Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule no 63 - Témoignages du 2 avril 2019
OTTAWA, le mardi 2 avril 2019
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 18 h 13, pour étudier la manière dont le secteur alimentaire à valeur ajoutée peut être plus compétitif sur les marchés globaux.
La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je m’appelle Diane Griffin et je suis la présidente du comité. Je souhaite la bienvenue à nos témoins. Je vais demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par le vice-président.
[Français]
Le sénateur Maltais : Sénateur Ghislain Maltais, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, Nouvelle-Écosse.
Le sénateur R. Black : Robert Black, Ontario.
La sénatrice Moodie : Rosemary Moodie, Ontario.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec. Désolée pour le retard.
[Traduction]
La présidente : Nous accueillons ce soir un groupe de témoins dans le cadre de notre étude sur la valeur ajoutée. De l’Association des administrations portuaires canadiennes, nous accueillons Wendy Zatylny, présidente; Debbie Murray, directrice, Politiques et affaires réglementaires; et, enfin, Tim Heney, chef de la direction de l’Administration portuaire de Thunder Bay.
Je crois savoir que c’est l’Association des administrations portuaires canadiennes qui va commencer et que Mme Zatylny va prendre la parole.
Wendy Zatylny, présidente, Association des administrations portuaires canadiennes : Bonsoir, mesdames et messieurs. Merci beaucoup de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous ce soir. Je sais qu’il a fallu du temps pour en arriver là et nous sommes très heureux d’être parmi vous.
Comme vous l’avez entendu, nous constituons ce soir tout un groupe de témoins. Je vais vous présenter un point de vue national général au nom de tous les membres de l’association, tandis que M. Heney vous parlera des particularités en qualité de représentant d’un port clé d’exportation agroalimentaire canadien.
Cependant, avant de commencer, j’aimerais rappeler brièvement qui nous sommes. Nous représentons les 18 administrations portuaires canadiennes qui sont situées sur les côtes de l’Atlantique et du Pacifique ainsi que le long du fleuve Saint-Laurent et des Grands Lacs. L’an dernier, nos membres ont transporté plus de 343 millions de tonnes de marchandises, dont près de la moitié du blé canadien. Nous accueillons également plus de 1,3 million de passagers de croisière par an et nous donnons des emplois à près d’un quart de million de personnes. Nos chaînes d’approvisionnement s’étendent bien au-delà de nos ports et pénètrent jusqu’au « cœur du Canada ».
Il ne fait aucun doute que les denrées agricoles et agroalimentaires ou les intrants dans le secteur agricole canadien comptent parmi les principaux produits qui transitent par les ports. L'incidence des divers accords sur le commerce, comme l’AECG, par exemple, ainsi que les fluctuations d’ensemble des échanges commerciaux, stimulent la demande accrue de transport maritime pour les produits agricoles.
Pour les administrations portuaires canadiennes, le soutien de la compétitivité du secteur alimentaire à valeur ajoutée comporte trois aspects. Il y a tout d’abord l’évolution du rôle des ports et la nature des administrations portuaires; deuxièmement, l’incidence des innovations en matière de données et de gestion des données; et troisièmement, les besoins fondamentaux liés à l’expansion de l’infrastructure, tant sur le plan des mécanismes de financement que de la souplesse financière. Je vais aborder chacun de ces points au cours des prochaines minutes.
Pour ce qui est du premier point, le rôle des ports comme partenaires à valeur ajoutée dans la chaîne d’approvisionnement et la production alimentaire, il est important de reconnaître l’évolution du rôle des ports au fil du temps. Alors qu’autrefois les ports étaient simplement des endroits où les navires arrivaient et les marchandises étaient chargées et déchargées, aujourd’hui les ports du Canada sont devenus des intermédiaires au sein des chaînes d’approvisionnement de multiples secteurs. Les ports d’aujourd’hui sont des spécialistes de la logistique et des promoteurs, offrant de l’espace et des possibilités pour des installations de transformation à valeur ajoutée au sein de leurs enceintes portuaires.
L’exemple le plus éloquent est peut-être la réorientation du port de Hamilton, passant de l’acier à l’agriculture. Son objectif est de devenir la plaque tournante agricole pour l’expédition de légumineuses et d’autres produits agroalimentaires et de desservir les agriculteurs du Sud de l’Ontario. La réalisation de cet objectif a facilité des investissements en capital connexes de plus de 200 millions de dollars au cours de la dernière décennie, mais elle a également permis d’attirer des entreprises de transformation des aliments de plus haut niveau, comme une nouvelle usine de broyage du soya et du canola, une minoterie, une raffinerie de sucre et une brasserie, toutes établies au cours des trois dernières années. Ces investissements ont fait passer le fret agricole de 9 p. 100 du tonnage total du port en 2008 à près de 27 p. 100 l’an dernier.
À leur façon, toutes les administrations portuaires du Canada connaissent des évolutions semblables. Le port de Trois-Rivières, par exemple, développe une zone industrielle portuaire; il s’agit essentiellement d’un centre logistique centré sur le port qui créera une masse critique de partenaires de la chaîne d’approvisionnement qui collaboreront pour assurer une fluidité maximale dans le système de transport.
En ce qui concerne les aliments à valeur ajoutée, il est intéressant de noter que la plupart des fèves de cacao qui arrivent sur la côte est en provenance d’Afrique passent par le port de Trois-Rivières. Ces fèves de cacao sont expédiées vers une usine en Estrie qui transforme les fèves en pâte. La pâte est ensuite expédiée aux fabricants de chocolat de l’Est du Canada et des États-Unis. En fait, à Trois-Rivières même, il y a maintenant une chocolaterie reconnue mondialement qui transforme cette pâte pour en faire un produit alimentaire haut de gamme. C’est le genre de stimulation que nous avons en tête lorsque nous parlons du potentiel de développement des ports.
Il y a déjà énormément d’activité et il reste beaucoup de potentiel à exploiter. Toutefois, de notre point de vue, nos ports doivent avoir les moyens juridiques de poursuivre leur évolution. À l’heure actuelle, par exemple, le libellé de la Loi maritime du Canada et de ses règlements cantonne les administrations portuaires du Canada, les APC, à fournir des services de transport et de navigation. Dans une certaine mesure, ce libellé a limité la capacité des ports de créer ces installations logistiques multimodales. Il faut donc que la législation et la réglementation portuaire moderne encouragent les administrations portuaires à participer à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.
Passons maintenant à mon deuxième point. Dans ce nouveau monde, les ports se tournent aussi vers l’innovation de façon importante, y compris les données et la gestion des données. Compte tenu des pratiques actuelles en matière de transport maritime à l’échelle mondiale, toutes les marchandises s’accompagnent, d’une façon ou d’une autre, d’informations ou de données.
De nombreuses technologies perturbatrices comme les applications de la chaîne de blocs sont testées à l’heure actuelle dans les ports pour le secteur maritime. De nombreux partenariats et alliances, y compris des ports canadiens, étudient ces questions. Par exemple, l’Administration portuaire de Halifax s’est jointe à TradeLens, une plateforme mondiale numérique mise au point par Maersk et IBM. L’objectif de Halifax est de participer à l’élaboration d’un système de registre numérique sécurisé favorisant l’échange d’informations dans le secteur du transport maritime au niveau mondial afin de réduire les coûts et d’améliorer la productivité.
À ce sujet, le défi actuel est que tous les intervenants soient sur la même longueur d’onde et soient ouverts au partage des données. Les APC doivent être habilitées à réunir des partenaires pour élaborer une approche nationale uniforme et travailler avec d’autres organismes pertinents, comme l’Agence des services frontaliers du Canada, qui doivent également être encouragés à participer. À ce sujet, nous savons que l’initiative relative aux données de Transports Canada, un projet important visant à recueillir, à analyser et à diffuser des données sur la chaîne d’approvisionnement entre les partenaires, devrait recevoir un financement et un soutien à long terme.
Au bout du compte, cependant, on ne peut construire sans une base solide. Pour les ports, il s’agit de l’infrastructure, c’est-à-dire le soutien continu au développement et à l’expansion au sein des ports.
J’ai évoqué la croissance des volumes agricoles et l’évolution de la demande mondiale de produits agricoles. Nos ports se dépêchent d’y répondre pour que de nouveaux investissements soient faits dans les terminaux, l’équipement de manutention des marchandises et les liaisons intermodales. Par exemple, le port de Vancouver renouvelle son terminal céréalier pour la première fois depuis 50 ans. L’investissement du gouvernement dans l’Initiative des corridors de commerce et de transport dans les portes d’entrée et les ports, y compris le Fonds national des corridors commerciaux, a été un élément important pour permettre aux ports de réagir. À l’origine, ce programme était sursouscrit, mais les financements ont été accélérés dans l’Énoncé économique de l’automne, avec 776 millions de dollars supplémentaires affectés au cours des trois prochaines années et un appel de projets en cours.
Cependant, pour obtenir le meilleur effet de levier de ce financement, quelques autres éléments sont encore nécessaires, notamment des améliorations aux processus de lettres patentes pour permettre aux ports de gérer leurs terres dans un délai opportun et commercial.
Par ailleurs, il faut élargir les mécanismes de financement des projets portuaires et étudier les mécanismes de financement innovants, notamment en permettant aux administrations portuaires de créer des filiales en propriété non exclusive pour les projets portuaires et en permettant aux marchés commerciaux de déterminer les limites d’emprunt.
Notre récent mémoire sur l’examen de la modernisation des ports, dont vous avez des exemplaires — nous vous invitons à le lire — souligne également la nécessité d’une stratégie globale de transport qui assure une utilisation optimale de toutes les parties du réseau de transport du Canada.
J’aimerais maintenant céder la parole à M. Heney, qui vous donnera une perspective pratique, surtout en ce qui concerne le rôle de la Voie maritime dans ce système.
Tim Heney, chef de la direction, Administration portuaire de Thunder Bay, Association des administrations portuaires canadiennes : Bonsoir. Au nom du port de Thunder Bay, je tiens à remercier le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts de m’avoir invité à comparaître devant lui aujourd’hui.
Je suis le PDG de l’Administration portuaire de Thunder Bay. Le port de Thunder Bay est le port le plus intérieur du Canada et le point d’accès de l’Ouest canadien au réseau de la Voie maritime du Saint-Laurent, la plus grande voie navigable intérieure au monde.
