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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


VANCOUVER, le lundi 8 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 8 heures, pour en examiner la teneur.

La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

Je suis Rosa Galvez, sénatrice du Québec et présidente du comité.

J’aimerais maintenant demander aux sénateurs de se présenter.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Woo : Yuen Woo, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Duncan : Pat Duncan, du Yukon.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

La présidente : Je saisis cette occasion pour vous présenter les analystes de la Bibliothèque du Parlement, Jesse Good et Sam Banks, ainsi que la greffière du comité, Maxime Fortin.

Je vois que le sénateur Carignan, notre collègue du Québec, vient tout juste d’arriver.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

Avant de donner la parole à notre premier témoin, je veux préciser que les témoins doivent s’en tenir aux questions traitées dans le projet de loi C-69 et qu’ils ne doivent pas parler d’aspects qui ne sont pas visés par le projet de loi C-69. Nous voulons que cette réunion soit aussi efficace que possible.

Je vous présente maintenant notre premier groupe de témoins: M. Calvin Helin, président et chef de direction d’Eagle Spirit Energy Holding Ltd., et Mme Vivian Krause, auteure.

Monsieur Helin, vous avez la parole.

Calvin Helin, président et chef de direction, Eagle Spirit Energy Holding Ltd. : [Le témoin s’exprime dans une langue autochtone.] Madame la présidente, je vous remercie beaucoup de m’avoir invité à témoigner au sujet d’un projet de loi qui revêt une grande importance pour les peuples autochtones du Canada.

Je vous présente notre projet rapidement. Eagle Spirit Energy est un projet de corridor énergétique qui, à l’heure actuelle, bénéficie de l’appui de 35 Premières Nations. Nous collaborons avec les 4 principaux syndicats de travailleurs du pipeline qui représentent environ 330 000 travailleurs canadiens. Nous proposons l’établissement d’un corridor énergétique sur la côte Ouest de la Colombie-Britannique qui relierait Fort McMurray à Lax Kw’alaams, la collectivité dont je suis originaire.

Au départ, ce projet a été lancé parce que les Premières Nations situées le long du tracé s’inquiétaient des répercussions environnementales de Northern Gateway. Nous travaillons depuis 6 ans à ce projet; les Premières Nations en détiendront 85 p. 100 des intérêts, sans aucune aide gouvernementale. En raison de la philosophie à l’égard des Premières Nations, le taux de chômage dans la plupart des communautés atteint généralement 90 p. 100.

Pour la majorité des gens du monde occidental, la Grande Dépression s’est terminée vers l’année 1939, mais pour les Premières Nations, elle n’a jamais pris fin.

Dysfonctionnement social, absence de débouchés économiques et servitude au moyen de la dette : voilà le sort que les politiques gouvernementales ont réservé aux Premières Nations. Tout autre pays en serait consterné. Le premier ministre affirme qu’il réglera tous nos problèmes, mais pratiquement rien n’est fait. Ce sont les peuples autochtones qui tentent de régler eux-mêmes leurs problèmes. D’ailleurs, les projets de loi comme celui-ci et le projet de loi C-48 sont perçus comme des obstacles qui nous empêchent de régler nos propres problèmes.

La présidente : Nous discutons aujourd’hui du projet de loi C-69.

M. Helin : Je le mentionne, car selon les Premières Nations, ces deux projets de loi sont de grands obstacles. Aux yeux des Premières Nations, les environnementalistes sont des personnes qui n’ont aucun lien avec leur territoire ancestral. Le territoire d’où je viens existe depuis au moins 13 000 ans.

Nous trouvons scandaleux que des environnementalistes soient déployés sur nos terres ancestrales pour y dicter des politiques, tout comme nous trouvons scandaleux ce genre de politique gouvernementale. Nos chefs sont représentés par un conseil des chefs, qui estime que cela fait obstacle aux décisions qui doivent être prises par les chefs tribaux pour résoudre leurs propres problèmes.

Nous protégeons l’environnement dans nos territoires depuis 13 000 ans. Nous n’avons pas besoin que de riches gens de la ville viennent nous dire quoi faire sur nos terres ancestrales. La majorité d’entre eux n’ont jamais mis les pieds sur nos terres. Ils n’ont aucune idée de ce dont nous parlons.

Comme nous participons depuis de nombreuses années à ce projet, nous savons qu’il simplifierait grandement le processus de protection environnementale et assurerait des normes de protection environnementale nettement supérieures à celles qui sont proposées par le gouvernement. C’est une chose qui doit être considérée avec attention.

À l’heure actuelle, dans l’industrie énergétique, nous devons expédier nos ressources par chemin de fer vers le golfe du Mexique. Cela représente une empreinte écologique qui est de 5 à 10 fois plus élevée que si ces ressources étaient simplement expédiées vers la côte Ouest et d’autres marchés.

De plus, le Canada tente de résoudre à lui seul les problèmes mondiaux liés au CO2, mais tous les pays en sont responsables. Ce que j’essaie de dire, c’est que le Canada n’est responsable que d’environ 1,6 p. 100 des émissions de CO2 dans le monde, alors que l’on estime que les émissions de CO2 de pays comme la Chine et l’Inde représenteront possiblement, à elles seules, 30 p. 100 des émissions à l’échelle mondiale.

Si nous avons des pipelines de gaz naturel liquéfié de 48 pouces vers la côte Ouest et que l’énergie est ensuite acheminée vers la Chine ou l’Inde, nous pourrons réduire l’empreinte carbone dans le monde d’une valeur équivalente à la moitié de l’empreinte carbone du Canada.

Les chefs ont proposé des règlements environnementaux plus rigoureux que tous ceux qui sont actuellement proposés en vertu des lois canadiennes. Or, ce que le conseil des chefs a clairement dit ne pas vouloir, c’est qu’un droit de participation soit accordé à des personnes qui n’ont aucun lien avec le territoire ancestral. Selon le conseil, c’est exactement ce que prévoit le projet de loi C-69.

Le problème auquel les peuples autochtones font face, c’est que la colonisation de la plupart des pays occidentaux a été faite par des gouvernements coloniaux qui ont repoussé les populations autochtones — que ce soit en Afrique, en Inde ou en Amérique du Nord — vers les pires terres. Ils leur ont enlevé leur capacité d’être autonomes, ils ont adopté des lois qui les empêchent de se tailler une place dans l’économie et ils les ont mises dans une situation de servitude où toutes leurs sources de revenus proviennent du gouvernement fédéral.

Clarence Louie, un chef de la Colombie-Britannique, a dit qu’un emploi est le meilleur programme social qui soit. Les Premières Nations de l’Alberta, tout comme le reste de la population albertaine, ont perdu des centaines de milliers d’emplois. La possibilité de développer l’économie dans les territoires traditionnels de la plupart des communautés dépend d’une exploitation holistique et équilibrée des ressources naturelles. Les Premières Nations peuvent s’occuper de leurs propres terres. Elles n’ont pas besoin qu’un gouvernement situé à des milliers de kilomètres leur envoie des gens qui n’ont aucune idée de ce qui se passe sur leur territoire pour y dicter leurs règles.

Ensemble, les Premières Nations vont présenter des mémoires au comité des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui diront essentiellement que, avec les projets de loi C-69 et C-48, le gouvernement canadien viole les droits fondamentaux des peuples autochtones qui sont protégés par la déclaration des Nations Unies. Je ne sais pas si le comité le comprend, peut-être que oui, mais je ne crois pas qu’Ottawa comprenne bien à quel point la population autochtone, mais aussi tout l’Ouest du Canada — dont l’économie est fondée sur l’exploitation des ressources naturelles —, se sentent lésés par les lois qui sont adoptées.

Quelque 300 Premières Nations, avec les 3 provinces de l’Ouest et les 2 territoires du Nord, sont en train de préparer un accord en matière de ressources naturelles entre les Premières Nations et les provinces de l’Ouest. Le présent projet de loi et le projet de loi C-48 ne sont pas un problème pour l’Alberta. Ils concernent l’Ouest et le Nord du Canada, car les populations qui y vivent ont l’impression que des élitistes de grandes villes s’en prennent à leur unique source de croissance économique pour l’avenir.

Je ne disposais que de cinq minutes, n’est-ce pas?

La présidente : Oui.

M. Helin : Je vais m’arrêter ici. Merci.

La présidente : Je vous remercie. C’est à vous, madame Krause.

[Français]

Vivian Krause, auteure, à titre personnel : Bonjour. Je ferai mes commentaires en anglais, mais je suis heureuse de répondre, soit en anglais ou en français.

[Traduction]

En vue de ma comparution de ce matin, je me suis préparée en lisant certains des témoignages que vous avez entendus. Je me suis rendu compte que votre comité et celui de la Chambre des communes ont entendu plus d’une centaine de témoins. Vous avez entendu des représentants de sociétés pétrolières, des Premières Nations, d’associations de l’industrie, ainsi que des environnementalistes et même quelques personnes à titre personnel, comme moi.

J’ai lu autant de témoignages que j’ai pu, et je dois dire que j’ai été impressionnée par la portée et la profondeur des commentaires reçus sur des aspects précis du projet de loi. J’ai également été surprise, car de nombreux témoins y ont trouvé des améliorations et des aspects positifs. Il est manifeste que beaucoup de travail a été accompli à cet égard.

Cependant, il y a une chose que je n’ai pas vue, et c’est sur cela que je souhaite attirer votre attention. Il y a des voix qui ont une influence sur l’élaboration de cette mesure législative et d’autres projets de loi. Ces voix, qui ne sont pas venues s’exprimer devant le comité, mais qui ont une influence, ce sont les campagnes auxquelles participent les groupes environnementalistes.

J’ai quelques commentaires à formuler au sujet de ces campagnes. La raison pour laquelle je crois que c’est important, c’est que, lorsque vous évaluerez les différents points de vue qu’on vous a présentés — dont bon nombre sont opposés —, vous devrez choisir les suggestions que vous accepterez et celles que vous rejetterez. Je pense que ce serait utile que vous connaissiez certaines des influences que vous n’avez pas encore entendues.

L’une de ces influences est la « Tar Sands Campaign », soit la campagne contre les sables bitumineux. À ma connaissance, tous les groupes environnementaux qui ont comparu ou qui ont présenté des mémoires y participent. Si vous cherchiez aujourd’hui dans Google, vous en trouveriez une description sur le site web de l’organisation qui la dirige. Il s’agit de CorpEthics. La description paraît très inoffensive; maintenant, elle dit seulement que la campagne vise à sensibiliser la population. Toutefois, je veux que le comité sache que la description a été reformulée. CBC en a parlé en janvier dernier, et par la suite, toute la description de la campagne a été réécrite.

J’espère que vous avez devant vous un document qui présente la description initiale de la campagne et la façon dont elle a été modifiée. D’autres documents la décrivent, et je dois dire que, selon moi, la description d’origine est plus cohérente avec les autres documents que celui-ci.

C’est important, car l’objectif de la campagne est d’enclaver le pétrole canadien. L’une des façons dont ces groupes s’y prennent est en faisant en sorte que, grâce à des modifications législatives, il devienne plus difficile pour les projets d’infrastructure nécessaires à notre pays de briser le monopole des États-Unis sur le pétrole canadien, monopole qui nous tient à leur merci.

Je souhaite attirer votre attention sur la différence entre la description actuelle de cette campagne — celle que le public peut lire — et celle qui existait avant qu’il en soit question lors d’une entrevue diffusée dans le cadre de l’émission The Weekly, animée par Wendy Mesley sur CBC.

Il y avait trois principaux éléments. D’abord, on a retiré toute la partie où l’on admettait que l’objectif était d’influencer le prix du pétrole en faisant en sorte que le pétrole canadien ne se trouve pas sur les marchés mondiaux. On a enlevé le rôle des bailleurs de fonds, de même que la mention que cette campagne avait influencé les élections fédérales de 2015.

Ensuite, je dirais aussi — et je terminerai là-dessus — que presque tous les groupes environnementaux ont quelques sources de financement communes. Dans l’exemple que j’ai donné, l’une des sources communes est la fondation Gordon et Betty Moore. Je vous ai donné certains renseignements au sujet du financement que cette fondation a offert. C’est important, car, comme l’ensemble des bailleurs de fonds, cet organisme a un programme. C’est un élément qu’il est important de souligner, en plus du fait que les sommes dont on parle sont considérables. La fondation Moore, par exemple, a dépensé 267 millions de dollars au Canada; de ce montant, 234 millions de dollars sont allés à des groupes militants, soit plus de 500 versements d’un demi-million de dollars chacun en moyenne; je dis bien un demi-million de dollars.

Aux fins de comparaison, voici d’autres chiffres. L’année dernière, l’organisation de M. Helin a lancé une campagne GoFundMe afin d’amasser des fonds pour s’opposer au projet de loi C-48. Après 9 mois et 435 donateurs, le groupe de mon ami n’avait même pas réussi à amasser 50 000 $. Après 9 mois et plus de 400 donateurs, ce groupe des Premières Nations n’avait même pas réussi à amasser le dixième de la somme moyenne versée par la fondation Moore. Son groupe a amassé à peine 50 000 $. Les Premières Nations côtières qui ont également comparu devant votre comité ont reçu 25 millions de dollars d’un seul bailleur de fonds. Je vous fournis ces chiffres pour donner à votre comité une idée de l’ampleur des sommes concernées, mais aussi du courage des Premières Nations qui souhaitent un cadre réglementaire qui les aidera, ainsi que de ce qu’elles doivent affronter.

Je souhaite également mentionner que j’ai fait circuler un bref document sur la fondation Moore. Je le laisserai à la greffière. Vous y trouverez des renseignements au sujet de chacun des 500 versements, de même qu’un autre dossier comprenant les analyses très détaillées que j’ai effectuées.

Je vais répondre à toutes vos questions.

La présidente : Merci beaucoup.

La présidente : Nous allons commencer par le vice-président, qui a donné sa place au sénateur Neufeld.

Le sénateur Neufeld : Merci à vous deux d’être ici aujourd’hui et de nous fournir des renseignements très précieux. J’ai un certain nombre de questions pour M. Helin.

Parmi les 35 Premières Nations qui prennent part au projet Eagle Spirit Energy, y en a-t-il qui participent à toute autre activité pétrolière ou gazière en Alberta ou en Colombie-Britannique?

