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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 56 - Témoignages du 2 octobre 2018


OTTAWA, le mardi 2 octobre 2018

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 18 h 1, pour étudier la manière dont le secteur alimentaire à valeur ajoutée peut être plus compétitif sur les marchés globaux (sujet : Programme des travailleurs étrangers temporaires).

La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je constate que nous avons le quorum. Je déclare donc la séance ouverte.

Je suis la sénatrice Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard, et je suis présidente du comité. Je demanderais aux sénateurs de se présenter.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je suis le sénateur Maltais, du Québec.

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur R. Black : Robert Black, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.

La présidente : Aujourd’hui, les membres du comité entendront parler du Programme des travailleurs étrangers temporaires. En effet, cet enjeu a fréquemment été mentionné dans le cadre de notre étude sur la manière dont le secteur alimentaire à valeur ajoutée peut être plus compétitif sur les marchés globaux.

Nous sommes très heureux d’accueillir deux groupes de témoins aujourd’hui et deux autres groupes, jeudi pour discuter du dossier des travailleurs étrangers temporaires.

Ce programme permet aux employeurs canadiens d’embaucher des ressortissants étrangers pour combler des pénuries de main-d’œuvre et de compétences temporaires lorsqu’aucun Canadien ou résident permanent qualifié ne peut occuper le poste.

Le nombre de participants est digne de mention. Entre 2005 et 2009, plus de 50 000 travailleurs sont venus au Canada dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires, ou PTET.

Dans notre premier groupe de témoins, du Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture, nous accueillons Mary Robinson, présidente, et Portia MacDonald-Dewhirst, directrice exécutive. Nous accueillons également Derek Johnstone, adjoint spécial au président national, de Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce Canada.

Mesdames et messieurs, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation à comparaître devant le comité. Nous entendrons d’abord l’exposé de M. Johnstone et nous entendrons ensuite les autres témoins. Après les exposés, nous aurons sûrement de nombreuses questions à vous poser.

Derek Johnstone, adjoint spécial au président national, Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce Canada : Au nom de Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce Canada, ou TUAC, j’aimerais remercier votre comité de me donner l’occasion de vous communiquer notre point de vue aujourd’hui. J’aimerais également remercier les membres du comité du travail pour ce qu’ils accomplissent sur cet enjeu important. Avant de formuler des commentaires, j’aimerais dire quelques mots sur notre organisme.

TUAC est la voix des travailleurs de l’alimentation au Canada. Nous sommes l’un des plus gros syndicats du Canada. Nous sommes fiers et privilégiés de représenter plus d’un quart de million de travailleurs dévoués d’un bout à l’autre du Canada. Environ 80 p. 100 de nos membres travaillent dans des secteurs liés à l’alimentation. Comme nous aimons le dire, il y a des membres de TUAC à toutes les étapes de la chaîne alimentaire, du champ à l’assiette. Nous sommes très fiers de compter, parmi nos membres, plus de 40 000 travailleurs de la transformation d’aliments qui contribuent directement à l’existence du secteur à valeur ajoutée.

Le message principal que nous voulons vous communiquer aujourd’hui, c’est que l’industrie de la transformation des aliments du Canada est une composante essentielle de la chaîne alimentaire. Nous aimons certainement entendre qu’on projette d’agrandir ce secteur, mais cet objectif repose sur l’existence d’un solide secteur agricole primaire. Même s’il ne fait aucun doute que le Canada est une source importante de production alimentaire et que nous avons visiblement l’occasion de renforcer notre rôle de chef de file dans le secteur alimentaire à l’échelle mondiale, nous sommes ici pour souligner que la réalisation de cet objectif dépendra de la stabilité de l’offre de la main-d’œuvre.

Actuellement, il est de plus en plus difficile, pour les producteurs et les transformateurs du système agroalimentaire canadien, de trouver la main-d’œuvre nécessaire pour répondre aux besoins en matière de production. Certains d’entre eux affirment que le problème a atteint un niveau critique. De nombreux groupes d’employeurs disent que c’est parce que le travail est difficile dans le secteur agroalimentaire, et ils ont certainement raison. Ils disent aussi que c’est parce que c’est un travail salissant. Si vous avez déjà visité une champignonnière ou passé du temps dans un champ, vous devez admettre qu’ils ont certainement raison.

Toutefois, ils diront aussi que c’est parce que les Canadiens ne veulent pas occuper ces emplois, et c’est le point avec lequel les membres de TUAC ne sont pas nécessairement d’accord. Les métiers de la construction sont difficiles et un grand nombre d’autres métiers exigent du « travail salissant », mais ils ne semblent pas éprouver les mêmes difficultés pour attirer des travailleurs canadiens. Il ne fait certainement aucun doute qu’il y a beaucoup plus de travailleurs étrangers temporaires dans le secteur agricole que dans l’industrie de la construction.

Nous croyons qu’il existe plusieurs problèmes importants qui empêchent le secteur agroalimentaire d’attirer des travailleurs canadiens ou qui lui nuisent à cet égard.

Tout d’abord, il y a le maintien de l’exclusion des travailleurs agricoles de la Loi sur les relations de travail en Ontario. Les Canadiens sont toujours très étonnés d’apprendre que les travailleurs au cœur du secteur agricole canadien n’ont pas le droit de se syndiquer. Au cours des dernières années, la communauté internationale a d’ailleurs réprimandé notre pays à cet égard. En particulier lorsque l’OIT et les Nations Unies ont examiné la situation et déclaré le Canada coupable de violation au droit international du travail.

Qui veut travailler dans un secteur sale, dangereux et difficile sans avoir les mêmes droits que les autres travailleurs? Qui veut travailler dans un secteur où les gens ne profitaient pas de droits fondamentaux en matière de santé et de sécurité en Ontario avant 2006? Comme nous le savons, la réponse est très peu de Canadiens.

Nous sommes actuellement dans une situation dans laquelle plus de 35 000 immigrants arrivent au Canada chaque année pour combler les pénuries de main-d’œuvre qui s’accentuent toujours dans le secteur agroalimentaire. Il est important de souligner que la plupart de ces immigrants viennent de pays en développement où la corruption est souvent endémique, et où la primauté du droit et la notion des droits de la personne ne sont pas aussi développées qu’ici, au Canada.

Cela produit donc l’une des populations de travailleurs les plus vulnérables au pays. Ces gens ne connaissent absolument pas leurs droits. Même s’ils les connaissaient, ils auraient de bonnes raisons de ne pas les faire respecter. Ces travailleurs exploités deviennent plutôt clandestins. Nous aidons donc de plus en plus de travailleurs qui sont déclarés victimes de la traite de personnes.

C’est, en grande partie, parce que les travailleurs migrants viennent au Canada avec un permis de travail associé à un emploi donné. C’est entièrement une question de chance. Les travailleurs qui se retrouvent avec un employeur irresponsable ont l’impression de devoir choisir entre seulement deux options. Ils peuvent serrer les dents et accepter leurs conditions ou ils peuvent devenir des travailleurs clandestins dans l’économie du travail au noir. Lorsqu’ils choisissent la deuxième option, ils deviennent entièrement vulnérables et extrêmement susceptibles à l’exploitation.

À titre de voix des travailleurs de l’alimentation du Canada, nous remercions encore une fois le comité d’entreprendre ce travail très important. Nous appuyons fortement l’adoption d’une politique qui fait progresser la production à valeur ajoutée au Canada tout en respectant entièrement les droits des travailleurs. Nous tenons à répéter qu’un secteur à valeur ajoutée solide se fonde sur une base d’agriculture primaire solide. Le fondement de cette fondation est une main-d’œuvre stable et productive.

À cette fin, nous demandons au gouvernement fédéral d’exhorter les provinces à veiller à ce que le droit à la négociation collective soit accordé à tous les travailleurs de la chaîne alimentaire. Nous recommandons également l’élargissement du Programme des candidats des provinces ou une mesure semblable pour veiller à ce qu’un plus grand nombre de travailleurs du système agroalimentaire qui arrivent ici à titre de travailleurs étrangers temporaires aient un accès réaliste à la citoyenneté. Nous avons de nombreux exemples qui prouvent que ce modèle a bien réussi dans le secteur des viandes et qu’il peut être tout aussi avantageux pour l’industrie agroalimentaire.

Entre-temps, le PTET doit, de toute urgence, se doter des mesures de protection nécessaires pour prévenir l’abus et l’exploitation des travailleurs migrants dans le secteur agroalimentaire. Nous exhortons les membres de votre comité à se joindre à TUAC pour demander à ce que les permis de travail ouverts et une formation obligatoire fassent partie intégrante de ce programme, ce qui signifierait que tous les migrants recevraient une formation approuvée par le gouvernement sur les droits de la personne, sur la santé et la sécurité et sur d’autres sujets fondamentaux.

J’aimerais également ajouter que TUAC a participé activement à l’examen du Programme des travailleurs étrangers temporaires lié au volet de l’agriculture primaire. J’ai pensé que les membres du comité aimeraient recevoir un exemplaire de notre mémoire dans le cadre de ce processus, et j’en ai donc laissé quelques-uns au greffier.

C’est ce qui conclut mon exposé. J’ai hâte de répondre à vos questions. Merci.

Portia MacDonald-Dewhirst, directrice exécutive, Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture : Nous vous remercions de nous donner l’occasion de participer à cette importante étude. Nous sommes heureuses d’être ici.

Notre exposé sera axé sur les pénuries de main-d’œuvre, sur les travailleurs étrangers temporaires et sur l’immigration à l’appui de la croissance de l’industrie dans un secteur qui présente un énorme potentiel.

Nous avons préparé une présentation, et je vous invite donc à regarder les diapositives et les photos pendant notre exposé.

Au Canada, nous avons l’avantage de profiter des avantages d’un système agroalimentaire abondant, sain, sécuritaire et abordable. Ce système nourrit 36 millions de Canadiens et comme il occupe le cinquième rang des plus grands exportateurs, il nourrit de nombreuses personnes à l’échelle mondiale. C’est une industrie importante pour notre pays, non seulement pour l’alimentation, mais également parce que l’industrie agroalimentaire, notre chaîne de valeur, emploie 2,3 millions de Canadiens et est l’un des moteurs principaux de notre économie nationale et de nos économies provinciales. La demande pour les produits canadiens est élevée à l’échelle nationale et sur la scène internationale. Actuellement, nous exportons la plus grande partie de notre production de bœuf, de porc, de soya, de blé, de canola et de légumineuses.

On s’attend à ce que cette industrie connaisse une croissance considérable, comme l’ont rapporté le Conference Board du Canada, le Conseil consultatif en matière de croissance économique, la Table sectorielle de stratégies économiques sur l’agriculture et l’agroalimentaire, ainsi que les budgets provinciaux et le budget fédéral. En fait, notre gouvernement s’attend à augmenter de 19 milliards de dollars les cibles en matière d’exportation dans le secteur agroalimentaire au cours des 10 prochaines années.

Toutefois, l’industrie agroalimentaire compte sur les gens, les exploitations agricoles et les entreprises agroalimentaires, ainsi que sur les travailleurs, pour planter, cultiver, récolter, préparer et emballer ses produits. Malheureusement, le secteur de la production agricole et agroalimentaire a de la difficulté à trouver suffisamment de travailleurs, ce qui signifie que son avenir est en péril.

Selon nos recherches, en 2004, il manquait 30 000 travailleurs dans l’industrie agricole. Environ 10 ans plus tard, ce nombre a doublé pour atteindre 59 000 travailleurs, et on s’attend visiblement à ce que ce chiffre double à nouveau au cours des 10 prochaines années, pour atteindre 114 000 travailleurs en 2025. Le taux d’emplois vacants sur les exploitations agricoles a atteint un sommet exceptionnel de 7 p. 100, tandis que la moyenne nationale est de seulement 2,8 p. 100. Le taux d’emplois vacants est encore plus élevé dans les champignonnières, à 9,7 p. 100, tout comme les emplois vacants dans les usines de transformation de la viande, car près de 1 700 stations de boucher sont vides un peu partout au Canada.

Ces emplois vacants coûtent 1,5 milliard de dollars par année à l’industrie agricole et ils sont toujours vacants malgré les efforts intensifs déployés par les propriétaires d’entreprises pour recruter et attirer des travailleurs. Ce qui est particulièrement troublant, ce que l’incapacité de remplir les emplois vacants entraîne le ralentissement ou l’annulation des projets d’agrandissement des grandes entreprises agroalimentaires axées sur la croissance.

