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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 52 - Témoignages du 22 mai 2018


OTTAWA, le mardi 22 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 17 h 40, pour étudier la teneur des éléments de la partie 5, dans la mesure où cette partie concerne l’agriculture du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.

La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes en présence de notre premier groupe de témoins.

Tout d’abord, je suis la sénatrice Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard. Nous allons présenter les sénateurs.

[Français]

La sénatrice Gagné : Bonjour. Raymonde Gagné, du Manitoba.

[Traduction]

Le sénateur R. Black : Robert Black, de l’Ontario.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

La présidente : Merci.

Nous étudions aujourd’hui la teneur des éléments de la partie 5, dans la mesure où cette partie concerne l’agriculture du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Notre premier groupe de témoins est arrivé. Nous accueillons les représentants de l’Union des producteurs agricoles : Paul Doyon, 2e vice-président général de la Direction générale, et Laure Vinsant Le Lous, coordonnatrice économie et commerce de la Direction recherches et politiques agricoles. Nous recevons également Lynn Jacobson, président de la Fédération de l’agriculture de l’Alberta.

Je vais demander à M. Jacobson de commencer avec son exposé. Allez-y, s’il vous plaît.

Lynn Jacobson, président, Fédération de l’agriculture de l’Alberta : Bonsoir, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous pour vous faire part des commentaires de la Fédération de l’agriculture de l’Alberta, ou FAA, au sujet de la loi proposée sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.

Je m’appelle Lynn Jacobson, ma famille et moi sommes agriculteurs dans le Sud de l’Alberta depuis 1905. En tant que président de la FAA, le plus grand organisme agricole général financé par les producteurs, j’atteste que nous donnons aux agriculteurs la possibilité de faire entendre leur voix à propos d’enjeux qui auront une incidence sur leurs activités pour les générations futures.

Cependant, notre industrie s’expose à des défis de taille à l’avenir puisque la population mondiale devrait augmenter de plus d’un tiers au cours des 30 prochaines années. Les agriculteurs ont pour mission de doubler la production alimentaire d’ici 2050, tout en réduisant davantage les émissions de gaz à effet de serre liées à l’agriculture, qui représentent environ 24 p. 100 des émissions mondiales.

Au Canada, l’agriculture primaire compte pour environ 10,2 p. 100 des émissions du pays en raison des animaux, des cultures et du carburant. Cependant, nous avons partout au pays des puits de carbone des sols qui abaissent notre total net à 8,6 p. 100. L’agriculture est d’ailleurs un des puits que nous pouvons utiliser.

Même si les agriculteurs albertains s’efforcent encore de satisfaire aux exigences de réduction des émissions par l’adoption de pratiques culturales favorisant la conservation, qui augmentent la capacité de stockage du carbone dans les sols et réduisent les émissions des carburants et des engrais, une production accrue nécessite tout de même une augmentation des intrants. Malheureusement, l’un ne va pas sans l’autre. Nous devons reconnaître les limites à la réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre dans l’agriculture canadienne tout en demandant aux agriculteurs d’augmenter leur production.

Parlons du marché du carbone de l’Alberta. En Alberta, nous avons la chance d’avoir un système de compensation des émissions de carbone dans le cadre de la stratégie novatrice de notre province visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre depuis plus d’une décennie. Nous avons montré aux Canadiens comment faire les choses, et appris de précieuses leçons en cours de route. En adoptant de leur plein gré des pratiques agricoles améliorées, nos agriculteurs ont gagné des revenus supplémentaires tout en créant des crédits de carbone pour le commerce au sein du marché du carbone.

Depuis 2002, près de 13 millions de tonnes de CO2 ont été volontairement retirées de l’atmosphère de l’Alberta. Pour mettre les choses en perspective, cela revient à retirer environ 2,5 millions de voitures de la circulation. Ces compensations d’émissions permettent à la province de contribuer à hauteur de 35 p. 100 des objectifs de réduction des émissions du Canada, et ont rapporté à ce jour environ 170 millions de dollars aux agriculteurs et agrégateurs de l’Alberta. Voilà qui démontre en outre que l’agriculture peut faire partie de la solution lorsqu’il s’agit de réduire les émissions de carbone.

En ce qui concerne les répercussions de la tarification du carbone, la redevance sur le carbone de l’Alberta a été introduite en janvier 2017. Même si l’agriculture est le seul secteur économique à bénéficier d’une exonération de taxe sur le diésel coloré ou l’essence utilisés dans les exploitations agricoles, celle-ci ne s’applique ni au gaz naturel ni au propane, deux carburants qui jouent un grand rôle dans les pratiques de production agricole comme le séchage des céréales et l’irrigation.

Selon les données publiées récemment par Statistique Canada, l’Alberta compte actuellement le plus grand nombre d’acres de terres agricoles irriguées au pays. En 2016, les producteurs de la province ont irrigué 1,21 million d’acres de terres agricoles, ce qui représente 71 p. 100 de la superficie totale de terres irriguées au pays. Il est important de noter qu’à l’échelle nationale, le pourcentage de terres irriguées a augmenté de 18 p. 100 entre 2014 et 2016, de sorte que le recours à l’irrigation est en hausse.

Compte tenu des effets escomptés des changements climatiques, comme l’altération des conditions météorologiques et des saisons de croissance, il est logique de s’attendre à ce que l’irrigation devienne plus importante que jamais. De plus, alors que le prix des facteurs de production inévitables de la chaîne d’approvisionnement continue d’augmenter — comme le camionnage, les engrais, le transport ferroviaire et l’électricité —, les profits des agriculteurs diminuent sans qu’ils ne puissent refiler les coûts supplémentaires aux consommateurs.

La FAA aimerait que tous les carburants agricoles soient exemptés de la tarification du carbone. Même s’il n’est peut-être pas souhaitable d’exonérer ces carburants dans tous les secteurs, il existe possiblement un moyen d’alléger une partie de cette utilisation au moyen d’un crédit d’impôt pour les carburants employés par les agriculteurs dans la production alimentaire. J’aimerais en parler davantage. L’idée, c’est qu’en offrant un crédit d’impôt, vous pouvez englober des choses qui ne sont pas prévues à la loi pour le moment, comme le camionnage, le transport ferroviaire et l’électricité à des fins d’irrigation, qui nécessite du gaz naturel. Il y a aussi un problème à ce chapitre. Si vous accordiez un crédit d’impôt, vous pourriez cibler certaines des utilisations relatives à la nourriture.

Alors que l’agriculture continue de changer et d’évoluer, il devient plus important de définir clairement en quoi elle consiste et les activités qu’elle englobe. La définition des « activités agricoles admissibles » qui est proposée dans le projet de loi C-74 parle de « toute activité visée par règlement », mais rien n’explique ce que cela signifie. La FAA serait disposée à participer ultérieurement à des discussions afin de clarifier le tout.

De plus, il est important de ne pas minimiser l’importance de notre industrie pour la santé économique du Canada. Actuellement, l’Alberta est la troisième exportatrice de produits agroalimentaires au pays, des exportations qui totalisent 10 milliards de dollars, mais nous sommes maintenant en concurrence avec des pays sans tarification du carbone. Des mesures doivent être prises pour s’assurer qu’une telle tarification ne mine pas notre compétitivité sur la scène mondiale.

Au sein même de notre pays, les agriculteurs sont déjà touchés différemment par la tarification du carbone en raison des approches différentes de chaque province. La situation a été défavorable à certains producteurs. Nous aimerions qu’il y ait un système de compensation des émissions de carbone fédéral et normalisé, ce qui aiderait à uniformiser les règles du jeu des agriculteurs partout au Canada et permettrait l’échange de crédits de carbone entre les provinces.

En décembre 2017, le gouvernement de l’Alberta a annoncé un financement provincial de 1,4 milliard de dollars pour le plan de leadership sur le climat. Ce financement, qui vise la poursuite de la recherche et la transition vers une économie diversifiée à faibles émissions de carbone, est absolument essentiel dans le secteur agricole. L’investissement dans ces programmes améliore à la fois la gérance de l’environnement et les pratiques de gestion de l’énergie, en plus d’accélérer la transition vers des options d’énergie verte pour les agriculteurs. La FAA ne saurait trop insister sur l’importance que les gouvernements fédéral et provinciaux réinvestissent la taxe sur le carbone.

Pour conclure, l’agriculture continuera d’être une grande partie de la solution relative à la réduction des émissions de carbone. Cependant, nous ne devons pas oublier que ce n’est qu’une goutte d’eau dans un océan immense. La réduction des émissions n’est pas qu’un enjeu agricole; le problème nous touche tous. Afin d’observer une réduction vraiment considérable des émissions de carbone, nous devons tous réduire notre empreinte carbone. La grande question est la suivante : comment inciter les citoyens du monde entier à faire partie de la solution et à y contribuer?

Encore une fois, je vous remercie tous de votre temps. J’ai hâte de répondre aux questions à la fin des exposés.

La présidente : Merci beaucoup.

Nous allons maintenant céder la parole à notre prochain témoin, M. Doyon.

[Français]

Paul Doyon, 2e vice-président général, Direction générale, Union des producteurs agricoles (UPA) : Bonjour. L’Union des producteurs agricoles tient à remercier le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts dans le cadre de la consultation relative à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre. Je m’appelle Paul Doyon. Je suis le 2e vice-président de l’Union des producteurs agricoles, et je suis accompagné de Mme Vinsant Le Lous.

En quelques mots et en quelques chiffres, l’UPA est l’organisation syndicale qui a pour mission principale de promouvoir, de défendre et de développer les intérêts des producteurs agricoles et forestiers du Québec. Elle représente 41 400 agriculteurs et agricultrices québécois qui exploitent 28 194 entreprises agricoles majoritairement familiales.

En 2016, le secteur agricole québécois a généré 8,3 milliards de dollars de recettes, ce qui en fait l’activité la plus importante du secteur primaire au Québec et un acteur économique de premier plan.

Le cadre fédéral proposé ne s’appliquerait pas au Québec. Le secteur agricole canadien est déjà confronté à l’existence de plusieurs politiques de tarification du carbone. A priori, les propositions législatives du gouvernement fédéral ne s’appliqueraient pas dans cette province, dont le système de tarification du carbone répond déjà aux exigences minimales du cadre fédéral.

Malgré cela, pour l’UPA, la définition proposée doit être élargie. Nous recommandons d’élargir la définition d’« activité agricole  admissible » pour que tous les secteurs de production soient inclus. Pour le moment, l’horticulture et l’acériculture semblent être exclues de la définition.

Il faut également élargir la définition des « combustibles agricoles admissibles » et de la « machinerie agricole admissible », afin d’inclure tous ceux qui sont utilisés pour les besoins des exploitations agricoles. Pour le moment, semblent exclus le gaz naturel et le propane et les systèmes de chauffage et de ventilation. Les serres du Québec, par exemple, se tournent de plus en plus vers le gaz naturel pour la chauffe, mais également pour l’injection de CO2 afin de favoriser la croissance des plantes.

