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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 46 - Témoignages du 22 mars 2018 (séance de l'après-midi)


CALGARY, le jeudi 22 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 13 h 17, afin de poursuivre son étude sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.

La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Je m’appelle Diane Griffin; je suis une sénatrice de l’Île-du-Prince-Édouard et je préside le comité. Je suis accompagnée de mon collègue, le sénateur Maltais, du Québec, et il est vice-président du comité. Les autres membres du comité qui étaient là hier auraient bien voulu être des nôtres aujourd’hui. Ils sont déçus d’avoir été rappelés à Ottawa hier soir. C’est dommage pour nous.

Nous poursuivons notre étude sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier, étude que nous menons depuis un certain temps. Nous sommes ravis d’être à Calgary. C’est notre deuxième jour ici. Nous avons passé deux jours à Vancouver, où nous avons eu droit à d’excellents exposés.

Nous avons hâte d’entendre d’autres exposés de ce calibre de votre part. Ce n’est pas pour vous mettre de la pression. Je vous invite d’abord à vous présenter à tour de rôle.

Guillermo Hernandez Ramirez, professeur adjoint, Département des richesses renouvelables, Université de l’Alberta, à titre personnel : C’est la première fois que je prends la parole devant un groupe de décideurs. Je me réjouis d’avoir cette occasion. Je m’appelle Guillermo Hernandez. Je travaille à l’Université de l’Alberta en tant que professeur de sciences environnementales au Département des richesses renouvelables, à Edmonton.

William Shotyk, titulaire de la chaire Bocock en agriculture et en environnement, Département des richesses renouvelables, Université de l’Alberta, à titre personnel : Je m’appelle William Shotyk, et je suis titulaire de la chaire Bocock en agriculture et en environnement dans le même département que M. Ramirez, soit le Département des richesses renouvelables à l’Université de l’Alberta.

M. Hernandez Ramirez : J’ai rédigé quelques notes qui, je l’espère, sauront nous aider à amorcer la conversation. Elles ne sont en aucun cas exhaustives, et je me ferai un plaisir d’entendre vos questions ou réflexions par la suite.

À la deuxième page, j’ai dressé une très courte liste de sujets que nous pouvons aborder aujourd’hui. Je serais très heureux d’entendre vos questions sur les effets de la température sur les systèmes de culture ou la façon dont l’humidité ou les précipitations pourraient influer sur les répercussions des changements climatiques. Ma formation et ma recherche universitaires reposent, en grande partie, sur la question de savoir ce qu’on trouve sous la surface du sol. Ensuite, je compte faire deux ou trois observations sur la façon dont les sols interagissent et peuvent contribuer à la gestion des changements climatiques. Après cela, nous pouvons parler de la pollinisation, des températures diurnes et nocturnes, et de tout le reste. Je pense que nous devrions aussi discuter des moyens d’amortir les répercussions des changements climatiques, après quoi nous pouvons peut-être dire quelques mots sur l’atténuation des émissions. Aujourd’hui, nous n’avons pas une quantité écrasante de données à vous fournir, mais nous disposons tout de même de deux éléments d’information, ce qui est très bien. Pour conclure, je parlerai de la façon dont nous pouvons transformer le système de culture afin de nous adapter aux changements climatiques.

J’ai l’esprit très pratique. Il est vrai que nous devons étudier le problème et comprendre les processus en jeu. Cependant, nous devons aussi chercher des solutions. J’espère donc qu’aujourd’hui, nous pourrons aussi discuter des solutions possibles.

Je vois également les choses d’un point de vue philosophique. À la page 3, je vous présente un diagramme très simple qui définit en quoi peut consister la durabilité. Les changements climatiques sont au cœur du débat sur la durabilité. Nous devons intégrer les besoins de la société, mais encore faut-il tenir compte de la nature et de la façon dont nous interagissons avec l’environnement et dont nous utilisons les ressources naturelles. Tout cela revient à la question de savoir comment l’économie évolue et comment les trois secteurs de la durabilité interagissent.

Toujours à la page 3, je présente essentiellement un des arguments que j’essaie de faire valoir à mes étudiants. Les sols ont la capacité de retenir l’eau et d’en assurer la disponibilité pour les plantes. Cette capacité existe déjà. Cependant, nous pouvons l’améliorer. Pourquoi ai-je décidé d’en parler aujourd’hui, alors que nous discutons de changements climatiques? Il se trouve qu’un des problèmes liés aux changements climatiques, c’est la variabilité des précipitations.

Je m’entretiens avec des agriculteurs partout en Alberta. J’échange avec eux sur de nombreux sujets. Or, je réussis à capter leur attention surtout lorsque je me mets à parler de sécheresse. Ils s’en inquiètent, car ce phénomène peut être lourd de conséquences pour leurs exploitations.

Comment pouvons-nous gérer les périodes de sécheresse? À mon avis, une façon d’y arriver consiste à accroître la capacité des sols de retenir l’eau pour les cultures et de fournir l’humidité dont elles ont besoin durant toute la saison de croissance. C’est là un moyen d’amortir les effets des changements climatiques. Si les changements climatiques entraînent une variabilité des précipitations, causant ainsi des périodes de sécheresse certaines années, nous serons en mesure de mieux gérer la situation si nous pouvons accroître la disponibilité de l’eau dans le sol pour les récoltes.

C’est ce que me disent les agriculteurs, et j’abonde dans le même sens. C’est très simple. D’après cet élément de données, une des façons possibles d’accroître la capacité du sol de retenir plus d’eau, d’agir comme une éponge et de rendre l’eau disponible pour les cultures en temps de sécheresse, c’est d’augmenter la teneur en carbone organique ou la présence de matière organique.

Devinez quoi? Cette solution est également bénéfique, car une quantité plus élevée de carbone organique dans le sol signifie qu’il y en a moins dans l’atmosphère. C’est une stratégie gagnante sur toute la ligne. Nous pouvons ainsi accroître la capacité du sol de fournir de l’humidité ou de l’eau aux récoltes, de faire pousser les plantes et de produire des aliments. En même temps, nous retirons du carbone de l’atmosphère. Il s’agit donc d’une étude qui suscite de l’intérêt. C’est plein de bon sens. C’est quelque chose que nous savons déjà. Nous devons simplement mettre en œuvre des modes de gestion qui nous permettront d’amortir les répercussions des changements climatiques.

Comment y arriver? Comment accroître cette capacité d’absorption, c’est-à-dire la capacité du sol d’agir comme une éponge, de retenir l’eau et de la rendre disponible pour les plantes? À la page 5, il y a une courte liste de diverses pratiques que nous pouvons peut-être appliquer pour accroître non seulement la teneur en matière organique des sols, mais aussi leur capacité de retenir l’eau. Ainsi, l’humidité des sols durant le printemps ou après la fonte des neiges sera maintenue pendant la saison de croissance pour abreuver les plantes et donner de meilleures récoltes.

Ces trois éléments sont sans doute loin d’être complets, ou ils sont peut-être biaisés, parce que je travaille dans ces trois domaines. En effet, un de mes domaines de recherche porte sur la gestion du fumier et l’ajout de biosolides pouvant améliorer la matière organique dans le sol. Je m’occupe également de l’agriculture à circulation raisonnée, qui est une pratique d’agriculture de précision, et de la mise en œuvre de modes de gestion pour que nous puissions accroître la capacité de rétention d’eau des sols et obtenir ainsi de meilleures récoltes. Nous travaillons avec les agriculteurs, directement dans les champs, pour mettre en œuvre certaines de ces pratiques de gestion. De plus, nous effectuons des recherches destinées à améliorer ces stratégies et ces pratiques.

Enfin, nous appliquons les résultats de recherche à la mise au point de cultures pérennes, ce qui nous permet de produire des récoltes année après année. Je reviendrai, tout à l’heure, sur un de mes projets antérieurs et sur un point intéressant concernant la transformation des systèmes de culture.

À la page 6, vous trouverez mon deuxième élément de données. Comment pouvons-nous réduire ces émissions? Mes étudiants et moi allons dans les champs. Nous essayons d’assurer la gestion du fumier. La présence de nutriments supplémentaires dans les terres crée un puissant gaz à effet de serre, appelé oxyde nitreux. L’oxyde nitreux est un gaz à effet de serre très puissant, non seulement parce qu’il est 300 fois plus puissant que le CO2, mais aussi parce qu’il peut appauvrir l’ozone stratosphérique. Par ailleurs, nous pouvons emmagasiner le CO2 dans la terre grâce au processus de photosynthèse. Dans le cas de l’oxyde nitreux, ce n’est pas possible. Nous n’avons pas un tel réservoir. C’est un grave problème. L’oxyde nitreux, ou N2O, est un gaz à effet de serre qui reste dans l’atmosphère pendant des siècles. Il s’agit là d’une grande préoccupation, et c’est pourquoi nous nous concentrons également sur ce gaz à effet de serre.

Quand on examine cet élément de données, on constate une augmentation de la quantité de fumier à l’automne. Il ne se passe pas grand-chose durant l’automne. Le nitrogène reste là lorsqu’il fait froid et sec en Alberta. Cependant, dès le printemps, en avril, il y a de fortes précipitations. Cela se produit tous les printemps. Par exemple, c’est ce qui est prévu au cours des prochaines semaines. Il y a donc une émission importante d’oxyde nitreux dans un court laps de temps. Durant ce phénomène épisodique, la quantité d’oxyde nitreux est très concentrée. En l’espace de quelques semaines seulement, nous enregistrons environ 6 kilogrammes d’oxyde nitreux. Cela semble bien peu, mais en raison du potentiel de réchauffement élevé, cela équivaut à presque 2 mégagrammes de CO2. C’est un changement très puissant qui se produit en très peu de temps.

Voilà de quoi s’inquiéter. C’est un problème. Comment en arriver à une solution? La réponse se trouve à la page 7. Mes étudiants ou mes collaborateurs et moi ajoutons des additifs au fumier. Les additifs font l’objet d’études depuis des années, voire des décennies, dans le but de trouver des façons de limiter les émissions et de mettre au point des solutions. Nous étudions le problème, et nous espérons trouver des solutions à cet égard. Voyez-vous les lignes, orange et rouge, qui montrent une réduction de plus de la moitié de ces émissions? Je m’abstiendrai de nommer aujourd’hui des marques commerciales. Je me contenterai de dire que nous avons utilisé l’additif A et l’additif B, mais celui que je préfère est l’additif B dans ce cas-ci parce qu’il permet une plus grande réduction. Nous poursuivons cette étude. Là où je veux en venir, c’est que nous devons également assurer l’atténuation des émissions avant que ces phénomènes finissent par causer des changements climatiques.

À la page suivante, il y a deux images qui montrent les résultats de ce que mes étudiants et moi avons observé en laboratoire. Aujourd’hui, nous pouvons non seulement quantifier les flux, mais aussi mesurer les parties par billion avec précision. Nous pouvons mesurer cela en laboratoire. Nous utilisons également des isotopes pour retracer l’historique de ces processus. Si nous parvenons à mieux comprendre ce problème et ces processus, alors nous pourrons peut-être modéliser le tout et mieux quantifier ces réponses. Nous pourrons ainsi mieux maîtriser la situation.

Par exemple, de nos jours, le modèle Holos utilisé par le gouvernement fédéral, à Agriculture et Agroalimentaire Canada, tient compte de l’oxyde nitreux. Cependant, le taux d’incertitude pourrait s’élever à 60, 70 ou même 80 p. 100. Par conséquent, si nous pouvions améliorer ces modèles, nous pourrions obtenir une meilleure estimation. En outre, nous pourrions mieux gérer les mesures à prendre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, peut-être en examinant l’efficacité. Cela fait partie du travail que nous effectuons.