M. Helin : Il y a une énorme communauté des Premières Nations qui participe à l’industrie pétrolière dans le Nord-Ouest de la Colombie-Britannique et en Alberta. En Alberta, le Conseil des ressources indiennes est une organisation qui représente environ 130 Premières Nations. Seulement dans l’industrie des sables bitumineux, des entreprises des Premières Nations généraient un revenu annuel de plus de 1 milliard de dollars en fournissant des services à l’industrie.

Le sénateur Neufeld : Ensuite, je voudrais parler un peu des consultations. On entend toujours le gouvernement parler des consultations formidables qu’il mène.

J’aimerais entendre votre point de vue sur les consultations que le gouvernement a menées auprès des Premières Nations côtières.

M. Helin : Je vais peut-être même aller plus loin. Sur notre territoire traditionnel, qui est celui que je connais le plus, notre Première Nation, les Lax Kw’alaams, a neuf tribus. Sur la côte, leur territoire commence à la frontière de l’Alaska et s’étend sur environ 150 kilomètres au sud. Sans que personne n’ait jamais visité notre communauté, la forêt pluviale de Great Bear a été créée.

Nous sommes autant en faveur de la protection des animaux et de la faune que n’importe qui d’autre. Mon oncle, le regretté Lawrence Helin, était le chef de la tribu des Gits’iis. Sa tribu et lui ont essentiellement accepté de destiner leur territoire au sanctuaire de grizzlys de Khutzeymateen, le plus grand sanctuaire de grizzlys du monde.

En ce qui concerne la forêt pluviale de Great Bear, personne n’est jamais venu consulter quiconque de notre communauté. Les chefs ont été très furieux d’apprendre plus tard que Tzeporah Berman se vantait, dans son autobiographie, d’avoir imaginé le nom de la forêt pluviale de Great Bear alors qu’elle était assise dans un petit restaurant italien à San Francisco. Un groupe environnemental avait publié un article qui présentait un tas de personnes non autochtones vivant dans de grandes villes d’Amérique du Nord. Sous la photo de l’article, on pouvait lire: « Les architectes de la forêt pluviale de Great Bear ».

Les chefs se demandaient où se trouvaient les architectes autochtones. Avec le recul, on s’est aperçu que l’idée de protéger ce territoire faisait partie de la campagne environnementale qui a été pratiquement imposée à la population locale. Très peu de consultations ont été menées sur quoi que ce soit.

Dans le cas du projet de loi C-48, la Première Nation des Lax Kw’alaams a déjà demandé une injonction afin de faire annuler la mesure législative. Les autres Premières Nations présenteront une demande d’injonction pour faire la même chose si jamais le projet de loi est adopté. On adoptera probablement la même approche en ce qui concerne le projet de loi C-69.

Le sénateur Neufeld : Puis-je poser une seule question à Mme Krause?

La présidente : Oui.

Le sénateur Neufeld : Vous avez très bien expliqué la façon dont le groupe d’environnementalistes a changé son discours. Toutefois, l’objectif est demeuré le même, soit de mettre fin à l’exploitation des sables bitumineux et des ressources naturelles dans l’Ouest du Canada, en particulier.

Les bailleurs de fonds sont-ils les mêmes? C’était la fondation Gordon et Betty Moore, Tides U.S.A. et d’autres grandes organisations. Financent-ils toujours ce groupe même s’il a changé la description de ses activités?

Mme Krause : Le groupe dont j’ai parlé est CorpEthics. Il a changé la description en janvier. Les fonds sont versés annuellement, donc il est encore trop tôt pour le dire.

Le sénateur Neufeld : Mon intention n’est pas de répondre à votre place, mais je pense que ce serait les mêmes bailleurs de fonds.

Mme Krause : Il est vrai que je ne m’attends pas à ce qu’il y ait des changements à cet égard.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie.

Mme Krause : Nous savons que la campagne est définie par les bailleurs de fonds. CorpEthics a été embauchée par contrat afin de réaliser ce que les bailleurs de fonds souhaitaient, et non pas le contraire.

La sénatrice Cordy : Merci à vous deux d’être ici ce matin. C’est agréable d’être sur la côte Ouest, même si je me suis réveillée à 3 heures ce matin.

Monsieur Helin, ma première question s’adresse à vous. Je vous remercie de votre témoignage. Je conviens avec vous que les communautés autochtones se sentent lésées. Je pense que vous avez fait valoir très clairement votre point de vue à ce sujet.

Le comité a entendu de nombreux témoins. La semaine dernière, des représentants de l’Association des femmes autochtones du Canada lui ont parlé du projet de loi C-69. Ils ont dit que la loi précédente, qui remonte à 2012, avait exclu les Autochtones du processus. Selon eux, le projet de loi C-69 devrait être adopté, car un texte législatif tient compte pour la première fois d’une analyse comparative entre les sexes. Ils ont ajouté qu’il s’agissait d’une occasion pour les femmes autochtones de se faire entendre et que le processus avait été inclusif en prévoyant une consultation auprès des Premières Nations.

Compte tenu des témoignages que nous avons entendus la semaine dernière et de ce que vous nous dites aujourd’hui, recommandez-vous que le projet de loi C-69 soit rejeté totalement ou qu’il soit amendé? Ou recommandez-vous autre chose?

Nous entendons le point de vue d’un large éventail d’intervenants dans le cadre de notre consultation. J’aimerais simplement obtenir des précisions de votre part.

M. Helin : Je vous remercie de poser cette question. Certains des groupes auxquels Vivian Krause a fait allusion représentent les gens qui doivent être consultés. Les membres des Premières Nations qui détiennent un titre ancestral dans les territoires sont touchés par ce projet de loi.

Il n’y a rien de mal à ce qu’une personne d’un autre territoire donne son avis sur ce qui se passe sur son territoire. Elle a le droit de le faire, mais la loi ne l’autorise pas à imposer son point de vue. C’est comme si le Québec avait le droit d’opposer son veto à ce qui se passe en Colombie-Britannique, et vice versa. C’est ainsi que l’on voit les choses.

Le débat sur ce projet de loi a créé beaucoup de dissensions, car les Autochtones qui habitent dans les territoires touchés divergent d’opinion quant à la façon dont le gouvernement gère cet enjeu. Ils estiment que le gouvernement choisit les gagnants et les perdants, alors que les seules personnes dont les intérêts sont en jeu et qui devraient avoir une capacité juridique sont celles qui détiennent un titre ancestral. Aux termes de la Constitution, il est nécessaire de les consulter et de tenir compte de leur point de vue.

Les Autochtones respectent l’opinion des autres groupes, mais lorsque leurs enfants s’enlèvent la vie parce qu’il n’y a aucune possibilité pour eux dans le Nord, ce que peuvent penser les autres n’a pas beaucoup d’importance.

La sénatrice Cordy : Madame Krause, ce projet de loi tente d’atteindre un juste équilibre entre les préoccupations de nature environnementale, énergétique et autochtone. Vous avez très bien fait valoir votre point de vue sur l’influence qu’exerce l’investissement étranger sur les groupes environnementaux au Canada. Je pense que c’était le sens de votre intervention.

Or, l’Institut Fraser, par exemple, fait aussi l’objet d’investissements étrangers considérables. En outre, de nombreuses sociétés pétrolières appartiennent en partie à des intérêts étrangers ou obtiennent des fonds de ceux-ci.

J’ai l’impression que, selon vous, les groupes environnementaux ne devraient pas avoir leur mot à dire au sujet de ce projet de loi.

Mme Krause : Ce n’est pas du tout ce que je pense. Je crois qu’ils devraient avoir leur mot à dire. Je pense simplement que le processus devrait être transparent. Ces groupes sont financés pour agir de manière concertée et coordonnée. Ils sont financés notamment pour harmoniser leurs attentes. Dans le cadre de ce processus, même les Premières Nations sont financées afin de s’exprimer d’une seule voix.

Comme on dit, toutes les voix devraient être entendues. Ce qui manque au débat, c’est la transparence qui permettrait de connaître l’objectif véritable visé par les divers intervenants. Compte tenu des sommes considérables en jeu, je pense qu’il est important de savoir si l’argent vient du Canada ou de l’étranger. Lorsqu’une fondation finance tout le monde autour de la table, on ne peut pas dire que les points de vue exprimés sont totalement indépendants.

M. Helin : Avant de partir, est-ce que je pourrais ajouter quelque chose à ce sujet?

La présidente : Je vous prierais d’être très bref.

M. Helin : Le problème ne touche pas seulement les fonds transférés des États-Unis au Canada. Un comité du Congrès américain a mené une étude indépendante sur l’impact de sommes envoyées de la Russie aux États-Unis pour nuire à l’industrie pétrolière américaine ou pour l’éliminer totalement. Ce comité a conclu que des fonds étaient acheminés de la Russie au Canada en passant par certains de ces groupes environnementaux. Je le répète : il s’agit d’une étude indépendante réalisée par le Congrès américain.

La sénatrice Simons : Pour commencer, j’aimerais poser quelques questions à M. Helin. En tant qu’Albertaine, je suis pleinement consciente de la discorde que cause ce projet de loi.

J’ai été très intriguée de vous entendre parler de la création d’un corridor. Où votre groupe prévoit-il faire passer ce corridor? Serait-il également possible d’installer dans ce corridor des lignes interprovinciales à haute tension ou des conduites de gaz naturel liquéfié? Que prévoyez-vous inclure dans ce corridor et quel serait son tracé?

M. Helin : Le corridor relierait Fort McMurray à la côte Ouest, en passant plus ou moins au nord de Fort St. John, puis par le lac Williston.

À l’heure actuelle, on prévoit installer 2 conduites de gaz naturel liquéfié de 48 pouces chacune. Une très grande entreprise de gaz naturel liquéfié s’est engagée de manière provisoire à installer un pipeline de gaz naturel liquéfié et deux conduites de pétrole brut de 48 pouces chacune, qui permettraient de transporter du bitume valorisé.

Nous planifions ce projet depuis six ans afin qu’il soit le plus vert possible. Nous souhaitons utiliser une source d’énergie de remplacement pour refroidir le gaz naturel liquéfié, ce qui est très important. Si des crédits de carbone étaient offerts pour un projet de pipeline de ce genre, celui-ci serait admissible à des crédits d’une valeur d’environ 20 milliards de dollars par année.

Nous insistons sur les crédits de carbone et souhaitons utiliser une technologie existante, éprouvée et avancée pour extraire le pétrole directement du sol et le pomper. En chauffant le pipeline, on peut pomper le bitume valorisé et l’acheminer directement jusqu’à la côte.

Il est ainsi possible de régler trois problèmes importants. Premièrement, on n’émet pas beaucoup de CO2 parce que le processus est très simple. On extrait simplement le pétrole directement du sol. Deuxièment, on ne crée pas de bassins de résidus, puisqu’on laisse tout le carbone dans la structure géologique inerte du sol.

La sénatrice Simons : En effet. En tant qu’Albertaine, je sais que c’est un énorme problème.

M. Helin : Cela permettra de régler tous les problèmes. Nous avons tout prévu. Tout cela est possible parce que les chefs nous ont demandé de créer le projet le plus avancé au monde.

Dans le cadre du régime actuel, nous acheminons le gaz naturel — qu’il soit liquéfié ou non — jusqu’à la côte du golfe du Mexique par pipeline ou par train. Par la suite, il est transporté par bateau jusqu’en Asie, en passant par le canal de Panama.

À l’heure actuelle, notre empreinte carbone est de 5 à 10 fois plus élevée que nécessaire, et nous obtenons un prix ridiculement bas pour notre produit le plus précieux. C’est insensé. À toutes nos rencontres, les représentants de pétrolières des quatre coins du monde se disent perplexes et nous demandent ce qui ne va pas au Canada.

La sénatrice Simons : Je pense que, en vertu de la version actuelle du projet de loi C-69, il pourrait être plus facile de faire approuver un tel projet. Je crois que le projet de loi C-69 accorderait des crédits au promoteur d’un projet permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il accorderait aussi des crédits en raison des liens étroits entretenus avec des groupes autochtones tout au long du projet.

Je me demande si, en fait, le projet de loi C-48 vous pose plus problème que le projet de loi C-69. Dans le cadre de votre plan, il serait possible de transporter du gaz naturel liquéfié. C’est le pétrole qui ne pourrait pas être acheminé. Je ne vois pas trop en quoi le projet de loi C-69 pourrait nuire à ce projet, comme vous le pensez. Je crois plutôt que le projet de loi C-69 pourrait en accélérer l’approbation.

M. Helin : Je dirais qu’il y a trois enjeux : deux sont précis, tandis que l’autre est d’ordre général.

Premièrement, il faut écouter les préoccupations des gens, peu importe qui ils sont. Que s’est-il passé lorsque le projet de pipeline dans le corridor de la vallée du Mackenzie a été rejeté? Nellie Cournoyea, présidente de l’Inuvialuit Development Corporation, qui représentait bon nombre des communautés autochtones de la région, a livré un exposé devant le comité chargé d’examiner le projet. En gros, elle a demandé au comité pourquoi il ne tenait pas compte des intérêts et des besoins des habitants du Nord des Territoires du Nord-Ouest et pourquoi il se rangeait entièrement du côté des gens de Toronto, dont le bien-être économique était assuré, alors que nous n’avions rien. C’était un des problèmes soulevés.

Deuxièmement, les Premières Nations ne sentent pas à l’aise avec certaines choses. Elles sont conscientes que des ministres auraient le pouvoir discrétionnaire de prendre certaines décisions aux termes du projet de loi. La préoccupation générale, c’est le manque de confiance à l’endroit du gouvernement. Les Premières Nations craignent avant tout que le projet de loi leur enlève la capacité de réaliser des projets de nature économique.

La présidente : Merci beaucoup. Nous devons passer à l’intervenante suivante.

La sénatrice Duncan : Je remercie les témoins d’être ici ce matin.

Mes questions s’adressent à M. Helin. Vous avez parlé d’un accord avec les provinces de l’Ouest et les deux territoires septentrionaux. S’agit-il du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest?

M. Helin : Oui.

La sénatrice Duncan : Connaissez-vous la Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon, qui est aussi une loi fédérale?

