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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 51 - Témoignages du 8 mai 2018


OTTAWA, le mardi 8 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui à 18 heures pour étudier la teneur des éléments de la partie 5, dans la mesure où cette partie concerne l’agriculture du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.

La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Je suis la sénatrice Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard. Je suis la présidente du comité. J’inviterais maintenant les sénateurs à se présenter, en commençant par notre vice-président.

[Français]

Le sénateur Maltais : Sénateur Ghislain Maltais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, Colombie-Britannique.

Le sénateur R. Black : Robert Black, de l’Ontario.

La présidente : Merci, chers collègues.

Nous poursuivons notre étude des éléments de la partie 5, dans la mesure où cette partie concerne l’agriculture du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Pour notre premier groupe d’experts, nous avons deux invités. Tout d’abord, avec nous, dans la pièce, M. Todd Lewis, qui est le président de l’Association des producteurs agricoles de la Saskatchewan. Par vidéoconférence, nous entendrons Dan Mazier, qui est le président des Producteurs agricoles de Keystone du Manitoba.

Merci d’avoir accepté de vous joindre à nous ce soir. Nous allons commencer par M. Mazier. Vous avez la parole.

Dan Mazier, président, Producteurs agricoles de Keystone du Manitoba : Madame la présidente, distingués membres du comité, merci de nous donner cette occasion de vous faire part de notre point de vue au sujet de la taxe sur le carbone pour les combustibles fossiles utilisés à des fins industrielles. L’organisme Producteurs agricoles de Keystone du Manitoba est une association qui s’intéresse à la politique agricole générale du Manitoba. Elle représente plus de 7 000 familles. Je suis moi-même agriculteur. Je fais la culture de céréales et d’oléagineux au nord-est de Brandon, au Manitoba. Notre village s’appelle Justice.

Permettez-moi de commencer en insistant sur le fait que l’agriculture est une industrie qui dépend beaucoup des intrants. Pour vous donner une idée de ce que je dis, sachez que le coût total des intrants utilisés durant la saison des semis au Manitoba — nous sommes en plein dedans — est d’environ 2,6 milliards de dollars. Cela comprend les semences, les engrais et le carburant pour les machines. Ces intrants sont non seulement chers, mais leur production génère beaucoup de carbone.

Le coût des intrants a augmenté considérablement au cours des deux dernières décennies, notamment en raison des fusions d’entreprises d’intrants agricoles. De plus, le manque de concurrence a fait en sorte que ces entreprises ont pu exiger le prix que les agriculteurs pouvaient se permettre plutôt que de demander le prix auquel elles pouvaient se permettre de vendre. Ces fusions se poursuivent. Nous venons tout juste d’en voir deux de grande importance, et nous savons qu’une autre fusion de taille est en préparation, ce qui ne manquera pas de diminuer encore plus la concurrence.

Les agriculteurs, surtout les jeunes agriculteurs, sont déjà inquiets du coût élevé de l’agriculture au Manitoba. Or, ils sont maintenant extrêmement préoccupés par la hausse considérable des prix que risque d’entraîner l’imposition d’une taxe sur le carbone pour les combustibles fossiles.

Le coût de la taxe sur le carbone perçue auprès des entreprises œuvrant dans la production et le transport d’engrais sera refilé aux agriculteurs. Par exemple, au début de 2017, une compagnie de camionnage a imposé un supplément carbone de 1 p. 100 en Alberta, là où il y a déjà un prix sur le carbone. Ce supplément passera à 1,5 p. 100 en 2018, c’est-à-dire au moment où la taxe sur le carbone albertaine augmentera.

Voici un autre exemple : les compagnies ferroviaires exigent actuellement un supplément carbone de 4 cents du mille sur tous les envois en provenance ou à destination de la Colombie-Britannique. Des suppléments similaires sont appliqués dans d’autres provinces où le carbone a déjà un prix.

Je souligne que les prix donnés aux agriculteurs pour leurs céréales et leur bétail sont fixés à l’échelle mondiale en fonction de la demande sur les marchés internationaux. Les prix du Manitoba ne peuvent être modifiés de manière à faire porter par les consommateurs les taxes et les coûts de production additionnels.

Les agriculteurs sont bien conscients des changements climatiques et du besoin de les atténuer. Les conditions météo extrêmes associées aux changements climatiques ont causé des torts considérables à notre production et à nos systèmes de mise en marché, et les recherches nous indiquent que nous allons avoir des printemps et des automnes plus humides — bien que cela ne s’est pas vérifié ce printemps —, et des étés plus secs. L’ironie dans tout cela, c’est qu’en tentant de nous adapter aux changements climatiques, il n’est pas rare que nous investissions dans des outils à forte intensité carbonique, comme des séchoirs à grains ou des systèmes d’irrigation.

Il y a cependant une solution : il faut investir dans les nouvelles technologies et la recherche qui permettront de réduire les émissions de gaz à effet de serre. L’agriculture de précision est un exemple de ces technologies. Elle utilise des données en provenance du terrain pour ajuster la quantité d’engrais appliquée aux divers champs, selon leurs caractéristiques. Cette méthode permet de réduire de beaucoup la quantité d’engrais utilisée.

Les recettes générées par la tarification du carbone doivent être investies dans la technologie. Les agriculteurs du Manitoba, surtout les jeunes agriculteurs, veulent que le système de tarification du carbone soit transparent afin d’être en mesure de voir comment les recettes seront utilisées.

Les Producteurs agricoles de Keystone du Manitoba recommandent que le Sénat insiste auprès du gouvernement du Canada pour qu’il mette en œuvre un programme de surveillance avec production de rapports quant aux répercussions macroéconomiques que la tarification du carbone aura sur les consommateurs et les industries, programme qui permettra également d’évaluer le renvoi des coûts tout au long de la chaîne de valeur. En particulier, pour le secteur agricole, nous voulons savoir si cette tarification tire les profits des agriculteurs vers le bas.

Nous demandons aussi au Sénat d’exiger que les réductions des émissions attribuables à la tarification du carbone soient mesurées.

Pour le Manitoba, les estimations actuelles prévoient des réductions cumulatives d’un peu plus d’un million de tonnes entre 2018 et 2022. Nombreuses sont les parties concernées qui doutent que de telles réductions puissent se concrétiser sans l’apport de programmes spéciaux assortis de mesures incitatives pour encourager l’adoption de pratiques de réduction des émissions.

En terminant, permettez-moi d’insister sur ce fait : le prix que l’on accorde aux agriculteurs ne peut être augmenté. Si l’agriculture cesse d’être rentable, c’est l’économie canadienne et l’environnement qui en souffriront.

Merci de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci de votre exposé. Passons maintenant à M. Lewis.

Todd Lewis, président, Association des producteurs agricoles de la Saskatchewan : Bonsoir. Je fais de l’agriculture avec mon père, mon frère et mon neveu dans la localité de Gray, au sud de Regina, en Saskatchewan. L’Association des producteurs agricoles de la Saskatchewan apprécie cette occasion de donner son point de vue sur les propositions législatives relatives à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.

En tant qu’organisation agricole générale pour la Saskatchewan, l’Association des producteurs agricoles de la Saskatchewan est le porte-parole de milliers d’agriculteurs et d’éleveurs, de ceux-là mêmes qui gèrent plus de 40 p. 100 des terres agricoles cultivées du Canada et 35 p. 100 de l’ensemble de ses pâturages.

Par la gestion et l’intendance prudentes qu’ils pratiquent sur le plan agricole, les producteurs de la Saskatchewan sont un atout stratégique dans la lutte contre les changements climatiques.

Les producteurs de la Saskatchewan génèrent 30 p. 100 des exportations agricoles du Canada, soit plus de 15 milliards de dollars par année. Nos activités soutiennent des dizaines de milliers d’emplois partout au Canada.

Si le Canada veut atteindre son objectif d’augmenter ses exportations agricoles tout en respectant son engagement de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, nous sommes d’avis que la politique fédérale devra tenir compte à la fois de l’impact économique de la tarification du carbone et des services essentiels fournis en gérant le carbone dans le paysage agricole.

L’Association des producteurs agricoles de la Saskatchewan maintient son opposition au fait d’imposer une politique de tarification du carbone aux producteurs agricoles de la Saskatchewan. Disons les choses clairement : la politique sur le filet de sécurité sur la tarification du carbone s’applique principalement à la Saskatchewan et à nos membres, et donc à ceux qui sont responsables d’une très grande partie de l’activité agricole au Canada.

La prémisse fondamentale de la tarification du carbone est qu’il faut se servir des prix du marché pour envoyer le message de réduire la consommation de combustibles fossiles. Les producteurs agricoles ne décident pas du prix de leurs produits et n’ont donc aucun moyen de transférer l’augmentation des coûts des intrants. La tarification du carbone peine à faire circuler le message espéré dans la chaîne de valeur et devient simplement un coût additionnel que doit assumer un secteur où les marges sont déjà minces. Les producteurs cherchent déjà toutes les occasions possibles pour réduire leurs coûts, car ils n’ont aucun moyen de relayer ces augmentations.

J’invite les sénateurs à se reporter au tableau que je leur ai remis et qui rend compte de l’évolution au fil des ans de la relation qu’il y a entre les recettes des exploitations agricoles et leurs marges de profit. Les producteurs dépensent plus d’argent pour augmenter leur production, mais le pourcentage qu’ils réussissent à dégager des recettes brutes va en diminuant. Ces marges servent à payer la nouvelle technologie, à investir dans l’entreprise familiale et à se préparer pour le transfert à la prochaine génération de producteurs agricoles.

Le projet de loi C-74 définit un agriculteur comme étant une « personne qui exploite une entreprise agricole avec une attente raisonnable de profit ». Les dispositions contenues dans ce projet de loi rendent cette définition moins crédible. L’exemption proposée pour les carburants destinés aux machines agricoles reconnaît partiellement ce problème de coût. Cependant, l’exemption actuelle fait fi de toute une gamme de coûts opérationnels inévitables qui ne manqueront pas d’augmenter avec la tarification du carbone. Mentionnons entre autres le transport ferroviaire, qui est le principal coût que doivent assumer les producteurs de grains des Prairies, le gaz naturel pour le séchage des grains et le chauffage des étables, le transport par camion, les engrais et les additifs, ainsi que l’électricité.

Ce sont tous des intrants essentiels et inévitables. Les solutions de rechange en matière de combustible sont peu nombreuses. Permettez-moi de revenir là-dessus : les agriculteurs et les éleveurs travaillent déjà très fort pour trouver des façons de réduire leurs coûts — comme dans le cas de l’énergie, par exemple —, car ils ne peuvent pas les refiler à leurs clients. Nous faisons déjà de notre mieux pour produire plus avec moins d’énergie.

Les producteurs de la Saskatchewan vendent le gros de leur production sur les marchés d’exportation, et ils sont loin des endroits d’où partent ces exportations. Beaucoup de nos concurrents n’ont pas à composer avec une taxe sur le carbone. L’ajout de la taxe sur le carbone aux intrants que nous utilisons fait augmenter nos coûts de production et nous rend moins concurrentiels sur le marché mondial. Voilà qui est bien dommage si l’on considère que le gouvernement fédéral a cerné l’agriculture — et l’augmentation des exportations agricoles — comme étant l’un des vecteurs clés de la croissance de l’économie canadienne.