Avant de conclure, si vous passez à la dernière page, vous verrez que nous travaillons à la mise au point de cultures pérennes. Année après année, les agriculteurs de l’Ouest canadien et du monde entier procèdent à la plantation de cultures annuelles. Au lieu d’utiliser des cultivars qui doivent être semés chaque année, nous proposons de planter une semence pour ensuite faire pousser la même récolte au même endroit pendant deux, trois ou quatre années consécutives, sans devoir ensemencer ou cultiver la terre de nouveau. En éliminant toutes ces activités, nous réalisons des économies. De plus, cette pratique est bénéfique pour l’environnement, car les cultures pérennes possèdent parfois plus de racines. On voit sur cette page une image qui montre une accumulation de racines issues de cultures pérennes. Les cultures annuelles, pour leur part, ont des racines beaucoup plus courtes. Les racines jouent un rôle très important, non seulement parce qu’elles… favorisent le retour du carbone dans le sol, mais aussi parce qu’elles absorbent l’eau.

Cela me ramène à mon premier point. Nous devons atténuer les effets des changements climatiques dans le cas de phénomènes de précipitations extrêmes, y compris la sécheresse. L’une des manières de le faire, c’est d’accéder aux ressources dans ce profil de sol. Il s’agit peut-être d’un cycle pour revenir à ce que j’ai dit tout au début de mon exposé. C’est mis en œuvre. Nous réalisons des recherches sur le seigle vivace. Toutefois, des travaux sont déjà en cours en vue de mettre au point des cultivars vivaces pour le blé et l’orge. C’est au menu. Ailleurs dans le monde, des travaux sont également réalisés concernant des vivaces en vue de mettre au point des cultures pérennes pour le riz et d’autres cultures. C’est probablement l’une des révolutions à venir dans le domaine agricole, et cela nous aidera peut-être à nous adapter également aux changements climatiques.

Sur ce, je vous remercie énormément de votre attention. Je serai ravi de répondre à toutes vos questions.

La présidente : Merci, monsieur Hernandez Ramirez. Nous écouterons vos deux exposés avant de passer aux séries de questions.

M. Shotyk : Guillermo, ce sera difficile de faire mieux que votre exposé. C’était beau et inspirant. J’ai une idée pour la prochaine conférence Bentley en agriculture durable.

J’ai préparé un exposé de nature très générale sur la manière de renforcer la résilience environnementale de nos terres agricoles et forestières dans le contexte des changements climatiques. Le document que je vous ai remis contient sept grands points.

Le point 1 se veut un simple rappel. Je sais que vous le savez. Le sol est à la base de notre civilisation. C’est une citation de Thomas Jefferson. C’est à la base de l’agriculture et de la foresterie. Je dirais que le sol est notre troisième ressource naturelle en importance après l’oxygène et l’eau. Le sol joue un rôle important dans le cycle mondial du carbone et, par conséquent, dans le système climatique mondial et le cycle mondial de l’azote. Le sol est aussi une importante composante de la biodiversité mondiale. Le sol regorge de nutriments essentiels pour les plantes et les animaux; c’est un réservoir d’eau, et le sol permet aussi de filtrer l’eau. Depuis 7 000 ans, des civilisations ont vu le jour et se sont écroulées en fonction de la manière dont elles prenaient soin de leurs sols. Nos sols sont en danger.

Le point 2 traite des changements climatiques. Plus la température de la surface de la mer grimpe, plus nous pouvons nous attendre à être témoins de phénomènes météorologiques extrêmes. Nous parlons de la température annuelle moyenne et de la façon dont elle évoluera. La température moyenne est une statistique très trompeuse. La température moyenne des patients dans un hôpital est de 37 degrés. Certains font de la fièvre; d’autres ont froid. Nous devons être conscients des extrêmes et de l’intensité des tempêtes de pluie et de la sécheresse. M. Hernandez Ramirez a soulevé certaines inquiétudes concernant la sécheresse. Ces éléments mis ensemble entraînent un risque croissant d’érosion du sol. Nous devons faire tout en notre possible pour empêcher l’accélération de l’érosion du sol.

Le point 3 est un avertissement. Nous avons été avertis à plusieurs reprises. Je ne sais pas si vous connaissez bien les déserts artificiels du comté de Simcoe dans le Sud de l’Ontario, mais la région de Midhurst, en Ontario, est devenue un désert lorsque les pins ont été coupés. Les dunes de sable étaient de la taille de granges à foin. Lorsque les arbres ont été coupés, le vent a emporté la matière organique. C’est très bien documenté. Cela remonte seulement à 100 ans. Lorsqu’une coupe à blanc a été pratiquée dans le parc provincial Algonquin, la sédimentation s’est accélérée. Je l’ai constaté dans les taux d’accumulation de sédiments dans les lacs et bien entendu dans le bol de poussière dans le Sud de l’Alberta. Il y a d’importantes leçons d’histoire dont nous ne pouvons pas faire fi.

Le point 4 porte sur des mesures à prendre. Qu’est-ce que les propriétaires fonciers peuvent faire?

Premièrement, il faut protéger le sol en ayant recours à une couverture végétale. Un sol nu est un sol vulnérable. Vous pouvez consulter le rapport Lowdermilk, publié en 1948.

Deuxièmement, il faut accroître la quantité de matière organique dans le sol. Nous avons eu un excellent plaidoyer précisément en ce sens en pratiquant une agriculture de conservation. À ce sujet, je vous suggère de lire Farmers of Forty Centuries de F. H. King qui porte sur la manière dont les gens ont pris soin de l’agriculture en Asie en ajoutant constamment de la matière organique. Cela contribuera à stabiliser le climat mondial, à reconstituer le réservoir d’azote, à réduire les pertes de nutriments, à renflouer le réservoir de macronutriments et de micronutriments, à préserver la santé du sol, à immobiliser les contaminants, à améliorer la qualité des eaux de surface et souterraine et à réduire les inondations. Comme nous l’avons souligné, le sol est une éponge, et nous pouvons améliorer sa capacité d’absorption.

Troisièmement, il faut planter des brise-vents, ce qui a de nombreux avantages sur le plan écologique.

Quatrièmement, il faut créer des bandes de protections riveraines, ce qui a aussi de nombreux avantages sur le plan écologique.

Cinquièmement, il faut protéger les milieux humides naturels, ce qui a encore une fois de nombreux avantages sur le plan écologique.

Le point 5 porte aussi sur des mesures à prendre. Qu’est-ce que les éducateurs peuvent faire? Les élèves doivent avoir une meilleure compréhension des éléments fondamentaux d’une planète habitable. Les élèves peuvent apprendre l’histoire, la géographie, les mathématiques et la biologie tout en apprenant à comprendre comment la planète fonctionne. Nous devons enseigner la conservation aux élèves non seulement du point de vue théorique, mais aussi du point de vue pratique. Nous devons faire la promotion de l’éducation publique. L’éducation est pour tout le monde.

Au point 6, nous nous demandons ce que nos gouvernements peuvent faire. Nos meilleures terres agricoles doivent être protégées contre le développement. Le développement représente une perte permanente. Vous n’avez qu’à regarder comment les meilleures terres agricoles disparaissent dans le Sud de l’Ontario. Nous devons recréer les pépinières qui fournissent le matériel de reproduction des plantes indigènes. Voici une citation tirée du rapport annuel de 1888 du ministère ontarien de l’Agriculture : « La manière d’encourager la plantation d’arbres, c’est d’en planter. »

Le point 7 concerne la planification en fonction du principe de la septième génération en consultant les communautés des Premières Nations au sujet de l’intendance environnementale, de l’inclusion des connaissances traditionnelles et de la participation des communautés des Premières Nations pour aider les Canadiens à mieux comprendre la signification de la durabilité de l’environnement. Prenons l’exemple de la Première Nation de Fort McKay, dans le Nord de l’Alberta. Nous avons des preuves archéologiques que des gens y vivent depuis 10 000 ans. Ce peuple a réussi à comprendre ce qu’est la durabilité. Nous devons faire la promotion des connaissances traditionnelles dans la société canadienne et des connaissances occidentales, en particulier nos sciences, dans la société des Premières Nations.

Enfin, il y a un épilogue de mon cru. Nous devons mettre en pratique ce que nous prêchons. Sur notre petite ferme près d’Elmvale, en Ontario, j’ai planté 25 000 arbres depuis 40 ans, dont 10 000 à la main, de plus de 50 essences différentes. C’est maintenant un pâturage permanent. Des milieux humides éphémères ont été préservés au lieu d’être drainés. Un milieu humide artificiel a été créé pour contribuer à éduquer le grand public. J’ai créé le Festival annuel de l’eau d’Elmvale; c’est le premier festival de l’histoire de l’humanité où vous pouvez boire à volonté gratuitement toute la journée. Nous avons aussi l’Elmvale Foundation qui est un organisme de bienfaisance enregistré auprès du gouvernement fédéral qui prône la sensibilisation à l’environnement.

Pendant que je vous parle ici aujourd’hui, des citoyens, y compris des membres de communautés des Premières Nations, collaborent pour empêcher l’expansion de l’extraction d’agrégats dans les Simcoe Highlands en vue de protéger des terres agricoles et des sols forestiers qui constituent la zone d’alimentation en eau souterraine des sources artésiennes de la région d’Elmvale, où se trouve sans doute l’eau la plus pure du globe. Je vous invite à lire la lettre en pièce jointe que l’Elmvale Foundation a fait parvenir au ministère ontarien des Affaires municipales.

En prenant la parole ici aujourd’hui, j’ai une pensée pour ces citoyens et je les remercie de leurs efforts dans le domaine de la conservation des sols et de l’eau. Merci.

La présidente : Merci de vos exposés. Passons maintenant aux séries de questions, et le sénateur Maltais sera le premier intervenant.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci de vos présentations qui sont très intéressantes. Je pense que ça va éclairer drôlement bien le comité.

Je vais commencer par vous, monsieur Ramirez. D’abord, je tiens à vous féliciter. Vous êtes un des rares écologistes qui mettent l’accent sur la société, l’économie et l’écologie productive. Bravo, parce qu’il y en a beaucoup qui passent en premier! Bien sûr, l’écologie, c’est excellent, c’est l’avenir, mais il ne faut pas oublier que notre société a des besoins continuels auxquels il faut répondre avec les meilleurs soins possible. Et ça, c’est tout à votre honneur.

Vous avez abordé plusieurs choses, mais ce que je retiens, c’est à savoir s’il est possible aujourd’hui de prévenir des sécheresses. Je vous laisse y répondre.

[Traduction]

M. Hernandez Ramirez : Pourriez-vous répéter la dernière partie, s’il vous plaît?

[Français]

Le sénateur Maltais : Est-ce possible aujourd’hui de prévenir les sécheresses?

[Traduction]

M. Hernandez Ramirez : C’est une bonne question. Je ne crois pas que nous soyons en mesure de prévoir les sécheresses ou d’empêcher qu’elles se produisent. En fait, nous ne savons pas si nous voulons parler de sécheresse en fonction de l’ensemble de la saison ou seulement des intervalles entre les chutes de pluie. À une certaine époque, nous avions chaque semaine une bonne pluie qui venait arroser le sol et les champs. Nous en avons maintenant tous les 10 jours, voire tous les 20 jours, mais c’est beaucoup plus intense.

Une sécheresse ne se manifeste pas seulement comme une saison sèche; cela se manifeste aussi par l’intervalle entre les diverses chutes de pluie. Je ne crois pas que nous puissions empêcher une sécheresse de survenir. Nous pouvons nous y préparer ou nous assurer d’avoir les conditions qui peuvent nous aider à composer avec une sécheresse. Par exemple, nous pouvons améliorer notre capacité de rétention d’eau ou choisir des récoltes qui vont puiser l’eau plus profondément dans le sol.

Nous pouvons voir la sécheresse comme un phénomène qui survient. Selon nos données historiques, nous avons connu il y a peut-être 15 ou 20 ans une sécheresse intense au centre de l’Alberta et nous connaissons depuis peut-être 6 ou 10 ans un cycle relativement plus humide. C’est donc possible que nous ayons de nouveau un cycle sec d’ici une dizaine d’années. Les données historiques nous permettent de voir un cycle sur 15 ou 20 ans où les conditions passent de sèches à humides. Je ne pense pas que nous soyons en mesure de prévoir quand nous aurons des sécheresses. Nous pouvons établir des prévisions pour les semaines ou les jours à venir, mais nous ne pouvons pas empêcher une sécheresse de survenir. Nous pouvons gérer une sécheresse en fonction des choix que nous faisons.

