l’Alberta de repère au chapitre de la qualité de l’eau et de la teneur totale en phosphore. Étant donné que les concentrations de phosphore étaient régulièrement beaucoup plus élevées, la province a éliminé ce repère.

Le phosphore et l’azote sont deux éléments problématiques quand on parle de l’eau et de l’agriculture. Le monde agricole doit relever quelques importants défis s’il veut améliorer son efficience et réduire au minimum les répercussions sur les systèmes aquatiques.

Il convient de souligner qu’une bonne partie du phosphore transporté par la Saskatchewan Sud se retrouve dans les sédiments du lac Diefenbaker. J’ajoute que Regina a été privée d’une partie de ses réserves en eau, il y a un an environ, parce que l’un de ses affluents, le lac Buffalo Pound, a été couvert d’algues.

Il y a eu des problèmes au chapitre de la quantité d’eau et du drainage agricole. Le climat change, et les témoins précédents vous l’ont dit de manière très éloquente. Les changements sont dramatiques. Nous avons perdu un ou deux mois de couverture de neige. Les hivers raccourcissent. Nous recevons davantage de pluie, mais moins de neige, cette neige fond plus tôt, et l’eau arrive plus rapidement dans les systèmes fluviaux.

Dans le Nord, on observe des changements très marqués en raison du dégel du pergélisol, qui constitue un problème non seulement pour l’infrastructure, mais aussi pour le paysage. Les paysages s’effondrent. Les forêts se transforment en marécages. Les circuits du paysage changent. Un phénomène vraiment spectaculaire a affecté la rivière Slims, au Yukon : le recul d’un glacier a fait que la rivière a changé de direction.

Nous avons entendu parler des phénomènes extrêmes, les inondations et les sécheresses. La sécheresse a aussi une incidence sur les incendies de forêt. Chaque année depuis quatre ans, des incendies majeurs se sont déclarés, et celui de Fort McMurray, qui a fait la manchette, est bien sûr le premier à venir à l’esprit. Un climat plus chaud est préoccupant en raison des phénomènes extrêmes, et des températures plus élevées ont de multiples conséquences, comme la poussière, les incendies et le manque d’eau.

Je ne veux pas m’étendre trop longtemps sur l’avenir du climat, parce que je crois que vous en avez déjà beaucoup entendu parler. J’attirerais cependant votre attention sur la diapositive suivante en disant que c’est une toute nouvelle façon d’examiner en détail les précipitations de l’avenir. La plupart des modèles climatiques arrivent assez bien à exposer la température. Ils montrent tous que le réchauffement du Canada est constant, mais ils n’arrivent pas très bien à exposer la situation au chapitre des précipitations. Avec le National Center for Research des États-Unis, nous avons réalisé entre autres projets une modélisation à très haute résolution du climat de l’avenir. Cela nous a permis de bien mieux observer en détail les montagnes et les précipitations, y compris les précipitations de convection. Nous avons quelques nouveaux produits assez enthousiasmants qui nous renseignent bien mieux sur la structure des précipitations qui tomberont à l’avenir sur l’Ouest du Canada. C’est un nouveau projet, et nous le mènerons pour l’ensemble du Canada l’année prochaine.

Nous avons mis au point des modèles qui nous permettent de prédire les répercussions des changements climatiques sur les principaux réseaux fluviaux. Ces résultats viennent tout juste de sortir. Ils ont été publiés il y a environ une semaine. Ils ne sont pas encore bien compris, mais ils montrent que nous nous attendons à ce que le climat soit plus chaud et plus humide, en moyenne, ce qui amènera un écoulement fluvial plus hâtif. Nous pensons pour le moment que les précipitations, en moyenne, excéderont l’évaporation accrue et que l’écoulement de certaines de nos rivières sera plus élevé.

Ces simulations pour la Saskatchewan comprennent des variations du climat. Elles ne comprennent pas encore de variations touchant l’utilisation des terres ou la gestion des eaux. Ce sera le cas le mois prochain. Si nous examinons les taux futurs d’humidité des sols, on s’attend à ce qu’ils augmentent, en moyenne, dans les Prairies.

La prochaine diapositive nous amène au bassin du Mackenzie, un énorme bassin fluvial de 1,8 million de kilomètres carrés. Il s’agit d’un bassin très complexe dont les eaux coulent vers le nord jusque dans l’Arctique. Il s’agit de l’un des affluents majeurs de l’océan Arctique. Ce qu’on nous montre ici, ce sont les effets des changements climatiques, puis ceux du changement prévu au chapitre de l’utilisation des terres.

La ligne bleue représente le climat actuel. La ligne orange, un climat plus chaud. La ligne mauve indique un climat plus chaud et tient compte des changements attendus au chapitre de l’utilisation des terres. J’ai inclus quelques diapositives pour vous montrer nos prévisions de ce qui est susceptible de se produire relativement à l’utilisation des terres.

Ces prévisions sont fondées, tout d’abord, sur une analyse du climat et de la capacité d’adaptation des cultures et des végétaux au climat changeant, ainsi que sur une compréhension des sols et du rythme auquel le changement pourrait avoir lieu dans l’écosystème.

Essentiellement, nous voyons les terres cultivables se déplacer vers le nord et remplacer les forêts mixtes décidues. Nous voyons les conséquences des incendies, qui entraînent le remplacement d’une partie de la forêt sempervirente par des prairies. Encore une fois, nous voyons des forêts sempervirentes être remplacées par des terres cultivables après l’incendie. Nous voyons des terres arbustives être supplantées par la forêt mixte après les incendies. Ensuite, dans le Nord, la toundra arbustive est susceptible de s’étendre.

Ce ne sont là que quelques points saillants de certains de nos travaux, qui pourraient être intéressants. Je voulais simplement conclure en vous présentant la diapositive au sujet de l’avenir des eaux à l’échelle mondiale. Nous sommes passés de travaux axés sur le bassin de la rivière Saskatchewan à une collaboration avec le Changing Cold Regions Network, qui a fait intervenir huit universités et quatre organismes fédéraux et a étudié l’Ouest du Canada. La prochaine étape consistera à étudier l’ensemble du pays. Nous offrons actuellement un programme très important appelé Global Water Futures. Il comprend 380 chercheurs de partout au Canada provenant de 18 universités et de 8 organismes fédéraux. On espère que plusieurs de ces projets donneront des résultats scientifiques qui vous intéresseront.

Il existe un programme agricole pancanadien. Des travaux détaillés ont été réalisés concernant l’avenir des forêts boréales, du paysage des Prairies, des montagnes et des grands bassins fluviaux du Canada. Merci beaucoup.

Maurice Moloney, directeur général et chef de la direction, Global Institute for Food Security, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Merci beaucoup, mesdames et messieurs les sénateurs, de me donner la possibilité de présenter des données probantes au comité aujourd’hui.

[Français]

Je peux m’exprimer en français et répondre aux questions en français plus tard. Pour les points clés, je préfère m’exprimer en anglais pour être plus rapide dans ma présentation.

[Traduction]

Je veux aborder cette discussion d’un point de vue légèrement différent. Je suis phytobiologiste et chercheur agricole. L’un des aspects sur lesquels je travaille, essentiellement, depuis 40 ans, c’est l’idée selon laquelle un végétal et un arbre sont des machines très complexes qui peuvent convertir le dioxyde de carbone atmosphérique en biomasse. Si vous écoutez mon exposé aujourd’hui, vous verrez qu’il devient extrêmement important que l’on tienne compte de nos émissions nettes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.

Je m’inquiète au sujet du vocabulaire parce qu’il est question de dioxyde de carbone en tant que polluant, ces temps-ci. Il ne s’agit pas d’un polluant dans le même sens que le dioxyde de soufre ou le monoxyde de carbone sortant du tuyau d’échappement d’une voiture. Il s’agit d’une partie absolument nécessaire de notre vie. Sans dioxyde de carbone dans l’atmosphère, nous aurions des problèmes bien plus graves que ceux auxquels nous faisons face actuellement, car il n’y aurait aucune vie sur la planète.

Je pourrais passer deux ou trois minutes à rétablir le statut du dioxyde de carbone, non pas dans le but de limiter l’inquiétude que nous causent les changements climatiques, mais pour nous amener à nous concentrer sur ce que nous tentons réellement d’obtenir, soit la réduction des émissions nettes dont nous sommes responsables et sur lesquelles nous pouvons influer grâce à des interventions.