M. Helin : Pas du tout. Je sais toutefois que le gouvernement fédéral contrôle les ressources des territoires.

La sénatrice Duncan : Si je puis me permettre, la Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon fait partie du chapitre 12 de l’accord-cadre final qui a été conclu entre les Premières Nations, le Canada et le Yukon. Cette loi n’est pas parfaite. Elle est en vigueur depuis 2005. Elle régit l’approbation de tous les projets majeurs proposés au Yukon.

La loi n’est pas parfaite. Elle a été modifiée à plusieurs reprises. Cependant, elle fonctionne bien. Souhaitez-vous formuler des recommandations précises au sujet du projet de loi C-69 et de la façon dont on pourrait l’améliorer pour qu’il réponde à certaines de vos inquiétudes?

M. Helin : Il faudrait que je consulte non seulement notre groupe, mais aussi le Conseil des ressources indiennes. Un autre groupe indépendant de chefs des Premières Nations a été formé parce qu’il s’inquiète des mesures du gouvernement qui lui portent préjudice. J’ai les détails quelque part ici.

La Coalition nationale des chefs et le Conseil des ressources indiennes ont adopté des résolutions s’opposant au projet de loi C-69. Je pense que nous pourrions nous joindre à eux pour lutter contre ce projet de loi, car ils seraient nos partenaires dans un accord éventuel sur l’exploitation des ressources naturelles.

La sénatrice Duncan : J’aimerais ajouter une précision. La Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon, qui est aussi une loi fédérale, fait en sorte que le projet de loi C-69 n’aura pas de répercussions au Yukon. Elle s’inscrit dans le processus de reconnaissance et fait partie de l’Accord-cadre définitif avec les Premières Nations du Yukon.

À mon avis, c’est un exemple de loi fédérale efficace, tant pour encadrer les évaluations environnementales que pour tenir compte des répercussions socioéconomiques pour les Premières Nations.

Le sénateur Woo : Je remercie les témoins d’être venus aujourd’hui. Comme la présidente l’a demandé, je vais m’en tenir uniquement au projet de loi C-69 par rapport au régime actuel, celui de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012.

Ma première question s’adresse à M. Helin. Je vous remercie d’avoir décrit les trois aspects problématiques du projet de loi, de votre point de vue, c’est-à-dire les critères liés au droit de participation, le pouvoir discrétionnaire du ministre et un manque de confiance général.

Les deux premiers aspects sont identiques dans la loi en vigueur. J’aimerais donc que vous nous aidiez à comprendre comment l’abandon du projet de loi C-69 améliorerait la situation. Vos deux grandes préoccupations demeureraient. En ce qui concerne le manque de confiance général, c’est un problème plus vaste et plus difficile à résoudre. Je veux parler très précisément du projet de loi.

J’aimerais savoir ce que vous pensez d’une autre question que vous n’avez pas soulevée. Les dispositions sur la consultation des peuples autochtones dans le projet de loi C-69 représentent-elles une avancée ou un recul par rapport à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012?

J’aurai ensuite une question pour Mme Krause.

M. Helin : Préciser qu’il faut mener davantage de consultations auprès des Premières Nations est une bonne chose. Cela dit, le fait est que...

Le sénateur Woo : La loi de 2012 précise-t-elle la nécessité de consulter les peuples autochtones? La loi actuelle le fait-elle? Êtes-vous satisfait?

M. Helin : À ce que je sache, ce n’est pas le cas. Ce serait un aspect positif. Si vous pouviez abandonner le reste du projet de loi pour ne conserver que cette disposition, ce serait parfait.

Le sénateur Woo : Madame Krause, ma question porte encore une fois exclusivement sur le projet de loi C-69. Votre présentation insistait principalement sur le fait que des fonds étrangers influent sur le processus législatif au Canada.

Pourriez-vous nous dire quelles parties du projet de loi C-69 ont été influencées par des fonds étrangers? Je parle d’articles précis de la mesure législative. Pourriez-vous aussi nous dire quelles sources de fonds étrangers ont exercé une influence sur ces aspects du projet de loi C-69?

Mme Krause : Je peux bien sûr répondre à la question.

Je crois que l’une des parties qui m’inquiètent est celle sur les règles entourant la participation du public.

Le sénateur Woo : Qui a exercé une influence dans ce cas? Quels fonds étrangers ont influé sur cette décision?

Mme Krause : Permettez-moi de vous donner un exemple. Dans le cadre de l’examen que l’Office national de l’énergie a mené sur le projet Northern Gateway, un groupe environnemental...

Le sénateur Woo : Puis-je vous demander de vous en tenir au projet de loi C-69?

Mme Krause : Je ne fais que répondre à votre question à l’aide d’un exemple.

Dans ce cas, un groupe environnemental s’est attribué le mérite d’avoir généré plus de 90 p. 100 des quelque 4 000 commentaires qui avaient été envoyés à l’Office national de l’énergie. C’est une tactique pour délibérément ralentir le processus.

Le sénateur Woo : Qu’en est-il dans le contexte du projet de loi C-69? Quelles parties ont été rédigées d’une façon qui trahit une influence indue de la part de sources étrangères?

Le sénateur Patterson : Ce n’est pas ce qu’elle a dit.

Le sénateur Woo : Je cherche à savoir si c’est ce qu’elle pense.

Mme Krause : J’aimerais répondre à la question. Le problème n’a rien à voir avec l’origine des fonds. Ce serait tout aussi inquiétant que l’argent vienne d’une source canadienne ou de l’étranger.

Le projet de loi doit prévenir — ce qu’il ne fait pas dans sa version actuelle — une des stratégies que les groupes militants utilisent pour saboter les projets énergétiques. Ils tentent de bloquer le processus en envoyant des milliers et des milliers de commentaires.

Je vous ai donné un exemple de cette tactique qui a servi à saboter le processus d’examen sur le projet Northern Gateway. Ce que je suggère, c’est que le projet de loi C-69 devrait prévoir un mécanisme pour empêcher qu’une telle chose se produise et pour permettre aux personnes qui ont une raison légitime de s’exprimer sur la question de le faire. De cette façon, on éviterait d’entendre des milliers de fois des personnes qui participent à une campagne non pas dans le but d’améliorer le projet, mais simplement pour le torpiller.

La présidente : J’ai quelques questions à poser.

Monsieur Helin, j’ai été très touchée lorsque vous avez dit que nous ne visitons pas votre région, que nous vous connaissons mal, votre peuple et vous, et que nous sommes responsables de prendre des décisions qui vous concernent.

Au sujet du projet de loi C-69, votre groupe a-t-il été consulté pendant l’étude menée par la Chambre des communes ou celle-ci? Avez-vous soumis un mémoire et un point de vue? Avez-vous proposé des amendements, des observations ou des recommandations?

M. Helin : J’ai témoigné à de nombreuses reprises. Je n’arrive plus à me souvenir exactement de quelles études il s’agissait. Chose certaine, nous avons participé à l’étude de la Chambre des communes sur le projet de loi C-48 et nous présentons un témoignage cette semaine.

En toute honnêteté, je ne m’en souviens pas. Nous avons été présents à de nombreuses rencontres.

La présidente : Pourriez-vous nous envoyer cette information?

M. Helin : Bien sûr.

La présidente : Il pourrait y avoir des répétitions, mais ces documents seront utiles.

M. Helin : Bien sûr.

La présidente : Madame Krause, je suis tout à fait d’accord avec vous en ce qui concerne le besoin de transparence. C’est un aspect extrêmement important.

En lisant un article du magazine Forbes, j’ai appris que, l’an dernier seulement, des sociétés pétrolières ont investi 200 millions de dollars pour influer sur les mesures législatives en matière de changements climatiques. Ces dépenses n’ont pas été révélées par les sociétés pétrolières elles-mêmes, mais par une enquête journalistique.

Le sénateur Patterson : Dans quel pays?

La présidente : Laissez-moi finir de poser ma question.

Le sénateur Patterson : Vous parlez d’une donnée, mais il n’y a pas...

La présidente : Je suis désolée de vous interrompre, sénateur, mais je suis en train de poser une question.

Dans votre quête de transparence, j’aimerais savoir si vous avez étudié l’argent que l’industrie investit dans des lobbys ou ailleurs dans le but d’influencer les mesures législatives sur les changements climatiques au Canada.

Mme Krause : J’essaie de me pencher sur des aspects qui n’ont jamais été étudiés et qui ne le sont pas en ce moment. Je le fais en tant que citoyenne. Je ne suis pas journaliste. Je le fais parce que personne d’autre ne le fait.

Pour ce qui est de suivre les fonds qui viennent de l’industrie pétrolière, beaucoup de gens s’occupent déjà de cette question. Il n’est pas nécessaire de s’y attaquer : c’est fait.

Par ailleurs, les industries ont des lobbyistes qui doivent s’inscrire à un registre. Leurs activités de lobbying et leurs dépenses font déjà l’objet de déclarations très claires.

En revanche, les groupes militants n’ont pas à respecter les mêmes exigences de transparence et de déclaration en ce qui concerne leurs dépenses. J’ai dû consulter les relevés d’impôts américains afin de savoir quels organismes reçoivent des fonds pour influer sur les lois du Canada. Il n’y a pas ici la même transparence qu’aux États-Unis.

La présidente : En ce qui concerne les sommes investies, vous comparez quelques millions de dollars à des centaines de millions de dollars. Je comprends que...

Mme Krause : Non. Bien franchement, il y a cette perception populaire voulant que l’industrie pétrolière dépense plus que les militants, mais le visage de l’activisme a bien changé. Par exemple, il existe maintenant un groupe de fondations. Ce groupe qui finance l’activisme au Canada détient 70 milliards de dollars en actifs et fait des dons de 3 milliards de dollars par année.

Il n’y a qu’un tout petit pourcentage de cette somme qui est investi au Canada. Cela dit, les choses ont bien changé depuis l’époque où les militants n’avaient pas de fonds, il y a 20 ans. Ils disposent aujourd’hui de budgets imposants. À Vancouver, par exemple, les 5 plus grands groupes environnementaux ont des recettes combinées de 50 millions de dollars et comptent 500 employés.

L’activisme a changé, et les règles encadrant son influence sur les politiques publiques et les lois doivent être adaptées en conséquence.

La présidente : Si jamais vous détenez l’information sur les sommes investies par l’industrie, d’un côté, et par les groupes environnementaux, de l’autre côté, dans les activités de lobbying ciblant le projet de loi C-69, je vous serais reconnaissante de soumettre ces données au comité.

Mme Krause : Vous venez tout juste de confirmer ce que je faisais valoir, c’est-à-dire qu’il est impossible de le savoir. Compte tenu de la façon avec laquelle les groupes militants déclarent leurs dépenses, il est impossible de déterminer les sommes investies.

C’est sans compter que, pour eux, le lobbying est une technique du siècle dernier. Ce n’est plus de cette façon qu’ils influencent les politiques publiques et les lois. Ils délaissent ce qu’ils qualifient de lobbying de l’intérieur. Ils privilégient ce qu’ils appellent la mobilisation citoyenne de l’extérieur. En d’autres mots, ils exercent une influence sur le gouvernement par l’entremise des médias et de l’opinion publique.

Au Canada, l’ensemble du système servant à suivre l’influence exercée par l’activisme est inadéquat parce que cette information n’est pas prise en compte. On ne recueille pas les données sur les dépenses. Par exemple, pensons aux exigences de déclaration de l’ARC pour les organismes de bienfaisance aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu. Rien n’oblige à indiquer à quoi serviront les sommes. C’est le cas aux États-Unis, mais pas au Canada.

M. Helin : Si je peux ajouter quelque chose, même aux États-Unis, il y a une disposition qui permet de donner de l’argent de façon anonyme. C’est en général ce que les donateurs font, si je comprends bien toutes les modalités. On sait que George Soros a recours à cet outil.

Mme Krause : Le donateur.

M. Helin : Oui, il donne de l’argent à un organisme. Étant donné qu’il inscrit son don sous une certaine catégorie, son identité demeure confidentielle. Les militants utilisent ensuite ce qu’ils appellent des organismes « synthétiques » ou inventés, avec l’aide d’organisations non gouvernementales de l’environnement. Ils parviennent ainsi à créer l’illusion d’une campagne citoyenne pour obtenir les changements qui servent l’atteinte de leurs objectifs du moment.

Dans la jurisprudence américaine, on parle d’argent obscur lorsque des sommes sont données sans que personne sache vraiment ce qui se passe ou d’où vient l’argent.

Dans ma collectivité, à l’époque où le groupe participant au projet de gaz naturel liquéfié de Petronas tentait de le faire avancer, l’homme qui campait sur l’île Lelu, en plein cœur de la manifestation écologiste, était un de mes cousins. Il prétendait qu’il était un chef héréditaire.

Tout le monde sait dans ma collectivité qu’il n’est pas un chef héréditaire. Il recevait de l’argent de Wilburforce et, je crois, de la fondation Moore. L’argent passait par SkeenaWild, qui payait tous les militants présents là-bas. Cette campagne a créé un fossé énorme au sein de notre collectivité.

Les membres de la collectivité ont eu l’impression de comprendre à quoi ressemblent les programmes de déstabilisation menés par le FSB ou la CIA, qui font en sorte que des gens de l’extérieur infiltrent un milieu dans l’unique but de le plonger dans la tourmente pour servir leurs propres intérêts.

Le sénateur Patterson : J’invoque le Règlement.

La présidente : Oui.

Le sénateur Patterson : Madame la présidente, en toute déférence, j’estime que vous devez conserver votre neutralité et qu’il n’est pas approprié que vous présentiez des éléments de preuve sans fournir de détails et sans que le comité puisse en connaître la source ou obtenir des précisions. Je pense notamment à l’article du magazine Forbes que vous avez cité et qui contenait des chiffres.

Voilà mon rappel au Règlement.

La présidente : J’en prends bonne note.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je regardais le niveau de financement. Il semble qu’il y ait eu une période de pointe en 2015. Ce financement est-il directement relié aux groupes environnementaux qui sont contre les projets énergétiques ou s’il y avait aussi une partie, selon vous, qui visait un objectif électoral? Parce qu’il y a eu quand même une campagne électorale en 2015. Avez-vous fait une analyse ou est-ce possible de le faire pour ce qui est de la répartition du financement?