Cette année marque le 60e anniversaire de la Voie maritime, qui a été inaugurée en avril 1959. C’est la porte d’entrée première du Canada et la plus grande réalisation technique du pays. Construite à l’origine pour permettre l’accès aux marchés mondiaux pour les exportations agricoles de l’Ouest canadien, la Voie maritime a fait l’objet d’investissements importants au cours des huit dernières années, notamment la mise à niveau des écluses et l’installation de nouvelles technologies, y compris l’amarrage mains libres, la navigation D, la détection des navires au laser et l’exploitation à distance des ponts. Il y a une capacité disponible pour augmenter les volumes sur cette route avec peu ou pas d’investissement supplémentaire.
Dans le cas de la Voie maritime, nous sommes fiers de son taux de disponibilité de 99,9 p. 100, elle qui constitue une voie de transport sécuritaire et fiable qui a la plus faible empreinte carbone de tous les modes de transport, des Prairies canadiennes aux côtes.
Au total, 41 millions de tonnes métriques de marchandises ont été acheminées par la Voie maritime l’an dernier. Dans cet ensemble, Thunder Bay est le plus grand port d’exportation de la Voie maritime, avec comme principal produit le grain de l’Ouest canadien.
Le grain d’exportation est un produit à valeur ajoutée. Cela commence au niveau de l’exploitation agricole, où les céréales et les oléagineux sont élaborés en fonction de l’utilisateur final et ont des qualités particulières qui ajoutent de la valeur. Les producteurs dépensent de l’argent pour les intrants agricoles, le carburant et la machinerie pour créer un produit de valeur. Les manutentionnaires de grains nettoient et mélangent les grains pour augmenter la valeur du produit d’exportation. Le transport du grain génère des revenus pour les sociétés céréalières, les chemins de fer, les ports et les propriétaires de navires ainsi que des recettes fiscales au niveau local, provincial et fédéral. Il y a donc une chaîne de valeur génératrice de revenu, de l’exploitation agricole à l’utilisateur final.
La boulangerie Warburtons, au Royaume-Uni, en est un excellent exemple. Elle collabore avec des agriculteurs et des entreprises céréalières du Canada pour cultiver des variétés précises de blé afin d’améliorer la qualité des produits de boulangerie qu’elle vend en Grande-Bretagne. Les agriculteurs canadiens reçoivent une prime pour cultiver du blé qui répond aux spécifications de Warburtons, et les sociétés céréalières reçoivent une prime pour séparer et préserver ce blé de l’exploitation agricole jusqu’au navire d’exportation.
Thunder Bay est le port céréalier le plus efficace au Canada, avec le cycle de wagons le plus court de l’Ouest canadien, le délai d’expédition le plus rapide, la plus grande capacité d’entreposage de grains et les frais portuaires les plus faibles du pays.
Le port a connu des gains d’efficacité et des hausses de volume spectaculaires depuis l’élimination du monopole de la Commission canadienne du blé en 2012 et il s’est établi comme un projet fiable et une porte d’entrée de fret général pour l’équipement et les produits de l’acier provenant d’Europe et destinés à l’Ouest canadien.
Depuis l’élimination du droit à l’importation de 25 p. 100 sur les navires construits à l’étranger, 16 nouveaux navires des lacs canadiens ont été construits à l’aide de la technologie la plus récente pour augmenter la vitesse, la capacité de transport et réduire l’empreinte carbone. Une partie importante du grain manutentionné au port est transportée par la flotte canadienne des lacs et transbordée sur des navires océaniques au Québec pour être exportée vers des marchés en Europe, en Afrique du Nord, en Amérique latine et au Moyen-Orient. Le port charge également des navires océaniques pour l’exportation directe vers les marchés étrangers.
Le port de Thunder Bay et la Voie maritime du Saint-Laurent disposent d’une importante capacité disponible pour gérer efficacement et en toute sécurité la croissance future des exportations canadiennes de l’Ouest canadien, sans investissements majeurs dans l’infrastructure. La Voie maritime est bien placée pour atteindre son potentiel en tant que centre de transport essentiel pour les exportations et les importations canadiennes. Cela nécessitera, en termes généraux, la modernisation du régime de réglementation de la Voie maritime et la promotion de l’innovation et des pratiques de travail modernes, dans le but d’accroître le fret sur le réseau ainsi que la reconnaissance et la priorisation par le gouvernement de la Voie maritime comme corridor important.
La présidente : Merci pour ces excellents exposés. Un certain nombre de sénateurs veulent poser des questions.
[Français]
Le sénateur Maltais : Bienvenue à nos témoins. C’est un domaine très intéressant qui touche particulièrement les Maritimes et le Québec.
J’ai trois points à souligner. Cette année, le dégagement des glaces dans le fleuve Saint-Laurent n’a pas connu un succès extraordinaire. Les brise-glaces sont désuets. Même les musées n’en veulent plus.
Tout d’abord, avez-vous fait des représentations auprès du gouvernement pour renouveler ces brise-glaces, qui sont essentiels au bon fonctionnement de la Voie maritime? Deuxièmement, je suis du Nord-du-Québec. J’habite à Québec. Les bateaux de croisière dans les ports du Saint-Laurent prennent de plus en plus d’expansion. On a qu’à penser à Québec, Montréal et Baie-Comeau. Dans le cas du port de Québec, lorsque 1 500 à 2 000 personnes débarquent, on ne peut pas les laisser sur le quai. Il y a un problème de dispositions pour les visiteurs et cela ne diminue pas.
Comme troisième point, j’aimerais parler de la Voie maritime. Je me rappelle lorsqu’elle a été inaugurée par Eisenhower, Diefenbaker et Louis Saint-Laurent en 1959. Aujourd’hui, en 2019, est-elle encore assez large pour les nouveaux bateaux? Est-ce que cela pourrait améliorer le transport des grains de Thunder Bay à Port-Cartier ou à Baie-Comeau, qui sont entreposés dans ces régions durant l’hiver? Les bateaux actuels, les transporteurs de céréales, ne sont-ils pas un peu trop larges pour la Voie maritime?
Je les regarde passer de temps en temps. Si vous avez l’occasion de les voir, vous constaterez que, entre une feuille de papier et le quai, il n’y a pas beaucoup d’espace. Est-ce qu’on projette d’agrandir la Voie maritime? Elle dessert les Grands Lacs et une partie des ports américains. Comptez-vous demander au gouvernement fédéral de lancer l’idée d’agrandir la Voie maritime?
Mme Zatylny : Merci de vos questions, sénateur. Vous avez d’excellents points. Je vais tâcher de vous répondre en français. Je vais faire de mon mieux, mais je vous demande d’être patient avec moi.
En ce qui concerne le dégagement des glaces sur le Saint-Laurent, nous sommes au courant de ce problème. Nous travaillons avec d’autres associations, comme la Société de développement économique du Saint-Laurent et la Chambre de commerce maritime. On recommande au gouvernement d’augmenter le nombre de brise-glaces dans le Saint-Laurent et dans la Voie maritime. Effectivement, nous avons signé une lettre. À notre avis, le gouvernement devrait se procurer de nouveaux brise-glaces le plus rapidement possible, quitte à en faire la location, jusqu’à ce qu’on puisse construire nos propres brise-glaces. Ce sont des recommandations que nous avons faites à plusieurs reprises.
[Traduction]
M. Heney : Le gouvernement a acheté quatre brise-glaces de seconde main à la Norvège et ils sont en cours d’équipement. Il y en a peut-être un en activité actuellement, mais les autres sont en train d’être équipés pour le service et vont bientôt rejoindre la flotte, heureusement de façon efficace. Il y a donc des progrès à cet égard.
Je reconnais que nos brise-glaces vieillissent. Celui de Thunder Bay est actuellement en panne. C’est un brise-glace canadien.
Ils vieillissent. Briser la glace est un dur labeur pour un navire. Nous avons absolument besoin de toute l’aide que nous pouvons obtenir. Heureusement, il y en a quatre nouveaux — nouveaux pour nous — qui entrent en service.
[Français]
Le sénateur Maltais : Ce que vous venez de dire est très intéressant, monsieur Heney. La Norvège achète des brise-glaces, mais les gens d’expérience, les capitaines de bateau nous mettent en garde. Ce sont des brise-glaces construits pour déblayer les fjords de la Norvège. Ils ne parcourent pas des distances de 70 kilomètres, comme la distance entre Baie-Comeau et Matane. Il faut aussi tenir compte de la profondeur de la glace. Je fais confiance aux capitaines de bateaux sur le Saint-Laurent : investir dans de vieux rafiots pour essayer d’en faire des Cadillac, des Mercedes ou des Bentley, je ne crois pas que ce soit la solution. Les Canadiens connaissent mieux l’état du fleuve Saint-Laurent et ses caprices que les Norvégiens. C’est ce que j’ai entendu dire par des experts.
Pour preuve, le gouvernement du Québec a acheté quatre traversiers à l’étranger qui parcourent la distance entre Baie-Comeau et Matane. Nous avons maintenant un cinquième bateau qui vient justement de la Norvège et, avant de venir ici, il a frappé un quai en Norvège. Il n’y a pas de lien entre les gens de la Côte-Nord et de la rive-sud. Je suis très méfiant lorsqu’on dit qu’on achètera ces rafiots pour les remettre à neuf.
Pourquoi ne pas les construire ici — on a des chantiers maritimes à Saint-Jean, à Halifax, à Québec — plutôt que d’acheter des bateaux usagés? Dans la marine, on a des sous-marins qui ne vont pas dans l’eau. Dans les airs, on a des avions qui ne volent pas. Est-ce qu’on va acheter des brise-glaces qui devront rester à quai? Pourquoi ne pas nous équiper de machines solides au lieu de se fier à des gens qui ne connaissent pas nos conditions climatiques ni notre fleuve? C’est la question que je me pose.
[Traduction]
La présidente : Je ne sais pas si c’est une question à laquelle nos témoins peuvent répondre. Nous allons considérer cela comme une déclaration. Nous savons parfaitement ce qu’en pense le sénateur. Il a été très clair. Nous ne faisons pas de suppositions.