Au Québec, le système qui est en place depuis plusieurs années est plus exigeant que le cadre fédéral proposé, ce qui nuit aux producteurs agricoles. Depuis le 1er janvier 2015, les distributeurs d’énergies fossiles exerçant leurs activités au Québec sont soumis au système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre. Ces distributeurs de combustibles et de carburants fossiles transmettent intégralement le coût d’acquisition de leurs droits d’émission de gaz à effet de serre à leur clientèle, y compris celle du secteur agricole. Le secteur agricole fait donc face à l’application de la tarification du carbone sur sa consommation de combustibles fossiles depuis de nombreuses années, et ce, sans aucune exemption, contrairement à d’autres provinces.

Voici quelques chiffres : en 2018, il était question d’un coût supplémentaire de 36 millions de dollars pour les producteurs agricoles québécois. La tarification du carbone représente en moyenne 1 300 $ par ferme et 2 400 $ pour une ferme spécialisée en maïs et en soya. La tendance à la hausse du prix de la tonne équivalente de CO2 fait que les coûts vont amplifier la pression qui est exercée sur les producteurs. Cette hausse des charges laisse moins de marge pour renouveler les équipements ou investir, notamment en faveur de l’efficacité énergétique.

Laure Vinsant Le Lous, coordonnatrice économie et commerce, Direction recherches et politiques agricoles, Union des producteurs agricoles (UPA) : Bonjour. Je vais continuer avec la mise en place du cadre qui crée des iniquités entre les provinces canadiennes. En effet, vous le savez, la Colombie-Britannique, l’Ontario, le Québec et l’Alberta ont mis en œuvre un système de tarification du carbone depuis plusieurs années; la Colombie-Britannique depuis 2014, et l’Alberta depuis 2017. Ces provinces ont également prévu une exemption pour le secteur agricole, soit une exemption pour les agriculteurs liée à la taxe carbone sur les carburants — essence et diesel —, et un allègement de la tarification du carbone pour l’utilisation du gaz naturel et du propane dans le secteur serricole.

Cette disparité nuit déjà à la compétitivité entre les provinces, et le cadre fédéral qui est proposé risque d’accroître cette iniquité, car il ne sera mis en place que pour les provinces qui n’ont pas de tarification du carbone et qu’il prévoit une exemption du secteur agricole.

Je vous rappelle que, en 2016, le pourcentage des gaz à effet de serre émis par le secteur agricole au Québec représentait près de 11,25 p. 100 du total des GES. La part des GES du secteur agricole dans le total des gaz à effet de serre émis au Québec en 2015 était de 11 p. 100. Des efforts importants ont déjà été déployés par le secteur agricole pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. On le constate par une participation importante aux programmes d’efficacité énergétique et d’innovation énergétique, qu’il s’agisse des programmes du distributeur d’hydroélectricité ou de gaz naturel ou du gouvernement.

[Traduction]

La présidente : Veuillez m’excuser, mais je dois vous interrompre un instant. Il me faut quatre sénateurs pour adopter une motion permettant au reste d’entre nous de poursuivre.

Oh, pardonnez-moi. Je n’avais pas vu la sénatrice Petitclerc arriver.

Poursuivez.

[Français]

Mme Vinsant Le Lous : Il y a une stagnation des gaz à effet de serre émis par le secteur agricole au Québec depuis 1990, mais, en contrepartie, il y a une augmentation importante des recettes que le secteur agricole a dégagées, en termes de recettes ou de PIB. Vous pourrez le lire à la page 8 de notre document, soit une augmentation des recettes de 115 p. 100 sur cette même période et une augmentation du revenu net total des agriculteurs québécois de 42 p. 100.

Malgré tout cela, cette part des gaz à effet de serre dégagée par le secteur agricole et liée aux combustibles fossiles est incompressible au-delà d’une certaine limite en l’absence d’avancées technologiques marquées. On peut faire bien des efforts en termes d’efficacité énergétique, mais on ne peut pas aller au-delà d’un certain seuil incompressible. On parle d’avancées technologiques majeures, que ce soit pour remplacer les tracteurs par des machines qui fonctionnent plutôt à l’électricité ou par des combustibles qui dégagent moins de gaz à effet de serre.

On parlera également de déplacement des gaz à effet de serre si on adopte plutôt une approche triphasée pour des opérations de machineries agricoles qui, au lieu d’utiliser du mazout ou du diesel, utilisent de l’hydroélectricité. Au Québec, c’est le cas, c’est de l’hydroélectricité, ce qui permettra d’éviter beaucoup de gaz à effet de serre. Actuellement, au Québec, 40 p. 100 du réseau de distribution est triphasé. Évidemment, on a un gros travail à ce chapitre. De plus, pour déplacer du mazout et du propane, on peut continuer à déployer le réseau de gaz naturel, que ce soit pour la chauffe dans les serres ou pour injecter du CO2 dans les serres afin de favoriser la croissance des plantes ou pour le séchage des grains. C’est donc très utile pour le secteur agricole.

La part des GES du secteur agricole qui est liée au phénomène biologique en contrepartie des 11 p. 100 représente près de 90 p. 100. Cette part est beaucoup moins facile à réduire au moyen des efforts d’efficacité énergétique qu’on vient de décrire. Simplement, le marché du carbone pourrait permettre aux secteurs agricoles et forestiers de contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour cela, il faut qu’il y ait des protocoles pour les projets de compensation qui soient reconnus et accessibles aux producteurs agricoles. Il faut que ce soit des protocoles reconnus accessibles à des coûts abordables, accessibles à des fermes de structure relativement réduite ou que l’agrégation soit permise. Pour l’instant, il y a un seul protocole qui est autorisé au Québec.

M. Doyon : Pour conclure, le système de tarification du carbone québécois est plus exigeant que le cadre fédéral proposé. Les producteurs agricoles québécois subissent des effets négatifs de ce système depuis de nombreuses années, et cela, contrairement aux autres provinces.

Pour l’Union des producteurs agricoles, afin de contrebalancer ce phénomène, il serait nécessaire de trouver un ou des moyens de restaurer l’équité entre les provinces en accordant au secteur agricole québécois une indemnité équivalente aux coûts que représente la tarification du carbone. L’un des moyens possibles pourrait être la mise en place de mécanismes pour retourner les fonds prélevés vers les producteurs agricoles, qu’il s’agisse d’un programme de crédits d’impôt, d’investissements en efficacité énergétique à la ferme ou d’autre chose.

En parallèle, un autre moyen serait de favoriser le développement du réseau de distribution électrique triphasé et du gaz naturel en milieu rural afin de déplacer les gaz à effet de serre issus de combustibles fossiles. On pourrait également travailler avec les différents ministères fédéraux et provinciaux et les organisations de producteurs pour établir l’ordre de priorité des besoins en recherche et développement et en investissements, en tenant compte des spécificités des producteurs agricoles afin de rendre plus accessibles aux producteurs agricoles et forestiers les crédits compensatoires et le développement de protocoles et de favoriser l’approche collective.

Je vous remercie.

[Traduction]

La présidente : Merci.

Même si nous avons le quorum — le vote est à 18 h 20, ce qui signifie que nous allons commencer à perdre des membres du comité —, je propose d’adopter la motion suivante :

Que, pour la séance du mardi 22 mai, conformément à l’article 12-16 du Règlement, la présidence soit autorisée à tenir une réunion pour entendre des témoignages et en permettre la publication en l’absence de quorum, pourvu qu’un autre membre du comité soit présent.

Est-ce que quelqu’un veut en faire la proposition? Le sénateur Black.

Qui est d’accord? La motion est adoptée.

Nous avons cinq minutes pour poser des questions avant de devoir partir à 18 h 5. Nous pouvons suspendre la séance, aller voter, puis, dès que vous et moi serons de retour, nous pourrons reprendre, ce qui laissera à d’autres plus de temps pour se rendre ici.

Avez-vous une question, sénatrice Gagné?

[Français]

La sénatrice Gagné : Ma question s’adresse à M. Doyon et à Mme Vinsant Le Lous. Vous avez mentionné que vous avez accès à l’hydroélectricité. Je sais qu’Agriculture et Agroalimentaire Canada a mentionné que la tarification du carbone pourrait entraîner une augmentation du prix de l’électricité payé par les producteurs agricoles dans les provinces dont la production électrique issue de l’hydroélectricité est faible. Je sais que ce n’est pas nécessairement le cas pour le Québec et le Manitoba.

[Traduction]

C’est peut-être le cas pour l’Alberta aussi. Pourriez-vous commenter? Croyez-vous que ce serait ainsi dans cette province?

M. Jacobson : Il est intéressant que vous parliez des différentes tarifications du carbone. Un kilowatt d’électricité en Alberta laisse une empreinte carbone différente d’une production équivalente au Québec ou en Colombie-Britannique, en raison du volet hydroélectrique. La tarification de cet aspect est intéressante pour la suite des choses.

À l’heure actuelle, nous sommes dans un marché de l’électricité concurrentiel et assorti d’un processus d’appel d’offres. Toutefois, en ce qui concerne les prix de l’électricité, le coût réel par kilowatt ne signifie pas grand-chose pour nous en réalité, surtout en tant que producteurs qui utilisent l’irrigation, qu’il soit de huit, 4 ou 6 cents. Ce n’est pas le volet le plus important. Ce sont plutôt les frais de livraison et de production qui doivent être maîtrisés. Il faudrait probablement faire quelque chose à ce chapitre.

Le prix réel par kilowatt de cette production d’électricité n’est pas si important pour nous. Ce n’est pas une grosse partie de notre facture.

[Français]

La sénatrice Gagné : Avez-vous des commentaires à faire ou est-ce que ce n’est pas nécessairement le cas pour vous?

M. Doyon : Au Québec, les tarifs d’électricité sont gérés par la régie. Il n’y aurait pas vraiment d’impact négatif.

La sénatrice Petitclerc : Je suis arrivée un peu à la dernière minute. Donc, excusez-moi si vous avez déjà répondu à cette question.

Dans votre document, vous mentionnez que la majorité des émissions du secteur agricole est liée à des phénomènes biologiques et que la réduction passe par l’investissement en recherche et développement. Selon vous, est-ce qu’on investit suffisamment dans la recherche et développement? Est-ce qu’on est dans la bonne voie? Est-ce que ce genre d’investissement peut avoir un impact important?

M. Doyon : Par exemple, on pourrait remplacer le chauffage par de l’énergie solaire, qui est très peu présente au Québec. Il faudrait voir ce qui existe ailleurs et comment ça peut s’appliquer. Il faudrait des budgets de recherche pour adapter ce qui se fait ailleurs et trouver d’autres sources d’énergie. Il y a peut-être quelque chose à faire en matière de biomasse. On a beaucoup de secteurs forestiers. On pourrait trouver d’autres sources d’énergie grâce à la recherche-développement.

Mme Vinsant Le Lous : De plus, la recherche et développement sera très utile. Pour l’instant, le secteur agricole n’a pas pu bénéficier de la recherche-développement, parce qu’après, il faut que ce soit reproduit dans les fermes. Il faut que ce soit adaptable et adapté à la taille des exploitations agricoles. C’est un peu la contrainte des protocoles et du phénomène des crédits compensatoires. On se dirige davantage vers le marché du carbone. Dans certaines provinces, les protocoles sont reconnus et les producteurs agricoles peuvent s’inscrire sur ce marché. Au Québec, ce n’est pas encore le cas. Il y a une différence à ce niveau aussi.

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup.

