Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule no 57 - Témoignages du 18 octobre 2018
OTTAWA, le jeudi 18 octobre 2018
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 9 heures, pour étudier la manière dont le secteur alimentaire à valeur ajoutée peut être plus compétitif sur les marchés mondiaux.
La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je m’appelle Diane Griffin, sénatrice de l’Île-du-Prince-Édouard et présidente du comité. Nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur la manière dont le secteur alimentaire à valeur ajoutée peut être plus compétitif sur les marchés mondiaux.
Avant d’entendre les témoins, je demanderais aux sénateurs de se présenter.
[Français]
Le sénateur Maltais : Sénateur Maltais, du Québec.
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Oh : Sénateur Oh, de l’Ontario.
Le sénateur Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur R. Black : Sénateur Black, de l’Ontario.
La présidente : Nous accueillons aujourd’hui Ted Haney, directeur général, Alliance commerciale canadienne du chanvre, et M. Rob Ziner, fondateur et chef de la direction, Canadian Industrial Hemp Corporation. Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation à témoigner aujourd’hui. Nous allons commencer par M. Haney.
Ted Haney, directeur général, Alliance commerciale canadienne du chanvre : Tout d’abord, je vous remercie beaucoup de nous avoir invités à témoigner. Nous sommes toujours heureux de pouvoir parler des défis et des débouchés que présente le secteur du chanvre industriel. C’est avec plaisir que nous le ferons avec vous aujourd’hui.
La production commerciale du chanvre industriel a repris au Canada en 1998 en vertu du Règlement sur le chanvre industriel, qui est chapeauté par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Ce règlement a créé un système de licences et de permis de production, de vente, de traitement et de commerce des semences pour les aliments et la fibre.
Santé Canada a émis une exemption en 2016 et en 2017 pour que le Règlement sur le chanvre industriel soit plus efficace en matière de licences et de permis ainsi que d’approbation des producteurs et des transformateurs commerciaux. Le ministère a de nouveau modifié le Règlement en août cette année par la délivrance d’une exemption de récolte de la plante complète qui permet pour la première fois aux producteurs de chanvre industriel de récolter la matière florale et les feuilles du plant de chanvre industriel afin d’en extraire le cannabinoïde, le CBD.
C’était une permission sensée à accorder, car si Santé Canada avait attendu jusqu’à hier, la culture entière aurait déjà été récoltée et il aurait fallu attendre à 2019 pour récolter la plante complète.
Bien sûr, la réglementation sur le chanvre industriel qui relevait de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances est passée hier sous le régime de la Loi sur le cannabis. Cette transition a encore là simplifié l’octroi des licences et permis la récolte de la plante complète, y compris la semence, la fibre et la balle. Le terme balle comprend la matière florale ainsi que le bourgeon et les feuilles du plant de chanvre industriel.
Je précise que le chanvre industriel se définit comme la plante de cannabis ou toute partie de la plante qui ne contient pas plus de 0,3 p. 100 de THC au poids dans la tête florale. Autrement dit, il est raisonnable de dire que cette plante ne produit pas de THC, mais plutôt des fourrages, des aliments, de la fibre et de la résine dont on extrait le cannabidiol.
Les dernières données indiquent que la superficie licenciée de culture de chanvre industriel au Canada est passée de zéro en 1998 à 55 854 hectares, ou 138 000 acres en 2017. Les ventes de matière première ont excédé 60 millions de dollars et les ventes de produits transformés ont généré plus de 130 millions de dollars, dont un peu plus de 90 millions de dollars en exportations. Nous sommes sur la bonne voie, mais il nous reste beaucoup de travail à faire dans quelques secteurs.
Notre industrie crée quatre produits primaires : les aliments, les fourrages, la fibre et les fractions.
Concernant les aliments, il faut élaborer des normes nationales et internationales pour tous les produits alimentaires issus du chanvre. De nos jours, les seules normes qui existent se trouvent dans les contrats d’achat de chaque transformateur. Il n’existe aucune norme en matière de qualité, de microbiologie, de couleur ou autre sur le plan du commerce international.
L’élaboration de normes appropriées facilitera le commerce adéquat de ces produits alimentaires entre les entreprises au pays et à l’étranger. Ces normes permettront de reconnaître, de quantifier et de valoriser les avantages des produits canadiens en matière de qualité et d’innocuité.
L’Alliance canadienne commerciale du chanvre élabore actuellement des normes pour ses membres. Nous travaillons aussi avec ASTM, un organisme de normalisation internationale, pour appliquer les normes canadiennes aux aliments issus du chanvre à l’échelle internationale, car le Canada est un chef de file mondial en la matière.
Passons maintenant au fourrage. Depuis des millénaires, le chanvre est utilisé pour nourrir le bétail, mais pas au Canada. Les produits du chanvre canadien ne sont pas autorisés comme fourrage au Canada, bien qu’ils soient pleinement disponibles pour l’alimentation humaine. Le fait que toute la gamme des produits du chanvre canadien ne soit pas inscrite comme fourrage accroît le risque pour les producteurs canadiens, qui pourraient se voir dans l’impossibilité de vendre leur production au secteur alimentaire en raison des normes sur la couleur, le poids ou la taille. Le problème peut aussi en être un d’offre excédentaire durant une année. Les clients habituels ne peuvent tout acheter, si bien que les produits restent sur les tablettes.
Dans le milieu des céréales et des oléagineux, l’offre excédentaire serait normalement vendue au secteur des fourrages, mais c’est impossible en l’absence d’une inscription au registre. Nos producteurs font donc face à un grand risque.
Pour le chanvre canadien, la seule solution de remplacement au marché alimentaire canadien consiste à vendre le produit sur le marché européen des graines d’oiseaux à des prix dérisoires. Il n’y a pas d’argent à faire dans l’exportation de produits de chanvre canadien de qualité sur le marché européen des graines d’oiseaux.
Les transformateurs canadiens de chanvre et de cœurs de chanvre décortiqués n’ont pas accès à l’heure actuelle à un marché viable pour l’enveloppe du chanvre. Cette graine est constituée d’un centre composé de protéines et d’huile entouré d’une coquille rigide. Lorsqu’on le décortique, ces coquilles ou enveloppes constituent 60 p. 100 du poids. Il n’y a pas de solution de rechange viable de sorte que les transformateurs doivent se débarrasser de ce produit. C’est un excellent aliment pour les animaux, et nous devons terminer l’enregistrement de ce produit à titre d’aliment pour les animaux au Canada.
En ouvrant le secteur de l’alimentation du bétail aux graines de chanvre canadien et aux produits découlant de la transformation des graines de chanvre, cela permettrait d’éliminer une bonne part des risques associés au marché, de sorte que nous pourrions avec confiance augmenter notre production, peu importe la santé du marché alimentaire et ses variations d’une année sur l’autre.