Le sénateur Oh : Je souhaite la bienvenue aux témoins. Un réseau portuaire efficace et fiable pour acheminer les produits agricoles canadiens vers les marchés est essentiel au succès continu de l’économie canadienne. La Loi maritime du Canada met en place des mesures pour protéger la compétitivité et les objectifs commerciaux du pays. Pourriez-vous expliquer l’impact de la Loi maritime du Canada sur tous les intervenants de la chaîne d’approvisionnement agroalimentaire? Quel en est l’impact sur notre chaîne d’approvisionnement agroalimentaire?
Mme Zatylny : C’est une vaste question. Je vais faire de mon mieux pour y répondre, monsieur le sénateur.
Pour l’essentiel, c’est la Loi maritime du Canada qui régit la constitution et le fonctionnement des administrations portuaires canadiennes. Les administrations portuaires elles-mêmes sont liées par les dispositions de la loi, qui les limitent et les guident.
Quand nous avons parlé des limites de la Loi maritime du Canada dans notre exposé, nous voulions dire qu’à l’heure actuelle, la loi nous limite aux seules activités liées au transport, en ce qui concerne les ports et les voies navigables. Or, compte tenu de l’évolution des administrations portuaires, qui sont maintenant des expertes en logistique et en installations de traitement logistique, celles-ci doivent pouvoir aller au-delà des limites de la loi. Ce genre de limitation a un impact sur les intervenants de l’industrie agroalimentaire simplement parce qu’il devient extrêmement difficile pour les administrations portuaires de participer à des projets de développement avec des partenaires de ce secteur comme ceux dont j’ai parlé et qui se déroulent à Hamilton. Cela a été fait dans le cadre d’un accord financier distinct, mais les administrations portuaires elles-mêmes pourraient apporter beaucoup plus à leurs partenaires du secteur agroalimentaire.
M. Heney : C’est une situation intéressante. Thunder Bay est un port céréalier depuis les années 1800, donc bien avant la Loi maritime du Canada, l’Administration portuaire et la Commission portuaire.
Les silos et l’infrastructure sont pour la plupart la propriété privée des sociétés céréalières de Thunder Bay. Je dirais que l’utilisation de la Voie maritime pour les exportations est davantage entravée par les anciens règlements concernant le pilotage et le cabotage. La modernisation de la réglementation au Canada contribuerait grandement à l’efficacité et à la capacité du réseau de la Voie maritime, beaucoup plus que la Loi maritime du Canada.
L’autre question concerne les lois canadiennes sur la concurrence qui permettent l’application de clauses de protection aux biens céréaliers dans le port, dans l’ouest du Canada et partout au pays. Nous nuisons donc à la concurrence dans certains cas. Je pense qu’une certaine modernisation de nos vieilles lois, inexistantes dans beaucoup d’autres pays, contribuerait à l’efficacité du système.
Le sénateur Oh : Pensez-vous que les ports canadiens disposent de l’infrastructure appropriée pour répondre à la demande future de services de transport du secteur agricole et de la chaîne agroalimentaire?
M. Heney : Nous avons toujours la capacité. À une certaine époque, Thunder Bay était le plus grand port céréalier au monde. Selon nos estimations, il a toujours la capacité de transporter 21 millions de tonnes métriques de grain. À l’heure actuelle, il en transporte environ 7, ce qui veut dire que nous travaillons à environ 30 p. 100 de notre capacité.
Le sénateur Oh : Le grain que vous transportez est-il destiné aux pays côtiers du Pacifique ou seulement à l’Europe?
M. Heney : Nous expédions en Europe, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Amérique latine. Nous n’expédions généralement pas en Asie. À un moment donné, nous l’avons fait, mais c’est maintenant Vancouver et Prince Rupert qui s’en occupent.
Le sénateur Oh : Les changements climatiques actuels ont-ils une incidence sur le niveau de l’eau? Est-il trop élevé ou trop bas pour l’avenir du transport maritime?
M. Heney : C’est une question intéressante. En 2007, les niveaux d’eau ont presque atteint un record vers le bas et les gens ont dit à ce moment-là que tout le système s’asséchait, que le changement climatique arrivait, que c’était fini. Trois ans plus tard, nous étions au plus haut niveau jamais atteint en 80 ans.
Le sénateur Oh : Il n’y a donc pas de changement climatique?
M. Heney : C’est très difficile à prévoir. Les niveaux d’eau ont tendance à être plus élevés que l’inverse, ce qui est intéressant. Ce n’était pas prévu à l’époque.
Le sénateur Oh : Mme Zatylny a-t-elle quelque chose à dire?
Mme Zatylny : Pour répondre à votre question, lorsqu’on examine le système de transport maritime au Canada, il y a une différence entre les ports intérieurs et les ports côtiers. Une partie de nos recommandations portent sur la nécessité d’une stratégie nationale des transports qui assure une optimisation complète de toutes les parties du réseau, de sorte que la capacité dont parlait Tim soit pleinement atteinte et utilisée.
Par exemple, certains ports côtiers n’ont pas une capacité suffisante à l’heure actuelle. Ils construisent le plus rapidement possible. Vancouver construit un terminal céréalier. Il y a de nouvelles constructions là-bas. Prince Rupert prend de l’expansion. Halifax essaie de faire la même chose.
Il y a une capacité insuffisante dans ces ports côtiers et une réserve de capacité dans le système intérieur. Une stratégie nationale des transports contribuerait idéalement à faciliter tout cela, tout en reconnaissant que pratiquement tous les ports, à part celui de Tim, ont besoin d’infrastructures supplémentaires.
La présidente : Je rappelle à tout le monde qu’il nous reste une quinzaine de minutes, alors nous devons être brefs.
Le sénateur Kutcher : Ma première question s’adresse à Mme Zatylny et comporte 14 sous-questions. Quels sont les défis les plus pressants en matière de sécurité dans les ports? Comment cela influe-t-il, le cas échéant, sur notre compétitivité à l’échelle mondiale?
Monsieur Heney, compte tenu des nouvelles technologies et des améliorations apportées à la Voie maritime, quels sont les produits qui ne sont pas actuellement transportés sur cet itinéraire et que nous devrions envisager de transporter?
Mme Zatylny : En ce qui concerne les défis en matière de sécurité, les ports travaillent très dur pour s’assurer que chaque aspect de leurs opérations est le plus sécuritaire possible. La réalité, c’est qu’il s’agit d’un environnement qui évolue rapidement, de sorte que dès que vous aurez colmaté une brèche, une autre s’ouvrira d’une façon ou d’une autre, pour ainsi dire.
Il y a un certain nombre d’aspects dans le domaine de la sécurité. Le premier est la sécurité physique des ports et c’est souvent une question de ressources. Il faut simplement s’assurer que les administrations portuaires ont les ressources et la main-d’œuvre nécessaires pour couvrir leurs zones portuaires. Cela diffère d’un port à l’autre, mais il est évident que dans certains petits ports, les responsables de la sécurité n’ont pas la capacité d’arrêter ou de demander des pièces d’identité ou quoi que ce soit d’autre. Ils doivent attendre que la police vienne, ce qui entraîne parfois une certaine attente. C’est une source de problèmes pour eux.
Je pense que l’autre question concerne la cybersécurité, sur laquelle les ports travaillent beaucoup pour rester à l’avant-garde. Toutefois, comme je l’ai mentionné plus tôt, les développements autour des applications de la chaîne de blocs, le simple déplacement des données, l’utilisation accrue de la technologie de l’information et des processus automatisés pour régir le mouvement des navires et du fret, par exemple, exigent une vigilance constante et absolue pour garder une longueur d’avance sur tous les plans, surtout en ce qui concerne les acteurs étatiques, par exemple.
Le sénateur Kutcher : Comment faisons-nous face à ce problème? Cela a-t-il une incidence sur notre compétitivité à l’échelle mondiale? Parce que les ports sont extrêmement concurrentiels, n’est-ce pas? Y a-t-il des choses que nous pourrions améliorer?
Mme Zatylny : Pour ce qui est de la cybersécurité, non. Cela se fait avec d’autres partenaires. Qu’il s’agisse, par exemple, de l’application TradeLens que j’ai mentionnée tout à l’heure ou simplement de la façon dont les administrations portuaires travaillent avec leurs partenaires de transport, au niveau mondial. C’est le travail des partenaires de la chaîne d’approvisionnement partout dans le monde de s’assurer qu’il n’y a pas de ralentissement ou d’obstacles du côté de la cybersécurité.
M. Heney : Pour ce qui est de la diversification du fret, j’ai consacré les 15 dernières années à travailler principalement à cet objectif pour la Voie maritime. Nous avons connu un succès considérable. Nous essayons d’augmenter le volume de produits importés. Bien que nous soyons un port d’exportation, nous essayons d’amener des navires transportant des marchandises jusqu’à Thunder Bay. Nous importons des éoliennes, des transformateurs, des tuyaux fabriqués en Allemagne et de l’acier de construction du Luxembourg.
Les produits les plus transportés sont les aciers de construction parce que nous n’en fabriquons pas au Canada. Ils sont destinés aux marchés de l’Ouest canadien. Notre arrière-pays se limite à l’Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba. Pour tous les projets dans ces provinces, Thunder Bay importe de l’acier de construction et l’expédie par rail vers des endroits aussi éloignés qu’Edmonton.
Nous sommes en concurrence avec les chaînes d’approvisionnement des États-Unis pour l’équipement pétrolier destiné aux sables bitumineux, par l’entremise de Houston. Nous sommes en concurrence avec les ports américains des Grands Lacs, comme Duluth, au Minnesota, par exemple. Nous avons prouvé que nous pouvions être un itinéraire concurrentiel. Il y a deux compagnies de chemins de fer dans le port qui donnent accès au nord et au sud des provinces de l’Ouest et il y a les meilleurs gabarits ferroviaires pour les importantes pièces d’équipement, tous ports de l’Ouest canadien confondus.
Nous constatons que même si beaucoup de chaînes d’approvisionnement américaines, par l’entremise des ports, sont fortement subventionnées, cela ne se reflète pas toujours sur la facture des expéditeurs. Nous sommes toujours en mesure de soutenir la concurrence en dépit du fait que nous devons payer des impôts fonciers ou effectuer des paiements tenant lieu d’impôts, ce qui n’est pas le cas des ports américains. Nous ne sommes donc pas sur un pied d’égalité à bien des égards, mais nous parvenons quand même à être concurrentiels. Nous devons travailler avec toutes les chaînes d’approvisionnement, y compris le chemin de fer ou le camion, jusqu’à la destination finale et pas seulement jusqu’au port, pour vendre cette route au client. Nous pouvons y arriver.