Mme Krause : En 2015, ils ont reçu 37 millions de dollars. Ce montant est plus élevé parce qu’ils ont reçu 10 millions de dollars américains pour la protection des saumons sauvages.

De plus, en 2008, la Fondation a fait face à des problèmes de planification des ressources marines. Le processus s’est terminé vers 2015 ou 2016. C’était donc une dernière tranche d’argent. Il y a aussi un autre facteur. Certaines organisations, surtout les organisations autochtones, ont demandé au gouvernement fédéral du financement pour les programmes ayant été financés par la Fondation. Donc, je pense que cela explique pourquoi il y a eu une légère diminution.

Le sénateur Carignan : Cela explique la diminution.

Mme Krause : Un programme a déjà reçu un financement de 25 millions de dollars, sauf que ces fonds proviennent du gouvernement fédéral et non de la fondation américaine.

Le sénateur Carignan : À votre avis, comment pourrait-on structurer le processus de consultations? Ma question s’adresse aux deux témoins. Dans le cadre des études environnementales, il faut structurer la participation en menant des consultations auprès des gens qui sont légitimement affectés par les décisions. Il faut éviter l’instrumentalisation. Si le nombre de personnes à consulter est restreint, des groupes pourraient se réunir et tenter « d’acheter » les gens qui sont directement touchés. Ils viennent en quelque sorte « instrumentaliser » ces gens-là. Selon vous, y a-t-il des moyens qui permettraient d’éviter un tel risque?

Mme Krause : C’est véritablement un problème qu’on ne peut éviter, à mon avis. Toutefois, on pourrait demander des informations sur le financement. Par exemple, on pourrait demander aux organismes s’ils font partie d’une campagne collective? Parce qu’on a environ une dizaine d’organisations qui participent dans le Townsend Campaign. Vous avez entendu parler de cette campagne 10 fois par 10 organisations différentes. Évidemment, elles ont chacune leur propre point de vue et derrière cela, il y a des objectifs, il y a un plan. Aux États-Unis, par exemple, les gens doivent remplir et fournir des formulaires quand ils viennent en comité. Je crois qu’il faut plus de transparence.

Je vais vous donner un exemple avec le programme de planification marine. En 2012, le gouvernement fédéral a décidé de ne plus participer à ce programme avec la Moore Charitable Foundation. Par la suite, la fondation a continué de dépenser 80 millions de dollars de plus. Cela montre à quel point cette fondation avait des objectifs à atteindre. Elle a voulu produire des plans pour la côte nord de la Colombie-Britannique. Elle a dépensé plusieurs sommes. Les comités et le public n’en a jamais été informés. En fait, on a l’impression que ces organisations sont individuelles, mais ce n’était pas tout à fait ça. Je ne sais pas si je l’explique bien.

Le sénateur Carignan : Oui, très bien. J’ai une autre question qui, cette fois-ci, s’adresse à M. Helin. Je trouve que votre proposition de corridor énergétique est extrêmement intéressante. Cela pourrait impliquer diverses sources d’énergie — y compris l’hydroélectricité — qui passeraient dans le corridor énergétique. Proposez-vous de tenir une vaste consultation pour l’ensemble du corridor et, par la suite, d’aborder des critères moins exigeants en ce qui a trait à l’entrée de la ligne de transport de l’oléoduc, du gazoduc ou autre à l’intérieur du corridor? Allez-vous mener une consultation spécifique plus large pour déterminer l’assiette du corridor et ensuite adopter un processus d’approbation beaucoup plus simple lorsqu’il s’agira d’autoriser la source d’énergie à l’intérieur de l’assiette du corridor?

[Traduction]

M. Helin : Merci. Je ne parle pas aussi bien français que Mme Krause.

Simplement à titre d’exemple, je précise que lorsqu’on a entrepris le projet Northern Gateway, la consultation avec notre communauté s’est limitée à l’envoi d’un chèque de 5 000 $. Personne n’est jamais venu sur place. Or, lorsqu’on jette un coup d’œil à notre territoire traditionnel, on constate que la communauté était vraisemblablement très importante. Par ailleurs, le projet aurait rapporté en moyenne aux communautés environ 70 000 $ par année. C’est dérisoire. De nos jours, on ne peut même pas acheter une camionnette avec ce montant.

Les Premières Nations avaient fait état de diverses préoccupations, particulièrement les répercussions environnementales. Avec l’appui des dirigeants autochtones, nous avons rencontré toutes les communautés potentiellement touchées. Nous avons écouté toutes les préoccupations et élaboré un modèle environnemental qui, selon nous, était le plus robuste au monde. Nous avons accordé une attention particulière à la protection de la côte. Nous respecterons volontairement des normes de protection côtière nettement plus strictes que celles prévues dans la Loi canadienne sur la protection de l’environnement.

Pour ce qui est de la consultation, il semble que le gouvernement prête l’oreille à un grand nombre de personnes qui n’ont aucun lien avec les territoires traditionnels des gens du Nord. Et lorsque ces personnes y sont liées, ce sont des contestataires qui, selon moi, sont manipulés par des groupes environnementaux. Ils sont rémunérés. Rien de tout cela n’est divulgué et ils n’ont pas vraiment un rôle de représentation.

Pour ce qui est du projet de gaz naturel liquéfié, les trois quarts des gens de notre communauté l’ont appuyé dans le cadre d’un vote. Pourtant, les gens qui ont manifesté sur l’île ont affirmé que tout le monde s’y opposait. Malheureusement, les mauvaises nouvelles se rendent aux médias.

Selon un important principe, il est primordial de consulter les Autochtones qui vivent sur le territoire traditionnel visé.

En ce qui concerne les groupes environnementaux, je pense qu’ils sont tributaires de subventions, comme Vivian Krause l’a mentionné. Malheureusement, je n’ai pas réussi comme pêcheur professionnel et je me rétablis comme avocat. Chaque fois qu’il y a un problème juridique, on dépend de subsides. Si on examine le modèle d’affaire des groupes environnementaux, on constate qu’ils défendent essentiellement des causes susceptibles de leur permettre d’obtenir des fonds du public ou de fondations.

Un exemple représentatif est celui des peuples autochtones qui ont été terriblement pénalisés lorsque Greenpeace a mené une campagne contre la chasse au phoque, qui a pratiquement anéanti le marché en Europe. Cette campagne a eu des répercussions énormes sur le mode de vie traditionnel des Inuits dans le Nord canadien où le revenu annuel des ménages a chuté d’environ 60 000 $ à 5 000 $ par année.

Les suicides qui sont venus s’ajouter à la chute des revenus, à cause de la pénurie d’emplois et de l’impossibilité de gagner sa vie, ont décimé la communauté. Il a fallu quelque 30 ans avant que Greenpeace reconnaisse que sa décision avait eu de telles répercussions.

Des gens sont vraiment affectés par ce genre de décisions. Il est important de le comprendre. De nombreux chefs voient des groupes environnementaux internationaux imposer leurs vues dans leur territoire traditionnel. Or, ces interventions ont des répercussions sur les familles.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie tous les deux d’être venus témoigner. J’aimerais d’abord poser des questions à M. Helin sur la consultation des Autochtones en ce qui concerne le projet de loi.

Le projet de loi C-69 prévoit la constitution d’une commission chargée d’examiner tous les projets considérés difficiles à réaliser. La majorité des membres de cette commission ne doivent pas appartenir à un organisme de réglementation du cycle de vie. Il est également prévu qu’il y aura un représentant pour chacun des groupes suivants : Premières Nations, Inuits et Métis.

J’ai noté que vous êtes préoccupé par le fait que des gens de l’extérieur de votre territoire prennent des décisions qui ont des répercussions sur les terres et sur les détenteurs de titres autochtones. Auriez-vous des observations à faire sur la participation garantie d’un membre inuit et d’un membre métis aux décisions concernant un territoire de votre région auxquels ces gens ne sont pas liés?

M. Helin : Cette éventualité suscite de sérieuses préoccupations. Sans donner de précisions, je dirais que certains Autochtones sont opposés à tout développement. Lorsqu’on décide d’autoriser un projet d’exploitation des ressources naturelles, on ne tient pas compte de l’équilibre global des habitants des territoires affectés.

Il faut d’abord et avant tout prendre en compte les gens affectés. L’intervention de quelqu’un de l’extérieur — généralement d’une grande ville — qui n’a pas de préoccupation financière pour l’avenir, n’aide pas les gens des communautés nordiques qui continuent d’être confrontés à une grave crise économique.

Le sénateur Patterson : Monsieur Helin, vous avez parlé de militants écologistes qui se sont vantés d’avoir rêvé de la forêt humide tempérée du Grand Ours dans un restaurant italien en Californie. Pourriez-vous parler un peu de l’esprit du grand ours? Ce symbole figurait-il sur un logo créé par des militants écologistes et est-il lié à une tradition de la côte Ouest?

Par ailleurs, madame Krause ou vous, pourriez-vous dire si des militants écologistes se sont vantés d’avoir eu un impact sur d’autres projets envisagés au Canada dans le secteur énergétique?

M. Helin : L’esprit du grand ours est celui d’un ours unique sur le plan génétique, mais on ne le trouve que dans un territoire limité. Il ne se trouve généralement pas sur notre territoire traditionnel.

Les groupes environnementaux ont découvert que l’esprit du grand ours, à l’instar de l’ours polaire, leur rapporte de l’argent parce qu’il permet de toucher la corde sensible des gens et de les gagner à leur cause.

Je ne me rappelle pas le nom exact du groupe écologiste, mais récemment, certains de ses membres qui pagayaient quelque part dans l’Arctique ont trouvé un ours polaire en train de mourir, en plein été. Ils ont fait une vidéo qu’ils ont publiée sur les médias sociaux. Ils ont obtenu des millions de réponses. J’imagine que bien des réponses étaient accompagnées de dons en argent. Certains biologistes canadiens qui travaillent dans l’Arctique ont émis des réserves en disant, premièrement, qu’il n’y a pas de glace en été dans cette région et que, deuxièmement, le gouvernement du Canada affirme qu’on y compte des ours polaires en grand nombre.

Le maire de la localité inuite d’Iqaluit a déclaré à la CBC : « Les ours meurent pour toutes sortes de raisons et, dans ce cas précis, le décès n’est probablement pas lié au changement climatique. » Puis, les environnementalistes ont commencé à critiquer les Inuits en leur disant : « Vous chassez cet animal et c’est très lucratif. » Le maire a signalé que seulement 10 p. 100 des ours sont chassés pour le plaisir. La chasse est principalement axée sur des raisons alimentaires et de sécurité.

Les habitants de ces régions n’ont pas de nourriture. Il est difficile pour un citadin de comprendre que des gens vivent encore dans un milieu naturel doivent tuer des animaux pour manger. Pourtant, en ville on mange aussi de la viande sauf qu’on ne voit pas les animaux se faire tuer. Au bout du compte, l’idéologie entraîne son lot de conséquences imprévues qui sont également attribuables à...

La présidente : Nous devons conclure. Le sénateur MacDonald pose une dernière question.

Le sénateur MacDonald : Je voulais poser quelques questions, mais voici celle que j’adresse à M. Helin.

Dans votre région, dans le Nord de la Colombie-Britannique, où est prévu le projet de pipeline Eagle Spirit, quel est le taux de chômage? Quelles retombées aurait la construction de ce pipeline sur la côte Ouest en termes d’emploi, tant à l’étape de la réalisation qu’à long terme?

M. Helin : À l’heure actuelle, il est assez exact de dire que le taux de chômage est de 90 p. 100. Compte tenu des politiques qui ont été mises en œuvre, si le secteur de l’énergie ou des ressources naturelles perd un investissement de 100 milliards de dollars, tout le monde en subit les conséquences.

Bon nombre d’Autochtones sont des entrepreneurs, mais ils doivent fermer leur entreprise. Il suffit d’aller à Prince Rupert et de se promener dans la rue pour voir de vieux édifices condamnés. C’est désastreux. Procéder de cette façon alors que le Canada possède l’un des meilleurs systèmes réglementaires au monde, revient à dire qu’il est acceptable d’importer au Canada du pétrole d’Arabie saoudite et du Nigeria, mais que le Canada ne peut pas exporter ses ressources pétrolières. C’est tout simplement insensé.

Dans une certaine mesure, le Canada est la risée de l’industrie énergétique mondiale parce qu’il ouvre ses portes à tous les concurrents, alors qu’il pourrait soutenir la concurrence de la façon la plus écologique qui soit.

La présidente : Merci pour les témoignages ainsi que pour les questions et les réponses.

Nous accueillons maintenant de Teck Resources Limited, Sheila Risbud et Mark Freberg, respectivement directrice, Affaires gouvernementales, et directeur, Permis et planification de la fermeture; et du First Nations Energy and Mining Council, Robert Phillips, membre du Groupe de travail du Sommet des Premières Nations, Conseil des leaders des Premières Nations, et Karen Campbell, avocate.

Vous disposez de cinq minutes. J’ai permis au témoin précédent de parler 10 minutes, mais ce n’est malheureusement pas possible cette fois-ci.

Le sénateur Patterson : Pourquoi?

La présidente : Parce que nous avons déjà pris trop de temps et que le vice-président m’a signalé que nous devons respecter l’horaire prévu.

Le sénateur MacDonald : Je n’ai pas dit cela.

La présidente : D’accord.

Le sénateur MacDonald : Je n’ai pas dit que vous ne pouviez pas laisser les témoins parler.

La présidente : Qui interviendra en premier?

Le sénateur MacDonald : Vous devez laisser tout le monde parler. Notre temps est limité.

La présidente : Vous interviendrez la première. Allez-y.

Sheila Risbud, directrice, Affaires gouvernementales, Teck Resources Limited : Madame la présidente, honorables sénateurs, mesdames et messieurs les témoins, bonjour.

[Français]

C’est un honneur pour moi d’être ici aujourd’hui afin d’émettre les commentaires de Teck en ce qui concerne le projet de loi C-69.

[Traduction]

Je m’appelle Sheila Risbud, et je suis directrice des affaires gouvernementales. Mon collègue Mark Freberg, directeur des permis et de la planification de la fermeture à Teck, m’accompagne.

Fièrement canadienne, Teck est une société minière diversifiée qui compte plus de 8 000 employés au pays.