Durant toute l’élaboration de la définition du filet de sécurité fédéral sur la tarification du carbone, notre association a fait part de ses réserves au sujet de l’incidence directe et indirecte de la tarification du carbone sur les coûts pratiqués dans les chaînes d’approvisionnement du secteur agricole, et a demandé au gouvernement fédéral d’effectuer et de publier une estimation détaillée de ces augmentations. Nous avons également demandé que l’examen du prix du carbone pour les industries exposées au commerce prévu pour 2020 soit effectué avant la mise en œuvre du filet de sécurité sur la tarification du carbone.

Nous n’avons vu aucun suivi au sujet de ces recommandations. Des décisions sont prises sans qu’on sache quoi que ce soit au sujet des risques et conséquences potentiels. Nous sommes aussi d’avis qu’il est temps que le gouvernement fédéral perçoive l’agriculture comme étant un élément de solution majeur en matière de carbone et non comme un problème.

Le Plan mondial d’action pour le climat indique que l’augmentation annuelle de la séquestration dans les sols agricoles de quatre parties par millier stopperait l’augmentation globale annuelle de CO2 dans l’atmosphère. Voilà une occasion de remédier aux changements climatiques qui ne doit pas être ignorée ou sous-estimée. Si le Canada veut respecter ses obligations en vertu de l’Accord de Paris, il est essentiel qu’il reconnaisse l’importance des puits de carbone agricoles et qu’il s’attaque à leur développement.

Le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques comprend des mesures dans l’ensemble de l’économie pour réduire les émissions, y compris l’augmentation de la séquestration du carbone dans les forêts, les milieux humides et les terres agricoles.

Les producteurs agricoles sont des joueurs de premier plan pour la séquestration du carbone. Sur une base annuelle, les producteurs de cultures de la Saskatchewan, grâce à des pratiques de gestion améliorées, séquestrent 8,5 mégatonnes de carbone, et les pâturages des Prairies, plus de 2 milliards de tonnes. La valeur de la séquestration actuelle attribuable au secteur agricole doit être reconnue par les décideurs.

L’absence d’un système national de compensation des émissions de carbone entravera l’exploitation de cette piste de solution. Cette absence imposera également un fardeau administratif supplémentaire aux provinces et territoires assujettis au filet de sécurité, puisqu’elle les forcera à développer leurs propres systèmes. À terme, on négligera de considérer l’agriculture comme ressource potentielle pour remédier aux changements climatiques.

Le leadership fédéral dans l’élaboration d’une politique de compensation nationale est nécessaire pour tirer le meilleur parti du plein potentiel de l’agriculture quant à l’atténuation et à la compensation des gaz à effet de serre. Nous espérons que le gouvernement fédéral ira de l’avant avec la création d’un solide système de compensation canadien qui reconnaîtra la contribution des producteurs agricoles et proposera d’autres possibilités en matière de réduction des émissions.

L’Association des producteurs agricoles de la Saskatchewan apprécie cette occasion qui lui est donnée de se prononcer sur les propositions législatives provisoires concernant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre. Nous demandons respectueusement au gouvernement fédéral de réexaminer tant les répercussions financières punitives que ces mesures auront sur les producteurs agricoles, que le potentiel énorme que nous représentons pour aider le pays à atteindre ses cibles de réduction. Merci. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci à nos deux présentateurs. Nous allons passer à la période des questions, en commençant par notre vice-président, le sénateur Maltais.

[Français]

Le sénateur Maltais : Monsieur Mazier, vous avez parlé du coût des intrants, et du fait que vous êtes prisonnier de deux ou trois grandes entreprises pour acheter vos semences. Est-il possible que, du côté américain, les semences soient subventionnées? Avez-vous connaissance de cela?

[Traduction]

M. Mazier : Je n’ai aucune idée de ce qui se passe aux États-Unis en ce qui concerne la tarification du carbone et les subventions en matière de semences. Je ne sais pas.

[Français]

Le sénateur Maltais : La semaine dernière, nous avons reçu votre ministre de l’Environnement et votre ministre de l’Agriculture. Ils sont carrément contre la taxe sur le carbone, et ils l’ont d’ailleurs déjà contestée en cour. On a parlé aussi d’une taxe de modulation concernant les agriculteurs, en fonction de leurs besoins en gaz pour le séchage, leurs besoins d’essence ou de mazout pour leurs tracteurs, mais le gouvernement a refusé. Vous avez dit une chose importante, c’est que la taxe sur le carbone doit servir à la recherche et à la technologie. Je pense que votre gouvernement fait un effort assez marqué de ce côté-là. Est-ce que, pour les agriculteurs que vous représentez, une taxe, non pas sur le carbone, mais qui servirait uniquement à la recherche sur les nouvelles technologies pour éliminer les GES conviendrait à vos membres?

[Traduction]

M. Mazier : En fait, le Manitoba a une taxe sur le carbone. La province a opté pour une taxe sur le carbone plutôt que pour un système de plafonnement et d’échange. Nous avons des exemptions qui vont plus loin que celles dont Todd a parlé dans son exposé. Nous nous sommes aperçus il y a deux mois qu’il y avait des exemptions pour le séchage des grains, le chauffage des étables, les forêts et les mines. Toutes ces choses sont exemptées de la taxe carbone sur le carburant. Notre gouvernement a été très proactif pour tenter de limiter les conséquences de cette taxe.

Lorsque nous avons fait nos recherches et que nous avons conseillé le gouvernement, nous lui avons demandé de s’assurer que tout l’argent perçu grâce à cette taxe soit investi dans la recherche et la technologie afin que les industries puissent tirer avantage de l’exercice et réduire concrètement leurs émissions. Lors du dernier budget, le gouvernement a annoncé qu’il allait prendre l’argent du carbone et réduire les impôts au Manitoba. Nous ne savons pas ce que cela signifie, c’est-à-dire comment cela va contribuer à réduire les émissions, mais disons que c’est une orientation diamétralement opposée à celle que l’industrie mettait de l’avant, soit de veiller à ce que l’argent nous revienne, sans égard pour ce qui serait taxé. Cela ne semble pas être le cas. Le gouvernement semble avoir pris la décision de redistribuer l’argent perçu de façon générale et de veiller à ce que les industries reçoivent des baisses d’impôt plutôt que de réduire concrètement leurs émissions.

Le sénateur Maltais : Merci, monsieur Mazier.

[Français]

Monsieur Lewis, vous avez beaucoup parlé du problème des semences et du fait que vous êtes pénalisé parce que vous n’avez pas le choix d’acheter dans différentes autres sociétés. Le prix est fixé par les compagnies, mais vos prix de vente de céréales ne sont pas fixés à l’avance; ils sont fixés selon le marché à l’automne lorsque vous pouvez les vendre. Est-ce qu’une taxe fixe vous désavantagerait ou est-ce que vous préféreriez une taxe modulée? Ou peut-être préféreriez-vous ne pas payer de taxe du tout?

[Traduction]

M. Lewis : Vous m’avez donné cette troisième réponse.

Avec une taxe qui ratisse large comme la taxe sur le carbone, ce qui est proposé concerne tous les secteurs de l’industrie, et les agriculteurs sont de gros clients. Le coût des intrants n’a pas d’importance. Quelque chose d’aussi simple que des plastiques pétrochimiques ont une incidence sur les agriculteurs : il y va des barils dans lesquels nous recevons nos additifs, de la ficelle agricole qu’utilisent les éleveurs ou des sacs dans lesquels nous mettons les céréales. Le prix de tous ces intrants va augmenter, et nous ne pourrons pas récupérer cette augmentation ailleurs. Ce sont des coûts qui viendront gruger directement notre bénéfice net. Il n’est pas rare pour un agriculteur qui se sert de sacs pour ses grains de dépenser 20 000 $ par année pour ces sacs. Or, si le prix des sacs augmente — même si ce n’est que de 1 ou 2 p. 100 —, c’est un dur coup pour le bénéfice net.

Nous utilisons beaucoup d’intrants et nos marges de profit sont très minces, alors si vous essayez d’exempter différents produits, souvenez-vous qu’il y a tellement de choses que nous utilisons qui ne seront pas exemptées et qui mettront à mal nos marges de profit. Et ce n’est pas seulement une question de marge de profit. En fait, en agriculture, bien des années se passent sans qu’il y ait de profits.

L’an dernier, dans le sud de la Saskatchewan, c’est probablement la majorité des agriculteurs qui ont accusé des pertes nettes. Ce sont des années difficiles. Comme Dan l’a mentionné, le sud des Prairies connaît un temps très sec cette année, et nous commençons à souhaiter qu’il pleuve. Nous parlons des changements climatiques, et nous attributions les saisons sèches et tout le reste aux changements climatiques, mais en même temps, les nouvelles technologies qui sont mises au point — c’est-à-dire avant que qui que ce soit ne commence à parler de tarification du carbone —, les technologies d’ensemencement et les autres technologies que nous utilisons ont permis l’an dernier de produire la deuxième récolte en importance de l’histoire de l’Ouest canadien. Lorsque nous parlons de fonds de recherche consacrés aux nouvelles technologies, il faut savoir que les agriculteurs ont investi dans ces nouvelles technologies et qu’ils continueront de le faire. La recherche vient du gouvernement et les producteurs investissent leur juste part de sous dans ces recherches par l’intermédiaire de leurs contributions.

[Français]

Le sénateur Maltais : Vous venez de dire que vous recevez 20 000 sacs d’engrais ou d’autres produits dont vous vous servez à votre ferme et que ces sacs sont faits de plastique; que faites-vous ensuite de ces sacs de plastique?

[Traduction]

M. Lewis : Je parlais des sacs de grains. Un sac peut contenir jusqu’à 10 000 boisseaux. C’est un immense sac de plastique qui ressemble, dans le champ, à un long saucisson. Le sac est recyclable. Nous avons un programme de recyclage en Saskatchewan, un projet pilote. Les sacs sont recyclés. C’est un plastique de bonne qualité. Il est épais et vierge, comme on dit. Il est prisé dans l’industrie du recyclage. C’est un autre bon exemple des mesures prises par les agriculteurs pour réduire leur empreinte carbone. C’est une initiative très réussie.

[Français]

Le sénateur Maltais : Est-ce vous qui payez pour le recyclage ou est-ce le fabricant de graines de semence?

[Traduction]

M. Lewis : C’est nous qui payons en fin de compte. Si c’est le fabricant qui paie, il l’inclura dans le prix du sac. Nous payons le transport jusqu’à l’entreprise de recyclage. Ce sont les agriculteurs qui paient la note, en fin de compte.

[Français]

Le sénateur Maltais : Si vous faites du recyclage — et vous représentez beaucoup de fermiers —, le gouvernement devrait vous payer.