[Traduction]

La présidente : Il y a un autobus qui nous attend pour aller voter, de sorte que nous allons maintenant devoir suspendre la séance.

Je sais que bien des membres du comité ont d’autres questions, mais vos exposés étaient très détaillés. Je tiens à remercier les témoins d’être venus ce soir. Nous serons partis une demi-heure environ, puis nous reviendrons pour le deuxième groupe de témoins. Merci beaucoup.

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

La présidente : Nous sommes maintenant en présence du deuxième groupe de témoins de la soirée. Je vais commencer par les présentations. Je suis Diane Griffin, présidente du comité, et une des sénatrices de l’Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur R. Black : Rob Black, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

[Français]

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

[Traduction]

La présidente : Nous représentons assez bien le pays. Cet excellent.

Ce soir, nos témoins aborderont les enjeux relatifs à la partie 5 du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures, dans la mesure où cette partie concerne l’agriculture.

Nous sommes en présence des représentants de la Fédération de l’agriculture de Terre-Neuve-et-Labrador : Mervin Wiseman, président, et Paul Connors, directeur général. Bienvenue, messieurs.

Nous recevons également les représentants des Producteurs laitiers du Canada : Ron Maynard, membre du conseil d’administration de l’Île-du-Prince-Édouard, et Karen Clark, gestionnaire de programme à la ferme et conseillère en durabilité. Bienvenue.

Nous allons d’abord céder la parole à M. Wiseman pour son exposé.

Mervin Wiseman, président, Fédération de l’agriculture de Terre-Neuve-et-Labrador : Merci, madame la présidente. Permettez-moi de dire d’emblée que, après 38 ans, on m’a diagnostiqué un poumon de fermier, de sorte que je compose avec une toux. Vous devrez m’excuser si je dois parfois prendre une pause.

Je vous remercie de m’offrir l’occasion de parler de la loi proposée sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, et de ses répercussions possibles sur les producteurs agricoles de Terre-Neuve-et-Labrador.

Je m’appelle Mervin Wiseman. Je possède et exploite l’une des plus grandes fermes de renard argenté au monde, qui est située à North Harbour, dans la baie Placentia à Terre-Neuve. Je suis l’actuel président de la Fédération de l’agriculture de Terre-Neuve-et-Labrador, une organisation agricole générale qui englobe toute la gamme des produits agricoles, y compris des entreprises qui sont soumises ou non à la gestion de l’offre. Quelque 500 entreprises agricoles, principalement familiales, composent la circonscription agricole que représente la fédération.

Par rapport aux normes agricoles nationales, Terre-Neuve-et-Labrador a une empreinte de production agricole relativement faible. La province importe environ 90 p. 100 de son approvisionnement alimentaire agricole. Il y a très peu d’élevage. Là encore, la province importe actuellement près de 99 p. 100 de ses produits carnés.

Ces dernières années, la sécurité alimentaire est devenue un enjeu important et, par le fait même, une priorité importante du gouvernement provincial actuel. L’agriculture est reconnue non seulement pour son intérêt public en matière de sécurité alimentaire, mais aussi pour ses possibilités économiques et d’emploi, en particulier dans les régions rurales à taux de chômage élevé de la province. Le gouvernement a donc l’ambition de doubler l’autonomie alimentaire de la province d’ici 2022.

Pour consolider sa position politique en matière d’autonomie alimentaire, le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a établi un plan stratégique, qui se trouve dans son document stratégique Way Forward on Agriculture. Le plan en 43 points prévoit des investissements importants de la part d’intérêts publics et privés. D’importantes parcelles de terres agricoles ont été annoncées et réservées, et l’industrie a adhéré au plan au moyen de toute une gamme de collaborations avec le gouvernement dans le but d’atteindre ses objectifs.

Dans ce contexte, parler d’un plan de tarification du carbone rend toutes les parties touchées très mal à l’aise. Étant donné que les combustibles à base de carbone — principalement le gaz et le diesel — constituent déjà une lourde responsabilité opérationnelle pour les agriculteurs de Terre-Neuve-et-Labrador, toute augmentation, même marginale, aura un effet négatif sur l’atteinte des besoins des agriculteurs et de l’ambition du gouvernement, ainsi que sur les attentes du grand public en matière de sécurité alimentaire.

L’absence de plan cohérent sur la tarification du carbone dans la province ne dissipe pas l’incertitude qui règne sur la question. D’ailleurs, la province continue d’affirmer que son plan sera bientôt publié en prévision de l’entrée en vigueur de la tarification du carbone pancanadienne d’ici janvier 2019. Contrairement à d’autres provinces comme l’Alberta, l’Ontario, le Québec, la Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse et peut-être le Manitoba, qui ont réussi à définir leur approche en matière de tarification du carbone, Terre-Neuve-et-Labrador demeure floue sur cette question importante.

À ce jour, la province de Terre-Neuve-et-Labrador n’a adopté que des dispositions législatives sur la surveillance, les signalements et les mesures d’atténuation, et des initiatives bénévoles en vertu de sa loi de 2016, la Management of Greenhouse Gas Act. Cette loi est conçue pour s’attaquer exclusivement aux quelques grands émetteurs industriels actuellement en activité dans la province. Manifestement, cette situation crée un défaut flagrant dans la législation fédérale qui vise à réduire, d’ici 2030, les émissions de gaz à effet de serre du pays de 30 p. 100 par rapport aux niveaux de 2005.

Puisque le gouvernement fédéral est prêt à fixer arbitrairement les prix des provinces qui n’auront pas établi de régime de tarification conforme aux objectifs fédéraux, les agriculteurs de Terre-Neuve-et-Labrador seront, semble-t-il, assujettis aux dictats du plan fédéral.

Compte tenu de l’exemption pour les agriculteurs dans le projet de loi C-74, le plan fédéral de tarification pourrait très bien être la meilleure option pour les producteurs de la province. Seul le temps nous le dira, mais abstraction faite de la législation provinciale, il doit manifestement y avoir un principe fédéral de compatibilité qui garantit à tous les agriculteurs la présence de cette disposition dans toutes les lois de tarification. Une grave iniquité s’immiscera autrement dans le contexte d’exploitation des différentes provinces.

En ce qui concerne la mesure proposée dans le projet de loi C-74, les membres de la Fédération de l’agriculture de Terre-Neuve et de Labrador sont très encouragés par la proposition d’exemption des agriculteurs pour ce qui est du gaz et du diésel. Comme les autres provinces, nous aimerions que cette disposition soit élargie de manière à inclure l’utilisation de gaz propane. L’utilisation de ce gaz est répandue pour la machinerie agricole à Terre-Neuve-et-Labrador, surtout dans les structures fermées, tant pour la transformation primaire que secondaire. Le gaz naturel ne représente toutefois pas une option facilement accessible en ce moment pour les utilisateurs de la province, mais l’exploitation future des réserves dans les zones extracôtières finira néanmoins par changer les choses.

La compatibilité doit également être prise en considération dans l’application des définitions des activités agricoles, de manière à englober toutes les activités pertinentes. Nous sommes, sans aucun doute, favorables à une approche nationale pour l’ensemble des provinces et des territoires, comme celle comprise dans la définition, dans sa forme actuelle, de l’Agence du revenu du Canada, qui est bien adaptée à cette fin selon la Fédération canadienne de l’agriculture. De la même façon, il est aussi nécessaire de songer à éviter un dédoublement inutile des documents pour satisfaire le critère d’admissibilité et se prévaloir de l’exemption.

Pour conclure, les agriculteurs de Terre-Neuve-et-Labrador, comme dans d’autres régions du Canada, reconnaissent leur contribution au problème des émissions de gaz à effet de serre et déploient donc tous les efforts pour faire partie de la solution. Le prix actuel des combustibles à base de carbone crée déjà un effet dissuasif et une aversion pour leur utilisation. De nouvelles augmentations nominales ne feront qu’alourdir un fardeau de la responsabilité déjà pesant et augmenter des coûts d’exploitation qui deviendront contre-productifs pour un secteur essentiel et en croissance dans lequel l’utilisation de ces combustibles est nécessaire.

La création de fonds de placement à partir de stratégies à valeur ajoutée de tarification des gaz à effet de serre pourrait très bien constituer une bonne rationalisation de ce genre d’option. Toutefois, d’autres mesures doivent être structurées dans tous les aspects du contexte d’exploitation agricole. L’adoption de pratiques de gestion exemplaires visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre doit être favorisée dans la mesure du possible. De plus, le recours à des ententes-cadres entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, par exemple, pour prendre ces mesures et atteindre d’autres objectifs de réduction des émissions doit être la norme, ainsi qu’une importante considération pendant la création de ces ententes et d’autres ententes nationales bilatérales ou multilatérales entre les provinces et Ottawa.

Merci encore une fois de nous avoir donné l’occasion de vous présenter ces observations. Je suis impatient de répondre à d’autres questions que vous pourriez avoir au sujet du projet de loi C-74 et de son incidence sur l’agriculture et les producteurs à Terre-Neuve-et-Labrador.

La présidente : Merci de votre exposé.

Nous allons maintenant entendre M. Maynard.

Ron Maynard, membre du conseil d’administration, Les Producteurs laitiers du Canada : Merci, madame la présidente. Je suis producteur laitier de l’Île-du-Prince-Édouard. Au nom des Producteurs laitiers du Canada, je vous remercie de nous permettre de vous faire part de nos préoccupations au sujet de la partie 5 du projet de loi C-74.

Les Producteurs laitiers du Canada reconnaissent que les changements climatiques représentent un défi de taille. Nous félicitons d’ailleurs le gouvernement de prendre cet enjeu au sérieux et de promouvoir les efforts de réduction des gaz à effet de serre et d’adaptation aux changements climatiques. Nous sommes également reconnaissants que le gouvernement ait tenu compte des particularités du secteur agricole en exemptant certains combustibles agricoles de la structure de tarification du carbone.

Les Producteurs laitiers du Canada ont également été heureux de constater que le gouvernement a exclu les gaz à effet de serre de nature biologique de sa structure de tarification. Nous comprenons l’importance d’aborder ces émissions et de gérer les impacts des changements climatiques. C’est pourquoi, en tant qu’industrie, nous investissons directement dans la recherche sur la réduction des gaz à effet de serre depuis 2002 et nous continuons d’accorder la priorité à la recherche dans ce domaine.

Entre 1990 et 2016, l’industrie laitière canadienne a réduit son empreinte carbone dans une proportion de 12 p. 100. Au cours de cette même période, la production laitière a su répondre à la demande grandissante, tout en réalisant une réduction de 23 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre par litre de lait produit. Ainsi, sur la base des résultats préliminaires d’une analyse du cycle de vie du lait canadien en cours de réalisation, l’empreinte carbone moyenne d’un litre de lait canadien est estimée à 0,91 kilogramme d’équivalent CO2. Il s’agit d’une amélioration d’environ 8 p. 100 au cours des cinq dernières années, et cette empreinte carbone est parmi les plus faibles dans l’industrie laitière mondiale. Cette réduction est attribuable aux efforts déployés par les producteurs laitiers canadiens en vue d’améliorer la productivité à la ferme et d’adopter des pratiques profitables comme le travail réduit du sol et une bonne gestion des éléments nutritifs.