Dans le monde de la science du climat, il est très clair que, même si les climatologues voient la situation de façon très holistique, lorsque nous en arrivons aux politiques, nous avons tendance à nous concentrer sur les quelque 8,4 gigatonnes de carbone qui sont libérées dans l’atmosphère par l’utilisation de combustibles fossiles. Il s’agit d’une très importante cible à réduire. Si nous songeons aux flux associés au passage de la terre à l’air et de la mer à l’air, les flux de dioxyde de carbone sont beaucoup plus importants que cela. Il s’agit de 100 à 150 gigatonnes de carbone provenant des océans et de la terre. Des perturbations à ce chapitre peuvent également avoir un effet énorme sur nos émissions nettes.

En réalité, ce que je tente de faire, c’est de vous faire comprendre le cheminement que j’ai dû suivre, c’est-à-dire que nous devons considérer l’agriculture non pas comme un problème à régler, mais plutôt comme une partie de la solution aux problèmes auxquels nous faisons actuellement face relativement au dioxyde de carbone atmosphérique causant les changements climatiques.

Il a été mentionné que, au cours des 150 dernières années — depuis la révolution industrielle —, nous avons vu les taux de CO2 augmenter dans l’atmosphère. Alors que nous observions ce phénomène, nous avons également commencé à voir le réchauffement net causé par les changements climatiques. Ce dont on parle moins souvent, c’est du fait qu’exactement durant la même période, nous avons également observé que le carbone avait un effet fertilisant. Nos arbres, nos forêts et, de fait, nos cultures végétales ont tous profité de l’augmentation des taux de dioxyde de carbone. Il y a en fait eu un avantage net pour la production alimentaire, la production de fibre et la production de bois d’œuvre en conséquence de ces changements.

Il est vrai que trop, c’est comme pas assez. Je comprends totalement qu’il puisse y avoir un point de bascule, mais, en réalité, là où je veux en venir, c’est que nous devons nous concentrer sur ce que font et peuvent faire les secteurs de l’agriculture et de la foresterie pour réduire les taux généraux de CO2 dans l’atmosphère à l’échelle mondiale.

Je ne parlerai pas du contenu des deux documents qui sont présentés dans ma diapositive. Si vous les lisez, vous allez vous rendre compte qu’il y a en fait eu, au cours des 50 dernières années, une augmentation nette de pas moins de 14 p. 100 de l’écologisation des pratiques d’exploitation forestière et de production agricole au chapitre de la création de la biomasse de carbone séquestré. Il s’agit en fait d’un changement très important, dans certaines régions en raison d’interventions et, dans d’autres, simplement parce que, dans le cas de notre forêt boréale, nous disposons d’une ressource naturelle qui continue de séquestrer le carbone.

Parmi les facteurs qui peuvent avoir une incidence sur l’équilibre carbonique, mentionnons des éléments comme la reforestation et les interventions comme l’agriculture sans labour dans les Prairies — et j’y reviendrai dans une minute —, la capacité de produire des cultures qui sont plus efficientes du point de vue des nutriments ou de l’eau et la capacité d’augmenter le rendement photosynthétique. De nombreuses recherches réalisées au cours des cinq ou six dernières années portent à croire qu’une telle augmentation est possible dans les champs des terres cultivables.

Je ferais également valoir que le Canada est un pays très spécial parce que sa population est relativement petite par rapport à sa masse terrestre, laquelle fait un travail vraiment très important pour corriger le taux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Si on prend des chiffres réels, la forêt boréale, par exemple, séquestre actuellement plus de 200 gigatonnes de carbone. C’est vraiment beaucoup plus que ce que nous émettons en une année. Par conséquent, le simple fait d’avoir une forêt boréale qui s’étend d’un bout à l’autre du pays nous permet d’absorber une grande quantité de CO2. On peut soutenir que nous aidons de nombreux autres pays dont les émissions nettes sont bien plus élevées que les nôtres grâce à l’absorption de ce dioxyde de carbone.

En agriculture, il y a eu des exemples très clairs d’interventions qui nous ont permis de réduire l’empreinte carbone des activités, et j’utilise la culture sans labour en guise d’exemple. Ce type d’agriculture a été rendu possible grâce à une intervention biotechnologique, à l’élaboration de cultures résistantes aux herbicides, en particulier du canola résistant aux herbicides. Cette agriculture est pratiquée dans toutes les régions où on cultive le canola au Canada et a entraîné la séquestration d’environ 22 mégatonnes de carbone par année. Il s’agit d’une contribution massive. Qu’est-ce que cela signifie, sur le plan urbain? Cela équivaut probablement au retrait de un à deux millions de voitures de la route, du point de vue des émissions. C’est une intervention qu’un agriculteur peut mettre en œuvre et qui peut avoir un effet très important sur nos émissions nettes.

Je fais des blagues avec un grand nombre de nos agriculteurs, dans les Prairies, à propos du fait que, si une taxe sur le carbone est instaurée et qu’ils séquestrent 22 millions de tonnes de carbone, ils doivent se demander quand le chèque arrivera par la poste. Prenons l’exemple d’une entreprise. Si les propriétaires d’une usine paient un certain prix pour le carbone parce qu’ils brûlent des combustibles fossiles, pour toute mesure d’atténuation qu’ils prennent — par exemple, piéger le dioxyde de carbone dans des conduits de cheminée et le liquéfier —, ils reçoivent un crédit carbone.

De fait, dans le cas de nos secteurs agricole et forestier, on considère qu’il s’agit davantage d’un service lié à l’écosystème. C’est ainsi, et nous le tenons pour acquis. C’est un peu comme la pollinisation des abeilles. Nous ne payons pas les abeilles pour polliniser. Elles sont tout simplement là. Les agriculteurs sont tout simplement là, ainsi que les forestiers, à absorber de grandes quantités de CO2.

Si nous adoptons un point de vue un peu plus holistique, nous pourrons faire ce que nous voulons vraiment faire, c’est-à-dire encourager un bon comportement. Une taxe sur le carbone dans un milieu urbain encouragera certainement un bon comportement. Achetez une voiture hybride ou peut-être électrique, ou bien achetez-en une petite, peu importe, mais réduisez l’utilisation des combustibles fossiles de cette manière. C’est très bien, et c’est quelque chose qu’il faut absolument encourager dans nos environnements urbains.

Dans nos environnements ruraux, ce que nous recherchons, ce sont d’autres interventions que les agriculteurs ou les forestiers pourraient mettre en œuvre, lesquelles apporteraient également une contribution importante comme celle-là. Là où je veux en venir, c’est que, compte tenu de la masse terrestre et des vastes régions agricoles et forestières dont nous disposons comparativement à de nombreux autres pays, l’effet de levier est vraiment beaucoup plus important au pays que dans la plupart des autres pays commerçants avec lesquels nous interagissons régulièrement.

J’ai seulement quelques mots à dire, ensuite, au sujet des nouvelles technologies, dont certaines sont très proches, et d’autres, un peu plus lointaines. Il a été démontré dans le cadre des programmes de sélection végétale qu’il est possible de faire pousser des végétaux ayant beaucoup plus de racines dans la biomasse, donc des cultures à forte prolifération des racines et à enracinement profond. C’est très bon du point de vue de l’utilisation des eaux et des nutriments, mais c’est surtout un avantage parce que nous ne récoltons pas les racines et qu’elles deviennent maintenant du carbone séquestré dans le sol.

Au Royaume-Uni, une graminée fourragère a été sélectionnée par l’un des instituts de recherche sur les prairies. Si cette graminée était cultivée sur environ 160 millions d’hectares dans le monde, ce qui est pratiquement faisable, elle compenserait l’ensemble des émissions produites par les combustibles fossiles, soit 8,4 gigatonnes de carbone. Le simple fait que quelque chose possède une importante biomasse qui n’est pas retirée du sol au moment de la récolte peut également avoir un effet important.