[Traduction]

M. Lewis : C’est une bonne idée, mais nous n’en sommes pas encore là. D’ailleurs, je ne pense pas que les agriculteurs cherchent à obtenir l’aide du gouvernement pour ce genre de choses. Nous utilisons ces sacs et nous sommes heureux de les recycler. Lorsque ces sacs sont arrivés sur le marché il y a de nombreuses années, on les faisait souvent brûler. C’était une pratique courante. Ce n’est plus le cas maintenant. Les agriculteurs ne font plus brûler les contenants de produits chimiques non plus. Tout est recyclé. Nous faisons beaucoup d’efforts. Il a fallu un changement de culture, si on veut, au cours des dernières décennies, mais on en fait de plus en plus. Les gens sont très conscients de la qualité de l’air et des autres enjeux.

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup de votre présence. C’est très instructif. Ma question s’adresse à M. Mazier, mais n’hésitez pas à intervenir vous aussi, monsieur Lewis.

J’aimerais que vous approfondissiez vos propos. Vous avez dit dans votre déclaration préliminaire que nous devrions insister auprès du gouvernement du Canada pour qu’il mette en place un programme de surveillance et d’analyse des répercussions économiques de la taxe sur le carbone pour les consommateurs et l’industrie. C’est un commentaire qui a retenu mon attention. N’est-ce pas déjà le cas? Cela n’existe pas? Je présume que cela implique également la collecte de données.

J’aimerais que vous nous en disiez un peu plus à ce sujet. Si un tel programme n’existe pas, quelle forme croyez-vous qu’il devrait prendre et comment devrait-il être mis en place?

M. Lewis : Je peux répondre à votre question. C’est très important. Nous avons demandé une évaluation des coûts au ministère de l’Agriculture à maintes reprises. Il semble qu’on s’emploie à les évaluer, et je pense qu’il y aura des consultations qui débuteront dès la semaine prochaine. Nous allons participer aux consultations initiales. Les chiffres sont importants. Cela dit, le projet de loi ira de l’avant, et les carburants seront taxés avant qu’on en connaisse le coût véritable. C’est pourquoi il est si important qu’on estime d’abord le coût, avant que la taxe entre en vigueur, afin que cela n’arrive pas par la porte arrière, car nous ne savons pas quelles seront les conséquences voulues ou non voulues d’une taxe comme celle-ci sur notre situation financière.

La sénatrice Petitclerc : À mon avis, vous n’aurez pas de données ou d’information de base pour faire des comparaisons.

M. Lewis : Vous avez sans doute raison, mais c’est ce que nous voulons savoir. Le gouvernement fédéral a mené des consultations sur certains éléments. Le dossier est tellement volumineux et complexe qu’il faut plus de temps pour déterminer quels pourraient être les effets réels.

La sénatrice Petitclerc : Monsieur Mazier, je ne sais pas si vous pouvez…

M. Mazier : Je peux répondre à votre question. Le gouvernement du Manitoba nous a invités. Lors des discussions sur la mise en œuvre de la taxe, les représentants du gouvernement nous ont invités dans leurs bureaux et nous ont dit qu’ils voulaient que nous fassions partie de la solution.

Nous avons consulté nos membres et avons soumis au gouvernement quelques recommandations. Ce que nous avons entendu c’est : « N’en faites pas une autre taxe. » Chacun savait qu’il devait contribuer, je pense, et que la taxe était un mécanisme, une façon de commencer à agir. On peut commencer à payer pour beaucoup de programmes, en particulier les programmes de biens et services environnementaux ou les programmes de ce genre, qui pourraient modifier le cours des choses et nous amener dans une autre direction.

Une autre recommandation vraiment importante était que tout le monde voulait de la transparence. On voulait savoir comment l’argent serait recueilli, on voulait voir le montant sur chaque facture, et on voulait savoir ce que le gouvernement ferait de l’argent.

Ces questions sont encore pertinentes aujourd’hui, et les gens n’en démordent pas. Je pense que même au sein des groupes environnementaux les gens se disent que nous aurons fait beaucoup de travail pour rien s’il s’agit juste d’une autre ponction fiscale. Ce serait vraiment désolant si c’était le cas. La transparence aiderait beaucoup à rassurer les opposants ou ceux qui doutent que nous puissions changer les choses. On prouverait ainsi à tout le monde que nous pouvons changer les choses et on préciserait où vont les fonds. C’est une question qui inquiète vraiment tout le monde.

La sénatrice Petitclerc : Merci.

Le sénateur Doyle : Monsieur Lewis, je me demande ce qu’il en est de vos concurrents dans le marché. Vendez-vous vos produits agricoles dans des pays où il y a des redevances sur le carbone? Vos concurrents, disons sur le marché en Amérique, les Russes ou quiconque, sont-ils assujettis à une redevance sur le carbone? Avez-vous vérifié ce qu’il en est chez vos concurrents outremer, les Européens, ou même les Américains, pour ce qui est des redevances sur le carbone, et cetera?

M. Lewis : Oui. Chez les grands exportateurs de céréales secondaires comme le blé et le blé dur, en particulier dans l’Ouest canadien, les Américains sont un de nos concurrents importants. Les Australiens sont un autre de nos concurrents importants. Nous vendons notre grain principalement en Indonésie, en Inde, dans les pays de la région. L’Australie, par exemple, a annulé sa taxe sur le carbone. Je pense que le gouvernement vient tout juste d’abolir son programme.

L’administration Trump, bien sûr, n’a pas imposé de taxe sur le carbone, et si nous avons bien compris, les Américains se sont retirés de l’accord de Paris.

Les pays européens ont une taxe sur le carbone, mais ce ne sont pas des concurrents importants dans la plupart de nos marchés. Leurs plus gros concurrents pour notre grain sont des pays comme le Kazakhstan et la Russie, qui n’ont pas, bien sûr, de taxe sur le carbone.

Dans l’ensemble, les agriculteurs de l’Ouest canadien sont en concurrence la plupart du temps avec des agriculteurs qui se trouvent dans des pays où il n’y a pas de taxe sur le carbone.

Le sénateur Doyle : Vous avez bien dit avoir consulté le gouvernement fédéral et qu’on avait accepté de procéder à une évaluation, n’est-ce pas?

M. Lewis : Nous leur avons demandé une évaluation des coûts. Nous présumons qu’ils ont une façon de les mesurer. Ils ont mené une étude sur les recettes que cela générera. Il y aura un coût. Nous n’avons pas été informés du coût et nous n’avons pas pu voir les estimations. Comme Dan l’a mentionné, nous croyons qu’il est important que la taxe soit transparente et, avant d’emprunter cette voie, de savoir ce que le gouvernement pense que cela va nous coûter.

Le sénateur Doyle : Pour être certain d’avoir bien compris, parlez-vous d’une évaluation des coûts pour l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement? Si vous devez acheter de la machinerie agricole, des pneus, des engrais, du carton, ou quoi que ce soit qui peut être utilisé pour vos travaux agricoles, vous voulez savoir quelle sera l’incidence sur le coût de production d’un épi de maïs ou d’un boisseau de blé.

M. Lewis : Oui. Il n’y aura pas d’incidence sur le prix que nous le vendons, mais il y aura une incidence sur notre coût de production. C’est l’enjeu. Le prix d’un épi de maïs ou d’un boisseau de blé ou d’une livre de bœuf est fixé par les marchés internationaux. Tout coût additionnel devra sortir de nos poches. Il s’ajoutera au coût de production.

Le sénateur Doyle : Est-ce le consommateur qui en assumera le coût à la fin? Le coût sera récupéré, d’une façon ou d’une autre.

M. Lewis : Les producteurs primaires ne peuvent pas le faire, par contre. Les gens qui le revendent le feront, à l’autre bout de la chaîne. Nous n’avons pas cette chance. Si on tente d’ajouter ce coût, nos clients se tourneront vers nos concurrents. C’est la réalité.

Le sénateur Doyle : Vous n’avez pas de mécanisme pour le récupérer?

M. Lewis : Non. L’Ontario est un très bon exemple. Si le maïs de l’Ontario est trop cher, il sera très facile d’en importer de l’Ohio, où on en produit beaucoup.

Le sénateur Doyle : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Mes premières questions s’adressent à M. Lewis. Lorsque le gouvernement a mis en place les modalités d’une taxe sur le carbone par le truchement du projet de loi C-74, avez-vous été consulté au sujet de vos appréhensions quant à la taxe sur le carbone? Est-ce que le gouvernement vous a consulté?

[Traduction]

M. Lewis : En ce qui concerne le projet de loi C-74, non. Nous n’avons pas été consultés à propos de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Aujourd’hui, on parle beaucoup de l’importance de communiquer avec les Canadiens. On dit que, parfois, il y a un manque de communication. Est-ce que le gouvernement vous a fourni une information réelle et concrète quant à la redistribution des revenus de la taxe sur le carbone? Est-ce qu’il vous a donné des détails pour vous informer qu’il allait vous taxer sur le carbone, mais qu’il allait vous remettre l’argent de telle ou telle façon? Avez-vous eu des explications?

[Traduction]

M. Lewis : Non, nous n’avons pas reçu d’information. Les politiciens à Regina et Ottawa ont fait des allers-retours. Le gouvernement fédéral ne nous a rien dit au sujet de la taxe. Pour être honnête, il se passe beaucoup de choses à l’heure actuelle en hauts lieux entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial, mais nous n’en savons rien.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Mes questions s’adressent maintenant à M. Mazier. Étant donné que vous ne pouvez pas hausser le prix des productions et que la taxe sur le carbone va augmenter vos coûts, est-ce que vous avez chiffré votre perte de revenus?

S’il existe une alternative à la taxe sur le carbone, selon vous, est-ce qu’il y aurait autre chose que vous pourriez faire pour lutter efficacement contre les gaz à effet de serre, sans nécessairement payer une taxe sur le carbone? Parce qu’il est certain que vous allez subir des pertes de revenus.

[Traduction]

M. Mazier : Si on collecte une taxe, il y a des solutions. Si l’argent ne va pas à des mesures environnementales, où prendrons-nous l’argent? C’est la question qu’on se pose depuis le début. Si on veut instaurer une taxe dans nos provinces, et si les recettes sont destinées à remédier aux problèmes environnementaux, c’est bien. Je pense que les Canadiens sont d’accord en général avec cette idée, mais cela commence à ressembler à une ponction fiscale.

Vous avez posé des questions à M. Lewis au sujet du coût et des consultations dans nos provinces. Comme notre gouvernement a participé aux discussions, il était très au courant et nous a informés des coûts potentiels pour le Manitoba.

À titre d’exemple, un taux fixe de 25 $ générera des recettes de 250 millions de dollars par année. La manière de les répartir reste à déterminer. Une part sera destinée à l’environnement, et une autre servira à réduire les impôts.

Nous avons été très bien consultés, et c’est le gouvernement qui a décidé de le faire étant donné qu’il participait aux discussions.

Le gouvernement de la Saskatchewan, par contre, s’est opposé à la taxe, et a été à part. La situation a été différente en Saskatchewan. C’est pourquoi il n’y a jamais eu de discussions à ce sujet. Au Manitoba, pendant ce temps, on discutait de ce que cela représentait pour nous.