Les conclusions de nos recherches se trouvent dans des rapports nationaux et provinciaux, ainsi que dans des rapports sur les produits de base auxquels vous pouvez avoir accès. En effet, vous pouvez avoir gratuitement accès à ces rapports sur notre site web.

Les conclusions de ces recherches sont claires. Les pénuries de main-d’œuvre touchent tous les produits, toutes les régions du Canada et les entreprises de toutes tailles, ainsi que les emplois à l’année et saisonniers, malgré le temps et les efforts intensifs déployés pour recruter des travailleurs.

Même si l’industrie accueille près de 45 000 travailleurs étrangers temporaires chaque année — 35 000 travailleurs dans des emplois indirects et 10 000 travailleurs dans le secteur agroalimentaire —, cela représente seulement 12 p. 100 de la main-d’œuvre agroalimentaire et pourvoit de nombreux emplois canadiens. L’industrie est toujours confrontée à une pénurie grave qui s’accroît d’une année à l’autre.

Le Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture, CCRHA, recueille des données sur le marché du travail, afin de suivre la pénurie croissante de main-d’œuvre et ses répercussions. De nouvelles recherches sont en cours, et nous devrions avoir les résultats au milieu de l’année 2019.

Après des années de recherches approfondies et de consultations auprès de l’industrie, le CCRHA a déterminé que l’incapacité de pourvoir des emplois vacants représente le risque opérationnel le plus important pour les agriculteurs et les producteurs d’aliments du Canada. Lorsqu’elles ne sont pas en mesure de pourvoir les postes les plus importants, les entreprises agricoles sont en difficulté, car ces pénuries de main-d’œuvre ont des répercussions sur leur production, leurs ventes, leur compétitivité et certainement leur croissance. Les agriculteurs renoncent à planter tous leurs champs et évitent les cultures qui demandent beaucoup de travail.

Les agriculteurs et les producteurs d’aliments sont obligés de jeter de la nourriture, car ils n’ont pas assez de travailleurs pour récolter et transformer leurs produits. Ils ne sont pas en mesure de remplir les commandes. Ils ne sont pas en mesure d’effectuer la transformation à valeur ajoutée, et ils envoient donc des matières premières et des occasions d’affaires aux États-Unis et dans d’autres pays. Ils ne peuvent pas profiter des possibilités qui s’offrent sur de nouveaux marchés. Ils renoncent à leurs plans d’agrandissement et décident de prendre leur retraite plus tôt et de quitter le secteur agroalimentaire.

Actuellement, la durabilité est à risque. La croissance de l’industrie est aussi extrêmement à risque. Ces risques doivent être reconnus et réduits de façon intentionnelle et stratégique.

J’aimerais inviter Mary Robinson, présidente de notre Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture, à terminer l’exposé du CCRHA. Mme Robinson est également copropriétaire de plusieurs entreprises agroalimentaires sur l’Île-du-Prince-Édouard. Elle est aussi directrice de nombreuses associations dans l’industrie agricole et agroalimentaire. De plus, elle est membre du groupe de travail national sur la main-d’œuvre dans l’industrie agricole et agroalimentaire du Canada.

Mary Robinson, présidente, Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture : Merci beaucoup de l’invitation à comparaître. C’est un honneur de vous parler aujourd’hui.

La résolution des défis liés à la main-d’œuvre dans le secteur agroalimentaire doit devenir un objectif fondamental du gouvernement du Canada. En effet, la croissance et le maintien de la main-d’œuvre du secteur agroalimentaire sont essentiels pour réaliser les priorités visant à augmenter les cibles d’exportation et à agrandir l’industrie agroalimentaire au Canada. Ces priorités ne peuvent pas être pleinement réalisées sans d’abord évaluer les pénuries existantes et croissantes de main-d’œuvre dans le secteur agroalimentaire.

Plusieurs dirigeants de l’industrie ont participé aux tables rondes de la chaîne de valeur du Canada pour créer un groupe de travail national sur la main-d’œuvre au Canada. Avec l’appui du CCRHA, ils ont mené des recherches et recueilli les renseignements nécessaires pour élaborer un Plan d’action canadien sur la main-d’œuvre agricole et agroalimentaire. Ce plan est appuyé par plus de 85 organisations de l’industrie, municipalités et tables rondes de la chaîne de valeur.

Le Plan d’action sur la main-d’œuvre insiste sur l’importance des recherches continues sur l’IMT menées par le CCRHA afin de suivre les besoins en matière de main-d’œuvre. Le plan présente également deux priorités générales pour veiller à ce que l’industrie demeure viable et concurrentielle.

La première priorité consiste à accroître le bassin de main-d’œuvre de travailleurs nationaux et internationaux. La deuxième vise à améliorer les connaissances et les compétences des travailleurs.

La Table sectorielle de stratégies économiques sur l’agroalimentaire du Canada a formulé des recommandations qui cadrent avec le Plan d’action sur la main-d’œuvre, afin d’appuyer la capacité du secteur de planifier, de former, d’attirer et de retenir le capital humain, de moderniser les programmes d’immigration et de travailleurs étrangers temporaires du Canada, et d’appuyer une plus grande participation des groupes sous-représentés. De plus, les intervenants de cette table recommandent la création d’un centre de collaboration sur les compétences et les talents, tel le CCRHA, afin de favoriser la réussite.

Par l’entremise de ces recommandations et de ces plans, les dirigeants de l’industrie ont clairement exprimé la nécessité de s’attaquer aux problèmes liés à la main-d’œuvre. Cela signifie qu’il faut préciser les possibilités de travail stimulantes que l’industrie peut offrir aux Canadiens qui cherchent un emploi, améliorer la diversité dans le secteur, appuyer les employeurs par l’entremise d’outils et de pratiques exemplaires en matière de gestion du personnel, assurer un accès approprié aux travailleurs lorsque des Canadiens ne peuvent pas être recrutés, et améliorer les options en matière d’immigration.

Si nous souhaitons que cette industrie soit prospère, nous devons accroître la main-d’œuvre agroalimentaire et veiller à ce qu’elle soit pourvue avec les gens les plus compétents, qui sont prêts à favoriser l’innovation et la réussite.

Les réussites de l’industrie en matière de diversité devraient être soulignées. Je crois que nous sommes maintenant à la 16e diapositive, pour les gens qui suivent la présentation, et nous avons des photos de quelques personnes.

L’une de ces personnes est un transformateur de viande de l’Alberta qui déploie des stratégies de recrutement ambitieuses pour embaucher des Canadiens, notamment une publicité continue et une collaboration avec les organismes d’aide à l’établissement, tout en offrant un soutien important aux travailleurs étrangers temporaires. Leur main-d’œuvre intègre des Canadiens, des nouveaux immigrants et des travailleurs étrangers temporaires qui viennent de 100 pays différents et qui parlent 66 langues différentes.

Il est important de reconnaître la valeur des travailleurs étrangers invités au Canada pour aider l’industrie à prospérer ainsi que de les célébrer. Ils forment un élément essentiel du succès de l’industrie agroalimentaire, et ce, depuis plus de 50 ans. De nombreux travailleurs étrangers reviennent année après année, parfois pendant plus de 30 ans, grâce au Programme des travailleurs agricoles saisonniers, afin d’aider les producteurs canadiens d’aliments, et ils utilisent ce qu’ils gagnent pour soutenir leurs familles dans leur pays. C’est hautement prioritaire, et cela garantit que l’industrie agroalimentaire a accès à des travailleurs étrangers quand il n’y a pas de Canadiens pour faire le travail.

La Table sectorielle de stratégies économiques sur l’agroalimentaire reconnaît que le secteur a, en ce moment, un accès restreint aux travailleurs étrangers et recommande la modernisation du programme. La recherche réalisée par le CCRHA étaye les difficultés accrues auxquelles les employeurs du secteur agroalimentaire font face quand ils veulent avoir les travailleurs qu’il leur faut au moment opportun avec le Programme des travailleurs étrangers temporaires.

Les cas de plus en plus fréquents de retards dans le traitement des demandes et de refus des demandes d’entreprises qui déclarent chercher des travailleurs afin d’accroître leurs activités sont particulièrement troublants. On a récemment mis sur pied un nouveau groupe de travail sur la prestation des services qui doit s’attaquer aux problèmes à court terme, mais il faut en faire plus, dans ce domaine critique, pour améliorer la capacité des entreprises de pourvoir les postes sans tarder et ainsi éviter les pertes et tout ce qui entrave leur croissance.

Il est aussi essentiel d’offrir des voies d’accès à la résidence permanente aux travailleurs étrangers qui occupent des emplois à l’année et qui souhaitent immigrer. Il est sensé de recycler les talents formés au Canada quand il est impossible de trouver des travailleurs. Cependant, les voies d’accès à l’immigration sont limitées, en ce moment, pour les travailleurs peu spécialisés.

Les voies d’accès demeurent limitées, même si les postes vacants sont très nombreux dans l’industrie, que les salaires sont concurrentiels et que les taux de maintien en poste sont élevés pour ces travailleurs.

De concert avec le Conseil des viandes du Canada et Mushrooms Canada, le CCRHA a mené une étude approfondie sur les emplois dans les boucheries et les exploitations agricoles, se penchant sur les postes vacants et les besoins des travailleurs étrangers temporaires en matière d’immigration. Cette recherche montre que les bouchers des usines de transformation des viandes y restent en moyenne pendant 10 ans, et que les travailleurs des exploitations champignonnières y demeurent en moyenne pendant 11 ans.

Il y a en ce moment 900 travailleurs étrangers temporaires qui sont bouchers, comme Ronald, à Breslau, en Ontario, et 700 travailleurs agricoles, comme Eric, à Ashburn, en Ontario, qui aimeraient conserver leurs postes et qui sont à la recherche d’options d’immigration. Malheureusement, ils ne sont pas admissibles à la plupart des programmes fédéraux ou provinciaux, mis à part le programme manitobain, étant donné que le Canada accorde la priorité aux travailleurs hautement qualifiés.

Ronald et Eric sont des travailleurs qui possèdent de l’expérience et des compétences dans l’agroalimentaire et qui cherchent une façon de demeurer dans le Canada rural, où ils sont valorisés par leur collectivité et par leur employeur. Ces durs travailleurs du secteur agroalimentaire sont le fondement de ce qu’est le Canada, et leurs postes ne pourront être pourvus s’ils partent, mais il n’y a pas d’option claire qui leur permettrait d’immigrer au Canada.

C’est une situation extrêmement frustrante pour les travailleurs. C’est aussi extrêmement frustrant pour les propriétaires d’entreprises agroalimentaires, parce qu’elles risquent de subir des pertes et que cela limite leurs chances de succès et leur croissance.

Il faut sans tarder faire le nécessaire pour aider les entreprises agricoles et agroalimentaires à prospérer. Compte tenu de pertes de revenus dans les milliards de dollars par année et de la perspective des pénuries de main-d’œuvre qui vont doubler, il est important de poursuivre la recherche et de concentrer l’attention sur ces enjeux. La recherche démontre clairement que pour améliorer la compétitivité et favoriser l’expansion de l’industrie, il va falloir porter une attention particulière aux pénuries de travailleurs, aux travailleurs étrangers temporaires et à l’immigration.

Le Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture facilite la collaboration entre les intervenants des gouvernements et de l’industrie, et continue de fournir des renseignements à jour sur le marché du travail et d’offrir son soutien concernant les questions de main-d’œuvre. Il est essentiel de poursuivre la recherche et les activités de collaboration pour résoudre la question des très nombreux postes vacants dans l’industrie et du stress que ces postes vacants causent aux entreprises. Il faut des investissements stratégiques et des mesures coordonnées pour que l’industrie puisse être durable et pour que le système agroalimentaire puisse espérer croître.

La présidente : Je vous remercie de votre exposé. J’ai une question, avant que nous passions aux autres intervenants. Vous déclarez que les postes vacants coûtent à l’industrie 1,5 milliard de dollars. Sur combien de temps est-ce? Et qu’est-ce qui compose ce montant de 1,5 milliard? Est-ce les heures supplémentaires payées aux autres travailleurs? Est-ce les occasions perdues? De quoi s’agit-il exactement?

Mme Robinson : Le montant de 1,5 milliard de dollars est le résultat obtenu la première année où cela a été mesuré, soit en 2014. Il a grimpé, depuis 2014. Si je comprends bien, c’est strictement le montant des pertes de production primaire causées par les postes vacants. Ce serait donc tout ce que vous avez mentionné, sénatrice, comme l’incapacité de planter, d’entretenir, de récolter, d’emballer, d’expédier, tous les...