[Français]

Teck est fière d’employer plus de 8 000 personnes au Canada.

[Traduction]

En affaires depuis plus de 100 ans au Canada, Teck a une vaste expérience des processus d’évaluation environnementale fédéraux, qui se répercutent sur la quasi-intégralité de ses activités minières.

C’est cette expérience qui étaie notre analyse du projet de loi C-69. En conséquence, nous estimons que le projet de loi C-69 représente une feuille de route potentiellement plus claire que le système actuel pour les projets d’extraction minière au Canada, car il établit un équilibre satisfaisant entre divers intérêts sociétaux.

Ainsi, nous sommes favorables à l’idée de l’étape préparatoire telle qu’elle est actuellement proposée. Nous y voyons une amélioration par rapport au processus d’évaluation environnementale actuel, car il en résulterait des directives plus claires pour les promoteurs et une coordination accrue avec les corps dirigeants provinciaux et autochtones.

En Colombie-Britannique, une nouvelle loi sur l’évaluation environnementale reflète une bonne partie de ce que prévoit le projet de loi C-69. Pour tout promoteur qui entend réaliser des projets d’exploitation dans cette province, une coordination accrue entre les instances fédérales et provinciales, de manière à éviter les dédoublements, revêt un caractère crucial. C’est ainsi que l’on atteindra l’objectif d’une seule évaluation par projet.

[Français]

Pour s’assurer de l’efficacité du processus, une coordination entre le gouvernement provincial et fédéral est primordiale.

[Traduction]

Nous sommes également favorables au fait de définir les échéanciers dans la loi, ce qui ajoute un degré de certitude aux processus d’évaluation d’impact. En effet, sans ce changement à des éléments essentiels des évaluations d’impact qui assurera des garanties supplémentaires et une prévisibilité à toutes les parties en cause, il sera autrement plus difficile de concrétiser les principaux objectifs du projet de loi.

Alors que les investissements dans le secteur minier ne cessent de chuter au Canada, il est essentiel d’améliorer les processus réglementaires. Étayé par des mesures réglementaires appropriées, le projet de loi C-69 pourrait infléchir la tendance. Il représente une nouvelle feuille de route pour redorer le blason d’excellence du Canada en matière de réglementation et renforcer la confiance des investisseurs dans le secteur minier canadien.

Nous savons que des sénateurs et des intervenants réclament des modifications de toutes sortes au projet de loi. Bien que Teck ne propose aucun nouvel amendement, nous appuyons ceux qu’a mis de l’avant l’Association minière du Canada et nous exhortons le comité et le Sénat du Canada à adopter des amendements judicieux de façon à préserver les améliorations que nous percevons, aux fins de l’exploitation minière, dans le projet de loi C-69.

Cette mesure législative réglementera l’évaluation d’un éventail de projets, petits et grands, dans une variété de secteurs. Le projet de loi doit donc absolument convenir à tous les cas de figure sans pour autant négliger les problèmes qu’implique tel ou tel type de projet.

Les règlements et les documents d’orientation qui viennent appuyer une loi à son entrée en vigueur sont aussi importants que la loi en tant que telle. Or, si le projet de loi C-69 doit entrer en vigueur avant la dissolution du Parlement, cette année, nous redoutons qu’il ne reste pas assez de temps pour procéder à des consultations et à une analyse en profondeur dans le but de mettre au point ces règlements et ces documents. En conséquence, nous recommandons au comité et au Sénat d’envisager l’amendement, proposé notamment par l’Association minière du Canada, qui vise à repousser la mise en œuvre de la loi de manière à tenir des consultations en bonne et due forme auprès des intervenants au sujet des règlements.

En conclusion, je ne saurais trop insister sur la nécessité pour les processus réglementaires d’être rigoureux, prévisibles et rapides au Canada, car le respect de ces trois critères engendre des retombées positives au chapitre de l’environnement, de l’emploi et de la qualité de vie au Canada.

[Français]

Comme Canadiens, nous devons atteindre ces trois objectifs pour préserver notre environnement et notre qualité de vie.

[Traduction]

Nous vous remercions de nous avoir encore une fois donné l’occasion de témoigner et nous serons ravis de répondre à vos questions.

La présidente : Merci.

Monsieur Phillips, vous avez la parole.

Robert Phillips, membre du Groupe de travail du Sommet des Premières Nations, Conseil des leaders des Premières Nations, First Nations Energy and Mining Council : [Le témoin s’exprime en langue autochtone.]

Je m’appelle Robert Phillips, et je suis de la bande de Canim Lake des Shuswap du Nord, le peuple des Secwepemc te Qelmucw. Dans le cadre de la réunion d’aujourd’hui, je rends hommage aux Tsleil-Waututh, aux Squamish et aux Musqueam. Je vous remercie, par ailleurs, sénateurs, de nous rencontrer, et je vous sais gré de votre excellent travail.

Le Conseil des leaders des Premières Nations constitue l’exécutif politique de l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique, du Sommet des Premières Nations et de l’union des chefs indiens de la Colombie-Britannique. Je suis un membre élu du Sommet des Premières Nations, et je fais partie du Conseil des leaders des Premières Nations, qui représente les 203 nations autochtones de la Colombie-Britannique. En outre, je témoigne aujourd’hui au nom du First Nations Energy and Mining Council, qui assure un soutien technique pour recommander des changements névralgiques au projet de loi dans le but de favoriser concrètement la réconciliation avec les peuples autochtones.

J’observe, mais je ne peux pas m’empêcher de répondre à Calvin Helin lorsqu’il dit que le projet de loi C-69 est un grand obstacle pour les Premières Nations. C’est tout le contraire. Le Conseil des leaders des Premières Nations entend proposer des améliorations constructives. Le projet de loi est préférable au statu quo, et je tiens à dire sans détour que nous voulons qu’il soit adopté et que nous voulons le renforcer de manière à favoriser la réconciliation.

Dans le cadre du processus de réconciliation entre les peuples autochtones et la Couronne, le Canada a pleinement adopté la déclaration des Nations Unies. Comme le premier ministre du Canada l’a expliqué avec éloquence dans son discours devant l’Assemblée générale, le 22 septembre dernier, au fil du temps, les programmes et les services seront de plus en plus assurés par les Autochtones eux-mêmes, dans leur démarche d’autodétermination et de mise en œuvre intégrale de la déclaration des Nations Unies.

Le projet de loi C-262, dont, si j’ai bien compris, le Sénat est également saisi, témoigne également d’un nouveau progrès dans le sens de la déclaration de l’ONU. Bien que la discussion d’aujourd’hui porte sur le projet de loi C-69, il importe de prendre acte de ce jalon crucial que représente le projet de loi C-262 dans le parcours qui mène à une véritable réconciliation avec les peuples autochtones du Canada.

La Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 a connu bien des ratés, et, à ce chapitre, la Colombie-Britannique a fait figure de point zéro. Cette loi a exacerbé de nombreuses controverses entourant de longue date les évaluations environnementales dans la province, qu’il s’agisse de sites de gaz naturel liquéfié mal conçus, de chantiers miniers ou de pipelines qui suscitent des réserves.

Le Conseil des leaders des Premières Nations estime qu’il faut une loi sur l’évaluation qui, aux yeux des peuples autochtones, soit compatible avec la réconciliation. Il est possible d’améliorer la loi qui régit les évaluations environnementales de manière à mieux favoriser la réconciliation.

Si nous sommes ici aujourd’hui, devant un comité sénatorial très important, ce n’est pas pour soutenir le projet de loi ou nous y opposer, mais pour y proposer des améliorations concrètes afin de franchir un jalon majeur sur le chemin de l’autodétermination autochtone.

En dépit de l’opposition et de la résistance des conservateurs, le projet de loi vise à réduire le nombre de litiges et à rassurer les investisseurs. Conserver la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 engendrera un surcroît de litiges et non le contraire. Le projet de loi établira un climat de confiance propice à l’investissement et non l’inverse.

Il nous apparaît fort curieux que les changements apportés à la loi provinciale sur l’évaluation environnementale n’aient pas fait l’objet des mêmes critiques que le projet de loi C-69 à l’échelle fédérale. Pourtant, la nouvelle loi provinciale formalise bien plus d’engagements à l’égard des Autochtones.

En Colombie-Britannique, la perspective que la nouvelle loi provinciale mène à la réalisation de meilleurs projets et non à une paralysie est accueillie avec un optimisme prudent. Il n’y a pas de quoi redouter la notion de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Le ciel ne nous tombera pas sur la tête. Ce n’est pas une question de veto. C’est une nouvelle norme qui repose sur la collaboration et une consultation plus efficace des peuples autochtones, qui détiennent les titres ancestraux en Colombie-Britannique.

À la suite de l’adoption de la nouvelle loi sur l’évaluation environnementale, le contexte juridique a évolué en Colombie-Britannique, puisque le gouvernement provincial est tenu d’aider les Premières Nations à prendre part, par l’intermédiaire de représentants qu’elles choisissent elles-mêmes, aux processus décisionnels où leurs droits sont en cause. D’ailleurs, M. Horgan et la plupart des ministres provinciaux rencontrent aujourd’hui mes collègues du Conseil des leaders des Premières Nations pour discuter de la déclaration de l’ONU et mettre au point un projet de loi qui, s’il est adopté, marquera un changement radical dans le processus d’évaluation environnementale de la province.

Étant donné que l’examen de tout projet d’envergure repose sur le principe d’une seule évaluation par projet, les peuples autochtones s’investiront de plus en plus dans les évaluations environnementales en Colombie-Britannique. Les évaluations d’impact fédérales refléteront directement et indirectement cette nouvelle réalité. Nous proposons trois amendements simples qui vont dans le sens de la réconciliation et qui rassureront les investisseurs de façon à potentiellement susciter des projets intéressants. Pour exprimer les choses clairement, nous avons de nombreuses réserves, mais nous reconnaissons le rôle crucial du Sénat dans ce processus; dans un esprit de coopération, nous nous en tenons donc à trois amendements incontournables.

Primo, le projet de loi doit redéfinir le mot instances afin d’englober les corps dirigeants autochtones, de façon à la reconnaître concrètement la gouvernance autochtone et les champs de compétence autochtones. Les Premières Nations seraient alors considérées comme des instances, qu’il y ait ou non un traité, un accord sur l’autonomie gouvernementale ou une entente avec le ministre. Chaque nation aurait ainsi la possibilité de déterminer elle-même si elle est une instance à des fins d’évaluation environnementale.

Secundo, pour harmoniser la loi sur l’évaluation d’impact avec la nouvelle loi britanno-colombienne, le renvoi à la mise en œuvre de la déclaration de l’ONU devrait figurer dans l’objet et non uniquement dans le préambule. J’ai déjà parlé, au début de mon intervention, de l’importance de cet outil et de nos attentes depuis que le Canada l’appuie pleinement. Ce renvoi ferait écho au libellé de la loi provinciale de manière à appuyer la mise en œuvre de la déclaration de l’ONU. Nos recommandations se trouvent à la page 3 du mémoire.

Le troisième amendement est nécessaire parce que la substitution est devenue une réalité concrète au Canada. Depuis six ans, un accord de substitution en matière d’évaluations environnementales lie le Canada et la Colombie-Britannique. Étant donné le principe d’une seule évaluation par projet et l’engagement du gouvernement à mettre en œuvre la déclaration de l’ONU, tout accord de substitution doit faire l’objet de négociations tripartites de façon à reconnaître les champs de compétence autochtones.

Ce dernier amendement exigerait, lorsqu’une instance autochtone entend procéder à une évaluation environnementale, que le ministre convienne de laisser la nation procéder. Ce changement devrait par ailleurs s’appliquer également aux évaluations de l’agence et des commissions.

Je rappelle que des considérations pratiques sont en jeu. Les nouvelles lois, tant fédérale que provinciale, anticipent des évaluations environnementales dirigées par les Autochtones. Concrètement, c’est une démarche qui se répandra. D’ailleurs, au cours des cinq dernières années, il y a eu deux évaluations complètes en Colombie-Britannique où les promoteurs ont participé au processus du gouvernement public, qui s’est basé sur les résultats d’évaluations d’impact dirigées par les Autochtones pour rendre ses décisions. La tendance se poursuivra.

Les Premières Nations de la Colombie-Britannique ont tout ce qu’il faut — intérêt, compétences et souci de leur territoire, de leurs terres et de leurs ressources — pour procéder à leurs propres évaluations. Nous proposons des changements simples qui inscriront solidement la loi dans une démarche de réconciliation. Nous vous exhortons à les adopter.

Je vous remercie de votre attention. Si vous le permettez, madame la présidente, ma conseillère juridique fera une déclaration. [Le témoin s’exprime en langue autochtone.] Merci.

Karen Campbell, avocate, First Nations Energy and Mining Council : Je suis avocate et je travaille auprès du First Nations Energy and Mining Council pour tout ce qui concerne les évaluations d’impact fédérales. Je vous suis reconnaissante de me laisser formuler quelques observations à la suite de Robert Phillips.

Je traiterai de deux sujets : la substitution et la loi sur l’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique. Arrêtons-nous d’abord sur la substitution de processus d’évaluation environnementale. Selon l’amendement que nous recommandons, lorsqu’une instance autochtone entendra procéder à une évaluation, le ministre sera tenu de la laisser procéder. À notre avis, cette règle doit également s’appliquer aux corps dirigeants autochtones, car, étant donné le premier amendement que nous recommandons, la loi les considérera également comme des instances. Tout cela ferait progresser la démarche de réconciliation.

Le protocole d’entente de 2013 entre le Canada et la Colombie-Britannique définit le processus par lequel les deux gouvernements peuvent convenir de substituer le processus d’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique aux exigences fédérales. Ce protocole constitue une application pratique du concept d’une seule évaluation par projet.

À la fin de 2016, 14 projets avaient été traités par substitution. C’est là le statu quo qui se dessine. Le processus provincial a suffi à satisfaire aux exigences fédérales en matière d’évaluation d’impact, quoiqu’une décision ait tout de même été prise au fédéral.

Il y a des exemples éloquents de gouvernements autochtones de la région qui mettent au point et qui appliquent leurs propres processus d’évaluation, l’objectif étant que ces processus fonctionnent parallèlement ou qu’ils se substituent à ceux qui sont gérés par la Couronne.