Il s’agit simplement d’une approche différente, mais c’est différent. Je pense que le point à retenir est que la situation est différente dans chaque province. C’est le problème. Les taux varient partout au pays. C’est un problème fondamental.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous avez raison, c’est différent dans chaque province. D’ailleurs, il y aura des élections en Ontario cette année et il est possible que le prochain premier ministre ne veuille pas payer de taxe sur le carbone. Vous êtes voisin de la Saskatchewan, et elle a déjà annoncé qu’elle contestera la constitutionnalité de cette taxe. N’aviez-vous pas envie de faire front commun avec la Saskatchewan pour ne pas payer la taxe sur le carbone? Vous pourriez faire front commun et manifester à Ottawa, par exemple.

[Traduction]

M. Mazier : Oui, pour avoir une politique environnementale — et cela revient aux provinces — et chacune pourra décider ce qu’elle souhaite faire. C’est ainsi qu’on a vendu l’idée au Manitoba : si vous ne choisissez pas le plan du Manitoba, vous choisissez le plan Trudeau. C’est ainsi que l’idée a été vendue au Manitoba. Nous avons fini par ne pas nous rendre à 50 $ la tonne. Cela ne fait pas partie du plan. Vingt-cinq dollars la tonne pendant cinq ans avec une réduction carbone.

Au Manitoba, on a opté pour une approche différente. On parle en fait d’un plan vert, et j’encourage le Sénat à y jeter un coup d’œil — Plan vert du Manitoba. Il comporte différentes étapes pour réduire le carbone. La tarification du carbone n’est qu’un élément du plan vert. Je pense qu’on parle d’une réduction d’un million de tonnes métriques, et c’est seulement la première étape.

Une autre étape importante en vue d’atteindre la réduction de 300 000 tonnes est le lancement de biocarburants, lesquels passeront des 2 p. 100 actuels à 5 p. 100. Ces biocarburants vont de nos biodiesels à d’autres carburants de ce genre. Si nous lançons ces biocarburants, une plus grande partie de la production de canola sera consacrée à la fabrication de carburants, ce qui déplacera une partie de la tarification du carbone.

Certaines solutions sont purement manitobaines. C’est la façon dont notre province a décidé d’atténuer le problème du carbone. Il s’agit simplement d’une approche différente.

Par contre, le bilan du carbone en Saskatchewan est différent. Je vous encouragerai à lire le plan vert du Manitoba. Il compare même l’Île-du-Prince-Édouard au Manitoba, ainsi que le bilan du carbone de toutes les provinces à celui du Manitoba. C’est un concept intéressant. Il montre la situation du carbone à l’échelle nationale.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ne trouvez-vous pas que l’imposition d’une taxe est la solution facile? Il y aurait peut-être différentes approches qui permettraient de diminuer les gaz à effet de serre. Que fera le gouvernement avec l’argent de la taxe? On ne le sait pas. Beaucoup de taxes ont été imposées depuis un certain temps et on ne sait pas ce qui arrive avec l’argent recueilli. Ne trouvez-vous pas que c’est un raccourci facile pour diminuer les gaz à effet de serre, en disant que l’imposition d’une taxe permettra de régler une partie du problème?

[Traduction]

M. Mazier : Oui, j’en conviens. C’est la raison pour laquelle la décision revient aux provinces. Le gouvernement fédéral a déclaré que cette taxe était le strict minimum, le filet de sécurité.

Lorsque le Manitoba a présenté sa taxe uniforme de 25 $, j’ai été étonné de constater que le gouvernement fédéral avait rapidement indiqué que cette taxe n’était pas suffisante. Ils ont dit que cette taxe sur le carbone devait être haussée. Ils ne comprenaient même pas le concept. Cela m’indique qu’ils sont simplement à la recherche des recettes provenant de la taxe sur le carbone. Ils ne cherchent pas à avoir un effet bénéfique. C’est dommage. J’ai pensé que leur réponse était trop rapide pour ne pas examiner le plan du Manitoba. Il existe peut-être une autre solution pour la province.

Je conviens qu’ils ont adopté une attitude autoritaire, mais il fallait bien que quelqu’un fasse le premier pas, je suppose. Nous verrons ce qui se produira.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Comme vous le dites, ils veulent de l’argent. Ne craignez-vous pas de devoir payer à deux endroits? À un moment donné, vous allez payer en Saskatchewan, et parce que vous ne payez pas assez en Saskatchewan, vous allez payer au gouvernement fédéral.

[Traduction]

M. Mazier : C’est la raison pour laquelle nous voulons que les choses soient transparentes et nous pensons que le Sénat devrait établir ce système.

Le sénateur Oh : J’ai une question supplémentaire à vous poser. Cet enjeu environnemental est censé être un enjeu mondial. Tout le monde devrait contribuer à la taxe sur le carbone. Les États-Unis ne le font pas, l’Australie est en train d’abandonner cet effort, alors que nous allons de l’avant. Cela ne ressemble plus à un problème environnemental à l’échelle mondiale. Cela ressemble plutôt à une taxe déguisée. Pouvez-vous formuler des observations à cet égard? Si nous ne faisons pas attention, nos prix ne nous permettront pas de soutenir la concurrence sur le marché. Il n’y aura plus de problèmes environnementaux plus tard. Pourriez-vous s’il vous plaît formuler des observations à cet égard?

M. Lewis : Oui. J’estime que nos agriculteurs et nos éleveurs font déjà un excellent travail. Cela en dit long au sujet de votre question. La technologie de l’Ouest canadien est exportée partout dans le monde afin de réduire l’empreinte carbone de la production de graines et de bétail. De nombreuses recherches ont été menées afin d’élaborer de bonnes pratiques de gestion du bétail et de son alimentation en vue de limiter la production de méthane au moyen de nouvelles pratiques d’alimentation et de gestion des pâturages, en plus de cultiver de meilleurs pâturages.

Lorsque vous cultivez de meilleurs pâturages, leur système racinaire est plus étendu, et ce sont les racines qui piègent le carbone. C’est un aperçu assez simple de la façon dont les puits de carbone fonctionnent.

Les éleveurs de l’Ouest canadien produisent maintenant plus de bœuf par mille carré ou acre carré qu’ils ne l’ont jamais fait. C’est grâce à leurs pratiques de gestion améliorées et à une réduction de l’eau qu’ils utilisent. Toutes ces améliorations sont survenues sans l’existence d’une taxe sur le carbone.

Lorsque vous dites que nos prix vont nous empêcher de soutenir la concurrence sur les marchés, je suis tout à fait d’accord avec vous. Nos produits font continuellement l’objet d’une concurrence croissante sur les marchés mondiaux. Les produits avec lesquels nous entrons en concurrence sont souvent d’une qualité et d’une salubrité inférieures aux produits canadiens. Au bout du compte, c’est le prix qui importe. Nous avons la chance de bénéficier d’excellents accords commerciaux, et même de nouveaux accords commerciaux mais, si nos prix ne sont pas compétitifs, nos concurrents pénétreront ces marchés.

Le sénateur Oh : L’Australie a négocié de meilleurs accords de libre-échange avec certains pays asiatiques. Les Australiens nous devancent à cet égard.

M. Lewis : C’est exact.

Le sénateur Oh : Vous êtes encore en mode rattrapage en ce qui concerne le taux qu’ils ont obtenu avant nous.

M. Lewis : Si nous nous accusons du retard du point de vue des prix, cela ne nous aidera pas.

Le sénateur Oh : Avez-vous des commentaires à formuler, monsieur Mazier?

M. Mazier : Je suis d’accord. Nous ne voulons pas que ce soit une taxe déguisée. Je pense que cela nuirait vraiment au mouvement. Je pense que la taxe a pour but de lancer la conversation afin de déterminer ce que nous allons faire à propos du problème des émissions de gaz à effet de serre. Si nous n’imposons pas une taxe, que ferons-nous? Nous avançons à l’aide de l’outil dont nous disposons en ce moment. Si quelqu’un a une meilleure idée, nous voulons l’entendre.

Il est un peu amusant d’entendre tout le bruit que fait l’Alberta. Son industrie est assujettie à un système de taxation du carbone depuis 2006. L’Alberta est l’une des premières provinces canadiennes à avoir mis en œuvre ce système. Tout à coup, les Albertains pensent que le système est une mauvaise idée, maintenant qu’il est imposé par le gouvernement fédéral plutôt que le gouvernement provincial. Ce n’est qu’une observation.

Mais je suis d’accord. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Si cela devient une taxe déguisée, ce sera dommage. À mon avis, nous manquerons une excellente occasion.

Le sénateur Oh : Les entreprises devraient peut-être être remises en état, et elles devraient peut-être envisager de réexaminer ce problème. Merci.

La présidente : Je vais considérer cela comme un commentaire, et non une question. Nous allons passer à la sénatrice suivante.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie de votre présence ce soir. Le sénateur Oh a déjà posé ma question. Monsieur Lewis, j’aimerais m’adresser à vous précisément à propos de la Saskatchewan.

Les agriculteurs de la Saskatchewan sont déjà touchés durement par le problème que vous rencontrez en exportant des lentilles vers l’Inde, où les droits de douane ont augmenté radicalement. Cette taxe va leur nuire encore plus. Nous savons que 40 p. 100 des terres cultivées au Canada se trouvent en Saskatchewan, tout comme 99 p. 100 des pois chiches canadiens et 90 p. 100 des lentilles canadiennes. Nous remarquons que ce commerce est problématique. Les échanges avec l’Inde posent des problèmes, en ce sens que les Indiens ont fait passer les taxes de 40 à 60 p. 100. Il y a aussi la question des deux navires qu’il a fallu envoyer ailleurs. De plus, des pourparlers sont en cours avec le Pakistan à propos de la fumigation.

Cette taxe est un fardeau supplémentaire — un autre enjeu qui préoccupe les agriculteurs. Je suis très préoccupée, car, comme vous le dites, il s’agit d’un coût supplémentaire imposé à un secteur dont les marges bénéficiaires sont très faibles.

Quel message transmettons-nous à nos agriculteurs?

M. Lewis : Les situations comme les droits de douane en Inde ou les problèmes de fumigation peuvent changer. Il se peut qu’il y ait eu là-bas une mauvaise saison de la mousson et que le marché s’ouvre de nouveau.

Cependant, il y a une chose dont on peut être certain, c’est qu’une fois imposée, une taxe ne disparaît jamais. Voilà pourquoi les agriculteurs sont très préoccupés par cette taxe. Ils ne souhaitent pas voir s’ajouter une autre taxe constante. Les marchés peuvent changer, et nous pouvons trouver de nouveaux marchés mais, une fois qu’une taxe est en place, elle est maintenue. Voilà ce qui inquiète énormément.

Nos membres ont fait ce qui s’imposait, et continuent de le faire, pour accroître leur production tout en abaissant leur empreinte carbone. Les faits sont là. De nombreuses recherches sur la séquestration du carbone ont été menées en Saskatchewan. Il y a encore beaucoup à faire là-bas pour reconnaître le travail accompli dans le domaine des pâturages et des terres cultivées.

La technologie ne cesse de s’améliorer, et elle vise toujours à engendrer des gains d’efficacité. Plus votre efficacité s’accroît, plus vos coûts énergétiques et votre empreinte carbone s’abaissent.