Le sénateur Doyle : Les questions que j’avais préparées ont été posées, alors je n’en ai pas beaucoup. L’océan Arctique devient de plus en plus navigable. Je laisse une note au sénateur Oh; je suppose que c’est à cause des changements climatiques.
Avons-nous des installations portuaires adéquates sur notre côte arctique? Je sais qu’il y a une installation portuaire à Goose Bay, au Labrador. Est-elle en mesure de desservir l’Arctique, par exemple?
M. Heney : Je ne peux pas vraiment parler en détail de l’Arctique. Bien des gens prennent Thunder Bay pour un port de l’Arctique, mais ce n’est pas le cas. Je sais par expérience qu’il y a très peu de ports praticables dans l’Arctique, très peu d’infrastructures. La plus grande partie de ce système a été construite autour du réseau d’alerte avancé datant de la guerre froide.
En ce qui concerne les ports canadiens, il y en a très peu. Je dirais que l’infrastructure est très légère dans l’Arctique comparé aux besoins. Bon nombre de navires sont déchargés avec les marées et la cargaison est transportée par de petits navires vers le port à marée basse, de sorte qu’il n’y a pas beaucoup de quais dans ces ports.
Le sénateur Doyle : Si vous aviez une liste de souhaits pour les administrations portuaires au Canada, quelles seraient les choses que vous voudriez soumettre au gouvernement canadien?
Mme Zatylny : Du point de vue des administrations portuaires, comme je l’ai dit plus tôt, il y a une liste de souhaits d’environ 40 pages dans notre mémoire. Je pense que les points saillants concernent, tout d’abord, le soutien au financement de l’infrastructure et les besoins de suivi, tant pour permettre une plus grande souplesse financière dans l’accès des ports aux financements ou dans la façon dont ils élaborent leurs propositions de financement, que pour ce qui est d’accroître l’efficacité du processus de modification des lettres patentes.
Les administrations portuaires sont effectivement des gestionnaires fonciers et, pour pouvoir prendre de l’expansion, croître et poursuivre leurs activités, elles doivent être en mesure de gérer leurs terres. Cela se fait par l’entremise des annexes aux lettres patentes. À l’heure actuelle, le processus de modification est extrêmement opaque. Il faut plusieurs années même pour traiter les changements les moins controversés, comme un changement d’adresse au quartier général du port, par exemple. Cela entraîne souvent des retards ou une augmentation des coûts pour une administration portuaire qui essaie de mettre la main sur un terrain. Ce serait donc, je pense, une première catégorie.
L’autre volet concerne ce que j’ai dit plus tôt au sujet de la reconnaissance du rôle élargi des administrations portuaires, qui deviennent de plus en plus des gestionnaires logistiques et des promoteurs — l’assouplissement des contraintes liées à la Loi maritime du Canada, comme nous l’avons décrit, pour permettre aux administrations portuaires de développer ou d’investir dans des filiales en propriété non exclusive, ce genre de choses, pour vraiment leur permettre de développer des entreprises autour d’elles.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Comme je suis originaire de Montréal, je vais vous parler du port de Montréal, qui va quand même assez bien. On sait que le port de Montréal ne peut pas se développer actuellement. Je pense qu’il y a un projet à Contrecœur, et j’espère que vous n’aurez pas d’empêchement, car, chaque fois qu’on veut agrandir, il y a toujours des groupes qui s’y opposent pour une raison ou pour une autre.
Dans quelle mesure le port de Montréal peut-il jouer un rôle dans l’expansion de notre commerce en ce qui concerne les produits agricoles? Est-ce qu’on peut faire des projections pour les 5 ou 10 prochaines années?
Mme Zatylny : J’avoue, sénateur, que je ne suis pas en mesure de discuter des projections pour le port de Montréal en ce qui a trait à l’augmentation de son transit de marchandises. Je sais que le port est assurément très important dans le système national de transport au Canada, et chaque port, y compris ceux de Vancouver et de Halifax, est en train d’étudier comment accroître le volume de fret qu’il peut manutentionner. Il faut garder à l’esprit que des ports comme ceux de Halifax ou de Montréal sont en concurrence avec les ports des États-Unis. Ils doivent travailler sans relâche pour être le plus concurrentiels possible. Cela a le même impact sur le fret ou les produits agricoles que sur les autres produits qui transitent par le port.
On a pu observer, au port de Montréal, une croissance dans le volume des produits agricoles qui transitent à la suite de l’accord de libre-échange conclu avec l’Union européenne, l’AECG. Le port se prépare certainement à cette croissance.
Le sénateur Dagenais : Vous avez parlé de problèmes de développement, je crois, en ce qui concerne la logistique dans les ports. D’où vient l’empêchement? Dans votre présentation, vous parliez d’un empêchement au développement. Avez-vous des exemples concrets de ce que vous pourriez faire pour améliorer le développement et la logistique des ports, pour leur donner une plus grande efficacité et pour qu’ils soient plus concurrentiels avec les ports américains?
J’ai un exemple. Il m’arrive souvent de passer par Baltimore. Je ne sais pas si le port est subventionné par la ville de Baltimore, mais il est assez gros. Cela dit, est-ce qu’un développement de logistique vous permettrait d’agrandir les ports et de contrer l’empêchement à l’expansion des ports?
Mme Zatylny : Si vous me le permettez, je vais répondre en anglais.
[Traduction]
Pour ce qui est de la capacité d’élargir le volet logistique de la manutention portuaire ou de la capacité portuaire, comme je l’ai dit, cela revient vraiment à la définition des administrations portuaires dans la Loi maritime du Canada et à la restriction de demeurer dans le domaine du transport et de la navigation. Cela les empêche de se lancer dans des activités non portuaires sur leurs terres. Étant donné que, dans certains cas, les terres sont éloignées du port ou que l’utilisation des terres a changé, les ports pourraient en faire un meilleur usage, faire de meilleurs investissements et obtenir plus de revenus, mais ils n’ont pas le droit de le faire. C’est un exemple.
Voici un deuxième exemple lié à l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement, lorsque les ports sont limités physiquement ou géographiquement, ils cherchent à mettre en place des installations de manutention logistique qui ne sont pas contiguës aux terres portuaires et ils ne sont pas actuellement en mesure de le faire. Prince Rupert en est un excellent exemple, où l’on essaie d’établir une installation de manutention des conteneurs à l’extérieur du port pour améliorer la fluidité. Comme je l’ai dit, à l’heure actuelle, ils ne sont pas en mesure de le faire. C’est pourquoi nous recommandons des modifications à la Loi maritime du Canada pour permettre aux ports de faire cela.
Le sénateur C. Deacon : Cela répond à beaucoup de mes questions de ce côté-là, parce que je viens du secteur des entreprises en démarrage et je pensais qu’il fallait trouver une solution pour contourner certaines de ces limites en attendant que la loi soit mise à jour. On dirait que vous avez trouvé une partie de ces solutions, mais il y a d’autres cas où cela n’est simplement pas possible. Vous m’avez beaucoup aidé.
J’ai aussi trouvé intéressant l’exemple de Warburtons que vous avez cité. Je pense que la valeur de la traçabilité augmente probablement et devient un élément essentiel des services que vous fournissez.
Pouvez-vous me donner d’autres exemples? Vous avez parlé de la valeur ajoutée liée à la traçabilité, au nettoyage et à la transformation du grain, mais il s’agit tout de même d’un niveau très fondamental de valeur ajoutée. Je pense que ce que nous essayons de faire ici, c’est de passer à une valeur ajoutée beaucoup plus importante au Canada. Pouvez-vous nous donner d’autres exemples qui pourraient aller plus loin que l’exemple de Warburtons, où vous avez aidé à faire en sorte qu’un niveau de valeur radicalement différent soit ajouté à un produit agricole au Canada et où une étroite association avec un port et une collaboration avec ce transformateur a permis une augmentation du nombre des emplois, de la richesse et des possibilités dans une région où nous n’avions pas nécessairement saisi cette occasion auparavant? J’aime bien l’exemple de Warburtons, cela ne fait aucun doute. Nous voulions voir quelque chose de ce genre, mais nous voulons voir au-delà.
M. Heney : Eh bien, deux ou trois choses me viennent à l’esprit. Je pense que l’exemple de Warburtons existe depuis plusieurs années.
La culture des lentilles dans les Prairies constitue un exemple plus récent. Il y a donc beaucoup de participation du Moyen-Orient à l’heure actuelle. Bien sûr, les Saoudiens possèdent maintenant une partie de la Commission du blé, le G3, comme on l’appelle, mais pas seulement leur entreprise; nous en avons vu d’autres. Ils sont retournés voir les agriculteurs des Prairies pour leur apprendre à cultiver des lentilles, ce qu’ils n’avaient jamais fait auparavant et ils revendent les lentilles à leurs marchés d’origine en Algérie et au Moyen-Orient. Nous cultivons donc des produits directement dans les Prairies pour que les gens puissent les vendre au Moyen-Orient.
Le sénateur C. Deacon : C’est axé sur le client.
M. Heney : C’est exact, ils retournent directement à la ferme et leur disent, parce qu’il faut beaucoup d’agriculteurs pour faire une différence, alors il y a des changements de ce genre.
Le canola est l’autre grande réussite canadienne. C’est une invention canadienne. En Europe, c’est considéré comme étant génétiquement modifié, mais les plantes qui sont broyées ont été conçues autour de cela. Le tourteau de canola qui provient de la trituration est vendu pour l’alimentation du bétail et l’huile elle-même est exportée partout dans le monde tandis que le tourteau l’est principalement aux États-Unis. C’est aussi la seule source de biodiesel fiable pour l’Europe du Nord. L’huile de canola est la seule chose qui fonctionne vraiment. C’est énorme. Cela représente jusqu’à 20 p. 100 de ce que nous expédions actuellement par le port. Cela n’a pas toujours existé.
Nous voyons maintenant une diversité de cultures. Autrefois, nous cultivions surtout du blé dur et maintenant, nous voyons des choses comme le canola, qui représente 20 p. 100 et le soya qui n’était pas cultivé auparavant non plus. Je crois qu’une partie de cela est attribuable au réchauffement de la planète, mais c’est la culture qui entraîne le changement.