Je me rappelle qu’en mai 2015 nous avons connu des conditions très sèches en Alberta et dans l’Ouest canadien. Cependant, les agriculteurs avaient recours à l’agriculture de conservation, à la culture sans travail du sol, à l’agriculture de précision et à la gestion contrôlée de la compaction. Les récoltes continuaient de pousser dans leurs champs, alors que les champs avoisinants n’avaient pas une telle capacité; c’était peut-être parce que la gestion était différente. Nous parlons de l’interaction entre l’environnement, soit la sécheresse et les conditions météorologiques, et la manière dont la gestion peut contribuer à atténuer ou à moduler ces phénomènes environnementaux extrêmes. Les changements climatiques bouleversent l’environnement, mais nous serons peut-être à même de gérer ce facteur environnemental grâce à une meilleure gestion.

C’est en fait une équation à trois variables. Nous avons l’environnement, qui évolue en raison des changements climatiques. Nous avons des pratiques de gestion, puis la troisième variable est la génétique ou la sélection. Nous collaborons aussi étroitement avec des sélectionneurs pour avoir des récoltes qui sont plus en mesure de s’adapter aux conditions en faisant passer les ressources des plantes du feuillage aux racines dans le sol pour que les racines puissent accéder à l’eau et aux nutriments qui s’y trouvent. Ces ressources sont là. Le problème, c’est que durant de nombreuses années nous avons davantage mis l’accent sur la pluie et le feuillage au lieu de renforcer la résilience des récoltes pour leur donner la capacité de puiser dans ces ressources en développant de meilleurs systèmes racinaires.

[Français]

Le sénateur Maltais : Alors, vous avez parlé aussi des capacités d’absorption des sols, notamment les additifs qu’on pourrait ajouter pour rendre les sols plus spongieux. Quels sont ces additifs?

[Traduction]

M. Hernandez Ramirez : C’est une excellente question. Nous devons accroître la matière organique. Nous devons fournir de la matière pour nourrir le sol en vue d’accroître la matière organique qui provient, par exemple, de l’ajout de fumier, de déchets végétaux et de biosolides. Nous utilisons les biosolides provenant des villes. Les humains sont devenus très bons à concentrer les nutriments et les ressources dans les villes. Ils en connaissent les signes si cela devient un problème.

Mes étudiants et moi prenons des biosolides provenant d’installations de gestion des déchets d’Edmonton et de Banff et nous évaluons comment divers biosolides peuvent accroître la capacité spongieuse du sol. C’est une métaphore, mais cela signifie qu’il y a, en gros, plus de pores. Il y a plus d’espace dans le sol pour y emmagasiner de l’eau et la rendre disponible pour les récoltes.

Par ailleurs, il y a d’autres processus qui peuvent nous aider. Par exemple, en pratiquant l’agriculture de conservation sans travail du sol et en ayant recours à la gestion contrôlée de la compaction, nous pouvons prévenir la compaction des sols. Ce faisant, nous pouvons obtenir un sol spongieux à souhait. Les agriculteurs appellent cette propriété l’état d’ameublissement du sol ou la santé du sol. C’est le gage d’un sol en santé. Ce sol sert à faire pousser des récoltes, mais il permet aussi de nous adapter aux changements climatiques ou de les atténuer et de séquestrer le carbone de l’atmosphère. C’est polyvalent. Si nous allons dans la bonne direction, je crois que nous pouvons réussir à tirer profit de tous ces avantages.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci. Ce matin, quelqu’un a parlé de cultures vivaces. Vous en avez parlé au début de votre exposé. Est-ce qu’il y a de l’avenir pour l’ensemble des territoires ou est-ce encore à titre expérimental? Et est-ce que ça s’applique à tous les genres de graminées dont on a besoin, pour nous et ailleurs où on exporte?

[Traduction]

M. Hernandez Ramirez : Je présume que vous me demandez si c’est quelque chose que nous pouvons mettre en œuvre. La réponse est oui. Par exemple, Agroalimentaire Canada a autorisé la mise en marché, comme cultivar commercial, du cultivar de seigle vivace ACE. Nous pouvons en fait acheter des semences commerciales. Des agriculteurs peuvent faire ce choix. C’est actuellement possible.

C’est également un milieu en évolution. Les programmes de sélection prennent du temps. Cela peut prendre des années. Dans les prochaines années ou décennies, nous espérons avoir du blé vivace ou de l’orge vivace. Nous sommes en train de mettre au point ces variétés. Nous réalisons des travaux pour voir comment ces divers nouveaux cultivars pourraient contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à accroître la séquestration du carbone. Nous ne le savons pas encore. Nous l’évaluons, mais c’est prêt à mettre en œuvre, parce que des semences commerciales sont déjà sur le marché. Les agriculteurs peuvent l’évaluer dans le cas du seigle.

Je confirme que des travaux sont encore nécessaires quant au blé et à l’orge. Cela s’en vient. Restez à l’affût. J’ai grand espoir qu’il y aura une révolution ou que nous modifierons la manière dont nous faisons de l’agriculture dans l’Ouest canadien.

[Français]

Le sénateur Maltais : J’ai une dernière question qui s’adresse à vous. Votre théorie est fort intéressante. Vous menez des recherches collaboratives avec les agriculteurs. Avez-vous utilisé une parcelle de terre pour mettre en application vos théories? Par exemple, avez-vous pris quelques acres de terre cultivable pour mettre en application la théorie que vous avez énoncée?

[Traduction]

M. Hernandez Ramirez : Au moins la moitié des résultats que j’ai mentionnés ici ont déjà été utilisés par des collaborateurs du milieu agricole. Une partie de mes collaborateurs sont des agriculteurs. Nous collaborons directement avec James Jackson à Dapp, Craig Shaw à Lacombe et de nombreux autres agriculteurs en Alberta : de Cleardale dans la région de Peace Country à Rolling Hills dans le sud. Nous utilisons aussi bien des terres irriguées que des terres non irriguées près d’Edmonton et ailleurs. Ces agriculteurs ont des questions. Nous collaborons directement avec au moins la moitié d’entre eux pour mettre en œuvre les pratiques de gestion que nous avons élaborées.

Certains des aspects dont je vous ai parlé aujourd’hui sont encore en développement. Nous réalisons des tests en laboratoire et dans des fermes expérimentales. L’université réalise des recherches de concert avec des fermes à Breton, à St. Albert et ailleurs. Nous nous penchons sur une vaste gamme de variables différentes. Nos travaux concernent directement l’exploitation de fermes où les agriculteurs prennent des décisions en fonction des profits. Cependant, il y a d’autres aspects qui sont seulement à titre expérimental. Certains additifs dont j’ai parlé pour réutiliser les gaz à effet de serre sont déjà sur le marché. Ils ont également d’autres avantages. Nous continuerons de collaborer avec des professionnels, des consultants et des agriculteurs pour faire progresser nos connaissances en vue de pouvoir atteindre la durabilité.

Je peux ajouter quelque chose. L’une des raisons pour lesquelles je parle aujourd’hui de la durabilité de la nature, de la société et de l’économie, c’est que j’enseigne la durabilité dans mon département. Je discute de ce sujet directement avec mes étudiants. Je crois que la prochaine génération changera la donne, parce qu’elle se soucie de cette question. Les étudiants sont déjà témoins des changements climatiques dans l’Ouest canadien. Ils sont les étudiants ou les professionnels qui devront s’attaquer directement à ces problèmes. Nous voulons soutenir les nouvelles générations et collaborer avec elles dans le domaine de la recherche en vue de pouvoir, en fait, continuer dans cette équation à trois variables.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci beaucoup.

Ma prochaine question s’adresse à M. William Shotyk. Bien sûr, vous avez fait une excellente présentation de votre mémoire sur la biodiversité. Vous avez parlé de désertification. C’est un phénomène qui n’est pas nouveau, qui date de plusieurs dizaines d’années dans toutes les provinces. La population s’accroît. Les villes s’agrandissent. Les agriculteurs ont besoin de plus en plus de terre arable. Donc, la forêt recule et souvent d’une manière désastreuse. Ce n’est pas fait dans les meilleures conditions. On ne s’est pas assez attardé au reboisement. En 2018, quel est l’état de la désertification des terres au Canada?

[Traduction]

M. Shotyk : Je m’excuse, mais je n’ai pas de données à ce sujet. Je ne peux pas le dire.

[Français]

Le sénateur Maltais : Croyez-vous que les choses se sont améliorées depuis quelques années ou est-ce que l’on continue à faire de la coupe à blanc encore dans la majorité des provinces?

[Traduction]

M. Shotyk : Encore une fois, c’est difficile pour moi de le dire. Par contre, je peux dire que nous sommes généralement beaucoup plus conscients des problèmes. C’est vraiment important pour nous de saisir toutes les occasions de mettre cela en pratique.

Par le passé, nous avions un modèle forestier et un modèle agricole. En vue de veiller au développement durable du territoire, nous devons davantage utiliser un modèle hybride où nous avons des parties de l’exploitation agricole qui sont boisées pour des raisons écologiques en vue de réduire au minimum l’érosion du sol, par exemple. Compte tenu de la façon dont les terres agricoles étaient traditionnellement créées et divisées au Canada, nous aurions intérêt à plutôt tenir compte des bassins hydrographiques et des liens entre nos terres et notre eau et à repenser notre territoire dans l’avenir de manière à conserver nos terres agricoles et à réduire les conséquences sur la qualité de l’eau grâce à de la végétation indigène comme des arbres ou à des plantations riveraines.

[Français]

Le sénateur Maltais : Vous avez parlé beaucoup de changements climatiques. À quelle vitesse faut-il s’attendre à ce que ces changements évoluent d’ici 10 ans? Que le climat change de façon dramatique?

[Traduction]

M. Shotyk : Je ne suis pas climatologue, mais je crois que la preuve des changements climatiques rapides n’est plus à faire. Par exemple, ici en Alberta, nous ne sommes pas très loin du glacier Athabasca. Si vous examinez de vieilles photographies du glacier Athabasca du début du XXe siècle et que vous les comparez au glacier Athabasca aujourd’hui, vous pouvez voir l’ampleur du recul du glacier.

J’ai réalisé un rapport pour le compte de l’Institut des agronomes de l’Alberta lorsque je suis arrivé en Alberta il y a environ six ans. Ne me citez quant au pourcentage, mais je crois que le rapport mentionnait que, d’ici la fin du siècle, nous prévoyions perdre 90 p. 100 du volume de glace des glaciers à l’est des Rocheuses.

Nous avons bon nombre de données probantes qui nous indiquent que le climat évolue très rapidement. Je me tiens en fait au courant de tous les travaux de recherche sur les changements climatiques. Ce que je constate, c’est que le climat change beaucoup plus rapidement que nous l’avions prévu. Voilà pourquoi il est important pour nous à l’avenir, si nous voulons protéger nos sols, de planifier dès maintenant la manière de réduire le risque d’érosion, étant donné qu’il y aura plus de sécheresses et d’inondations en raison de l’intensité des tempêtes à mesure que cela gagnera en intensité.

La présidente : Monsieur Hernandez Ramirez, je suis vraiment impressionnée par la photo à la page 9. Quel âge à la plante vivace à gauche?

M. Hernandez Ramirez : Cette plante a une année de croissance.

La présidente : Cela représente une année de croissance.

M. Hernandez Ramirez : Cela représente une année de croissance. Cela dénote davantage des ressources dans le sol qu’au-dessus du sol, et c’est en croissance. Par exemple, la plante annuelle que vous avez à droite a seulement crû deux mois ou deux mois et demi. La croissance s’est ensuite arrêtée, et la plante a mis l’accent sur la croissance des grains. Dans le cas de la plante vivace, nous avons été en mesure de la monter en graine. Elle continuera ensuite de croître à l’automne, et elle sera aussi capable de croître le printemps prochain. Voilà comment se compare le cycle annuel.

La présidente : Si la plante a crû autant en un an, ce taux de croissance se poursuivra-t-il dans les années à venir ou la plante consacrera-t-elle plus d’énergie à la pousse et aux grains?