Les producteurs laitiers reconnaissent la nécessité de prendre des mesures pour lutter contre les changements climatiques. Cependant, toutes les mesures doivent être équilibrées et entièrement évaluées. En agriculture, les programmes visant à contribuer à la réduction des émissions devraient être mis en œuvre avec précaution pour éviter d’affaiblir involontairement la capacité des producteurs d’investir dans des technologies écoénergétiques, de passer à des énergies renouvelables ou d’adopter d’autres pratiques profitables et d’autres idées novatrices, dont beaucoup nécessitent déjà une longue période de remboursement. Tous les coûts de production additionnels attribuables à une taxe sur le carbone ou sur les carburants représentent autant d’argent que les producteurs ne pourront pas utiliser pour réaliser ces importants investissements. Par exemple, à ma ferme, nous avons été en mesure d’investir dans l’énergie éolienne, dans un système d’eau chauffée à l’énergie solaire, dans un aspirateur et une pompe de transfert à vitesse variable ainsi que dans des plaques de refroidissement.

Dans le mémoire que nous avons remis au comité, nous avons détaillé toutes les répercussions que la tarification du carbone aura sur le secteur laitier du Canada. Dans l’exposé d’aujourd’hui, je vais mettre l’accent sur quelques-unes de ces répercussions et quelques recommandations.

Premièrement, seuls quelques combustibles agricoles sont exemptés, et le gaz naturel demeurera assujetti à la tarification du carbone, ce qui en fait l’exception la plus notable. Beaucoup de producteurs laitiers produisent leurs propres cultures et sèchent leurs céréales au moyen de gaz naturel. Ainsi, le coût d’un élément qui représente déjà une importante dépense annuelle ne fera qu’augmenter. Les céréales sont une importante source d’énergie pour les vaches, et leur inclusion dans l’alimentation des bovins réduit généralement la production de méthane d’origine entérique. Les Producteurs laitiers du Canada demandent au gouvernement d’exempter de la tarification du carbone tous les combustibles agricoles, y compris le gaz naturel.

Deuxièmement, les provinces où le réseau de distribution comprend des combustibles fossiles verront leur facture d’électricité augmenter. La loi ne prévoit pas de rabais sur l’électricité utilisée par les fermes. Les Producteurs laitiers du Canada encouragent le gouvernement à considérer l’adoption d’un programme de rabais visant à compenser certains de ces coûts.

Troisièmement, les définitions énoncées dans la loi pour « activité agricole admissible » et « agriculture » manquent de clarté. La définition de ces activités comprend la culture du sol et la production laitière, mais on ignore si elle vise également les entrepreneurs à forfait, qui sont employés pour des activités comme la fertilisation, la pulvérisation, le transport du fumier et les récoltes. Les Producteurs laitiers du Canada recommandent que la définition soit élargie de manière à inclure le travail effectué par ces entrepreneurs.

En plus des recommandations que je viens tout juste de souligner, nous demandons également au gouvernement de : premièrement, veiller à ce que des occasions de recyclage de revenus et de participation à des programmes de crédits compensatoires soient facilement accessibles à toutes les fermes, peu importe leur taille; deuxièmement, continuer à investir dans la recherche sur la réduction des gaz à effet de serre et l’adaptation aux changements climatiques; et troisièmement, accroître le soutien aux initiatives de vulgarisation et de transfert des connaissances qui contribueront à l’adoption de pratiques de réduction des émissions à la ferme.

Je veux terminer cet exposé en mentionnant que, au moment d’examiner les répercussions de ce projet de loi, il est important de reconnaître que les producteurs laitiers font déjà face à une série de défis, tant intérieurs qu’internationaux, qui sont liés aux politiques et aux travaux du gouvernement. Ces défis vont de l’incertitude entourant le dénouement de l’ALENA, qui pourrait s’ajouter aux répercussions d’accords commerciaux précédents, tels que l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste et l’AECG, à l’étiquetage sur le devant de l’emballage et à la Stratégie en matière de saine alimentation, qui nuisent déjà à la perception des consommateurs à l’égard des produits laitiers nutritifs. L’effet cumulatif de ces politiques est considérable et va à l’encontre du désir exprimé publiquement par le gouvernement de voir le secteur agroalimentaire, y compris celui des produits laitiers, prospérer.

La viabilité de l’environnement revêt une importance cruciale. Les producteurs laitiers canadiens sont toujours très fiers d’assumer le rôle d’intendants de la terre, de l’eau et de l’air, et ils cherchent constamment à réduire les répercussions environnementales de leur exploitation agricole au fil du temps.

Merci de nous avoir donné l’occasion de faire cet exposé.

La présidente : Merci de votre exposé.

Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par le vice-président.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je vous souhaite la bienvenue. Les agriculteurs de Terre-Neuve ne sont pas très présents dans les comités sénatoriaux. Mise à part la présence continuelle de votre défenseur, le sénateur Doyle, et du greffierdu comité, Kevin Pittman, on ne voit pas souvent de personnes nous parler de l’agriculture de Terre-Neuve. Cependant, notre comité est allé rencontrer les agriculteurs de Terre-Neuve, il y a quatre ou cinq ans.

Je vous remercie de vos mémoires, qui sont très importants. En vous écoutant, j’ai constaté que vous avez une industrie agricole importante à Terre-Neuve. Cependant, je ne vous ai pas entendu parler des effets de la taxe sur le carbone sur l’industrie du poisson. L’industrie est présente à Terre-Neuve, il faut le savoir et le voir.

Peut-être que les agriculteurs de Terre-Neuve vont faire valoir leurs revendications par l’entremise d’autres comités, mais je tenais à le souligner, car cela va les toucher également. Comment? Je ne peux pas le dire et peut-être que vous non plus ce soir, mais ultérieurement, un jour, vous pourrez nous en parler.

En excluant les produits de la pêche, exportez-vous beaucoup de produits agricoles dans les autres provinces, aux États-Unis ou dans d’autres pays ou est-ce que ces produits sont gardés pour les besoins exclusifs de la population de Terre-Neuve?

[Traduction]

M. Wiseman : Merci de vos observations. C’est curieux; je viens tout juste de dire à mon collègue, Paul, en arrivant de l’aéroport, que je n’avais pas vu d’exemptions pour les pêcheurs. Nous sommes évidemment ici pour parler d’agriculture, mais cela m’a vraiment frappé. Cela saute aux yeux.

J’ai grandi dans une famille et une collectivité de pêcheurs. La pêche est un symbole de la province, et il est impossible de ne pas soulever cette importante question. Je vous remercie donc de l’avoir mise dans le collimateur et j’espère que nous en entendrons davantage à ce sujet.

Comme je l’ai indiqué dans mon exposé, dans la province, nous importons 90 p. 100 de nos produits alimentaires agricoles. Nous produisons très peu. Comme je l’ai dit à propos du bétail — la viande rouge, par exemple —, nous en importons plus de 99 p. 100. Nous n’en élevons qu’une petite fraction à Terre-Neuve-et-Labrador, ce qui est dommage compte tenu de l’important potentiel de la province.

La valeur de notre industrie se chiffre environ à un demi-milliard de dollars et à 6 200 emplois en aval et emplois directs, ce qui est considérable. Dans l’espoir d’accroître l’autosuffisance alimentaire d’ici 2022, pour la doubler, nous voulons changer tout cela.

Cela dit, de toute évidence, dans le secteur des produits de base où je travaille, celui de la fourrure, nous avons des exportations. C’est un marché international, et nous exportons nos produits à l’extérieur non seulement de la province, mais aussi du pays, surtout en Chine et en Russie.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci de ces explications, c’est fort intéressant. Comme toutes les autres provinces, vous devez avoir un problème de relève agricole. C’est le mal du siècle au Canada. M. Maynard m’en parlera plus longuement tout à l’heure, mais chez vous aussi, ça doit se sentir. Dans une province comme Terre-Neuve où il y a, comme vous le dites, peu d’agriculture, est-ce que ces nouvelles taxes sur le carbone peuvent représenter des obstacles pour les jeunes qui veulent prendre la relève de leurs parents, selon votre expérience?

[Traduction]

M. Wiseman : Ce sera un facteur important, sans aucun doute. J’ai mentionné la profonde aversion et l’effet dissuasif à l’égard de l’essence et du diésel. Dans un budget présenté il y a quelques années à Terre-Neuve-et-Labrador, nous avons été frappés par une surtaxe de 19 cents le litre. À l’époque, cela n’avait rien à voir avec la tarification du carbone, mais les gens se sont ensuite tenus loin. Comme vous le dites, beaucoup de personnes ont sérieusement réfléchi à quitter Terre-Neuve-et-Labrador, ce qui a des conséquences.

Des mesures du genre commencent à s’accumuler, et nous ne savons pas quelle goutte d’eau fera déborder le vase, mais chaque fois que cela se produit, nous grattons un peu plus nos fonds de tiroir. Il y a énormément d’incertitude quant à la façon dont la tarification du carbone se fera.

L’exemption est très attrayante, mais si la province met au point son propre régime de tarification maison, nous ne savons pas comment seront ses retombées. Je sais qu’on cherche à ne pas imposer de coûts supplémentaires aux agriculteurs. J’ignore toutefois ce qu’il en est pour les autres secteurs, comme celui de la pêche. Chose certaine, c’est de la plus haute importance.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci beaucoup.

Monsieur Maynard, les producteurs laitiers sont importants au Canada. C’est une très grosse industrie, en particulier dans ma province et dans d’autres provinces canadiennes. Tous les producteurs laitiers vivent le même problème : ils sont en suspens. Il y a des provinces qui ont déjà adopté un système de tarification du carbone; je pense au Québec, à l’Ontario et à d’autres provinces dans l’ouest, comme la Colombie-Britannique.

Maintenant, ce qui reste à voir, c’est l’uniformité de cette taxe. D’autres intervenants sont venus nous dire que cela représentait un problème. Est-ce que la taxe sur le carbone à Terre-Neuve devrait être la même qu’au Québec ou en Ontario? Parce que la production n’est pas la même. Les moyens coûtent plus cher. Est-ce qu’une modulation pourrait être appliquée? Je vous laisserai répondre tout à l’heure.

Vous avez mentionné aussi quelque chose dont les Canadiens et Canadiennes ne sont pas au courant, mais ils vont l’apprendre à un moment donné à l’épicerie. Toutes les taxes sur les intrants, comme le gaz naturel et l’essence, l’agriculteur ou le producteur laitier doit les refiler à quelqu’un, sinon il sera déficitaire dans ses opérations. Celui qui recevra probablement cette facture, c’est le consommateur. Or, on est couvert par la gestion de l’offre au Canada pour les agriculteurs, mais le consommateur n’est couvert par personne. Il est dans un marché libre. Les producteurs laitiers, pour garder leur ferme en production, sont obligés de faire des sacrifices. Ils doivent refiler ces coûts à quelqu’un, sinon l’économie ne fonctionnera pas. Est-ce que le consommateur va acheter moins de lait ou de produits laitiers? On le verra à l’usage.

Ce qui m’inquiète, et vous l’avez souligné, monsieur Maynard, c’est le recyclage des redevances. Comment voyez-vous cela, pour les producteurs laitiers? Quel système de redevances préféreriez-vous avoir pour le système laitier? Est-ce que ce serait dans la recherche uniquement ou est-ce qu’il y aurait d’autres façons de faire?