Ce qui sera peut-être appliqué dans un avenir un peu plus lointain, c’est la recherche qui a maintenant été éprouvée dans les champs. Deux ou trois interventions biotechnologiques différentes permettent d’accroître la photosynthèse de façon efficiente dans une proportion aussi élevée que 20 p. 100. Si nous modifions ainsi à grande échelle des végétaux cultivés et des herbes ou des arbres, nous ne serions pas du tout inquiets au sujet des émissions nettes parce que ces interventions compenseraient largement toutes les émissions que nous produisons actuellement en brûlant des combustibles fossiles.

En réalité, ce que je suis en train de dire, c’est qu’il est certain que nous allons continuer à prendre toutes les mesures d’atténuation possibles pour réduire les émissions directes produites par l’utilisation de combustibles fossiles; toutefois, si nous réfléchissons à une solution mondiale, elle viendra de la photosynthèse.

La bonne nouvelle, c’est que le Canada dispose de beaucoup d’excellentes recherches dans ce domaine. Le pays peut être un chef de file à cet égard. Grâce à la masse terrestre dont il dispose pour procéder à l’expérience, le Canada peut montrer qu’il est possible de le faire partout dans le monde. Les données que je présente ont une portée mondiale, ainsi que locale.

En conclusion, nous devons jeter un regard censé sur le dioxyde de carbone. Il ne s’agit pas entièrement d’un polluant. C’est seulement qu’il y en a un peu trop dans l’atmosphère actuellement. Étudions les façons dont nous pouvons utiliser les forces du Canada. Ces forces, ce sont les ressources naturelles de la terre, de la forêt et de l’agriculture, associées à l’ingéniosité dont font preuve les Canadiens, non seulement pour régler leur propre problème d’émissions nettes, mais en fait pour aider le monde à corriger ses problèmes, là où les émissions nettes sont bien plus importantes par rapport à la masse terrestre et à la population. Merci.

Stephane McLachlan, professeur, Département de l’environnement et de la géographie, Université du Manitoba, à titre personnel : Mon exposé sera peut-être un peu différent de ceux que vous avez entendus jusqu’ici, car je vais me fonder sur 20 années de recherches menées en étroite collaboration avec des collectivités autochtones et des collectivités rurales des Prairies et du Nord proche. Je me concentrerai sur quatre dimensions des agroécosystèmes et des systèmes alimentaires autochtones dont, selon moi, on pourrait soutenir qu’elles faciliteront l’adaptation et la résilience face aux changements climatiques ou à d’autres genres d’incertitudes qui pourraient nous presser de prendre des mesures dans le Nord.

Les voici, dans l’ordre : premièrement, la diversification de la recherche relative à l’agriculture et aux systèmes agroalimentaires dans les universités canadiennes; deuxièmement, l’accroissement de la contribution des agriculteurs et des collectivités autochtones au façonnement de cette recherche; troisièmement, le fait de trouver des moyens d’appuyer les nouveaux agriculteurs et la revitalisation culturelle au sein des collectivités autochtones, ce que certaines personnes appellent la résurgence culturelle; et, quatrièmement, le fait de trouver des moyens d’augmenter le soutien offert aux agriculteurs par des parties intéressées aux fins de l’établissement d’agroécosystèmes et de systèmes alimentaires autochtones diversifiés et justes sur le plan social. Je combine les données scientifiques et les aspects sociaux dans mes propos.

Je me suis dit que ce serait faire preuve d’une plus grande honnêteté que d’admettre que, même si j’ai travaillé en très étroite collaboration avec ces communautés, les agriculteurs et les collectivités autochtones parlent rarement des changements climatiques. Je ne nie certainement pas leur existence. Il y a des raisons à cela, dont je pense que nous pouvons discuter, si vous le souhaitez. C’est surtout que je travaille dans des régions du Canada qui, dans un sens, se font dégrader par l’industrie. Ce pourrait être les sables bitumineux, dans le Nord de l’Alberta, des collectivités touchées par des projets hydroélectriques dans l’Ouest du Canada, et cetera. Il y a aussi d’autres raisons. Cela dit, je reconnais pleinement que les changements climatiques auront probablement une incidence sur ces collectivités dans l’avenir. Si ce ne sont pas les changements climatiques, ce sera d’autres genres d’incertitudes.

Aujourd’hui, je vais me concentrer sur les moyens de faciliter l’adaptation, l’atténuation — le genre de choses dont M. Moloney parlait —, la sécurité alimentaire et la résilience. Par « résilience », j’entends la résilience écologique et sociale.

Je veux aborder brièvement ce que je considère être le statu quo dans la recherche agricole. La plupart des interventions que j’observe sont axées sur la technologie. Elles sont à forte intensité énergétique et orientées vers l’exportation. En fin de compte, on tente de trouver des moyens de maintenir ou d’accroître la production alimentaire, tout en réduisant au minimum le gaspillage et les inefficiences.

Les cultures tolérantes aux herbicides font partie des éléments dont nous avons déjà entendu parler cet après-midi. Il y a aussi l’agriculture de précision, la conservation ou culture sans labour, les cultures adaptées au climat en agriculture, la modélisation climatique et peut-être la nanotechnologie. Encore une fois, je ne veux pas dénigrer ces pratiques. Elles peuvent jouer un rôle important lorsqu’elles sont conçues de manières appropriées. Essentiellement, il s’agit d’une transmission à sens unique de connaissances des universités, des gouvernements et de l’industrie vers les agriculteurs en tant qu’utilisateurs finaux. C’est ce qui m’envoie des signaux d’alarme. Dans la plupart des cas, les Autochtones et leurs systèmes alimentaires reçoivent très peu d’attention, voire aucune.

Quand M. Olivier De Schutter, rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, est arrivé à l’ONU en 2012, il m’a demandé d’étudier cette autre idée de l’agroécologie et la mesure dans laquelle elle se reflétait dans les programmes de recherche du Canada. C’était une grosse commande. Je me suis concentré sur les trois universités des Prairies qui offrent des programmes d’agriculture. Je ne pense pas que vous serez surpris de ce que j’ai découvert quand je me suis penché sur les 118 programmes de recherche. Il faut reconnaître que, grosso modo, environ la moitié adoptait une approche moléculaire. Environ 20 p. 100 se concentraient sur la microbiologie, la manipulation génétique et la production physiologique. Seuls 14 p. 100 des programmes étaient axés sur l’environnement. La sélection végétale conventionnelle, dans ce cas, comptait pour environ 8 p. 100. Dans un sens, ce sont les machines génératrices d’idées qui entraînent les genres de possibilités d’adaptation dont je suis certain que vous avez entendu parler. Fait intéressant, les cinq chaires de recherche les mieux financées des programmes d’agriculture adoptaient toutes une approche moléculaire.

Cette situation contribue à façonner les réactions habituelles : il faut voir grand ou aller voir ailleurs. Ce que nous observons en parallèle, c’est une diminution du nombre d’exploitations agricoles; une augmentation de la taille des exploitations agricoles, dont je suis certain que vous êtes au courant; et un âge moyen des agriculteurs d’environ 55 ans — c’est-à-dire à peu près mon âge — et qui, certes, augmente tout le temps. Le prix des terres agricoles est sans précédent. Au Manitoba, c’est environ 2 500 $ l’acre. Ce gagne-pain est effectivement inaccessible pour beaucoup de personnes qui veulent commencer à cultiver la terre.

Je souhaite trouver des solutions de rechange à ce modèle particulier qui, encore une fois, peuvent être efficaces. Qu’il s’agisse de l’agriculture biologique ou de cet intérêt résurgent ou nouveau pour les systèmes alimentaires locaux et régionaux, je pense que ces modèles peuvent jouer un rôle important.

J’ai travaillé avec une doctorante qui a mené, en collaboration avec la National New Farmer Coalition, une enquête nationale portant sur les nouveaux agriculteurs. Elle a découvert quelque chose qui se distinguait de façon très marquée des statistiques du recensement relatives à l’agriculture. Elle a sondé plus de 1 300 nouveaux agriculteurs et découvert que la plupart provenaient de milieux urbains, avaient fait des études universitaires, étaient jeunes et — fait intéressant — étaient des femmes et qu’elles exploitaient pour la plupart des fermes plus petites que la moyenne et parfois beaucoup plus petites. Environ la moitié s’occupait directement de la mise en marché de leurs denrées, et 90 p. 100 avaient recours à des approches de production agroécologiques.