Notre troisième élément porte sur les fibres. M. Ziner vous parlera plus en détail d’un projet très important, mais il faut savoir que la plus grande partie des fibres de chanvre de nos jours au Canada est éliminée par les agriculteurs; la plupart du temps les fibres sont brûlées dans les champs. L’un des principaux obstacles à l’utilisation rentable du chanvre au Canada est le manque de possibilités de décortication ou de capacité de séparer les fibres. Les dépenses en capital nécessaires pour ces installations découlent du fait qu’il faut atteindre une masse critique pour un approvisionnement constant en matières premières dans différentes régions de marché. Au fur et à mesure que notre secteur prendra de l’expansion en vue d’atteindre cette masse critique, il sera crucial d’attirer les investissements en capitaux nécessaires pour transformer la fibre.
Une fois que la capacité de décortication sera disponible, nous pourrons obtenir des produits à valeur ajoutée découlant de deux fibres de base produites à partir du chanvre. Cela peut se décliner dans toute une série de produits, que ce soit pour la construction, les maisons, les avirons, les canots et même les rouli-roulants. Il existe toute une gamme de produits pouvant être fabriqués à partir de la fibre de chanvre de façon durable, mais pour ce faire, il faut qu’il y ait une prochaine ronde d’investissements en capitaux.
Enfin, il y a également un quatrième produit qui se fabrique grâce au chanvre depuis hier. Les fleurs, les feuilles ou la balle du chanvre industriel peuvent maintenant être recueillis et vendus en vue de l’extraction du cannabidiol, ou le CBD.
Selon la loi, le chanvre industriel produit moins de 0,3 p. 100 de THC par poids dans les inflorescences, le potentiel de contamination au THC a été éliminé.
Santé Canada a restreint la transformation du CBD aux transformateurs de marijuana licenciés, et le ministère a de plus restreint la vente du CBD uniquement dans le cas de marijuana utilisée à des fins médicales ainsi qu’aux secteurs de la vente au détail de marijuana réglementée par les provinces.
L’Alliance commerciale canadienne du chanvre estime que le CBD présente un profil de risque très inférieur à celui du THC et qu’il devrait être réglementé en tant que produit distinct.
Le gouvernement du Canada peut permettre l’extraction du CBD hors du cadre de la Loi sur le cannabis et permettre la vente de produits contenant du CBD en tant que composante alimentaire à faible dose ainsi que comme suppléments de santé naturelle en doses modérées.
Les produits à dose élevée peuvent toujours être réglementés en tant que produits pharmaceutiques ou produits sur ordonnance. Cette approche est appuyée par des évaluations de risque effectuées par l’Organisation mondiale de la Santé en 2017. Elle est similaire à celle proposée par le Sénat des États-Unis dans l’actuelle loi agricole.
Une réglementation excessive du traitement et des ventes de CBD désavantagera le Canada sur le plan de la concurrence ici et sur les marchés d’exportation par rapport à nos grands compétiteurs aux États-Unis si les Américains en venaient à adopter leur règlement et leur loi agricoles.
L’Alliance commerciale canadienne du chanvre a déposé un mémoire au Conseil du Trésor. Dans ce dernier, elle recommande que la réglementation et la surveillance réglementaire du chanvre industriel canadien passe de Santé Canada à Agriculture et Agroalimentaire Canada. Cette délégation de pouvoir encouragera la reconnaissance et la réglementation du chanvre industriel à titre de culture agricole, ce qui est le cas. Ce changement est très important.
On m’a demandé de formuler des commentaires sur l’étiquetage. Ces derniers sont très brefs, alors, si vous me le permettez, je peux vous en parler.
La présidente : À quel point sont-ils brefs?
M. Haney : Je peux en parler plus tard.
La présidente : Peut-être pourrions-nous vous poser une question à cet effet?
M. Haney : Bien sûr.
Rob Ziner, fondateur et président-directeur général, Canadian Industrial Hemp Corporation : Bonjour à tous. Saviez-vous que la valeur au détail de tous les produits de chanvre vendus en Amérique du Nord en 2016 a dépassé 1 milliard de dollars et que moins de 1 p. 100 a été produit à partir du chanvre cultivé en Amérique du Nord? Pendant ce temps, le Canada, qui a importé plus de 25 millions de dollars en fibres de chanvre de l’Europe et de la Chine, a aussi importé plus de 20 millions de dollars en produits de chanvre finis.
Je m’appelle Robert Ziner. Je suis fondateur et président-directeur général de la Canadian Industrial Hemp Corporation. Merci de m’avoir invité.
Même si la graine de chanvre est actuellement le produit de chanvre le mieux connu au Canada, il ne s’agit que d’un des trois produits dérivés du chanvre. Les deux autres sont la fibre provenant de la tige et l’huile de cannabidiol non psychotrope extraite des fleurs et des feuilles.
On peut ajouter de la valeur à la tige en en faisant de la fibre. C’est ce dont je vais vous parler aujourd’hui. Même si une industrie à grande échelle pour la transformation de la tige en fibre n’a pas encore été établie au Canada, cette industrie est déjà en pleine effervescence en Chine et partout en Europe. Ensemble, leurs ventes se chiffrent à plus de 1,3 milliard de dollars par année.
Il n’a jamais été illégal de cultiver le chanvre dans ces régions du monde. Ainsi, les industries de là-bas continuent de développer des technologies brevetées et des possibilités de valeur ajoutée. Fait important, ces producteurs de fibre étrangers dépendent d’une main-d’œuvre bon marché pour justifier leur faible marge d’exploitation.
Plus de 200 000 tonnes de tiges ont été créées partout au Canada en 2017 à partir de semences, et plus de 90 p. 100 ont été soit brûlées dans les champs ou éliminées à un coût équivalent à 10 p. 100 des revenus totaux des agriculteurs provenant des semences. Tout a été gaspillé.
La valeur potentielle qui peut être ajoutée aux 200 000 tonnes de tiges dépasse les 200 millions de dollars. La transformation de tiges en fibres représente une énorme occasion de réaliser des profits. On transforme la tige en fibre littéralement depuis des milliers d’années.
Toutefois, la réalité est que le coût de la main-d’œuvre canadienne gruge les profits disponibles dans les établissements de transformation de fibre de chanvre traditionnel, et une faible production dans un environnement respectueux des travailleurs ne peut répondre aux besoins des consommateurs.
Le résultat est que, d’une part, le Canada ne peut exporter la fibre de chanvre en ce moment et, d’autre part, l’échelle de ces opérations et la qualité sont si faibles que ses propres producteurs doivent s’approvisionner à l’étranger pour assurer un approvisionnement constant.