Voilà où en sont les agriculteurs — du moins, nos membres. Nous avons toujours soutenu que la meilleure façon d’investir dans de nouvelles technologies consiste à laisser de l’argent dans les poches des agriculteurs; il ne faut pas tenter de le confier au gouvernement et de le récupérer sous forme de fonds consacrés à la recherche ou sous n’importe quelle forme. Les agriculteurs financeront cette recherche. D’ailleurs, bon nombre des recherches se déroulent sur le terrain. Vous avez mentionné les pois chiches. Il y a 30 ans, cette culture n’existait même pas. Ce sont les agriculteurs qui ont investi dans cette culture. Les lentilles, le canola sont toutes des cultures purement canadiennes. Toutes les meilleures semences de lentilles proviennent de l’Université de la Saskatchewan à Saskatoon. Le canola a été inventé à Saskatoon.

Nous avons besoin de ces cultures. Les agriculteurs investiront dans de nouvelles technologies. Nous n’avons pas besoin que le gouvernement s’en mêle. Le gouvernement peut certainement soutenir nos activités, mais nous ne devrions pas lui verser une taxe afin qu’il nous rende cet argent sous forme de recherches.

La sénatrice Ataullahjan : Au cours de notre voyage au Pakistan, nous avons entendu parler de l’époque où le canola canadien a été lancé au Pakistan et de la façon dont il a changé la donne soudainement. Grâce à la Saskatchewan, tout le monde utilise le canola.

Vous avez parlé d’un filet de sécurité pour la tarification du carbone. Au profit de nos téléspectateurs qui ne savent peut-être pas en quoi cela consiste, pourriez-vous nous fournir une brève explication?

M. Lewis : Nous croyons comprendre que le filet de sécurité sera appliqué aux provinces qui n’utilisent pas un modèle du carbone qui cadre avec celui du gouvernement. Je crois que le Manitoba est assujetti au filet de sécurité pour la tarification du carbone, parce que la province prévoit seulement une taxe de 25 $ par tonne. La taxe de la Saskatchewan est nulle. Je crois que le filet de sécurité sera aussi appliqué à nos prochains témoins de la Nouvelle-Écosse, bien que j’ignore la raison pour laquelle ils se démarquent du modèle fédéral.

Je suppose que c’est la raison pour laquelle le gouvernement de la Saskatchewan contestera cette mesure devant les tribunaux. Nous nous efforçons de nous tenir loin de la politique et d’indiquer simplement que l’agriculture de l’Ouest, et assurément l’agriculture de la Saskatchewan, a donné d’excellents résultats sans l’application d’une taxe sur le carbone. Nous verrons comment les choses se dérouleront devant les tribunaux.

La présidente : Nous avons entendu de nombreux arguments valables ce soir. Je vais simplement les résumer brièvement : la création d’un système de crédits compensatoires, l’estimation et la publication des coûts pour le secteur par le gouvernement, l’examen de l’effet de la tarification du carbone sur les industries tributaires du commerce, l’investissement dans la recherche et les nouvelles technologies, la transparence afin que nous puissions déterminer où les recettes sont acheminées, la surveillance et la déclaration de l’incidence macro-économique, la mesure des réductions de gaz à effet de serre découlant de la tarification du carbone afin de déterminer ses fluctuations.

Voilà les principaux arguments que j’ai tirés de vos deux exposés. Ai-je manqué quelque chose?

M. Lewis : Je pense que vous avez tout résumé.

M. Mazier : Votre liste semble bonne.

La présidente : Je vous remercie de vos exposés. Les renseignements que vous nous avez communiqués ce soir pourraient bien nous être utiles dans le cadre des autres études et des autres travaux que nous réalisons en ce moment, en plus de l’étude particulière qui nous occupe. Je suis contente qu’en votre qualité de témoins, vous ayez répondu à nos questions. Nous vous en remercions infiniment.

Notre prochain groupe d’experts comprend deux invités de la Nouvelle-Écosse. Chris van den Heuvel donnera l’exposé, et Maxine Maclean l’aidera à répondre aux questions.

Madame, monsieur, nous sommes très heureux de vous accueillir parmi nous. Nous venons d’entendre des représentants de la Saskatchewan et du Manitoba. Il sera intéressant de déterminer quelle est la situation dans une partie du Canada atlantique.

Chris, je crois comprendre que vous êtes un directeur de la Fédération canadienne de l’agriculture et son président sortant.

Chris van den Heuvel, Fédération canadienne de l’agriculture, directeur et président sortant, Fédération de l’agriculture de la Nouvelle-Écosse : Le président sortant de la Fédération de l’agriculture de la Nouvelle-Écosse.

La présidente : Merci. La parole est à vous.

M. van den Heuvel : Je vous remercie infiniment de l’occasion qui m’est donnée de comparaître devant vous aujourd’hui. Comme je l’ai mentionné, je suis l’ancien président de la FANE et un producteur laitier de la magnifique île du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse. Je suis accompagné aujourd’hui de Maxine Maclean, la coordonnatrice des politiques et des communications de la Fédération de l’agriculture de la Nouvelle-Écosse.

Je vous remercie encore une fois de m’avoir invité à parler aujourd’hui du projet de loi C-74 dans le contexte de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.

Je salue les efforts que le gouvernement déploie pour lutter contre le changement climatique, et je lui en sais gré. Nous avons conscience que le climat évolue. Bon nombre des exploitations agricoles subissent les conséquences du changement climatique, et elles peuvent jouer un rôle important au chapitre des crédits compensatoires liés à la réduction des émissions de carbone.

Avant d’aborder la façon dont les changements présentés auront des répercussions sur les exploitations agricoles en particulier, j’aimerais souligner d’une manière générale les conséquences qu’aura la proposition de redevance sur les combustibles pour tous les Néo-Écossais. À l’heure actuelle, 36 p. 100 de l’électricité de la Nouvelle-Écosse proviennent de centrales au charbon. À supposer que le taux appliqué soit proportionnel à la quantité d’émissions de gaz à effet de serre associée à chaque produit, il est juste de présumer que les Néo-Écossais connaîtront une autre hausse de leurs tarifs d’électricité.

Depuis 2001, nos tarifs d’électricité ont augmenté de plus de 70 p. 100. Les efforts de notre province visant à réduire notre dépendance à l’électricité produite par des centrales au charbon ont été reconnus par le gouvernement fédéral dans le cadre pancanadien en matière de croissance propre et de changement climatique. La redevance sur les carburants ne fera qu’accroître le fardeau financier qui pèse sur les exploitations agricoles de la Nouvelle-Écosse.

J’aimerais maintenant mettre en évidence les recommandations propres à l’exploitation agricole quant aux modifications à apporter à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.

Premièrement, il est essentiel de prévoir une exemption pour l’utilisation d’essence et de diesel à la ferme. La consommation de carburant du secteur agricole canadien et néo-écossais est grandement inélastique. Quel que soit le prix des carburants, les agriculteurs n’ont guère de choix quant à la quantité de carburant qu’ils utilisent pour produire leurs produits agricoles. Le remplacement des carburants et l’adoption de technologies et de pratiques d’adaptation ont déjà eu lieu lorsque c’était possible. Mais l’agriculture est un secteur dont les coûts d’immobilisations sont forts et les marges bénéficiaires, faibles et, comme le dernier intervenant l’a mentionné, le secteur s’efforce d’optimiser l’efficacité des intrants dans la mesure du possible. Cela lui laisse une marge de manœuvre très mince lorsque les coûts de production augmentent que ce soit en raison de forces du marché ou de politiques gouvernementales. La FANE recommande donc d’étendre à tous les combustibles à la ferme l’exemption en matière de tarification du carbone, dans le projet de loi.

La définition d’un agriculteur qui figure dans le projet de loi est considérée comme trop simpliste, et elle pourrait, par inadvertance, empêcher des agriculteurs légitimes de se prévaloir de l’exemption de la redevance sur les carburants à la ferme. La définition proposée semble exclure des activités agricoles comme les exploitations d’arbres de Noël, l’exploitation de serres, l’exploitation d’érablières, et cetera.

La définition qui figure dans le projet de loi diffère également d’autres définitions beaucoup plus exhaustives que le gouvernement fédéral utilise, comme dans le cas de l’Agence du revenu du Canada. La définition de l’agriculture de l’ARC mentionne précisément qu’elle n’est pas exhaustive. Par conséquent, la FANE recommande que le projet de loi incorpore par renvoi la définition de l’agriculture de l’ARC, ainsi que les autres considérations pertinentes sur l’agriculture. Cela créera une plus grande uniformité à l’échelle gouvernementale quant à ce que comprend l’agriculture et facilitera l’interprétation de tous.

En outre, l’administration de l’exemption devrait être simplifiée dans la mesure du possible. Les exploitations agricoles et les agriculteurs sont déjà submergés de formalités administratives à remplir pour respecter la réglementation des transports, de la salubrité alimentaire, du bien-être des animaux, pour ne nommer que quelques domaines. Pour réduire le fardeau associé à cette exemption de la redevance sur les carburants, nous recommandons vivement de tirer parti des systèmes déjà mis en place par la province ou le territoire en question. Cette section du projet de loi doit faire l’objet d’examens supplémentaires afin de s’assurer qu’elle s’appuie sur les systèmes déjà en place et qu’elle ne crée pas inutilement des formalités réglementaires supplémentaires. Il est possible d’utiliser les programmes existants pour garantir d’une manière plus simple la conformité à la réglementation.

L’ajout d’une autre tarification du carbone est inquiétant. Bien que la mesure qu’on trouve dans le projet de loi soit relativement facile à appliquer et que le calcul soit relativement simple, en comparaison avec le système de plafonnement et d’échange, c’est un coût qui s’ajoute. Cette nouvelle tarification réduira d’autant notre aptitude à faire concurrence aux importations au Canada, en plus de compromettre notre sécurité alimentaire.

J’ai assez bon espoir que les cultures agricoles en seront exemptées, mais le transport des aliments jusqu’aux transformateurs ou aux marchés n’en sera pas exempté. Il faudra bien compenser quelque part pour ces coûts supplémentaires. Il ne devrait pas y avoir de dilemme éthique qui nous pousse à envisager d’augmenter les coûts des aliments afin de compenser pour les coûts liés à la protection de l’environnement.

Bien que cela ne semble pas inscrit dans le projet de loi, j’aimerais que les émissions biologiques soient explicitement exclues de toute forme de tarification du carbone. Les émissions biologiques sont extrêmement difficiles à mesurer. Toute tentative d’imposer un prix externe sur les émissions biologiques agricoles pourrait causer la perte de l’industrie. Elle représenterait un fardeau excessif à administrer, en plus d’être inéquitable puisqu’il y a des émissions naturelles et biologiques dans d’autres secteurs aussi. Les émissions biologiques agricoles font partie des cycles naturels et ne devraient donc pas être assujetties à la tarification du carbone. Il faut cependant appuyer les efforts destinés à réduire les émissions biologiques, grâce à la recherche, à la promotion des technologies et à des incitatifs.

Les agriculteurs peuvent jouer un rôle important afin de compenser pour les émissions de carbone et de réduire la quantité totale de carbone dans l’atmosphère. Le captage du méthane et des autres gaz émis naturellement par les bêtes et les déchets pour produire du combustible et de l’électricité devrait être favorisé et même, devenir la norme. Ces émissions pourraient servir à générer de l’électricité renouvelable, non intermittente, si nous nous dotons d’un bon cadre réglementaire en ce sens. Je recommanderais d’utiliser les redevances perçues sur les combustibles pour élaborer des programmes de ce genre pour aider les fermes à réduire encore davantage les émissions de gaz à effet de serre et à acquérir de l’équipement et des technologies carboneutres.