M. Hernandez Ramirez : Avec les plantes vivaces, nous avons normalement un renouvellement des radicelles. Chaque année, des radicelles mourront et contribueront à régénérer le carbone dans le sol. De nouvelles radicelles pourront ensuite se développer et croître. La plante doit consacrer des ressources pour continuer de former la masse racinaire et ses racines plus petites.

Autrement dit, je crois que la réponse est oui et non. La plante doit consacrer de nouvelles ressources au remplacement de ses radicelles, mais les racines principales seraient déjà là. Les plantes n’auront pas à consacrer toutes leurs ressources à rebâtir leur système racinaire.

L’un des avantages au printemps, c’est que les plantes vivaces peuvent commencer à croître plus rapidement que les plantes annuelles, parce qu’elles ont déjà un système en place. Pour avoir un système racinaire en place, les plantes emmagasinent également des réserves d’énergie à l’automne qui seront utilisées au printemps pour la croissance initiale. Cette croissance initiale en avril ou au début mai nous permet d’accéder à des ressources météorologiques qui pourraient autrement être perdues. Les nutriments sont accessibles à ce moment. Si nous n’utilisons pas ces nutriments, ils peuvent devenir des polluants ou ils peuvent même se transformer en gaz à effet de serre. Nous essayons de profiter de la période au début de la saison et à la fin de la saison à l’automne. Nous avons également une croissance planifiée, ce qui est, en fait, semblable à ce qui se produit dans des écosystèmes naturels. Tout ce qui est naturel n’est pas nécessairement bon, mais le principe de combler ces lacunes en profitant de cette période au début du printemps et à la fin de l’automne dans cet exemple nous permet de tirer avantage du rayonnement ou de la chaleur. Par conséquent, nous pouvons avoir une croissance et un rendement planifiés que nous pouvons utiliser comme fourrage ou pour stimuler le rendement.

La présidente : C’est une photo spectaculaire.

M. Hernandez Ramirez : C’est très impressionnant. J’ai également eu la même impression quand j’ai vu que j’ai été capable de faire croître une telle masse en un seul cycle de 24 mois. C’est aussi parce que les autres plantes n’ont pas une croissance aussi longue. Elles étendent leurs racines en juin et en juillet, puis elles freinent cette croissance pour se consacrer à d’autres parties.

La présidente : C’est très intéressant. Vous êtes, tous les deux, actifs dans le milieu de la recherche et vous êtes probablement au courant que le 28 février, l’honorable Lawrence MacAulay, le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada, a annoncé un nouveau programme de financement : le Partenariat canadien pour l’agriculture. Cela vise à lutter contre les changements climatiques dans l’industrie agricole.

Comme vous acquiescez de la tête, j’en déduis donc que vous êtes au courant. Êtes-vous tous les deux au courant? Une telle source de financement vous sera-t-elle utile dans vos travaux de recherche?

M. Hernandez Ramirez : J’étais là, sur le campus, lorsque le ministre a annoncé le programme. Je suis très content de dire que je suis l’un des chercheurs principaux qui ont été retenus pour ce financement. Nous sommes reconnaissants d’avoir accès à ces ressources. La recherche sur les vivaces pour laquelle nous fournissons du personnel utilise ce financement du gouvernement fédéral. Nous sommes très heureux d’avoir accès à ces ressources et à des étudiants compétents. Notre projet peut compter sur des étudiants et des techniciens pour constituer des ensembles de données qui nous permettront de comprendre comment les gaz à effet de serre peuvent être réduits. Je participe sérieusement à au moins deux de ces programmes par l’intermédiaire du Programme de lutte contre les gaz à effet de serre en agriculture ou du partenariat connexe que le ministre a été en mesure d’approuver en février.

La présidente : Voilà qui est formidable.

M. Hernandez Ramirez : J’ai été content de lui serrer la main.

M. Shotyk : Depuis que je me suis joint à l’Université de l’Alberta — il y a de cela environ six ans —, je me suis concentré sur l’impact environnemental de l’exploitation des sables bitumineux. Mon secteur de recherche central porte sur la présence d’éléments traces dans l’environnement, notamment en ce qui concerne les métaux lourds. C’est le sujet qui m’occupe le plus.

Nous avons une compréhension très imprécise des émissions de métaux lourds potentiellement toxiques en provenance des sables bitumineux. Nous avons aménagé un laboratoire ultra propre et exempt de métal afin d’arriver à mesurer les éléments traces dans l’environnement. Il nous a fallu, à peu près, trois ans pour préparer l’entrée en service de ce laboratoire. Nous examinons les éléments traces dans l’air en procédant à des analyses de la mousse, de la neige et des eaux du cours inférieur de la rivière Athabasca. C’est à peu près l’essentiel de mon travail.

Maintenant, je vais vous faire part de la version condensée du Reader’s Digest. Les sables bitumineux ne produisent pas de pollution par les métaux lourds. Les métaux lourds dans l’air sont en déclin depuis des décennies. Les concentrations de métaux lourds dans l’eau sont à leurs niveaux naturels.

Je commence à m’intéresser aux oligo-éléments en agriculture et à la spéciation des éléments traces dans la solution du sol. Qu’y a-t-il dans le sol qui dicte la disponibilité de cuivre et de molybdène pour les plantes? Nous avons mis au point cette technologie pour comprendre la spéciation des éléments traces grâce à notre travail sur la rivière Athabasca, et nous commençons maintenant à l’appliquer à l’agriculture. Je n’ai pas encore fait de demande de financement. Nous avons travaillé à la mise au point des outils pour le prélèvement de la solution du sol et pour mesurer la spéciation des éléments traces. Nous sommes maintenant prêts à passer à la recherche proprement dite.

M. Hernandez Ramirez : J’aimerais apporter une précision sur l’un des sujets qui ont été soulevés. Je suis tout à fait d’accord avec M. Shotyk : une moyenne peut être trompeuse lorsque l’on examine les résultats des données. Une moyenne peut dissimuler une possibilité. Par exemple, on pourrait dire que la température annuelle moyenne de l’air augmente d’un ou deux degrés en raison des changements climatiques. Cela peut sembler modeste. Cependant, ce qu’ils cherchent à souligner, c’est que c’est dans les températures nocturnes que les changements sont les plus grands.

La productivité des plantes est assujettie à deux grands processus. Il y a la photosynthèse ou la gestion de la descente du carbone dans la canopée, et la respiration. Les plantes ont besoin de respirer pour se développer ou pour assimiler l’énergie brute dont elles ont besoin pour pousser. Le jour, la lumière permet la photosynthèse. En revanche, la nuit, le gros de l’effort va à la respiration. Dans le centre de l’Alberta ou dans l’Ouest canadien, on avait l’habitude de voir des nuits froides. Cependant, c’est à cet égard que les changements les plus grands se produisent. Pour quelque raison que ce soit, les températures nocturnes ont augmenté. Par conséquent, entre ces deux processus que sont la photosynthèse et la respiration, on constate que la photosynthèse est en train de changer un peu en raison des chaleurs enregistrées durant le jour, mais c’est la respiration qui augmente le plus. La respiration supprime une partie du carbone qui a été fixé. Si les changements climatiques ou le réchauffement planétaire sont en train de diminuer la productivité des plantes, c’est surtout à cause de l’augmentation des températures nocturnes.

Les températures sont plus chaudes dans les environs d’Edmonton. Ce sont mes voisins qui me l’ont dit. Avant, il faisait froid là-bas. Maintenant, les nuits se réchauffent. Le défi pour nous, c’est ce changement disproportionné entre le jour et la nuit, et le fait que la nuit est en train de compromettre notre capacité à harnacher la productivité végétale.

Une autre cause de la montée des températures nocturnes, c’est la vapeur d’eau, qui est un gaz à effet de serre de premier plan. Nous n’avons pas l’habitude d’en parler comme d’un gaz à effet de serre, mais la vérité, c’est que la vapeur d’eau emprisonne la chaleur. La nuit, la vapeur d’eau peut rester dans la couche limite. Elle aura pour effet de retenir la chaleur qui réchauffe les champs, la canopée et les systèmes de culture. C’est un problème, car nous devons maintenant nous adapter à des nuits qui se réchauffent. Il y a d’autres raisons pour expliquer l’augmentation des températures nocturnes. C’est aussi attribuable à la turbulence. Durant le jour, l’atmosphère est plus troublée et cela a un effet refroidissant. La nuit, comme il y a moins de turbulence, la chaleur reste emprisonnée et fait monter les températures. C’est l’un des facteurs préoccupants dont nous devons être conscients.

Ce n’est pas la seule raison pour laquelle la chaleur et les changements de température sont préoccupants. Il faut aussi penser à la pollinisation. Un coup de chaleur excessive à n’importe quel moment de la saison de croissance peut stopper le développement des fleurs. Or, sans pollinisation, il n’y a pas de récolte. Le blé, par exemple, pourrait souffrir de ce type de conjoncture. Nous avons toujours tendance à dire que l’air chaud favorise la productivité, mais il y a un seuil optimal. Au-delà de ces valeurs optimales, on se retrouve avec des températures qui sont trop élevées pour permettre la formation des fleurs. S’en suivra un contrecoup négatif qui risque de plomber nos systèmes de production.

Dans l’ensemble, le Canada et l’Alberta ont encore des températures relativement froides. Il nous reste encore du temps pour trouver des solutions et pour nous adapter aux vagues de chaleur excessive ou à l’augmentation des températures. Il nous reste encore quelques années pour apprendre comment gérer ces phénomènes.

La présidente : Ma question s’adresse à vous deux. Dans votre présentation, monsieur Shotyk, vous avez parlé de choses comme la prévention de l’érosion des sols, l’action des propriétaires fonciers, la protection des terres humides, la protection des sols et la nécessité de mieux éduquer le public. Ce sont toutes des actions très directes. Nous faisons partie du Parlement du Canada et nous faisons nos recommandations au gouvernement du Canada. Essentiellement, le gouvernement dispose de deux coffres à outils. D’abord, il y a la réglementation. C’est ce coffre à outils qui renferme les règlements, les lois, et cetera. L’autre coffre est ce que j’appellerais les « instruments économiques ». Il pourrait s’agir de choses comme des mesures incitatives ou des politiques visant à encourager certaines activités et à en décourager d’autres. Autrement dit, c’est le fait de recourir à des moyens financiers pour réaliser un objectif donné.

L’utilisation des terres relève des provinces ou, dans certains cas, des municipalités. Les terres qui sont à l’intérieur d’une municipalité sont aussi assujetties aux règlements de cette municipalité. Il reste donc au gouvernement fédéral le coffre à outils des instruments économiques pour appuyer le changement, c’est-à-dire pour encourager les provinces et les propriétaires fonciers à faire ou à ne pas faire certaines choses.

Je veux que vous pensiez à ceci : quelles sont, selon vous, les deux grandes mesures que nous pourrions recommander au gouvernement fédéral pour agir sur les changements climatiques d’une façon qui profiterait concrètement à l’agriculture? Je ne sais pas qui veut y aller en premier. En fait, vous voulez peut-être prendre un moment pour y réfléchir.

M. Hernandez Ramirez : Selon moi, le crédit carbone est un outil de mise en œuvre. C’est quelque chose qui peut être déployé et qui peut envoyer un message clair en soutien à la mise en œuvre de pratiques de gestion, pas seulement pour réduire les émissions, mais aussi pour favoriser l’adoption de pratiques de gestion bénéfiques. Nous connaissons des choses qui sont bénéfiques pour faire baisser les émissions, certes, mais qui profitent aussi à beaucoup d’autres choses, comme la qualité de l’eau, la productivité des plantes, l’amélioration des milieux et l’aménagement de paysages multifonctionnels. C’est un signal qui peut nous aider à concrétiser ces choses et c’est une proposition commerciale. C’est une mesure qui dynamise la démarche et favorise le secteur privé.

Je viens d’apprendre que les crédits de carbone ont été utilisés dans certaines régions du Canada. Cependant, ce serait formidable de voir ce qui arriverait si le prix de ces crédits était augmenté. Compte tenu de ce qui se passe à l’étranger, il est peut-être vrai que l’Alberta est une chef de file dans la mise en place de marchés de crédits de carbone. Cependant, nous sommes peut-être à une fraction des prix pratiqués ailleurs dans le monde. C’est le même carbone que nous éliminons de l’atmosphère.