Le Canada a trois avantages comparables. Tout d’abord, à l’échelle nord-américaine, le Canada cultive le chanvre de façon légale depuis 1998, ce qui nous donne une longueur d’avance. Par contre, avec l’adoption récente de la Loi sur le chanvre aux États-Unis, les Américains nous rattrapent. Ensuite, le Canada est particulièrement bien placé avec son industrie de fibre de chanvre de classe mondiale. Le Canada détient 94 millions d’acres de terres arables et ne cultive actuellement que 100 000 acres de chanvre. Finalement, le Canada est reconnu à titre de chef de file mondial dans les domaines du développement de l’intelligence artificielle, de l’apprentissage machine et de l’agronomie à la fine pointe de la technologie.
Le Canada doit surmonter deux inconvénients comparables principaux. Premièrement, les justes salaires payés au Canada sont trop élevés pour justifier, du point de vue économique, la séparation de la tige, connue sous le nom de décortication. Deuxièmement, les cinq transformateurs de tige existants au Canada — il n’y en a que cinq — sont des exploitations à petite échelle, seulement capables de générer de faibles marges, si bien qu’elles ne peuvent pas se permettre d’investir dans l’automatisation et le contrôle de la qualité automatisée.
Que faudra-t-il pour être concurrentiel au Canada ainsi que sur les marchés mondiaux du chanvre? La réponse simple est que le Canada devra devenir un producteur de fibre de chanvre de haute qualité à faible coût peu importe le coût de notre main-d’œuvre.
Il faudra cultiver plus de chanvre au Canada. Pour ce faire, il faudra motiver les agriculteurs à ne cultiver le chanvre que pour sa fibre dans certains cas. Cela leur fournira au final les revenus les plus élevés de presque toutes les cultures faites au Canada pour obtenir de la fibre.
Le Canada doit se prévaloir d’installations de transformation de fibre de chanvre dernier cri où on utilise la fabrication de pointe avancée du XXIe siècle et l’automatisation intelligente. L’industrie doit transformer le chanvre comme on fabrique des voitures et on assemble des ordinateurs, c’est-à-dire, en utilisant des systèmes de fabrication intégrés assistés par l’intelligence artificielle. Dans un article paru en 2017, le magazine Forbes a déclaré que l’intelligence artificielle aura une incidence sur toutes les industries. Je peux vous assurer que cela inclura la transformation du chanvre.
Toute cette technologie coûte cher, mais il existe trois bonnes raisons d’investir dans la décortication modernisée. Premièrement, le marché mondial de la fibre croît rapidement. Deuxièmement, la technologie permet d’avoir une meilleure qualité et des coûts de production plus faibles. Troisièmement, la technologie se rentabilisera après moins de deux ans d’opération.
Toutefois, si nous attendons, les producteurs canadiens risquent de devoir payer des redevances aux entreprises étrangères qui détiennent la propriété intellectuelle dont les producteurs auront besoin pour être concurrentiels. Le Canada doit inciter les gens à créer ici de la propriété intellectuelle qui restera chez nous. Sinon, cela entraînera des coûts pour les Canadiens aujourd’hui, demain et pendant longtemps.
Plus de 25 000 produits peuvent être fabriqués à partir de la fibre de chanvre. Cela comprend les biogranulés utilisés pour remplacer les produits faits à partir de plastique pur par des biocomposites, la litière pour chats et les produits absorbants commerciaux, les tissus, la corde, les produits isolants, les pièces automobiles, les planches à neige et la brique de chanvre.
Tous ces produits surpassent les produits qu’ils sont conçus pour remplacer. Ils sont tous durables et la plupart coûtent jusqu’à 35 p. 100 de moins à produire. En fait, Mercedes, BMW et Renault utilisent tous de la fibre de chanvre européenne pour fabriquer des panneaux de portières de voiture et d’autres produits de finition pour automobiles. Ces constructeurs automobiles utilisent le chanvre, car il coûte moins cher et est plus léger que le plastique.
Les entreprises canadiennes de transformation du chanvre doivent bénéficier du soutien du gouvernement pour justifier, cerner, coordonner et élaborer conjointement les produits et les marchés du chanvre. Toutes les parties prenantes doivent travailler de concert pour investir dans l’élaboration et la présentation de projets pilotes prestigieux sur le chanvre. Le gouvernement doit recueillir plus de données sur le marché mondial et y faciliter l’accès. Il doit également mettre ses compétences et ses relations à contribution pour mener à la réussite commerciale.
En conclusion, souvenez-vous qu’il existe un marché mondial, une demande croissante, et qu’il n’y a tout simplement pas assez d’offre de qualité au Canada. Le Canada pourrait avoir accès à un marché de la fibre d’une valeur de plus de 1 milliard de dollars. Nous avons les capacités et toutes les ressources nécessaires pour obtenir notre juste part.
Merci beaucoup.
La présidente : Je vous remercie pour ces deux excellentes présentations.
[Français]
Le sénateur Maltais : Bienvenue, messieurs. Merci pour la présentation de votre mémoire. À quel endroit en particulier le chanvre est-il cultivé au Canada? Dans quelles provinces ou territoires? Je n’en ai aucune idée.
[Traduction]
M. Haney : De nos jours, les producteurs de chanvre licenciés se situent dans toutes les provinces sauf Terre-Neuve. Les trois principaux producteurs se trouvent dans les Prairies — en Saskatchewan, en Alberta et au Manitoba. D’autres grands producteurs se trouvent en Ontario et au Québec. Nous avons une forte présence au Canada atlantique et, en raison de certains conflits particuliers, une présence très faible en Colombie-Britannique.
[Français]
Le sénateur Maltais : Dans votre mémoire, vous avez dit que le chanvre était reconnu depuis 1998. Toutefois, il était beaucoup plus présent au Canada avant cette date. Louis Hébert a planté du chanvre au Nouveau-Brunswick en 1607 et il en a planté dans la ville de Québec en 1617. Cette culture remonte donc à des siècles au Canada. Je ne comprends pas qu’elle ne soit pas présente sur le marché international. Agriculture et Agroalimentaire Canada ou Santé Canada semblent avoir des problèmes avec la reconnaissance de ce produit. Quelle principale objection vous donnent-ils?
[Traduction]
M. Haney : C’est en partie une question d’élan. C’est vrai que le chanvre était une culture majeure pour les aliments et la fibre au Canada durant la période d’établissement, mais l’industrie a été déracinée dans les années 1930 et n’a été autorisée à se rétablir qu’en 1998. Tout cet élan en matière de commerce, d’investissements, de production, de connaissances, de développement intellectuel et de développement des variétés s’est arrêté. Les institutions publiques n’ont pas effectué de recherches et le chanvre a été associé à la marijuana et à sa nature illégale. On n’a pas fait de différence entre les deux, si bien que tout le travail s’est simplement arrêté.