La présidente : Ce sont donc les occasions manquées et une part de travail supplémentaire.

Mme Robinson : Ce sont les ventes perdues.

La présidente : C’est beaucoup d’argent.

Mme Robinson : C’était en 2014.

La présidente : C’est pour une année seulement?

Mme Robinson : Quand vous regardez la trajectoire relative aux postes vacants, compte tenu de l’accroissement de l’écart et du nombre accru de postes vacants, nous pourrions assurément conclure que les pertes sont supérieures maintenant à ce qu’elles étaient en 2014.

La présidente : Bien.

[Français]

Le sénateur Maltais : J’ai deux questions très rapides. Monsieur Johnstone, vous représentez un syndicat très important partout au Canada. Avez-vous fait des recherches pour savoir pourquoi il y a aujourd’hui un manque flagrant de main-d’œuvre?

[Traduction]

M. Johnstone : C’est une bonne question. Nos études sont pour la plupart de nature empirique, mais il y a de nombreuses anecdotes sur cette question.

Nous avons eu des commentaires du secteur des viandes, et je serai honnête avec vous. Quand on regarde le domaine agroalimentaire, de la production primaire au traitement secondaire et que l’on compare cela avec le secteur des viandes, c’est comme un conte de deux villes.

Le secteur des viandes est une industrie qui a une longue tradition de forte syndicalisation dans tous les grands marchés du Québec, du Manitoba et de l’Ontario, certainement. Par conséquent, nous avons des relations très matures et bien établies avec les employeurs. Nous nous sommes en fait associés avec certains des plus importants transformateurs de viande au pays afin de nous attaquer aux problèmes.

Nous avons entendu parler d’une voie d’accès juste à la citoyenneté pour les migrants. C’est une réalité du secteur des viandes. Dans le cadre des conventions des TUAC avec tous les grands transformateurs, nous avons pu négocier un libellé qui prévoit que l’employeur peut être candidat au Programme des candidats des provinces. Ainsi, des centaines et même des milliers de travailleurs étrangers temporaires ont pu devenir des citoyens canadiens. C’est une expérience complètement différente du côté agricole, car ils n’ont pas le droit d’adhérer au syndicat.

Cela étant dit, nous avons un certain nombre de centres où les travailleurs agricoles peuvent venir et nous faire part de leurs problèmes. Ce serait la nature des anecdotes que nous entendons. L’expérience est totalement différente dans le secteur des viandes, parce que nous les représentons grâce au processus de négociation collective.

[Français]

Le sénateur Maltais : On n’avait pas prévu qu’il manquerait de main-d’œuvre avec la croissance des agriculteurs qui fournissent aux transformateurs. Les deux sont corollaires. Si l’agriculteur n’a pas de main-d’œuvre, il n’a pas de matériel à fournir au transformateur. Si le transformateur n’a pas de main-d’œuvre, il faut transformer ce que l’agriculteur produit et cela revient au même.

J’ai une question concernant le choix des travailleurs temporaires. Tout le monde dit qu’on manque de bouchers. J’imagine que c’est la même chose dans d’autres secteurs de transformation. Lorsqu’une entreprise fait une demande pour engager des travailleurs étrangers temporaires, selon la formule actuelle, peut-elle préciser qu’elle a besoin de 50 travailleurs, dont 15 bouchers, 3 ou 5 chauffeurs de chariots élévateurs et d’ouvriers non spécialisés?

[Traduction]

M. Johnstone : Quand vous parlez du secteur des viandes, ce n’est certainement pas quelques-uns ici et là. Ils embauchent en masse et font venir de très nombreux travailleurs étrangers temporaires dans le cadre d’ententes de deux ans.

Pour ce qui est de compétences particulières, leur grande priorité est d’avoir des gens qui ont de l’expérience dans la coupe de viande. Certains grands transformateurs ne prendront que des migrants qui possèdent cette expérience.

Mes collègues pourraient certainement parler de cela, mais la demande de main-d’œuvre est si forte qu’ils ne vont pas tenir mordicus à cette expérience. Nous parlons habituellement de très grands nombres de travailleurs qui sont amenés ici à la fois.

Mme MacDonald-Dewhirst : En effet, la pénurie de main-d’œuvre est telle que, souvent, il faut de nombreux travailleurs différents. C’est inclus dans l’étude d’impact sur le marché du travail, l’EIMT, présentée pour un poste, mais c’est propre à un poste. Les employeurs indiquent le type de travailleur qu’ils cherchent.

La sénatrice Ataullahjan : Nous avons entendu parler des pénuries dans les entreprises de transformation et les entreprises agricoles. Comment pouvons-nous attirer les jeunes? Comment pouvons-nous faire en sorte que ce soit plus attrayant ou, oserai-je le dire, plus sexy pour les jeunes?

Aucun jeune à qui j’ai parlé ne m’a dit : « Oui, je m’oriente vers la transformation alimentaire ou vers l’agriculture. » Qu’est-ce que nous pouvons faire pour que plus de jeunes Canadiens s’intéressent à ces domaines?

M. Johnstone : Il y a deux façons de voir cela. Du côté de la population active canadienne, il ne faut pas se leurrer : il y a des problèmes de perception. Les jeunes ne voient pas le secteur comme étant très prestigieux.

Comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, il y a une part de légitimité à cette perception. Il y a d’excellents employeurs dans le secteur agroalimentaire. Il y a de très nombreux employeurs formidables et très responsables, mais il y a aussi des pommes pourries, qui ont beaucoup contribué à la mauvaise impression que les gens ont du programme.

Un de mes collègues a fait beaucoup de recherche sur ce sujet. Il y a un thème commun, et c’est la notion d’appartenance à la collectivité, du point de vue des travailleurs étrangers temporaires qui ont la chance d’obtenir la résidence permanente et de demeurer dans ces endroits. Soyons honnêtes, ce travail se trouve surtout dans les régions rurales. Les endroits où l’on réussit à avoir des taux élevés de maintien en poste et de faibles taux de roulement sont les endroits où l’on a créé un sentiment d’appartenance à la collectivité.

J’ai vu cela aux endroits où les TUAC représentent des travailleurs, par exemple, à Brooks, en Alberta. Il y a là de solides communautés ethniques. Bien franchement, le syndicat a joué un rôle important pour ce qui est d’aider à établir un sentiment d’appartenance à la collectivité.

À Brandon, au Manitoba, il est venu de nombreux travailleurs étrangers temporaires d’Ukraine. J’ai parlé à un de nos membres, qui m’a dit : « Quand je suis arrivé ici, tout ce que j’avais, c’était mon église et mon syndicat. » Grâce au soutien de son syndicat, il a pu obtenir la résidence permanente. Ses liens avec la collectivité se sont resserrés avec le temps. Il a maintenant la citoyenneté. Il peut travailler n’importe où, mais il est resté là.

La collectivité est un facteur très important. La recette secrète réside dans tout ce que peuvent faire le gouvernement, les employeurs et le mouvement syndical, en tant qu’intervenants, pour créer ce sentiment d’appartenance et pour permettre la transition des travailleurs étrangers temporaires grâce à une vraie voie d’accès à la citoyenneté, ce qui mènera à la stabilité de la main-d’œuvre dans les usines à l’échelle du Canada.

Mme MacDonald-Dewhirst : Vous avez demandé comment faire pour que les jeunes viennent travailler au sein de l’industrie. Il est important de reconnaître que ce n’est pas que les jeunes que nous devons convaincre. Nous devons convaincre les jeunes, mais il n’y a pas assez de jeunes. Nous devons penser aux moyens de convaincre l’ensemble de la population active d’envisager un emploi dans cette industrie.

C’est un milieu de travail formidable, qui plaît à bien des gens. C’est un milieu de travail excitant qui offre des possibilités entrepreneuriales. C’est une industrie axée sur les technologies. C’est une industrie en croissance. Le monde ne fait que croître, de même que son appétit.

Le sénateur Mercer : Certaines données de base sont inconnues des Canadiens. Vous pourriez en profiter pour les énoncer dans vos réponses.

Quels seraient les salaires moyens et les autres avantages offerts aux travailleurs étrangers temporaires? Nous avons visité des F.A.R.M.S., ou Foreign Agricultural Resources Management Services, surtout en Colombie-Britannique, où les agriculteurs ont dû bâtir des logements spéciaux pour les travailleurs étrangers temporaires et leur organiser des activités de divertissement.

Est-ce qu’il y a une réponse simple à cette question? Monsieur Johnstone, je sais que vous me direz probablement que le salaire moyen est bien plus élevé que celui d’une personne qui récolte des fruits ou des légumes.

M. Johnstone : Dans le secteur des viandes, les salaires varient, et peuvent aller de 15 $ l’heure à bien plus de 30 $ l’heure. Cela dépend de l’endroit et de la progression salariale. Il y a un élément d’uniformité, dans le secteur des viandes, car ces travailleurs sont protégés par une convention collective.

Dans les exploitations agricoles dont vous avez parlé, sénateur, c’est une tout autre situation. Encore là, il y a d’excellents employeurs, mais il y en a aussi de mauvais. Je le sais, parce que nous avons aidé d’innombrables travailleurs agricoles étrangers, et ils sont nombreux à recevoir la paie qu’ils reçoivent, peu importe les normes pour l’emploi.

Les employeurs irresponsables savent que ces travailleurs sont vulnérables. Ils savent qu’ils n’ont pas les mêmes droits que la plupart des autres gens. Ils savent qu’ils ont un permis de travail fermé et qu’ils sont liés à cet unique employeur. Si un agriculteur est un employeur irresponsable et qu’il n’est pas satisfait des travailleurs, il suffit d’un trait de plume pour qu’ils soient renvoyés chez eux.

Honnêtement, cela varie énormément, quand on compare le secteur agricole primaire à certaines des entreprises de transformation secondaire où la densité est plus forte.

Mme Robinson : Le CCRHA a enquêté sur les salaires à ce sujet. Nous pouvons vous dire avec certitude que, dans l’industrie de la culture du champignon, le salaire de départ des cueilleurs d’expérience se situe entre le salaire minimum et environ 29 $/l’heure. Pour les postes de superviseur, il varie entre 35 000 $ et 80 000 $ par année. Ces salaires sont concurrentiels.

Nous aimerions pouvoir mener de plus amples recherches et enquêtes sur les salaires. Nous espérons que certaines de nos demandes de projet seront approuvées pour pouvoir être en mesure de vous donner des renseignements factuels sur les salaires réels.

Le sénateur Mercer : Monsieur Johnstone, ma question s’adresse au syndicat. Nombre d’entre nous sommes choqués d’apprendre que les travailleurs temporaires étrangers en Ontario ne sont pas visés par la Loi sur les relations de travail, et je sais que les débouchés dans cette province sont probablement moindres à l’heure actuelle qu’il y a quelques mois.

Pourquoi ne dites-vous pas aux Ontariens que ce n’est pas seulement problématique du point de vue de l’équité, mais aussi de la sécurité? C’est problématique du point de vue de la croissance pour le secteur agroalimentaire de l’Ontario.

Le syndicat n’a-t-il pas la responsabilité d’en parler aux Ontariens pour qu’ils puissent exiger des changements auprès des parlementaires à Queen’s Park?

M. Johnstone : Vous prêchez un converti. Nous le disons aux Ontariens depuis que la loi a été modifiée en 1995. Nous sommes même allés jusqu’à contester cette loi à de nombreuses reprises devant la Cour suprême du Canada.

Ce ne sont pas que les travailleurs migrants, sénateur. Je suis né à Sudbury, en Ontario. Si je travaille principalement dans le secteur agroalimentaire, je suis exclu de la Loi sur les relations de travail, et ce, pour un certain nombre de raisons que nous avons mentionnées.

Le secteur compte énormément de migrants. Comme il n’est pas le premier choix des Canadiens dans le marché du travail pour un certain nombre de raisons, les employeurs s’en sont remis au Programme des travailleurs étrangers temporaires. C’est pour l’ensemble du secteur.

Sénateur, si l’un de nous deux voulait travailler dans une ferme à Leamington, en Ontario, nous serions aussi exclus de la portée de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Il faut que plus d’Ontariens le fassent. Nous faisons ce que nous pouvons, mais nous avons besoin de tous les alliés possibles pour transmettre l’information. Bien des gens ne savent pas, mais lorsqu’ils l’apprennent, ils trouvent cette réalité très choquante.

Le sénateur Mercer : Espérons qu’ils sont à l’écoute ce soir.

