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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 61 - Témoignages du 21 février 2019


OTTAWA, le jeudi 21 février 2019

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 8 h 4, pour étudier la manière dont le secteur alimentaire à valeur ajoutée peut être plus compétitif sur les marchés globaux et examiner, pour en faire rapport, les questions concernant l’agriculture et les forêts en général (sujet : l’appui et l’indemnisation aux secteurs agricoles soumis à la gestion de l’offre dans le cadre de l’ACEUM, du PTPGP et de l’AECG).

La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, honorables sénateurs. Bienvenue.

Je suis la sénatrice Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard. Je suis présidente du comité. Avant que nous entendions nos témoins, j’aimerais savoir si vous êtes d’accord pour que des photographies soient prises pendant la séance.

Des voix : D’accord.

La présidente : La photographie sera permise dès que le sénateur Mercer aura replacé ses cheveux. Nous sommes d’accord. C’est formidable.

Pour commencer, j’invite les sénateurs à se présenter.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur R. Black : Robert Black, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.

La présidente : Pour la première partie, le comité poursuit son étude sur la manière dont le secteur alimentaire à valeur ajoutée peut être plus compétitif sur les marchés mondiaux. Aujourd’hui, nous avons l’honneur d’accueillir M. Ron Bonnett, président de la Fédération canadienne de l’agriculture.

Je précise, pour ceux qui nous regardent, que c’est un véritable honneur, car M. Bonnett en est à sa dernière semaine à la présidence de cet organisme. Son mandat se termine à la fin du mois. Il est président de la Fédération canadienne de l’agriculture depuis 2010. Sa contribution est donc importante. Nous sommes très heureux de vous accueillir ici aujourd’hui, monsieur.

La parole est à vous.

Ron Bonnett, président, Fédération canadienne de l’agriculture : Merci. C’est un grand honneur de terminer par une présentation au Sénat.

Bonjour. Merci de me donner l’occasion de parler de la compétitivité du secteur alimentaire à valeur ajoutée du Canada. Je connais plusieurs d’entre vous, et certains d’entre vous connaissent peut-être la Fédération canadienne de l’agriculture. La FCA est le plus important organisme agricole au Canada et représente quelque 200 000 agriculteurs. Fait intéressant, nous avons beaucoup d’interaction avec les transformateurs et les détaillants. Donc, l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement s’intéresse à ces enjeux, en particulier ceux qui concernent le secteur à valeur ajoutée.

Les marchés d’exportation absorbent 60 p. 100 de la production agroalimentaire du secteur canadien de l’agriculture, et le gouvernement a comme objectif de porter les exportations du secteur à 75 milliards de dollars d’ici 2025. Il est intéressant de noter que dans son plus récent rapport, Innovation, Science et Développement économique Canada a augmenté ce montant à 85 milliards de dollars.

Le Canada cherche toujours, au moyen d’accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux, à avoir accès à de nouveaux marchés plus profitables pour le secteur agricole. Le succès du secteur sur les marchés d’exportation dépend en grande partie de la signature d’accords commerciaux internationaux, mais l’accès à lui seul ne garantit pas des exportations importantes. Bien que le comité se concentre sur les marchés d’exportation, il ne faut pas négliger le marché intérieur. La Table sur l’agroalimentaire, dont j’ai déjà parlé, souligne l’importance des marchés intérieurs, et nous devons aussi examiner leur potentiel.

La table de stratégies économiques a fixé une cible de 140 milliards de dollars en ventes intérieures d’ici 2025. Pour y parvenir, il faudra être déterminé à améliorer l’image de marque et l’étiquetage des produits canadiens, à investir davantage dans les activités de commercialisation sur le marché intérieur, à attirer plus d’investissements de capitaux de risque et à continuer d’abattre les obstacles aux intérêts provinciaux.

Le secteur à valeur ajoutée a un rôle à jouer dans l’atteinte de ces objectifs ambitieux. On ne peut uniquement miser sur le secteur de la production primaire pour y arriver.

En ce qui concerne les exportations, les accords commerciaux améliorent l’accès du Canada aux marchés, mais ce ne sera avantageux que si nous parvenons à un accès réel. Il faut donc cibler les marchés à valeur ajoutée de pays précis, selon une démarche axée sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement afin de créer les infrastructures nécessaires.

Il est également important de prendre en compte les occasions à valeur ajoutée offertes aux industries assujetties à la gestion de l’offre dans les marchés d’exportation. Bien que l’accès aux nouveaux marchés puisse être avantageux, il est difficile de mettre en place une planification stratégique quelconque alors qu’on ignore la nature des concessions en matière d’accès aux marchés qu’il faudra faire dans d’éventuelles négociations commerciales. Les industries assujetties à la gestion de l’offre ont besoin de l’appui indéfectible du gouvernement lors de la négociation d’accords commerciaux ou lors de toute discussion commerciale avec le Royaume-Uni après le Brexit. Il est essentiel d’éviter toute concession supplémentaire afin que ces secteurs puissent élaborer une planification stratégique et atteindre leur potentiel, tant au pays qu’à l’étranger.

Les obstacles non tarifaires au commerce peuvent être aussi restrictifs que les droits tarifaires. L’accord avec l’Europe est un exemple probant, car il crée d’importantes occasions pour le secteur canadien du bœuf, mais certaines contraintes continuent de limiter la viabilité commerciale des produits du bœuf canadien en Europe. À titre d’exemple, les traitements antimicrobiens utilisés par les transformateurs canadiens pour satisfaire aux exigences réglementaires de l’Amérique du Nord sont interdits par l’Europe. L’approbation de ces traitements peut prendre des années, s’ils sont approuvés.

Par conséquent, nous n’avons pas encore une chaîne d’approvisionnement adéquate pour les produits de bœuf admissibles dans les pays de l’Union européenne. Il nous faudra probablement plus de deux ans pour y arriver, en raison des difficultés à trouver des vétérinaires pouvant homologuer ces produits pour le marché européen.

De même, on entend toujours dire que malgré les dispositions de l’accord, l’Union européenne crée des obstacles techniques au commerce par l’administration de contingent tarifaire, ce qui entrave l’accès aux nouveaux marchés.

Bien que l’industrie soit déterminée à profiter des occasions offertes, cette situation montre l’importance de favoriser l’instauration d’infrastructures adéquates.

Il faut aussi régler la question de l’harmonisation de la réglementation. La coopération en matière de réglementation avec notre principal partenaire commercial, les États-Unis, demeure prioritaire. Malgré les efforts incessants sur le plan de la coordination de la réglementation, il subsiste beaucoup d’autres améliorations réalisables et avantageuses, comme régler le problème des dédoublements pour l’inspection et la certification des viandes, dédoublements qui entraînent des délais et des coûts indus et, par conséquent une baisse des profits des producteurs.

La FCA se réjouit de voir le gouvernement accorder la priorité à la diversification des exportations grâce à des investissements et à la présence et au leadership du Canada sur les tribunes internationales. Cet appui doit être maintenu afin d’assurer la tenue de discussions bilatérales fructueuses pour éliminer ces obstacles. Nous devons aussi nous concentrer sur les marchés à valeur élevée plutôt que sur les exportations en vrac de produits à faible densité et à faible valeur ajoutée.

Il faut faire une analyse coûts-avantages avant de nous lancer dans un marché. Par exemple, nous subissons des pressions constantes sur les marchés mondiaux pour satisfaire à diverses exigences en matière de traçabilité, ce qui entraîne des coûts importants. Nous devons faire des analyses préventives pour veiller à ce que les nouveaux marchés soient vraiment avantageux. Nous devons nous attaquer aux problèmes des obstacles non tarifaires de façon proactive. L’industrie a un rôle clé à jouer à cet égard, car l’établissement de liens et d’une chaîne d’approvisionnement assure souvent une protection contre la volatilité politique, ce qui aide à éliminer d’importants obstacles au commerce et l’ajout de nouveaux obstacles.

Maintenir l’appui aux activités de développement des marchés sur le terrain par l’intermédiaire du service des délégués commerciaux et de missions commerciales menées par l’industrie est essentiel. Il faut tirer parti des efforts du Canada pour assurer sa présence internationale et cerner ce qui fonctionne bien et ce qui nécessite plus d’efforts. À titre d’exemple, la FCA a entrepris une tournée des États américains durant la renégociation de l’ALENA pour faire ressortir nos intérêts communs dans le secteur de l’agriculture. Le personnel consulaire a été d’une aide extraordinaire en nous donnant des renseignements essentiels pour appuyer nos efforts ciblés et pour établir des liens importants avec nos collègues américains.

Il faut mettre l’accent sur une politique commerciale stratégique à long terme dans laquelle le gouvernement travaille en étroite collaboration avec l’industrie pour cerner les marchés à valeur ajoutée prioritaires. Cette politique doit être appuyée par des investissements continus si nous voulons assurer sa mise en œuvre et éliminer les obstacles non tarifaires.

Nous devons aussi examiner les obstacles réglementaires au Canada. Par exemple, les obstacles réglementaires qui touchent l’industrie porcine sont liés à la construction de nouvelles étables et aux limites de production. Les producteurs canadiens investissent aux États-Unis et sont incapables de profiter des nouvelles occasions dans le cadre du PTPGP.

Nous appuyons les récents engagements concernant la modernisation de la réglementation et la prise en compte de la compétitivité dans les mandats réglementaires. Il convient toutefois de prêter attention aux obstacles du marché intérieur qui, souvent, touchent divers ordres de gouvernement. Pour que nous puissions profiter des occasions, les régimes réglementaires provinciaux, fédéral et municipaux doivent être harmonisés. La volatilité des marchés est un autre facteur qui limite les investissements à valeur ajoutée. Les agriculteurs ne cessent de souligner que les programmes de gestion des risques d’entreprise ne leur permettent pas de contrer l’instabilité.

Pour revenir à l’exemple de l’industrie porcine, le nombre de producteurs indépendants a diminué, car ils ne peuvent gérer l’instabilité du marché, ce qui favorise la consolidation de l’industrie. En outre, les possibilités dans les secteurs de la transformation et des produits à valeur ajoutée sont limitées, de sorte que les producteurs sont redevables aux acteurs de la chaîne de valeur en aval.

Nous préconisons vivement l’examen continu des programmes de gestion des risques d’entreprise en partenariat avec l’industrie afin de créer des outils de gestion des risques adéquats qui favoriseront l’atteinte de nos cibles de croissance.

Enfin, les pénuries chroniques de main-d’œuvre continuent de restreindre la croissance du secteur agroalimentaire. On compte plus de 59 000 postes vacants seulement dans le secteur de la production primaire, et on s’attend à voir ce chiffre doubler d’ici 2025.

Annuellement, ces pénuries font déjà perdre 1,5 milliard de dollars de ventes aux producteurs. Pour satisfaire aux besoins immédiats et futurs, nous devons accroître le bassin de main-d’œuvre disponible et améliorer les connaissances et les compétences des travailleurs. C’est un défi colossal qui nécessite une stratégie concertée avec la participation des intervenants du gouvernement, de l’industrie, des services d’immigration et des systèmes d’éducation du pays. La Fédération canadienne de l’agriculture appuie le Plan d’action canadien sur la main-d’œuvre du secteur agricole et agroalimentaire et réclame son adoption immédiate.

C’est là-dessus que se termine mon exposé. C’est avec plaisir que je répondrai aux questions.