Par exemple, la nation des Squamish a mené son propre processus, qui a débouché sur une approbation, relativement au projet de Woodfibre LNG à Howe Sound. Elle avait défini ses propres conditions d’approbation. L’évaluation gouvernementale a été menée conformément à l’entente de substitution, et les approbations fédérale et provinciale subséquentes ont reposé sur l’évaluation des Squamish.

Autre exemple : l’évaluation du projet de mine Ajax de KGHM, près de Kamloops, par la nation des Tk’emlúps te Secwepemc. Là encore, il y a eu une évaluation approfondie assortie d’une audience communautaire de cinq jours, durant laquelle le gouvernement de la Colombie-Britannique a suspendu son propre processus. En l’occurrence, le gouvernement de la nation a rejeté le projet de mine, tout comme les gouvernements fédéral et provincial. Dans les deux cas, les décisions de la Couronne ont reposé sur le processus décisionnel des Autochtones.

L’amendement réclamé relativement à la substitution permettrait de mieux reconnaître cette réalité concrète dans la loi et d’assurer une meilleure protection en présence d’une multiplicité de régimes d’évaluation environnementale. Il devrait par ailleurs s’appliquer à toutes les dispositions du projet de loi qui visent la substitution, c’est-à-dire les articles 33 et 31.

Dans la foulée de l’intervention de M. Phillips, je tiens à dire quelques mots sur l’évolution du paysage législatif de la Colombie-Britannique sur le plan des évaluations environnementales. La nouvelle loi britanno-colombienne a été adoptée, et elle entrera en vigueur cet automne. Fondamentalement, elle vise l’atteinte de consensus avec les nations autochtones dans le domaine de l’évaluation des projets, qu’il s’agisse de déterminer s’il y a lieu de procéder à une évaluation, de définir le déroulement du processus ou de formuler des recommandations sur l’approbation ou le rejet d’un projet. La décision finale des ministres doit expressément tenir compte des objectifs de réconciliation de la loi.

Par ailleurs, bien que la loi britanno-colombienne ne reconnaisse pas pleinement les notions de compétences et de consentement prévues dans la déclaration de l’ONU, elle définit un cadre et un fondement clairs pour y arriver. En particulier, elle ne définit pas le concept de compétence autochtone de façon aussi étriquée que le projet de loi C-69. De plus, elle ne définit pas ce qu’est une nation autochtone, ce qui permet aux nations de décider elles-mêmes du rôle qu’elles entendent jouer dans une évaluation d’impact.

Le deuxième amendement que nous réclamons assurerait un meilleur arrimage entre les régimes fédéral et provincial. En Colombie-Britannique, la substitution et le nouveau cadre légal sont des réalités qui auront des implications concrètes au moment de la mise en œuvre du projet de loi C-69; le comité doit donc examiner la question avec une attention soutenue.

Enfin, sur le plan de la rédaction, les amendements que nous proposons pourraient nécessiter quelques modifications au libellé d’autres dispositions, auquel cas nous serons heureux de fournir des précisions additionnelles, si le comité le juge utile.

Merci beaucoup.

La présidente : Pourriez-vous fournir les précisions à la greffière?

Mme Campbell : Bien sûr.

La présidente : Merci beaucoup.

Le vice-président a cédé son temps de parole au sénateur Neufeld.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie tous de votre présence et de vos présentations informatives.

Je tiens d’abord à interroger Mme Risbud sur l’étape préparatoire. Je connais bien Teck. Normalement, l’entreprise planifie déjà longuement les grands projets qu’elle envisage, que ce soit en Colombie-Britannique ou ailleurs, n’est-ce pas? Il s’agit d’officialiser un échéancier qui, dans les faits, est appliqué d’aussi loin que je me rappelle.

Mark Freberg, directeur, Permis et Planification de la fermeture, Teck Resources Limited : C’est vrai. Selon nous, les activités des promoteurs doivent s’inscrire dans une démarche de gestion exemplaire, ce qui comprend une bonne partie des éléments de l’étape préparatoire. Ce serait toujours la même chose si le projet de loi C-69 était adopté, compte tenu des échéanciers établis.

Le sénateur Neufeld : Le ministre aura le pouvoir discrétionnaire de dire oui ou non à la fin de l’étape préparatoire. Pour ma part, j’ignore s’il est possible d’obtenir toutes les données scientifiques dans ce délai.

Pensez-vous être en mesure d’obtenir en aussi peu de temps toutes les données empiriques requises pour qu’un projet obtienne le feu vert afin d’aller de l’avant avec le reste du processus?

M. Freberg : Je doute en effet que l’étape préparatoire permette d’obtenir toutes les données scientifiques existantes. Le but consiste à mettre au point des lignes directrices pour déterminer ce que doit comprendre la demande soumise à l’étape suivante. C’est important, dans la mesure du possible, de tirer les choses au clair à ce sujet et sur tous les enjeux relevés par les collectivités, les peuples autochtones et les divers organismes gouvernementaux.

Il y a déjà eu des problèmes à ce chapitre. Le promoteur pourrait ainsi préparer une demande qui répond, autant que possible, à tous les enjeux relevés. C’est un changement qui nous apparaît positif. Il convient que l’on s’affaire de façon plus soutenue à recueillir de l’information sur l’éventail complet des enjeux.

Le sénateur Neufeld : Je sais que mon temps de parole achève, mais je vous remercie de vos propositions d’amendement, qui alimenteront judicieusement nos réflexions.

J’ai une question pour M. Phillips. En ce qui concerne la déclaration des Nations Unies, il y a des gens des deux côtés du processus. Je suis convaincu que vous le savez, mais j’aimerais savoir ce qu’est, selon vous, le consentement. On dirait que c’est ce qui suscite le plus de discussions. En quoi consiste au juste le consentement? S’agit-il ou non d’un veto?

J’ai entendu des arguments dans un sens comme dans l’autre de la part de personnes qui connaissent bien la question, mais je n’ai pas de certitude. J’aimerais connaître votre point de vue.

M. Phillips : Je vous remercie de la question, monsieur le sénateur. Je dis souvent à la blague que le travail qu’accomplit le Conseil des leaders des Premières Nations, c’est un peu comme si les conservateurs, les néo-démocrates et les libéraux collaboraient.

Vous connaissez l’histoire derrière tout cela. Lorsque nos trois organismes travaillent de concert en Colombie-Britannique, il s’agit de mettre de l’avant les normes humaines les plus élevées, que les Autochtones ont très à cœur. Quand je pense au consentement préalable donné librement et en connaissance de cause, c’est d’abord la consultation ou l’accommodement qui me vient à l’esprit. Lorsque les entreprises viennent sur nos territoires ancestraux, elles établissent un dialogue avec la Première Nation et les Autochtones qui s’y trouvent. Il s’agit de trouver des solutions grâce au dialogue.

Nous n’avons rien contre le fait de faire des affaires en Colombie-Britannique, mais ce ne doit pas être à tout prix. Les entreprises doivent respecter toutes les normes en place et nouer un dialogue avec les Premières Nations pour tenter d’obtenir leur consentement préalable donné librement et en connaissance de cause.

Sur le plan personnel, c’est pourquoi je dis que ce n’est pas une question de veto. Il ne s’agit pas de faire obstacle à tout prix. Il s’agit d’établir un dialogue et de chercher à obtenir un consentement. J’ignore si Me Campbell veut ajouter quoi que ce soit à ce sujet, mais c’est ainsi que je conçois la question.

La sénatrice Cordy : Je vous remercie beaucoup d’être parmi nous ce matin. C’est très utile pour notre étude.

Madame Risbud, vous avez évoqué la coordination entre les gouvernements provinciaux et fédéral. Le projet de loi C-69 changera-t-il les choses pour le mieux ou pour le pire, ou est-ce que ce sera plutôt du pareil au même?

Mme Risbud : Étant donné l’étape préparatoire, nous pensons que ce sera mieux. Elle laissera plus de temps pour tenir des discussions et, dans l’ensemble, pour faire intervenir le gouvernement fédéral plus tôt qu’auparavant dans le processus.

La sénatrice Cordy : Cette étape de consultation préalable ou préparatoire facilitera-t-elle la mise au point et la soumission d’une proposition? En apprendrez-vous davantage grâce à l’étape préparatoire?

Mme Risbud : Nous le pensons, oui. Comme je l’ai fait remarquer, le fait de tenir les discussions et d’harmoniser le tout dès le début du processus devrait permettre d’adapter les lignes directrices en matière d’évaluation environnementale de façon à simplifier les processus des deux ordres de gouvernement, surtout ici, en Colombie-Britannique, puisque le processus d’évaluation environnementale ressemble beaucoup à ce que propose le projet de loi C-69.

La sénatrice Cordy : Nous prenons acte de vos réserves à l’égard de la réglementation, qui n’arrivera qu’après l’adoption du projet de loi. J’ai trouvé vos observations judicieuses au sujet des besoins.

Le sénateur Patterson : Pas nécessairement.

La sénatrice Cordy : Pas nécessairement, mais depuis que je suis au Sénat — cela fait 18 ans —, la réglementation arrive après l’adoption du projet de loi. Je sais qu’il peut falloir repousser la mise en œuvre s’il y a des modifications. C’était un point pertinent.

Monsieur Phillips, merci beaucoup d’avoir expliqué pourquoi le projet de loi convient aux groupes que vous représentez. J’aimerais obtenir un peu plus d’information sur les répercussions de la substitution de processus d’évaluation d’impact. Je ne me rappelle plus trop qui en a parlé; c’était soit vous, soit Me Campbell. Quoi qu’il en soit, jusqu’à présent, 14 projets approuvés ont été traités par substitution. Pourriez-vous me fournir quelques explications à ce sujet pour m’aider à mieux comprendre?

M. Phillips : Je n’ai encore jamais fait de présentation nécessitant probablement une demi-heure en seulement 10 minutes. À titre d’information, je l’ai faite en quatrième vitesse. D’habitude, j’essaie de regarder mon auditoire dans les yeux. Cependant, en ce qui concerne la substitution de processus d’évaluation environnementale, je m’en remettrai, si vous n’y voyez pas d’objection, à Karen Campbell, qui est l’experte en la matière.

La sénatrice Cordy : Parfait.

Mme Campbell : Oui, l’accord de substitution qui est en vigueur lie les gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada. Nous estimons que tout accord de substitution doit être renégocié sur une base tripartite afin de reconnaître les évaluations dirigées par les Autochtones.

L’accord de substitution est un protocole d’entente d’ordre administratif entre les deux gouvernements. Je répète que c’est le reflet de la réalité, puisqu’au moins 14 projets déjà ont été approuvés ainsi.

La nation des Squamish a procédé elle-même à l’évaluation du projet de Woodfibre à Howe Sound. Les décisions de la nation des Squamish ont également été prises en considération dans le cadre du processus de substitution.

D’une certaine façon, une approche de gouvernance tripartite se dégage en Colombie-Britannique à l’égard des évaluations d’impact. Nous faisons valoir que la loi doit refléter la réalité. Voilà pourquoi nous réclamons des amendements qui inscriront dans la loi ce qui se fait déjà en pratique.

La sénatrice Simons : Je remercie les témoins de leurs excellentes présentations ce matin.

J’ai d’abord une question pour M. Phillips et Me Campbell. Je comprends pourquoi un modèle tel que celui que vous proposez conviendrait pour une mine ou une usine de panneaux de fibres, mais qu’en serait-il d’un projet linéaire qui traverserait divers territoires autochtones?

Comment diable s’y prendrait-on pour faire approuver un pipeline ou une ligne de transport d’électricité, des projets qui ne concernent pas qu’un seul endroit? Comment le système fonctionnerait-il?

Mme Campbell : J’admets que l’approche qui devra être adoptée pour cela n’est pas aussi simple que lorsqu’il est question d’une mine sur un seul territoire autochtone. La meilleure recommandation que je puisse formuler est que l’on s’attendrait à ce que les nations se mobilisent et parviennent à un processus de gouvernance.

À bien des égards, cela se produit fréquemment. Les nations collaborent fréquemment à l’égard de territoires partagés et dans certains cas où l’on craint un chevauchement. Cela se produit fréquemment, mais, à ce que je sache, ça ne s’est pas produit à l’égard de grands projets de pipeline. Je crois que ces projets font classe à part. Ils seront également traités séparément en application du projet de loi C-69, car les grands projets linéaires seront également assujettis à la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie.

En ce qui a trait plus précisément aux dispositions relatives à l’évaluation d’impact, il y a certainement du travail à faire. Nous sommes ici pour dire que c’est la nouvelle réalité. C’est la nouvelle orientation.

La sénatrice Simons : La reconnaissance juridique des Premières Nations à titre d’instance aurait-elle des implications outre le cadre du projet de loi C-69? Y aurait-il un effet domino qui se répercuterait sur d’autres sources législatives?

Je sais que certaines Premières Nations avec qui j’ai fait affaire en Alberta n’aiment pas l’idée qu’on les considère sur un pied d’égalité avec les municipalités. Quelle serait l’incidence de la définition légale d’instance sur la définition légale de Première Nation?

Mme Campbell : Les Premières Nations estiment qu’elles ne sont pas des parties intéressées. Les municipalités sont des créatures de la loi. Elles ont les droits qui leur sont conférés par la loi. Les Premières Nations ont des droits inhérents et une gouvernance inhérente. Voilà ce que fait réellement la déclaration des Nations Unies. Dans les faits, le projet de loi C-69 reconnaît déjà les instances autochtones.

La sénatrice Simons : En effet.

Mme Campbell : Il dit qu’une nation autochtone est une instance. Or, il est évident que l’on est une instance que si l’on a une entente de cogestion, une entente sur des titres fonciers ou une entente avec le ministre qui permet à ce dernier de vous reconnaître comme une instance.

Selon nous, cela n’est pas adéquat. Il faut reconnaître la compétence inhérente des Premières Nations de décider elles-mêmes du rôle que leur gouvernement souhaite jouer dans l’évaluation d’impact. Fait intéressant, cela correspond exactement à ce que fait la nouvelle loi de la Colombie-Britannique. Elle ne définit pas la nation autochtone ni n’en limite la description. Elle la laisse non définie, ce qui est un moyen beaucoup plus équitable pour les nations de prendre ces décisions elles-mêmes, en plus de respecter davantage la déclaration des Nations Unies.