Le sénateur C. Deacon : Où se fait la transformation de l’huile de canola? Pardonnez mon ignorance à cet égard.
M. Heney : Il y a d’importantes usines de trituration dans les Prairies de l’Ouest, ainsi que dans l’Est du Canada, alors nous expédions le canola jusqu’aux usines de trituration. Certaines sont au Québec.
Le sénateur C. Deacon : Vous parlez du produit raffiné.
M. Heney : En fait, nous expédions les graines pour le broyage aux usines de trituration du Québec et du sud de l’Ontario. Il y a donc aussi un certain transport à l’échelle nationale sur la Voie maritime. Nous transportons du blé pour la fabrication de farine dans le sud de l’Ontario, par exemple, ainsi que vers les minoteries américaines. Il y a donc des expéditions sur les lacs et des exportations directes à l’étranger.
La présidente : Merci. J’ai la dernière question « de la journée ». On a parlé d’une stratégie nationale des transports, ce qui est excellent, à mon avis. Les ports, les chemins de fer et, bien sûr, l’autoroute Transcanadienne sont des éléments importants de tout cela. Étant originaire des Maritimes, j’aimerais savoir ce que vous pensez des produits qui entrent et sortent des ports à destination ou en provenance d’autres endroits au Canada, qui passent par la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick et qui aboutissent à un point où l’autoroute Transcanadienne, une fois au Québec, n’est plus à quatre voies. Cela constitue-t-il un goulot d’étranglement selon votre expérience?
M. Heney : L’autoroute Transcanadienne n’est pas à double voie non plus dans le nord de l’Ontario. En fait, elle n’a été achevée qu’en 1962. Le port expédiait donc à l’origine du fret emballé par navire pour le chargement en wagons couverts à Thunder Bay jusqu’aux années 1980. L’autoroute Transcanadienne est donc un système relativement nouveau, selon les normes mondiales. Nous essayons d’expédier d’importantes pièces d’équipement vers l’ouest sur l’autoroute et jusqu’à Kenora, en Ontario, à environ 300 milles à l’ouest, elle n’est pas à quatre voies. C’est une autoroute à deux voies. Il y a des voies de sortie et des voies de dépassement, mais elle n’est certainement pas au niveau de l’infrastructure américaine de l’autre côté de la frontière. La géographie est très contraignante pour la construction, mais il faut sans doute se pencher sur l’avenir à long terme du pays. C’est toutefois un problème.
J’aimerais faire une dernière observation au sujet de la question du sénateur Kutcher sur la diversification des marchandises, ce qui a pour effet de réduire la circulation sur l’autoroute. Si nous voulons diversifier le fret pour qu’il englobe les produits généraux, les biens de consommation, nous devons améliorer la structure des coûts et le plus gros poste est le pilotage. Un navire océanique doit avoir recours à un pilote jusqu’à Thunder Bay, qui se trouve à 2 300 milles à l’intérieur des terres. Dans la plupart des ports côtiers, il y a un pilote sur ces navires pour une distance de 2 à 3 milles, peut-être 10 milles. Les pilotes diront qu’ils sont les moins chers au mille, mais je me trouve à 2 300 milles à l’intérieur des terres.
Il faut changer la façon dont cela est imputé. Cela dépasse les coûts liés au navire désormais. L’équipage, l’ensemble du navire coûte moins cher que le pilote sur la passerelle. Vous avez aussi deux capitaines à bord du navire et le capitaine principal a passé la majeure partie de sa carrière à naviguer jusqu’à Thunder Bay. Il y a donc du travail à faire pour simplifier les choses si l’on veut diversifier les activités et réduire le nombre d’entreprises qui ont recours au transport routier.
La présidente : Je ne veux pas nécessairement retirer les affaires des autoroutes. J’essaie de savoir où se trouve le goulot d’étranglement et si cela vous touche.
Madame Zatylny, pourriez-vous également nous dire ce que vous en pensez?
Mme Zatylny : Je ne peux pas me prononcer précisément sur la quantité de marchandises transportées par camion par rapport aux marchandises transportées par le train à partir des ports de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick. Toutefois, concernant ce que vous avez dit au sujet du fait que l’autoroute n’a pas quatre voies, je dirais que la réalité d’une stratégie de transport, c’est aussi de relever tous les éléments de la chaîne d’approvisionnement, le long de la chaîne de transport. C’est, non seulement pour repérer les points clés et les portes d’entrée principales, mais aussi pour protéger les terres pour le développement actuel ou futur, de sorte que, lorsque nous devons élargir une route, par exemple, pour passer à quatre voies, nous avons la capacité de le faire. Nous avons déjà travaillé le projet et nous pouvons commencer à bâtir en fonction de cet aspect.
Pour nous, c’est l’intérêt de faire quelque chose de ce genre. Nous n’aurions à mener cette bataille qu’une seule fois, puis nous aurions alors une vision d’ensemble à l’échelle du pays qui aiderait précisément à faire le genre de diversification du fret dont Tim a parlé et qui permettrait de réduire les goulots d’étranglement que vous avez évoqués.
La présidente : D’accord. Je tiens à remercier les témoins de cette discussion. C’est une question intéressante.
J’aimerais souhaiter la bienvenue à notre prochain groupe de témoins. De Génome Canada, nous accueillons Marc LePage, président et chef de la direction. Nous accueillons également Cindy Bell, vice-présidente exécutive, Développement corporatif. Merci, madame et monsieur. C’est un plaisir de vous avoir parmi nous aujourd’hui. Il nous reste environ 40 à 45 minutes, puis nous devrons quitter la salle et retourner au Sénat.
Marc LePage, président et chef de la direction, Génome Canada : Je vais faire une petite présentation.
[Français]
Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs et les sénatrices. Merci de nous recevoir. Je vais faire une petite présentation et porter un coup d’œil rapide sur Génome Canada, et je lancerai par la suite trois concepts qui pourront peut-être alimenter notre discussion.
[Traduction]
Mme Cindy Bell fera quelques commentaires par la suite pour corriger toutes mes erreurs.
Je m’appelle Marc LePage, président et chef de la direction, et Mme Bell est vice-présidente exécutive. Nous représentons Génome Canada. Nous sommes un organisme de recherche sans but lucratif qui travaille en étroite collaboration avec les agriculteurs canadiens, l’industrie agricole, le gouvernement et les établissements de recherche d’un bout à l’autre du pays pour appuyer des projets de recherche dans bien des domaines, y compris l’agriculture, l’agroalimentaire, la foresterie, tous des sujets qui sont très pertinents à vos travaux.
L’une des questions qu’on nous pose souvent porte sur la génomique et la génétique. Quelle est la différence? Ma réponse est simple — je ne suis pas généticien : dans la génétique on parle d’un gène, et comme êtres humains, nous possédons environ 20 000 gènes. La génomique, quant à elle, porte sur les 20 000 gènes en même temps. Cela signifie qu’il y a d’énormes ensembles de données et des projets. Vous pouvez imaginer la complexité de tous ces éléments d’interaction. On pourrait dire que c’est de la génétique à très grande échelle.
Je vais vous présenter brièvement où nous en sommes dans ce domaine par rapport au reste du monde, puis je passerai à mes trois exemples.
Nous avons été créés en 2000, l’année du programme du génome humain, comme vous l’avez peut-être lu dans le magazine TIME. Un groupe de chercheurs canadiens a vu l’immense potentiel de la génomique, mais nous accusions un retard à l’époque. On s’inquiétait de l’exode des cerveaux. Génome Canada a été créé. Aujourd’hui, nous sommes parmi les grandes puissances mondiales dans plusieurs domaines de recherche. Comme vous pouvez l’imaginer, cela comprend la santé humaine, mais nous sommes aussi très actifs dans les secteurs de l’agriculture, de la foresterie, du pétrole et du gaz, des mines et des pêches — beaucoup de secteurs très inhabituels. Le Canada est probablement le seul grand pays à avoir ce genre de plateforme intégrée. Environ la moitié de nos activités porte sur la santé humaine. C’est notre activité principale, mais l’autre moitié se déroule dans tous ces autres secteurs.
Nous finançons environ 1 800 chercheurs d’un bout à l’autre du pays dans les universités canadiennes, alors c’est assez important. Notre investissement annuel dans ces projets de recherche est d’environ 175 millions de dollars. De ce montant, 75 millions de dollars proviennent du gouvernement fédéral et 100 millions de dollars proviennent de nos partenaires. Ces sommes proviennent en grande partie des provinces, de l’industrie, des fondations et des partenaires internationaux. Nous avons un programme national de partenariat. Nous disons souvent que nous ne sommes pas un programme fédéral, que nous sommes un programme national, et que tout le monde participe à ce programme.
Nous avons le plan génétique. Dans le cadre de ces projets de recherche forestière dans le secteur commercial, nous cherchons à améliorer les caractéristiques, particulièrement dans les plantes et les animaux, qui donnent une productivité, un rendement, une croissance et une saveur plus élevés. Nous travaillons parfois sur des tomates qui ont de la saveur, par opposition à des tomates qui sont simplement rouges et sans goût, et ainsi de suite.
Nous participons à la bioéconomie, et nous y reviendrons peut-être, mais c’est un milieu un peu plus vaste que le secteur agroalimentaire. Si vous prenez le secteur agroalimentaire comme étant l’élément le plus important et que vous y ajoutez la foresterie, les pêches et tout ce qui est biologique, tous ces systèmes utilisent la génomique ou la génétique, qui est en quelque sorte le système d’exploitation ou le logiciel de tout ce qui est biologique. Cela inclut même les microbes qui sont dans le sol ou dans l’eau. Nous garderons ce concept de logiciel d’exploitation pour tout ce qui est biologique.
Je vais passer à trois exemples de domaines qui offrent de nombreuses possibilités. Nous pourrons peut-être y revenir plus tard. Le premier concerne l’adaptation aux changements climatiques et l’atténuation de leurs effets. Nous vous avons déjà donné quelques exemples. Nous avons parlé du canola, du soja et des lentilles.