C’est donc un recommencement lent et difficile. Le fait qu’une culture clairement agricole soit toujours réglementée entièrement par la Loi sur le cannabis à Santé Canada montre clairement, selon moi, une réticence à reconnaître pleinement que les aliments, les fourrages, la fibre et les fractions sont les produits primaires du secteur du chanvre industriel.
S’il y a de la réticence, c’est parce qu’on coupe les cheveux en quatre. La plante de chanvre industrielle contient du THC, mais il s’agit de moins de 0,3 p. 100 par poids et uniquement dans les inflorescences. C’est un produit résiduel. Cela n’est donc pas pertinent. Il faut donc laisser tomber pour que cette récolte agricole devienne ce qu’elle pourrait être si on la libère des contraintes imposées actuellement en matière de permis pour les producteurs. Si c’est trop difficile, les agriculteurs se diront tout simplement : « Eh bien, laissons tomber, je peux produire d’autres types de récoltes. Je n’aurai pas besoin de demander de permis pour producteur commercial. Je n’aurai pas à faire l’enregistrement de mes champs. Je pourrai tout simplement m’adonner à l’agriculture. »
C’est toujours compliqué. Il faut libérer ce type de culture. Il faut la traiter comme une culture agricole.
Pour ce qui concerne les fractions, Santé Canada est d’avis que le THC et le CBD doivent être réglementés de façons identiques, même si leurs profils de risques sont diamétralement opposés. Le CBD n’enivre pas. L’Organisation mondiale de la Santé a fait un excellent examen en 2017 pour confirmer, encore une fois, que le CBD n’a aucun lien à l’accoutumance. Cela ne pose aucun problème d’accoutumance. En fait, il semblerait que le CBD pourrait servir à traiter l’accoutumance chez les humains même si cette composante n’entraîne pas de dépendance en tant que telle.
Ainsi, comme les profils de risques sont si différents, n’assujettissez plus le produit à des normes rigoureuses et laissez le CBD devenir un produit de santé et de bien-être comme il devrait l’être, laissez-le devenir un ingrédient alimentaire ou un supplément de santé naturel et réglementez-le au même titre que le reste de la plante. À ce moment-là, je pense que vous constateriez une véritable croissance dans cette industrie et dans le secteur de la fibre brute comme alimentation animale qui est si nécessaire au projet de M. Ziner.
[Français]
Le sénateur Maltais : Laissons de côté pour le moment le volet de la drogue. On en parle depuis 24 heures et on est étourdi. La principale difficulté liée à l’utilisation de la tige du chanvre est la décortication. On a commencé à voir de l’équipement apparaître aux États-Unis, vers 1920, pour se servir de la fibre. Est-ce que, aujourd’hui, on a les mêmes difficultés à tirer la qualité de la fibre? Cette question s’adresse à M. Ziner.
La prochaine question s’adresse à M. Haney. Pourriez-vous m’énumérer les produits à base de chanvre qui sont bons pour la santé?
[Traduction]
M. Ziner : Je suis désolé, pourriez-vous répéter cela?
[Français]
Le sénateur Maltais : Je veux savoir s’il existe des équipements modernes qui permettent de mieux déchiqueter la fibre aujourd’hui qu’il y a 50 ans, pour en faire des produits comme de la laine ou du tissu.
[Traduction]
M. Ziner : Oui. La plupart des technologies sont les mêmes depuis les années 1930. Les Américains sont en train d’élaborer des technologies améliorées. Notre entreprise est en train de mettre au point un système de fabrication avancée qui utilise l’intelligence artificielle et la fabrication intégrée, comme dans la fabrication d’automobiles et l’assemblage d’ordinateurs. Nous faisons cela pour changer les aspects économiques de la décortication et pour maximiser les occasions en matière de valeur ajoutée dans la production.
Notre système traite chaque balle séparément, optimise la valeur, et fait en sorte que nous ayons une productivité élevée afin d’abaisser nos coûts de production à l’unité. La bonne nouvelle, c’est que la technologie s’en vient.
[Français]
Le sénateur Maltais : Cette technologie vous permettra-t-elle d’être compétitif par rapport aux Pays-Bas, entre autres?
[Traduction]
M. Ziner : Oui. Bien que l’Europe ait une avance considérable par rapport au Canada et est allée plus loin en raison de l’élaboration de produits finis à valeur ajoutée comme ces biogranulés pour les biocomposites, nos études sur les coûts nous portent à croire que l’Europe a une capacité de rendement limitée. La production maximale pour une usine en Europe est de 12 000 tonnes par année. La capacité établie de notre système sera de 50 000 tonnes par année. Il s’agit d’une toute autre échelle. Plus important encore, la technologie d’automatisation, la numérisation et l’intelligence artificielle qui seront utilisées nous permettront d’augmenter de façon considérable la valeur ajoutée aux tiges transformées.
Je crois que dans un des documents que je vous ai envoyés, j’ai pu démontrer que, d’après notre projection sur cinq ans, nous transformerons 50 000 tonnes par année, nous générerons 50 millions de dollars en revenus, et nous aurons un excédent brut d’exploitation de 47 p. 100. En réalité, nous serions le producteur à faible coût dans le monde. Nous croyons que, non seulement nous serons ainsi en mesure d’exporter la fibre de chanvre, mais que nous aurons aussi une excellente occasion d’exporter notre technologie, qui est en instance de brevet.
Le sénateur Maltais : Merci.
Le sénateur Doyle : Il est étonnant que l’on ait pas adopté le chanvre plus tôt. Quand j’étais enfant, je savais que le chanvre servait à fabriquer les cordes qu’utilisaient les pêcheurs. C’est tout ce que nous savions du chanvre : qu’il servait à fabriquer de la corde.
Le tableau que vous avez envoyé contient beaucoup d’information. Vingt-deux millions d’acres servent à la production du blé, 23 millions à la production du colza et seulement 150 000 acres à la production du chanvre, ce qui est étonnant.
Est-ce en partie attribuable au fait qu’on a certains préjugés à l’endroit du chanvre? Certaines variétés ont été interdites à l’échelle mondiale en raison de leur teneur élevée en THC. J’aimerais connaître votre opinion là-dessus, si vous le voulez bien.
Le coût de la main-d’œuvre pour la production du chanvre est-il élevé? Vous avez fait mention du coût de la main-d’œuvre, mais est-il plus élevé pour le chanvre que pour le blé, le soja, le colza ou ce type de choses?
M. Ziner : Non, de notre point de vue, pas nécessairement. La différence c’est que notre modèle prévoit que nous verserons aux agriculteurs jusqu’à 300 $ la tonne de fibre. Cela deviendrait le coût le plus important pour nous.