La présidente : Nous l’espérons. Nous en entendons vraiment beaucoup parler.

Le sénateur Woo : Il s’agit d’une étude sur la valeur ajoutée, ce qui est une autre façon de dire que nous voulons accroître la productivité du secteur. La question de la productivité a été un problème de taille dans l’économie canadienne en général. Je présume que ce l’est aussi dans le secteur agroalimentaire.

La relation entre l’offre de main-d’œuvre et la productivité est complexe. Nombreux sont ceux qui croient que l’accès à la main-d’œuvre bon marché nuit à la productivité parce qu’elle encourage le recours à de la main-d’œuvre non qualifiée plutôt qu’à la mécanisation et aux dispositifs permettant d’économiser la main-d’œuvre comme l’automatisation, l’innovation, et cetera. Lorsqu’il est question de récolter la production primaire, je crois comprendre qu’il y a peut-être des limites à ce que la mécanisation peut faire.

J’aimerais parler brièvement de ce qu’on peut faire de plus au chapitre de la mécanisation. De certaines façons, on se tire dans le pied si on s’en remet uniquement à la main-d’œuvre bon marché et qu’on n’essaie pas de monter dans la chaîne de valeur grâce à des investissements qui rehaussent la productivité. Nous ne voulons pas dissuader l’industrie de réaliser ces investissements en lui fournissant un bassin infini de main-d’œuvre bon marché.

Qu’en pensez-vous?

Mme MacDonald-Dewhirst : En 2014, nous avons mené des travaux de recherche sur la productivité dans le secteur de l’agriculture primaire. Le Conference Board du Canada a affirmé que l’agriculture canadienne était une star sur le plan de la productivité comparativement à tous les autres secteurs de l’industrie. Sur une période de cinq ans, on a montré que la productivité par travailleur avait augmenté de 45 p. 100 dans l’industrie. C’est incroyable et principalement attribuable à la mécanisation et aux façons novatrices de régler les pénuries de main-d’œuvre.

Le Conference Board a aussi indiqué que cette tendance ne pourrait pas se stabiliser avec le temps. Il faut penser davantage à la meilleure manière de régler la pénurie de main-d’œuvre de façons novatrices et intéressantes.

Le sénateur Woo : Est-,ce que la productivité et la transformation n’augmentent qu’au niveau de la production ou le font-elles aussi dans la chaîne de valeur?

Mme MacDonald-Dewhirst : Elles le font aussi dans la chaîne de valeur.

Le sénateur Woo : C’est très utile. Mon autre question est connexe.

Avoir suffisamment de main-d’œuvre grâce au PTE ou à l’immigration ne garantit pas que vous mettrez au point des produits à valeur ajoutée. De certaines façons, cela pourrait vous encourager à conserver votre chaîne de production actuelle parce que vous êtes à l’aise, les prix sont élevés, les marchés sont sûrs, et il n’est pas nécessaire de mettre au point des produits à valeur ajoutée.

Je suis intéressé de savoir ce que vous pensez concernant l’accès à la main-d’œuvre étrangère — appelons-la comme cela — pas en bas de l’échelle et pas pour les cueilleurs, les bouchers, les champignonnières, et cetera. Je parle de l’accès aux meilleurs scientifiques, aux meilleurs experts en marketing et aux meilleurs spécialistes de la chaîne d’approvisionnement à valeur ajoutée au monde; ces personnes qui viennent d’autres pays et qui ne font pas que découper de la viande — qui comprennent les marchés en Asie, en Afrique ou en Amérique latine, et qui savent comment innover les produits bruts canadiens pour les marchés de ces pays.

Que faisons-nous sur le plan de la diversité en haut de la chaîne de valeur du secteur agricole pour rehausser la valeur ajoutée dans le secteur?

Mme Robinson : Nous avons la certitude que les vacances de postes aux échelons inférieurs sont très nombreux. Aux échelons supérieurs, nous avons beaucoup d’expertise au pays. Nous n’entendons pas autant parler de ce besoin. Il faut en faire plus à tous les échelons.

Je ne sais pas si je parlerais de main-d’œuvre bon marché parce que la main-d’œuvre étrangère coûte plus cher aux producteurs que la main-d’œuvre locale. Nous ne sommes pas conscients du fait que les travailleurs étrangers occasionnent des dépenses importantes pour les producteurs primaires. Si je dois solliciter l’aide de travailleurs étrangers dans ma ferme, je vais probablement en faire la demande entre quatre et six mois avant que le besoin se fasse sentir. Dans le cadre de ce processus, il me faudra investir dans des logements. Je devrai y consacrer beaucoup de temps et de ressources sans vraiment savoir s’il me sera nécessaire de faire appel à eux.

L’écart est le plus marqué au début du processus. Je dirais qu’il faut faire plus de choses en général.

Le sénateur Oh : Le Canada a récemment suspendu la catégorie des propriétaires de fermes dans le Programme d’immigration des travailleurs autonomes. Que pensez-vous de ce changement?

M. Johnstone : Pardon?

Le sénateur Oh : Je vais vous poser la question différemment.

Nous savons tous que les travailleurs temporaires et saisonniers sont très importants pour la croissance économique canadienne. Notre gouvernement a besoin des revenus qu’ils génèrent. Pouvez-vous compter sur la collaboration de l’ensemble des ministères? Comme le temps c’est de l’argent, combien de temps faut-il pour faire venir un travailleur au Canada?

Mme Robinson : Il est clair que cela coûte cher. On investit beaucoup d’argent au départ pour amorcer le processus.

Un voisin à moi a une installation d’empaquetage de pommes de terre à valeur ajoutée juste à l’est de Charlottetown. Vous connaissez sûrement Vanco, sénateur Oh. L’entreprise emploie environ 130 personnes, dont 34 travailleurs étrangers. La direction a entamé le processus quatre mois avant d’avoir besoin d’eux. Cela fait un certain temps qu’elle fait appel à des travailleurs étrangers temporaires.

La direction a présenté une demande pour recevoir 34 travailleurs. Elle a payé leur billet et, lorsque l’avion est arrivé, neuf personnes manquaient à l’appel à cause d’un problème de traitement de leur demande dans leur pays d’origine, le Mexique. Il s’agissait d’un problème d’infrastructure et d’arriéré à l’époque.

Au bout du compte, pendant tout le mois de janvier cette année, l’entreprise a fonctionné à 60 p. 100 de sa capacité en raison d’une pénurie de main-d’œuvre. Cette installation se trouve tout près de la capitale, Charlottetown, la métropole. C’est donc dire qu’elle est en concurrence avec des employeurs qui offrent des emplois « plus sexy », pour reprendre les mots qu’une sénatrice a utilisés plus tôt. S’il s’agit d’un travail au salaire minimum dans les services d’alimentation ou quelque chose de plus facile, leur gestionnaire des RH m’a dit qu’au cours des deux dernières semaines, il a embauché 11 personnes d’ici. De ce nombre, six sont toujours là deux semaines plus tard.

C’est très difficile. Lorsque vous embauchez une équipe de marketing, vous planifiez toutes les cultures que vous allez semer. Vous achetez et vous construisez votre entreposage. Vous vous assurez que vous avez pris toutes les mesures nécessaires pour commercialiser votre produit. Vous vous assurez d’avoir vos marchés. S’il vous manque une personne pour empaqueter les pommes de terre, vous ne pourrez pas mettre ce produit en marché.

M. Johnstone : Les travailleurs ont aussi des dépenses. Nous avons mentionné le Mexique. Il n’est pas rare pour les travailleurs de verser jusqu’à 5 000 $ à des recruteurs sans scrupules. C’est une somme d’argent énorme pour des gens qui viennent au Canada comme travailleurs migrants. Ils ont une dette envers ces recruteurs qui occupent souvent des positions douteuses dans leurs collectivités à l’étranger. En plus des employeurs, il est important de se rappeler que les travailleurs engagent aussi des coûts énormes pour participer à ces programmes, ce qui contribue à leur vulnérabilité, car ils doivent rembourser cette somme.

Le sénateur Oh : Comme vous dites, les agriculteurs investissent davantage et s’attendent à une hausse des ventes l’année suivante. Ont-ils de la difficulté avec leurs plans d’entreprise à cause de problèmes d’immigration et de travailleurs saisonniers qui ne reviennent pas à temps? Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

Mme Robinson : Oui. Les gens s’inquiètent de la future exigence concernant les données biométriques et la mesure dans laquelle elle retardera le processus, car les pays en développement ne sont peut-être pas dotés de l’infrastructure nécessaire pour appuyer les travailleurs qui doivent répondre à cette exigence de notre gouvernement.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos témoins. Ma première question s’adresse à Mme Robinson. Vous avez parlé de la provenance des travailleurs étrangers temporaires qui semble être très diversifiée. Ne serait-il pas préférable pour le Canada de concentrer ses recherches dans un nombre limité de pays afin d’améliorer la sélection et de faciliter l’intégration? Les employeurs ont-ils plus de succès avec certaines communautés par rapport aux emplois qui sont disponibles?

[Traduction]

Mme Robinson : Je pense qu’une bonne partie de ces pays bénéficient d’un droit acquis. On fait appel à différents pays pour trouver différentes compétences.

Je crois que ma partenaire, Portia MacDonald-Dewhirst, serait mieux placée pour répondre à cette question. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vais lui céder la parole.

Mme MacDonald-Dewhirst : Les personnes qui viennent au Canada dans le cadre du Programme des travailleurs agricoles saisonniers sont ici pour la saison huit mois par année et cherchent à rentrer chez eux. La plupart de ces travailleurs ne sont pas nécessairement intéressés à immigrer au Canada. La difficulté pour ceux qui le sont est que leurs options pour devenir résidents permanents sont limitées dans ce contexte. La recherche montre clairement qu’il reste fort à faire.

Un nombre limité de pays participent au Programme des travailleurs agricoles saisonniers au titre d’accords bilatéraux entre eux et le Canada, et on négocie des contrats avec ces pays en particulier.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma deuxième question s’adresse à M. Johnstone. Vous avez parlé d’exploitation des travailleurs étrangers. Pouvez-vous nous donner des exemples de mauvais traitements? Y a-t-il des plaintes qui ont été faites à cet égard?

[Traduction]

M. Johnstone : Merci, sénateur Dagenais. En fait, nous venons d’avoir un cas dans le sud-ouest de l’Ontario où se trouvait un groupe de travailleurs étrangers temporaires du Honduras. Je crois qu’il y en avait huit en tout qui travaillaient dans la même installation. C’était une situation dans laquelle leur permis fermé leur permettait de ne travailler que pour un seul employeur, comme c’est le cas de tous les participants au Programme des travailleurs étrangers temporaires.

Au Honduras ou au Guatemala, je ne sais pas exactement lequel des deux, les droits spéciaux dont bénéficient ces travailleurs ne sont pas aussi bien protégés qu’ils le sont ici et dans d’autres pays industrialisés. Ce n’était pas une option pour eux de dénoncer les mauvais traitements dans ce milieu de travail. Ils ont donc fait ce que bien des travailleurs font et sont passés dans la clandestinité.

Ils se sont fait ramasser par une personne issue d’une communauté semblable qui s’était établie au Canada. En gros, il a commencé à les vendre au plus offrant sur le marché noir. Ils sont venus à notre centre à Leamington, en Ontario, où nous sommes installés depuis 20 ans pour venir en aide à ces travailleurs.

Ils nous ont informés de la situation. Nous avons avisé le gouvernement fédéral et la ministre responsable du programme. Les preuves étaient si convaincantes que le gouvernement a immédiatement déclaré que deux de ces travailleurs avaient été victimes de traite des personnes.

Les cas des autres travailleurs qui faisaient partie du groupe font actuellement l’objet d’un examen. C’est quelque chose qui s’est produit au cours des deux derniers mois. Les médias grand public ont couvert l’histoire dans le sud-ouest de l’Ontario. Ce n’est qu’un exemple.

Nous avons 30 années de cas qui vont des mauvaises conditions de logement aux questions de santé et de sécurité. L’agriculture demeure l’une des industries les plus dangereuses au pays, au même niveau que l’extraction minière et la construction. Cependant, ces travailleurs n’ont pas les mêmes droits que les personnes qui œuvre dans ces autres secteurs, loin de là.

Il y a quelques années, un travailleur s’est noyé dans une cuve à fumier. Je ne peux imaginer façon plus indigne de mourir pour un travailleur. Pensons-nous un seul instant qu’il s’est senti à l’aise de faire valoir son droit de refuser? Pas du tout, et on voit le résultat.