Encore une fois, je vous remercie de nous avoir invités à comparaître ici aujourd’hui. Notre coordonnatrice des politiques et des communications, Maxine, et moi-même serons ravis de répondre à vos questions.

Le sénateur Mercer : Premièrement, je vous souhaite à tous la bienvenue. C’est toujours bon de vous voir.

C’est un enjeu qui fait peur. En tant que résidant de la Nouvelle-Écosse, qui chauffe sa maison à l’électricité, je fais partie des victimes de la hausse soutenue du prix de l’électricité en Nouvelle-Écosse et je souffre du fait qu’il n’y ait malheureusement pas de production hydroélectrique chez nous et qu’on n’arrive pas encore à générer de l’énergie marémotrice. D’ici à ce que nous y arrivions, nous aurons dépensé tellement d’argent que cela nous coûtera cher.

Dans votre exposé, vous dites craindre que la sécurité alimentaire soit compromise. Pouvez-vous nous expliquer davantage en quoi elle sera compromise?

M. van den Heuvel : Je vous remercie beaucoup de cette question. C’est un enjeu très grave. Dès qu’un tarif est imposé aux agriculteurs, bien souvent, nous n’avons pas de mécanisme pour compenser. J’entendais le témoin précédent en parler, justement.

Nous n’avons souvent aucun moyen de recouvrer ces coûts. Malheureusement, la seule option est d’augmenter le prix des aliments. Or, si nous le faisons, nous nous plaçons en situation de désavantage concurrentiel par rapport aux pays et aux régions, qui n’ont pas de tarification du carbone ou qui ne sont pas assujettis aux mêmes exigences.

Soudainement, nos agriculteurs locaux se trouveraient incapables de produire des aliments sûrs, alors que nous sommes l’une des sources d’approvisionnement alimentaire les plus sûres au monde, sinon la plus sûre. Si nous commençons à dépendre de l’importation d’aliments pour répondre à ces exigences… C’est très bien de vouloir être écologique et de faire tout cela. C’est important. Nous en sommes conscients et c’est notre objectif aussi. Mais au bout du compte, ce sont les prix qui dictent la donne. Si nous devons rivaliser avec des pays où l’on n’impose pas ce genre de choses aux producteurs, nos ventes en souffriront. Le portefeuille des consommateurs en souffrira aussi. Soudainement, nous nous placerons en position précaire du point de vue de la sécurité alimentaire.

Le sénateur Mercer : En imposant ainsi une pression et cette tarification à nos producteurs primaires… Il n’y a pas de marge de manœuvre. Il n’y a pas de marge de manœuvre pour les absorber. La seule façon de compenser, c’est d’en refiler le coût aux consommateurs, ce qui contribue directement à l’inflation, mais aussi à une augmentation des prix des aliments.

Cela me frustre, quand j’en parle avec vous surtout, parce que c’est principalement moi qui fais les courses dans ma famille. Je suis très loyal envers les agriculteurs de la Nouvelle-Écosse et j’insiste pour que mon marché local n’offre que des produits néo-écossais, si possible. Ce sera de plus en plus difficile pour lui de le faire et de rester concurrentiel. Y aurait-il une solution de rechange, d’après vous?

M. van den Heuvel : C’est une excellente question, et je n’y ai vraiment pas de réponse. Maxine, je ne sais pas si vous voulez ajouter quelque chose. Vous avez fait beaucoup de recherches.

Le sénateur Mercer : Vous êtes la spécialiste.

M. van den Heuvel : C’est la raison pour laquelle elle est ici, pour répondre aux questions difficiles, n’est-ce pas?

Maxine Maclean, coordonnatrice des politiques et des communications, Fédération de l’agriculture de la Nouvelle-Écosse : Y a-t-il une solution de rechange? Je pense que tout dépendra de la mise en place ou non de programmes, de mesures de soutien et d’incitatifs, comme Chris l’a mentionné, afin de compenser en partie pour ces coûts. Comme on l’a dit, s’il y a un filet de sécurité qui accompagne cette taxe, pour aider ceux qui ne pourraient pas autrement se permettre d’adopter de nouvelles technologies sans un investissement important… L’agriculture est un secteur à forte intensité de capital. Les marges bénéficiaires sont très minces. Il doit donc y avoir des programmes sociaux.

Le sénateur Mercer : Voici ma dernière question, Chris. J’en aurais d’autres à poser, mais je veux laisser mes collègues vous poser des questions aussi.

Lors de votre première intervention, vous avez parlé des définitions utilisées, de la définition d’un agriculteur, et vous avez mentionné les sapins de Noël. À ce que je sache, et peut-être que notre public ne le sait pas, la production de sapins de Noël est très importante en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick et au Québec. C’est une industrie très importante. Si les personnes qui font pousser des sapins de Noël ne sont pas considérées comme des agriculteurs, je ne sais bien pas comment on peut les appeler.

Il faut nous pencher sérieusement sur cette question des définitions.

Vous nous avez recommandé d’utiliser les définitions de l’ARC. Selon la définition d’agriculteur de l’ARC, les producteurs de sapins de Noël ou de sirop d’érable seraient-ils considérés comme des agriculteurs?

M. van den Heuvel : Oui.

Le sénateur Mercer : Y a-t-il d’autres acteurs qui sont laissés-pour-compte dans ce projet de loi? J’ai retenu qu’il y avait les acériculteurs et les producteurs de sapins de Noël.

M. van den Heuvel : Vous parlez du projet de loi sur les gaz à effet de serre? Il n’y en a aucun autre qui me vienne à l’esprit, c’est la raison pour laquelle nous avons nommé ceux-ci. Cela illustre l’incertitude qui plane. Quand un projet de loi est trop général, il y a place à l’interprétation, et cela crée de l’ambiguïté. Qu’entend-on par « agriculteur »? Le fait de produire un produit de consommation comme un sapin de Noël plutôt que des tomates destinées à la consommation humaine rend-il un producteur admissible? Il y a une ambiguïté. L’exemple des sapins de Noël nous enseigne qu’il pourrait y avoir de nouveaux produits, auxquels nous ne pensons même pas aujourd’hui, qui ne seraient pas touchés par le projet de loi actuel dans deux ou cinq ans.

Le sénateur Mercer : Nous voyons constamment le marché évoluer. Nous venons justement de modifier une loi pour nous adapter à l’évolution de la demande de fèves de soya dans le monde, parce qu’il y a 15 ans, nous n’en produisions pas beaucoup, alors que nous en produisons beaucoup aujourd’hui. Il faut prévoir ce genre de chose, comment l’agriculture évoluera. L’agriculture évolue au gré du marché, mais il faut aussi nous adapter à l’environnement dans lequel on vit.

Mme Maclean : J’aimerais aussi faire une observation sur la définition d’agriculteur de l’ARC. On dit souvent que l’agriculture et les agriculteurs sont soumis à énormément de paperasse et de lourdeur réglementaire. Une nouvelle définition d’agriculteur, que les agriculteurs devraient interpréter pour déterminer leur admissibilité à tel programme, ne ferait qu’ajouter un obstacle à l’obtention d’une exemption. Pour simplifier le plus de choses possible, notamment la définition d’agriculteur, je vous inviterais à utiliser les définitions existantes. C’est la même chose pour l’exemption de la taxe sur les carburants. Il existe déjà une exemption de la taxe sur les carburants. Utilisons les formulaires qui existent déjà pour diminuer le fardeau administratif de tous les agriculteurs.

M. van den Heuvel : J’aurais une brève observation à faire pour répondre à votre question. Vous avez totalement raison : nous ne pouvons pas nous limiter à ce que nous savons maintenant. Voilà le problème, comme bien d’autres leaders du secteur agricole et moi le voyons, en ce qui concerne non seulement le projet de loi sur la pollution causée par les gaz à effet de serre, mais toutes les autres lois et politiques sur le monde agricole : quel est le plan stratégique à long terme? Vers quoi nous dirigeons-nous? On se balance du cycle électoral de quatre ans, je m’excuse. Cela semble souvent se résumer à cela, malheureusement. Mais ce n’est pas logique. Il faut tenir compte de la réalité dans 5, 10, 15, 25, 50 ans, pour bien comprendre où nous voulons aller et comment nous voulons y arriver. C’est ce qui importe. Je vous félicite d’y penser et de comprendre qu’il faut être visionnaire.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bienvenue, madame Maclean et monsieur van den Heuvel. Je suis très heureux de vous voir parmi nous. On entend parler de vous tous les jours, car le sénateur Mercer vante vos produits. Vous avez un grand défenseur en sa personne. D’ailleurs, notre comité a déjà visité certaines fermes de la Nouvelle-Écosse avec le sénateur Mercer. Nous avons été très impressionnés de l’ingéniosité des agriculteurs.

Une majorité de vos produits, qu’il s’agisse d’œufs, de produits maraîchers ou de vin, sont exportés aux États-Unis. Vous êtes situés à proximité des États américains. Or, ceux-ci n’ont pas de taxe sur le carbone. J’imagine que si vous deviez appliquer cette taxe sur vos produits, vous refileriez la facture à quelqu’un, sinon les producteurs devront travailler d’arrache-pied. Cette taxe pourrait vous rendre moins compétitifs pour vos acheteurs. À quoi servira-t-elle alors?

On sait que les agriculteurs de la Nouvelle-Écosse n’ont pas de grandes étendues comme dans les provinces de l’Ouest. Ce sont de petites fermes morcelées avec des territoires restreints. Qu’il s’agisse de vergers, de vignobles, de carottes ou de bleuets, vous êtes limités par l’étendue de vos terres. Quel sera l’impact sur l’avenir de l’agriculture en Nouvelle-Écosse à long terme?

[Traduction]

M. van den Heuvel : Je vous remercie beaucoup de cette question. Vous avez tout à fait raison, quand on regarde les initiatives stratégiques récentes qui sont déployées aux États-Unis, en particulier. Nous sommes près du marché américain.

Quand les États-Unis se retirent de quelque chose comme de l’Accord de Paris ou qu’ils se rétractent de leurs engagements sur le changement climatique, cela nous indique qu’ils n’ont pas l’intention d’inciter vraiment leurs producteurs à aller dans ce sens. Si nous sommes forcés de nous engager dans cette voie, vous avez tout à fait raison, cela aura un effet dramatique bien clair, et les prix augmenteront. Avec les accords de libre-échange, s’ils existent toujours la semaine prochaine, cela aura une incidence sur nos produits, c’est indéniable, et pas seulement dans le commerce avec les États-Unis. Il y a le PTPGP, l’AECG et d’autres accords encore. Par rapport à tous les pays qui n’auront pas cette forme de taxe sur le carbone, nous nous trouverons désavantagés.