Pourtant, il y a une rupture des liens entre les genres d’agriculture que pratiquent ces gens, qui, encore une fois, favorisent et renforcent l’alimentation biologique, et les systèmes alimentaires locaux. Pour en revenir au rapport de M. De Schutter, j’ai constaté que très peu de gens — ou environ 3 p. 100 des personnes que j’ai examinées — participaient à la production biologique. Ces sites web ne contenaient aucune mention de systèmes alimentaires locaux, de systèmes alimentaires urbains ou des nombreux types d’approches agricoles de rechange ou agroécologiques.

Pour revenir à cette rupture des liens entre ce qui est fait dans les universités et ce qu’utilisent les autres agriculteurs agroécologiques, j’ajouterais qu’il y avait un taux élevé d’insatisfaction, surtout à l’égard des gouvernements, mais aussi des universités, en ce qui a trait à l’offre de soutien.

Revenons encore une fois au rapport de M. De Schutter. La présence en milieu rural de ces trois universités des Prairies a été réduite à néant. On mentionnait rarement, voire jamais, qu’on travaillait auprès de collectivités rurales ou, surtout, de collectivités autochtones. Les personnes sondées allaient voir ailleurs pour obtenir du soutien. Elles créaient des réseaux de soutien, parfois en ligne et parfois en personne, du mentorat et des ateliers à la ferme. Elles trouvent des réponses d’autres façons, mais je pense qu’il s’agit tout de même d’un problème.

Enfin, je veux parler de collaboration significative. Qu’il s’agisse de collectivités autochtones ou rurales, la réalité, c’est que les gens s’adaptent toujours. Ils font toujours des expériences à leur ferme ou sur leurs sentiers de piégeage. Dans un certain nombre de publications récentes, j’ai fait valoir que ces connaissances locales ou ce savoir traditionnel non seulement sont d’une importance inhérente, mais peuvent aussi jouer un rôle précieux pour ce qui est d’étayer et de façonner nos connaissances scientifiques relativement aux systèmes agroalimentaires et aux systèmes alimentaires autochtones.

À cet égard, j’ai parlé de ce qu’on appelle le modèle à trois voies, où il y a les sciences occidentales d’un côté, le savoir autochtone ou local de l’autre, puis, entre les deux, une troisième voie qui intègre les deux et suppose une utilisation complémentaire qui tient compte des collectivités dont l’apport est utilisé.

Les collectivités autochtones participent de plus en plus au processus décisionnel. C’est important et essentiel, mais cette participation doit s’étendre aux agriculteurs qui, pour la plupart, sont laissés à l’écart partout au pays.

Je voudrais vous faire un certain nombre de suggestions qui, selon moi, pourront faciliter une adaptation ultérieure aux changements climatiques ou à d’autres facteurs de stress : premièrement, passer d’une agriculture uniquement axée sur la technologie et les intrants à des approches plus diversifiées qui peuvent se compléter; deuxièmement, procéder à un changement d’échelle pour passer d’une agriculture uniquement axée sur les exportations à d’autres types de pratiques qui tiennent compte également des systèmes alimentaires régionaux et locaux, non seulement dans les exploitations de grande envergure, mais aussi dans les petites et les moyennes; troisièmement, s’attaquer à la crise du vieillissement que nous observons dans les exploitations agricoles en milieu rural de partout au pays en trouvant des points d’entrée permettant aux jeunes agriculteurs, qui sont souvent d’anciens citadins plus diversifiés sur le plan du genre et de l’origine ethnique, d’accéder à l’agriculture; permettre aux agriculteurs et aux collectivités autochtones, grâce à leur système de connaissances, de jouer un rôle important dans le façonnement des connaissances scientifiques à mesure que nous progressons; trouver des moyens de réduire les obstacles financiers dont tout le monde parle au moment de se lancer en agriculture, quelle que soit la taille de l’exploitation; retirer les obstacles réglementaires, dont je pourrai vous parler; appuyer l’établissement de réseaux sociaux et de communautés d’apprentissage à cet égard; et, suggestion importante, élaborer une politique alimentaire nationale qui fonctionne en collaboration avec les partenaires locaux et régionaux afin d’appuyer cette vision beaucoup plus diversifiée de l’agriculture et des systèmes alimentaires autochtones.

En conclusion, ce manque de diversité finira par miner notre capacité de réagir aux changements climatiques dans l’avenir ou à d’autres facteurs de stress imprévus. Je vous ai distribué cet après-midi certains des outils avec lesquels nous travaillons au sein de l’alliance de recherche Wa Ni Ska Tan, dont je pourrai vous parler, si vous le souhaitez, en collaboration avec 22 collectivités autochtones de partout dans le Nord du Manitoba. Si vous le voulez, je serai heureux d’organiser des visites pour contribuer à faciliter l’échange de renseignements avec un certain nombre de ces 22 collectivités, ainsi qu’avec des agriculteurs du Sud du Manitoba qui utilisent des pratiques agroécologiques. Merci.

La présidente : Merci à tous les témoins. Nous allons commencer nos questions en cédant la parole au vice-président, le sénateur Maltais.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci. Ma première question s’adresse à M. Wheater.

Vous avez parlé de sédiments dans les rivières et les cours d’eau. Jusqu’où êtes-vous remonté dans le nord pour déterminer d’où provenaient ces sédiments? Plus au nord, vous avez parlé du Mackenzie, mais d’autres rivières prennent leur source dans le Grand Nord canadien. Jusqu’où êtes-vous remonté?

[Traduction]

M. Wheater : Merci de la question. Dans tout travail, nous nous concentrons surtout sur les écosystèmes terrestres et sur l’écoulement des rivières et des fleuves situés dans la région examinée par le Changing Cold Regions Network. Nous étudions ces rivières et fleuves d’un bout à l’autre, jusque dans l’océan Arctique. Nous n’avons pas fait beaucoup de travail sur les sédiments, mais il s’agit clairement d’un enjeu important qui présente des défis.

Nous avons beaucoup entendu parler des réservoirs et de leur rôle important pour ce qui est de soutenir l’hydroélectricité, l’agriculture et la sécurité aquatique en général. En Saskatchewan, par exemple, les réservoirs piègent des sédiments qui peuvent être contaminés naturellement par du mercure. Ce mercure affecte les populations de poissons, puis cela peut avoir une incidence sur les aliments des Autochtones.

L’un des barrages situés en amont du delta de la Saskatchewan a une autre conséquence. Comme il retient des sédiments, la rivière a un peu diminué. Cette rivière irrigue un milieu humide naturel. Plus elle se réduit, moins elle est en mesure de réapprovisionner en eau le milieu humide.

La sédimentation est une question complexe. Quand nous aménageons des rivières, nous réduisons habituellement le transport de sédiments, puis cela a diverses conséquences environnementales.

Cette explication n’a probablement pas tout à fait répondu à votre question.

[Français]

Le sénateur Maltais : Monsieur Moloney, vous avez parlé beaucoup de photosynthèse. Vous avez tout à fait raison. C’est un facteur prédominant pour combattre les GES.

Il y a un facteur que vous n’avez pas abordé. Depuis une dizaine d’années, dans les grandes villes, la culture sur les balcons est très à la mode. Cette pratique est de plus en plus populaire, que ce soit à Calgary, à Vancouver, à Toronto, à Montréal ou dans les grandes villes. Et au Québec, sous les lignes de transmission, des terres ont été expropriées. Il y a d’énormes jardins communautaires. Est-ce que cela contribue à la récupération des GES?

M. Moloney : C’est une très bonne question. Je crois que c’est une pratique qu’on doit encourager. Pour une famille, ou même une communauté, l’apprentissage des techniques de culture des plantes et des aliments est très important. Cela permet à la population urbaine d’avoir un lien direct avec la production d’aliments. Parfois, on peut faire pousser des choses spécialisées et différentes de ce que l’on retrouve au supermarché. Donc, c’est très bien d’encourager cette pratique, mais, du point de vue de la surface photosynthétique, il y a peu d’avantages. Même en ce qui concerne les nutriments, le sol et les plantes, ça ne fait pas beaucoup de différence du point de vue du CO2 atmosphérique.