Il s’agit de problèmes dont on entend parler régulièrement. Voilà pourquoi nous sommes si reconnaissants au comité de mener ces travaux qui, nous l’espérons, contribueront à la révision du Programme des travailleurs étrangers temporaires dans le cadre duquel on a cruellement besoin, à tout le moins, d’offrir de la formation.

Le sénateur R. Black : Qu’est-ce qui explique le retard dans les demandes? Vous n’êtes pas le seul à nous en avoir parlé. On me l’a mentionné lorsque j’ai visité des fermes et des producteurs primaires. Dans quelle partie du système les retards sont-ils occasionnés?

Mme MacDonald-Dewhirst : C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. Les réponses que vous avez entendues variaient probablement d’une personne à l’autre.

Une partie du problème réside dans le fait que nombre de ministères sont responsables du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Certaines parties relèvent d’EDSC, de Service Canada, de l’ASFC et d’IRCC, de concert avec Agriculture et agroalimentaire Canada.

Cinq ministères essaient de travailler ensemble à faire en sorte que les demandes présentées au titre du Programme soient traitées adéquatement dans le système. Des retards peuvent être aussi attribuables à d’autres pays.

Le sénateur R. Black : Vous avez répondu à ma question. Merci.

Mme Robinson : Nous savons que le système compte différents volets, dont une procédure d’approbation rapide permettant d’obtenir votre travailleur dans les 10 jours.

La sénatrice Gagné : Quels seraient les changements les plus importants que vous recommanderiez que l’on apporte au Programme des travailleurs étrangers temporaires?

Mme Robinson : La cohérence et la clarté pour que tout le monde sache en quoi consistent les règles. Je crois que les producteurs agricoles veulent les respecter. Nous savons qu’ils veulent obtenir plus de travailleurs. Nous savons tous que si nous ne traitons pas bien nos travailleurs, nous ne les aurons pas.

Je dirais la cohérence et la transparence.

M. Johnstone : Il faut élargir le Programme des candidats des provinces ou quelque chose du genre. Nous devons passer des permis fermés aux permis ouverts. Par-dessus tout, une formation obligatoire à tout le moins sur la santé et la sécurité et les droits fondamentaux de la personne devrait être une exigence du programme pour tous les travailleurs qui y participent, et peut-être aussi pour les employeurs.

Le sénateur Doyle : Je me demandais comment le Canada se compare à d’autres pays comme les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne pour ce qui est du traitement des travailleurs temporaires étrangers. Ont-ils de meilleurs programmes plus à jour que les nôtres pour surveiller et traiter les travailleurs temporaires étrangers?

Notre gouvernement fédéral est-il doté d’un quelconque programme de surveillance pour vérifier comment les travailleurs temporaires étrangers sont traités?

Mme MacDonald-Dewhirst : Il est important que le Canada examine ce que font les autres pays.

Tous les pays développés sont aux prises avec des pénuries de main-d’œuvre, et la main-d’œuvre se mondialise. Nous sommes en concurrence avec les autres pays pour recruter des travailleurs étrangers. Il faut en prendre conscience et agir prudemment.

Les États-Unis sont en train d’examiner leur programme de travailleurs étrangers temporaires. Ils espèrent le simplifier et en faciliter l’accès aux employeurs qui ont besoin de travailleurs étrangers, et nous sommes en concurrence avec eux pour attirer les mêmes travailleurs.

Le Programme des travailleurs agricoles saisonniers du Canada est considéré comme un modèle d’excellence pour ce qui est de la mobilité de la main-d’œuvre et des avantages qu’il présente pour les agriculteurs canadiens, les travailleurs et leur famille au pays. C’est un modèle que les autres pays examinent. On regarde ce que nous faisons. Cela va dans les deux sens.

M. Johnstone : Je ne suis pas d’accord pour le qualifier de modèle d’excellence, mais je sais que le fédéral n’a que 180 inspecteurs pour l’ensemble du Canada, pour assurer la surveillance dans chacune des provinces. Plus de 10 000 employeurs utilisent le programme. Si on fait les calculs, il est absolument impossible qu’on puisse assurer une solide surveillance avec les ressources allouées.

À vrai dire, et ce n’est pas surprenant, il faudrait des ressources considérables pour assurer la surveillance du programme. Le gouvernement n’y arrive pas très bien, mais il y a d’autres façons de faire. Les employeurs du secteur privé et les syndicats travaillent ensemble depuis très longtemps pour établir des normes dans divers secteurs.

Notre position est simple : cela devrait s’appliquer au secteur de l’agriculture primaire également.

La présidente : J’ai une petite question qui appellera, je l’espère, une brève réponse. Elle s’adresse au Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture.

Y a-t-il beaucoup d’employeurs irresponsables? J’ai mentionné au début que des centaines de milliers de travailleurs ont utilisé le programme. Y a-t-il beaucoup d’employeurs irresponsables? Le savez-vous?

Mme Robinson : Madame la présidente, j’ai une réponse préparée pour vous. Nous savons avec certitude que les agriculteurs veulent bien faire les choses. Si un producteur ne respecte pas les règles, il est prévu dans le Programme des travailleurs étrangers temporaires qu’il reçoit une amende ou est banni du programme.

Sur les 2 888 inspections qui ont été menées en 2017, on a trouvé un problème de non-conformité dans une ferme seulement. Il s’agissait d’un problème administratif mineur dans la description d’emploi. On considérait qu’elle ne correspondait pas à la réalité, alors la description d’emploi et les documents ont été modifiés.

La présidente : Merci aux témoins de leur présence. Nous aurions pu continuer les questions encore longtemps, comme vous vous en doutez, mais nous devons passer à notre prochain groupe de témoins.

Nous avons deux messieurs qui sont prêts à témoigner, d’abord, Kenneth Elgin Forth, président du Foreign Agricultural Resource Management Services, et Keron Headley, de la Jamaïque, qui participe au Programme des travailleurs étrangers temporaires.

Merci, messieurs, d’avoir accepté notre invitation à comparaître. Nous sommes très heureux de vous avoir avec nous ce soir. Quand vous aurez terminé vos exposés, nous passerons aux questions.

La parole est à vous.

Kenneth Elgin Forth, président, Foreign Agricultural Resource Management Services : Madame la présidente, et mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité à vous parler ce soir de valeur ajoutée et du Programme des travailleurs étrangers temporaires.

Je suis président du Foreign Agricultural Resource Management Services, communément appelé F.A.R.M.S. Je suis également agriculteur. Ma famille cultive la terre depuis des générations en Ontario, et j’utilise le Programme des travailleurs étrangers temporaires depuis près de 50 ans.

Je crois savoir que le comité a également entendu récemment le Conseil canadien de l’horticulture lui parler du secteur des aliments à valeur ajoutée. Je vais vous en parler aussi un peu plus tard, mais je veux d’abord vous parler du Programme des travailleurs étrangers temporaires, plus précisément du Programme des travailleurs agricoles saisonniers, un des deux programmes de travailleurs étrangers temporaires à la disposition des employeurs canadiens.

Le programme des travailleurs agricoles saisonniers des Antilles et du Mexique pour les États membres du Commonwealth a été créé en 1966 pour procurer à l’Ontario une source de travailleurs saisonniers fiables et qualifiés pour améliorer la prospérité du Canada et veiller à ce que les terres soient ensemencées et les récoltes effectuées en temps opportun. En Ontario et au Canada, le programme continue à ce jour de répondre à une pénurie grave de travailleurs aptes à effectuer du travail agricole.

Le programme présente de nombreux avantages, et je vais vous parler de certains d’entre eux. Les travailleurs qui participent au Programme des travailleurs agricoles saisonniers sont traités exactement comme les habitants locaux au regard des lois sur l’emploi. La Loi sur les accidents du travail, la Loi sur la santé et la sécurité au travail, le Programme d’assurance-maladie de l’Ontario et tout autre loi ou règlement provincial sur le travail s’appliquent à eux.

La liste n’est pas exhaustive, toutefois, mais certains avantages, eux, ont une très grande portée. Les revenus aident le travailleur à s’offrir, et à offrir à sa famille restée au pays, une meilleure qualité de vie. C’est pour lui l’occasion d’élargir ses connaissances et ses compétences, et cela favorise aussi le transfert de connaissances. Bon nombre de participants sont déjà agriculteurs, si bien qu’à leur retour au pays, ils utilisent des techniques qu’on utilise ici en Ontario et au Canada sur leur petite ferme.

Ils cotisent également au Régime de pensions du Canada. Ils contribuent dans une vaste mesure à l’économie de leur pays d’origine en rehaussant le niveau de vie du pays, et en particulier celui de leur famille. Ils peuvent ainsi faire instruire leurs enfants en vue d’une carrière professionnelle. On a appris que certains de leurs enfants sont maintenant médecins, avocats, professeurs et enseignants, et c’est grâce à leur participation au programme.

C’est aussi en grande partie grâce au Programme des travailleurs agricoles saisonniers que l’industrie horticole a pu croître au cours des 50 dernières années. La participation et l’engagement continus des gouvernements canadien et étrangers et des agriculteurs aux réunions d’examen annuel font partie des pratiques exemplaires du programme, le seul à procéder à des examens annuels. Nous procéderons sous peu à notre 52e examen annuel.

Le programme sert avant tout les Canadiens et a l’appui de tous les intervenants. Des représentants des gouvernements étrangers sont en poste localement pour aider les travailleurs, quels que soient leurs besoins.

Quatre-vingt-cinq pour cent des travailleurs reviennent année après année, et c’est le cas depuis les années 1970. C’est une source fiable de main-d’œuvre pour l’industrie horticole lorsqu’il n’y a pas de travailleurs locaux disponibles. Nos maisons sont toutes inspectées par les services municipaux de santé. La durée moyenne des séjours est de 20 semaines. Il s’agit d’une migration organisée de travailleurs qui peuvent rester jusqu’à huit mois, mais ils restent en moyenne 20 semaines.

L’accès à des travailleurs agricoles saisonniers procure des emplois en aval aux populations locales. Nous avons pu le constater, et vous trouverez des études dans la documentation qui démontrent la valeur économique du programme. Deux emplois à temps plein sont créés, sur la ferme ou dans la chaîne de valeur de proximité, pour chaque travailleur agricole étranger embauché.

La situation démographique du Canada a changé au fil des ans. Le marché de la main-d’œuvre perd plus de travailleurs qu’il n’en accueille. Les gens de mon âge sont déjà à la retraite. La plupart des industries sont à court d’employés. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les affiches un peu partout : chez Tim Hortons, au Walmart, dans les entreprises manufacturières, les compagnies de transport ou d’autobus. Les camions et les autobus restent stationnés parce qu’on manque d’employés. Je ne connais pas une seule entreprise de camionnage qui a assez de chauffeurs pour répondre à ses besoins quotidiens.

Comme je l’ai mentionné, l’agriculture est en grande partie saisonnière. Le séjour moyen des travailleurs est de 20 semaines et le maximum est de huit mois. Dans les régions rurales de l’Ontario, les habitants prennent habituellement les emplois à temps plein dans nos fermes. Le travail saisonnier n’attire pas beaucoup les Canadiens. Même si certains s’y intéressent, la plupart veulent des emplois à temps plein, car en travaillant cinq mois par année, ils ne peuvent pas s’acheter une maison, une auto, ou faire instruire leurs enfants. Si c’était possible, c’est ce qu’on ferait, n’est-ce pas?

Il faut rappeler que c’est un programme qui sert avant tout les Canadiens, et que nous avons des Canadiens qui travaillent dans nos fermes. La plupart ont des emplois à temps plein et travaillent comme superviseurs, mécaniciens, opérateurs d’équipement, camionneurs, etc., mais on manque de monde.

La valeur ajoutée du secteur agricole est bien connue et le Conseil canadien de l’horticulture l’a bien expliqué au comité le 20 septembre dernier. Mon exposé sur le Programme des travailleurs agricoles saisonniers montre que sans ce programme, la production de fruits et légumes au Canada serait grandement réduite, peut-être même complètement, ou certainement sans valeur ajoutée.