Je sais que ce processus prend du temps, mais je pense que ce serait une bonne façon de le rendre plus attrayant. Du reste, la mise en œuvre des crédits de carbone nécessite certains coûts transactionnels. Il faut des organisations intermédiaires pour compiler les crédits et les acheminer aux utilisateurs ou aux producteurs.

Habituellement, chaque semestre, lorsque j’aborde la question de la durabilité, je discute avec mes étudiants sur la façon dont les crédits de carbone pourraient être utilisés pour favoriser les politiques relatives à la gestion des changements climatiques, certes, mais aussi pour développer une meilleure agriculture pour tout le monde.

M. Shotyk : M. Hernandez Ramirez a frappé dans le mille avec la question de la matière organique et des crédits de carbone. Il serait avantageux, à bien des égards, que les agriculteurs soient motivés à augmenter la quantité de matière organique dans leurs sols. En ce qui concerne les instruments économiques, il serait peut-être approprié d’aider les agriculteurs à penser à long terme plutôt qu’à court terme. Les agriculteurs pensent en fonction de leur durée de vie, mais pas au-delà. Or, s’ils étaient compensés pour améliorer le sol de façon concrète, outre la santé du sol, les avantages seraient nombreux : la qualité de l’eau de surface, l’amélioration de la productivité et la stabilisation du climat global. La liste d’avantages est longue. Je suis d’accord pour dire que ce travail devrait être la priorité.

Il faut réfléchir à la conception de notre système agricole. Les Allemands utilisent le mot kulturlandschaft. C’est un paysage de culture. C’est une création artificielle. Lorsque les agriculteurs pensent aux terres humides, ils les considèrent en général comme des terrains vagues. Lorsque les agriculteurs pensent aux arbres, ils les voient comme des obstacles qui les empêchent de cultiver l’endroit. C’est la même chose lorsqu’ils pensent à un ruisseau : c’est un bout de terrain où il leur sera impossible de planter quoi que ce soit. Nous pouvons aider à changer, peu à peu, cette mentalité en utilisant un instrument économique. Je dirais que les brise-vents que nous avons fortement encouragés il y a quelques années pour réduire l’érosion éolienne se sont révélés très efficaces. Non seulement permettent-ils de diminuer l’érosion des sols, mais ils aident aussi à supprimer le CO2. C’est également une occasion de développer les ressources forestières, et cetera. Un brise-vent ne doit pas nécessairement être constitué d’essences à croissance rapide sans grande valeur financière, comme c’est le cas du peuplier. Je suis vraiment surpris de voir à quelle vitesse poussent les noyers noirs et les chênes rouges qui sont sur ma ferme. Ce sont des essences de bois dur qui ont de la valeur. Le retour aux brise-vents et aux zones riveraines s’accompagne d’avantages économiques à long terme.

Les zones riveraines devraient être protégées. C’est, bien sûr, une excellente idée d’y planter des arbres. Or, où que l’on soit au pays, il y a toujours des problèmes avec un certain animal connu sous le nom de « castor ». Je sais que sur ma ferme, le castor n’a rien compris à mes intentions. Chaque année, je passe une bonne partie de mes vacances à protéger mes arbres des castors. La plantation d’un arbre dans une zone riveraine n’est pas aussi simple que l’on croit; il faut aussi le protéger des castors. À long terme, il y a de nombreux avantages écologiques à faire cela. Une zone riveraine est un endroit que l’agriculteur ne pourra pas exploiter de toute manière. Or, comme il ne pourra pas en tirer profit, pourquoi ne pas le rendre à la nature? Il y aurait peut-être lieu de concevoir un instrument économique pour encourager cela.

Ensuite, il y a les terres humides. L’un de mes domaines de recherche est l’utilisation des tourbières comme archives des changements atmosphériques. Nos zones humides accumulent continuellement de la matière organique. Ce sont des réservoirs de carbone et des réservoirs d’eau qui présentent de très nombreux avantages sur le plan écologique. Nous devons changer la mentalité à la ferme en faisant valoir que les terres humides ne sont pas des terrains vagues et qu’elles ne devraient pas être drainées.

Je parle ici d’expérience. Quand mon voisin a acheté la ferme qui était à côté de chez moi, la première chose qu’il a faite a été de drainer une belle petite zone humide. En réponse, j’en ai aménagé une. Je comprends qu’il voulait augmenter la superficie cultivable de sa propriété, mais si nous avions eu un instrument économique pour le dissuader de faire cela, il aurait conservé les avantages écologiques de cette terre humide, dont l’accumulation de matière organique.

Nous commençons à comprendre l’importance de certaines de ces parcelles de terrain qui, autrefois, étaient considérées comme des terrains vagues. En mettant en place un instrument économique pour encourager les agriculteurs à préserver ces zones, les fermes deviendront des endroits beaucoup plus résilients. Je ne veux pas dire que notre petite ferme en Ontario est la mieux conçue qui soit, mais elle pourrait bien l’être.

M. Hernandez Ramirez : Je me souviens d’avoir parlé une ou deux fois de cela avec M. Shotyk alors que nous étions sur le campus. Nous pensons au carbone et aux changements climatiques. Nous avions dit que l’azote était peut-être le nouveau carbone. Le secteur agricole doit aussi se poser des questions à propos de l’azote. La production industrielle des engrais exige une ponction considérable d’azote dans l’atmosphère. Ces engrais sont ensuite utilisés dans les champs pour produire de la nourriture.

Les engrais et les aliments sont tous les deux des denrées, et ils sont, à ce titre, défendus par des groupes d’intérêt. Nous pouvons travailler avec ces groupes afin de mettre au point une meilleure façon de gérer l’azote. Nous pourrions empêcher une partie de l’azote de retourner dans l’atmosphère et de contribuer à l’effet de serre. Nous sommes en mesure de mettre en œuvre un mode de gestion qui irait dans ce sens.

Pour la suite des choses, il convient de garder à l’esprit qu’il y a aussi l’azote. C’est un secteur où nous pouvons apporter beaucoup d’améliorations. Les détaillants examinent comment ils pourraient améliorer la gestion des engrais à la ferme afin d’être en mesure de vanter la durabilité accrue de leurs produits dans les magasins.

M. Shotyk : Rapidement, je me permettrais d’ajouter que nous sommes en train de passer à travers tous les éléments du tableau périodique. Nous avons parlé du carbone, puis de l’azote. Tout ce que je voulais faire, c’était de rappeler que la matière organique provenant des plantes et des animaux en décomposition regorge de tous les oligo-éléments essentiels que sont le cuivre, le zinc et le molybdène. Lorsque nous augmentons l’apport de matière organique dans nos sols, nous accroissons la fertilité de ces oligo-éléments.

Si nous ajoutons seulement un nutriment à notre sol pour augmenter le rendement des cultures, nous n’augmenterons pas l’abondance relative des éléments nutritifs dans ces matières végétales. Or, cette matière organique est aussi un gage de la fertilité des oligo-éléments.

La présidente : Ce que vous venez de dire est très important. Je veux vous remercier d’avoir été là aujourd’hui. Nous avons eu d’excellents échanges et sachez que vos témoignages ont été très appréciés.

Notre prochain groupe d’experts est déjà avec nous. Nous en sommes à notre deuxième journée de séances en Alberta. Nous avons passé deux jours à Vancouver. L’étude que nous effectuons porte sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier. Il y a quelques mois, nous sommes allés dans l’Est du Canada. Nous avons aussi entendu un certain nombre de témoins à Ottawa. Nous en sommes presque à la fin de notre étude, alors sachez que votre présence ici arrive à point nommé.

J’aimerais maintenant vous présenter nos prochains témoins qui sont de la Direction générale des sciences et de la technologie à Agriculture et Agroalimentaire Canada. Il s’agit de M. Henry Janzen, chercheur en biochimie des sols au Centre de recherche et de développement de Lethbridge, et de M. Vern Baron, chercheur en systèmes de production durable au Centre de recherche et de développement de Lacombe.

Merci beaucoup, messieurs, d’avoir accepté notre invitation à vous joindre à nous aujourd’hui. Nous vous en sommes très reconnaissants. Nous vous demandons maintenant de nous présenter vos observations préliminaires, après quoi les sénateurs auront des questions à vous poser.

Henry Janzen, chercheur, Biochimie des sols, Centre de recherche et de développement de Lethbridge, Direction générale des sciences et de la technologie, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Je me sens privilégié de pouvoir vous faire part de quelques-unes des réflexions découlant de notre travail collectif dans le secteur de la science des sols, principalement dans le contexte des enjeux liés aux changements climatiques. Avec mes collègues du Centre de recherche d’Agriculture et Agroalimentaire Canada de Lethbridge, j’étudie les effets de nos modes de gestion des terres sur la teneur en carbone des sols.

Le carbone est le principal constituant de la matière organique, ou humus, qui confère à la surface du sol sa teinte sombre. Il y a un lien direct avec la productivité des sols, car c’est cette composante qui fournit les nutriments pour végétaux, l’énergie produite par l’activité microbienne et l’équilibre nécessaire à une bonne structure du sol. Depuis des siècles, les agriculteurs n’ont jamais cessé de chercher des moyens de maintenir et d’accroître la quantité de carbone dans le sol.

Ce n’est pas d’hier que notre ministère s’intéresse à la teneur en carbone des sols. Ces efforts de recherche, qui remontent à plus d’un siècle, ont été en grande partie motivés au départ par la détérioration de grandes quantités de terre, un ravage que l’on pourrait presque qualifier de catastrophique, surtout dans les Prairies. Les recherches menées au fil des ans ont permis de trouver différentes façons de préserver ou de rétablir la teneur en carbone des sols. On peut notamment miser davantage sur les cultures fourragères et de pâture; garder en tout temps des plantes en croissance dans le sol; minimiser les labours; et faire une utilisation judicieuse des nutriments. Toute méthode agricole permettant d’accroître le rendement et de retourner dans le sol de plus grandes quantités de matières végétales contribue généralement à augmenter la teneur en carbone des sols. Ce sont des pratiques qui ont été adoptées par la grande majorité des agriculteurs canadiens.

Un autre argument important en faveur de l’augmentation de la teneur en carbone des sols s’est immiscé dans le débat au cours des dernières décennies. On s’est en effet rendu compte qu’il existait un lien entre la teneur en carbone des sols et la présence de cet élément dans l’air. Il en ressort que si nous parvenons à augmenter la quantité de carbone emmagasinée dans le sol, nous pouvons réduire la concentration de gaz carbonique dans l’air, ce qui permet de compenser une partie des émissions provenant de la combustion d’hydrocarbures fossiles, l’un des éléments pointés du doigt pour expliquer les changements climatiques. C’est ce qu’on appelle souvent la séquestration du carbone.

Selon les estimations effectuées par Environnement et Changement climatique Canada, la teneur en carbone des terres cultivées au Canada était à la hausse en 2015, ce qui compensait nos émissions totales de gaz à effet de serre dans une proportion de 1 à 2 p. 100. Il s’agit d’estimations approximatives, car il est difficile de quantifier avec précision l’évolution de la teneur en carbone des sols. On pourrait vraisemblablement en faire encore davantage à ce niveau en continuant d’améliorer sans cesse nos pratiques agricoles.

Il est important de noter que les efforts déployés pour empêcher la perte du carbone déjà emmagasiné dans le sol sont tout aussi importants que ceux visant à y faire entrer du nouveau carbone. À titre d’exemple, les sols des grands pâturages libres du Canada renferment d’énormes réserves de carbone. Si l’on permet à ce carbone de s’échapper en utilisant de mauvaises techniques de pâturage ou en labourant le sol aux fins de récoltes annuelles, on fait augmenter la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère dans la même mesure que peut le faire la combustion des hydrocarbures fossiles.