Enfin, mon argument, c’est plutôt la superficie des terres au Canada. Le seul pays au monde qui a une superficie similaire est la Russie et ce n’est pas bien géré du point de vue agricole en ce moment. À mon avis, le Canada est un cas très particulier. Même si tout le monde à Toronto faisait pousser des légumes sur son balcon, cela ne fera pas une grande différence du point de vue des gaz atmosphériques. Par contre, c’est une très bonne pratique parce que cela permet de mieux comprendre la culture des aliments.

Le sénateur Maltais : Vous avez parlé également, monsieur Moloney, des concentrations de phosphore. Où trouve-t-on la plus grande concentration de phosphore au Canada?

M. Moloney : En ce qui concerne l’utilisation d’engrais, surtout dans les Prairies, on applique pas mal de phosphore. M. Wheater l’a mentionné, ces engrais sont transportés directement dans les affluents, dans les rivières.

Notre problème relève de deux choses. La première est la solubilité de la forme de phosphore. La partie qui arrive dans la rivière est beaucoup plus soluble que le phosphore rocheux, par exemple. Quand on applique de l’engrais, normalement, c’est dans une forme assez soluble.

Si on cultive des plantes très efficaces pour absorber les engrais, on pourrait envisager de diminuer le taux d’engrais sans perdre nos récoltes. Ça serait tout à fait possible, mais ça demande que les plantes soient beaucoup plus efficaces.

Je prends l’exemple des racines. Bon nombre de plantes ont des racines qui poussent seulement dans les 20 premiers centimètres du sol. Pour avoir suffisamment de phosphore, on doit appliquer beaucoup plus d’engrais. Si on avait des racines plus profondes, peut-être qu’il serait beaucoup mieux absorbé. Lorsqu’on choisit des plantes, maintenant, notre but est d’augmenter l’efficacité des nutriments pour éviter le problème qu’a mentionné M. Wheater. On utilise l’excès, et l’excès arrive dans les rivières.

Le sénateur Maltais : Monsieur McLachlan, je vous félicite pour vos expériences de vie avec les communautés autochtones et les communautés rurales. Vous trouverez en moi un allié pour le retour des petites fermes. On le constate au Québec. Cela donne de bons résultats. Nous avons remporté le premier prix au concours mondial du fromage. On a détrôné les Français dans leur propre recette. Le fromage ne provient pas de grandes fermes, mais de petites fermes avec une quarantaine de chèvres.

On sent un retour des jeunes. Dans ma province en particulier, la très grande majorité des propriétaires de petites fermes sont des femmes universitaires. Elles ne reprennent pas les grandes fermes, parce qu’elles coûtent cher. Elles exploitent de petites fermes et font concurrence aux grandes fermes en fabriquant des produits de qualité que l’on ne retrouve plus dans les grandes fermes. Je ne parle pas des gens qui cultivent du blé, du canola, et cetera. Elles n’exploitent pas ce secteur. Elles investissent dans la production maraîchère, la production laitière, la production de beurre et de fromage. Elles font concurrence aux grandes entreprises. Leurs produits sont souvent biologiques, de haute qualité et plus chers, mais elles ont besoin d’une moins grande superficie de terre pour vivre.

Cette semaine, nous avons rencontré de nombreux jeunes agriculteurs. Au Québec, le syndicat agricole offre un service aux jeunes agriculteurs. Ceux-ci font face à un grand défi lorsqu’ils s’établissent avec leur famille, leurs enfants, et qu’ils veulent que leur ferme prenne de l’expansion afin que les deux conjoints puissent gagner un revenu convenable. Les terres avoisinantes ne sont pas accessibles financièrement. Les banquiers ne leur font pas confiance. Pourtant, les banquiers ont démontré à une certaine époque que le meilleur investissement, c’était la terre. La terre ne suit pas le cours de la bourse. C’est une question de confiance et de mentalité également. Ce que vous avez vécu dans vos communautés, ce n’est pas unique. Cela se produit dans l’ensemble du Canada, de Terre-Neuve jusqu’à Victoria. C’est l’un des principaux défis auxquels sont confrontés les Canadiens et les Canadiennes. Il faut revenir aux petites fermes, où on n’a pas besoin d’investir des millions de dollars pour faire vivre convenablement une petite famille. Êtes-vous d’accord avec ce principe?

[Traduction]

M. McLachlan : Absolument, oui, je le suis. Je l’affirmerais. Quelque 1 300 nouveaux agriculteurs ont été sondés. Il se pourrait bien que certains d’entre eux aient été des personnes à qui vous avez parlé. Je pense que c’était environ 10 p. 100. Le questionnaire était offert en anglais et en français, au Québec. À mes yeux, il a été intéressant de constater que le Québec se démarquait vraiment des autres provinces du point de vue du soutien qu’offraient le gouvernement et les universités aux nouveaux agriculteurs. Essentiellement, le reste du pays les laisse tomber. De certaines manières, ce qui fonctionne très bien au Québec pourrait être un modèle pour le reste du Canada en ce qui a trait à la façon de soutenir ces — comme vous dites — « femmes ».

[Français]

Le sénateur Maltais : C’est important ce que vous dites. Au Québec, cela a pris quand même plusieurs années. C’est la Loi sur la protection du territoire agricole et des activités agricoles qui a fait la différence. La loi est très sévère lorsqu’il s’agit de la protection des terres agricoles.

Des études ont été réalisées sur l’urbanisation des terres agricoles. Si ces terres sont encore bien cultivées, l’agrandissement des villes se fera sur des terrains rocheux. Et ce n’est pas le problème des agriculteurs. L’aide aux jeunes agriculteurs provient des coopératives que le gouvernement a implantées, qu’il a soutenues en collaboration avec les cégeps et les universités. Et c’est l’avenir, je pense. L’ère des grandes productions, c’est très beau, c’est fantastique et ça génère des revenus au Canada. Les citoyens ont le droit de vivre chez eux et de pratiquer un métier qu’ils adorent, soit celui d’agriculteur. Quant aux peuples autochtones, je suis ravi de constater qu’ils s’intéressent à l’agriculture d’une certaine façon.

Je viens d’une région du Nord du Québec. Et pour les Autochtones, il n’y a pas d’agriculture. Ils ne peuvent pas s’intéresser à l’agriculture. Ils s’intéressent à autre chose. Ils ont réussi dans d’autres domaines.

Cependant, la relève agricole est un problème au Canada. Vous avez mentionné que l’âge moyen, ce n’est pas encore un grave problème, mais dans 10 ans, ce sera un problème.

Qui pourra accorder une aide financière à un jeune homme ou une jeune femme de 25 ans dont le père a légué une terre valant 5 ou 10 millions de dollars? Trouvez-moi un banquier qui acceptera de les financer. Aucun. Les jeunes se découragent. Le père vend ses terres à de grandes entreprises. Puis, les terres canadiennes deviendront les propriétés des trusts . Et les agriculteurs deviendront les employés de ces grands trusts. C’est malheureux, autant pour les terres agricoles, les terres maraîchères ou autres. C’est le défi du Canada. On en est rendu là. Si on ne trouve pas de solution, d’ici 10 ou 15 ans, quelle sera la face de l’agriculture canadienne? C’est un commentaire que je voulais ajouter.

[Traduction]

M. McLachlan : J’ajouterais que j’appuie entièrement ce que vous dites. Il y a des exemples récents de terres regroupées dans une fiducie foncière; ce sont des gens qui placent des terres dans une fiducie; ils ont le sentiment d’en être les propriétaires et prévoient peut-être les transmettre à leurs enfants ou à leurs voisins à l’avenir. Ces portes d’entrée permettent souvent à de jeunes femmes ou des personnes possédant un diplôme universitaire et ayant quitté la ville de pratiquer l’agriculture. Ces initiatives n’aident peut-être pas beaucoup sur le plan de la séquestration de carbone, mais elles sont absolument essentielles pour s’adapter à l’avenir. Je vous remercie de vos commentaires.

La sénatrice Gagné : Pourriez-vous nous donner une idée de ce que sera le plus important changement qui touchera l’industrie agricole ou forestière au Canada au cours des 5 à 10 prochaines années?

M. Moloney : C’est très intéressant de parler d’agriculture extensive et d’agriculture plus intensive pendant la même séance, parce que je crois que nous verrons un peu des deux.