[Traduction]

M. Maynard : Merci beaucoup de vos questions et de vos observations, monsieur le sénateur. Je pense que nous devons examiner de nombreux aspects de la question et affirmer que c’est le consommateur qui finira par payer, mais ce qui nous préoccupe, c’est que nous devons également livrer concurrence au marché mondial dans une certaine mesure. Comme je l’ai dit à propos de l’AECG, du Partenariat transpacifique et peut-être maintenant de l’ALENA, une proportion de plus en plus importante de notre production doit être écoulée sur le marché mondial, où il n’y a pas de tarification du carbone. Nos agriculteurs essuieront des pertes et seront désavantagés. J’estime qu’un soutien continu du gouvernement dans la recherche et l’investissement est essentiel.

À ma propre ferme, j’utilisais l’énergie éolienne et des panneaux solaires, mais les programmes à cette fin s’accompagnent tous d’un remboursement à long terme. J’ai été en mesure de tirer parti de certains programmes gouvernementaux, pour lesquels je remercie sincèrement les Canadiens. Ces programmes à long terme visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Quand je regarde de quoi il s’agit — du carbone, de l’azote, de l’hydrogène et de l’oxygène —, je constate que le seul élément gratuit à ma ferme est l’oxygène. Je dois payer pour tout le reste, et ce qui importe le plus pour mon exploitation agricole, comme pour toutes les autres, ce sont les résultats obtenus au bout du compte. Pour cela, il est essentiel d’améliorer l’efficacité et la gestion.

[Français]

Le sénateur Maltais : Avec le traité que nous avons conclu avec l’Europe récemment, il y a beaucoup de produits dérivés des fermes laitières; on parle des yogourts, du beurre, du fromage, et cetera. Je sais que le Canada a sa place sur le marché européen. Maintenant, est-ce que les Européens vont être soumis à la même taxe que nous? Je ne le sais pas. Je ne sais pas si vous le savez. Cependant, il faudrait garder un équilibre au niveau de la taxation, sinon les produits dérivés qui proviennent de vos fermes laitières ne seront plus concurrentiels sur le marché européen. On parle de 20 ou 25 produits qu’on est en mesure d’exporter facilement. Si vous êtes trop taxés, c’est la roue qui tourne. Est-ce qu’on sera en mesure d’être concurrentiel et de vendre dans les pays européens avec cette taxe? J’aimerais avoir votre opinion à ce sujet.

[Traduction]

M. Maynard : Le problème lorsqu’on livre concurrence aux pays européens, c’est qu’il faut tenir compte, entre autres choses, de la taxe sur le carbone. Cela dit, nos concurrents ne sont pas les agriculteurs européens, mais plutôt les programmes européens de subventions. Il faut regarder le faible montant que les producteurs laitiers du Canada obtiennent grâce aux programmes de réduction du gaz à effet de serre comparativement à celui qu’obtiennent mes collègues — je siège également au conseil d’administration de la Fédération internationale de laiterie où j’échange avec mes homologues du vieux continent. Ils disent clairement qu’un chèque est un chèque. Qu’il vienne du consommateur, du transformateur ou du gouvernement, il est toujours déposé dans le même compte. Quand vous parlez de livrer concurrence à l’Europe, le concurrent est le trésor de la Commission européenne.

Le sénateur Doyle : Merci d’être ici. Je vais poursuivre dans la même veine que le sénateur Maltais.

Dans toutes nos réunions, on cherche toujours à savoir quel sera l’effet sur les agriculteurs canadiens d’une redevance sur le carbone si leurs concurrents n’en ont pas. Dans quelle mesure avez-vous exercé des pressions sur le gouvernement fédéral à ce sujet? Nous allons rédiger notre rapport et faire également des recommandations pour ce genre de choses. Vos associations agricoles ont-elles approché le gouvernement fédéral de manière officielle pour faire valoir ce point de vue? Le cas échéant, quelle a été la réaction?

M. Maynard : Nous l’avons certainement fait. Nous avons déjà comparu devant votre comité et fait part de notre préoccupation concernant l’effet de la taxe sur le carbone.

Nous avons également parlé à des députés. Nous entrons constamment en contact avec eux, et c’est une des questions abordées. Nous leur disons que le programme de rabais doit être offert à toutes les exploitations agricoles.

Et nous avons déjà parlé de programmes de plafonnement et d’échange. Il y a quelques années, nous avons fait une étude sur le régime en place en Alberta. Nous avons examiné près de 50 exploitations agricoles. Compte tenu des exigences détaillées qu’elles devaient satisfaire pour obtenir des crédits, une seule exploitation est parvenue à se qualifier. C’est une de nos préoccupations. C’était une des deux ou trois principales fermes en Alberta. Elle est exploitée par des gens méticuleux qui ont le souci du détail.

Le sénateur Doyle : Craignez-vous que la redevance ne fasse augmenter considérablement le coût d’autres éléments de votre chaîne d’approvisionnement malgré l’exemption du carburant agricole, ce qui pourrait avoir des répercussions sur le coût et se traduire par un manque de compétitivité?

M. Maynard : Oui. Il y a quelques secondes, j’ai parlé de ce qu’on retrouve dans le gaz à effet de serre, soit de l’azote, de l’hydrogène et du carbone. Il y en a dans les engrais et le fourrage. Il faut aussi assurer le transport jusqu’à la ferme, ce qui fera grimper les coûts.

De plus, les producteurs laitiers payent pour faire transporter le lait de la ferme au transformateur. Le transport n’est pas visé par l’exemption.

Nous devrons ajuster le prix en conséquence. Comme nous le disions, on le verra dans nos résultats nets. Et lorsqu’ils sont moindres, nous avons moins d’argent à investir dans les technologies de réduction du gaz à effet de serre.

Le sénateur Doyle : Nous allons finir par rédiger notre rapport. Si vous deviez choisir une ou deux recommandations à présenter au gouvernement fédéral, quelles seraient-elles?

M. Maynard : Je recommanderais de poursuivre les investissements dans la recherche afin d’aider les agriculteurs dans leur transition vers les nouvelles technologies. Ce serait un aspect à retenir. De plus, comme je l’ai déjà dit, s’il y a un programme de plafonnement et d’échange, il faudrait veiller à ce qu’ils puissent s’en prévaloir, pour éviter de compliquer à outrance la situation. Ce serait les deux principales priorités.

Le sénateur Doyle : Je vois.

Notre province s’apprête à enregistrer une hausse marquée des tarifs d’électricité en raison du dépassement du budget pour le projet à Muskrat Falls. C’est un projet hydroélectrique, si bien que c’est une énergie propre. J’imagine qu’il est exempté d’une taxe sur le carbone. Les augmentations prévues des tarifs d’électricité de Muskrat Falls auront-ils un effet négatif sur les activités agricoles limitées que nous menons à Terre-Neuve-et-Labrador?

M. Wiseman : C’est une évidence. Nous sommes très inquiets. Nous regardons les 11 cents le kilowattheure à l’heure actuelle qui passera à 18 cents. Et ce n’est qu’un début, car on prévoit que le tarif augmentera à 28 cents le kilowattheure, soit plus du double. Nous allons être complètement dépassés. Je ne sais pas comment nous allons pouvoir gérer la situation, pour être honnête.

Avec la taxe sur le carbone, j’ai l’impression que personne ne comprend toutes les répercussions, car on ne peut pas vraiment les calculer. Elles s’accumulent et font boule de neige.

Le transport est une application inéquitable lorsque nous regardons la situation de plus près. Pour acheminer toutes les marchandises que nous devons importer jusqu’à Terre-Neuve-et-Labrador, les coûts de transport sont incroyables, que ce soit le service de traversiers ou les camions de transport dans la province. Ce n’est donc pas seulement une exemption pour moi et ma petite exploitation agricole. Ce sont toutes les répercussions, comme le fourrage que je donne à mes animaux. La liste de ces répercussions est longue. Vous pouvez sans doute imaginer.

L’ensemble du processus est compliqué également. Ce n’est pas facile à comprendre pour une personne ordinaire. Paul et moi avons eu une discussion à ce sujet avant de venir ici. C’est compliqué. Comment peut-on comprendre cette situation? Les gens savent-ils à quoi ils sont confrontés? Les citoyens peuvent-ils comprendre pleinement le processus s’ils ne comprennent pas le concept, le libellé et les répercussions? Je ne le sais pas. L’hydro, Muskrat Falls? Nous sommes condamnés.

Le sénateur Doyle : Une hausse de 100 p. 100 s’en vient.

Dans ce contexte, des subventions pour l’électricité seront naturellement nécessaires, surtout pour les gens qui font de l’agriculture. Là encore, les activités agricoles limitées que nous avons continueront d’être limitées si nous ne réduisons pas les coûts d’endettement.

M. Wiseman : C’est indéniable.

Il y a aussi qu’il faut faire preuve de créativité pour comprendre ce à quoi nous sommes confrontés dans nos efforts pour essayer de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Dans les fermes, nous ne pouvons pas produire des formes d’énergie de rechange, parce que nous n’avons pas de système à connecter au réseau de distribution. Il y a en fait un projet de loi qui donne à Hydro Terre-Neuve-et-Labrador le contrôle sur les sources d’énergie de rechange que j’aimerais présenter, qu’il soit question de digesteur anaérobie, d’énergie solaire, d’éoliennes, et cetera. Nous avons très peu d’options pour réduire les gaz à effet de serre, mais la loi nous interdit de le faire.

Faisons-le. Faisons preuve de créativité. Si j’installe des éoliennes ou des panneaux solaires dans ma ferme et que j’investis dans ces infrastructures et que le gouvernement peut investir avec moi, je pense que nous serons plus avancés. À l’heure actuelle, nous donnons le droit de veto à une compagnie d’électricité qui nous facturera des tarifs exorbitants pour acheter de l’électricité de Muskrat Falls. C’est un grave conflit d’intérêts et nos possibilités d’action sont très limitées. Nous parlons de la taxe sur le carbone. Le problème est beaucoup plus profond que la taxe sur le carbone.

La présidente : Sur cette triste note, pouvons-nous poursuivre?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Ma question s’adresse à M. Maynard.

Monsieur Maynard, vous l’avez bien expliqué, lorsque vient le temps de demander des crédits pour vos entreprises, les formulaires sont très compliqués. Je pense que, lorsqu’on vous a imposé la taxe sur le carbone, on ne vous a pas donné beaucoup de détails. On est arrivé avec la taxe. C’est toujours plus facile pour le gouvernement de taxer que de donner de l’argent.

Vous faites partie des grands acteurs du monde agricole. Vous êtes touché par la taxe sur le carbone. Quel genre de consultation le gouvernement a-t-il menée auprès de votre organisation avant de vous imposer cette taxe? Le gouvernement dit qu’il consulte beaucoup les Canadiens, qu’il est à l’écoute des Canadiens. Est-ce qu’il vous a consulté avant de vous imposer une taxe sur le carbone?

[Traduction]

M. Maynard : Nous travaillons avec le gouvernement depuis 2002 dans le dossier de la réduction des gaz à effet de serre. La taxe sur le carbone est une mesure connexe qui a été prise. On peut dire qu’elle nous a un peu pris de court.