Excusez-moi, sénateur Doyle, pourriez-vous répéter votre question? Je veux être sûr d’avoir bien compris.
Le sénateur Doyle : Vous avez fait mention du coût de la main-d’œuvre pour la production de chanvre. Est-il beaucoup plus élevé ou beaucoup moins élevé que pour les autres récoltes? J’ai l’impression qu’il est beaucoup plus élevé.
M. Ziner : Non. Ce qui est complexe dans la transformation de la fibre, c’est toute la manipulation. Il y a beaucoup de goulots d’étranglement et de ruptures dans la chaîne en raison de la façon dont la fibre passe par le système. C’est à cet égard que l’intelligence artificielle et la fabrication intégrée automatisée nous aident.
En réalité, c’est le coût du chanvre même qui est probablement le plus important.
Le sénateur Doyle : Y aura-t-il des avantages — par exemple, aujourd’hui, une personne qui se soucie de l’environnement et qui examine la situation du plastique et la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans, par exemple, se pourrait-il que le chanvre, ou certaines parties de la plante, soient utilisées dans les plastiques afin de remplacer, d’une façon ou d’une autre, les plastiques existants que nous avons aujourd’hui pour les rendre plus écologiques? Cela fait-il partie de l’équation? Est-ce que cela pourrait en faire partie?
M. Ziner : Il s’agit d’une partie très importante de l’équation, sénateur Doyle. Nous travaillons avec le gouvernement de l’Alberta en vue de mettre au point ces biogranules qui nous permettront de remplacer jusqu’à 80 p. 100 de la quantité de plastique dans certains produits par de la fibre de chanvre. Par conséquent, on remplace 80 p. 100 de ce polymère fait à partir de pétrole par un produit durable. Cela semble aller de soi pour des raisons environnementales.
Le sénateur Doyle : Les déchets qui résulteraient du secteur du cannabis récréatif offrent-ils un certain potentiel? Se pourrait-il que la teneur en THC soit trop élevée pour que ces déchets soient utilisés à des fins industrielles ou cela serait-il impossible? Est-ce que ce serait tout à fait hors de question parce que la teneur en THC pourrait être trop élevée dans les déchets provenant de ce secteur?
M. Ziner : Non. J’ai pu obtenir des échantillons d’un producteur licencié en Ontario pour l’envoyer au ministère de l’Agriculture en Alberta, où on procédera à des tests pour nous.
La taille de la tige d’un plant de marijuana médical est plus petite que celle d’un plan de chanvre, de façon générale. Le processus donne moins de fibres, qui est le principal ingrédient. Toutefois, dans le cadre de notre recherche en cours, nous cherchons à déterminer comment nous pourrions utiliser cette matière dans des produits finis, encore une fois, en vue de créer une valeur ajoutée de cette source particulière.
Le sénateur Doyle : L’arrivée du cannabis récréatif pourrait avoir des conséquences positives.
La présidente : Ce sera votre dernière remarque. Je passerai à l’intervenant suivant.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux invités. J’aimerais continuer dans la même veine que le sénateur Doyle. Vous avez abordé vous-même, monsieur Ziner, le CBD dans le chanvre par opposition au THC dans le cannabis. Si je me réfère aux spécialistes de la bourse, les producteurs de cannabis récréatif n’ont pas de problèmes d’investissement. D’ailleurs, ils ont fait récemment des gains très appréciables. Pourquoi n’y a-t-il pas le même engouement pour votre production? Je veux dire à la bourse, évidemment.
[Traduction]
M. Ziner : Au sujet de la fibre?
[Français]
Le sénateur Dagenais : C’est exact. Les producteurs de cannabis ont fait des profits faramineux avec le THC. Alors pourquoi, dans le cas de votre production, on n’a jamais entendu parler d’un engouement à la bourse pour la fibre de chanvre, par exemple, avec le CBD? Pourquoi n’y a-t-il pas le même engouement pour les deux produits? Est-ce parce que la légalisation est nouvelle? Pourtant, le chanvre existe depuis longtemps.
[Traduction]
M. Ziner : Il y a une importante distinction à faire entre la culture du cannabis pour le CBD et la tige et la culture du cannabis pour les semences. La maturation des graines se fait à 16 semaines et la maturation pour le CBD et la tige se fait à 13 semaines. Les plantes dont les semences ont déjà atteint la maturité sont des plantes dont la teneur en CBD est surmaturée et dégradée. Si la plante est récoltée à 13 semaines, c’est optimal autant pour le CBD que pour la tige.
La tige présente des possibilités de profit énorme. Comme je l’ai dit, les 200 000 tonnes que nous avons produites au Canada pourraient être converties en produits à valeur ajoutée à hauteur de 200 millions de dollars.
La réponse, c’est que c’est toute une occasion qui s’offre à nous. Nous croyons avoir trouvé la solution en améliorant la productivité et en rehaussant la valeur pouvant être ajoutée au produit de façon à pouvoir donner plus aux agriculteurs pour la tige. Nous pouvons offrir de bons emplois bien rémunérés nécessitant certaines compétences précises. De ce point de vue, nous estimons qu’avec ce que nous mettrons sur le marché, nous pourrons le perturber complètement.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Vous avez parlé de certains problèmes de main-d’œuvre et vous avez indiqué que les salaires au Canada vous rendent parfois moins compétitif. On sait que, dans d’autres pays, les salaires dans le secteur agricole coûtent moins cher. Qu’est-ce qui pourrait améliorer vos coûts de production et vous rendre plus compétitif?
[Traduction]
M. Ziner : La réponse est simple : c’est ce dont on est témoin dans le secteur manufacturier partout dans le monde depuis 30 ans, à savoir l’automatisation et l’intelligence artificielle.
J’ai commencé à m’intéresser à la fabrication avancée au milieu des années 1980; j’ai alors conçu un système fondé sur l’intelligence artificielle pour la deuxième transformation du bois. Cela existe depuis longtemps. Nous avons la possibilité d’améliorer les résultats économiques en améliorant la technologie. Depuis que Henry Ford a créé le modèle T en 1913 et pensé à la chaîne de montage, nous avons vu maintes et maintes fois comment les progrès technologiques peuvent améliorer les rendements dans bon nombre de secteurs.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Vous parlez de la technologie, de l’équipement, de l’investissement. On sait que, chez nos voisins américains, si les gens investissent dans leur compagnie, ils peuvent déduire rapidement le montant de l’investissement qu’ils ont fait. Je sais que cela ne se fait pas nécessairement au Canada. Croyez-vous qu’on devrait aller dans le même sens au Canada lorsque les manufacturiers canadiens investissent dans leur entreprise? Les nouvelles technologies devraient-elles faire l’objet de déductions sur le plan fiscal? Cela vous aiderait. Croyez-vous qu’on devrait faire une recommandation à cet égard dans notre rapport?