La présidente : Merci de votre exposé. Nous passons aux questions des sénateurs.

Le sénateur Doyle : Merci d’être ici. Vous avez parlé de la pénurie de main-d’œuvre. J’ai remarqué que la Fédération canadienne de l’agriculture a organisé, en mai dernier, une table ronde avec le gouvernement pour discuter du Programme des travailleurs étrangers temporaires agricoles. On fait évidemment appel aux travailleurs étrangers dans le secteur agroalimentaire, notamment pour les récoltes et la transformation. Quel pourcentage de la main-d’œuvre les travailleurs étrangers représentent-ils dans ces secteurs?

M. Bonnett : Quelle était la dernière partie?

Le sénateur Doyle : Quel est le pourcentage de travailleurs étrangers dans la main-d’œuvre de ces secteurs?

M. Bonnett : Dans l’ensemble du secteur agricole, cela varie selon l’industrie. Les immigrants — travailleurs temporaires ou personnes qui ont demandé la résidence permanente — forment environ 20 p. 100 de la main-d’œuvre des serres et des champignonnières.

Je pense qu’on oublie parfois que, sans ce groupe important, ces 20 p. 100, nous perdrions les 80 p. 100 des emplois canadiens qui en dépendent. Leur apport est donc essentiel.

Vous avez mentionné la table ronde. Le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire était présent, tout comme la ministre du Travail et le ministre de l’Immigration. Je pense que la question de la main-d’œuvre nécessite une approche interministérielle. Il faut former les Canadiens. Il faut trouver des façons de régler certains des enjeux liés aux travailleurs étrangers temporaires. Cependant, il faut aussi reconnaître l’urgence d’examiner nos politiques d’immigration pour déterminer les compétences que doivent avoir les travailleurs dont nous avons besoin. Lorsqu’elles ciblent certaines compétences, les provinces négligent parfois les besoins du secteur agricole.

Malheureusement, les travailleurs agricoles, les travailleurs immigrants, sont souvent considérés comme des travailleurs peu qualifiés, ce qui a tendance à m’irriter, car ils ont des compétences précises. Elles sont différentes, mais je déteste qu’on dise qu’elles sont peu spécialisées. Les gens se retrouvent dans une catégorie qui n’est pas une priorité.

Le sénateur Doyle : Le processus d’embauche répond-il assez rapidement aux besoins du secteur agricole, ou devrait-il être amélioré? Pouvez-vous embaucher ces gens lorsque vous en avez besoin?

M. Bonnett : Des améliorations sont manifestement nécessaires, même s’il y a eu des améliorations au cours de la dernière année. Je crois savoir que les procédures administratives pour le traitement des demandes ont connu des ratés, pas seulement ici au Canada, mais aussi au Mexique.

Après la table ronde dont vous avez parlé, nous avons créé un groupe de travail avec les intervenants de l’industrie et du gouvernement — de divers ministères — pour régler certains problèmes et simplifier le processus.

Le sénateur Doyle : Dans nos notes, on indique que les entreprises de moins de 100 employés représentent 94 p. 100 detoutes les entreprises de transformation des aliments au Canada, mais que les grandesentreprises représentent près de la moitié de la valeur des exportations de produits transformés. Pourriez-vous brièvement parler de cet aspect? Pourquoi les entreprises de moins de 100 employés forment-elles la majorité des entreprises du secteur de la transformation, mais que les grandesentreprises représentent près de la moitié de la valeur?

M. Bonnett : Je pense que c’est parce que les grandes entreprises ont de meilleures techniques de commercialisation. Elles sont peut-être mieux outillées que les petites entreprises pour cibler les marchés plus lucratifs. Il m’arrive de penser que nous sous-estimons souvent les capitaux et les investissements nécessaires pour la commercialisation des produits, surtout pour les marchés d’exportation. C’est probablement un des facteurs qui expliquent la disparité entre les petites et grandes entreprises. C’est simplement lié aux ressources nécessaires pour viser les marchés à plus forte valeur ajoutée.

Le sénateur Doyle : Merci.

Le sénateur Mercer : Ron, je tiens d’abord à vous remercier de votre aide pendant vos années à ce poste. Vous avez travaillé sans relâche et vous êtes venu au comité chaque fois que nous avons fait appel à vous. Je tiens aussi à m’assurer que les sénateurs et le public se souviennent qu’à de nombreuses occasions, lorsque nous présentions un rapport, vous ne nous avez pas seulement donné votre appui : vous étiez dans la salle avec nous. C’est un facteur très important qui contribue à renforcer notre relation avec la fédération. Nous faisons un travail d’équipe, en quelque sorte, donc nous devons entretenir cette relation. Vous avez jeté les bases pour votre successeur et nous tenterons de poursuivre en ce sens. Je vous remercie.

Le sénateur Doyle a posé une question sur les pénuries de main-d’œuvre. De votre point de vue, puisque vous occupez ce poste depuis un certain temps déjà, quels problèmes aimeriez-vous voir être réglés d’ici 5 et 10 ans pour obtenir de véritables progrès? Durant votre mandat, il s’est produit quelque chose de très important au pays. Je ne sais pas si le public l’a remarqué, mais ceux qui participent à la vie politique ont certainement remarqué que la lettre de mandat du premier ministre au ministre de l’Agriculture a joué un rôle important dans la préparation des deux ou trois derniers budgets. Je siège ici depuis plusieurs années et l’agriculture occupe maintenant une place importante dans les budgets fédéraux. La croissance du secteur de l’agriculture, l’augmentation des emplois agricoles et la hausse des exportations sont une priorité du gouvernement du Canada.

Ma véritable question est la suivante : que souhaitez-vous voir sur un horizon de 5 ans et sur un horizon de 10 ans?

M. Bonnett : Il est toujours difficile d’envisager une liste de souhaits de cinq ans. Vous avez mentionné l’attention qu’on a reçue ces dernières années. Je pense que nous arrivons au point où les gouvernements commencent à comprendre l’importance économique du secteur agricole.

Nous avons souvent été relégués au second plan derrière le secteur manufacturier et d’autres secteurs, principalement parce que je ne pense pas que nous comprenions bien les effets cumulatifs de tous les investissements sur les fermes et les activités de transformation à valeur ajoutée. Je pense que nous avons réussi à capter l’attention de nombreux politiciens.

Je pense que nous devons prévoir cinq ans à l’avance afin que le grand public comprenne mieux la situation également. Car lorsque vous avez l’appui de la population, vous avez l’appui politique. C’est l’une des mesures importantes que nous pourrons prendre à l’avenir.

J’examinerais la façon de solidifier les gains sur les marchés dans le cadre d’ententes commerciales qui ont été conclues. J’ai mentionné que nous avons le PTPGP et l’AECG en place, et nous avons le nouvel Accord États-Unis—Mexique—Canada, selon ce qu’on veut l’appeler.

Je pense qu’il y a des possibilités. Il est essentiel de trouver un moyen de gérer les barrières non tarifaires et les obstacles réglementaires à l’avenir.

Pour terminer, il faut continuer de renforcer la confiance de la population canadienne et du public mondial dans les types de systèmes de réglementation et les processus décisionnels fondés sur des données probantes que le Canada a en place pour veiller à offrir des produits alimentaires salubres de grande qualité. Nous commençons à voir, surtout dans les médias sociaux, beaucoup d’attaques dirigées contre le secteur agricole. Je pense que c’est en grande partie parce que les gens ne comprennent pas bien ce que nous faisons et comment nous le faisons.

Si nous examinons la situation pour les cinq prochaines années, c’est l’un des éléments sur lequel nous devrions nous pencher pour essayer de mieux le gérer, et nous devrions peut-être sensibiliser les gens à certaines questions agricoles. C’est en partie dû au fait que nous avons une société à l’heure actuelle qui ignore la réalité de l’agriculture primaire.

Le sénateur Mercer : Vous avez soulevé un sujet intéressant en disant que les gouvernements se succèdent, mais l’influence de l’agriculture s’est renforcée avec le temps. Par exemple, le gouvernement actuel compte peu de membres représentant le Canada rural dans son caucus. Cependant, on met nouvellement l’accent sur l’agriculture.

Je pense qu’il faut saluer tous ceux qui ont œuvré dans ce dossier, comme vous qui, depuis un certain nombre d’années, faites savoir aux politiciens représentant des régions urbaines qu’il y a de bons emplois dans le secteur agricole, d’où la nécessité de continuer d’offrir du soutien permanent au Canada rural.

M. Bonnett : Ce que je dirais, c’est que vous avez mentionné de travailler en partenariat avec ce comité. Je pense que c’est une relation importante. Dans un certain nombre de dossiers, nous avons réussi à relever certains des principaux problèmes. Je pense qu’il est important de tenir ce dialogue et de discuter avec les membres de l’arène politique pour déterminer quels sont les vrais enjeux auxquels nous sommes confrontés, les approches que nous pouvons adopter et le rôle du secteur agricole pour régler ces enjeux. Cela peut être les questions environnementales, la question du carbone, les problèmes relatifs à l’économie et à la main-d’œuvre.

Je pense que les organisations agricoles et ce comité ont un rôle à jouer pour contribuer à mettre en relief certains des avantages que le secteur agricole peut offrir à l’ensemble de l’économie canadienne.

Le sénateur Mercer : Merci.

Le sénateur R. Black : J’ai une question rapide pour vous, Ron. À votre avis, est-il réalisable d’ici 2025 d’atteindre les cibles de 75 ou 85 à l’échelle internationale et de 140 à l’échelle nationale? Est-ce un objectif raisonnable, quoiqu’ambitieux, que nous pourrions atteindre?

M. Bonnett : Si vous examinez ce que nous avons atteint ces dernières années, nous pourrions dépasser ces objectifs. Si vous regardez ce qui s’est passé au cours des dernières années, nous avons fait prendre de l’expansion à nos exportations et à nos marchés intérieurs de façon substantielle. Je pense cependant que nous devons nous pencher sur les facteurs limitatifs. La main-d’œuvre serait, évidemment, l’un de ces facteurs qui nous limitent pour atteindre ces chiffres plus élevés.

Le sénateur R. Black : Nous avons récemment entendu, dans le cadre d’une autre étude que nous menons, que les marchés d’exportation pour les produits soumis à la gestion de l’offre sont minimes en raison de la nature du processus de la gestion de l’offre. Sera-t-il possible, à votre avis, d’accroître ces exportations à l’avenir? Je dois admettre que des changements pourraient être nécessaires.

M. Bonnett : À l’heure actuelle, les exportations sont réglementées par des quotas. C’est très difficile, selon le secteur soumis à la gestion de l’offre. Certains des secteurs de la volaille font plus d’échanges commerciaux que le secteur laitier. Il y a des occasions qui se présenteront vraisemblablement.

Pour ce qui est de l’avenir, je pense que beaucoup dépend encore de ce que font les marchés. Les secteurs soumis à la gestion de l’offre sont un excellent outil pour maintenir les revenus dans les fermes au Canada. Si soudainement le prix du marché mondial est plus élevé que le prix canadien, cela changerait fort probablement la façon dont les gens perçoivent le système. Toutefois, se débarrasser de quelque chose qui fonctionne seulement parce qu’on espère que les prix pourraient augmenter, je ne pense pas que bon nombre d’agriculteurs vont sauter sur l’occasion.