Les consultations ont probablement été plus longues que ce que nous avons vu dans certains dossiers, notamment l’étiquetage sur le devant de l’emballage. Je pense que votre observation est très claire. Nous ne savons pas trop comment il n’y aura pas de répercussions sur les revenus. C’est pourquoi nous faisons savoir qu’il y a une préoccupation pour les petites exploitations agricoles. Comment ces petites fermes obtiendront-elles les recettes liées au recyclage? C’est un aspect, comme vous l’avez dit, où une taxe peut facilement être imposée, mais comment pouvez-vous vous assurer qu’il n’y aura aucune répercussion sur les revenus des agriculteurs? C’est une source de préoccupation.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Comme vous le mentionnez très bien, le gouvernement vous place dans une incertitude économique. Il vous impose la taxe sur le carbone, et l’ALENA, on sait que ce n’est pas réglé. L’administration américaine souhaite davantage régler ses affaires avec les Chinois. Elle a relégué au second plan les discussions sur l’ALENA, qui se concluront peut-être en 2019. Vous avez mentionné aussi la nouvelle obligation liée à l’étiquetage.

Avez-vous pensé à chiffrer les effets anticipés de ces changements? Parce que ces changements vont nécessiter des coûts additionnels pour vos productions et vont vous rendre moins compétitif. Aujourd’hui, avec l’ALENA, le Partenariat transpacifique et l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne... On sait aussi que nos voisins américains sont subventionnés d’une autre façon et qu’ils n’ont pas de taxe sur le carbone qui les rend moins compétitifs.

Avez-vous chiffré les effets de tout cela? Entre autres, l’étiquetage et l’obligation d’étiqueter les produits exercent une pression économique sur vos produits. Est-ce que c’est quelque chose que vous avez chiffré?

[Traduction]

M. Maynard : Vous avez raison en ce qui concerne l’étiquetage sur le devant des emballages. Nous devrons créer de nouvelles étiquettes. Le gouvernement a signalé que ce sera ce coût. Il a mentionné que le coût non qualifié est le coût pour le marketing. Cela nous étonne au plus haut point, car, d’une part, on dit qu’il faut une étiquette sur les produits laitiers nutritifs, car ils ne sont pas visés par les 15 p.100 de l’alimentation quotidienne en ce qui a trait au sel, au sucre ou aux gras saturés. D’autre part, l’examen de Santé Canada a clairement fait état que les produits laitiers sont associés à la santé des os et à un risque réduit de maladie du cœur, d’hypertension, d’accident vasculaire cérébral, de diabète de type 2 et de cancer colorectal. Ce sont les mêmes maladies pour lesquelles, selon le gouvernement, les étiquettes à l’avant de l’emballage aideront pour les coûts liés à la santé.

Donc, d’une part, le gouvernement dit que les étiquettes à l’avant de l’emballage sont nécessaires pour empêcher les gens d’acheter le produit, ce qui fera diminuer les ventes, car, si les gens voient un panneau d’arrêt sur une étiquette, ils se diront : « Est-ce que je veux vraiment acheter ce produit? » D’autre part, Santé Canada fait clairement savoir que ce sont des produits que vous devez consommer — et nous savons que les Canadiens ne consomment pas suffisamment de produits laitiers nutritifs — pour contrer une partie de ces problèmes de santé.

La tarification du carbone est un aspect de la solution, mais l’étiquetage sur le devant de l’emballage sème beaucoup de confusion. Quatre-vingt-neuf pour cent des unités de gestion des stocks de produits laitiers auront une étiquette de mise en garde; or, les boissons gazeuses diètes et les croustilles n’en auront pas. Nous ne comprenons pas trop pourquoi certains produits de lait entier ont été exemptés, car le gouvernement reconnaît ses propres recherches, mais il ne fait pas la même chose avec les yogourts, les fromages et d’autres produits laitiers nutritifs. Nous avons du mal à nous y retrouver.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vais tenter une dernière question. Vous savez que le gouvernement actuel veut légaliser la marijuana. Seriez-vous d’accord pour qu’il vous redistribue une partie des profits qu’il fera avec la marijuana pour vous aider? Cela n’est peut-être pas lié à l’agriculture, mais tout de même.

[Traduction]

La présidente : Je pense que nous dépassons le cadre de notre mandat. Avez-vous une autre question?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Cela se rapporte au Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Je vais aller dans l’autre salle.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Ma première question s’adresse aux deux groupes et les questions subséquentes s’adressent probablement plus aux producteurs laitiers.

La première se rapporte à la définition de l’agriculture. Vous avez tous les deux soulevé la question. Vous avez signalé que des applications personnalisées devraient être incluses. Je devrais signaler que dans d’autres provinces, des applications personnalisées sont considérées comme des activités agricoles admissibles.

Je me demande si nos témoins de Terre-Neuve ont des exemples précis de ce qui, d’après eux, devrait être considéré comme étant des activités admissibles, mais qui ne sont pas visées par la définition actuelle.

M. Wiseman : Nous nous en tenons au message que nous avons communiqué à notre organisation nationale. Comme notre collègue de Producteurs laitiers du Canada l’a souligné, ces exemples s’appliquent non seulement à sa région, mais aussi à Terre-Neuve-et-Labrador.

Nous nous en sommes très bien sortis avec la définition de l’ARC. Je ne peux tout simplement pas comprendre pourquoi nous ne pourrions pas l’harmoniser avec celle-ci. Pourquoi devraient-elles être différentes? Cela sème la confusion et crée de l’incertitude à la lumière de l’avenir incertain de cette taxe. Cela ne fait que compliquer davantage les choses.

Le sénateur Woo : Seriez-vous d’accord, monsieur Maynard, pour qu’on utilise la définition de l’ARC?

M. Maynard : Je pense que le problème n’est pas clair à cet égard, et c’est notre question. En fin de compte, quelqu’un dira-t-il si c’est dans la définition ou non? Il y a là un manque de clarté.

Si nous envisageons la possibilité de réduire notre empreinte, bien souvent, un certain nombre d’agriculteurs travaillent ensemble pour accroître la taille de leur équipement et améliorer l’efficacité de leurs activités, ce qui est une façon de réduire notre empreinte carbone. Le fait d’empêcher cette collaboration est une mauvaise chose.

Tout ce que l’on dit, c’est qu’il faut que ce soit clair.

Le sénateur Woo : Seriez-vous d’accord pour qu’on utilise la définition de l’agriculture de l’ARC, ou avez-vous une opinion à ce sujet? Vous n’êtes pas obligé de prendre position, si vous ne le voulez pas.

M. Maynard : Nous allons apporter des clarifications. Je ne suis pas certain en ce qui concerne l’ARC, mais nous sommes membres de la Fédération canadienne de l’agriculture, alors je pense bien que oui.

Le sénateur Woo : On dirait bien que c’est une situation que la réglementation pourrait régler, mais c’est certainement un argument que nous pourrions faire valoir pour veiller à ce que la réglementation fournisse la meilleure définition possible.

Si vous me permettez de passer à une question légèrement différente au sujet de la concurrence des importations, un certain nombre de sénateurs ont posé des questions, surtout vos collègues du secteur de la production laitière, au sujet des menaces auxquelles vous devez faire face dans le cadre des importations. Vous avez également évoqué le défi à venir associé à l’AGPPTP et à l’AECG.

Pourriez-vous clarifier pour le comité quelle part du marché ces deux ententes ont ouverte? Quelle est la taille de la part du marché canadien qui est ouverte à la concurrence en raison de l’AGPPTP et de l’AECG?

M. Maynard : Ne me citez pas sur ces données, les chiffres exacts, mais nous avons très clairement énoncé que, avec l’AECG, c’était essentiellement 2 p. 100 de notre quota, avec l’importation de fromage. Avec l’AGPPTP, c’était 3,25 p. 100 du niveau de 2016. C’est donc 5,25 p. 100. Nous autorisions déjà environ 6 p. 100 du marché auparavant. Nous avons maintenant une part de plus de 10 p. 100 du marché canadien qui est remplie par les exportations, ce qui est bien supérieur à celle de bon nombre d’autres pays, surtout certains pays au sud de nous.

Le sénateur Woo : Vous avez parlé, dans votre déclaration, de l’attente à l’égard de l’industrie de la gestion de l’offre, en réponse à la concurrence externe, qui consiste à limiter l’offre. C’est différent des autres industries. On peut transférer certains coûts parce qu’on a un système de gestion de l’offre. N’est-ce pas une réponse de l’industrie? Vous y avez fait allusion dans votre rapport.

M. Maynard : On peut transférer des coûts — mais n’oubliez pas que ce sont des importations contrôlées; il y a d’autres importations. À mesure que les ingrédients gagnent en importance dans l’industrie de la production laitière — et nous le constatons de plus en plus —, des concentrés de protéines laitières, des isolats et d’autres, il n’y a pas…

Le sénateur Woo : Vous pensez plus précisément à l’ALENA en ce moment?

M. Maynard : N’importe quoi, dans n’importe quel pays. Il n’y a aucune restriction sur les importations de ces produits. Si nous voulons conserver le marché canadien, nous devons offrir le même prix.

Le sénateur Woo : Vouliez-vous ajouter quelque chose?

Karen Clark, gestionnaire de programme à la ferme et conseillère en durabilité, Les Producteurs laitiers du Canada : Si une partie de ces coûts sont refilés aux consommateurs, nous craignons qu’ils disent : « Le prix du lait, que j’achetais autrefois à 4 $ pour quatre litres, a maintenant augmenté, ce qui commence à coûter cher. » Nous ne voulons pas être démoralisants. Nous croyons que le lait et les produits laitiers font partie d’une alimentation nutritive et durable.

Le sénateur Woo : Je serais le premier à me plaindre, mais c’est la nature du système de gestion de l’offre qui vous donne cette capacité, ce qui est différent des autres industries. Je ne suis pas en train de dire que c’est ce que vous devriez faire.

Ma dernière remarque est une observation. On a beaucoup entendu parler des pressions que vous avez exercées sur le gouvernement fédéral et de bon nombre des préoccupations que vous avez soulevées. Je suis certain que vous y réfléchissez déjà, mais bon nombre des défis que vous avez évoqués relèvent des provinces et de la capacité, et plus particulièrement de la capacité de Terre-Neuve-et-Labrador, de concevoir une taxe sur le carbone et un système de plafonnement et d’échange qui est à peu près conforme au cadre fédéral. Le cadre fédéral, pour autant que je sache, est très flexible. Il accorde toutes sortes d’exemptions, y compris des exemptions visant l’agriculture.

Je ne cherche pas à vous renvoyer la balle ici, mais la façon dont il est conçu, le cadre pour la tarification du carbone et les changements climatiques vise à offrir une flexibilité aux provinces pour qu’elles puissent s’adapter aux circonstances. Bon nombre de vos suggestions auraient dû être adressées aux provinces plutôt qu’au gouvernement fédéral. Ce n’est qu’une observation.

Le sénateur R. Black : Merci d’être des nôtres ce soir, et merci de vos témoignages.

Très rapidement, quelles suggestions auriez-vous à nous donner pour réduire l’inégalité entre les provinces que d’autres et vous avez abordée plus tôt dans vos témoignages et pour uniformiser les règles du jeu dans l’ensemble du Canada? Avez-vous des suggestions?