La principale préoccupation liée à la valeur ajoutée est simple : au cours des 20 dernières années, les gouvernements de l’Ontario et du Canada et les ministères de l’Agriculture ont encouragé les agriculteurs à se tourner vers l’agriculture à valeur ajoutée pour accroître leur rendement. Comme nous le savons tous, nous n’avons pas de Farm Bill comme les Américains. On nous encourage à nous tourner vers l’agriculture à valeur ajoutée, mais le ministère de l’Emploi et du Développement social du Canada, EDSC, n’est pas toujours conscient des activités de production agricole connexes. Certaines activités ne sont pas approuvées dans le cadre du Programme de travailleurs agricoles saisonniers, ce qui force alors les agriculteurs à faire une demande au programme de travailleurs à faible salaire au coût de 1 000 $ par travailleur.

Au sujet de la définition d’agriculture primaire, EDSC procède actuellement à un examen de tous les volets du Programme des travailleurs étrangers temporaires, notamment pour arriver à une définition de l’agriculture. Du point de vue d’un agriculteur dans l’industrie, il s’agit d’une tâche colossale.

Toutes les fermes sont différentes. Toutes leurs situations sont différentes. La ferme traditionnelle n’existe plus. Je salue les efforts du ministère, mais ce qu’il faut, c’est de la souplesse, afin que le programme puisse s’adapter à toutes les fermes.

L’industrie a présenté de nombreuses suggestions en espérant qu’elles seront retenues. Une définition soulève toutefois un autre problème. Qu’en est-il de l’avenir, qui est à nos portes? Les fermes d’aujourd’hui pourraient être très différentes dans un an ou deux. Si nous avons une définition rigide, les agriculteurs de demain pourront-ils avoir accès à des programmes de travailleurs saisonniers comme celui-ci? Nous ne le savons pas.

Vous trouverez dans la documentation fournie les retombées économiques du Programme des travailleurs agricoles saisonniers en Ontario dont je vous ai déjà parlé. Le programme stimule non seulement l’économie locale, mais aussi la création d’emplois, puisque l’embauche d’un travailleur saisonnier entraîne la création de deux emplois à temps plein pour les Canadiens. Si on abolissait ce programme demain en Ontario, par exemple, où nous avons 20 000 travailleurs saisonniers, c’est quelque 40 000 Canadiens qui perdraient leurs emplois. Nous n’avons pas besoin de chauffeurs de camions ou d’opérateurs d’équipement pour les produits que nous ne pouvons pas vendre.

Vous trouverez, de plus, un article intitulé Parallel Worlds , produit par John Deere, qui suit la vie d’un Jamaïcain qui vient travailler en Ontario et qui retourne ensuite dans son pays. Il y a également une analyse comparative entre le Programme des travailleurs agricoles saisonniers et le programme de travailleurs agricoles peu qualifiés sur laquelle je veux insister. Les deux programmes ont des règles différentes. Les deux programmes sont bons, mais on ne peut pas parler des deux en même temps. Cela équivaut à mélanger du jus d’orange et du jus de pomme quand on n’en veut que l’un des deux. Il faut parler du programme des travailleurs saisonniers, puis quand on a épuisé la question, passer ensuite au programme des travailleurs peu qualifiés. On ne peut pas parler des deux en même temps, car leurs règles sont différentes.

En terminant, je veux saluer les efforts d’EDSC pour faire en sorte que tous les programmes de travailleurs étrangers temporaires fonctionnent bien. L’industrie a pu constater que, tant du côté de la ministre que du ministère, la situation s’est améliorée. Dans l’ensemble, ils semblent maintenant vouloir travailler avec les agriculteurs pour que les programmes soient les plus efficaces possible. L’industrie en est heureuse et souhaite travailler en collaboration.

Keron Headley, à titre personnel : Je viens de la Jamaïque et je participe au programme depuis six ans. C’est un bon programme. Il vient en aide à nos familles et à bien d’autres gens. Il nous aide à nous tenir loin des ennuis et nous procure beaucoup d’avantages. Nous aimerions qu’il soit maintenu.

La présidente : Vous participez au programme depuis six ans. Avez-vous toujours travaillé au même endroit?

M. Headley : Oui, six ans chez M. Forth.

La présidente : Très bien. Nous allons passer aux questions.

[Français]

Le sénateur Maltais : Monsieur Forth, nous ne sommes plus dépendants des changements climatiques. Nous sommes désormais dépendants des travailleurs saisonniers. L’agriculteur tout comme le transformateur éprouveront de graves problèmes s’ils ne peuvent pas avoir recours à ces travailleurs. Il y a, bien sûr, les emplois plus spécialisés. Vous avez parlé plus tôt du camionnage. Le Canada aura-t-il un jour assez de monde pour compenser cette dépendance? Je vous pose la question bien simplement.

[Traduction]

M. Forth : Non. Notre taux de natalité est très bas. Prenons les Américains. Ils ont un pays sensiblement de la même taille que le nôtre, mais une population 10 fois plus élevée, et ils ont des pénuries de main-d’œuvre.

Je ne vois pas comment on pourrait y arriver. Le pays est vaste. Il n’y a pas beaucoup d’habitants dans les régions rurales. Les gens veulent des emplois en ville ou à temps plein. Je ne vois pas comment la situation pourrait changer.

Ciel, cela fait 52 ans et je ne vois pas de changements. J’affirme sans hésiter qu’il est nécessaire pour nous d’avoir des travailleurs étrangers et de les loger. Cela coûte cher, mais c’est le prix à payer pour pouvoir faire fonctionner nos fermes.

Non, je ne vois pas la population changer, à moins que vous ayez de l’information privilégiée sur l’augmentation massive du nombre d’immigrants. À l’heure actuelle, les règles de l’immigration ne sont pas en faveur des gens pauvres ou qui n’ont pas de diplôme universitaire. Je pense que les travailleurs saisonniers vont être nécessaires encore longtemps.

[Français]

Le sénateur Maltais : Plus tôt, juste avant vous, nous avons entendu le témoignage de M. Derek Johnstone, adjoint spécial au président national de l’organisme Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce Canada. Mon collègue, le sénateur Dagenais, lui a posé des questions. M. Johnstone a répondu qu’en Ontario certains employeurs pouvaient maltraiter leurs employés. Vous, qui êtes un employeur, avez-vous entendu parler de ce genre de choses? Est-ce vrai? Quels correctifs allez-vous apporter si c’est le cas?

[Traduction]

M. Forth : Je dois dire tout d’abord que j’ai bien entendu parler de cela aux nouvelles. Ironiquement, on ne donne jamais le nom de la ferme, et nous aimerions bien le connaître. J’ai entendu parler des accusations, mais je n’ai rien vu de tel personnellement dans l’industrie agricole.

Peu importe le type d’entreprise, c’est un élément fondamental. J’ai travaillé pour une compagnie d’assurances. J’ai fait beaucoup de choses dans ma vie. J’aime toujours que les gens qui travaillent pour moi soient relativement heureux. Si ce n’est pas le cas, ils ne sont pas productifs. Cela n’a pas de sens à mes yeux. Personnellement, je n’ai rien vu de tel.

La Direction générale des services d’intégrité de Services Canada vérifie les problèmes de cette nature maintenant. Elle fait un excellent travail. Si j’apprenais qu’un employeur ne traite pas ses employés convenablement, j’en informerais la direction.

Je ne sais pas. Lorsqu’on en parle aux nouvelles, on ne nomme jamais la ferme et l’endroit. On parle seulement d’« agriculteurs », et on le prend tous personnellement, car c’est de nous dont on parle.

Le sénateur R. Black : Les utilisateurs du Programme des travailleurs étrangers temporaires doivent-ils tous passer par votre organisme, F.A.R.M.S.?

M. Forth : Non, ils n’ont pas à le faire.

Le sénateur R. Black : Vous êtes là pour aider simplement.

M. Forth : Oui. Si on revient un peu en arrière, en 1984, on a publié le livre blanc sur le recouvrement des coûts au gouvernement, le rapport Neilsen. On y parlait des milliers de choses que le gouvernement allait cesser de faire. Une d’elles était la logistique de ce programme. Le gouvernement ne payait plus pour cela, mais il fallait que quelqu’un s’en occupe.

On nous a dit : « Nous ne nous en occupons plus », et on leur a répondu : « Vous ne pouvez pas abolir le programme. » Ils nous ont dit : « Nous n’abolissons pas le programme, mais nous ne nous en occupons plus. »

Ils nous ont dit qu’ils allaient continuer de dire oui ou non à un employeur, et l’employeur allait devoir faire approuver sa demande par la direction de la main-d’œuvre, comme on l’appelait à l’époque. Il fallait donc faire approuver notre demande par la direction et nous leur avons demandé qui allait s’occuper de la suite. Le ministre nous a regardés et a dit : « Vous allez vous en occuper. »

Nous avons donc créé un organisme fédéral à but non lucratif. Nous avons actuellement et continuerons d’avoir sept membres du groupe des producteurs ontariens au conseil d’administration. Les membres se sont dit : « Mettons-nous à la tâche. » Ce n’était pas facile à l’époque, c’est certain, mais tout est bien rodé maintenant.

Les EIMT qui passent par notre bureau font l’objet d’une correction d’épreuves, afin de ne pas irriter Service Canada. Nous n’envoyons pas les études incomplètes. Autrefois, il s’agissait d’un document de trois pages. Maintenant, il en compte 18. Vous pouvez imaginer la situation : si une petite case n’est pas cochée ou si une petite question reste sans réponse, le document vous est renvoyé. Nous les corrigeons donc avant de les faire parvenir à Service Canada, qui les renvoie aux agriculteurs et à F.A.R.M.S. Ensuite, nous nous occupons de tous les détails logistiques, en collaboration avec les ministères du Travail des pays étrangers. Nous avons noué des relations personnelles avec leurs employés. Nous accomplissons toutes ces tâches.

Nous employons aussi une agence de voyages qui réserve les vols aller-retour de ces travailleurs. Tous doivent payer les billets d’avion. Nous négocions directement avec Air Canada, Caribbean Airlines, Mexicana ou Aeromexico, selon la ligne aérienne utilisée au départ du Mexique. Chaque travailleur paie le même prix, qu’il arrive du Mexique ou des Caraïbes. Nous faisons un peu la moyenne des prix. En ce qui concerne notre travail à F.A.R.M.S, nous nous occupons de toutes ces formalités, et nous facturons 45 $ par travailleur aux agriculteurs pour effectuer ce travail. Lorsque nous le faisons en Ontario, ces frais sont très bon marché. Aucune personne sensée ne se donnerait tout ce mal, car ce système est complexe.

Nous ne cherchons pas à diriger le monde ou à faire quelque chose de ce genre. Nous avions pour mandat d’aider l’Ontario. Puis, il y a 27 ans, un homme de la Nouvelle-Écosse nous a demandé de faire ce travail pour lui. Maintenant, je pense que nous nous occupons de tous les employeurs du Canada atlantique. J’ignore s’il y a encore des gens qui ne font pas appel à nos services. Je veux dire, pourquoi feraient-ils ce travail? Toutefois, ils peuvent le faire. Nous nous occupons également d’une demi-douzaine de personnes au Manitoba.

Le sénateur R. Black : Nous avons entendu parler de retards dans le traitement des demandes et de goulots d’étranglement. Où se trouvent ces goulots d’étranglement?

M. Forth : Autrefois, vous pouviez recevoir une réponse de Service Canada en 10 jours. Maintenant, ils reçoivent de nombreuses commandes et emploient un grand nombre de nouveaux employés. Il y a deux ou trois ans, le vérificateur général a publié un rapport dans lequel il indiquait que le travail du ministère n’était pas suffisamment efficace.

Je ne veux pas me montrer facétieux, mais le vérificateur général a-t-il déjà publié un rapport positif? Il se plaint toujours du travail de tout le monde.

Maintenant, voici comment les choses fonctionnent : mon EIMT est envoyée au bureau de Simcoe, et les membres du personnel du bureau doivent m’appeler. Ils doivent vérifier la réponse à chaque question qui figure dans ce document, mais ils ne les vérifieront pas toutes. Ils en choisiront à peu près une demi-douzaine, et ils m’interrogeront à leur sujet. Ils font cela uniquement parce que le vérificateur général leur a reproché de ne pas surveiller tout le monde assez attentivement.

Sénateur Black, un grand nombre d’agriculteurs participent à ce programme depuis 50 ans, et rien n’a changé. Le traitement de leurs études devrait être accéléré. La seule personne qui estimait que ce processus devrait se dérouler rapidement était John McCallum, lorsqu’il était ministre de l’Immigration. Il a demandé : « Pourquoi ce processus ne ressemble-t-il pas à ce qu’on fait dans le cadre des programmes NEXUS pour les personnes qui y participent depuis 10 ou 15 ans? »

Rien ne change. Dans l’étude envoyée, tout est pareil. Tous les documents de l’employeur sont là, comme le rapport d’inspection du dortoir. Rien n’est dissimulé ou manquant. Les membres du personnel pourraient apposer un tampon indiquant qu’il engage 18 personnes, et que ces personnes repartiront.