Tout d’abord, c’est très intéressant de prendre connaissance des résultats que M. Wheater vient de mentionner et qui montrent que nous aurons des saisons de culture un peu plus longues. Il y aura peut-être assez d’humidité dans le sol pour permettre d’augmenter les rendements. Nous serons peut-être en mesure de produire un peu plus au nord, aussi, en particulier dans les Prairies. Ces changements, à eux seuls, auront une incidence spectaculaire sur les rendements agricoles que nous pourrons obtenir.

Compte tenu de notre population, il s’agira de produits exportés principalement, j’en suis certain. À mon avis, cela nous donnera l’occasion de diversifier les cultures. Nous avons constaté cela au cours des 15 à 20 dernières années. Quand je suis arrivé au Canada, les pois cultivés constituaient presque toute la production de légumineuses à grain dans les Prairies. Maintenant, nous sommes le plus important producteur de lentilles au monde. L’idée que nous augmenterons, par exemple, la diversité des cultures, en particulier celle des cultures fixatrices d’azote, est liée à la question de savoir quelle quantité de fertilisants nous devrons utiliser, parce que, naturellement, il sera possible de réduire de façon importante la quantité de fertilisants si nous effectuons une rotation appropriée des cultures avec celles des légumineuses à grain. Je crois que c’est ce qui se passera.

Je passe aussi beaucoup de temps avec des agriculteurs qui cultivent plus de 3 000 hectares dans les Prairies. L’automatisation est une réalité. Je veux dire par là que nous constatons un degré plus élevé d’automatisation sur les fermes. Je trouve quand même étrange que je ne constate pas une grande augmentation du nombre d’emplois en agriculture, mais je suis d’avis qu’il se produira une augmentation des emplois liés à la technologie à la ferme parce que nous sommes en position de générer un grand nombre des technologies de prochaine génération.

Cela aura une incidence sur l’empreinte carbone de l’agriculture, parce que certaines des choses que nous faisons déjà en agriculture de précision diminuent grandement cette empreinte. Nous serons capables de réduire de façon importante l’utilisation de produits comme les pesticides, parce que nous serons en mesure de les appliquer de façon beaucoup plus ciblée. En raison de dispositifs d’imagerie, nous serons en mesure de faire la distinction entre une mauvaise herbe et une plante cultivée et d’épandre des produits uniquement sur la mauvaise herbe, contrairement à ce que nous faisons en ce moment, soit un épandage large. Nous constaterons des changements importants quant à l’utilisation de produits chimiques agricoles, ce qui, dans l’ensemble, sera une très bonne chose pour nous.

M. Wheater : Même si je souscris aux propos de M. Moloney concernant le déplacement de l’agriculture vers le nord, le pendant de ce changement, c’est que les cultures au sud seront probablement touchées par un stress thermique, dans une certaine mesure. Il y aura un plus grand nombre de jours où le mercure dépassera 30 °C.

Je crois que nous serons témoins d’une augmentation des tensions entre la communauté agricole et d’autres communautés en ce qui concerne l’accès à l’eau. En ce moment, la grande majorité de la production agricole repose encore sur les précipitations naturelles, mais l’irrigation est un facteur important de la productivité et des rendements. On voit déjà certaines initiatives intéressantes ayant trait à l’échange de l’eau entre des associations d’arrosants en Alberta, ce qui permet d’améliorer l’efficience.

Il y a beaucoup de pressions qui s’exercent concernant les nutriments et le paysage terrestre. On peut relever certains des défis liés aux nutriments et régler certains des problèmes relatifs au drainage agricole et à la protection contre les inondations en restaurant les milieux humides du paysage naturel. Ensuite, il y a la très intéressante question, relative aux politiques, de savoir comment inciter la communauté agricole à agir en ce sens. Il est important de reconnaître les services rendus à l’écosystème par les agriculteurs et de leur offrir une façon d’avoir les ressources pour soutenir ces activités.

Je vais peut-être m’arrêter ici. Nous sommes dans une période qui présente de grandes possibilités pour le domaine agricole, mais il faut offrir des orientations stratégiques pour aider à relever certains défis.

M. McLachlan : Votre question portait-elle aussi sur les forêts?

La sénatrice Gagné : Sur l’agriculture et les forêts.

M. McLachlan : Donc, les deux. Je dirais que les forêts sont un exemple important et intéressant, parce qu’elles sont, de toute évidence, situées dans le Nord. Un grand nombre se trouvent sur des territoires traditionnels des peuples autochtones, donc je crois qu’il sera essentiel à l’avenir d’adopter des approches fondées sur des partenariats. L’utilisation des approches écologiques dont j’ai parlé concernant l’agriculture peut aussi fonctionner pour ce qui est de la diversification de l’utilisation des ressources forestières et de l’utilisation des forêts, qualifiée par certains de non traditionnelle. Il peut s’agir d’utilisation à des fins médicinales ou de culture de champignons. Il peut s’agir aussi de produits de la forêt mêmes. Encore une fois, je pense non seulement aux produits d’exportation, mais aussi aux cultures et aux besoins des collectivités de ces régions. C’est aussi une occasion d’exploiter la forêt à petite et moyenne échelle.

Nous avons beaucoup parlé d’agriculture à petite et moyenne échelle en ce qui concerne la qualité élevée. Une partie de la littérature, produite dans les régions au sud, je l’admets, mentionne des pourcentages plus élevés de carbone séquestré dans le sol qui sont liés à la grande diversité des systèmes racinaires de nombreuses différentes plantes cultivées ensemble ou parfois de façon consécutive. On doit examiner au Canada le potentiel d’atténuation qu’offrent ces écosystèmes agricoles plus diversifiés. Cela devrait être perçu non pas uniquement comme de l’agriculture de spécialité qui répond à la demande de consommateurs de classe moyenne et de classe moyenne supérieure, mais aussi comme quelque chose qui peut être fait à une assez grande échelle pour que tous les Canadiens puissent en tirer des avantages.

On ne mène tout simplement pas de travaux de recherche. C’est frustrant pour quelqu’un comme moi qui travaille dans le domaine de l’agriculture à l’Université du Manitoba. J’ai un étudiant de cycle supérieur qui examine les universités partout au pays; d’une certaine façon, il essaie de faire ce que j’ai fait, mais de façon plus détaillée et plus approfondie. Nous arrivons aux mêmes résultats. Nous devons diversifier l’approche à l’agriculture, qui est très centrée sur la technologie et qui repose sur des experts. Nous devons commencer à examiner d’autres possibilités, non pas parce qu’elles sont meilleures ou qu’on en a davantage besoin, mais parce qu’elles ont un rôle à jouer aussi.

La sénatrice Gagné : J’ai une autre question qui porte sur les efforts d’inclusion. D’après ce que j’ai compris, le mouvement de lutte contre les changements climatiques n’arrive pas à mobiliser un ensemble varié d’intervenants.

Les universités réussissent-elles à attirer des étudiants d’horizons divers dans les sciences de l’environnement ou d’autres domaines scientifiques, pour que nous puissions avoir des scientifiques et d’autres personnes issus de différentes communautés qui participent à l’avancement des connaissances?

M. Wheater : Je peux affirmer que l’eau est un élément très important de la vie et des sources de revenus des collectivités autochtones. Nous menons beaucoup d’initiatives dans les collectivités autochtones et les écoles qui y sont situées. Nous donnons aussi des formations à des membres de ces collectivités sur divers aspects de la surveillance de la qualité de l’eau et de la santé des poissons. Ils sont très accueillants et réceptifs, mais il faut beaucoup de temps, d’efforts et d’énergie pour bâtir ces relations, et elles doivent mûrir pendant une assez longue période de temps.

Cela ne correspond pas toujours au besoin, dans le milieu universitaire, de publier des articles et d’être reconnu pour devenir titulaire.

M. McLachlan : Si je me fie aux presque 20 ans que j’ai passés à l’Université du Manitoba à enseigner les sciences environnementales et les études connexes, selon moi, le corps étudiant devient de plus en plus diversifié. Il y a en partie des étudiants de deuxième génération, mais il y a aussi de nouveaux arrivants qui tirent profit des possibilités éducatives offertes au Canada. Cependant, il n’y a pas que cela. Si on examine la population dans une ville comme Winnipeg, que vous connaissez, de toute évidence, on constate beaucoup plus de diversité maintenant. C’est devenu un véritable lieu d’accueil pour les immigrants, en particulier les réfugiés, qui viennent de partout dans le monde.