M. Maynard : C’est l’un des aspects qui nous préoccupent. Au Canada, nous obtenons essentiellement le même prix pour notre lait. Actuellement, à Terre-Neuve, en raison des frais de transport exorbitants, le prix est un peu plus élevé, mais dans l’Est du Canada, dans les maritimes, en Ontario et au Québec, tous les agriculteurs reçoivent le même prix pour le lait. Oui, nous aimerions beaucoup qu’un programme uniforme soit en place au pays.

Je viens de l’Île-du-Prince-Édouard. Nous avons examiné le programme de plafonnement et d’échange. De nombreuses personnes sont disposées à vendre, mais il n’y a pas de grands émetteurs disposés à acheter. La province de l’Île-du-Prince-Édouard a envisagé d’essayer de travailler avec la Nouvelle-Écosse, mais sans succès. Terre-Neuve n’a pas de programme; l’Île-du-Prince-Édouard n’en a pas non plus. Qu’est-ce qui reviendra? Ce sera sans doute le système fédéral avec lequel nous sommes aux prises. C’est une préoccupation.

Le sénateur R. Black : Avez-vous des suggestions pour établir un équilibre?

M. Maynard : Là encore, nous exercerons des pressions sur nos gouvernements provinciaux. J’imagine que le gouvernement fédéral demandera que certaines mesures soient prises, et il devra probablement le faire dans ce cas-ci.

M. Wiseman : Cela explique sans doute pourquoi des provinces comme Terre-Neuve-et-Labrador — et je suis certain qu’il y a d’autres circonstances uniques dans d’autres régions — exigent que la tarification du carbone ne doit pas avoir d’incidence sur les coûts. La majorité des provinces auraient un système en place.

Notre province fait face à de sérieux dilemmes. En tant que gouvernement, en tant que population, nous voulons faire notre part. Je sais que notre province veut faire sa part. Toutefois, si nous devons encore ajouter un coût à tous ceux que nous avons déjà, nous ne faisons qu’aggraver la situation d’inégalité.

Je ne pense pas que vous réussirez un jour à éliminer l’inégalité. Que pouvez-vous demander? Une subvention pour le transport afin d’égaliser les règles du jeu? Nous recevons déjà des subventions pour le transport; pensons notamment à Marine Atlantique. Dans quelle mesure ces subventions peuvent-elles nous aider? Nous avons certainement des suggestions, mais nous avons de sérieux comptes à régler avec la province et le gouvernement provincial pour trouver la meilleure façon de résoudre le problème.

De façon générale, je ne comprends pas exactement comment une province peut contribuer dans une large mesure à régler le problème des émissions de gaz à effet de serre. Une province comme Terre-Neuve-et-Labrador, en raison de la production d’énergie hydroélectrique, qui est considérée comme étant une énergie verte, nous donnera-t-elle un statut de province à coût neutre? Peut-être. Je pense que oui. C’est la situation d’ensemble. Devrions-nous discuter de ces problèmes plus graves? La province de Terre-Neuve-et-Labrador n’est pas prête pour une tarification du carbone qui imposera un cent ou un demi-cent sur tout.

M. Maynard : Si le gouvernement fédéral ne peut pas contrôler la taxe, il devra contrôler les compensations pour s’assurer qu’il n’y a aucune incidence sur les coûts dans le secteur agricole au pays. Ce n’est peut-être pas simple à faire, mais c’est la façon la plus équitable.

La présidente : J’avais quelques questions, mais je ne vais pas les poser. J’aimerais remercier les témoins de la discussion intéressante que nous avons eue. Merci de votre patience. Nous vous avons fait attendre ce soir lorsque nous avons suspendu la séance pour aller voter, mais tout s’est bien déroulé au final. Merci infiniment de vos exposés. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Accueillons maintenant le dernier témoin de la soirée, M. Dale Beugin, directeur général de la Commission de l’écofiscalité du Canada. Je vous invite à nous livrer votre exposé, puis chacun de nous vous posera une question, parce que, comme vous le savez, nous avons été coincés par le temps. Nous vous remercions de nous avoir patiemment attendus pendant que nous étions allés participer à divers votes au Sénat. Vous avez la parole.

Dale Beugin, directeur général, Commission de l’écofiscalité du Canada : Merci beaucoup. Je suis heureux d’être ici et je vous remercie de votre invitation.

Je représente la Commission de l’écofiscalité du Canada formée d’économistes, de haut niveau de partout au Canada, rassemblés par la croyance selon laquelle une bonne politique peut être un choix logique pour l’environnement et l’économie.

Les commissaires s’appuient sur un conseil qui représente des personnes très en vue de divers partis de tout le spectre politique et de tous les ordres de gouvernement ainsi que de l’industrie et de la société civile. Ces conseillers partagent tous la même croyance : une bonne politique peut être un choix logique pour notre environnement et notre économie.

Nos travaux de recherche et d’analyse ont permis de clairement déterminer que la tarification du carbone se range dans cette sorte de politiques, qu’elle est la façon la plus économique d’atteindre des objectifs pour l’environnement. Nous avons réalisé une analyse approfondie, pendant les quelques dernières années, sur la façon de bien en concevoir le mécanisme.

Aujourd’hui, je tiens à dégager pour vous quelques particularités de cette tarification. D’abord, elle est efficace et elle donne de bons résultats. Nous, les économistes, nous savons que les prix influent de diverses manières sur les comportements dans toutes les parties de l’économie, et ceux du carbone n’y font pas exception. Les entreprises et les ménages cherchent des façons d’éviter de le payer en trouvant de nouvelles façons de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Extrapolez cette réaction dans toutes les sphères de l’économie : c’est ainsi que la tarification du carbone inspire les réductions les moins coûteuses des émissions.

La recette de la tarification du carbone réside dans les incitations et la flexibilité, lesquelles poussent, dès aujourd’hui et demain, aux changements de comportement. Elles créent aussi des incitations à l’innovation à long terme. De nouvelles technologies et pratiques innovantes permettront de réduire à moindre coût les émissions de gaz à effet de serre.

Les preuves de l’efficacité de la tarification du carbone dans les divers États qui l’ont expérimentée sont nombreuses. Ici, au Canada, la taxe sur le carbone en vigueur en Colombie-Britannique depuis 2008 procure une abondance de données utiles aux économistes comme ceux de la Commission de l’écofiscalité du Canada et à moi, pour nous permettre d’analyser l’effet de la tarification sur l’économie et les émissions de gaz à effet de serre. Les preuves statistiques sont assez évidentes : n’eût été la taxe sur le carbone en Colombie-Britannique, les émissions de gaz à effet de serre y seraient supérieures de 5 à 15 p. 100, les véhicules auraient une efficacité moindre de 4 p. 100, et la demande d’essence à moteur serait de 7 à 17 p. 100 plus élevée.

Pourquoi s’en soucier? Parce que notre gouvernement fédéral a fixé un objectif pour les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi parce que nous cherchons à éviter le pire des impacts du changement climatique en contribuant aux efforts globaux pour réduire ces émissions chez nous.

J’aurais dû préciser, dès le début, que je ne suis pas spécialiste de l’agriculture. C’est la raison pour laquelle je privilégierai surtout la situation d’ensemble de l’économie, mais je citerai de temps à autre des exemples précis, puisés dans le secteur agricole.

Je m’empresse d’ajouter qu’il est extrêmement important pour le secteur agricole d’éviter le changement climatique. Ses répercussions sur la productivité de l’agriculture et les coûts des paroxysmes météorologiques dont la fréquence devrait augmenter en proportion de l’augmentation mondiale des émissions seront importantes.

Ensuite, la tarification du carbone est le moyen le moins coûteux de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Toute autre politique permettant de réduire ces émissions coûtera davantage. Nous pourrions compter sur la réglementation, qui impose des réductions précises des émissions dans des secteurs ou des technologies particuliers, mais, à cause de leur rigidité, ces politiques coûtent plus cher que la tarification du carbone.

Nous pourrions subventionner sélectivement des technologies particulières pour inciter les entreprises et les ménages à les adopter. Là encore, ce sera plus coûteux et moins efficace. Cette méthode exige la sélection des technologies gagnantes et, habituellement, le subventionnement des entreprises et des particuliers qui les auraient quand même adoptées sans subventions, ce qui augmente les coûts de la mesure et en diminue l’efficacité relativement aux montants investis pour réduire les émissions.

L’expérience de la Colombie-Britannique porte à croire que la taxe sur le carbone, à 30 $ la tonne, a entraîné des coûts minimes pour l’économie. Nous n’avons observé aucune répercussion notable sur la croissance économique dans la province. Nos modélisations nous conduisent à penser que, même si la taxe s’élevait 100 $ la tonne d’ici 2027, elle ne réduirait le taux de croissance économique que d’un dixième de point de pourcentage, au pis, et qu’elle le réduirait beaucoup moins si on mettait utilement à contribution les recettes de la taxe, notamment pour alléger la fiscalité.

Sur ce point, l’agriculture n’est pas en reste. L’expérience de la Colombie-Britannique a fourni de bonnes données. D’après une analyse de quelques économistes de l’Université d’Ottawa, le secteur agricole n’avait pas souffert de la taxe sur le carbone de la Colombie-Britannique et l’exemption accordée aux serristes n’était peut-être pas justifiée et peut-être même inutile. En fait, il aurait été plus judicieux d’en appliquer le montant intégral à ces émissions aussi.

Permettez-moi de conclure par quelques exemples précis du secteur agricole. Notons que l’agriculture produit environ 10 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre du Canada. C’est une fraction importante. L’un des premiers principes de la conception de politiques de tarification du carbone, du point de vue économique, est qu’on s’en tire d’autant mieux que l’assiette est grande. Une incitation uniforme visant un grand nombre d’émissions permet de réduire davantage les émissions et à moindre coût. On saisit ainsi toutes les occasions de réaliser toutes les réductions à bas coût. C’est le premier et le plus important des principes de la politique de tarification du carbone.

Cela étant dit, il existe des raisons pratiques pour exempter certaines de ces sources agricoles de la tarification du carbone, et la principale réside dans le moyen de mesure. On qualifie de non ponctuelles, beaucoup de sources du secteur agricole — pratiques peu importantes et individuelles ou petits animaux de ferme. Il est difficile d’en mesurer les émissions. C’est exactement le contraire des émissions dues à l’emploi des combustibles fossiles, qui peuvent être corrélées précisément au volume et au type de combustible. Cette difficulté de mesure entraîne celle de l’inclusion des émissions dans le système de tarification. C’est l’une des raisons de l’exemption de ces sources par le projet de loi, mais aussi par les provinces déjà munies de systèmes de tarification.

Le système en vigueur exempte les combustibles et carburants employés sur l’exploitation agricole, comme le groupe précédent de témoins en a discuté, et, en conséquence, moins de 20 p. 100 des émissions de ce secteur sont visées par la tarification du carbone. Bref, le point de comparaison pour le secteur est déjà inférieur à ce qui serait économiquement optimal, toutes choses égales par ailleurs.

Dernière remarque sur le secteur agricole : la décision a été inhabituelle, parce que le secteur retire aussi certains avantages de la politique, sous la forme d’éventuelles compensations. Comme il est difficile d’intégrer directement toutes ces émissions agricoles dans le prix du carbone, la décision ouvre la porte à des politiques ou à des règlements complémentaires qui essaieront d’accéder à ces réductions des émissions ou à ces régimes de compensation, comme le projet de loi le propose et que certaines provinces ont employés.