Partout ailleurs au pays, ces mesures auront le même effet qu’en Nouvelle-Écosse. Elles réduiront les marges de profit, dans un secteur où elles sont déjà infimes. Cela ne fait aucun doute. Nous croyons vraiment que cette tarification nous désavantagera. Nous avons essayé de réduire les risques pour nos fermes et nos entreprises en nous diversifiant. Comme vous l’avez mentionné, beaucoup de fermes sont fragmentées et produisent divers produits. Nous essayons d’atténuer les risques, mais au bout du compte, ce sont autant d’éléments d’une grande roue, et dès qu’on commence à en enlever des rayons, toute l’entreprise s’en ressent.

Mme Maclean : Nous parlions de commerce international. Nous savons que la tarification du carbone sera mise en œuvre province par province, même s’il s’agit d’un mandat fédéral. Or, chaque province mettra en place un programme différent.

L’industrie agricole est très intégrée, si l’on veut. Il y a beaucoup d’intrants qui nous viennent d’autres provinces, comme les semences, le carburant, les phytoprotecteurs, les agents de protection des cultures.

Par ailleurs, regardons ce qui se fait en Ontario, c’est ce que nous disent nos membres. Dans des provinces comme l’Ontario et le Québec, les fermes sont plus grandes. Elles arrivent à être beaucoup plus concurrentielles parce qu’elles peuvent acheter leurs intrants en plus grande quantité. En Nouvelle-Écosse, ce n’est pas vraiment possible. Nous n’arrivons même pas à égaler les prix des autres provinces. En Nouvelle-Écosse, on voit déjà les produits de l’Ontario et du Québec avoir préséance sur les produits néo-écossais. Il est difficile pour les producteurs de la Nouvelle-Écosse d’offrir les mêmes prix.

Cette tarification du carbone ne se répercutera pas que sur le commerce international, mais aussi sur le commerce interprovincial.

[Français]

Le sénateur Maltais : Il est évident que la Nouvelle-Écosse est défavorisée sur le plan énergétique, quant à l’électricité et aux carburants. L’agriculteur a la capacité de payer, mais s’il atteint sa limite, il cesse ses activités et met la clé dans la porte.

Vous avez parlé des perspectives d’avenir pour les agriculteurs de la Nouvelle-Écosse. Ce n’est pas en les égorgeant avec une taxe additionnelle qu’on va leur offrir des perspectives d’avenir. Mon collègue, le sénateur Mercer, a essayé de vendre des arbres de Noël en Chine. Je ne sais pas s’il a réussi à en vendre. L’agriculteur a une limite et, s’il l’atteint, il ferme les livres. Êtes-vous d’accord?

[Traduction]

M. van den Heuvel : Tout à fait. La plupart des agriculteurs sont sur la corde raide, vous avez tout à fait raison. Vous parlez des sapins de Noël et des politiques qui nous sont imposées. Comme M. Lewis l’a dit dans son témoignage précédent, les agriculteurs s’adaptent. Nous réagissons au marché. Je vais vous en donner un exemple propre aux sapins de Noël.

Les cultivateurs de sapins de Noël de notre province ont investi beaucoup de leur propre argent en recherche pour mettre au point un sapin de Noël intelligent. C’est un arbre génétiquement modifié, si l’on peut dire, un sapin de Noël qui pourra être mis en marché mieux, plus vite, et qui atténuera tous les autres problèmes dont nous avons parlé.

Les agriculteurs sont créatifs. Nous réagissons aux circonstances et nous n’avons pas besoin qu’on nous impose toutes ces choses pour prendre conscience du fait que nous sommes les intendants de la terre, de l’air et de l’eau. Nous voulons les protéger et les améliorer pour les générations futures.

[Français]

Le sénateur Maltais : Vous avez un produit très populaire au Québec : la pomme Honeycrisp. J’espère que vous allez continuer à en produire. Elle est chère, mais elle est de qualité supérieure par rapport aux autres pommes qu’on peut retrouver au Canada. J’espère que vous continuerez à nous en fournir.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Je vous remercie d’être ici, Chris. Avez-vous entendu parler d’un projet en Nouvelle-Écosse pour créer un genre de système de plafonnement et d’échange plutôt que d’imposer une tarification du carbone? Savez-vous si votre gouvernement provincial a l’intention de mettre en place des programmes de compensation des émissions de carbone dans les secteurs agricole et forestier?

Mme Maclean : C’est mon terrain de jeu depuis quelque temps. Le programme de plafonnement et d’échange a été conçu en Nouvelle-Écosse pour la Nouvelle-Écosse. Ainsi, nos crédits compensatoires ne peuvent pas être vendus sur les marchés de l’Ontario, du Québec ou de la Californie. Ils doivent tous être échangés à l’intérieur de la Nouvelle-Écosse. Je pense qu’il y a 19 ou 20 entreprises qui sont tenues de déclarer leurs émissions et de se conformer au programme.

Actuellement, ce programme n’est inscrit que dans une loi. Cette loi permet au programme de plafonnement et d’échange d’exister en Nouvelle-Écosse. Nous n’avons pas encore de règlement. Nous n’avons encore rien en place qui indique combien il nous en coûtera si nous dépassons notre part des émissions ou des crédits.

Nous ne savons pas encore non plus si les entités non réglementées pourront participer à un programme de crédits compensatoires. On nous a dit un moment donné que oui, que ce serait une possibilité si les participants au projet étaient intéressés à vendre des crédits dans d’autres marchés que celui de la Nouvelle-Écosse. Ce devait être possible. Cependant, rien de cela n’est encore écrit, donc à ma connaissance, c’est encore incertain.

Comme il n’y a pas encore de détails fermes à ce sujet, il est difficile pour les agriculteurs de faire des plans. C’est à peu près là où en est le programme de la Nouvelle-Écosse. Nous n’avons pas encore de détails clairs. D’après ce que je comprends, il devait y avoir des consultations sur un projet de règlement au printemps. Nous n’avons encore entendu parler d’aucun règlement.

Le sénateur Oh : Vos membres s’inquiètent-ils de leur compétitivité sur les marchés internationaux? Vous avez mentionné le recul des États-Unis et de l’Australie. Le groupe de témoins qui a comparu avant vous disait qu’ils se rétractent au sujet de la taxe sur le carbone. Avez-vous peur que vos coûts soient soudainement plus élevés que ceux de vos concurrents au sud? Comment ferez-vous pour rester concurrentiels?

M. van den Heuvel : Tout à fait. C’est certain que nous sommes très inquiets. C’est une proposition troublante. Dès qu’une taxe est imposée à une industrie, qu’il s’agisse de la nôtre ou d’une autre, on n’a d’autre choix que d’en refiler les coûts ou de les absorber. Ce sont les deux seuls scénarios possibles.

Nos marges bénéficiaires sont tellement minces que nous ne pouvons pas nous permettre d’absorber ces coûts. Bref, les deux seules possibilités sont de cesser nos activités ou d’augmenter le prix des aliments. Ce sont les deux effets possibles.

Le sénateur Oh : Cela touchera monsieur tout le monde, tous les ménages?

M. van den Heuvel : Tous les ménages, pas seulement les agriculteurs.

Le sénateur Ghislain Maltais (vice-président) occupe le fauteuil.

Le sénateur R. Black : J’ai quelques observations à faire. Premièrement, je vous remercie de porter à notre attention la définition d’agriculteur. Je pense que c’est la première fois que nous l’entendons, donc c’est bon à savoir.

Il est également intéressant de vous entendre souligner que cette politique risque de monter les provinces les unes contre les autres. Vous l’avez mentionné il y a quelques instants. Nous sommes en train de préparer un rapport. Quelles seraient les trois recommandations que vous aimeriez nous voir y inclure.

M. van den Heuvel : L’une serait de revoir la définition d’agriculteur. C’est important d’établir ici une définition claire et concise. Il faut aussi veiller à ce que les revenus générés — et nous tenons à rappeler que ce ne doit pas être une taxe déguisée — devraient être réinvestis dans des programmes et des politiques destinés à réduire notre empreinte carbone et à reconnaître la part des agriculteurs, si nous sommes forcés de nous conformer au règlement et à la politique. Ce seraient mes deux principales recommandations. Maxine, voulez-vous en ajouter une troisième?

Mme Maclean : Concernant la définition d’agriculteur, il s’agit surtout de simplifier les définitions actuelles.

M. van den Heuvel : Je pense que ma troisième recommandation toucherait le fardeau réglementaire. Bien que nous reconnaissions l’importance de tout cela, nous voulons pouvoir tirer avantage des mécanismes en place, pour que les agriculteurs ne soient pas forcés de s’astreindre à encore plus de paperasse. Nous voulons pouvoir nous concentrer sur ce que nous savons faire le mieux, sur ce que nous aimons faire, c’est-à-dire travailler dans nos serres, dans nos champs, dans nos granges et produire des aliments pour les autres 98 p. 100 de la population. C’est ce que nous voulons faire. Vous devez donc veiller à mettre en place le cadre et les politiques nécessaires pour nous permettre de le faire.

La sénatrice Gagné : Je pense qu’il est facile de faire de la tarification du carbone un enjeu populiste qui soulève les passions. Vous parlez de monter les provinces les unes contre les autres. On en fait aussi parfois des slogans : c’est une taxe qui tue l’emploi. Nous entendons tout cela. Il suffit de lire les journaux et d’écouter tout ce qu’on dit sur la tarification du carbone.

La tarification du carbone est la politique publique choisie par le gouvernement. Diriez-vous que la tarification du carbone est moins invasive qu’un nouveau règlement qui serait imposé par le gouvernement? Les règlements ont un coût. Quand on réglemente les agriculteurs, ils doivent en absorber le coût. Les règlements engendrent des coûts d’exploitation. Laquelle des deux mesures serait la moins invasive : la tarification du carbone ou la réglementation des agriculteurs et des entreprises?

M. van den Heuvel : Je ne vois pas bien la différence entre les deux. La tarification du carbone n’est-elle pas une forme de règlement?

Mme Maclean : La tarification du carbone est une politique plus vaste, en ce sens qu’elle englobe à la fois les systèmes de plafonnement et d’échange et la taxe sur le carbone. Nous ne sommes pas encore certains de la forme que prendra le système en Nouvelle-Écosse si, ce sera un système de plafonnement et d’échange, mais même au Québec et en Ontario, les crédits de carbone seront soumis aux lois du marché. Le système de plafonnement et d’échange dépend de la demande et des prix. Quand il y a une taxe sur le carbone, on sait d’avance ce que l’on va payer. Si l’on consomme ou qu’on achète tant de carburant, on peut calculer assez facilement à combien s’élèvera la taxe associée.

Du strict point de vue de la planification, il est beaucoup plus facile de calculer et de prévoir une taxe.

Pour le filet de sécurité, d’après ce que j’ai lu ou d’après les projets de règlements qui ont été présentés, il semble qu’il sera relativement facile de calculer les montants à prévoir. C’est un plus.

Ce seraient mes réflexions. Si cette tarification s’applique au tout début de la chaîne de distribution, tant qu’il y a un mécanisme permettant à l’utilisateur de savoir quelle part de la facture de carburant servira à financer le filet de sécurité, je pense que cela aiderait les consommateurs ou les agriculteurs à voir la différence de prix.

La tarification du carbone dans son ensemble est complexe. Un mécanisme de plafonnement et d’échange est la version la plus complexe : il laisse moins de place à la planification que l’imposition d’une taxe.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. La sénatrice Gagné l’a souligné, la taxe sur le carbone peut être une décision politique. Vous avez mentionné qu’il faut voir plus loin que quatre ans à la fois.