Même si les recherches ont beaucoup progressé, de nombreuses questions demeurent sans réponse. Précisons tout d’abord que le dioxyde de carbone n’est pas le seul gaz à effet de serre ayant un effet important sur les changements climatiques. Ainsi, l’agriculture est une source considérable de méthane et d’oxyde nitreux, deux gaz à effet de serre très puissants. Il faut donc prendre en considération l’ensemble des émissions et des possibilités d’absorption de ces trois gaz avant de recommander des pratiques visant à réduire nos émissions nettes totales. Notre ministère a conçu à cette fin Holos, un logiciel évolutif permettant d’effectuer les analyses systémiques nécessaires à l’intention des chercheurs, des producteurs et des vulgarisateurs.

Il y a aussi des interrogations importantes découlant de l’incertitude attribuable aux changements qui interviennent à l’échelle planétaire. Par exemple, le réchauffement des sols dans le contexte général des changements climatiques pourrait éventuellement entraîner des pertes de carbone en raison d’une décomposition plus rapide des réserves existantes. Nous menons donc une étude nationale sur les effets de la température sur la perte du statut carboné des végétaux. Le changement climatique n’est que l’un des nombreux facteurs de stress à prévoir. Parmi les changements planétaires susceptibles de miner la teneur en carbone et la santé des sols, notons la demande croissante de produits alimentaires, laquelle va influer sur le choix et l’intensité des récoltes, et l’utilisation accrue des résidus de cultures à l’extérieur de l’exploitation agricole, ce qui laisse moins de matières organiques dans les champs pour rétablir la teneur en carbone des sols. En maintenant des réserves optimales de carbone dans nos sols, nous pouvons améliorer leur résilience, ce qui contribuera à les mettre à l’abri d’éventuels bouleversements.

Troisièmement, nous devons faire preuve de patience. Il n’est pas rare que des écosystèmes, comme les terres agricoles, évoluent lentement en réaction aux pratiques de gestion et aux changements climatiques. À titre d’exemple, il faut souvent attendre plusieurs décennies pour mesurer pleinement tous les avantages d’une meilleure gestion de la teneur en carbone des sols. Les chercheurs du ministère avaient prévu le coup il y a un siècle. Ils ont pris le soin de mener des expériences à long terme afin de pouvoir observer les changements qui interviennent sur les terres touchées. Ils ont même conservé des échantillons de sol qui remontent aussi loin que 1910. C’est ainsi que nous pouvons suivre aujourd’hui l’évolution de la teneur en carbone des sols pendant une période de plus de 100 ans. Le ministère peut compter sur un corpus impressionnant de recherches à long terme de la sorte, mais il nous faudra peut-être miser encore davantage sur de telles études visionnaires pour savoir à quoi nous en tenir au sujet des nouvelles pratiques agricoles et des autres innovations.

La perte de contact de plus en plus marquée entre les gens et la terre est un autre sujet de préoccupation. Au gré de l’augmentation de la taille des exploitations, les agriculteurs représentent une proportion toujours plus mince de la population canadienne. Il en ressort que l’évolution de la santé des sols à la faveur des politiques et des forces du marché se fait, de plus en plus, sous l’influence d’intervenants éloignés des terres agricoles. Il serait donc primordial que nos recherches puissent faire comprendre à tout le monde que nous vivons tous sur la terre. Nous pourrions notamment y parvenir en expliquant de façon plus convaincante comment nous dépendons tous de la terre, et comment celle-ci dépend de nous. À ce titre, l’exemple du carbone qui est présent partout et relie toutes les formes de vie est particulièrement probant.

La biosphère, notre milieu de vie sur cette planète, est exposée à de nombreuses pressions : changements climatiques, sécurité alimentaire, perte de biodiversité, transitions énergétiques et menaces à la qualité de l’air et de l’eau, notamment. Tous ces éléments sont reliés d’une manière ou d’une autre aux terres, ces écosystèmes qui assurent notre subsistance à tous. Pour résister à toutes ces pressions, il faudra gérer sagement la santé et la résilience de nos sols, notamment en préservant leur teneur en carbone, la source de leur vitalité. Pour atteindre cet objectif, nous aurons besoin d’une vision à long terme s’étendant sur plusieurs générations. Nous ne sommes que de passage, mais la terre est là pour rester.

Je vous remercie de votre attention et je vous suis reconnaissant de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui.

Vern Baron, chercheur scientifique, Systèmes de production durable, Centre de recherche et de développement de Lacombe, Direction générale des sciences et de la technologie, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Je vous remercie de me donner l’occasion de vous parler des risques et des possibilités pour l’agriculture dans le contexte des changements climatiques dans le Nord des Prairies canadiennes. Je suis un scientifique des récoltes qui se spécialise dans la gestion des cultures fourragères, le pâturage et les répercussions de l’interface entre l’agriculture et l’élevage sur l’environnement.

Le Centre de recherche et de développement de Lacombe et la Ferme expérimentale de Beaverlodge sont les centres de recherche les plus septentrionaux au Canada. La région du centre de l’Alberta et de la rivière de la Paix a un complexe de cultures composé de canola, d’orge, de blé et de pois, ainsi que de pâturages vivaces artificiels et naturalisés. Le centre de l’Alberta compte sur une dense population de vaches de boucherie pour assurer la diversité économique nécessaire.

Le climat actuel est frais et à cycle court avec des hivers modérés permettant des cultures à haut rendement adaptées à la saison froide. Des modèles permettent de comparer le climat actuel aux projections climatiques futures. La modélisation agricole intégrée nous aide à déterminer les répercussions des changements climatiques sur le choix des cultures, la qualité du rendement et la productivité du bétail. Les modèles fournissent de l’information sur la façon dont les changements climatiques et les modifications apportées en conséquence à la gestion agricole pourraient avoir une incidence sur les émissions futures de gaz à effet de serre.

Les projections climatiques pour le centre et le Nord de l’Alberta ne sont pas aussi extrêmes dans un avenir rapproché que pour d’autres régions de l’Amérique du Nord. Cependant, si les stratégies d’atténuation des gaz à effet de serre ne sont pas efficaces pour ralentir le rythme des changements climatiques, les conséquences pourraient être plus graves d’ici la fin du siècle. Pour le centre et le Nord de l’Alberta, la température annuelle moyenne augmentera probablement d’environ 2,5 degrés Celsius alors que les précipitations annuelles s’accroîtront d’environ 35 à 40 millimètres. La période allant du milieu jusqu’à la fin de l’été pourrait être plus sèche et la saison de croissance pourrait durer jusqu’à un mois de plus qu’actuellement. Les concentrations plus élevées de gaz carbonique qui sont prévues amélioreraient les rendements de la luzerne. Les températures plus élevées devraient permettre la production de maïs et de soja. Cette production ne devrait pas être aussi performante que celle de la ceinture de maïs américaine, mais ce sont autant de nouvelles possibilités de diversifier les cultures.

L’adaptation aux nouvelles conditions climatiques, ainsi qu’aux atteintes subies par différentes cultures, sera nécessaire. Le rendement des céréales pour les cultures de saison froide diminue lorsque les températures maximales dépassent 30 degrés Celsius pendant la floraison et le remplissage du grain. Actuellement, cela se produit en moyenne sept jours par année. À l’avenir, le nombre de jours de température élevée pourrait passer à 25, puis à 40 sur des périodes consécutives de 30 années.

Le risque de perte de rendement des cultures sensibles à la chaleur, comme l’orge et le canola, sera d’abord modéré, puis deviendra plus important avec le temps. Le canola et l’orge peuvent échapper au stress thermique si ces grains sont semés plus tôt au printemps. Autrement, il pourrait être nécessaire de remplacer l’orge par une autre culture comme grain fourrager et ingrédient brassicole. Une diversité génétique suffisante pour assurer la résistance à la chaleur peut être trouvée chez différentes espèces d’herbacées afin de développer de nouvelles variétés.

L’hiver existera toujours, mais il sera plus chaud, ce qui offrira des possibilités pour les fourrages vivaces et les céréales d’hiver. Cependant, une couverture de neige intermittente pourrait exposer les plantes à des températures froides et variables à des moments critiques de l’année, ce qui entraînerait des pertes hivernales. Les plantes se préparent à l’hiver en réduisant leur croissance et en modifiant leur antigel chimique lorsque les journées raccourcissent à l’automne. Plus on est au nord, plus cette phase de non-croissance commence tôt, ce qui limite le rendement et nous empêche de profiter d’une saison de croissance plus longue et de maximiser la production annuelle. On constate que les agriculteurs optent pour une luzerne ayant une moins grande dormance, un rendement automnal plus élevé et une rusticité hivernale soutenue.

En général, les producteurs adoptent de nouvelles méthodes lorsque les coûts de production et les besoins en main-d’œuvre sont inférieurs à ceux des méthodes déjà utilisées. Heureusement, la réduction des émissions a habituellement pour effet d’améliorer l’efficacité agricole ou de réduire les coûts de production. De 1990 à 2010, l’intensité des émissions de gaz à effet de serre pour la production de canola a été réduite dans une proportion de 24 à 27 p. 100 grâce à l’utilisation de canola hybride à rendement accru résistant aux herbicides. Le labour minimum est maintenant pratiqué par 70 p. 100 des producteurs de canola. On procède ainsi à une culture en un seul passage, ce qui réduit l’utilisation de main-d’œuvre et de combustibles fossiles. La quantité d’herbicides utilisée a diminué de 50 p. 100.

La production de canola a augmenté pour atteindre 8 millions d’hectares, tandis que la superficie consacrée aux jachères d’été a diminué. Tous ces facteurs ont réduit la consommation de combustibles fossiles, tout en augmentant la séquestration du carbone et le rendement des semences, ce qui a diminué d’autant les émissions nettes de gaz à effet de serre et les coûts de production par unité de semence.

Dans l’ensemble, l’industrie bovine est à l’origine de seulement 3,6 p. 100 des émissions totales de gaz à effet de serre au Canada et représente à peine 0,76 p. 100 des émissions mondiales totales. Cependant, les vaches de boucherie sont responsables de 80 p. 100 des gaz à effet de serre émis par l’industrie canadienne du bœuf. Le 20 p. 100 restant provient des animaux des parcs d’engraissement. À la suite de consultations menées auprès des intervenants de l’industrie bovine et d’Agriculture et Agroalimentaire Canada dans les années 1990, nous avons déterminé qu’il était nécessaire de réduire le coût de l’alimentation hivernale de la vache de boucherie. Le recours au pâturage hivernal éliminerait les coûts de récolte, d’alimentation, de litière, de transformation des aliments et d’enlèvement du fumier qui sont associés au système d’alimentation des vaches. Ce sont des activités exigeant beaucoup de combustibles fossiles et de main-d’œuvre. Nous avons découvert que la moitié des jours consacrés à l’alimentation hivernale traditionnelle des vaches pourraient être remplacés par le pâturage en andain dans la neige l’hiver, ce qui réduirait de moitié les frais d’alimentation pendant cette période. Selon des analyses de rentabilité effectuées par un tiers indépendant, 22 p. 100 des éleveurs de vaches et de veaux des Prairies ont adopté le pâturage en andain. Comparativement à un système d’alimentation traditionnel, les économies réalisées grâce au pâturage hivernal de 100 vaches pendant 100 jours sont d’environ 2 500 litres de diésel, 110 heures de travail et 9 500 $. À l’échelle des Prairies, l’industrie bovine économise ainsi 35 millions de dollars par année. Pour ce qui est de l’atténuation des gaz à effet de serre, la réduction du recours aux combustibles fossiles a créé un puits de carbone équivalent au retrait de la circulation de 6 900 voitures.

En conclusion, une recherche efficace sur les changements climatiques exige une approche scientifique multidisciplinaire qui doit être mise à l’essai et peaufinée sur la base du fonctionnement d’un système, étant donné que les pratiques doivent s’intégrer à un système d’exploitation agricole. Les systèmes doivent être démontés en pièces, testés au champ et vérifiés scientifiquement. Des pratiques nouvelles et améliorées pour l’atténuation des gaz à effet de serre ou l’adaptation des cultures à un nouveau climat seront adoptées s’il y a réduction des coûts, hausse de la demande de produits, réduction de la main-d’œuvre et facilité à apporter des changements. La modélisation ou l’estimation des émissions de gaz à effet de serre en tandem avec les coûts sera avantageuse au niveau des systèmes et pourrait accroître le taux d’adoption.