[Traduction]
M. Ziner : Je vous répondrai tout simplement en vous disant qu’il faut tenter tout ce qui rehaussera notre rendement économique, la création d’emplois et la stabilité de l’économie au Canada.
En ce qui concerne la main-d’œuvre, c’est une question de productivité. La productivité, c’est essentiellement la production de chaque employé d’une entreprise donnée; on parle donc de coûts de production unitaire. Notre coût de production unitaires représente environ 50 p. 100 des coûts du décorticage. Cela fait donc une différence énorme.
J’ai travaillé pendant 20 ans dans la deuxième transformation du bois. J’ai appris que, si l’ajout de la valeur ne mène pas à des profits, vous ne le faites pas, car ce n’est pas payant. Voilà pourquoi on ne produit pas suffisamment de chanvre pour la fibre au Canada. C’est trop coûteux par rapport au profit que l’on peut générer si on se concentre seulement sur ce produit et qu’on en retire deux éléments. Il faut trouver une façon d’intégrer la production pour créer des produits secondaires et ainsi abaisser les coûts unitaires de production.
Le sénateur Oh : Je remercie tous les témoins d’être venus. J’aimerais faire suite aux deux dernières questions qui ont été posées.
Quel est le rendement par acre qu’un producteur de chanvre peut obtenir? Le savez-vous? Combien de plantes peut-on cultiver sur un acre et quel est son rendement par rapport aux autres cultures?
M. Ziner : C’est une excellente question. Je crois que, dans l’un des documents que je vous ai envoyés, il y a un graphique montrant le revenu par acre pour les différentes cultures, ainsi que pour la graine de chanvre et la fibre de chanvre.
Si one examine les autres cultures, on parle, d’une perspective nette, d’environ 275 $ à 500 $ ou 600 $ par acre en termes de revenu net.
Pour la graine de chanvre en 2017, les producteurs recevaient 800 $ la tonne. Cela faisait environ 800 $ par acre. En 2018, on a vu une réduction de la quantité de chanvre qui a été cultivé. Le prix a baissé parce que la Chine faisait du dumping de graine de chanvre dans le marché, à environ 625 $ par acre.
Lorsqu’on fait pousser la plante pour les graines, on plante environ 125 plants par acre. Lorsqu’on la fait pousser pour la fibre, on veut que les plants soient plus près les uns des autres parce que l’on veut que la force vitale aille dans la tige elle-même. Donc, on plante 400 plants par acre.
Le tonnage est d’une tonne et quart par acre de tige de la tige de graine et, statistiquement, de 3,6 tonnes à 12 tonnes par acre de tige lorsqu’on la fait pousser spécifiquement pour la fibre. Statistiquement, on utilise 5 tonnes par acre. On dit 5 tonnes par acre et on est prêt à payer 300 $ la tonne pour le chanvre cultivé spécifiquement pour sa fibre. Potentiellement, cela donnerait aux agriculteurs jusqu’a 1 500 $ ou plus par acre, faisant du chanvre la culture à la valeur la plus élevée au Canada.
Le sénateur Oh : Qu’en est-il du roulement? Vous dites qu’il faut trois à quatre semaines pour que la plante ait terminé de pousser?
M. Ziner : Non, 13 semaines, ce qui représente trois semaines de moins que la graine. Parce que les Prairies sont la région de croissance la plus importante au pays, où l’on peut récolter trois semaines plus tôt, cela enlève de la pression sur les agriculteurs s’ils doivent aussi faire pousser pour la graine parce qu’il peut faire cette récolte en premier. Cela leur enlève aussi de la pression parce qu’ils ne font pas face à la saison hivernale.
Le sénateur Oh : Peut-on avoir deux récoltes par année?
M. Ziner : Pas au Canada. Peut-être à Osoyoos, en Colombie-Britannique, qui est notre désert. Au-delà de cela, je ne crois pas que nous puissions avoir deux récoltes ici.
Cependant, j’ajouterais que, d’un point de vue agricole, les Prairies, ainsi que l’Ontario et le Québec, dans leur partie nord, vont être les régions qui bénéficieront le plus de la croissance du chanvre pour la fibre, parce qu’elles bénéficient de 20 à 22 heures d’ensoleillement l’été. Le chanvre a besoin de soleil. Il n’a pas tant besoin d’eau ou de pesticides. Il a besoin d’un peu d’herbicides, mais c’est tout.
Le sénateur Oh : Quelle hauteur les plans atteignent-ils?
M. Ziner : Techniquement, les plants peuvent se rendre jusqu’à 20 pieds. Au Canada, si on ne cultive ces plans que pour la fibre, on s’attend à ce qu’ils atteignent une hauteur de 14 pieds.
Le sénateur Oh : Pour revenir à la question de l’environnement, combien de temps faut-il aux fibres pour se désintégrer? Le plastique restera très longtemps.
M. Ziner : Des milliers d’années. On dit que cela dépend de la quantité de fibre qui sera insérée dans le produit. Elle aura l’occasion de se dégrader sur une période de 100 ans, mais là n’est pas vraiment la question. La question d’un point de vue environnemental est de savoir la quantité de pétrole qu’elle remplace parce qu’on considère la production de pétrole comme étant nuisible pour l’environnement. Si on peut remplacer le pétrole avec la fibre en tant que pourcentage de volume, on améliore l’incidence environnementale en réduisant l’utilisation du pétrole.
Le sénateur Oh : La marijuana a été légalisée hier. Croyez-vous que la culture du chanvre augmentera?
M. Ziner : Je n’en ai aucun doute. La communauté des investisseurs a bénéficié de l’industrie de la marijuana. Ils ont bien hâte d’aller chercher d’autres occasions sur le marché public.
En me fondant sur les discussions que j’ai tenues avec des banquiers responsables des investissements au Canada et aux États-Unis, je n’ai aucun doute que le chanvre soit leur prochaine frontière. Je peux vous dire que j’ai déjà été approché par deux fonds de couverture — un au Canada et un aux États-Unis — qui sont intéressés à former ensemble un consortium de transformateurs primaires et secondaires. On parle de chiffres très élevés.
Le sénateur R. Black : Merci d’avoir partagé ces chiffres avec nous. Ceux qui m’ont le plus frappé sont les 200 000 tonnes qu’on fait pousser, dont 90 p. 100 sont brûlés ou jetés, ce qui montre que le matériel est disponible.