Le problème, c’est qu’il n’y a pas, actuellement, d’endroit où ils puissent mettre leurs idées en pratique. Nous appliquons encore une approche homogène à l’agriculture et aux sciences de l’environnement. Je dirais que c’est aussi le cas dans mon propre domaine d’étude.

Par exemple, nous avons de nouveaux arrivants qui, bien souvent, possèdent une foule de renseignements et des connaissances transmises de génération en génération, mais ils n’ont aucun endroit pour faire de l’agriculture. Il y a les balcons et les jardins communautaires, mais, pour ce qui est de la culture à plus grande échelle, ils sont bien souvent désavantagés. Ils ont des connaissances et une expertise, mais, au bout du compte, ils occupent des emplois qui ne mettent pas ce bagage en valeur. Les universités doivent prendre les devants pour leur offrir du soutien et, d’une certaine façon, faire valoir la diversité ethnique qui existe, comme vous l’avez souligné à juste titre. Je crois que cet aspect est négligé et oublié en ce moment.

Nous avons une vision des collectivités rurales. Elles sont encore très largement habitées par des Blancs. Il s’agit encore d’agriculteurs de père en fils, mais ceux avec lesquels je travaille accueillent favorablement la diversité aussi. Nous devons trouver une façon de soutenir cela, peut-être en adoptant des approches plus nuancées et plus agiles qui prévoient une agriculture à plus petite échelle et qui permettent de produire beaucoup de différentes cultures, comme des légumes et des fruits que les personnes venues d’ailleurs connaissent depuis leur enfance. En ce moment, ni les travaux de recherche menés dans les universités ni les enseignements qui y sont transmis ne reflètent cette diversité.

Le sénateur R. Black : Pendant trois jours, nous avons écouté des personnes parler de changements climatiques, monsieur McLachlan. Vous avez mentionné que vous avez rarement, peut-être même jamais, entendu des aînés, des cueilleurs, des agriculteurs ou des dirigeants ruraux parler de changements climatiques. Pourquoi est-ce le cas? Je ne suis pas en désaccord, mais qu’est-ce qui explique cela?

M. McLachlan : C’est complexe. Peut-être que cela tient en partie à ce qu’a évoqué M. Moloney. Beaucoup de ces collectivités sont situées sur des territoires qui servent de poumons à la planète, quand on parle de séquestration de carbone. Peut-être que, d’une certaine façon, cela a pour effet d’atténuer certaines de ces incidences. J’inclurais les collectivités rurales aussi. Ces populations doivent souvent s’attaquer à des facteurs beaucoup plus urgents. Par exemple, l’ESB, ou la maladie de la vache folle, a dévasté des collectivités au milieu des années 2000.

Les gens sont prêts à parler de changements climatiques, si on insiste. Si un chercheur s’amène et leur pose des questions à ce sujet, ils l’aideront et ils sont prêts à le faire. Au bout du compte, si vous donnez la possibilité aux gens de parler de ce qui est important pour eux, dans les collectivités rurales, vous entendrez des choses comme : « Qui héritera de ma ferme? » et « Qu’est-ce qui arrivera à ma ferme? » La planification successorale est très importante sur le plan économique, c’est-à-dire qu’ils doivent savoir de quelle façon ils paieront les comptes et ce qu’ils doivent à la banque.

Les membres des collectivités autochtones, en particulier, font face à ce genre de défis. Nous connaissons les dommages que les pensionnats ont causés et les répercussions qu’ils ont entraînées. Il y a aussi des répercussions dévastatrices causées par les industries, qu’il s’agisse de l’exploitation des sables bitumineux, qui a touché des collectivités établies en aval, avec lesquelles j’ai travaillé, de l’industrie hydroélectrique ou encore des sources de contaminants ou de changement de l’écoulement des eaux que M. Wheater a mentionnées, par exemple. Les gens essaient tout simplement de gagner leur vie. Ils essaient de trouver une façon de conserver leurs cultures, leurs langues et leurs traditions. Je ne crois pas qu’il reste de la place pour des discussions à propos des changements climatiques, jusqu’à ce que cela devienne une préoccupation si pressante qu’elle a préséance sur d’autres problèmes urgents auxquels ces collectivités font face et pour lesquels elles se mobilisent.

Cela dit, les chercheurs ont eu accès à beaucoup de financement pour examiner les changements climatiques. De toute évidence, nous devons mieux comprendre ce phénomène. Nous devons trouver des façons de l’atténuer et de s’y adapter. Parfois, j’ai l’impression que c’est un peu le monde à l’envers. Ce que nous devons faire, comme chercheurs, c’est de laisser plus de place aux membres des collectivités rurales et autochtones pour qu’ils communiquent ce qui est important pour eux. Ensuite, nous devons mener des travaux de recherche, que ce soit dans le domaine des sciences, des sciences sociales ou même des sciences humaines et des arts, afin de mieux refléter les priorités exprimées. Nous n’excellons pas encore à cet égard.

M. Moloney : En guise de conclusion de ce qui a été dit, il est intéressant, comme le dit M. McLachlan, que ce ne soit pas un sujet de discussion. On ne tient pas de discussions approfondies à ce sujet. Par ailleurs, les agriculteurs sont des gens très pragmatiques. Il est intéressant de voir la façon dont ils s’adaptent aux conditions changeantes.

Lorsque je suis arrivé au Canada, je ne crois pas qu’on cultivait du soja dans le Sud du Manitoba ou de la Saskatchewan. Nous avons maintenant plus de 1 million d’hectares de soja qui y sont cultivés. C’est le choix des agriculteurs. Ce qu’ils ont compris essentiellement, c’est qu’ils deviennent maintenant le Midwest, ce que nous appelons traditionnellement le Midwest américain. C’est presque certainement causé par les changements climatiques, mais les agriculteurs s’y adaptent d’une manière très pragmatique.

Si les prédictions de M. Wheater sont le moindrement justes, nous allons probablement voir une culture beaucoup plus productive de soja dans des endroits que nous n’aurions jamais imaginés. Le seul endroit où en cultivait, c’était le Sud de l’Ontario. C’est intéressant. Même si on n’en parle peut-être pas beaucoup, les choix sont faits très souvent par des producteurs et des agriculteurs très pragmatiques.

M. McLachlan : J’aimerais ajouter quelque chose concernant les systèmes de l’Arctique : nous observons actuellement les changements spectaculaires qui se produisent. Les gens se sont toujours adaptés parce que ces environnements changent tout le temps. Des études ont porté sur les sciences et les dimensions humaines entourant les changements climatiques dans l’Arctique. Pour l’essentiel, on ignore les effets très dévastateurs des pensionnats dans l’Arctique : la colonisation, l’expulsion de gens de leurs camps et de leurs territoires, le fait de les regrouper dans des collectivités et les types de dommages et de défis sociaux auxquels nombre de ces collectivités font face.

Nous ne pouvons pas seulement examiner les changements climatiques séparément de toutes ces autres choses. Les modèles sont essentiels. Il importe de prédire que certains de ces changements se produiront peut-être, mais lorsque nous parlons d’adaptation et d’atténuation, nous avons besoin de scénarios plus complexes qui permettent à certains facteurs contextuels d’émerger.

La présidente : J’ai deux ou trois petites questions. Le Partenariat canadien pour l’agriculture, que l’honorable Lawrence MacAulay a annoncé il y a environ trois semaines, sera-t-il bénéfique pour chacun d’entre vous dans le cadre de votre travail?

M. Moloney : Oui. Nous étions très heureux de l’annonce de cette initiative. Nous nous doutions qu’elle était en préparation, mais nous ne savions pas quand elle serait annoncée. Presque immédiatement, on forme des consortiums afin d’essayer de comprendre les grands défis dont nous voulons maintenant discuter ensemble afin de nous y préparer. Sans aucun doute, les effets des changements climatiques sur l’agriculture sont au programme.

Dans les deux sens, que devons-nous faire pour adapter notre agriculture aux prévisions de changement climatique au Canada? Nous ne désirons pas seulement continuer à être productifs, mais nous voulons l’être encore plus pour ce qui est de la sécurité alimentaire mondiale. En même temps, nous sommes maintenant beaucoup plus conscients du fait que, oui, nous avons l’occasion de faire quelque chose d’énorme relativement aux flux de carbone en raison de la taille de notre pays et du pouvoir que nous avons dans l’agriculture et la foresterie.