Je vous remercie encore une fois de cette occasion qui m’est donnée de m’adresser au comité aujourd’hui.

La présidente : Merci pour vos exposés. Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant avec le sénateur Maltais.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci beaucoup, messieurs. Votre témoignage nous est très précieux et fort intéressant et constructif à la fois. On apprend de bonnes choses.

Monsieur Janzen, qu’est-ce qui s’est passé en 1918 pour que les terres de l’Ouest canadien se détériorent à une vitesse vertigineuse?

[Traduction]

M. Janzen : Merci pour la question. C’est, bel et bien, ce qui s’est passé. Comme je l’indiquais, lorsque nos terres ont été converties il y a un siècle d’un système de cultures pérennes à un régime de cultures annuelles, nous avons vécu une période de pertes qui s’est manifestée dans certains cas par une grave détérioration de nos sols.

Ces pertes peuvent être attribuables à différents facteurs. Le premier qui vient à l’esprit est la lacération de nos plaines herbeuses sous l’effet du labour, ce qui a exposé les sols à l’érosion éolienne. Autre élément que nous avons peut-être tendance à négliger, ce processus nous a amenés à renoncer à nos prairies naturelles, un régime fondé sur l’exploitation d’espèces végétales pérennes qui permet une grande autosuffisance, pour adopter un système basé sur l’exportation.

À titre d’exemple, la transition des prairies herbacées vers la culture du blé nous a fait abandonner une culture qui se renouvelait d’elle-même, en ce sens que la majeure partie du carbone absorbé dans l’atmosphère est retournée dans le sol à la faveur d’un cycle incessant et quasi éternel de transformation du carbone.

Lorsque nous utilisons plutôt ces prairies pour la culture du blé, nous essayons de produire autant de céréales que possible pour les expédier, en même temps que leur teneur en carbone, vers les villes ou à l’étranger, ce qui fait qu’il y en a moins qui retourne dans le sol. C’est un autre élément très important, qui a contribué à l’état de dégradation dans lesquelles certaines de ces terres se sont retrouvées.

[Français]

Le sénateur Maltais : Vous avez parlé de trois gaz qui polluent l’atmosphère, soit le CO2, l’azote et le méthane. Y a-t-il d’autres gaz qui composent cette couche et qui détériorent soit les sols ou l’air?

[Traduction]

M. Janzen : Il y a d’autres gaz à l’état de traces qui sont à l’origine d’un niveau significatif de forçage radiatif ou de réchauffement. D’une manière générale, leur effet est toutefois plutôt restreint comparativement à celui du gaz carbonique, du méthane et de l’oxyde nitreux. Il y a, par exemple, différents composés de chlorofluocarbone (CFC) qui ont un très fort potentiel de forçage. Certains de ces composés sont beaucoup moins utilisés qu’auparavant. On a renoncé progressivement à s’en servir ou on est en train de le faire. Il y a donc d’autres gaz à l’état de traces, mais les principaux, du point de vue de l’agriculture, sont certes le méthane, l’oxyde nitreux et le gaz carbonique.

[Français]

Le sénateur Maltais : Vous avez parlé de la déconnexion des générations vers la terre — en supposant que les agriculteurs délaissent leurs terres au profit des grandes entreprises. On le voit particulièrement en Saskatchewan, où il n’y a pas de loi de protection des terres agricoles, et c’est malheureux. Les institutions financières ont vu là une bonne occasion de sécuriser leurs investissements, parce que la terre, ça ne se déprécie pas. La terre sera toujours la terre, peu importe les conditions. Avez-vous l’impression — dans cette déconnexion entre la terre et l’agriculteur — que la situation est en voie de se résorber ou est-ce encore tragique, comme en Saskatchewan?

[Traduction]

M. Janzen : Merci pour la question. Je ne suis pas certain d’être le mieux placé pour vous dire si ce sentiment de déconnexion prend de l’ampleur ou s’amenuise. Je témoigne devant vous à titre de spécialiste des sols, mais je vous dirais que j’entrevois dans mon rôle de chercheur certaines possibilités de rétablir une partie des connexions perdues.

Nous pourrions, par exemple, nous assurer que nos travaux de recherche trouvent une audience à l’extérieur de la communauté des scientifiques et des agriculteurs. Il faudrait pouvoir rejoindre ainsi le reste de la population qui, en fin de compte, est également touchée par le travail que nous effectuons. Il faut notamment arriver à dire ces choses-là, de façon plus claire et convaincante. On pourrait également chercher à susciter un plus grand intérêt en invitant des gens à visiter nos installations de recherche et à marcher sur les lopins de terre où nous menons nos différentes expériences. C’est une façon concrète de rétablir le contact avec la terre et de montrer que nos modes d’interaction avec celle-ci influent sur sa condition, non seulement pour nous et les membres de la génération actuelle, mais aussi, comme j’essaie de le faire valoir, pour tous ceux qui nous suivront.

[Français]

Le sénateur Maltais : Justement, les efforts que vous faites, vous deux vous êtes des chercheurs. Comment les jeunes, les agriculteurs potentiels, accueillent-ils vos recherches? Sont-ils encouragés à rester sur la terre ou à revenir sur la ferme de leurs parents? Compte tenu de l’évolution de l’agriculture et des nouvelles façons de faire grâce aux recherches que vous menez et cette mise en application dans de potentielles fermes, comment les jeunes perçoivent-ils ça?

[Traduction]

M. Janzen : Je peux vous dire d’expérience que les agriculteurs s’intéressent énormément aux travaux que nous menons. Nous pouvons très facilement le constater lorsque nous prenons la parole devant des groupes pouvant inclure des agriculteurs. Leur intérêt pour ces questions ressort aussi très clairement des conversations que nous avons avec eux.

Les échanges entre le chercheur et l’agriculteur s’inscrivent en fait dans un processus d’apprentissage bidirectionnel. J’ai peut-être une certaine expertise dans mon créneau de recherche très étroit, mais les agriculteurs ont généralement une expérience beaucoup plus vaste et générale, de même qu’une bien meilleure compréhension des contraintes et des possibilités qui les attendent dans la gestion de leurs terres. Dans mon rôle de chercheur, je réalise, de plus en plus, que j’en ai beaucoup à apprendre des agriculteurs. C’est vraiment un échange bidirectionnel.

[Français]

Le sénateur Maltais : J’ai une dernière question à poser à M. Janzen. Ensuite, je vais m’adresser à M. Baron.

Vous avez dit que la gestion des sols demeure un facteur primordial, surtout pour la protection de l’humus, qui, somme toute, est la couche nourricière des plantes. Compte tenu des changements climatiques, quels sont les moyens que vous prônez pour l’avenir afin de conserver cette couche nécessaire à la vie?

[Traduction]

M. Janzen : J’essaie simplement de rassembler mes idées. Nous avons à notre disposition de nombreux moyens pour rétablir et préserver les sols, la matière organique ou l’humus. Le plus simple serait, sans doute, de préserver d’abord les terres qui emmagasinent déjà une grande quantité de carbone comme les prairies herbeuses et les écosystèmes semblables. On pourrait étendre l’exercice aux terres humides, aux forêts et à tous ces endroits où on peut trouver du carbone en quantité. Il est important de reconnaître la teneur en carbone, de la quantifier et de la préserver.

Lorsqu’il s’agit de rétablir la teneur en carbone du sol sur des terres déjà cultivées, les mesures prises pour accroître la quantité de matières végétales qui retournent dans le sol vont généralement contribuer à reconstituer la matière organique de ce sol. Ainsi, une utilisation prudente et judicieuse des nutriments permet d’augmenter les rendements. Une partie des récoltes ainsi produites sera prélevée, mais une grande proportion devrait heureusement être retournée dans le sol, ce qui accroîtra d’autant sa teneur en matières organiques.

On s’intéresse beaucoup au développement de modes d’exploitation agricole plus diversifiés, y compris les cultures pérennes. Celles-ci permettent généralement une croissance photosynthétique pendant de plus longues périodes, ce qui entraîne un plus grand captage de gaz carbonique dans l’atmosphère et un retour du carbone en plus grande quantité dans le sol. En fait, le rôle des agriculteurs consiste en quelque sorte à gérer le carbone.

Pour dire les choses très simplement, nous étendons des couches de verdure, des plans de chlorophylle qui piègent toute l’énergie solaire dans le carbone. Nous espérons pouvoir en utiliser une partie pour produire les carburants dont nous avons notamment besoin à des fins personnelles et industrielles, mais nous voulons aussi en retourner le plus possible dans le sol. En un mot, c’est ainsi que nous espérons rétablir la teneur en carbone des sols. Il s’agit d’en capturer autant que possible par photosynthèse, de faire pousser un maximum de matières organiques et d’en réinjecter le plus possible dans le sol, compte tenu des contraintes économiques et autres.

[Français]

Le sénateur Maltais : Monsieur Baron, vous avez développé votre expertise surtout dans le Nord des Prairies. En raison des changements climatiques, ce sont de plus en plus des terres cultivables pour certaines plantes. Y a-t-il une grande amélioration dans les régions du nord et qu’en est-il des régions du sud? Faites-vous des comparaisons entre ce qui se passe dans le Nord des Prairies et dans le Sud des Prairies? Les régions du nord peuvent-elles devenir productives et être en concurrence avec les régions du sud?

[Traduction]

M. Baron : Vous voulez savoir si le Nord des Prairies pourra bientôt entrer en concurrence avec le Sud des Prairies pour ce qui est de la production alimentaire? À l’heure actuelle, la portion centrale de l’Alberta, la prairie herbagère de la province, produit davantage que le Sud des Prairies. On trouve dans cette région centrale des sols chernozémiques noirs. Le rendement moyen des cultures y est plus élevé. M. Janzen pourra peut-être le confirmer, mais je crois que ces sols sont naturellement sains.

Lorsque nous nous rendons dans la région de Peace River, en Alberta, qui compte environ trois millions d’hectares de terres agricoles, nous constatons que ces sols ne sont pas tout à fait aussi productifs que les tchernozems noirs, parce que ce sont des sols luvisoliques. Soumis à des climats égaux, ils ne seront pas aussi productifs que ceux du centre de l’Alberta. Toutefois, lorsque la température de leur climat augmentera dans une certaine mesure, des cultures de remplacement pourront être utilisées. Le seul problème, c’est que nous devrons trouver une façon de maintenir leurs rendements et d’obtenir une production agricole uniforme et durable pendant un certain nombre d’années.

Les parties centrale et septentrionale des Prairies deviendront le grenier de la région, étant donné que le maintien de la partie méridionale nécessitera beaucoup plus d’intrants et de travail agricole intensif en raison d’un manque de pluie et de températures plus élevées.

[Français]

Le sénateur Maltais : Monsieur Baron, vous êtes la quatrième ou la cinquième personne à nous parler des graines vivaces. Est-ce un marché prometteur? Vous avez parlé de la diversification des graines qui peuvent être du blé, de l’orge, du canola, et cetera. Au cours des prochaines années, croyez-vous que ça peut devenir une nouvelle façon de faire de l’agriculture?

[Traduction]

M. Baron : Votre question est la suivante : quel est l’avenir de la production de céréales vivaces? Je crois que vous voulez dire la production de cultures vivaces, en tant que telles. Je ne crois pas que nous passerons entièrement à la production de céréales vivaces ou d’oléagineux très rapidement. Il se peut qu’une partie de l’industrie s’engage dans cette voie, mais nous ne devons pas oublier que l’industrie des graines et de leur commercialisation repose entièrement sur la production de cultures annuelles. Nous avons élaboré des techniques agronomes visant à réduire au minimum les maladies et les mauvaises herbes. Il faudrait que nous apprenions comment contrôler ces genres de problèmes chez les cultures vivaces.

Premièrement, je pense qu’à titre d’étape intermédiaire, nous observerons la production d’un plus grand nombre de céréales d’hiver et l’utilisation plus fréquente et plus longue de cultures vivaces dans le contexte d’un système de cultures annuelles. Cela doit se produire en premier. Une fois que nous aurons réglé les problèmes qui accompagnent le développement de cultures vivaces, nous connaîtrons le rendement en graines qui peut être tiré d’une culture vivace, d’une façon rentable, le bilan nutritif de la culture vivace en question et la période pendant laquelle elle demeurera résistante aux maladies des cultures. Tout cela doit être déterminé avant l’adoption massive des cultures vivaces.