Dans ce domaine, comme les changements climatiques se produisent très rapidement au Canada, cela a des effets négatifs et certaines incidences positives. L’effet positif est que la saison de croissance pour certaines cultures de grande valeur est en essor, en raison de la chaleur accrue qui se produit au fil du temps. C’est très important pour un pays qui possède une empreinte agricole aussi vaste. Le fait que cette production puisse croître de 10, 20 ou 30 p. 100 en raison de la hausse des températures ou du remplacement de cultures de faible valeur par des cultures de grande valeur est un moteur économique important que nous sous-estimons.
Nous avons un problème qui ressemble presque au bogue de l’an 2000 dans la mesure où tous nos systèmes végétaux et tous nos animaux — les vaches, les porcs et les poulets — ont été élevés en fonction du climat d’autrefois, et le climat change si rapidement qu’ils deviennent en quelque sorte déphasés. Soit nous mettons à niveau le logiciel et changeons la génétique — et nous savons comment le faire, mais nous devons le faire pour beaucoup d’espèces différentes — très rapidement pour que ces animaux ou ces plantes aient une résistance naturelle aux maladies ou aux sécheresses, soit nous réglons le problème en utilisant plus d’eau, de pesticides ou d’insecticides. Je dirais que cette solution est plus coûteuse pour l’agriculture et qu’elle produit plus de gaz carbonique.
Un exemple est le soja, dont les témoins précédents vous ont parlé. En raison de ce réchauffement, le soja — qui représente déjà des exportations de 5 à 6 milliards de dollars par année — ainsi que d’autres cultures de grande valeur dans le Sud de l’Ontario, au Québec et au Manitoba — obtenues grâce à une sélection accrue et à l’adaptation aux nouvelles conditions climatiques — pourraient donner lieu à une croissance de 60 p. 100 par rapport aux niveaux actuels. Nous parlons d’une croissance de 60 p. 100 pour une récolte dont la valeur est de 5 à 6 milliards de dollars par année.
Au Canada, le soja est une culture très sensible à la lumière et à la chaleur. La température augmente, mais le soleil brille toujours le même nombre d’heures. La plupart des cultures de soya ou de haricot ont été développées en fonction des conditions américaines. Au Canada, nous devons adapter le soja pour pouvoir profiter pleinement de ces nouvelles régions qui peuvent maintenant être cultivées grâce à une combinaison de lumière, de chaleur et de conditions.
Je dirais que cette adaptation au changement climatique a plus d’avantages que d’inconvénients, mais il y a des mesures que nous devons prendre.
[Français]
Le deuxième exemple que j’aimerais mentionner a trait au domaine de la transformation agroalimentaire. Je vais utiliser l’exemple d’Agropur, qui est une grande société québécoise qui réussit très bien dans le secteur laitier et qui produit des fromages. Cette compagnie fabrique notamment des fromages de qualité supérieure qui sont assez complexes à produire. Avec l’accord de libre-échange avec l’Europe, Agropur essaie d’augmenter sa production, par exemple celle des fromages Oka. Ce qui provoque la transformation du fromage, ce sont des cultures microbiennes mélangées et assez complexes à suivre. Nous avons un projet avec Agropur et l’Université Laval pour bien comprendre l’équilibre microbien idéal pour la production de fromage et, une fois qu’elle aura réussi cela, la compagnie pourra assurer une production et une qualité constantes dans la fabrication de ses fromages.
[Traduction]
Ceux d’entre vous originaires de l’Ontario qui mangent du fromage Balderson seront peut-être intéressés de savoir que nous avons un projet semblable avec Parmalat et son fromage cheddar. L’activité microbienne nécessaire pour transformer le lait en fromage et obtenir la quantité et le goût optimaux, particulièrement dans la production de fromages de fantaisie, fait parfois défaut. Il faut alors jeter le produit et recommencer. Plus le fromage est raffiné, plus le problème risque de survenir.
Ce ne sont là que quelques exemples de ce que nous pouvons faire grâce à la génétique et à la génomique.
Le troisième exemple est un peu exagéré. Il s’agit en quelque sorte du même domaine, à savoir toute la question entourant le cannabis. Le cannabis, aujourd’hui légalisé, est un système végétal. Sa production revêt déjà une grande importance économique, et elle se trouve probablement parmi nos 10 principales cultures. Il existe déjà 5 millions d’utilisateurs canadiens, mais il y en avait aussi avant la légalisation. Nous avons 150 producteurs autorisés, et je crois comprendre qu’environ 500 demandeurs attendent toujours la permission d’entrer dans la chaîne de production.
Personne ne semble savoir combien de personnes sont employées dans ce secteur, mais je sais que les deux plus grandes entreprises — qui sont également les deux plus grandes compagnies de cannabis au monde, Canopy Growth et Aurora — emploieront toutes deux environ 4 000 personnes d’ici la fin de l’année. Je n’ai jamais vu une telle chose sur le plan de la création d’emplois, de moteur économique et de secteur qui peut s’autofinancer. C’est plus rapide qu’Internet.
C’est un domaine intéressant. Il y a des questions de santé publique et de réduction des méfaits. Étant donné la taille de cette industrie, c’est une plante qui est jeune. Nous ne savons presque rien du cannabis — il s’agit en quelque sorte d’une mauvaise herbe — quant à l’optimisation de sa croissance. Si nous voulons avoir de vrais produits médicinaux dotés d’une propriété intellectuelle protégée, nous devons avoir un niveau de connaissances que nous n’avons pas à l’heure actuelle.
À mon avis, cela nous offre une excellente occasion. Nous avons un excellent système de réglementation et, surtout du côté médicinal, nous serons en mesure de conquérir des marchés en Allemagne et au Royaume-Uni, grâce à ce fantastique système de réglementation. Même les outils pour les organismes de réglementation seront un élément important.
Je terminerai en disant que nous effectuons une évaluation par les pairs d’un grand nombre de projets. Nous faisons cela depuis plus d’un an. D’ici le mois de juin, nous annoncerons 8 ou 10 nouveaux projets dans le secteur agroalimentaire. Nous allons investir entre 60 et 80 millions de dollars. C’est un gros investissement dans ce secteur et c’est vraiment une bonne nouvelle. Je tiens à mentionner au comité que nous avons établi un partenariat avec Agriculture Canada. Ce ministère finance ses scientifiques pour qu’ils collaborent avec des scientifiques universitaires, alors il s’agit en quelque sorte d’une approche Équipe Canada. Sur le plan historique, nous avons œuvré dans un vaste nombre de domaines. Toutefois, une panoplie de problèmes surgit lorsque nous tentons de renforcer la collaboration entre les scientifiques universitaires et gouvernementaux. Comme il s’agit généralement de voies parallèles, je profite de l’occasion pour remercier Agriculture Canada, qui nous a beaucoup aidés dans ce dossier.
Si vous me le permettez, je vais demander à Cindy de parler un peu de la biodiversité et de l’éthique.
La présidente : Pourriez-vous être très brève? Je sais que c’est très intéressant, mais nous devons quitter cette salle sous peu et les gens veulent poser des questions.
Cindy Bell, vice-présidente exécutive, Développement corporatif, Génome Canada : Merci beaucoup. Cela est lié à notre capacité d’adapter nos cultures aux changements climatiques. La diversité génétique est l’un des outils les plus importants quant à l’adaptation de tout organisme. La plupart de nos cultures, que nous avons domestiquées au fil de centaines d’années, ont perdu une grande partie de leur diversité génétique au cours du processus par lequel nous les avons domestiquées. Elles n’ont plus ces caractéristiques et elles devront probablement s’adapter à l’environnement créé par les changements climatiques. Nous devons apprendre à utiliser cela à notre avantage, comme Marc l’a dit.
Par conséquent, nous codirigeons le projet international DivSeek. Ce projet consiste à séquencer les semences des espèces sauvages apparentées à nos cultures domestiquées qui sont entreposées dans des banques de semences partout dans le monde, à libérer cette diversité et à ramener la connaissance des caractéristiques que nous pourrions devoir reproduire dans nos cultures — pour faire ce dont Marc a parlé avec le soya, les lentilles et d’autres cultures qui ont besoin de certaines caractéristiques pour s’adapter aux changements climatiques.
La présidente : Merci. Nous avons un certain nombre de sénateurs qui veulent poser des questions. Mesdames et messieurs les sénateurs, posez votre meilleure question, et si nous en arrivons à un deuxième tour, nous vous en accorderons une deuxième.
[Français]
Le sénateur Maltais : Madame Bell et monsieur LePage, je vous souhaite la bienvenue. Ma question est très courte. Est-ce que Génome Canada s’intéresse aux conséquences de l’épandage de pesticides et d’engrais sur les terres? Est-ce que vous avez une position claire à ce sujet?
M. LePage : Nous n’avons pas de position claire quant à l’enjeu comme tel, mais nous y réagissons. Nous travaillons beaucoup sur des espèces dotées d’une immunité naturelle et notre but est de réduire l’utilisation des engrais et des pesticides afin d’avoir une agriculture plus saine. C’est un peu dans ce sens que se manifeste notre intervention.
Le sénateur Maltais : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Doyle : Si je vous comprends bien, vous collaborez étroitement avec l’industrie agricole pour développer des cultures par le biais de la génétique. Ai-je raison de supposer qu’il y a encore beaucoup d’opposition à l’utilisation de la technologie génétique dans le secteur agroalimentaire?
M. LePage : Oui, en ce qui concerne les OGM à l’échelon du consommateur, la réponse est « oui ». Nous sommes chanceux en ce sens que nous n’introduisons pas de gènes étrangers dans une espèce. Nous tenons compte de la diversité des espèces. Par exemple, nous travaillons sur le blé. Nous examinons la variété normale. Il y a beaucoup de variétés génétiques même au sein de la culture, alors nous recherchons les caractères qui sont déjà là et nous reproduisons ces caractères.
Dans votre région, nous travaillons aussi beaucoup dans le domaine du saumon et du saumon cultivé.
Le sénateur Doyle : Sur les aliments du saumon.
M. LePage : L’alimentation du saumon et la génétique du saumon et l’interaction de ces deux éléments. Vous cherchez des gènes qui sont dans le saumon et qui ont un effet désiré, disons une résistance aux antibiotiques, et vous les reproduisez pour renforcer cette caractéristique.
Mais la question des OGM préoccupe les consommateurs, bien sûr.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur LePage, vous m’avez intriguée avec votre histoire de fromages. Je vais donc poser une question au sujet de ce que vous faites par rapport aux fromages d’Agropur.