Ce que nous devons surveiller notamment, c’est ce qui se passe sur les marchés mondiaux à long terme. C’est là où il sera essentiel à l’avenir d’avoir des renseignements sur ce qui se passe sur les marchés. De plus, en ce qui a trait à la gestion de l’offre... C’est la raison pour laquelle j’ai mentionné, dans ma déclaration, le renforcement des capacités nationales. Si nous avons augmenté les importations, je pense que les stratégies que nous devons examiner doivent viser à faire augmenter la consommation canadienne de produits soumis à la gestion de l’offre, que ce soit des produits laitiers ou de la volaille, et voir si nous pouvons maintenir ces marchés.

Je ne pense pas que ce soit les marchés nationaux ou les exportations. Je pense que quelques secteurs qui sont très axés sur les marchés d’exportation et les secteurs soumis à la gestion de l’offre s’en sont très bien tirés sur les marchés intérieurs.

Lorsque nous examinons la stratégie de croissance, nous devons examiner les deux. Je pense que nous perdons un grand potentiel sur le marché intérieur avec certains des nouveaux groupes ethniques qui arrivent au Canada et qui mangent des aliments différents de ceux auxquels nous sommes habitués, et nous devons examiner comment répondre à ces goûts alimentaires différents. Je pense qu’il y a là une occasion également.

Le sénateur R. Black : Dans nos recommandations et le rapport sur cette étude, que nous proposeriez-vous d’inclure comme recommandations pour surmonter ces barrières non tarifaires au commerce dont vous et d’autres ont parlé?

M. Bonnett : Je pense qu’il faudrait un engagement international dans les discussions avec des organismes de réglementation par l’entremise de la FAO ou d’autres organismes internationaux, car si nous voulons résoudre les problèmes du système de réglementation, nous ne pouvons pas le faire en vase clos. Je pense que ce doit être fait conjointement. Vraisemblablement, le partenariat que nous avons avec les États-Unis et le Mexique serait un bon point de départ pour voir si vous pourriez créer un modèle pour ce qui pourrait fonctionner avec les trois pays, puis nous commencerions à faire la promotion de certains modèles dans le monde.

Il est parfois préférable de commencer doucement et voir si l’on peut s’entendre sur ces enjeux et aller de l’avant. Une partie de ces travaux sont en cours à l’heure actuelle, mais je pense qu’une présence accrue dans les organismes de normalisation internationaux est essentielle.

La sénatrice Gagné : Comme vous l’avez mentionné, le marché intérieur offre une occasion pour le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire, et, comme vous l’avez signalé dans votre exposé, ce manque d’uniformité réglementaire représente un obstacle important au commerce interprovincial. Vous avez donné l’exemple de l’industrie du porc et des défis auxquels elle est confrontée.

Auriez-vous un exemple d’une autre industrie où nous avons réussi à nous débarrasser des barrières interprovinciales?

M. Bonnett : J’essaie de penser à un exemple où nous avons connu du succès. Je pense que nous avons réalisé des progrès pour ce qui est de nous débarrasser des barrières. De nombreuses discussions sont en cours pour examiner différents règlements sur le transport, ce qui peut causer de nombreuses difficultés. Les camionneurs peuvent se rendre à la frontière du Québec avec un camion qui respecte les normes de l’Ontario et doivent décrocher l’une des remorques et faire deux voyages au Québec.

C’est la même chose dans l’Ouest en raison des différentes normes, des détails techniques qui entraînent des coûts supplémentaires pour l’industrie.

Il y a toute la question des normes provinciales d’inspection des viandes, qui varient d’une province à l’autre. Si vous vivez à la frontière du Québec, vous ne pouvez pas acheminer des produits en Ontario et vice versa; vous ne pouvez pas expédier des produits de l’Ontario au Québec.

Il serait utile d’examiner certains de ces types de barrières interprovinciales, et il faut revenir à la question des entreprises de plus petite taille qui n’ont peut-être pas de permis fédéral et qui pourraient élargir leurs capacités si les règlements provinciaux étaient compatibles. L’inspection des viandes est l’un des secteurs qui me viennent à l’esprit.

La sénatrice Gagné : Il y a les accords commerciaux internationaux, mais aussi les règlements en place.

M. Bonnett : Oui.

La sénatrice Gagné : Comment pouvez-vous moderniser l’Accord sur le commerce intérieur, mais en tenant compte également des accords commerciaux internationaux?

M. Bonnett : Nous pouvons moderniser nos systèmes. Je pense que nous pouvons examiner ce qui s’est fait à l’échelle internationale pour voir si d’autres pays ont effectué la transition vers un système modernisé. Certains des travaux que l’ACIA a menés ces dernières années nous ont amenés à adopter des règlements axés sur les résultats plutôt que ce que l’on appelle des règlements normatifs. Auparavant, on disait : « Ce mur doit être là. » Il n’y avait aucune raison pour laquelle il était là, mais c’était là où le mur était censé être. Cela ne changera peut-être pas la qualité du produit, mais c’est un changement de mentalité.

En ce qui concerne le système de réglementation, nous devons également déterminer comment nous mettre au diapason des nouvelles technologies. J’ai entendu dire que des entreprises parlent d’utiliser du nouveau matériel d’emballage qui pourrait mieux protéger les produits que ce qui est utilisé à l’heure actuelle. Cependant, le processus d’approbation des règlements pour autoriser cela est laborieux.

À mesure que de nouvelles technologies sont mises au point, je pense que nous allons avoir besoin d’un système de réglementation qui peut réagir rapidement à ces nouvelles technologies, car l’industrie cherche toujours des moyens de rationaliser les coûts et d’améliorer la qualité de leur produit. Si elle est paralysée par un système de réglementation qui ne reconnaît pas cette technologie parce que c’est nouveau, cela ne signifie pas que c’est pire; ce peut être mieux. Je pense que le système doit être en mesure de réagir très rapidement.

La sénatrice Gagné : Savez-vous si des travaux sont menés pour moderniser l’Accord sur le commerce intérieur?

M. Bonnett : Entre les provinces?

La sénatrice Gagné : Oui.

M. Bonnett : Des discussions ont eu lieu entre les ministres. Je ne sais pas à quel point ces discussions étaient approfondies. Je sais que c’est à l’ordre du jour, mais le processus est lent.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Bonjour. Je vais poser ma question en français. Vous avez dit que la société semble un peu déconnectée des agriculteurs et de ce qui se passe sur le terrain. À l’inverse, après avoir écouté votre témoignage, la société et les habitudes alimentaires changent. Je pense au Guide alimentaire canadien qui préconise de manger moins de viande, moins de produits laitiers. En tant que Fédération canadienne de l’agriculture, quand vous pensez à l’avenir, au développement des marchés intérieurs, comment pouvez-vous jongler... Je sais que vous représentez tous les agriculteurs, mais des changements profonds s’opèrent et cela donne des résultats positifs. Par exemple, les nouveaux arrivants mangent plus d’œufs parce que c’est une protéine qui ne coûte pas cher, ce qui est intéressant. C’est quelque chose que j’ignorais. En général, je ne vous ai pas entendu parler du fait que la gestion de l’offre est menacée. En plus du petit pot de yogourt dans le Guide alimentaire canadien, comment faire? À mon avis, ce sont des défis très importants. Je n’ai pas l’impression que vous les avez abordés. Ce sont des questions importantes qui me touchent quand même.

[Traduction]

M. Bonnett : Je pense qu’il faut essayer de prédire les tendances du marché. Vous avez mentionné la croissance de la consommation d’œufs. Je discutais avec des producteurs d’œufs et une difficulté à laquelle cette industrie est confrontée est de soutenir le rythme de la demande. Il sera essentiel de pouvoir être à l’affût de ce qui se passe à l’avenir, ce qui s’applique aux marchés intérieurs et aux marchés d’exportation.

Si j’examine un autre exemple où il y a un potentiel de croissance dans le secteur laitier, à mon avis, c’est dans le marché des fromages spécialisés. Le Québec a fort probablement fait plus que n’importe quelle autre province pour essayer de capitaliser ces marchés à créneaux à forte valeur ajoutée, car en mettant l’accent sur ces marchés, on écarte certains des produits importés.

La sénatrice Miville-Dechêne : Comme vous le savez, ces gens sont essentiels à notre système agricole. Dans un certain sens, les producteurs de fromage ont l’impression de ne pas avoir leur place. Ils se sentent coincés.

M. Bonnett : Cependant, je dirais qu’ils se sentent coincés d’une certaine manière dans notre système, mais on ne les jette pas non plus dans la fosse aux lions du marché international. Cela fonctionne dans les deux sens.

J’ai mentionné dans ma déclaration l’importance d’un programme dont la marque est reconnue au Canada. Je pense qu’une marque au Canada fonctionne à l’échelle nationale et internationale. Si nous pouvons créer de la valeur à une marque canadienne pour que les consommateurs, lorsqu’ils envisagent d’acheter des produits et remarquent un produit préférentiel, je pense que cela influera sur les décisions d’achat. Cela changera-t-il l’idée selon laquelle le prix doit être concurrentiel? Non, il devra être concurrentiel. Toutes choses étant égales, si nous pouvons faire du bon travail pour créer cette perception de valeur pour les produits canadiens — et ce n’est pas seulement pour les agriculteurs canadiens, c’est aussi pour les transformateurs, les transporteurs et tous les intervenants de cette chaîne —, cela se rapporte à votre observation initiale selon laquelle nous devons essayer de déterminer comment détecter les tendances du marché qui se présentent et y réagir.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Bonnett, de votre présentation. Votre présence aujourd’hui devrait vous permettre de livrer ce que j’appellerai votre testament à titre de président sortant de l’organisation. Je ne veux quand même pas vous faire mourir. Compte tenu de tout ce que le gouvernement a fait et n’a pas fait pour encourager la compétitivité de l’industrie, quelles seraient les deux ou trois recommandations que vous souhaiteriez que l’on prenne en compte dans notre rapport pour aider les agriculteurs?

[Traduction]

M. Bonnett : Tout d’abord, la question de la main-d’œuvre sera certainement abordée dans le rapport. Je pense que le développement des marchés concentrés et le fait de fournir des ressources aux bureaux consulaires sur le marché international sont essentiels, car il faut avoir une présence sur le terrain, plus particulièrement dans les marchés d’exportation. Pour terminer, je dirais qu’il y a l’aspect de la réglementation, car nous devons nous assurer d’avoir un système de réglementation à l’échelle nationale et, par ailleurs, nous jouons un rôle de chef de file très actif pour essayer d’uniformiser les cadres de réglementation dans le monde.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Selon des témoins que nous avons entendus, l’attrait du sud, les avantages que les Américains leur offrent de l’autre côté de la frontière rendent fragiles certaines industries de transformation. Quelle est votre opinion à ce sujet et comment le Canada peut-il corriger la situation?

[Traduction]

M. Bonnett : La politique fiscale est l’une des mesures importantes aux États-Unis. Je pense que la déclaration de l’automne dernier, avec la déduction pour amortissement accéléré, est un bon point de départ. L’une des choses qui pose toujours problème pour le Canada, mais qui ne semble pas poser problème aux États-Unis, c’est l’augmentation du capital de risque. Je ne sais pas si les Canadiens sont plus prudents dans les investissements qu’ils font que les Américains. Il semble y avoir une tolérance plus élevée aux risques aux États-Unis pour ce qui est des investissements. Je pense que c’est un élément sur lequel nous devons vraiment nous pencher.