Au lieu, ils doivent analyser chaque étude. Je me suis assis avec lui pendant quelques heures, et il a déclaré : « Nous devrions peut-être analyser les études dont les chiffres ont radicalement changé ou celles présentées par les nouveaux participants au programme. Nous devrions peut-être nous assurer que ces études ont été réalisées correctement. »

Si l’agriculteur prépare son étude correctement depuis 30 ou 40 ans, on devrait peut-être lui faciliter légèrement la tâche. Cela ferait gagner du temps à Service Canada, car ses employés ne seraient pas forcés d’analyser toutes les études qui demeurent identiques année après année.

Le sénateur Doyle : Maintenant que nous sommes assujettis à l’AEUMC plutôt qu’à l’ALENA, est-il plus facile d’avoir accès à des travailleurs temporaires étrangers venant du Mexique qu’à des travailleurs venant d’autres pays?

M. Forth : Je ne crois pas qu’il y ait une différence. Le nouveau président n’est pas encore là, et l’accord commercial n’a pas encore été signé. Toutefois, nos contacts au Mexique déclarent qu’à leur avis, il n’y aura pas de différence. Nous verrons bien.

Le sénateur Doyle : Dans le cadre de ses activités, votre organisation emploie-t-elle des travailleurs dans des pays étrangers?

M. Forth : Non. Tous nos employés travaillent au Canada. Pendant l’année, nous allons périodiquement au Mexique et dans les Caraïbes, lorsque c’est nécessaire. Nous y irons à la fin du mois actuel et à la fin du mois prochain afin de participer à la réunion annuelle d’étude. Nous allons dans les Caraïbes et au Mexique une fois par année mais, à tout moment, les membres de notre personnel de Toronto peuvent être appelés à y aller.

Soit dit en passant, nos employés de Toronto peuvent également procéder à des vérifications en matière d’immigration. Notre personnel travaille en coulisses à l’aéroport Pearson. Nous allons là-bas chaque fois qu’une personne avec laquelle nous travaillons arrive par avion. Que le vol transporte un ou 101 travailleurs, des membres de notre personnel travaillent en coulisses afin d’aider ces travailleurs à faire la file dans le même ordre qu’ils figurent sur la liste et de faciliter, ainsi, la tâche aux agents d’immigration. Nous exploitons aussi une entreprise d’autobus à l’échelle de la province de l’Ontario, au cas où un agriculteur ne tiendrait pas à se rendre à l’aéroport. Je ne sais pas si vous attendez encore des gens à l’aéroport Pearson, mais qui sait quand vous sortirez de là? Nous assurons donc ce service pour aider les agriculteurs.

Nous avons là-bas une équipe de soutien global qui fait tout en son pouvoir pour éviter les goulots d’étranglement. Lorsque nous envoyons des travailleurs dans les provinces de l’Atlantique, nous les accompagnons jusqu’à la porte d’embarquement. Vous pouvez imaginer ce que peut ressentir un travailleur mexicain, ou qui que ce soit d’autre, qui ne parle pas l’anglais. Ce serait comme atterrir à Pékin si nous n’y étions jamais allés auparavant. Nous cheminons avec eux jusqu’à la porte d’embarquement, nous les faisons monter à bord de la correspondance, puis ils partent.

Le sénateur Doyle : Avez-vous surtout accès à des ouvriers agricoles d’Amérique centrale ou d’Amérique du Sud? Y en a-t-il qui arrivent de pays asiatiques?

M. Forth : Non. Nous nous occupons surtout du Programme des travailleurs agricoles saisonniers qui est en cours depuis 52 ans. Nous couvrons les îles des Caraïbes, la Jamaïque, la Barbade, Trinité-et-Tobago, l’Organisation des États des Caraïbes orientales et le Mexique. Nous nous occupons aussi du programme d’emplois peu spécialisés en fournissant des travailleurs de la Jamaïque, du Mexique et du Guatemala. Toutefois, si nous n’avons pas de relations avec le ministère du Travail d’un pays, nous ne recrutons pas de gens là-bas.

Il y a d’autres agriculteurs qui vont chercher des travailleurs en Thaïlande ou ailleurs. Cela ne pose pas de problème, mais nous ne participerons pas à ce recrutement parce que nous n’avons pas établi de relations nous permettant de communiquer avec quelqu’un, en cas de besoin.

Le sénateur Doyle : Quel pourcentage des ouvriers agricoles de l’Ontario sont Canadiens?

M. Forth : C’est une bonne question à poser au CCRHA. Je crois qu’ils connaissent la réponse à cette question.

Les travailleurs étrangers représentent seulement 20 à 30 p. 100 des ouvriers. Cependant, tout dépend de l’industrie. Si nous examinons le secteur agricole en général, c’est une chose. Il ne fait aucun doute que l’industrie des fruits et légumes s’appuie fortement sur les programmes de travailleurs saisonniers. Malheureusement, mais heureusement pour ces travailleurs, nous ne pouvons pas encore acheter des machines qui cueillent les pêches et les tomates.

Le sénateur Doyle : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Forth, j’aimerais vous parler de démocratie. D’abord, la semaine dernière nous avons entendu un témoin qui disait que l’ouverture d’un dossier coûtait 1 000 $. Je me suis toujours demandé ce que le gouvernement faisait avec cet argent.

Au-delà du salaire, combien coûte un travailleur étranger en frais divers? Pouvez-vous nous donner un aperçu de la liste des frais que vous devez payer? De plus, si un même travailleur saisonnier revient, est-ce qu’il faut payer à nouveau les frais et recommencer chaque fois le processus?

[Traduction]

M. Forth : Oui. Peu importe si vous participez au programme depuis un an ou 30 ans. Dans votre trousse, l’article publié par John Deere traite d’un homme qui travaille avec moi depuis 33 ans. Le processus est le même pour tous. Il ne tient pas compte du nombre d’années que j’ai passées à participer au programme ou qu’ils ont passées à participer au programme.

En ce qui concerne les frais, les travailleurs paient des impôts sur le revenu, des cotisations d’assurance emploi et des cotisations au Régime de pensions du Canada, auxquelles l’employeur contribue également.

L’employeur et l’employé ne paient pas plus que la moitié du coût du billet d’avion, sauf qu’un certain montant est déduit quotidiennement pour le remboursement du billet d’avion. Essentiellement, si un ouvrier est à votre service pendant 120 jours, il paiera la moitié du coût du billet d’avion. S’il travaille pour vous pendant seulement 45 jours, il paiera 3,45 $ par jour pour le remboursement du coût du billet d’avion. En fin de compte, si le cultivateur est un pomiculteur et qu’il emploie les travailleurs pendant huit semaines seulement, il paiera une part plus importante du coût des billets d’avion parce que son personnel ne travaille pas les 120 jours requis. Le travailleur ne paiera jamais plus qu’un certain montant par jour jusqu’à concurrence de la moitié du coût de son billet d’avion. Voilà l’état des choses.

D’autres frais sont payés dans les Caraïbes, soit des déductions de 5,45 $ par jour qui sont versées au gouvernement de la Jamaïque, afin qu’il puisse assurer la prestation de ses services de liaison à Toronto, Halifax et Leamington. Il y a des gens qui se déplacent quotidiennement pour s’occuper d’enjeux comme des problèmes juridiques, des problèmes de santé ou les situations auxquelles les travailleurs sont mêlés, quelles qu’elles soient. Voilà les déductions qui me passent par la tête.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’aimerais revenir aux allégations de mauvais traitements, un sujet dont nous avons parlé.

Dans quelle mesure pourrait-on croire en l’existence d’une loi du silence qui fait que les travailleurs étrangers pourraient avoir peur de dénoncer officiellement de mauvais traitements? Quelqu’un pourrait hésiter avant de dénoncer une telle situation de peur de ne plus pouvoir revenir travailler au Canada. À ce moment-là, c’est la famille qui en payera le prix. Croyez-vous qu’il peut y avoir une loi du silence?

[Traduction]

M. Forth : Pas à ma connaissance. En ce qui me concerne, les agriculteurs parlent trop de toute façon. Comme tout le monde, d’ailleurs.

Comme je l’ai indiqué auparavant, des allégations sont des allégations. Dites-moi où se trouve cette exploitation et où elle en est, et nous la signalerons. Nous le ferons. J’aimerais avoir le pouvoir de prendre des mesures si quelqu’un maltraitait qui que ce soit, mais vous n’aimeriez pas que ce soit le cas. Je l’ai dit auparavant, et je vais le répéter : si quelqu’un maltraite un travailleur dans une exploitation agricole, sa participation au programme sera annulée pendant deux ans. Ce n’est pas ce que je ferais. Personnellement, je les bannirais à vie du programme. « Vous êtes fini. Trouvez-vous un autre type de travail. » Voilà les mesures que je prendrais.

Comme je l’ai déclaré auparavant, je ne vois pas comment on peut obtenir une production abondante en faisant appel à des gens qui ne sont pas relativement heureux. Je sais beaucoup de choses au sujet de l’orientation des gens. Si nous n’entendons pas les gens rire au cours de la journée, nous savons que quelque chose ne va pas. Nous employons des bandes de gens qui travaillent ensemble. Ils racontent parfois des blagues qui sont très drôles. Si je n’entends pas quelques-unes de ces blagues, je me demande ce que nous faisons de mal. Je ne veux pas les entendre rire constamment, mais ils le font fréquemment, parce que nous nous efforçons d’avoir des contacts réguliers.

Les gens qui racontent ces histoires devraient se manifester et citer des noms. En ma qualité de représentant de cette industrie, j’ai l’obligation de vous dire la vérité. C’est mon devoir. Si ces mauvais traitements existent, je veux les éliminer.

Y a-t-il des pommes pourries partout? Bien sûr, il y en a parmi les employés, les employeurs, le gouvernement, et cetera. La Direction des services d’intégrité commencera à se débarrasser de ces gens. Jusqu’à maintenant, ils ont vérifié le comportement de centaines, voire de milliers, d’employeurs, et je crois qu’à l’heure actuelle, un seul employeur a été retiré du programme.

Le sénateur Oh : Est-ce que l’un de vos superviseurs se rend dans différentes exploitations agricoles afin de vérifier la situation des travailleurs temporaires?

M. Forth : Non, F.A.R.M.S. ne s’occupe pas de cela. Chaque agriculteur est indépendant. Nous n’embauchons pas les ouvriers qui travaillent dans les exploitations agricoles. Nous nous occupons uniquement des questions logistiques. Les agriculteurs nous envoient leur EIMT. Ils embauchent ces travailleurs, et nous ne disposons d’aucune ressource pour accomplir ce travail. Premièrement, d’un point de vue juridique, nous n’avons pas le droit d’exercer ces activités. Service Canada jouit de ce droit, et ses employés assument cette responsabilité.

Le sénateur Oh : Le Programme des travailleurs agricoles saisonniers doit se poursuivre, car les employeurs ont besoin des travailleurs seulement de façon saisonnière. Si nous autorisions les travailleurs à venir ici à temps plein, ils pourraient aller n’importe où afin de décrocher un autre emploi.

M. Forth : Et, ils le feraient. Je le ferais moi aussi, si j’étais eux. Bon nombre d’entre eux voient l’intérêt de venir ici pendant une moyenne de 20 semaines, de toucher de bons revenus, puis de rentrer à la maison et d’aider leur famille. Voilà le but de leur participation à ce programme. C’est la seule réponse que je peux réellement vous donner.

Le Canada est l’une des nations les plus diversifiées de la planète en ce qui a trait à la production de cultures. J’aime bien les cultivateurs de céréales et de soja, mais souhaitons-nous tous cultiver ces produits? Nous produisons du vin, des fruits et des légumes. Nous produisons de tout ici. L’Ontario est la province la plus diversifiée du Canada, mais le Canada est un pays agricole très diversifié. Je pense que nous voulons que cela reste ainsi. Je sais que les gens à l’étranger songent au blé lorsqu’ils pensent au Canada, mais nous cultivons beaucoup plus de produits que cela. Les responsables ne veulent pas que nous cultivions tous du blé non plus. Je crois que nous servons bien les Canadiens en cultivant une variété de produits.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question à vous poser à propos des accidents. Il va de soi que ce travail peut être dangereux, fatiguant, et cetera. Que faites-vous lorsque quelqu’un se blesse? Qui paie les frais médicaux?