Quand vous constatez que la vision est électorale plutôt qu’agricole en ce qui a trait à cette taxe sur le carbone, avez-vous l’impression que le gouvernement agit sur le dos des agriculteurs pour satisfaire un lobby environnementaliste auquel on est prêt à promettre n’importe quoi si ce n’est pas réalisable dans les délais fixés?

[Traduction]

M. van den Heuvel : C’est une excellente question. Je tiens à souligner que nous aussi, à titre d’agriculteurs, nous croyons foncièrement à l’importance de cet enjeu. C’est évident. J’y ai fait allusion dans mes remarques préliminaires : nous faisons face maintenant aux changements climatiques.

À titre d’agriculteurs, nous sommes les gardiens ultimes des terres, de l’air et de l’eau. C’est notre responsabilité au bout du compte. Nous sommes convaincus que cet enjeu est crucial.

C’est maintenant une question d’intérêt public. La façon la plus simple de calmer le jeu, d’empêcher la création d’un affrontement entre deux camps, c’est la consultation. C’est ce que nous sommes en train de faire, mais qui aurait dû avoir lieu bien plus tôt. L’approche adoptée doit faire partie d’un plan stratégique global. Il faut éviter que le gouvernement fédéral impose sa vision pour ensuite dire aux intervenants de s’organiser. C’est ce qui a créé ces problèmes entre les différents gouvernements, que ce soit entre des provinces ou entre des pays. Il n’y a aucune vision ni aucun plan à long terme. Aucune consultation n’a été menée. Il aurait fallu réunir tous les intervenants et leur demander : « Quelles sont vos préoccupations? Quels sont vos problèmes? Comment pouvons-nous les atténuer? » C’est seulement par cette approche qu’il sera possible de sortir de la mentalité d’opposition entre deux camps.

J’espère que j’ai répondu à votre question. C’est pour moi le nœud du problème. Les changements climatiques sont un enjeu crucial, c’est indéniable. Nous voulons faire partie de la solution, et nous le faisons. Demandons aux acteurs de l’agriculture de participer dès le début des consultations. Qu’il s’agisse des changements climatiques, des transports ou d’autre chose, je suis prêt à parier que l’agriculture se trouve au cœur de toutes ces questions, quelque part dans la chaîne de valeur. C’est tout ce que nous demandons. Permettez-nous de participer au processus dès le début.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’aimerais revenir à l’augmentation des prix à la consommation, car, comme vous le dites, de fil en aiguille, c’est le consommateur qui devra payer. Toutefois, il y aura sûrement un point où cela deviendra impossible. Combien de temps pouvez-vous attendre avant d’augmenter les prix à la consommation? Avez-vous évalué la perte que cela pourrait vous occasionner? Vous subirez certainement des pertes à cause de cette taxe.

[Traduction]

Mme Maclean : En ce qui concerne le délai avant de constater une hausse des prix à la consommation, je ne connais aucune étude sur le sujet. Je serai ravie de faire des recherches et de vous en donner des nouvelles si cette question vous intéresse. Je sais bien qu’en matière de sécurité alimentaire, les prix représentent souvent un enjeu.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Il semble que les gouvernements provincial et fédéral n’ont pas la même définition de la ferme. À mon avis, une ferme est une ferme et un agriculteur est un agriculteur. Avez-vous senti que les différents ordres de gouvernements n’envisagent pas les fermes de la même façon?

[Traduction]

M. van den Heuvel : Oui, vous avez absolument raison. Certains partis peuvent accorder une importance plus grande à l’agriculture que d’autres. Je ne peux toutefois pas parler en leur nom de leurs politiques ou de leurs raisonnements.

Selon moi, comme nous l’avons constaté par le passé, il y a des différences, et nous y avons fait allusion, du point de vue de l’Agence du revenu du Canada; sa définition d’une ferme diffère de celle d’autres services du gouvernement. Nous voyons souvent des variations non pas entre les provinces et le fédéral, mais au sein d’un même gouvernement, selon les domaines de compétence. Qu’il s’agisse du ministère de l’Environnement, de l’Énergie, des Ressources naturelles ou autres, la définition d’une ferme varie beaucoup en plus d’être parfois complètement erronée. Selon moi, c’est un gros problème que nous devons régler afin de pouvoir aller de l’avant dans la résolution de toutes ces questions.

Le sénateur R. Black : À mon avis, vous devez toutefois préciser que vous êtes des preneurs de prix, et nous devons bien comprendre ce fait. Ce sera difficile pour vous de refiler ne serait-ce qu’une partie de ces coûts additionnels. Ils se répercuteront sur les prix au bout du processus, mais vous n’en profiterez pas. Vous aurez de la difficulté à obtenir de meilleurs prix pour vos produits. N’est-ce pas?

M. van den Heuvel : Tout à fait.

Le sénateur R. Black : Je pense qu’il faut être très clair sur ce point.

M. van den Heuvel : Oui, tout à fait.

Le sénateur Mercer : Vous devrez néanmoins absorber les coûts. Vous vous retrouverez à subir les répercussions de la taxe.

Parlons des mesures à prendre concrètement. Les membres de la fédération se sont-ils réunis pour établir un plan? Planifiez-vous des discussions avec le gouvernement provincial? Prévoyez-vous rencontrer les 11 députés fédéraux de votre province? Si vous voulez que le message se rende jusqu’au ministre, c’est ce qu’il faut faire. Vous devez aussi rencontrer le premier ministre de la province et son Cabinet pour faire entendre votre voix et aider à trouver une solution.

On ne vous répondra pas qu’il n’y aura pas de taxe sur le carbone. Nous le savons. L’autre réponse qui est exclue, c’est d’adopter l’approche des Américains pour recevoir des subventions et des chèques du gouvernement.

Je ne sais pas si vous avez entendu l’expression que j’essaie d’utiliser à toutes les réunions, mais la voici : la plus importante pièce d’équipement sur une exploitation agricole américaine, c’est la boîte aux lettres, où arrivent les chèques du gouvernement.

Avez-vous fait ces démarches? Vous avez 11 députés et 10 sénateurs. Ils sont tous prêts à vous aider et sensibilisés à la question. Les avez-vous rencontrés afin d’établir une stratégie pour faire passer le message au ministre? Votre présence ici ne fait pas de tort. Nous sommes très heureux de vous accueillir parce que vos témoignages éclairent les commentaires que nous présenterons sur le projet de loi.

Mme Maclean : À ce sujet, nous avons rencontré les ministres de l’Environnement pour exprimer nos préoccupations et pour souligner une partie des projets novateurs qui ont lieu sur les fermes pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a mené une consultation ouverte l’an dernier, si je ne me trompe pas, sur la proposition de mécanisme de plafonnement et d’échange. Nous avons été très actifs. Nous avons présenté un mémoire et nous avons contribué à l’établissement du mécanisme.

Nous sommes présents. Nous communiquons avec nos membres, et nous espérons qu’ils collaborent avec leur député provincial pour faire entendre leur message.

Le sénateur Mercer : Je vous encourage à faire un pas supplémentaire : tentez d’organiser une rencontre entre les 11 députés et la direction de la fédération sur le sujet. Au bout du compte, vous devrez toujours composer avec une taxe sur le carbone. Cependant, sa mise en œuvre et ses conséquences directes sur les consommateurs de la Nouvelle-Écosse et sur vous représentent d’importants points à discuter.

Selon moi, vous avez de bonnes nouvelles à nous annoncer. Je ne les connais pas toutes à l’échelle de la province, mais je suis au courant de quelques-unes. Hier matin, j’ai rencontré un agriculteur de Masstown, en Nouvelle-Écosse. C’est un petit producteur d’œufs. J’ai visité sa ferme. En fait, tout le comité s’y est rendu pendant notre tournée de la Nouvelle-Écosse. Il a installé une éolienne sur sa ferme, ce qui a amélioré directement ses bénéfices nets. Le coût en capital est couvert, et ces économies se reflètent dans son bilan. Cette approche contribue certainement à la réduction des gaz à effet de serre.

Vous devez peut-être expliquer au gouvernement ceci : « Nous faisons partie de la solution. L’une des façons de contribuer à régler le problème est de nous débrancher du réseau et d’utiliser davantage l’énergie éolienne et solaire. » Il est vrai que le soleil est peu généreux en Nouvelle-Écosse, mais nous avons toujours du vent.

Mme Maclean : Si vous faites référence aux façons de devenir carboneutre, Chris peut vous parler des fermes laitières. Certaines produisent une grande quantité de méthane, et il n’y a aucune raison de ne pas le capter pour l’utiliser dans le réseau électrique. Cependant, des obstacles réglementaires entraînent des coûts prohibitifs.

Le sénateur Mercer : De mon point de vue, le gouvernement ne peut pas jouer sur les deux tableaux. Il ne peut pas imposer une taxe sur le carbone tout en ne laissant aucune chance aux agriculteurs de se débrancher du réseau. Après tout, si une personne se débranche du réseau, elle contribue grandement à la cause.

Mon message, c’est que nous devons tous être plus actifs. Je ne suis pas en train de vous critiquer. Je fais moi aussi partie du problème.

M. van den Heuvel : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Merci beaucoup de soulever cette question fondamentale. La triste réalité est que la politique partisane entre en jeu. Les décideurs ne considèrent pas la situation dans son ensemble. J’y ai déjà fait allusion. Il n’y a aucune vision ni aucun plan à long terme, il n’y a rien qui nous dise que les mesures visent le bien commun.

Le sénateur Mercer : Parlez-vous du gouvernement fédéral ou provincial?

M. van den Heuvel : Dans notre cas, c’est le gouvernement provincial. C’est la triste réalité. Nous devons vivre avec cette situation. Vous avez tout à fait raison, par l’entremise d’efforts de collaboration à l’échelle fédérale, nous avons l’occasion d’indiquer aux provinces les mesures efficaces. Il faut toutefois que ce soit un dialogue, une consultation ouverte, et non une façon d’imposer simplement notre volonté. Au fédéral, nous voulons que vous fassiez telle chose. Comment pouvons-nous y arriver? Comment pouvons-nous atteindre les objectifs? Nous devons discuter au lieu de nous lancer des attaques. Nous devons être présents à la table de négociation. L’enjeu est trop important pour laisser ces considérations nous dresser les uns contre les autres.

[Français]

Le vice-président : Vous n’êtes pas uniquement le problème, vous faites partie de la solution, sénateur Mercer, c’est très important pour les gens de la Nouvelle-Écosse.

Je tiens à vous remercier d’être venus témoigner ici. Nous avons enfin une province qui est très importante pour le Canada et dont le secteur agricole est différent de celui des plaines de l’Ouest, mais qui fait face à des problèmes tout à fait précis. Étant donné que votre marché est américain, on espère que la nouvelle entente de l’ALENA pourra vous soulager un peu pour les quelques années à venir.

Merci de votre témoignage, qui a été très instructif. Je vous souhaite un bon retour. N’oubliez pas de vendre une caisse de pommes Honeycrisp au sénateur Mercer afin qu’il puisse la partager avec nous. Merci.

(La séance est levée.)

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