Ce régime de compensation procure à l’agriculteur un éventuel avantage en liquidités qui, encore une fois, dilue le coût net de la politique pour cet acteur. En Alberta, le marché et les méthodes de compensation qui définissent des façons particulières de produire ces compensations et de les employer dans le système provincial de tarification présentent un bilan édifiant. Ces méthodes vont des protocoles de travail du sol à la gestion du fumier en passant par diverses autres pratiques. Le système est tout à fait robuste.

Je suis prêt à répondre à vos questions et à vous donner, au besoin, plus de précisions.

La présidente : Merci pour votre exposé.

La sénatrice Gagné : C’est tout à fait intéressant. Vous dites que même en portant la taxe sur le carbone à 100 $ la tonne, l’effet sur l’économie serait peut-être minime.

J’ai lu quelques autres articles — dont, malheureusement, je n’ai pas la source — selon lesquels, même si la taxe dépassait 30 puis 50 $, elle risquerait de provoquer une crise de l’économie. C’est votre système de modélisation. Vous avez publié ces rapports ou ces études. D’où tirez-vous vos faits par rapport à ceux d’autres économistes?

M. Beugin : Permettez-moi de les contextualiser par rapport à la publication, aujourd’hui, du rapport du directeur parlementaire du budget, et c’était une réédition du rapport. Le directeur parlementaire du budget utilise nos chiffres, il cite ceux de la Commission de l’écofiscalité du Canada. Nous avons eu des discussions directes avec lui, mais aussi par l’entremise des diverses pages d’opinions du magazine Maclean’s sur son estimation du coût à peut-être 10 milliards de dollars par année — qui, en fait, n’est pas si énorme par rapport à l’ensemble de l’économie. En fait, ça se situe dans la même fourchette que la nôtre. Cela dit, il a néanmoins employé le pire scénario de notre analyse pour le recyclage des recettes.

La méthode d’emploi et de recyclage des recettes dans l’économie a de profondes incidences. Du point de vue macroéconomique, la méthode la plus coûteuse pour la croissance économique consiste à utiliser absolument toutes les recettes pour émettre des chèques aux Canadiens. On pourrait accorder des rabais qui n’iraient pas à l’encontre de l’incitation. C’est une façon légitime de recycler les recettes, mais ça équivaudrait à remettre directement l’argent à la population.

L’Alberta procède ainsi pour la tarification du carbone, mais pas pour tous. Environ 60 p. 100 des ménages recevront un chèque trimestriel financé par les recettes. De la sorte, la croissance économique jusqu’en 2030 passe d’environ 2 p. 100 par année, sans cette politique, à environ 1,91 p. 100 en raison de cette politique. Elle a donc un coût négatif, mais pas élevé. Si, à la place, on employait les recettes pour alléger la fiscalité des entreprises ou les impôts sur le revenu personnel, les conséquences sur la croissance économique resteraient négatives, mais légères, presque négligeables.

La sénatrice Gagné : J’ai une autre question. Avez-vous l’impression que le consommateur réagit différemment aux taxes sur le carbone et aux fluctuations normales du prix de l’essence? Ces 5 ou 10 dernières années, les fluctuations ont été nombreuses. Est-ce que nous, les consommateurs, réagissons différemment?

M. Beugin : Non, d’après les faits. L’analyse statistique des réactions à la taxe de la Colombie-Britannique sur le carbone le confirme exactement; nous réagissons davantage au prix du carbone qu’aux fluctuations du prix de l’énergie. Cela peut s’expliquer en partie par la permanence du prix, on s’attend à ce qu’il reste constant plutôt que de présenter, comme le prix de l’énergie, des fluctuations incertaines dans l’avenir. Il se peut que jouent aussi des attentes de prix supérieurs pour l’avenir. Quand le particulier ou l’entreprise planifie ses investissements dans de nouveaux véhicules, de nouveaux fours ou du nouvel équipement agricole, il tient non seulement compte du prix actuel du carbone, mais, aussi, de celui qui sera en vigueur dans 5 et 10 ans. Ces attentes peuvent provoquer des modifications plus amples que seulement les prix supérieurs de l’énergie.

La sénatrice Gagné : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Beugin. Je suis un peu sceptique concernant les revenus que les taxes rapporteront aux Canadiens. Chaque fois qu’il y a une taxe, on a été tributaire de cette taxe. Vous dites que le modèle fonctionne dans des pays qui sont plus petits que le Canada et qui ont moins de diversité régionale.

De toute évidence, la taxe sur le carbone créera des inégalités régionales. Qu’est-ce que vous trouvez de si emballant dans cette mesure? On nous dit que la compétitivité au sein de nos entreprises agricoles sera atteinte par cette taxe. Qu’est-ce qui vous fait dire que cela fonctionnera?

[Traduction]

M. Beugin : Les économistes sont réputés pour s’emballer pour l’efficacité et des notions ennuyantes comme celle-là. Cela se ramène aux résultats dans l’atteinte des objectifs que nous nous sommes fixés et à la contribution aux réductions des émissions de la planète.

Je pense que les Canadiens ne veulent pas être des bénéficiaires sans contrepartie. Ils ne veulent pas rester oisifs pendant que le reste du monde se démène pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ils veulent réduire leurs propres émissions aussi, mais je pense que, en même temps, ils veulent le faire au coût le plus bas.

Il existe d’autres façons de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Notre pays pourrait choisir de réglementer des secteurs particuliers, même dans des régions particulières. Non seulement ce serait plus coûteux pour l’économie et ça toucherait davantage la croissance économique, mais, également, cela exigerait de faire des choix, quelque peu arbitraires, sur les objectifs de la politique à l’égard de certains secteurs et de certaines régions.

Le prix du carbone n’exige pas de renseignements du gouvernement. Il n’exige effectivement pas d’évaluation, par nos fonctionnaires, de l’endroit où les émissions, au coût le plus bas, se trouvent ni de quelle région du pays devraient provenir les réductions d’émissions. À la place, la tarification fixe un prix uniforme, qui frappe de façon aussi générale que possible toutes les émissions et qui laisse les marchés faire ce travail pour nous. Il laisse le marché réagir et déterminer à quel endroit se trouve le coût le plus bas. Dans les cercles que je fréquente, cela soulève l’excitation.

[Français]

Le sénateur Dagenais : On dit que cette taxe sera accompagnée de mesures compensatoires. À votre avis, ne serait-il pas normal de connaître ces mesures avant de voter en blanc pour une taxe? On veut imposer une taxe, mais on ne connaît absolument rien des mesures compensatoires. J’aimerais que le gouvernement nous rassure en énonçant clairement les mesures compensatoires. On entend beaucoup de choses à ce sujet, par contre, on n’entend jamais parler concrètement des mesures compensatoires. Trouvez-vous cela normal?

[Traduction]

M. Beugin : C’est certainement un argument intéressant. Dans un souci de clarté, entendez-vous, par « mesures compensatoires », des choix exercés dans l’emploi et le recyclage des recettes?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Une mesure compensatoire serait, par exemple, de dire aux agriculteurs qu’on met en œuvre une taxe sur le carbone, mais qu’ils n’ont pas à s’inquiéter, car on va reconnaître leurs efforts et que, si cela nécessite un investissement supplémentaire pour leurs équipements, on va les aider. Actuellement, on n’a pas dit comment on les aiderait. Ils sont dans l’expectative, ils attendent de voir s’ils pourraient recevoir des mesures compensatoires, mais, concrètement, ils ne savent pas s’ils vont avoir un remboursement sur le diesel ou autre. Il me semble que ce n’est pas normal.

[Traduction]

M. Beugin : Le fédéralisme est un contexte intéressant pour la tarification du carbone et il a conduit le Canada à une solution inhabituelle et quelque peu délicate. Le projet de loi que vous étudiez laisse de façon très délibérée le choix de la méthode de recyclage des recettes aux provinces, ce qui entraîne deux avantages majeurs et importants.

D’une part, on s’assure ainsi de ne pas redistribuer entre les provinces les recettes. Les recettes produites en Alberta ne seront pas recyclées en Ontario. Ce problème a été qualifié de rédhibitoire dans les propositions antérieures de tarification du carbone discutées dans notre pays. Je pense qu’en l’évitant on désamorce certains conflits interprovinciaux importants.

Ensuite, on permet aux provinces de personnaliser leurs méthodes de recyclage des recettes et de soutien au revenu en les adaptant au maximum au contexte.

Les provinces sont très différentes par le profil de leurs émissions, leurs ménages et les taux et tranches d’imposition, leurs secteurs d’activité prédominants et les plus forts. En laissant le choix de la méthode de recyclage à la province, on lui permet de choisir celle qui est le mieux adaptée à sa situation, à ses propres problèmes, tout en assurant au carbone un prix à peu près égal dans tout le pays. C’est là qu’entre encore en jeu l’efficacité, que nous obtenons les réductions les moins coûteuses, grâce à une tarification égale dans tout le pays.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous dites que c’est un avantage, parce qu’on va donner la chance aux provinces de personnaliser cette taxe. Que pensez-vous des provinces qui vont refuser, non seulement de personnaliser la taxe, mais d’en créer une? Dans le cas, par exemple, des élections en Ontario, si un gouvernement conservateur est élu, il est clair qu’il va abolir la taxe sur le carbone. On ne peut pas personnaliser quelque chose qui ne sera pas imposé.

[Traduction]

M. Beugin : Les gouvernements de l’Ontario et d’autres provinces auront eu leur chance de proposer des solutions viables équivalentes au filet de sécurité fédéral. Ils ont aussi le choix de s’en abstenir.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je pense que j’ai épuisé le temps qui m’était imparti. Je vais m’arrêter là. Merci, monsieur Beugin.

[Traduction]

La présidente : J’ai une question. Vous avez dit que les serristes de la Colombie-Britannique auraient pu très bien s’en tirer sans l’exemption accordée par cette province dont ils profitent maintenant. Pourriez-vous en dire un peu plus à ce sujet?

M. Beugin : Cette affirmation ne découle pas de mon analyse. C’est tiré d’un article publié il y a trois ans par Brandon Schaufele et Nic Rivers, et je suis heureux de communiquer cet article à votre greffier.

La présidente : Pourriez-vous le faire rapidement? Vous êtes notre dernier témoin.

M. Beugin : Sans délai.

Essentiellement, cette étude a comparé les résultats, en Colombie-Britannique, où la taxe sur le carbone était en vigueur, aux résultats éventuels dans d’autres provinces, où elle n’était pas en vigueur. C’est donc une expérience avec témoin que les économistes aiment employer pour évaluer et isoler les effets d’une politique particulière. Comme la Colombie-Britannique était la seule dans son groupe, on a pu analyser les différences.

Cela dit, le résultat était quelque peu inintéressant pour les chercheurs. Il n’a pas permis de déterminer que la taxe de la Colombie-Britannique sur le carbone avait touché le commerce de produits agricoles ni modifié fortement la croissance économique de ces secteurs.

La présidente : C’est intéressant. Merci de votre patience, de votre exposé et de votre témoignage.

M. Beugin : Je vous en prie.

(La séance est levée.)

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