Vous avez parlé d’occasions d’élargissement. Où devrait-il se faire étant donné qu’on produit dans toutes les provinces sauf une? J’imagine — et je pourrais me tromper — qu’il y a des économies d’échelle à faire lorsqu’on parle de transformation des plants. Où cette expansion devrait-elle avoir lieu? Si c’est seulement dans certaines parties du pays, comment s’y prend-on pour transférer le produit de l’endroit où on le fait pousser aux installations de transformation?
La question est ouverte à tous.
M. Haney : Encore une fois, aujourd’hui, la culture se fait dans toutes les provinces sauf une. Du point de vue agronomique, il existe une raison pour expliquer que les trois plus grandes provinces sont celles des Prairies. La situation britanno-colombienne est, en quelque sorte, un peu plus compliquée. La raison pour laquelle à peine 80 hectares ont un permis de production en 2017 est une question compliquée liée à des enjeux de pollinisation croisée.
Honnêtement, il existe des possibilités de croissance dans toutes les régions du Canada. Des investissements très précis sont réalisés actuellement dans la transformation alimentaire et le traitement des fibres au Canada atlantique, au Québec, en Ontario, de même qu’au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta.
S’il est vrai qu’on peut considérer qu’il existe un déséquilibre national par rapport à la superficie dans les provinces des Prairies, il y aura quand même une présence importante de chanvre, en particulier aux abords de l’autoroute 16, pour les variétés de fibres à double emploi, et le long de l’autoroute 1 et de l’autoroute 3 dans le sud des provinces des Prairies pour la production de semis optimisés. Encore une fois, avec la capacité de transformation, les obstacles éliminés ont permis d’augmenter la superficie dans chaque région. Le Canada atlantique, le Québec et l’Ontario, en plus des provinces des Prairies, ont tous connu cette croissance.
En passant, notre secteur a estimé la croissance en éliminant certaines de ces limites. L’objectif du secteur est d’atteindre 450 000 acres ou 200 000 hectares de production et 1 milliard de dollars de ventes, y compris 900 millions de dollars d’exportations d’ici 2023. C’est très rapide. Comme je l’ai dit, nous avons beaucoup de travail à faire.
M. Ziner : J’aimerais ajouter que, selon nous, pouvoir disposer d’une usine ayant une capacité de 50 000 tonnes et fonctionnant selon les marges que nous avons définies, plutôt que de recourrir aux usines de décortication existantes qui s’approvisionnent uniquement dans un rayon de 200 kilomètres, notre modèle d’affaires s’étend jusqu’à 600 kilomètres parce que nous avons les marges pour le justifier et nous pouvons nous le permettre. De notre point de vue, nous cherchons les occasions, par exemple, si nous nous installions en Alberta, nous pourrions aussi nous approvisionner en Colombie-Britannique et en Saskatchewan. Si nous nous installions en Saskatchewan, ce serait la même histoire.
Notre plan consiste à copier ces usines partout au Canada, ainsi qu’aux États-Unis. La raison pour laquelle j’ai mentionné que les Américains s’en viennent, c’est que si nous ne nous positionnons pas comme chef de file dans la technologie de décortication du chanvre dès maintenant, les Américains seront, comme on le sait, assez rapides et dynamiques, comme ils peuvent l’être lorsqu’ils le veulent, de sorte que nous risquons de rater ces occasions à leur profit.
Le sénateur R. Black : Comment transporte-t-on les produits du champ si l’usine se trouve à 600 kilomètres? Le produit est-il transporté en tiges de 14 pieds? Est-il découpé avant d’être expédié par train? Il y a des coûts reliés à cela aussi.
M. Ziner : Les coûts ont été pris en considération dans nos plans. La réalité, c’est qu’il s’agit d’une presse à balles standards; on peut choisir une forme ronde ou carrée. Les balles sont déposées sur un camion à plateforme — environ 21 balles ou une tonne par camion — et elles sont ensuite envoyées à l’usine.
Le sénateur R. Black : Merci.
La sénatrice Bernard : Mes collègues ont posé l’une de mes questions, mais j’aimerais revenir sur la question des salaires.
Monsieur Ziner, je pense vous avoir entendu dire que les salaires justes sont trop élevés pour permettre au secteur d’être concurrentiel. Pouvez-vous expliquer ce que vous entendiez par là? Que considérez-vous comme un salaire juste et qu’est-ce que cela signifie?
M. Ziner : Excusez-moi; je ne voulais pas dire que les salaires justes sont beaucoup trop élevés. Ce que je dis, c’est qu’en faisant concurrence à la Chine et à la Roumanie, qui sont les principales sources d’approvisionnement à l’heure actuelle, vous avez affaire à un coût de la main-d’œuvre très bas en raison du nombre de travailleurs requis pour accomplir le processus de décortication, qui se fait à la main. Cela figurait dans l’un des documents que j’ai envoyés. Il y avait des images qui illustraient une exploitation roumaine.
L’idée, c’est de créer, par exemple, une capacité. Nous avons 77 emplois par usine et générons environ 30 000 à 40 000 heures de camionnage. Notre modèle se base sur un salaire horaire de 20 $ et pouvant aller jusqu’à 30 $ pour la main-d’œuvre qualifiée afin d’être concurrentiels sur le marché, plus 24 p. 100 d’avantages sociaux. Nous nous targuons d’être très responsables en créant des débouchés pour les provinces où nous nous établissons, ainsi que pour les agriculteurs et la communauté où nous nous retrouvons.
Je veux dire qu’il faut compléter la productivité au moyen de la technologie afin de pouvoir faire des affaires sans se concentrer uniquement sur les coûts horaires de la main-d’œuvre. Il faut trouver d’autres façons d’augmenter la productivité.
La sénatrice Bernard : Merci de cette précision.
M. Ziner : Merci.
La sénatrice Bernard : J’ai une question complémentaire au sujet de l’effectif et des 77 emplois par usine. À quel point cette main-d’œuvre est-elle diversifiée, du point de vue du sexe et de l’ethnicité?
M. Ziner : C’est intéressant que vous souleviez la question, madame la sénatrice. J’envisage depuis un certain temps de tenter d’orienter les choses, dans une certaine mesure, pour avoir ce que j’appelle une technologie agricole propre afin de pouvoir attirer aussi les travailleuses et faire en sorte que les femmes dans les collectivités rurales aient de meilleures chances de trouver de bons emplois rémunérés à long terme.
De notre point de vue, en ce qui concerne notre conseil d’administration, nous nous sommes engagés à veiller à ce que les femmes et les minorités soient aussi engagées. Nous souhaitons créer un environnement progressiste qui nous permettra d’offrir la meilleure qualité et nous reconnaissons aussi que nous aurons besoin d’une certaine attitude de la part de notre personnel, qui doit être prêt à travailler à quelque chose de nouveau.