En ce qui concerne les exploitations agricoles, nous sommes très bien soutenus par des groupes comme la SCA, mais lorsqu’il est question de valeur ajoutée ou de concepts un peu différents et atypiques, l’augmentation de ce capital peut poser problème. Je pense que c’est l’une des différences avec les États-Unis.

Nous discutons actuellement de la compétitivité lorsque nous examinons les subventions qui sont en place au sud de la frontière. Un bon exemple, lorsque j’ai visité le Wisconsin et que je discutais avec les intervenants de l’industrie laitière, c’est que les agriculteurs perdaient beaucoup d’argent. Cependant, l’État du Wisconsin a encore un programme de subventions en place pour favoriser l’expansion de l’industrie laitière alors que les agriculteurs déversent des millions de dollars de lait. Nous devons continuer à soutenir la concurrence malgré les subventions aux États-Unis. Nous avons vu cette situation dans le litige avec la Chine où les producteurs de soja essuient des pertes et, tout à coup, des milliards de dollars sont versés pour compenser.

Lorsque nous examinons d’autres pays, nous devons tenir compte de tous les différents facteurs — taxes, subventions, soutien financier, accès au capital et cadres réglementaires. Tous ces éléments jouent un rôle au chapitre de la compétitivité, et je pense qu’ils doivent tous être pris en considération.

[Français]

Le sénateur Dagenais : À la suite de vos remarques sur le commerce interprovincial, qui n’est pas toujours facile, croyez-vous que des entreprises d’ici pourraient vendre leur surplus de production sur le marché canadien? Souvent, il y a des produits étrangers semblables, mais ils sont vendus au Canada. Je ne sais pas si vous comprenez bien ma question. Il y a des surplus de production qu’on ne peut pas vendre par l’intermédiaire du commerce interprovincial. Par contre, on reçoit des produits semblables qui sont vendus au Canada, mais qui ne sont pas assujettis à des barrières interprovinciales. À mon avis, il est parfois plus difficile de faire du commerce entre provinces, ne serait-ce que pour le vin et la bière. Je trouve cela dommage. Le gouvernement a du travail à faire à ce chapitre. Je vous vois sourire. Je pense que vous êtes d’accord avec moi.

[Traduction]

M. Bonnett : Je ne pense pas pouvoir ajouter quoi que ce soit. C’est une situation qui a été déplorée à plusieurs reprises. Parfois, il existe plus d’obstacles entre les provinces qu’entre les marchés internationaux. Je pense que cela s’inscrit dans la tradition de la fédération. Je sais que les premiers ministres ont entrepris des démarches pour faire progresser les choses, mais nous considérons qu’il s’agit d’une priorité à laquelle il faut s’attaquer.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur Bonnett. Je suis persuadé que vous avez encore beaucoup à apporter à l’agriculture.

[Traduction]

La présidente : J’ai quelques questions, dont certaines ont déjà été posées. Vous avez notamment traité du commerce stratégique à long terme et de ce qu’il faut faire sur le plan du développement de marché. Le gouvernement doit travailler main dans la main avec l’industrie pour cibler des marchés à valeur ajoutée prioritaires. A-t-on réalisé beaucoup de progrès à cet égard jusqu’à maintenant?

M. Bonnett : Il existe quelques exemples de progrès. En ce qui concerne le marché japonais, le gouvernement s’est employé à y favoriser activement les ventes et à y établir les liens nécessaires. Comme je l’ai souligné, il déploie des efforts constants aux États-Unis pour nouer ce genre de relations.

Nous devons commencer à nous tourner vers de nouveaux marchés. Maintenant que nous adhérons au PTPGP, des débouchés s’offrent probablement au Vietnam. Je sais qu’on discute beaucoup des marchés émergents de la Chine et de l’Inde. Je pense que nous devons nous intéresser à ces marchés et prendre bien soin d’en vérifier la solidité.

J’ai parlé à des gens de la Nouvelle-Zélande qui se sont lancés à l’assaut de la Chine afin d’y vendre leurs produits laitiers; leurs démarches ont porté leurs fruits pendant un certain temps jusqu’à ce que la Chine développe sa propre capacité, après quoi tout ce marché a disparu. Je pense qu’il faut discuter de la question dans le cadre de l’approche stratégique et envisager des investissements à long terme plutôt que de chercher à réaliser des gains à court terme. Le fait de passer d’un client à l’autre peut parfois apporter son lot de problèmes également.

Comme je l’ai fait remarquer, nous n’avons pas réalisé des gains prévus dans le cadre de l’AECG conclu avec l’Europe, particulièrement dans l’industrie de la viande. Je pense qu’on peut faire plus de travail à cet égard. Ici encore, il s’agit d’abattre les obstacles non tarifaires. En Europe, on ignore ce qui se passera dans le cadre du Brexit et de quelle manière le marché se divisera si la Grande-Bretagne quitte l’Union européenne.

Voici quelques idées de domaines vers lesquels on peut concentrer des efforts.

La présidente : Ce sont d’excellents exemples. Merci.

Je vais revenir à la pénurie de main-d’œuvre. Je suis certaine qu’on peut résoudre le problème de diverses façons. C’est une situation difficile, que les travailleurs étrangers temporaires et les immigrants ont permis de pallier jusqu’à maintenant et devront continuer de pallier à l’avenir. Pour assurer la durabilité à long terme, toutefois, que pouvons-nous faire sur le marché canadien afin de trouver des travailleurs parmi les gens qui sont ici, maintenant?

M. Bonnett : Nous pouvons tous accomplir un meilleur travail en allant dans les écoles afin d’informer les étudiants au sujet des occasions qui s’offrent en agriculture. Si je reviens 20 ans en arrière dans ma carrière en agriculture, bien des gens déploraient alors le manque d’occasions que comptait ce secteur. D’une certaine manière, peut-être sommes-nous les artisans de notre propre malheur.

J’observe une évolution et un vent d’optimisme depuis 10 ans. Des jeunes entrent dans l’industrie en ayant plus de formation et d’éducation que ma génération. Une toute nouvelle génération dotée d’une vision différente fait son entrée. À l’occasion du Jour de l’agriculture canadienne, la semaine dernière, je pense qu’environ 150 jeunes se trouvaient dans la pièce. L’enthousiasme commence donc à augmenter.

Pour résoudre la pénurie de main-d’œuvre, la solution consiste en partie à encourager un plus grand nombre d’étudiants canadiens à se diriger vers le secteur agricole. Vous avez évoqué toute la question de l’immigration. Je pense qu’on peut apporter des changements au système d’immigration pour accélérer l’afflux de personnes dans les communautés rurales. Nous accueillons d’un bon œil l’annonce de projets pilotes afin d’encourager les immigrants à s’établir dans des communautés rurales. Les immigrants tendent à faire leur nid dans les grands centres parce qu’il s’y trouve des services. Il faut donc découvrir comment nous pouvons veiller à ce que tout soit en place pour attirer les gens dans les communautés rurales.

Sur le plan de la main-d’œuvre, sachez qu’en dehors de certains problèmes administratifs, le Programme des travailleurs agricoles saisonniers fonctionne très bien au Canada; cela pourrait d’ailleurs faire l’objet d’une observation dans le rapport. Certains problèmes administratifs ont empêché des travailleurs d’arriver à temps, mais ce programme est essentiel, et pas seulement sur les fermes canadiennes; on oublie parfois qu’il a des avantages pour le Mexique et les pays des Antilles.

J’ai eu l’occasion de rencontrer certains dirigeants politiques de ces pays, lesquels ont affirmé que l’argent que les travailleurs ramènent du Canada constituait la meilleure aide au développement que ces pays aient jamais reçue, car ces travailleurs investissent l’argent dans leurs enfants. Ils considèrent que ce programme permet de former un plus grand nombre de médecins, d’avocats et d’enseignants que ne le font les autres programmes d’aide dans ces pays parce qu’il a une valeur personnelle.

Vous devriez, dans votre rapport, recommander de veiller à ce que le Programme des travailleurs agricoles saisonniers reste intact et de voir comment on pourrait en améliorer l’efficacité, car des problèmes ont retardé l’arrivée de certains travailleurs, notamment l’an dernier. Il faut toujours chercher à déterminer comment on peut exécuter les programmes efficacement.

La présidente : Excellent.

La sénatrice Gagné : Ce n’est pas une question, mais une intervention, car je m’étais mis une note pour vous remercier et je ne l’ai même pas fait quand j’avais la parole. Je voulais donc vous remercier de vos sages conseils et aussi de l’apport que vous faites au secteur agricole et à l’ensemble de la population canadienne. Merci beaucoup.

Le sénateur Mercer : Je pense que Ron nous a aidés à mettre l’accent sur le fait que des progrès probants ont été réalisés dans le secteur agricole ces dernières années. Les choses évoluent dans la bonne direction. Sommes-nous satisfaits de la vitesse à laquelle elles évoluent? Non. Sommes-nous heureux qu’il y ait tant de difficultés dans ce secteur? Non, mais nous réalisons des progrès.

Vous avez également soulevé un problème qui doit, selon moi, être examiné de plus près; c’est celui du commerce interprovincial et des occasions que nous avons d’accroître ces échanges.

Au cours des dernières semaines, j’ai critiqué le fait que les gens assujettis à la gestion de l’offre ne voyaient pas les nouveaux accords commerciaux comme étant porteurs d’occasions. Oui, ces accords soulèvent des problèmes dans le secteur, mais ils offrent aussi des occasions, et pas seulement à l’échelle internationale.

Nous aurions notamment l’occasion d’abattre les obstacles provinciaux au commerce. Vous n’avez pas employé ce terme non plus, mais les Canadiens ne parlent pas de la sécurité alimentaire. Les Européens en parlent beaucoup, car leur territoire a été le théâtre de nombreuses guerres au fil des ans. Ainsi, pendant de longue ou de brèves périodes, ils n’avaient pas accès à la nourriture du pays voisin et ils ne cultivaient pas ou ne pouvaient peut-être pas cultiver les produits qu’ils auraient achetés à leur voisin.

Nous n’avons pas parlé de la sécurité alimentaire, car ce n’est pas nécessairement comme cela que nous réagissons aux conflits internationaux, mais ce pourrait être la manière dont nous réagissons aux attaques visant nos produits, leur qualité et leur salubrité. On peut facilement imaginer quelqu’un attaquant nos produits cruciaux et ainsi menacer notre capacité à nous nourrir. Les gens m’ont entendu dire que la planète comptera 9,7 milliards d’habitants et que personne n’a de plan pour les nourrir. Si nous n’avons pas de plan pour nourrir 36 millions de Canadiens, c’est un problème.

Comme vous travaillez également à l’échelle internationale, avez-vous entendu parler du problème international consistant à nourrir le monde?

M. Bonnett : La question fait l’objet de bien des discussions. Comme vous le savez, je suis président fondateur de l’Organisation mondiale des agriculteurs, et il est intéressant de discuter de la question avec les pays en développement et de voir comment ils examinent leur capacité de nourrir leur population. Les défis à cet égard sont considérables; en Zambie, un prêt d’exploitation s’accompagne d’un intérêt de 36 p. 100. J’ignore comment les agriculteurs composent avec la situation. En outre, l’accès au transport et aux ressources est essentiel.

La sécurité alimentaire constitue un problème de taille dans les pays en développement. La question fait l’objet de certaines discussions en Europe, mais dans une moindre mesure.