Lorsque l’on songe au fait que le développement d’une seule variété à partir d’un croisement exige encore une quinzaine d’années en ce moment, même avec l’aide de nos travaux avancés de génomique qui nous permettent de superposer des gènes pour que la variété résiste, entre autres, aux sécheresses et aux maladies, et lorsqu’on songe au fait que, pendant cette période, nous pourrions finir par obtenir une ou deux variétés de vivaces, on réalise que ce potentiel de résistance aux maladies n’est pas suffisant. Avant d’avoir recours à un système de cultures vivaces, il faudrait créer maintes et maintes variétés. Il faudrait d’abord établir l’infrastructure complète du système de cultures vivaces. Nous ne devons pas perdre de vue que, d’ici 2050, nous devrons alimenter neuf milliards de personnes à l’échelle mondiale.

[Français]

Le sénateur Maltais : Monsieur Baron, le réchauffement climatique est un fait indéniable. La population canadienne est de plus en plus sensibilisée à cette question et travaille très fort. Croyez-vous sincèrement qu’au cours des 10 prochaines années on aura des méthodes très efficaces pour réduire au maximum les émissions de gaz à effet de serre?

[Traduction]

M. Baron : La question est la suivante : croyons-nous que, au cours des 10 à 15 prochaines années, nous abaisserons efficacement les gaz à effet de serre au moins à un niveau qui n’aura pas d’incidence sur le changement climatique? La plupart des efforts déployés pour maintenir l’infrastructure complète de notre exploitation agricole et pour mener des recherches ne reposent pas sur des systèmes. Au cours de mon exposé, j’ai mentionné des systèmes de production agricole. Ces systèmes peuvent être mis en œuvre dans des exploitations agricoles. Lorsque nous apportons ces changements, nous devons être en mesure de démontrer, en aval et en amont, que nous réduisons efficacement l’équilibre en matière de gaz à effet de serre.

L’un des éléments cruciaux dont M. Janzen a parlé était le carbone des sols. C’est sur ce carbone que repose notre productivité, mais nous devons le préserver tout en réduisant au minimum les autres gaz à effet de serre et en permettant à notre industrie agricole de réaliser suffisamment de profits pour investir dans les changements.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci beaucoup, messieurs. Je vous remercie de vos réponses.

[Traduction]

La présidente : J’ai seulement quelques questions à vous poser. L’une d’elles est liée à la quantité de matière organique dans le sol. Je viens de l’Île-du-Prince-Édouard où nous cultivons une grande quantité de pommes de terre dans un sol sableux très rouge, le loam sableux de Charlottetown. Ce sol ne ressemble pas aux tchernozems de l’Alberta. Je crois que c’est un sol de classe 3 plutôt que de classe 1. Quoi qu’il en soit, c’est un sol dans lequel la matière organique disparaît rapidement, simplement en raison du type de cultures que nous y produisons.

Dans quelle mesure la diminution de la matière organique dans les sols est-elle un problème répandu à l’échelle nationale? Le problème est-il répandu ailleurs? Nous ne sommes sûrement pas les seuls à faire face à ce problème.

M. Janzen : La matière organique du sol fluctue à de nombreux endroits au pays. Dans certains cas, il est probable qu’elle augmente. Dans d’autres cas, elle se maintient ou diminue. En général, je pense qu’on peut dire sans risque de se tromper que, dans l’ensemble, la quantité de carbone dans les terres agricoles canadiennes se maintient probablement ou augmente peut-être un peu selon les estimations d’Environnement et Changement climatique Canada que je vous ai montrées plus tôt.

Cela soulève une question importante. À mon avis, il est bon que nous considérions chaque écosystème individuellement, au lieu d’envisager les terres agricoles comme un tout ou une entité abstraite. Il faut que nous visitions un champ donné d’une ferme donnée, que nous l’examinions et que nous nous demandions comment nous pourrions gérer ce terrain d’une façon plus efficace et durable. À quel point est-il important que nous rétablissions la quantité de carbone de cette parcelle pour maintenir sa productivité?

Les terres consacrées à la production de pommes de terre sont un exemple de système agricole où il est parfois difficile de rétablir sans cesse la quantité de matière carbonée. Il y a peut-être des façons d’établir de nouvelles rotations qui présenteraient des avantages supplémentaires en matière de rétablissement du carbone.

La présidente : Ma prochaine question a rapport à vous deux. Manifestement, vous avez indiqué que de nombreux aspects ont changé au fil des ans : une saison de croissance plus longue, une météo irrégulière et des fluctuations du taux d’humidité. Toutefois, selon vos propres recherches et ce que vous avez observé personnellement, quel élément a la plus grande incidence sur le changement climatique?

M. Janzen : Je peux peut-être vous faire part d’un point de vue partiel, puis M. Baron pourra continuer de répondre à votre question en vous fournissant des précisions. En ce qui me concerne, une transition fort importante est survenue quand, il y a 10 ou 20 ans, nous nous sommes rendu compte que la façon dont nous gérions nos terres agricoles avait des conséquences qui dépassaient de loin les limites des champs. Du point de vue de l’agriculteur et de la communauté agricole, la gestion des sols est une préoccupation urgente, mais elle va beaucoup plus loin que cela. La question du changement climatique a mis en évidence les liens qui existent entre nos écosystèmes agricoles et nos centres urbains, parce que l’atmosphère ne respecte pas les limites que nous attribuons à nos répartitions géographiques.

Il s’agit là, du moins en ce qui me concerne, d’un point de vue révélateur et peut-être tardif qui a changé la façon dont nous menons nos recherches, ayant reconnu que les exploitations agricoles ne sont pas seulement une ressource dont nous tirons des produits qui servent ailleurs. Les exploitations agricoles sont des écosystèmes qui nous soutiennent de bien des manières. Les aliments sont absolument essentiels, mais il y a d’autres enjeux sociaux, notamment la biodiversité, l’énergie et l’attrait esthétique. Comme je l’ai mentionné, tous les autres avantages que nous tirons des terres ont des répercussions qui dépassent l’agriculture. Cette constatation a marqué un point tournant dans ma carrière de chercheur.

M. Baron : Vous avez pratiquement posé plus d’une question parce que, premièrement, nous, les chercheurs, ne travaillons pas en vase clos. Je suis tout à fait conscient des recherches que M. Janzen mène, même s’il travaille à Lethbridge. Si vous me demandez quelle est la plus grande contribution que ma recherche a apportée à la lutte contre le changement climatique, je dirais qu’il y en a probablement deux. Le projet le plus important auquel j’ai travaillé est lié à la prolongation de la saison de pâturage, qui prolonge réellement ainsi la croissance des cultures le plus longtemps possible pendant l’année, puis l’utilisation des cultures par une partie complètement différente du système d’exploitation, à savoir les vaches ou les ruminants.

Lorsque l’on envisage cela du point de vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, on constate que ce projet va un peu à l’encontre de cet objectif, étant donné que les ruminants produisent du méthane. Et pourtant, sans les ruminants, il est difficile de justifier l’utilisation d’un grand nombre de nos pâturages artificiels. Le centre et le Nord de l’Alberta comptent plus de 60 p. 100 des pâturages artificiels de la province. Plus de la moitié de notre territoire est consacrée à des pâturages artificiels et naturels.

La majeure partie de cette superficie, soit 15 millions d’hectares, constitue de grands pâturages libres, mais le nombre de bovins qui paissent sur cette surface est plutôt fixe. En fonction des fluctuations du prix des céréales et des bovins, nous cultivons ou non des pâturages artificiels. Voilà probablement la source la plus importante. La façon dont nous pouvons accroître le plus rapidement la séquestration du carbone consiste à accroître la superficie des pâturages artificiels dont nous disposons, car le taux de séquestration augmente dès que nous passons d’une culture annuelle à une culture vivace pendant une période de plusieurs années. Plus nous parviendrons à maintenir à un niveau élevé la fréquence de ce passage, plus nos réserves de carbone dans le sol seront stables. Dans toute industrie agricole, la stabilité revêt une grande importance.

La deuxième partie concerne les liens dont M. Janzen a parlé. Lorsque nous parlons des produits de base, c’est presque comme si l’Ouest canadien était un grand champ de canola ou, dans les années 1950 et 1960, un grand champ de blé combiné à un autre champ en jachère. Nous avons modifié cela complètement en 30 ans. Pendant mes études de premier cycle, nous disposions de 20 millions d’hectares de blé et de 20 millions d’hectares en jachère. Maintenant, nous disposons de tout un éventail de cultures qui nous aident à diversifier ce que nous cultivons et à cultiver la plupart de nos champs. Par conséquent, nous n’avons plus que cinq millions d’hectares en jachère. Je dirais que c’est l’une de nos réalisations, à laquelle s’ajoute la culture sans travail du sol.

M. Janzen : J’aimerais préciser légèrement mon intervention, car je ne suis pas certain d’avoir interprété correctement la question lorsque j’y ai répondu en premier lieu. Il est certain que je ne peux m’attribuer le mérite d’aucune des innovations que j’ai mentionnées plus tôt.

J’aimerais mentionner une autre idée qui n’est pas la mienne, mais plutôt une idée collective. Je fais allusion à l’importance que la notion de temps revêt dans toutes ces questions. Le temps est l’un de nos plus grands défis dans le domaine de la recherche, mais il offre également des possibilités. Comme je l’ai mentionné au cours de ma déclaration préliminaire, bon nombre de changements surviennent lentement et progressivement avec le temps. En fait, par définition, les changements requièrent du temps. On observe les changements seulement avec le temps.

L’une des questions auxquelles nous avons constamment du mal à répondre est la suivante : comment pouvons-nous tenir compte de cet aspect dans nos recherches alors que nous avons tendance à mettre l’accent sur des études à court terme? Dans bon nombre de cas, les questions que nous posons, qu’elles soient liées au changement climatique, à l’intendance des terres, à la biodiversité ou à d’autres questions de durabilité, sont des questions à long terme, dont les réponses nous seront apportées finalement après le passage d’une très longue période de temps.

Après tout, le temps juge en dernier ressort de ce qui est durable ou non, par définition. Ce n’est qu’avec du recul, que nous constaterons ce qui est durable. Voilà une autre idée et une autre possibilité que nous observons dans le cadre de nos programmes de recherche.

La présidente : Comme vous l’avez déclaré plus tôt, nous disposons d’une centaine d’années de données. Je suppose que cela nous rappelle l’importance de la recherche à long terme. Cela ne veut pas dire que la recherche à court terme n’est pas importante, mais, en ce qui concerne la durabilité, c’est souvent à long terme que nous pourrons vraiment déterminer où nous allons et comment nous pourrons rester à cet endroit.

M. Janzen : Oui, c’est une excellente façon d’exprimer cette idée. Les études à court terme spécialisées et méticuleuses sont absolument essentielles pour comprendre les principes et les mécanismes liés à la façon dont se comporte un système ou une partie d’un système. En plus de ces expériences axées sur des hypothèses très détaillées, nous avons également besoin de mener des études à long terme afin de faire constamment preuve d’humilité, si je peux m’exprimer ainsi, et de constater si nous comprenons les choses vraiment aussi bien que nous le pensions.

Comme je l’ai mentionné, nous, les employés d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, sommes très chanceux, en ce sens que nos prédécesseurs ont établi ces expériences à long terme. Ainsi, nous pouvons apprendre. Nous pouvons examiner ce qui est survenu dans le passé et procéder à des mesures de ces expériences à long terme. Le corollaire de cette remarque, c’est que nos successeurs pourraient vraisemblablement souhaiter profiter des recherches que nous menons en ce moment et qui pourraient nous survivre. Cela constitue également un important objectif de recherche.

La présidente : Absolument. J’aimerais vous remercier tous les deux de votre présence parmi nous aujourd’hui. Nous avons eu une excellente discussion, et nous vous sommes grandement reconnaissants de vos commentaires.

(La séance est levée.)

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