Excusez mon ignorance, mais j’aimerais que vous m’expliquiez un peu mieux ce que vous arrivez à faire. On sait qu’il y a différents accords de libre-échange, en particulier l’accord de libre-échange avec l’Europe. Est-ce parce que Agropur se soumet à une plus forte concurrence qu’on veut que le fromage Oka goûte quelque chose, étant donné qu’il a perdu beaucoup de saveur au fil des ans? Bref, est-ce qu’il y a un rapport entre ce que vous faites, la compétition internationale et le fait qu’il faudrait que nos fromages soient meilleurs?
M. LePage : Il y a peut-être un lien. Je ne suis peut-être pas la meilleure personne pour le confirmer, mais je crois que ce qu’Agropur a vu, c’est une occasion de vendre davantage ce fromage au goût distinct dans des marchés d’exportation. Le problème vient du fait que l’activité microbienne et la culture du lait rendent la production du fromage Oka plus compliquée. Avec nos collègues de l’Université Laval, nous cherchons à bien comprendre quels types de microbes et quelle quantité donnent le fromage idéal et le plus savoureux pour pouvoir le produire en grande quantité.
Une fois que les gens d’Agropur ont ces informations en main, ils sont en mesure de s’organiser pour produire un fromage de qualité et auquel vous prendrez peut-être goût. J’avais l’impression qu’il y avait un gros potentiel d’exportation.
La sénatrice Miville-Dechêne : C’est une assez bonne nouvelle en soi, étant donné que nous nous intéressons à la question des produits laitiers et à leur impact sur les accords de libre-échange.
M. LePage : Oui.
La sénatrice Miville-Dechêne : Donc, s’il y a une volonté d’aller de l’avant vers des marchés internationaux avec de meilleurs fromages, c’est bien.
M. LePage : Je crois que c’est le cas. C’est un produit qui a du potentiel. La difficulté était de passer d’une petite production quasi artisanale à un volume de production capable de soutenir un marché beaucoup plus vaste.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, monsieur Lepage.
[Traduction]
Le sénateur C. Deacon : Je pense que tout le monde sait que je dirige le « fan club » de Génome Canada. Je suis en poste depuis longtemps. Merci de cet excellent résumé.
Nous gérons les caractères génétiques en agriculture depuis des centaines d’années. Ce qui se passe actuellement, semble-t-il, c’est que nous apprenons à accélérer le processus, et nous devons le faire pour de nombreuses raisons. L’une des choses que j’ai apprises d’Evan Fraser, qui est originaire de Guelph, je crois, c’est que nous devrons produire plus d’aliments au cours des 40 prochaines années que nous ne l’avons fait au cours des 10 000 années précédentes. Nous avons beaucoup de travail devant nous.
L’une des façons — vous en avez parlé dans le cas du cannabis — est la quantité d’argent provenant du secteur privé. On ne peut jamais remplacer cela. Si vous voulez prendre de l’expansion, vous devez stimuler les investissements du secteur privé. Je suis très intéressé par les conseils que vous nous avez donnés au sujet de ce qui a fonctionné à Génome Canada pour stimuler ce potentiel commercial, dans le cas d’une personne qui a un excellent projet et dont le succès s’affirme de plus en plus. Nous ne pouvons pas simplement protéger la PI; nous devons exploiter cette PI. Nous ne devons pas seulement la découvrir ou la protéger; nous devons l’exploiter.
Quels sont les modèles d’affaires et les conseils que vous nous donneriez pour nous assurer que nous comprenons vraiment ce qu’il faut faire pour veiller à ce que ces possibilités créent de la richesse et des emplois au Canada? Ce n’est pas seulement au chapitre des découvertes au Canada que nous avons un bilan exemplaire. Nous devons cesser de les jeter par la fenêtre.
M. LePage : Oui. En termes de système et où le gouvernement intervient dans un système d’innovation. Pour reprendre mon exemple d’Agropur : il s’agit d’une entreprise de 7 ou 8 milliards de dollars par année, mais la génomique est une chose hors de l’ordinaire, et il n’y a pas de capacité interne. Il était important de s’associer à eux pour ce premier projet afin qu’ils puissent comprendre. Une fois que cela fonctionnera, nous ne cofinancerons pas le projet; ils vont le prendre et lui donner de l’expansion.
Comme organismes de recherche — et je pense que nous avons besoin d’être encouragés par les politiques — nous devons être à l’abri des innovations et stabiliser la première expérience. Je vais utiliser un autre exemple. Nous avons un projet avec Enbridge. Le pétrole et le gaz — qui l’aurait pensé? Il porte sur la corrosion. En général, la génomique et Enbridge ont peu d’atomes crochus; toutefois, il paraît que l’activité microbienne détecte mieux la corrosion que l’inspection visuelle. C’est un exemple de situation où, une fois qu’Enbridge aura évalué et stabilisé l’impact de cette mesure, elle embauchera du personnel.
Le positionnement au risque — ce premier transfert — il faut avoir fait des recherches fondamentales, puis effectuer un genre de transfert avant de procéder au transfert final.
Le sénateur C. Deacon : Pour clarifier ce que je pense avoir compris, si le problème est bien identifié et que vous avez un partenaire qui donne de l’importance à la résolution de ce problème, cela est un élément essentiel du succès que vous créez.
M. LePage : Oui.
Le sénateur C. Deacon : On peut alors faire appel à la science, et on travaille avec quelqu’un qui a déjà la capacité de prendre de l’expansion.
M. LePage : Oui. Particulièrement dans le domaine de la biologie, qui évolue plus lentement que, disons, Internet, le processus est plus long. Vous voulez que vos partenaires définissent le problème dès le départ. Ensuite, il y a une étape intermédiaire où vous collaborez pour résoudre le problème. Les activités s’intensifient alors. Ensuite, dans la troisième phase, on applique la découverte.
Le sénateur C. Deacon : C’est vraiment un bon conseil pour nous. Merci beaucoup.
La présidente : Très pratique.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je dois vous avouer que je suis un mangeur compulsif de fromage, au grand désarroi de ma conjointe qui me répète inlassablement qu’à la quantité que je mange ce n’est pas très bon pour la santé. Quand on mange une meule par semaine, c’est peut-être un peu trop, d’autant plus qu’on en mange également au Sénat. Je ne voudrais pas contredire ma collègue sur le fromage Oka, que j’ai beaucoup aimé, mais j’ai jeté mon dévolu sur le Bonaparte de Saint-Raymond de Portneuf, qui est excellent.
Avec tous les accords que nous avons signés, notamment l’AECG et l’Accord de Partenariat transpacifique, et avec ceux qui viennent, comme l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, nos fromages et nos produits laitiers vont se promener, si je peux m’exprimer ainsi. J’aimerais vous entendre sur la durabilité et la salubrité des produits alimentaires qui seront offerts sur le marché. De ce point de vue, êtes-vous inquiet? Le commerce va en grandissant, et il faut s’assurer que nos fromages soient salubres et surtout durables. Qu’en dites-vous?
M. LePage : Ce sont tous des aspects qui peuvent nous intéresser. Nous sommes quelque peu tributaires de nos chercheurs un peu partout, car ce sont eux qui développent des idées. Nous avons financé et nous continuons de financer des projets sur la traçabilité des aliments. Nous avons développé des outils d’inspection pour l’Agence canadienne d’inspection des aliments afin de contrôler la qualité des produits. Peut-être que Cindy a quelque chose à ajouter?
[Traduction]
Mme Bell : Vous avez donné d’excellents exemples. Nous avons un certain nombre de projets de développement technologique qui se penchent sur la technologie des points de service afin de pouvoir détecter la présence d’E. coli, de Listeria, et cetera, dans nos produits alimentaires. Quelques-uns de ces projets ont été réalisés en partenariat avec l’ACIA.
[Français]
M. LePage : À l’inverse, nous avons notamment élaboré des outils d’inspection pour les producteurs de viande. Nous avons eu des problèmes avec l’E. coli et la bactérie Listeria dans certaines usines de viande, donc nous avons développé des outils pour que les producteurs puissent détecter rapidement un problème, sur place, plutôt que d’attendre trois ou quatre jours plus tard, quand que la distribution est déjà faite et qu’on doit retirer les produits des tablettes. On crée des outils à la fois pour les inspecteurs et les producteurs afin qu’ils puissent intervenir plus rapidement, ce qui limite la gravité des problèmes lorsqu’ils se présentent.
Le sénateur Dagenais : Je suis heureux de vous entendre parler de la viande, parce que, l’année dernière, nous avons justement visité l’usine Maple Leaf, qui a éprouvé des problèmes. Nous avons été en mesure de constater les précautions que prend maintenant Maple Leaf. Je peux vous dire que, lors de notre visite, nous étions extrêmement bien protégés. Nous portions des gants, des bottes, et ils nous ont quasiment lavés avant de nous faire entrer. J’imagine que vous avez dû vous pencher sur la microbiologie qui a affecté les usines de viande au Canada?
M. LePage : Oui. Lorsqu’il y a un problème, il s’agit pour nous d’une bonne occasion de trouver une solution.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : Excellent. Nous ne nous attendons à rien de moins.
Les progrès scientifiques sont essentiels pour libérer le potentiel commercial des aliments, mais nous devons également porter attention au marché. Qu’est-ce que Génome Canada fait, le cas échéant, pour contrer l’hésitation croissante des consommateurs à l’égard des aliments génétiquement diversifiés? Faites-vous des activités éducatives, des campagnes de lutte contre la désinformation?
M. LePage : Oui.
Le sénateur Kutcher : Quel a été le succès de ces interventions?
Mme Bell : Je commencerai par dire que pour chaque projet que nous finançons, nos partenaires doivent avoir un projet de recherche intégré qui examine les répercussions sociales de la recherche qu’ils font. Ils se penchent sur l’acceptation par les consommateurs, les questions d’éthique et une variété d’enjeux. Par la suite, ils disent au chercheur s’il existe un marché pour leur produit ou si les consommateurs l’acceptent.
C’est une des choses que nous faisons depuis le début, parce que nous pensons qu’il est important que toute la recherche que nous finançons soit utilisée de façon responsable.