J’espère qu’il y aura une coalition de chercheurs de partout au pays qui examineront les divers types d’intervention possibles afin de nous placer dans une position non seulement de résoudre notre problème, comme je l’ai dit plus tôt, mais de vraiment montrer au reste du monde comment nous pouvons nous attaquer aux augmentations galopantes de CO2.

La présidente : Quelqu’un d’autre veut-il faire un commentaire à ce sujet? Est-ce que c’est effectivement ou éventuellement utile pour vous en tant que source de financement pour la recherche?

M. Wheater : Nous sommes chanceux à l’Université de la Saskatchewan parce que nous avons eu la plus grande subvention au monde pour l’eau grâce au Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada. Plusieurs projets importants du Fonds portent sur l’agriculture. Nous sommes très désireux d’établir des liens avec le gouvernement fédéral. Nous entretenons déjà de bonnes relations avec les provinces.

M. McLachlan : Je fais une lecture rapide de ce que j’ai devant moi. Évidemment, lorsque le gouvernement canadien finance l’agriculture, c’est une chose excitante. J’ose espérer qu’il y a des mécanismes. Je ne sais pas de façon détaillée si l’agriculture peut vraiment bénéficier de toute la diversité des personnes qui participent aux systèmes agroalimentaires et aux systèmes alimentaires autochtones. J’espère que ces mécanismes existent. C’est même encore mieux s’il y a de l’espace, et que les agriculteurs et les Autochtones ont aidé à concevoir ces programmes. En règle générale, bien sûr, cela est très prometteur.

La présidente : J’ai une dernière question ou plutôt une dernière observation, mais je vais la lancer quand même. Un autre comité auquel je siège examine les véhicules automatisés et branchés. Je m’inquiète toujours à cet égard lorsque nous avons des témoins qui témoignent devant nous. Au Canada, il est très malheureux que nous ayons un taux très élevé d’analphabétisme fonctionnel. Il est particulièrement élevé au Canada atlantique et dans les régions rurales du Canada, malheureusement. On dirait que l’industrie agricole est déjà de plus en plus complexe avec l’utilisation de GPS et d’autres technologies. Vous avez mentionné que certains des nouveaux agriculteurs sont très instruits, mais un très grand nombre ne le sont pas. Nous avons encore ce groupe d’agriculteurs vieillissants.

Mon oncle dit qu’il ne pourrait probablement pas conduire les tracteurs d’aujourd’hui. Il a 84 ans et a toujours été agriculteur. Au final, je crois qu’il y aura des gagnants et des perdants en raison des changements technologiques et de notre degré d’alphabétisation. Je sais que nous avons investi beaucoup d’argent dans l’éducation au Canada, mais beaucoup de personnes n’en profitent pas.

J’imagine qu’il s’agit davantage d’une observation que d’une question, à moins que vous vouliez faire un commentaire à ce sujet. Ce qui me préoccupe, c’est que nous ratons vraiment le coche pour ce qui est des taux d’alphabétisation au Canada avec les changements technologiques qui exigeront que les gens soient mieux instruits.

M. Wheater : Ma réponse peut sembler s’éloigner de votre observation, mais nous sommes dans une période très excitante de communication grâce aux médias sociaux. Nous voyons de plus en plus de produits d’information rendus facilement accessibles aux gens sur leurs appareils intelligents d’une manière qu’ils peuvent comprendre. Cela s’appliquera à quiconque désire faire du canot sur une rivière ou irriguer son exploitation agricole. C’est une période où l’on envoie de grandes quantités d’information aux gens d’une manière accessible.

Je suis assez optimiste concernant l’avenir pour ce qui est des flux d’information. Il est facile d’utiliser un téléphone intelligent et de télécharger une application. Vous recevez ensuite l’information sur l’humidité du sol sous vos pieds, et cela peut être de l’information très utile.

La présidente : C’est efficace, du moment que vous pouvez la lire. C’est là le secret.

M. McLachlan : J’ai le plaisir de donner des cours expérientiels dans les régions rurales du Sud du Manitoba. Je fais des sorties chaque année avec plusieurs étudiants, de 40 à 50, et nombre d’entre eux sont des étudiants étrangers. Nous visitons différentes exploitations agricoles; une grande diversité d’exploitations à grande échelle dans notre région sont des colonies huttériennes.

Les agriculteurs exploitent de 15 000 à 20 000 hectares. Ils sont assurément les plus grandes exploitations dans notre région du Canada. Dans nombre de cas, ils n’ont pas beaucoup d’études scolaires, mais ils possèdent cette capacité et ce savoir-faire mécaniques incroyables grâce à des logiciels pour faire fonctionner cette technologie, ce qui me dépasse certainement à tous les égards.

Je pense également aux octogénaires qui pratiquent de l’agriculture de précision en utilisant un GPS et des combinaisons très compliquées de différents types de variétés de plantes et d’herbicides. Ces personnes ont trouvé une façon de s’adapter. Nous touchons vraiment l’âme de nombreux agriculteurs dans ce cas. Ils s’adaptent et trouvent une façon qui fonctionne pour eux. J’ai plus d’espoir à cet égard.

J’ai de la difficulté à trouver comment nous pouvons finir par appuyer les petits et les moyens agriculteurs. En un sens, ce sont eux qui sont laissés pour compte. Ce ne sont pas ceux qui ont les moyens d’accéder à des technologies incroyables. Ce sont ceux qui, en un sens, tournent parfois le dos aux études scolaires et désirent faire de l’agriculture de manière plus traditionnelle à petite échelle en utilisant des principes agroécologiques comme les cultures-abris, les paillis, les engrais verts, l’agroforesterie, et cetera. Comment pouvons-nous les appuyer?

Il s’agit d’un type différent d’analphabétisme. Je suis désolé si j’ai l’air de reprendre la même rengaine et de répéter constamment la même chose, mais nous n’aidons pas bien ces gens. Ce sont eux qui, à bien des égards, seront l’avenir de l’agriculture. Ce sont eux qui possèdent une expérience urbaine. Ils font de l’agriculture de manière non conventionnelle. Ils sont absolument déterminés à vivre de l’agriculture, mais ils travaillent en grande partie dans un vide laissé par le gouvernement et les universités. Encore une fois, il s’agit d’un type différent d’analphabétisme. Comment pouvons-nous appuyer ces agriculteurs? Si vous avez des idées à ce sujet, j’aimerais les entendre, mais actuellement, il n’y a pas grand-chose pour eux.

La présidente : D’accord. Je pose la question parce que je ne connais pas non plus la réponse et que je suis inquiète.

M. Moloney : Pour poursuivre quelque peu dans la même veine que M. Wheater, je suis en réalité assez optimiste. Nous travaillons avec les agriculteurs partout dans les Praires. Je reviens tout juste de l’Éthiopie, où nous avons un projet. C’est extraordinaire de voir de petits agriculteurs dans le Sud de l’Éthiopie qui prennent une photographie d’une plante malade avec leur téléphone intelligent pour l’envoyer à un pathologiste afin que celui-ci trouve le problème.

Le taux d’alphabétisation des agriculteurs éthiopiens n’est pas aussi élevé que celui des agriculteurs canadiens. Également, ils ne travaillent pas en anglais, et le fonctionnement de la plupart des téléphones se fait dans cette langue. Pourtant, ils sont quand même capables de faire ces choses.

J’espère que les médias sociaux, l’utilisation de la technologie et la convivialité de nombre de technologies que nous avons conçues aideront les gens à mettre en œuvre ces choses. Ce n’est pas pour s’éloigner de ce que soulignait M. McLachlan au chapitre des principes agroécologiques. Il y a beaucoup d’approches traditionnelles en matière d’agriculture. Sur le plan biologique, c’est aussi compliqué que tout le reste. Si vous voulez aller à ce degré d’analyse, il s’agit de méthodes traditionnelles transmises d’une génération à l’autre. Par conséquent, elles sont facilement accessibles aux gens. Nous allons assurément voir les voies parallèles de ces méthodes.

La présidente : C’était un plaisir de vous accueillir tous les trois ici comme dernier groupe de témoins de la journée. Merci de vos exposés.

(La séance est levée.)

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