J’aimerais aussi faire remarquer que nous employons parfois le terme « sécurité alimentaire ». La nourriture est abondante au Canada, bien entendu, mais un certain nombre de Canadiens peinent à se nourrir pour des questions d’abordabilité. C’est un problème qu’il faut résoudre.

Dans les communautés du Nord et les centres-villes, l’abordabilité des aliments constituera un véritable problème pour une mère monoparentale qui élève des enfants au centre-ville de Toronto. Ce n’est pas un problème agricole, mais un problème social que nous devons résoudre, et s’il est une chose que je voudrais faire remarquer, c’est que nous devons être conscients du problème. J’ai fait des exposés sur le sujet devant d’autres comités sénatoriaux, indiquant qu’il ne s’agit pas tant d’accroître la production agricole pour satisfaire la demande que de voir comment nous pouvons faire en sorte que les gens puissent se permettre d’acheter ce qui est produit. Je pense que c’est là un des problèmes sur lesquels nous devons, à titre de Canadiens, nous pencher.

Le sénateur R. Black : Le sénateur Mercer a parlé des progrès et des réussites des dernières années. Ces progrès et ces réussites sont en grande partie le fruit du travail que vous avez réalisé au fil des ans à l’échelle locale, provinciale et nationale, Ron. Je voulais donc vous remercier beaucoup au nom des nombreux habitants de l’Ontario.

La présidente : Sur ce, je voudrais remercier nos témoins. Nous avons été enchantés de vous recevoir, et je pense que quelqu’un a déjà fait remarquer que vous avez appuyé notre comité à maintes reprises dans ses recherches au fil des ans, notamment lors de la publication récente de notre rapport sur l’impact des changements climatiques sur l’agriculture et la foresterie. Merci d’avoir comparu aujourd’hui.

Nous recevons maintenant notre deuxième groupe de témoins. Je voudrais vous présenter d’abord Doug Forsyth, directeur général, Accès aux marchés, d’Affaires mondiales Canada. Nous accueillons également Tom Rosser, sous-ministre adjoint de la Direction générale des politiques stratégiques, et Frédéric Seppey, sous-ministre adjoint de la Direction générale des services à l’industrie et aux marchés, d’Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Je crois comprendre que M. Frédéric Seppey sera le prochain à prendre la parole.

[Français]

Frédéric Seppey, sous-ministre adjoint, Direction générale des services à l’industrie et aux marchés, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Merci de me donner l’occasion de vous parler brièvement de nos accords commerciaux et de leurs répercussions sur nos industries laitières, avicoles et ovocoles. Compte tenu de son mandat, Agriculture et Agroalimentaire Canada travaille en constante collaboration avec l’industrie laitière, avicole et ovocole pour soutenir la croissance, la compétitivité et la durabilité de ces secteurs, notamment en ce qui concerne les questions de réglementation, de programmes financiers, de commerce, de production et de bien-être et de santé animale.

Au cours des dernières années, le Canada a conclu ou mis en œuvre trois accords commerciaux historiques pour le secteur canadien de l’agriculture et l’économie canadienne dans son ensemble. L’Accord économique et commercial global Canada-Union européenne, ou AECG, l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressif, ou PTPGP, et l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, ou le nouvel ALENA. Ces accords commerciaux sont d’une importance capitale en raison des diverses possibilités économiques et des emplois qu’ils créent dans l’économie canadienne. Ils aident les exportateurs canadiens à demeurer compétitifs sur les marchés importants de l’Europe, de l’Asie-Pacifique et plus près de chez nous, en Amérique du Nord, et à demeurer concurrentiels sur ces marchés.

[Traduction]

Le Canada est le cinquième exportateur et importateur de produits agricoles et agroalimentaires, selon les données de 2017. Nous sommes le plus grand exportateur de canola, de lin, de légumineuses et de bleuets sauvages à l’échelle mondiale, et l’un des trois plus importants exportateurs de blé et de porc.

Comme ce comité le sait, le commerce est très important pour l’agriculture canadienne.

Comme plus de la moitié de notre production de produits agricoles, de poisson et de fruits de mer est exportée, la croissance durable et la rentabilité du secteur agricole canadien dépendent grandement des marchés d’exportation et du maintien de la compétitivité du Canada à l’étranger

L’AECG conclu avec l’Union européenne a été mis en œuvre à titre provisoire en septembre 2017, le PTPGP est entré en vigueur le 30 décembre 2018 et l’ACEUM remplacera l’ALENA actuel lorsque le Canada, les États-Unis et le Mexique auront achevé toutes les procédures de ratification. En vertu de l’AECG, le Canada bénéficie d’un meilleur accès aux marchés pour ses principaux produits agricoles d’exportation, comme les viandes, les céréales et les oléagineux, les fruits et légumes et les aliments transformés. L’AECG est en vigueur depuis près de 18 mois et nos exportations de produits agroalimentaires et de produits de la mer ont déjà augmenté considérablement pour certains produits clés, comme les poissons et les fruits de mer, le maïs et la nourriture pour animaux.

Le PTPGP a permis la création du plus dynamique bloc commercial au monde : il couvre la région Asie-Pacifique et s’étend à 11 marchés comprenant près de 500 millions de personnes et constituant 13,5 p. 100 du PIB mondial.

Enfin, l’ACEUM permettra de moderniser et de solidifier notre relation commerciale avec notre principal partenaire commercial à l’avenir. Une fois en vigueur, il renforcera notre relation commerciale et assurera la stabilité et la prévisibilité nécessaires à la prospérité des entreprises et les travailleurs canadiens.

Ce sont là les trois plus importants accords et les négociations les plus cruciales dans le domaine du commerce de l’histoire du Canada. Ces accords englobent des marchés comptant près de 1,5 milliard de personnes intéressées par la nourriture que les agriculteurs canadiens peuvent produire.

Cependant, comme votre comité l’a souligné, en raison des concessions que nous avons dû accorder pour les conclure, ces accords ont des répercussions sur les industries canadiennes des produits laitiers, de la volaille et des œufs, lesquelles sont assujetties à la gestion de l’offre.

[Français]

Au cours de ces négociations, nous avons lutté pour atténuer autant que possible les répercussions. Grâce aux accords de libre-échange les plus importants de l’histoire du Canada, nous avons pu préserver, protéger et défendre les trois piliers de notre système de gestion de l’offre : le contrôle de la production, les mécanismes de fixation des prix et le contrôle des importations. Aux termes de l’AECG particulièrement, le Canada a accepté d’accorder à l’Union européenne un accès supplémentaire pour le fromage par le biais de deux nouveaux contingents tarifaires, dont la mise en place s’échelonne sur cinq ans. Le Canada a également accordé un traitement en franchise de droits pour les substances protéiques de lait provenant de l’Union européenne. Aucun autre accès supplémentaire n’a été accordé à l’Union européenne pour d’autres produits laitiers, avicoles ou ovocoles.

Dans le cadre du PTPGP, le Canada a établi 20 contingents annuels pour les produits provenant des différents membres du PTPGP : il y en a 4 concernent les produits de la volaille et des œufs et les 16 autres concernent les produits laitiers. Pour parvenir à une entente finale sur l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, le Canada a dû accepter des obligations difficiles, particulièrement pour les secteurs canadiens du lait, de la volaille et des œufs.

Durant ces négociations, le Canada a accepté, entre autres, de fournir aux États-Unis un accès supplémentaire au marché pour les produits du lait, de la volaille et des œufs sous forme de contingents tarifaires à volume limité qui s’étaleront sur cinq ans; d’éliminer les classes de lait connues sous le nom de classes 6 et 7 dans les six mois suivant l’entrée en vigueur de l’accord; et, enfin, d’établir une surveillance des exportations sur la poudre de lait écrémé, les concentrés de protéines de lait et les préparations pour nourrissons si les exportations dépassent certains seuils.

Les négociations commerciales se déroulent à huis clos, mais nous ne travaillons pas en vase clos. Tout au long des négociations mentionnées précédemment, nous avons constamment informé et consulté les intervenants afin de bien nous assurer que nos approches tiennent compte de leurs préoccupations et intérêts, particulièrement deux des secteurs sous le régime de gestion de l’offre.

Plus précisément, au cours des négociations de ces trois accords, nous avons travaillé en étroite collaboration avec les experts et leaders de l’industrie, dont bon nombre se sont joints à nous « sur le terrain » où se sont tenus les cycles de négociations, afin qu’ils puissent participer à des séances de consultations régulières.

Les engagements en matière d’accès aux marchés pris pour garantir nos relations économiques internationales sont limités en volume et ne vont pas aussi loin que ce que nos partenaires commerciaux auraient souhaité. Ils préservent le système de gestion de l’offre au Canada.

Nous avons apprécié l’engagement soutenu des intervenants des secteurs laitiers, avicoles et ovocoles ainsi que de tous les intervenants du secteur agricole au moment d’entreprendre ces négociations difficiles. Nous avons toujours travaillé et continuerons de travailler d’arrache-pied pour défendre les intérêts de tous les secteurs agricoles et agroalimentaires canadiens, y compris ceux des secteurs sous la gestion de l’offre aux tables de négociations.

Comme mon collègue, Tom Rosser, vous l’expliquera, nous continuons de travailler avec ces secteurs pour examiner les répercussions et les options en matière d’indemnisation. Je vous remercie.

[Traduction]

La présidente : Vous avez la parole, monsieur Rosser.

Tom Rosser, sous-ministre adjoint, Direction générale des politiques stratégiques, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Merci et bonjour, madame la présidente. Je voudrais remercier le comité d’avoir offert à Agriculture et Agroalimentaire Canada l’occasion de traiter du soutien et de l’indemnisation des industries du secteur agricole assujetties à la gestion de l’offre en ce qui concerne l’ACEUM, le PTPGP et l’AECG.

Comme Frédéric Seppey l’a fait remarquer dans son exposé, le ministère comprend les occasions formidables que ces accords créent pour de nombreux segments des secteurs agricoles et agroalimentaires, mais il est conscient des répercussions qu’ils pourraient avoir sur les secteurs assujettis à la gestion de l’offre. Pour contribuer à atténuer ces répercussions, le gouvernement du Canada a lancé deux programmes en prévision de l’entrée en vigueur de l’AECG. Il s’est également engagé à collaborer avec l’industrie pour élaborer des stratégies d’atténuation afin d’appuyer pleinement et équitablement les agriculteurs et les transformateurs pour les aider à s’adapter au PTPGP et à l’ACEUM.

L’évaluation des répercussions des récents accords commerciaux est très complexe et exige la formulation d’une série d’hypothèses techniques. Des discussions sont en cours avec l’industrie, et le ministère échange autant que possible avec elle tout au long du processus au sujet de l’analyse que nous avons entreprise. Ces consultations permettent également de tenir des discussions stratégiques sur l’avenir de l’industrie.

En 2016, le Canada et l’Europe ont conclu l’AECG. À l’époque, le gouvernement du Canada a mené de vastes consultations auprès de l’industrie sur les mesures d’atténuation possibles pour aider l’industrie laitière à s’adapter aux nouveaux engagements en matière d’accès aux marchés. À la suite de ces consultations, le ministre a annoncé un investissement de 350 millions de dollars. Deux programmes distincts ont été mis en place, l’un pour les producteurs laitiers et l’autre pour les transformateurs.