Nous aimerions que le projet de loi reconnaisse les nations autochtones à titre d’instance aux fins de l’évaluation environnementale ou de l’évaluation d’impact. Cela se limiterait à l’application de ce projet de loi. Il ne s’agit pas encore d’un principe constitutionnel, mais ce le deviendra avec le temps.

La sénatrice Simons : D’accord.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse aux gens de Teck. Je regardais votre rapport sur la chute des investissements au Canada. Sur le rang que le Canada est au niveau du temps pour obtenir un permis, versus les autres. Quelles sont les causes spécifiques qui sont dues? Qu’est-ce que le Canada ne fait pas, que les autres pays font ? Ou l’inverse. Qu’est-ce que les autres pays ne font pas, que le Canada fait, qui occasionne une si grande disparité? Je vais comparer avec l’Australie. Parce que l’Australie nous ressemble beaucoup quand même, comme système, comme système de droit, comme système de pays développé. Qu’est-ce qui fait que c’est si rapide en Australie et si lent au Canada?

Mme Risbud : Merci. Je vais demander à mon collègue Mark de répondre spécifiquement à la question qui concerne l’Australie. Pour ce qui est du Canada, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte dans nos processus d’évaluation environnementale, dont le temps que ça prend avant qu’un projet soit approuvé. Mon collègue Mark a travaillé au Chili en évaluation environnementale et je crois qu’il a un peu d’expérience avec le système australien. Je vais donc lui demander de répondre à la question.

[Traduction]

M. Freberg : En fait, je n’ai pas beaucoup d’expérience avec le système australien, alors je ne saurais répondre entièrement à la question. Le délai nécessaire pour l’évaluation d’impact dépend de la complexité du projet et de la complexité du milieu dans lequel le projet sera mis à exécution. Certaines régions de l’Australie ou du Chili ont un environnement que je ne qualifierais pas de simple, mais qui ne présente pas les mêmes défis relatifs à l’eau du fait qu’il est désertique.

Une grande partie de l’impact environnemental des projets au Canada relève du fait que nous avons beaucoup d’eau. Il faut donc gérer la qualité de l’eau et éviter les impacts inacceptables sur la qualité de l’eau. C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles les évaluations prennent plus de temps. Cela dit, je ne connais pas suffisamment le système australien pour vous donner une réponse complète. Je suis navré.

[Français]

Le sénateur Carignan : Puisque vous avez travaillé au Chili, quels sont les aspects du cadre légal qui font qu’au Chili c’est plus rapide qu’au Canada? J’imagine qu’au Chili c’est plus rapide. Vous avez des investissements au Chili. Vous avez des investissements au Pérou. Vous connaissez bien ces processus. Quels sont les délais pour obtenir un permis au Chili et au Pérou et quels sont les éléments distinctifs autres qui viennent du cadre légal?

[Traduction]

M. Freberg : Au Chili, le système est très semblable à celui du Canada au chapitre de ce qui doit être étudié. Je ne crois pas que l’on puisse dire que les évaluations y sont toujours plus rapides. Le Chili commence à peine à comprendre les Autochtones et à collaborer avec eux. Je dis à peine comparativement au Canada. Il en est probablement au point où le Canada en était il y a 20 ans. Il doit régler de nombreux problèmes légitimes, si bien que le processus d’évaluation des projets au Chili peut prendre beaucoup de temps. C’est un processus très normatif, pratiquement à l’extrême, et le gouvernement est en voie de réviser certaines des lois parce qu’il reconnaît être allé trop loin.

Le processus péruvien est moins intense, mais tout de même rigoureux. Les exigences pour ce qui doit être soumis y sont probablement moins détaillées qu’au Chili ou au Canada, mais il n’en demeure pas moins que tous les éléments sont là. Dans l’ensemble, je ne dirais pas que c’est généralement plus rapide au Chili qu’au Canada.

[Français]

Le sénateur Carignan : Vous êtes une compagnie publique. Vous êtes une compagnie responsable. Votre site web énonce vos politiques de respect de l’environnement et de la consultation. Vous semblez être très proactif. Donc, je présume que vos projets au Chili et au Pérou ne sont pas moins respectueux de l’environnement et du droit des gens qu’au Canada. Quel est le délai pour obtenir un permis au Pérou et au Chili tout en appliquant ces mêmes principes de respect pour l’environnement et pour la consultation des groupes?

[Traduction]

M. Freberg : Vous avez tout à fait raison. Notre approche quant à la façon d’évaluer et de planifier un projet est la même partout dans le monde. Dans les pays aux normes inférieures à celles du Chili, du Pérou, voire du Canada, nous appliquons la même approche. Quand on pense à des aspects tels que la fermeture, nous étudions les projets dans la même optique, peu importe où ils sont situés dans le monde. Notre volonté et notre engagement en matière de collaboration avec les collectivités et les Autochtones sont les mêmes, quel que soit l’endroit.

Comme je l’ai dit, je ne crois pas que le processus soit bien plus rapide au Chili. Au Pérou, il arrive que l’obtention des permis soit plus rapide, mais cela ne veut pas nécessairement dire que tous les problèmes relatifs au projet sont réglés et que celui-ci peut être mis à exécution. La mine Las Bambas fait les manchettes ces temps-ci. Cela fait environ quatre mois qu’elle fait l’objet d’un blocus organisé par la population. Elle est récemment parvenue à une entente pour que tous ses employés puissent retourner au travail. Sa production est interrompue depuis longtemps. Nous connaissons bien cette mine. Nous nous attendions à ce qu’elle connaisse de tels problèmes, car les conflits éventuels n’avaient pas été suffisamment bien réglés à l’avance.

Le sénateur Patterson : Je vais tenter de poser trois questions. Je vais donc procéder rapidement et je vous serais reconnaissant d’être brefs dans vos réponses.

La première question s’adresse à Teck. Vous avez dit craindre que le spectre de réglementation soit élaboré sans consultation ou, pis encore, que les règlements et les lignes directrices soient élaborés en vitesse avant la fin de la législature. Est-ce que des indications vous ont été données dans le cadre de vos échanges avec le gouvernement du Canada qui vous permettent de croire cela?

Mme Risbud : Le gouvernement mène des consultations qui informeront la future réglementation et nous participons à ces consultations. Nous craignons toutefois qu’il n’y ait pas suffisamment de temps pour mener des consultations à l’égard des règlements une fois qu’ils seront pris. Nous voulons nous assurer qu’il y aura suffisamment de temps pour consulter de nouveau les gens qui ont donné leur opinion.

Le sénateur Patterson : Ma deuxième question s’adresse au First Nations Energy and Mining Council. Je n’ai pas eu la chance de regarder vos propositions d’amendement concernant la substitution, mais j’aimerais poser une question à propos de ce qui se trouve dans le projet de loi en ce moment.

Comme vous le savez, un comité sera formé pour examiner les projets qui figurent sur la liste. Celui-ci devra obligatoirement compter un membre des Premières Nations, un Inuit et un Métis. Vous avez parlé du bien-fondé des évaluations dirigées par les Autochtones. Vous aimeriez que nous parvenions à ce point. Je comprends cela. Toutefois, qualifieriez-vous de purement symbolique le libellé actuel qui prévoit qu’un seul membre de votre organisation des Premières Nations fera partie du comité?

Il me reste une autre brève question.

Mme Campbell : Je crois que vous voulez parler du comité consultatif autochtone. Il y a le comité consultatif du ministre, qui comptera des représentants autochtones. Il y a le comité consultatif autochtone, qui compte également des représentants autochtones distinctifs. Puis il y a une commission lorsque l’évaluation d’impact s’effectue. L’une des choses qui nous préoccupent et que nous n’avons pas mentionnées au comité est que la loi n’exige pas de représentant autochtone au sein de la commission lorsque l’évaluation d’impact s’effectue. C’est une préoccupation de longue date à laquelle nous souhaiterions que l’on remédie à un moment donné.

En ce qui a trait au comité consultatif autochtone, j’ignore combien de membres il comptera. Je sais qu’on y travaille. Il faudrait regarder la composition dans son ensemble, mais nous espérons certainement qu’il comptera une vaste représentation du spectre des intérêts et des gouvernements autochtones.

La présidente : Dernière question.

Le sénateur Patterson : Ma dernière question s’adresse à M. Phillips.

Vous nous avez dit que le principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause doit mener à un nouveau processus de prise de décisions où l’on cherche à obtenir le consentement des Premières Nations. Je comprends cela et trouve que c’est une excellente idée. Toutefois, ma question porte sur ce que nous n’avons pas entendu. Qu’arrive-t-il si, malgré tous les bons efforts déployés, ce consentement n’est pas obtenu? Étant donné la signification du mot « consentement », est-ce que cela veut dire que le projet ne serait pas mis à exécution?

M. Phillips : Oui. C’est une question très théorique. Je sais que, dans toutes les ententes conclues avec les Premières Nations, qu’il s’agisse de traités, d’accords ou d’autres ententes constructives, c’est un moyen de collaborer avec le Canada et la Colombie-Britannique.

En ce qui concerne les affaires au sein de nos terres ancestrales, c’est très important. J’ai parlé de manière très générale d’un dialogue. Il doit y avoir des discussions très détaillées à l’égard du projet. Or, ce n’est pas du tout ce que nous avons vu dans le passé. Par exemple, il y avait une mine dans ma région il y a de nombreuses années. On y a extrait des tonnes de ressources, et c’est à peine si Canim Lake a eu son mot à dire. Ça, c’est dans le passé. Aujourd’hui, dans le contexte de la déclaration des Nations Unies et du principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, il doit y avoir un dialogue, une discussion, un processus qui examinent le détail pour déterminer si cela peut fonctionner.

Personnellement, j’estime que le principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause signifie qu’il est nécessaire d’essayer toutes les solutions possibles pour parvenir à une entente entre la société et les Autochtones de la région. C’est une question très théorique, mais il y aurait de nombreuses solutions, quelle que soit la région.

Le sénateur Woo : Merci, mesdames et messieurs les témoins. J’aimerais d’abord m’adresser aux dirigeants des Premières Nations.

J’essaie de comprendre en quoi votre proposition d’amendement concernant la substitution diffère de ce que nous avons présentement. Si je comprends bien, la substitution est permise, si le ministre y consent, bien entendu, et il y a une obligation de consulter.

Je mets de côté la question de l’organisation au pouvoir. Je comprends le problème. Si le temps le permet, je poserai une question à ce sujet également. En présumant que nous avons la définition que vous souhaitez pour instance autochtone, en quoi votre proposition d’amendement changerait-elle la façon dont on envisage actuellement la substitution? La rendrait-elle obligatoire?

Mme Campbell : Oui, elle la rendrait obligatoire.

Le sénateur Woo : Obligatoire. D’accord.

Mme Campbell : Lorsqu’une nation s’en prévaut, le ministre l’autorisera.

Le sénateur Woo : D’accord.

Mme Campbell : Le ministre ne pourra pas y réfléchir, puis refuser la substitution.

Le sénateur Woo : Aucune consultation du public, contrairement à ce qui est prévu par le projet de loi à l’heure actuelle.

Mme Campbell : Je ne crois pas que les dispositions de substitution nécessitent une consultation du public de la même manière. Ce que nous recommandons précisément, c’est que si une instance autochtone demande à effectuer une évaluation...

Le sénateur Woo : Sa demande doit être approuvée.

Mme Campbell : ... elle doit pouvoir le faire. Il y a des conditions à satisfaire, prévues aux articles 67 et 33.

Le sénateur Woo : Oui. J’ai une deuxième question. Je présume que vous souhaitez cela pourvu que l’on modifie la définition. C’est un genre de condition préalable. SI vous avez une organisation au pouvoir, plutôt que la définition, plus étroite, d’organisation responsable de la cogestion d’un traité, par exemple, qu’advient-il s’il y a un différend parmi les Premières Nations à savoir quelle est, en fait, l’organisation au pouvoir? Comme nous le savons, cela se produit parfois.

Je sais que la loi de la Colombie-Britannique prévoit un mécanisme de règlement des différends qui aide à régler ce problème. Nous n’avons pas cela dans la loi fédérale. Vous ne proposez pas de mécanisme de règlement des différends. Si nous empruntons cette voie, cela ne risque-t-il pas de retarder le processus d’évaluation d’impact et de causer un manque de clarté? Comprenez-vous ma question?

Mme Campbell : Oui.

Comme l’a dit M. Phillips, à certains égards, c’est théorique. Toutefois, à d’autres égards, ce ne l’est pas. Nous estimons que les dispositions de consultation précoce qui seront en place devraient aider à faire cela. La consultation précoce est conçue pour éviter les différends, pour faire en sorte que les collectivités comprennent la nature du projet et pour permettre au promoteur d’adapter son projet afin qu’il corresponde aux besoins et aux valeurs de la collectivité, y compris ceux des Autochtones.

Lorsqu’il y a plus d’une nation, il y a, encore là, des moyens de faire cela. L’agence est en train d’élaborer des lignes directrices. En fait, les nations de la Colombie-Britannique assistent déjà à des forums que l’agence offre pour parler de l’élaboration de ces lignes directrices et de moyens de mettre en œuvre la loi en partenariat et en collaboration réelle avec les nations. Je le répète, les nations collaborent dans les collectivités. En pratique, elles travaillent ensemble. Il y a des moyens de faire cela ensemble.

Le fait que le processus de la Colombie-Britannique prévoit également un mécanisme de règlement des différends signifie qu’il y aura, en parallèle, des nations qui travaillent à résoudre ces problèmes à l’échelle de la province.

En pratique, vous constaterez que, lorsque la loi sera mise en œuvre, les nations régleront ces problèmes en Colombie-Britannique. Elles le feront au moyen du processus de règlement des différends prévu dans la loi de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Woo : Ma prochaine question s’adresse aux représentants de Teck. Merci d’être ici.

Simplement pour clarifier, Teck est non seulement une société minière, mais aussi une société pétrolière et gazière en raison de ses actifs dans les sables bitumineux. Pourriez-vous nommer certains des principaux aspects où vous estimez que l’industrie et les parties intéressées ont besoin de plus de clarté par rapport à la réglementation et à l’orientation stratégique? Est-ce que ces discussions sont déjà en cours?