M. Forth : Si qui que ce soit se blesse, la première chose à faire consiste à le conduire à un cabinet de médecins, une clinique ou un hôpital. Deuxièmement, vous devez signaler l’accident à la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail de l’Ontario. Il est nécessaire de bénéficier d’une couverture d’assurance.

C’est drôle que vous ayez posé cette question, car j’ai été directeur de l’agriculture à la commission, et j’ai dirigé cette division pendant six ans dans les années 1990. Ce fut l’une des aventures que j’ai vécues lorsque j’étais encore agriculteur. Si un agriculteur ne déclare pas qu’il emploie des travailleurs pendant un certain temps, cela importe peu, car les ouvriers agricoles seront néanmoins couverts, un point c’est tout. Lorsque le travailleur va à l’hôpital, ses soins sont couverts. Les frais facturés sont envoyés à la commission, et voici, par exemple, les questions qu’on posera au travailleur : « Pour qui travaillez-vous? » Il répondra qu’il travaille pour telle ou telle personne et, si ce travailleur ne figure pas dans leurs dossiers, ils enverront des enquêteurs. Ils donneront une lourde amende à l’employeur et lui factureront rétroactivement toutes les cotisations qu’il aurait dû payer, mais cela n’aura aucune répercussion sur le travailleur, car il s’agit d’un régime d’indemnisation sans égard à la responsabilité. C’est la raison pour laquelle le travailleur est couvert que l’employeur ait payé les cotisations ou non. L’employeur finira par payer. Nous percevrons les cotisations qu’il doit. Cela exigera simplement un peu plus de temps.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais poser quelques questions à M. Headley. Je suis très curieuse en ma qualité d’ancienne journaliste. Par conséquent, j’aimerais vraiment connaître votre point de vue à propos de votre travail là-bas. Je sais que vous êtes assis à côté de votre employeur, ce qui constitue une situation légèrement étrange.

M. Forth : Je peux partir, si vous voulez.

La sénatrice Miville-Dechêne : Non, ne partez pas.

M. Forth : Il peut dire ce que bon lui semble.

La sénatrice Miville-Dechêne : Nous sommes dans un pays libre. Vous dites que c’est un bon emploi.

M. Headley : Oui.

La sénatrice Miville-Dechêne : Comment avez-vous décroché ce poste? Lorsque vous viviez en Jamaïque, vous a-t-il fallu payer quelqu’un pour intégrer le programme?

M. Headley : Non. Mon frère est conseiller.

La sénatrice Miville-Dechêne : Alors, il a pu vous aider.

M. Headley : Oui. Chaque année, de février à mars, des cartes sur le programme agricole sont distribuées. Les gens ont 10 ou 12 cartes à remettre à ceux qui en veulent.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous venez ici depuis six ans. Combien de semaines ou de mois chaque année?

M. Headley : Cinq mois.

La sénatrice Miville-Dechêne : Que faites-vous pour votre employeur? Quel genre de travail accomplissez-vous?

M. Headley : Je plante, je récolte et je sème. J’accomplis essentiellement la plupart des tâches.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous vivez sur la ferme. Combien êtes-vous?

M. Headley : Oui, nous vivons sur la ferme. Nous sommes 18.

La sénatrice Miville-Dechêne : Avez-vous déjà envisagé de rester ici ou de demander des papiers? Êtes-vous heureux de retourner dans votre pays? Y avez-vous une famille? Je voudrais en savoir un peu plus à ce sujet, car les deux pays sont manifestement très différents.

Vous êtes-vous renseigné? Existe-t-il un moyen? Voulez-vous devenir citoyen? J’ai bien des questions.

M. Headley : J’ai entendu dire que nous pouvons maintenant présenter nous-mêmes une demande pour rester ici. Nous pouvons aussi faire une demande pour notre famille. Ce n’est que cette année que nous l’avons entendu dire; nous n’avons pas encore tenté de le faire. Nous aimerions venir et rester. Certains d’entre nous veulent repartir, mais d’autres non.

La sénatrice Miville-Dechêne : Qu’en est-il de vous?

M. Headley : J’aime retourner dans mon pays, car l’hiver est trop froid. Je veux retourner chez moi et revenir. Cela ne me pose pas de problème.

La sénatrice Miville-Dechêne : Gagnez-vous suffisamment d’argent pour nourrir votre famille toute l’année? Pourriez-vous nous expliquer un peu plus ce qu’il en est? Nous sommes curieux et nous voulons savoir comment les choses se passent.

M. Headley : Comme M. Forth l’a indiqué, je fais du travail agricole aussi une fois chez moi. Quand je quitte le Canada, j’ai assez d’argent pour envoyer mes enfants à l’école et pour prendre soin de ma mère. Mon père est mort quand j’avais 12 ans; c’est donc moi qui m’occupe de ma mère. J’ai maintenant deux enfants, un garçon et une fille. Cet argent nous aide.

La sénatrice Miville-Dechêne : Avez-vous déjà travaillé dans un autre pays? Pouvez-vous comparer les conditions offertes au Canada avec celles des États-Unis ou d’un autre pays?

M. Headley : Non, non. C’est mon premier pays étranger. Je n’ai jamais travaillé aux États-Unis.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai posé assez de questions.

La présidente : Y compris une que je voulais poser.

La sénatrice Gagné : J’ai une question pour M. Headley. Quel risque courez-vous au Canada à titre de travailleur étranger temporaire? Y a-t-il des risques quand vous venez ici?

M. Headley : Non, aucun risque, à part le froid.

La sénatrice Gagné : Nous devons tous y faire face.

M. Headley : À part le froid, il n’y a rien d’autre. Le Canada est un bon pays.

La sénatrice Gagné : Qu’est-ce qui vous attire au Canada, année après année? Est-ce la stabilité de l’emploi?

M. Headley : C’est ma famille, que je veux soutenir.

Le sénateur Mercer : J’ai une question pour M. Forth. Vous avez dit qu’il fallait protéger les travailleurs, notamment en les rendant admissibles au programme d’indemnisation des travailleurs. Nous avons entendu un témoin du nom de Derek Johnstone, adjoint spécial et président national de l’Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce du Canada, qui a souligné que les travailleurs agricoles sont exclus de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario.

Or, vous semblez indiquer que les travailleurs sont couverts par diverses lois provinciales, des programmes d’indemnisation et, je présume, des normes du travail. Je tente de saisir le conflit. Vous avez donné l’impression que les conditions sont fort bonnes, alors que l’autre témoin a, au contraire, déploré le fait que la Loi sur les relations de travail de l’Ontario ne s’applique pas aux travailleurs du secteur agroalimentaire.

M. Forth : Il connaît la vérité. La Loi sur les relations de travail contient des exclusions, mais les travailleurs agricoles sont couverts par la Loi sur la protection des employés agricoles de l’Ontario en raison d’une poursuite qu’ils ont intentée contre le procureur général de la province dans l’affaire Dunmore.

J’étais présent quand la Cour suprême du Canada a rendu sa décision, un peu plus loin dans la rue. Elle a statué que la cour savait que les travailleurs étaient couverts, mais qu’elle voulait que le gouvernement de l’Ontario élabore une loi spéciale indiquant que les travailleurs étrangers sont couverts. Le gouvernement de l’Ontario a alors rédigé la Loi sur la protection des employés agricoles, qui s’applique parallèlement à la Loi sur les relations de travail.

Quand les gens vous disent qu’il ne se passe rien, sachez qu’il y a toujours quelque chose d’autre. Ce n’est pas comme cette folle journée aujourd’hui.

Le sénateur Mercer : Voilà pourquoi je vous ai posé la question. Je vous remercie de votre réponse.

J’ai une question d’ordre très pratique. Vous avez parlé du transport aérien des travailleurs entre le Canada et leur pays d’origine. J’ai déjà pris l’avion pour me rendre dans les Antilles et au Mexique, mais je partais pour quelques semaines avec un maillot de bain dans mon sac à dos.

Pouvez-vous conclure une entente avec les transporteurs aériens qui offrent des vols touristiques? Bien souvent, leurs appareils ne sont pas complètement pleins quand ils reviennent et probablement pas si pleins que cela quand ils se rendent dans le Sud à certaines périodes de l’année non plus.

M. Forth : Nous utilisons toutes les lignes aériennes, et nous utilisons les deux de manière différente. Nous utilisons surtout Air Canada, mais aussi Carribbean Airlines et un transporteur mexicain. Je ne suis pas certain si c’est Mexicana ou Aeromexico; c’est celui qui est encore en activité.

Nous prenons aussi des avions nolisés. Tout le monde pense que ces vols sont moins chers. Ils le sont quand les Canadiens se rendent à Cancún ou à Montego Bay parce qu’un pays, un transporteur aérien ou un hôtel offre une subvention. Dans notre cas, les billets pour les vols nolisés coûteront probablement 30 ou 40 $ de plus pour venir au Canada. Nous devons noliser des vols, car nous transportons 25 000 personnes vers le nord et 25 000 personnes vers le sud, et les vols réguliers n’ont pas la capacité nécessaire pour le faire.

Nous faisons appel à des courtiers de transport aérien qui nous trouvent des transporteurs. Il s’agit souvent de voyagistes qui n’utilisent pas les avions ce jour-là. Nous faisons cela et envoyons des avions pleins de travailleurs et ramenons des avions pleins d’hommes et de femmes. Ces déplacements commencent habituellement le Premier de l’an, quand de nombreux travailleurs viennent travailler dans l’industrie de la culture en serre en janvier et en février. Il y a aussi souvent un problème s’il y a un ouragan ou quelque chose.

Je me souviens qu’une année, l’ouragan Gilbert a frappé la Jamaïque et provoqué la fermeture de l’aéroport pendant deux semaines. Comme des quantités de gens devaient venir, nous avons envoyé des avions vides pour les amener au pays.

Le sénateur Woo : Avez-vous un avis au sujet des contrats ouverts par rapport aux contrats fermés? M. Johnstone a traité de la question.

M. Forth : J’ai entendu ces balivernes avant. Je parle de balivernes, car je me demande ce que le directeur général des Blue Jays de Toronto ferait avec son meilleur lanceur sous contrat pour un an seulement. Il s’agit d’un de ces agents libres. Il arrive la troisième semaine de septembre, alors que l’équipe cherche à participer aux Séries mondiales, et il déclare : « Je pense que je vais jouer pour Boston pendant trois semaines. » Comment est-ce que cela va fonctionner?

C’est un contrat d’un an seulement qui lie tant les travailleurs que moi. Avec un contrat ouvert, où les travailleurs vivront-ils? S’attend-on à ce que je les fasse venir en avion et paye pour tout cela? Je les hébergerais et ils travailleraient ailleurs? C’est aberrant.

Le sénateur Woo : Je remarque, dans un des documents, que le programme n’autorise les travailleurs saisonniers à être au pays qu’entre le 2 janvier et le 15 décembre. C’est curieux. Pourquoi ne sont-ils pas autorisés à être au pays pendant deux semaines?

M. Forth : Si vous voulez faire venir des personnes au pays, vous pouvez utiliser un programme pour travailleurs peu spécialisés. Vous pouvez ainsi employer des gens pendant un ou deux ans. Le Programme des travailleurs agricoles saisonniers a été lancé il y a 52 ans afin d’aider les gens des deux côtés. Que cela plaise ou non, les pays étrangers aiment autant Noël que moi. Ils veulent que les travailleurs s’en aillent pour être avec leur famille au moins pour le temps des Fêtes.

C’est ainsi que les choses ont commencé. On n’en parle plus, mais c’est comme cela que les choses ont commencé il y a quelques décennies. Cette interruption fait en sorte que le programme est saisonnier.

Si vous voulez des travailleurs temporaires, vous pouvez en obtenir dans le cadre d’un autre programme. C’est d’ailleurs ce que font bien des gens dans certaines industries. Ils feront venir des travailleurs saisonniers dans le cadre de ce programme. Ils feront aussi appel à un volet du programme pour travailleurs peu spécialisés ou du programme agricole, et c’est pour deux ans. Il ne manque jamais de travailleurs. Pendant la saison, ils embauchent quantité d’employés, mais hors saison, ils en ont moins. Ils ont toujours besoin de quelqu’un, particulièrement les grands exploitants.

Le président : Je voudrais remercier nos témoins d’avoir comparu ce soir. Nous sommes enchantés de vous avoir accueillis parmi nous.

Nous allons tenir une brève discussion à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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