En ce qui concerne la nouvelle technologie, comme la manipulation génétique, en particulier, nous avons des centres de génomique régionaux partout au pays avec lesquels nous travaillons en partenariat. Ce sont en quelque sorte des versions provinciales de Génome Canada. Ils ont fait beaucoup de travail dans leurs collectivités grâce à des programmes d’éducation et de sensibilisation, à un forum sur les nouvelles technologies, comme la manipulation génétique, et à l’examen des questions liées aux OGM.
Quels sont les autres sujets?
M. LePage : Ce sont les plus importants, et les questions de réglementation, les fardeaux réglementaires d’un genre ou d’un autre.
Le sénateur Kutcher : Je suppose que la plupart des Canadiens pensent que CRISPR est une marque de bacon.
Mme Bell : Oui. Nous participons certainement à toutes les activités qui se déroulent à l’échelle internationale afin d’être informés.
Le sénateur Kutcher : Je suis inquiet parce que je constate que les consommateurs hésitent de plus en plus à utiliser de merveilleux aliments génétiquement diversifiés à cause de la désinformation qui les entoure. Je me demande si Génome Canada pourrait jouer ce rôle.
M. LePage : Parfois, nous faisons partager des opinions contradictoires fondées sur la science. Les gens peuvent ainsi aboutir à des conclusions réfléchies. Je n’ai encore jamais rencontré de généticien qui semble inquiet des OGM, mais les gens ont des préoccupations.
Bien que nous financions la recherche qui comprend des travaux sur les OGM — nous n’avons pas d’objection à ce propos —, la majorité du travail de recherche ne porte pas sur ces derniers. Il y a tant de possibilités avec la composition génétique naturelle d’une plante que la recherche sur les OGM est presque dépassée.
Le sénateur Kutcher : C’est exactement la raison pour laquelle je posais la question. Je ne crois pas que les Canadiens saisissent la différence.
M. LePage : Non. Là est le problème. Les gens disent : « Vous travaillez sur les OGM. » En fait, ce n’est pas le cas. Parfois oui, mais généralement on ne le fait pas. Les gens confondent deux choses, oui.
La sénatrice Moodie : Je suis pédiatre, et je rencontre tous ces parents qui sont préoccupés par le fait que ces modifications puissent être la cause de l’augmentation des allergies, de la résistance aux antibiotiques et de maladies plus graves — il y en a pour tous les goûts.
Vous dites que dans le cadre des projets vous effectuez un travail sur les incidences sociales. Avez-vous une méthode structurée pour amener ce travail à l’avant-plan, le faire partager avec le grand public? Il semble que vous en informez le chercheur et l’entreprise, mais comment fait-on pour en informer explicitement le public?
Il s’agit d’une question de grande portée. Elle n’englobe pas uniquement la nourriture. On parle de plusieurs domaines, la vaccination par exemple, dans lesquels les gens mettent en doute la science, s’inquiètent de plus en plus et se méfient de ce qu’ils entendent.
En tant qu’organisme qui fait ce travail crucial dans votre industrie, dans quelle mesure contribuez-vous à éliminer cette méfiance?
M. LePage : Je dirais que malgré un certain manque de confiance, les scientifiques au Canada — peut-être pas dans tous les pays — sont tenus en haute estime. Souvent, les chercheurs que nous finançons sont des leaders d’opinion. D’une certaine manière, nous sommes heureux que ce soient eux qui orientent la discussion, parce qu’ils ont de l’autorité et que les gens les écoutent. Je dirais que c’est notre principale façon d’intervenir. Nous les encourageons dans le cadre de leurs obligations — comme ils profitent du financement de grands programmes — à ouvrir le dialogue avec le public. Selon l’objet de leur travail, ils pourront s’adresser à des spécialistes ou au grand public.
Comme Cindy l’a mentionné, nos centres de génomique mènent des campagnes de sensibilisation du public qui visent notamment à promouvoir la littératie scientifique et à offrir des cours sur la génétique de la maternelle à la 12e année. Il y a énormément de curiosité au sein de ces groupes d’âge pour tout ce qui a trait à l’ADN et à la biologie. Nous n’arrivons pas à satisfaire la demande.
La communication n’est pas notre mission première. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir.
La présidente : Nous avons deux sénateurs au deuxième tour. Nous n’avons qu’environ cinq minutes en tout, alors une question chacun, s’il vous plaît.
[Français]
Le sénateur Maltais : Je vais prendre un peu plus de temps, car j’aimerais revenir sur un point particulier soulevé plus tôt par le sénateur Doyle.
Vous avez parlé de votre implication au niveau de l’agriculture, que ce soit au niveau des céréales ou de la viande. Qu’en est-il de l’aquaculture?
M. LePage : C’est un domaine très actif chez nous. Je n’en ai pas beaucoup parlé, faute de temps, mais on a beaucoup travaillé sur le saumon et on travaille sur la truite; on a travaillé sur trois ou quatre espèces. On continue de travailler sur la génétique du poisson comme telle, habituellement pour trouver un poisson qui est en meilleure santé et qui a une résistance naturelle qui permet de réduire l’utilisation des antibiotiques, qui représente un problème qui touche l’aquaculture.
On travaille aussi sur l’alimentation des animaux qui, souvent, a presque l’effet d’un vaccin et qui aide à augmenter l’immunité naturelle des animaux si elle est bien organisée.
Le sénateur Maltais : Comment peut-on surveiller l’alimentation des poissons? C’est là où se trouve le problème, je crois.
M. LePage : C’est un peu comme la dynamique des animaux, que ce soit le bœuf, le porc ou le poulet. Les producteurs eux-mêmes ont intérêt à maximiser la réduction de ces extras, puisque ce sont des coûts additionnels qui engendrent souvent des conséquences. On travaille à la fois sur l’alimentation et sur la génétique des espèces.
Le sénateur Maltais : Je vous pose la question parce qu’elle est importante. J’ai fait une campagne désastreuse, il y a six ou sept ans, au sujet d’un certain poisson importé de Thaïlande. Je suis allé voir de quoi ces poissons se nourrissaient. Lorsque j’ai vu ce qu’ils mangeaient, j’ai compris que si les Canadiens continuaient à consommer ce poisson, ils allaient tous mourir. Cependant, je n’ai pas pu le faire interdire.
Je suis allé visiter une entreprise d’aquaculture en Ontario, où ce poisson est élevé de façon très sécuritaire, avec de la nourriture catholique sur toute la ligne. Cette entreprise a de la difficulté à faire concurrence aux entreprises qui élèvent ce poisson avec de la nourriture qui contient des antibiotiques.
Je pense qu’on ne peut pas se permettre d’importer ces poissons au Canada. Y a-t-il une façon de les détecter à l’importation et de demander de quelle façon ces poissons ont été nourris et s’ils sont nocifs pour la consommation?
[Traduction]
Mme Bell : Sans doute grâce au codage à barres, une technique élaborée au Canada, à l’Université de Guelph. Elle est employée un peu partout. Le codage à barres est utilisé dans les ports canadiens afin de détecter la contamination. Par exemple, quelqu’un pourrait essayer de faire passer un certain type de poisson pour un autre. Il est possible de prélever un petit échantillon d’ADN et de le séquencer très rapidement. Le séquençage d’un échantillon d’ADN peut indiquer si le poisson est contaminé ou servir à déterminer s’il s’agit bien d’un certain type de poisson. Cette technique de pointe est aujourd’hui couramment utilisée partout dans le monde. Elle s’appelle le codage à barres de l’ADN.
[Français]
Le sénateur Maltais : Merci.
[Traduction]
Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie tous les deux d’être venus. Vous avez un excellent programme qui complémente l’investissement du gouvernement fédéral avec ceux des gouvernements provinciaux et de l’industrie. Il y a un bon rendement sur les investissements. De plus, comme vous l’avez expliqué, vous travaillez à résoudre un problème dans l’industrie afin que vos partenaires puissent créer des techniques de pointe.
Vous nous en avez appris sur un processus dans lequel on n’excelle pas au Canada. Il s’agit de la collaboration avec les universitaires et les agents de liaison afin que les retombées de la recherche en laboratoire se fassent sentir dans nos collectivités. J’aimerais bien que chaque vice-président de la recherche au Canada soit renommé vice-président de la recherche et de l’impact communautaire. Si j’en avais le pouvoir, je changerais bien des choses.
En vous fondant sur les 19 dernières années, quels conseils donneriez-vous au comité pour le guider dans ses recommandations visant à obtenir une valeur ajoutée à l’économie au moyen de l’excellente recherche de nos laboratoires? Je sais que les quelques minutes qui nous restent ne suffiront sûrement pas.
M. LePage : En ce qui concerne la politique scientifique, j’aimerais que l’on appuie tout l’éventail des sciences. Autrement dit, au lieu de préciser que le travail doit porter sur la science pure ou la science appliquée, on encourage tout l’éventail scientifique au sein d’un domaine donné. La science pure et la science appliquée sont toutes les deux primordiales, et on ne peut en privilégier qu’une seule. Il faut nommer le domaine scientifique en question, puis encourager son étude sous toutes ses facettes. C’est la direction à prendre. Je pense que c’est l’une de nos réussites. Parfois, ce n’est pas évident, car on penche vers la science pure ou la science appliquée. Selon moi, il faut un équilibre.
Mme Bell : Que l’on finance les nouvelles découvertes ou la recherche appliquée, on doit toujours tenir compte de l’application.
Le sénateur C. Deacon : Cette application doit viser à répondre à un problème soulevé par l’utilisateur. C’est ce que je crois comprendre. Vous appuyez le même point. Ayez toujours en tête l’application. Merci beaucoup.
Le sénateur Oh : En ce qui concerne le codage à barres, j’ai visité une exposition de poissons et de fruits de mer en Chine. Les poissons d’eau douce de différents lacs canadiens sont munis d’un code à barres qui permet de déterminer de quel lac ils proviennent, au cas où il y aurait de la contamination. Les aliments canadiens sont salubres.
La présidente : Merci, sénateur. Merci à tous les témoins. Nous pourrions continuer encore longtemps.
Une annonce rapide. Je tiens à rappeler aux sénateurs que nous avons une séance régulière jeudi matin à 8 heures ainsi qu’une séance spéciale lundi matin, de 9 heures à 10 heures. La séance durera une heure. Nous accueillerons Dominic Barton par vidéoconférence. Soyez là. Ne soyez pas surpris lorsque le greffier enverra l’avis de convocation pour cette réunion spéciale d’une heure.
(La séance est levée.)