[Français]

Pour les producteurs laitiers, 250 millions de dollars sur cinq ans ont été affectés au Programme d’investissement pour fermes laitières. Ce programme offre des contributions ciblées pour aider les producteurs laitiers canadiens à mettre à jour les technologies et les systèmes agricoles et à améliorer la productivité.

La première phase du programme, lancée en novembre 2017, a engagé 129 millions de dollars en contributions. Plus de 1 900 projets ont été financés, avec une moyenne de plus de 68 000 $ par projet. Le programme a fait l’objet d’améliorations fondées sur les expériences passées et les consultations tenues auprès de l’industrie, et la deuxième phase du programme vient d’être lancée. Au cours de celle-ci, 98 millions de dollars ont été engagés en contributions et les demandes sont actuellement à l’étude.

De plus, pour les transformateurs laitiers, 100 millions de dollars sur quatre ans ont été engagés dans le Fonds d’investissement dans la transformation des produits laitiers. Ce programme aide les transformateurs laitiers à moderniser leurs opérations et, par le fait même, à améliorer leur efficacité et leur productivité, ainsi qu’à diversifier leurs produits afin de profiter de nouveaux débouchés.

[Traduction]

À la suite de la conclusion des négociations de l’ACEUM, le gouvernement fédéral a créé de nouveaux groupes de travail pour élaborer des stratégies visant à maintenir et à soutenir les secteurs assujettis à la gestion de l’offre en ce qui concerne le PTPGP et l’ACEUM.

Il existe deux groupes de travail pour les producteurs et les transformateurs laitiers, et un pour les producteurs et transformateurs de volaille et d’œufs. Ces groupes sont composés de représentants des secteurs assujettis à la gestion de l’offre et de fonctionnaires fédéraux. Le Groupe de travail sur l’atténuation des répercussions pour l’industrie laitière est chargé d’élaborer des recommandations à l’intention de l’industrie afin d’indemniser pleinement et équitablement les producteurs et les transformateurs laitiers pour atténuer les répercussions à court terme du PTPGP et de l’ACEUM. La première réunion a eu lieu le 14 décembre 2018, et d’autres réunions ont eu lieu les 11, 24 et 29 janvier.

Diverses analyses des répercussions ont été présentées au groupe de travail. La complexité des accords, les approches analytiques utilisées et le nombre d’années d’adaptation au PTPGP et à l’ACEUM sont pris en compte.

Nous sommes encore en train d’examiner bon nombre de ces considérations. Le groupe de travail a également discuté avec des représentants de la Direction générale des programmes d’Agriculture et Agroalimentaire Canada au sujet d’une mise à jour quant à la mise en œuvre des programmes, ainsi que de questions administratives et des répercussions des programmes sur les producteurs et les transformateurs. De plus, les transformateurs ont manifesté leur intérêt quant à la capacité d’importer des marchandises en application de contingents tarifaires, et Affaires mondiales Canada a été invité aux réunions des groupes de travail pour discuter de ces préoccupations.

Pour en revenir au calendrier, le Groupe de travail sur l’atténuation des répercussions pour l’industrie laitière tire à sa fin, bien que l’industrie ait demandé de poursuivre les travaux sur les seuils d’exportation et l’élimination de la classe 7 lorsque plus de détails seront connus. L’industrie a présenté son point de vue et les types de programmes qu’elle aimerait voir.

Le Groupe de travail stratégique sur l’industrie laitière est chargé d’élaborer une vision pour s’assurer que l’industrie laitière est bien positionnée dans l’économie durable de l’avenir et qu’elle est à l’écoute des nouveaux besoins. Ce groupe n’en est qu’à ses débuts. Le ministère travaille avec les chefs de file de l’industrie à l’élaboration d’un plan de travail pour ce groupe.

Le Groupe de travail sur la volaille et les œufs est chargé d’élaborer des stratégies visant à soutenir pleinement et équitablement les agriculteurs et les transformateurs de ces industries pour les aider à s’adapter au PTPGP et à l’ACEUM, tout en tenant compte de la viabilité à long terme du secteur.

Le Groupe de travail sur la volaille et les œufs s’est réuni le 19 décembre et le 1er février et a participé à une conférence téléphonique à la fin janvier. Il a été convenu que d’autres réunions auraient lieu, et ce, avant le début du printemps.

Le gouvernement du Canada examinera les recommandations de l’industrie et y répondra en temps opportun.

Encore une fois, madame la présidente, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de comparaître ici ce matin.

La présidente : Je vous remercie de vos exposés. Il y a quelques sénateurs qui sont déjà prêts à vous poser des questions.

Le sénateur Doyle : Vous avez mentionné il y a quelques instants que nous avons désormais accès à un bien plus vaste marché grâce à nos divers accords commerciaux. L’AECG, bien sûr, nous donne accès à un marché européen de plus de 500 millions de personnes, mais comme nous le savons tous, l’Europe a aussi un secteur agricole bien établi et souvent actif sur le plan politique. Avez-vous une quelconque indication que les Européens auraient augmenté d’une manière ou d’une autre les obstacles non tarifaires aux produits agroalimentaires canadiens? Est-ce un facteur que vous surveillez et dont vous pourriez vous inquiéter ou est-ce que les choses avancent comme prévu?

M. Seppey : Oui. C’est une très bonne question. Je ne dirais pas que les obstacles non tarifaires ont augmenté dans l’Union européenne. Je dirais qu’ils sont restés les mêmes. C’est un marché qui présente toutes sortes de défis, pour diverses raisons. Les Européens vous diraient, si vous les interrogiez sur les obstacles non tarifaires érigés par le Canada, qu’ils ont eux aussi leur courte liste. Elle est peut-être plus courte que la nôtre.

Dans le contexte des négociations sur l’AECG, nous avons vraiment essayé de trouver des solutions. Nous avons négocié diverses choses, notamment une plus grande transparence en matière de biotechnologie. Il y a toujours des difficultés liées à la façon dont ils réglementent leurs produits, notamment en ce qui concerne les organismes génétiquement modifiés ou des questions comme la santé animale ou la salubrité des aliments.

Nous avons donc essayé de codifier certaines de ces obligations, mais dès que nous négocions un accord commercial, il y a deux grandes tâches qui nous attendent ensuite. Nous devons d’abord veiller à ce que nos exportateurs exploitent les possibilités créées par les négociations. Nous devons ensuite voir à aplanir les obstacles à l’accès au marché qui demeurent ou qui limitent les possibilités au moyen de la diplomatie, de la défense de nos droits et de consultations bilatérales.

Le sénateur Doyle : Certains des témoins qui ont comparu devant le comité aimeraient que le secteur agroalimentaire canadien joue un plus grand rôle dans l’élaboration de mesures et de programmes pour réagir à l’accès accru de nos partenaires commerciaux à notre marché. Y a-t-il de nouvelles consultations en cours à cet égard?

M. Seppey : Oui. Le témoignage de Ron Bonnett devant ce comité montre bien la relation très étroite qu’il y a entre le secteur et Agriculture et Agroalimentaire Canada, comme le gouvernement dans son ensemble.

Nous avons divers mécanismes en place pour entretenir le dialogue. C’est plus qu’une consultation. Ce n’est pas un échange à sens unique, où nous écoutons leurs points de vue, puis y réfléchissons de notre côté. Nous travaillons souvent en partenariat.

Les négociations commerciales l’illustrent bien. Par exemple, j’ai mentionné qu’il y avait des séances d’information et de travail quotidiennes avec les gens de l’industrie. Je parlais du secteur soumis à la gestion de l’offre, en particulier. Quand nous avons négocié le PTPGP, par exemple, il nous aurait été impossible d’obtenir les résultats nécessaires pour nos secteurs axés sur l’exportation sans les vastes compétences des gens de notre secteur porcin, entre autres. Ils connaissent parfaitement les obstacles non tarifaires qui existent au Japon. Ils comprennent la situation bien mieux que nos représentants des ambassades ou que nous-mêmes, les négociateurs.

Nous travaillons donc sans cesse avec eux sur divers enjeux. Je me concentre sur le commerce, mais Tom peut aussi vous parler des politiques nationales. Nous travaillons en très étroite collaboration avec les gens du secteur, constamment, pour que nos politiques reflètent le mieux possible leurs préoccupations.

Le sénateur Doyle : Nous avons aussi entendu qu’il faudrait peut-être ralentir la cadence de négociation de nouveaux accords commerciaux — ce que personne ici ne souhaite —, pour générer le plus possible de résultats positifs et le moins possible de résultats négatifs et nous laisser à tous le temps de nous y adapter. J’espère que ce n’est pas une considération. En est-ce une?

M. Seppey : Dans le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire, en particulier, l’une des difficultés que pose notre programme de politique commerciale, c’est que le Canada commerce avec presque tous les pays du monde. Beaucoup de relations commerciales sont régies par l’Organisation mondiale du commerce. Comme elles s’appliquent à 160 pays, les règles doivent être assez simples, et elles ne sont pas toujours aussi ambitieuses que nécessaire pour répondre à nos besoins, particulièrement en matière d’exportation, puisque nous sommes le cinquième exportateur de produits agricoles et agroalimentaires au monde.

Nous avons déjà négocié le PTPGP, l’ACEUM et l’AECG, en plus de tous les autres accords déjà conclus avec d’autres pays du monde, ce qui couvre beaucoup de relations commerciales, mais il reste encore 30 p. 100 du marché mondial des produits agricoles et agroalimentaires qui ne fait l’objet d’aucun accord dont le Canada fait partie. Avec la Chine, par exemple. Nous sommes actuellement en négociations avec l’Inde et l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est, soit l’ANASE.

Par conséquent, si certains de nos concurrents négocient des accords commerciaux bilatéraux, comme l’Australie dans les secteurs du porc et des oléagineux, par exemple, nous ne pouvons pas rester derrière. Il y a donc ce que j’appellerais une certaine concurrence positive pour la négociation d’accords de libre-échange. Ce n’est pas le seul facteur, mais il influence notre programme de négociation et nos objectifs en matière d’accords de libre-échange.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Messieurs, je représente le Québec. Comme vous le savez, l’industrie laitière au Québec est importante, notamment pour l’occupation du territoire. Dans la foulée de l’accord conclu avec les États-Unis, j’ai visité des fermes laitières qui étaient touchées par le fameux Programme d’investissement pour fermes laitières. Je dois vous dire que personne n’avait grand-chose de positif à nous dire sur cette mesure de mitigation qui, en fait, est plutôt inéquitable, puisqu’on doit être le premier à faire la queue pour dire au téléphone qu’on a besoin d’argent à telle heure, à tel moment. Ils ont tous fait cela. C’est une loterie. On ne favorisait que les fermes qui avaient l’intention d’investir parce qu’il fallait qu’elles mettent des fonds elles aussi. Il y a eu un fort sentiment d’iniquité pour ce premier programme que vous avez mis sur pied.

Franchement, je n’ai pas vu d’indices dans votre présentation qui nous permettent de dire que les choses iront mieux la prochaine fois. Dans le cadre de ces négociations, allez-vous faire des compensations qui ne favoriseront pas seulement quelques fermes favorisées assez grosses pour faire des investissements, mais qui permettront à tous les producteurs d’avoir une compensation décente, parce que c’est cela qui a été promis politiquement?