Ce que nous faisons dans la transformation de la fibre de chanvre, c’est du jamais vu. Nous reconnaissons qu’il y a certains risques quant à l’application de la méthode, mais nous estimons qu’il ne s’agit pas d’une question de « si », mais plutôt de « quand ». Notre système est également conçu de façon à passer d’une exploitation manuelle à une exploitation entièrement automatisée.
La sénatrice Bernard : En ce qui concerne l’élaboration des technologies et l’innovation, collaborez-vous avec les universités et les collèges dans le domaine de la recherche et du développement?
M. Ziner : Oui. Nous travaillons par exemple avec l’Université de la Colombie-Britannique à élaborer un projet commun avec l’Allemagne qui nous permettra de créer des biogranules sur mesure. Nous travaillons en collaboration avec cette organisation allemande qui créera un système de moulage par injection et extrusion afin de déterminer de quelle façon les produits biocomposés peuvent se mélanger dans le produit et en affecter l’intégrité structurelle. De cette façon, nous pouvons fournir les formulations aux producteurs de matières plastiques existants sans devoir réaliser des essais directs, tout en leur donnant une idée de ce que serait le mélange optimal de fibres et de polymères ainsi que les économies possibles.
Nous travaillons également avec InnoTech Alberta, le Composites Innovation Centre au Manitoba ainsi que PAMI en Saskatchewan. Nous tentons de devenir une plaque tournante en matière de collaboration entre tous ces organismes de recherches et d’offrir une possibilité centrale d’approfondissement des connaissances pour le secteur de la transformation de la fibre naturelle au Canada.
La présidente : Merci.
Le sénateur Oh : Êtes-vous la plus grande entreprise à réaliser le projet de chanvre à l’heure actuelle? Combien d’entreprises au Canada font la même chose que vous?
M. Ziner : Eh bien, il existe cinq entreprises de décortication à petite échelle au Canada. Nous ne sommes pas encore opérationnels; nous avons mis au point notre technologie. À l’heure actuelle, nous sommes à l’étape du financement. Nous recueillons 45 millions de dollars pour bâtir notre usine et mettre en place notre fonds de roulement.
En fait, fondamentalement, nous représenterions la plus grande usine de décortication au monde et aurions la plus grande productivité, la production la plus importante et le potentiel de valeur ajoutée le plus élevé. À ce stade, avec nos demandes de brevet — en fait, la période provisoire d’un an vient de se terminer et il n’y a eu aucune contestation, de sorte que nous venons de raffiner et de terminer notre demande de brevet après la période d’un an. En ce qui nous concerne, nous croyons savoir que nous sommes les seuls au monde qui avons examiné, de façon précise, comment améliorer la décortication au moyen de technologies de fabrication de pointe.
Le sénateur Oh : Pouvons-nous cultiver le produit dans une serre?
La présidente : Votre temps de parole est écoulé, sénateur Oh; vous pourrez tenir cette discussion plus tard.
La sénatrice Miville-Dechêne : Tout d’abord, j’aimerais vous féliciter. Je suis toujours impressionnée par les hommes et les femmes d’affaires qui sont aussi engagés dans un projet qui ne sera pas simple. Manifestement, vous y croyez. Je suis impressionnée par ce que vous avez dit ainsi que vos plans, mais c’est compliqué parce que vous vous retrouverez dans le marché et que vous devrez faire des profits. Alors, tout d’abord, félicitations.
Qu’en est-il de la question de l’image, car le chanvre a manifestement mauvaise réputation? Pour le commun des mortels, comme moi, ce que nous connaissons du chanvre, au Québec du moins, c’est quelques magasins qui vendent des chapeaux et des chandails. On a l’impression qu’il doit y avoir du cannabis derrière tout cela, et que c’est maintenant légal, mais il y a cette image rattachée au chanvre qui n’est pas nécessairement conventionnelle. Qu’est-ce qu’un homme d’affaires comme vous peut faire pour changer cette image?
J’aimerais également savoir précisément ce que fait le CBD.
M. Ziner : Voilà une question assez vaste, madame la sénatrice. Permettez-moi de commencer par le CBD, car il s’agit d’une question controversée que je devrais sans doute m’abstenir de commenter. Le fait demeure qu’on ne peut pas ressentir d’effets psychoactifs même si on consomme du chanvre industriel sans arrêt pendant 20 ans. C’est vraiment la leçon qu’il faut en retenir.
Pour ce qui est des perceptions, c’est intéressant de constater qu’elles peuvent changer. Maple Leaf Foods a connu des problèmes de salubrité avec sa viande et, grâce à une bonne campagne de relations publiques et de marketing, l’entreprise a réussi à les faire oublier rapidement.
À l’heure actuelle, je pense avoir vu des études scientifiques publiées en ligne qui montrent que la marijuana médicale a des effets positifs sur l’anxiété et la sclérose en plaques.
Je pense que les gens vont rapidement oublier l’image négative associée au chanvre lorsqu’ils vont connaître les avantages et les débouchés qu’il offre. Par exemple, un des avantages méconnus du chandail en chanvre que j’ai fait circuler est que sa fibre est antibactérienne. Les gens développent une odeur corporelle parce que les bactéries s’incrustent dans les fibres de leurs vêtements de coton ou de polyester et se multiplient. Toutefois, si vous portez un chandail en chanvre, les bactéries n’auront nulle part où se développer, si bien que vous n’aurez pas d’odeur corporelle.
La sénatrice Miville-Dechêne : C’est excellent, vous devriez en parler.
M. Ziner : Je répète que le gouvernement doit comprendre le besoin de travailler à un programme de commercialisation portant sur ce qui distingue notre produit et le rend avantageux. Vous savez, il existe tellement de produits merveilleux. Le sénateur Doyle me parlait des biocomposites utilisés de nos jours pour fabriquer les patios et les clôtures. Je pense vraiment que les perceptions pourront évoluer au fil du temps.
Nous envisageons un certain nombre d’applications industrielles. Nos produits peuvent remplacer la rayonne et les pâtes et papiers. Une papetière qui produit du papier de toilette ou des linges de cuisine pourrait épargner plus de 60 millions de dollars par année en remplaçant la rayonne synthétique par la fibre libérienne naturelle. La différence est importante et changera les perceptions.
La présidente : Bien, merci. J’avais toutes sortes de questions, dont certaines ont déjà été posées, bien sûr, mais j’ai promis à M. Haney que je lui demanderais de nous parler d’une question qui l’intéresse, à savoir, l’étiquetage. Je vous prie d’envoyer vos observations écrites au greffier qui les distribuera afin que nous sachions tous ce que vous vouliez nous dire sur l’étiquetage.
M. Haney : D’accord.
La présidente : Merci à tous. Nous avons eu une bonne discussion.
(La séance est levée.)