M. Rosser : Oui, nous sommes au courant que la première phase du programme liée à l’accord avec l’Europe a suscité des frustrations. On vient de lancer la deuxième phase. On a déjà apporté des changements dans l’allocation des fonds en raison des frustrations exprimées pour ce qui est de la première phase du programme.

La sénatrice Miville-Dechêne : Il faut que le cultivateur ait de l’argent pour bénéficier de votre programme.

M. Rosser : C’était pour encourager l’investissement. On a récemment créé un groupe de travail. On a passé beaucoup de temps à discuter avec des représentants de l’industrie partout au pays en ce qui concerne leurs priorités, leurs préoccupations, et à apprendre de leur expérience avec le programme pour qu’on puisse mettre en œuvre des mesures qui répondent dorénavant mieux aux priorités du secteur.

La sénatrice Miville-Dechêne : Quels seront les principes de ces programmes? Donnez-nous une indication. Est-ce qu’on parle d’un dédommagement universel ou de cibler certains producteurs? Qu’avez-vous en tête?

M. Rosser : L’un des principes de notre groupe de travail est d’écouter directement les représentants de l’industrie. On les invite à nous faire part de leurs priorités en ce qui a trait à l’allocation de la compensation. De toute évidence, on veut que ce soit équitable pour toutes les régions. On veut également s’assurer que les fonds soient accessibles aux petits et aux grands producteurs. Comme point de départ, on a passé beaucoup de temps à discuter avec l’industrie de notre expérience avec les programmes actuels. On a déjà apporté des changements dans la deuxième phase du présent programme.

La sénatrice Miville-Dechêne : Avez-vous une enveloppe financière maximum pour accorder ces compensations? Si oui, laquelle?

M. Rosser : C’est un autre point de discussion avec le groupe de travail que d’essayer d’estimer l’impact de ces ententes sur l’industrie. Il s’agit d’un point de départ pour estimer ce qui est juste et équitable. L’analyse des impacts du libre-échange sur les secteurs sous la gestion de l’offre est complexe. Il y a plusieurs analyses et scénarios. On parle de cinq secteurs distincts et de deux ententes commerciales. C’est compliqué. Je n’ai pas un chiffre exact, mais nous travaillons en étroite collaboration avec l’industrie pour obtenir les estimations les plus précises possible.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous comprenez que les producteurs laitiers sentent qu’ils ont été sacrifiés à cause de ces accords. Vous parlez de fermes, de gens qui travaillent 14 heures par jour, ce sont sûrement des emplois difficiles. Pour l’instant, tout le monde essaie d’avoir un espoir, mais j’aimerais être convaincue qu’il y a une volonté politique — dans votre cas, ce n’est pas politique —, mais qu’il y a une volonté dans la machine pour en arriver à une compensation équitable.

M. Rosser : Comme l’a mentionné plus tôt M. Seppey, le ministère travaille en collaboration avec l’industrie agricole. Le processus qui sera mis en place au cours des prochains mois est vraiment unique. On a tenu quatre réunions avec l’industrie laitière et plusieurs réunions avec l’industrie de la volaille. On discute toute la journée de leurs préoccupations, de leurs priorités pour s’assurer que la compensation, les mesures d’atténuation qu’on met en place répondent le mieux possible à leurs priorités. Il n’est pas inhabituel de mener des consultations, mais il est vraiment unique, à mon avis, qu’on mette en place des groupes de travail pour s’assurer que nos mesures d’atténuation soient le mieux ciblées possible.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci. Je vous ai suffisamment torturé.

Le sénateur Dagenais : Je vais poursuivre dans la même veine que ma collègue, la sénatrice Miville-Dechêne. Cela fait bientôt sept ans que je siège au Comité de l’agriculture. Donc, mon attention a été attirée sur les négociations de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique. Je ne manque jamais, au début de l’année, d’écouter le discours à la nation du président des États-Unis. Il affichait un air triomphant en disant que c’était un excellent accord pour son pays. Pour ce qui est du Canada, il a simplement dit qu’il allait conserver les ententes. J’ai l’impression — c’est peut-être une mauvaise perception — que nous sommes perdants pour ce qui est de ces accords. J’aimerais qu’on parle des concessions que le Canada a faites aux États-Unis, c’est-à-dire ce que nous avons ouvert comme marché pour conclure cet accord. Si on regarde ce que les Américains ont obtenu, au-delà des mots qu’on utilise dans les textes, pouvez-vous nous dire ce qu’on trouvera éventuellement sur nos tablettes qui existe déjà ici et qui fera concurrence à nos produits locaux? On sait très bien que l’industrie laitière est fortement subventionnée aux États-Unis. Les prix sont concurrentiels, ce qui exercera une pression sur nos marchés. Avez-vous des chiffres à nous fournir, et quelle influence cela aura-t-il sur notre marché?

M. Seppey : Dire que ces négociations étaient uniques, je pense que c’est un oxymore. C’étaient des négociations inhabituelles parce qu’on négociait sur la base d’une relation extrêmement ouverte. L’accord canado-américain qui avait été conclu durant les années 1980 a été modernisé ou élargi au Mexique dans le cadre de l’ALENA au début des années 1990. Dans le domaine agricole et agroalimentaire, le marché est déjà extrêmement ouvert. Dans le domaine agricole, les négociations se sont très rapidement sont concentrées sur les quelques rares secteurs où le commerce est moins ouvert. En ce qui concerne l’accès au marché canadien, il s’agissait essentiellement du secteur laitier, parce qu’on a des engagements depuis les années 1980 dans le secteur de la volaille. Je crois que vous avez entendu l’explication des représentants du secteur avicole et ovocole plus tôt cette semaine. De notre côté, on avait aussi des objectifs offensifs en ce qui concerne la margarine et le sucre. Même si le marché est très ouvert dans le secteur de la viande, il y a des procédures réglementaires en matière de commerce, notamment le commerce transfrontalier des produits carnés, qui laissent à désirer. Les négociations dans le domaine agricole ont porté principalement sur ces enjeux-là. Si vous regardez à travers une lentille agricole, l’attention est portée sur quelques rares secteurs quand on regarde l’ensemble d’une relation économique qui, essentiellement, peut se résumer à un commerce de plus de un milliard de dollars de biens et services qui traversent la frontière dans les deux directions chaque jour. De ce point de vue-là, cela attire l’attention de nos secteurs sous la gestion de l’offre, qui ont été amenés à faire une contribution extrêmement difficile, comme la sénatrice l’a mentionné plus tôt. Il faut examiner cela d’une manière plus large. Bien entendu, il s’agissait de préserver les acquis d’une relation qui est extrêmement riche et dont nous sommes particulièrement dépendants, peut-être moins dans le domaine agricole et alimentaire que dans d’autres domaines. Monsieur Forsyth, avez-vous un commentaire à faire?

[Traduction]

Doug Forsyth, directeur général, Accès aux marchés, Affaires mondiales Canada : Je peux ajouter quelque chose à cela. Je pense que, comme vous le soulignez à juste titre, c’était une négociation assez unique, une chose que nous n’avions jamais vécue dans notre longue expérience de négociations commerciales variées.

Quoi qu’il en soit, comme les États-Unis sont le partenaire commercial le plus important du Canada, il était important que nous nous engagions activement dans ces négociations, et vous avez pu voir par l’importance qu’y ont accordée le premier ministre et son équipe que ces négociations étaient cruciales pour le Canada, et évidemment pour le Mexique aussi.

Comme Frédéric Seppey l’a souligné, le secteur agricole était une priorité pour les États-Unis, qui souhaitaient améliorer leur accès à ce marché, mais, d’un point de vue plus général, si l’on tient compte des objectifs que s’était fixés le Canada en vue de ces négociations — le président Trump affirme beaucoup de choses —, je pense que le Canada a toutes les raisons d’être fier des négociations qu’il a su mener.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Il reste que c’est dans la perception. On a quand même eu la perception que la gestion de l’offre a été sacrifiée. De façon plus globale, croyez-vous que les consommateurs canadiens se verront offrir des produits américains à meilleur prix que ce que nous produisons ici? Il faut traverser la frontière pour voir qu’il y a des produits qui sont pas mal moins coûteux aux États-Unis. Est-ce que cela fera pression sur les produits qu’on a déjà ici? De cette façon, le consommateur canadien en sortira peut-être gagnant.

M. Seppey : Étant donné que, déjà, le commerce est extrêmement ouvert même dans les secteurs liés aux produits de la gestion de l’offre, je ne crois pas que vous verrez beaucoup de produits apparaître sur le marché. Évidemment, une fois qu’il y aura plus d’occasions, il y aura davantage de fromages américains. Il est évident qu’il y a un contingent tarifaire.

Le contingent tarifaire reste d’un niveau qu’il faudra ajuster avec la combinaison des différents accords commerciaux. Est-ce que de nouveaux fromages américains apparaîtront sur le marché? Cela dépendra des importateurs au Canada et des négociants canadiens qui vont le déterminer. Il faut garder à l’esprit que, quand on pense en termes de nouveaux produits, on parle du domaine de la transformation alimentaire. Or, le marché est déjà complètement ouvert dans ce secteur.

M. Rosser : Dans le travail qu’on fait en collaboration avec l’industrie et les groupes de travail, un des enjeux qu’on examine, c’est comment la dynamique du marché va changer avec ces ententes de libre-échange. C’est assez compliqué. Cela dépend du taux de croissance dans la demande sur le marché domestique et de l’allocation de contingents, par exemple. On est en train de concevoir plusieurs scénarios pour essayer d’estimer l’impact sur le marché, les producteurs et les consommateurs sur la chaîne de valeur pour les secteurs sous la gestion de l’offre.

[Traduction]

Le sénateur R. Black : J’ai une brève question à vous poser. Compte tenu des trois accords déjà en vigueur ou qui le seront bientôt, y a-t-il une volonté de la part du gouvernement d’améliorer l’image de marque du Canada et d’investir davantage dans sa campagne de promotion pour la pousser encore plus loin?

M. Rosser : Chose certaine, les groupes de travail passent beaucoup de temps à parler des effets potentiels des accords sur l’industrie, pour ce qui est de l’accès au marché, de la demande et des investissements, mais un autre élément important de la conversation, c’est qu’il nous faut un programme structuré pour en atténuer les répercussions. Encore une fois, les travaux se poursuivent, mais nous avons déjà eu de nombreuses discussions sur les mesures à prendre, comme les campagnes de promotion de l’image de marque et les campagnes de marketing, particulièrement pour le secteur soumis à la gestion de l’offre au Canada. Nous avons aussi discuté des façons de tirer avantage d’un accès accru au marché grâce à des accords comme l’ACEUM, dans le cadre de notre stratégie globale pour atténuer les répercussions des concessions que nous avons faites sur le plan de l’accès au marché.

Nous souhaitons bien comprendre les priorités du secteur, des producteurs et des transformateurs, et l’aide à la commercialisation sous toutes ses formes fait partie de la conversation.

Le sénateur R. Black : Il faut dire aussi que, dans les secteurs autres que ceux qui sont soumis à la gestion de l’offre, il y a évidemment une volonté d’aller de l’avant, n’est-ce pas?

M. Seppey : Oui, absolument. En fait, il y a une initiative dans le cadre de Canada 2020 qui vise à projeter une image du Canada allant au-delà de son image classique. Habituellement, les programmes de valorisation de l’image de marque d’Affaires mondiales Canada et d’Agriculture et Agroalimentaire Canada mettent l’accent sur les politiques de développement des marchés. Cela représente un changement. Quand M. Bonnett a comparu ici, il a parlé d’efforts pour changer les préférences et les habitudes des consommateurs. De même, les observateurs du secteur agricole et agroalimentaire estiment que nous pouvons faire mieux pour nous vendre. Nous devons miser sur des atouts comme notre système de sécurité alimentaire, nos caractéristiques propres et la proximité de nos produits avec la nature.

Pour ce qui est de la confiance qu’inspirent nos pratiques dans le public, il y a place à la collaboration pour améliorer notre image de marque, entre l’industrie et le gouvernement, grâce à des initiatives comme le Programme CanExport d’Affaires mondiales Canada.

Le sénateur R. Black : Je sais qu’il y a un comité chargé de la vision qui a été créé pour le secteur laitier. Pourquoi n’en a-t-on pas créé un pour la volaille aussi?

M. Rosser : La composition des groupes de travail, leur mandat et leur structure dépendent vraiment des consensus auxquels sont parvenus les représentants du gouvernement et de l’industrie. La structure adoptée pour le secteur laitier témoigne des préférences exprimées par les gens du secteur. L’idée était que dans ce secteur, les personnes les mieux placées pour faire le travail stratégique n’étaient pas nécessairement les personnes les mieux placées pour s’occuper des mesures d’atténuation. En revanche, pour l’EC4, le secteur de la volaille et des œufs, il semblait y avoir plus de points en commun, de sorte que les mêmes personnes pouvaient se voir confier la responsabilité des deux phases de l’analyse.

Le sénateur R. Black : Leur en a-t-on confié le mandat?

M. Rosser : Oui.

[Français]

La sénatrice Gagné : Merci de vos présentations. Dans le cadre du Programme d’investissement pour fermes laitières, vous mentionniez dans votre présentation qu’il y a eu 1 900 projets qui ont été financés, avec une moyenne de plus de 68 000 $ par projet. Pour me donner une idée du type de projet qui aurait été financé, est-ce que vous seriez en mesure de me donner des exemples?

M. Rosser : Peut-être que nous pourrions partager avec le comité la première phase du programme, sa nature, mais il y avait deux tranches. Il y avait en premier lieu une cible pour les investissements plus importants, les changements dans le système laitier et, donc, sur les fermes. L’autre tranche ciblait des investissements plus mineurs dans les opérations de la ferme. On voulait que le programme soit accessible aux fermes de différentes tailles ainsi que pour les projets où on n’était pas en train de faire des investissements majeurs, mais qui pouvaient quand même être admissibles au programme.

M. Seppey : Juste pour compléter la réponse, dans certaines fermes, le programme leur a permis d’investir dans des robots de traite qui deviennent efficaces à partir d’environ une centaine de vaches. Un robot peut gérer la traite de 70 vaches. Certains projets étaient de ce type et d’autres étaient peut-être plus mineurs, mais ils impliquaient de développer une expertise en matière de gestion du régime alimentaire des bêtes ou d’améliorer leur confort, ce qui peut avoir une incidence sur la productivité, par exemple, en ajoutant des tapis de sol. On parle d’une moyenne de 68 000 $, mais il y a eu des projets de différents niveaux et ils répondaient aux besoins. En termes de nombre, il y avait beaucoup plus de demandes que d’offres, mais elles répondaient à la diversité des besoins, que ce soit des petites ou de plus grandes fermes.

La sénatrice Gagné : Ma deuxième question porte aussi sur le rapport d’investissement pour les fermes laitières. Comment les sommes octroyées aux producteurs sont-elles réparties à travers le pays? Je viens du Manitoba.

M. Rosser : Je vais commencer, mais peut-être que M. Seppey ou M. Forsyth voudront ajouter des commentaires. Le programme destiné aux producteurs visait à assurer que le pourcentage du financement dans le programme correspondait au niveau de production de certaines régions ou provinces. Si ce n’est pas parfaitement équitable au cours de la première phase du programme, on s’assurera de compenser le manque à gagner dans la deuxième phase.

La sénatrice Gagné : Quelle principale leçon peut-on tirer du processus de demande de la première phase?

M. Rosser : Dans la deuxième phase, des frustrations avaient été exprimées par rapport au principe du « premier arrivé, premier servi » pour ce qui est de l’allocation des fonds. On a apporté des modifications à ce chapitre dans la deuxième phase. Dans le cadre des groupes de travail, on a engagé des discussions plus en profondeur pour essayer de tirer d’autres leçons et de mettre en œuvre d’autres mesures d’atténuation en ce qui concerne les ententes avec les États-Unis, le Mexique et l’Accord de Partenariat transpacifique.

M. Seppey : Pour compléter, il y a eu un certain nombre de modifications, et on a travaillé avec les représentants des producteurs pour tirer rapidement des leçons. Cela a commencé dès la clôture de la première phase des demandes, qui a coupé assez net. Cette fois-ci, on tient compte du fait que ce ne sont pas tous les producteurs qui sont en mesure d’utiliser des systèmes de demande en ligne. Cela peut se faire en ligne ou par téléphone. On a augmenté le nombre de personnes qui travaillent au centre d’appel afin de répondre aux questions avant la date d’échéance et au-delà. C’est une version modifiée du « premier arrivé, premier servi ». Les gens soumettent une demande. Ensuite, il y a un processus aléatoire de sélection parmi ceux qui ont posé leur candidature avant la date limite, ce qui permet, à notre avis, d’adopter une approche plus équitable sur la répartition des fonds. Le principe qui reste commun aux deux phases est de s’assurer que cela correspond, comme le disait M. Rosser, à la répartition des quotas de production à travers le pays.

La sénatrice Miville-Dechêne : Qu’entendez-vous par « processus aléatoire »? Vous tirez au sort ceux qui obtiendront la subvention? Dans un chapeau?

M. Seppey : Je ne suis pas du côté des programmes, mais c’est un processus où on est en mesure de déterminer la date butoir. Des demandes sont reçues, et peut-être qu’elles excèdent l’enveloppe disponible. Ensuite, il y a un processus pour sélectionner de manière non arbitraire les demandes préliminaires à l’intérieur de ce groupe-là.

La sénatrice Miville-Dechêne : Donc, c’est selon la qualité du dossier. Ce n’est pas tiré au sort. Ai-je bien compris?

M. Rosser : Il y a plusieurs principes d’équité régionale. C’est important pour nous. Dans le cadre de la deuxième phase du programme, on a financé 1 900 projets à ce jour. On veut s’assurer de donner la priorité aux producteurs qui n’ont pas bénéficié de la première phase du programme lorsqu’on fait l’évaluation des demandes. On veut s’assurer que le plus grand nombre de producteurs possible puissent bénéficier des avantages de ce programme.

M. Seppey : Dans la deuxième phase du programme, la première étape consiste à soumettre un synopsis de projet très sommaire, qui est ordonné de façon aléatoire. Ensuite, on invite les participants à soumettre des propositions plus détaillées, qui sont évaluées en fonction des critères spécifiques au programme. Je crois qu’on sera en mesure de fournir au comité un sommaire qui décrit ces étapes de manière technique.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous avez des synopsis et c’est là que vous tirez au sort?

M. Seppey : Oui, mais ce n’est pas le processus de sélection. À partir de cette première étape, on invite les demandeurs à formuler...

La sénatrice Miville-Dechêne : Un certain nombre de demandeurs, moins de demandeurs que ceux qui étaient d’abord...

M. Seppey : Oui. Une fois que l’évaluation plus détaillée du programme est faite, s’il reste encore des fonds, on peut continuer à étudier la liste.

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est cette liste-là qui est constituée de manière aléatoire en termes de priorités.

M. Seppey : C’est la première liste, oui. Il s’agit de ne pas privilégier certaines catégories de projets à la première étape pour qu’ils soient invités à soumettre des propositions plus détaillées.

La sénatrice Miville-Dechêne : D’accord. Je comprends bien.

La sénatrice Gagné : Monsieur Rosser, je crois que vous avez mentionné que le groupe de travail sur la volaille et les œufs s’est réuni le 19 décembre et le 1er février et que vous avez participé à une conférence téléphonique le 24 janvier, et vous dites à la fin : « Le gouvernement du Canada examinera les recommandations de l’industrie et répondra en temps opportun. » Est-ce que cela se fera avant les prochaines élections?

M. Rosser : C’est important pour l’industrie que les recommandations soient finalisées le plus tôt possible. Si je me souviens bien, le cadre de référence pour le groupe de la volaille, leur date butoir pour terminer leurs travaux, est à la fin mars. Le groupe veut faire connaître ses recommandations au gouvernement au début du printemps pour qu’il puisse informer les instances décisionnelles à l’intérieur du gouvernement.

La sénatrice Gagné : Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une petite question. J’ai compris que les producteurs de lait avaient complètement terminé les consultations, qu’ils étaient prêts et qu’ils n’attendaient que le gouvernement. Est-ce exact?

M. Rosser : Je ne dirais pas qu’ils ont terminé leurs travaux...

La sénatrice Miville-Dechêne : Sur la compensation.

M. Rosser : Ils ont terminé les analyses, mais ils sont d’avis que certaines décisions en ce qui a trait à l’aide de classe 7 peuvent avoir un impact. Il est impossible à l’heure actuelle de déterminer ce que cela signifie pour l’industrie. Il est difficile de savoir où se terminent les travaux du groupe d’atténuation et où commencent les travaux du groupe stratégique. À notre avis, les deux sont très directement liés. On aimerait obtenir les conseils de l’industrie sur les questions stratégiques pour ce qui est de la mise en œuvre de meilleures mesures d’atténuation.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

M. Seppey : L’Accord Canada—États-Unis—Mexique comporte deux volets en ce qui a trait aux obligations, dont l’aspect classique, c’est-à-dire l’action sur le marché, et, pour les producteurs et nous, c’est plus facile de déterminer les impacts. Cependant, pour les aspects moins traditionnels — l’élimination des classes 6 et 7, l’exigence contenue dans l’accord sur la surveillance des exportations de certains produits, notamment les préparations pour nourrissons, les concentrés de protéines laitières, les poudres de lait écrémé —, il y a beaucoup plus d’éléments inconnus lorsqu’il s’agit d’évaluer les impacts. Contrairement à l’action sur le marché, où vous avez un volume, vous pouvez proposer comme hypothèse que les contingents tarifaires soient pleinement remplis. En ce qui concerne les autres éléments, c’est beaucoup plus difficile de déterminer les impacts et c’est pourquoi les producteurs veulent mener une réflexion de fond à ce sujet.

La sénatrice Miville-Dechêne : Les compensations peuvent-elles être versées avant que l’accord soit entériné par le Congrès américain, d’un point de vue légal?

M. Rosser : Le gouvernement a offert des compensations pour atténuer les impacts de l’accord. Nous verrons comment nous mettrons tout cela en place. Il est difficile de déterminer l’impact de l’accord avec les États-Unis avant de connaître la date à laquelle l’accord sera ratifié.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

La présidente : C’est un bon point.

Je ne vois pas d’autre main levée pour poser des questions, donc je remercie nos trois témoins de leur présence ici aujourd’hui. Il y a eu d’excellentes questions. Je vous remercie de vos témoignages.

Avant que nous nous quittions, j’aimerais que les membres du comité restent un peu. J’aimerais que nous parlions très brièvement de nos travaux futurs. Nous pouvons le faire à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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