Mme Risbud : Merci, sénateur Woo. Oui. Comme je l’ai mentionné, le gouvernement consulte sur des aspects qui informeront les futurs règlements. Cela comprend la gestion des échéanciers. Nous avons eu des discussions au sujet de l’étape de planification préliminaire et à quoi cela pourrait ressembler. Nous estimons qu’il faut davantage de discussions concrètes à l’égard de ces aspects.

Nous avons soulevé la question de l’application de la déclaration sur les droits des peuples autochtones dans le cadre du processus d’évaluation d’impact. Le gouvernement a mis trois ans à consulter à l’égard de ce processus et maintenant, nous en sommes à l’étape de la réglementation ou presque. Lorsque les règlements seront prêts, nous voulons avoir l’occasion de les examiner de nouveau, car c’est à ce moment-là que les détails prendront forme et que le besoin de clarification se fera sentir.

Le sénateur Woo : Y a-t-il d’autres questions que vous souhaiteriez ajouter à la liste? Qu’en est-il de la gestion des échéanciers?

La présidente : Je suis désolée, sénateur Woo.

Le sénateur Woo : Merci.

La présidente : Il reste deux dernières questions, de la sénatrice Duncan et du sénateur MacDonald.

La sénatrice Duncan : Je remercie les témoins de leur présentation.

Ma question s’adresse à Mme Campbell. Madame, j’aimerais vous inviter à soumettre votre réponse par écrit, puisque ce sera peut-être un peu plus facile ainsi. J’aimerais obtenir une clarification. Vous avez parlé de la participation des Autochtones. Si je vous ai bien comprise, le renvoi comprend les Premières Nations qui ont conclu un accord et celles qui n’en ont pas. Je me demande donc quel est le processus prévu dans la loi de la Colombie-Britannique pour une participation englobant tous les Autochtones.

Si je demande cela, c’est parce que, au Yukon, 11 des 14 Premières Nations ont une entente sur une revendication territoriale globale, mais les autres n’en ont pas. J’aimerais savoir comment la loi de la Colombie-Britannique, qui mobilise toutes les Premières Nations, fonctionnerait. Comment gérerait-elle les évaluations environnementales et le reste pour ceux qui n’ont pas d’entente sur une revendication territoriale?

Mme Campbell : Je vais répondre brièvement de vive voix, puis je préparerai une réponse écrite. Je vous remercie de m’en donner l’occasion.

La réponse bien simple est que la loi de la Colombie-Britannique renvoie aux nations autochtones et ne les définit pas. En un sens, elle laisse place à l’autodétermination. La loi prévoit des mécanismes pour gérer ce qui pourrait ne pas fonctionner parfaitement. Ces mécanismes sont également en cours d’élaboration. Il y a également une structure en place qui encourage les nations à travailler ensemble, puis à collaborer avec les gouvernements provincial et fédéral.

La présidente : Il vous reste une minute.

La sénatrice Duncan : Cela comprend également les questions transfrontalières et le règlement des différends.

Mme Campbell : La loi de la Colombie-Britannique s’applique à la Colombie-Britannique. Or, le territoire ancestral de certaines nations s’étend des deux côtés de la frontière qui sépare la Colombie-Britannique et le Yukon. Je vais réfléchir à cela.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur MacDonald : Je vais terminer par quelques questions pour Teck Resources.

Je crois comprendre que vous travaillez dans les sables bitumineux et que vous êtes membre de l’Association canadienne des producteurs pétroliers. Un grand nombre des entreprises qui travaillent dans les sables bitumineux s’opposent vigoureusement au projet de loi C-69. Selon ce que nous a dit l’association, environ 41 milliards de dollars ont été investis l’an dernier, soit à peu près la moitié moins qu’il y a quatre ans. Alors que la demande mondiale de pétrole et de gaz augmente de façon spectaculaire, il ne se passe rien au Canada.

L’association a également dit au comité que, dans son libellé actuel, le projet de loi C-69 est plus complexe que le précédent. Il ne clarifie pas les choses pour les gens qui veulent proposer de bons projets. Il comporte plusieurs faiblesses juridiques. D’après ce que nous avons vu par le passé, ces faiblesses juridiques pourraient être exploitées par ceux qui veulent perturber l’économie canadienne et empêcher la réalisation de projets au Canada.

Vous êtes membre de l’Association canadienne des producteurs pétroliers. Êtes-vous de cet avis?

Mme Risbud : Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, notre expérience et notre évaluation du projet de loi C-69 reposent sur notre connaissance et nos expériences du processus actuel aux termes de la LCEE de 2012. Je ne peux pas parler des expériences d’autres entreprises membres de l’association, mais la conclusion de notre évaluation diffère de celle de certaines d’entre elles.

Le sénateur MacDonald : Oui, mais je ne vous demande pas votre avis sur la loi précédente. Je vous demande votre opinion sur les possibilités qu’offre ce projet de loi sur le plan juridique pour empêcher la réalisation de projets. On a beaucoup parlé des délais plus courts pour la prise de certaines décisions. Si les gens ont la possibilité de mener des litiges interminables, ces délais n’ont pas d’importance. Avez-vous examiné l’incidence de ce facteur?

Mme Risbud : Selon nous, le projet de loi C-69 inscrit des pratiques exemplaires en matière d’évaluation environnementale dans la loi et ces pratiques exemplaires devraient en réalité réduire le nombre de contestations judiciaires.

Le sénateur MacDonald : Très bien.

La présidente : Merci beaucoup à tous de vos témoignages.

Nous accueillons à présent un représentant de l’Independent Contractors and Businesses Association of British Columbia, Tim McEwan, vice-président principal, et deux représentants de la Chambre de commerce de la Colombie-Britannique, Val Litwin, président et chef de la direction, ainsi que Dan Baxter, directeur, Élaboration des politiques et relations gouvernementales et avec les intervenants.

Vous avez cinq minutes chacun pour votre déclaration préliminaire, qui sera suivie d’une période de questions. Vous avez la parole.

Val Litwin, président et chef de la direction, Chambre de commerce de la Colombie-Britannique : La Chambre de commerce de la Colombie-Britannique est l’association d’entreprises la plus diversifiée et la plus vaste de la province. Ses membres, plus de 36 000 entreprises, proviennent de tous les secteurs et tous les coins de la province. Nous allons dans le même sens que notre organisme national, la Chambre de commerce du Canada, en proposant officiellement six amendements et des recommandations connexes pour le projet de loi C-69.

Le secteur des ressources demeure un moteur économique crucial au Canada. Il contribue à la création d’emplois et à la prospérité économique, non seulement pour les travailleurs du secteur, mais aussi pour des millions de Canadiens partout au pays. La Chambre de commerce de la Colombie-Britannique a de sérieuses réserves à l’égard de la version actuelle du projet de loi C-69, qui, tout comme la LCEE de 2012, comporte des lacunes qui désavantageraient gravement certains secteurs en particulier. Si on ne remédie pas à ces problèmes, la mesure législative proposée viendra accroître l’incertitude liée à la réglementation pour un grand nombre de secteurs des ressources et d’industries connexes au Canada. Cette incertitude minera l’investissement, la croissance économique et la création d’emplois.

Bien que l’économie de la Colombie-Britannique compte plusieurs secteurs, dont la haute technologie et le tourisme, il reste qu’elle est d’abord fondée sur les ressources. La prospérité qui est la nôtre repose sur notre capacité d’extraire nos ressources et d’en faire le commerce dans le monde entier. En Colombie-Britannique, le secteur des ressources naturelles représente 11 p. 100 du PIB provincial et plus de 100 000 emplois directs. L’économie fondée sur les ressources ne s’arrête pas aux collectivités rurales situées à proximité des mines, des puits de gaz, des forêts et de la mer, d’où proviennent ces ressources.

Aujourd’hui, on estime que 56 p. 100 de tous les emplois liés aux ressources de la province se trouvent dans la vallée du bas Fraser. Cela illustre bien la relation symbiotique qui existe entre les collectivités urbaines et rurales de la Colombie-Britannique en ce qui concerne le secteur des ressources naturelles.

La province a de la difficulté à vendre ses ressources sur les marchés étrangers parce que, d’une part, sa capacité d’acheminer les ressources aux marchés est limitée et, d’autre part, il lui est impossible d’extraire ces ressources. Il n’a pas été possible récemment au Canada de faire approuver des projets dans le secteur des ressources de manière clairement définie, rapide et faisable sur le plan économique. Tenter d’appliquer une solution législative passe-partout à un éventail de projets diversifiés est voué à l’échec. Pour atteindre son objectif, le projet de loi C-69 doit prévoir suffisamment de souplesse pour que les circonstances particulières de tous les projets d’infrastructure et d’exploitation des ressources puissent être prises en compte.

Nous proposons six amendements qui permettraient d’apporter une souplesse accrue et des éclaircissements.

Le premier porte sur le pouvoir discrétionnaire du ministre. Nous estimons que ce pouvoir devrait être étendu à d’autres ministres, soit le ministre des Ressources naturelles et un ministre responsable d’un portefeuille économique, pour élargir le pouvoir décisionnel. Qui plus est, les retombées économiques d’un projet donné doivent aussi être prises en compte, une pratique adoptée par d’autres pays du G7.

Le deuxième touche la participation du public. Le projet de loi C-69 doit prévoir un mécanisme permettant de définir la nature et la portée de la participation du public.

Le troisième amendement prévoit un filet de sécurité fédéral. Les communautés et les entreprises autochtones seraient indemnisées dans les cas où un projet ne peut être réalisé à cause d’erreurs commises par le gouvernement dans le cadre de son évaluation ou relativement à son devoir de consulter, ou les deux.

Le quatrième porte sur l’éclaircissement des nouveaux critères. Les critères d’évaluation des projets devraient être définis de manière à ce que le processus soit axé sur la consultation, transparent et fonctionnel et ne pas simplement servir de moyen pour faire obstruction aux projets.

Le cinquième amendement vise l’éclaircissement de la liste de projets. En plus d’une liste précise des projets qui seront exemptés d’une évaluation, il devrait être indiqué clairement quels projets doivent faire l’objet d’une évaluation.

Le sixième vise le dépôt du règlement pendant l’étude du projet de loi C-69 au Parlement. À notre avis, le règlement proposé pour remédier aux lacunes de la mesure législative doit être présenté au milieu des affaires et à d’autres parties prenantes pendant l’étude du projet de loi.

La Chambre de commerce de la Colombie-Britannique remercie le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles de lui avoir donné cette occasion de présenter son point de vue. Si vous souhaitez obtenir des détails sur l’une ou l’autre des questions abordées dans cette présentation, nous vous les fournirons avec plaisir. Merci.

Tim McEwan, vice-président principal, Independent Contractors and Businesses Association of British Columbia : En guise de contexte, l’Independent Contractors and Businesses Association est la principale association professionnelle du secteur de la construction en Colombie-Britannique. Elle existe depuis 43 ans. Nous représentons plus de 2 100 membres et clients qui emploient collectivement plus de 50 000 travailleurs dans la province. Notre association défend ses membres pour assurer la vitalité du secteur de la construction, le développement responsable des ressources et la croissance de l’économie pour le compte de tous les Britanno-Colombiens.

Le projet de loi C-69, s’il est adopté dans son libellé actuel, va modifier considérablement le cadre stratégique de l’évaluation de nombreux projets canadiens liés aux ressources naturelles, à l’énergie et à l’infrastructure. Lorsqu’elle sera appliquée, la mesure législative déterminera si les grands projets pourront progresser en temps opportun, ce qui aura d’importantes conséquences sur les moyens de subsistance des collectivités et des nations autochtones dans tout le pays.

Le travail et les possibilités d’emploi dans l’industrie de la construction découlent souvent de projets catalyseurs de croissance à grande échelle qui génèrent une activité qui se répercute sur l’ensemble de l’économie. Chaque jour, 250 000 Britanno-Colombiens se réveillent, posent un casque protecteur sur leur tête et bâtissent littéralement notre province et notre pays.

Depuis une décennie, l’ICBA s’inquiète de plus en plus de voir que les promoteurs n’arrivent pas à faire autoriser et approuver en temps opportun des grands projets liés aux ressources, à l’énergie et à l’infrastructure. Le processus réglementaire de notre pays n’a cessé de se complexifier, ce qui a entraîné la perte d’investissements au Canada et la perte de talents, de possibilités et de milliers d’emplois bien rémunérés permettant de subvenir aux besoins des familles.

Un récent examen de la compétitivité mondiale effectué par le Forum économique mondial a révélé que, bien que le Canada se classe au 12e rang en ce qui concerne la compétitivité parmi les 140 pays examinés, il occupe le 53e rang en ce qui a trait au fardeau réglementaire. En conséquence, depuis 2014, les investissements directs étrangers qui sortent du pays sont nettement supérieurs à ceux qui y entrent. Quand on pense aux difficultés liées au développement de grands projets au cours des dernières années, on pense à la complexité du processus d’approbation de la construction de grandes infrastructures linéaires au Canada, en particulier les projets de pipelines dans le secteur de l’énergie.

Au lieu de régler ces problèmes, à notre avis, le projet de loi C-69 complique essentiellement le tout et pourrait aggraver l’impasse réglementaire que nous connaissons. Comme nous l’avons déclaré dans les observations que nous avons adressées au Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes l’an dernier, le projet de loi C-69 comprend des politiques qui semblent tenir pour acquis l’investissement de capitaux par des entreprises canadiennes et internationales, comme si leurs ressources financières étaient illimitées, que leur patience concernant les organismes de réglementation du pays était infinie et qu’elles n’avaient d’autre choix que d’investir au Canada. Comme je l’ai mentionné, depuis 2014, le Canada perd plus d’investissements qu’il n’en attire. Cette situation est en grande partie attribuable aux problèmes que nous éprouvons dans le secteur de l’énergie.

Nous encourageons les membres du comité permanent à en tenir compte lorsqu’ils se pencheront sur certaines des principales lacunes du projet de loi qui ont été relevées par d’autres associations de l’industrie et sont également mentionnées dans notre mémoire. Nous vous suggérons respectueusement de penser aux conséquences qu’ont eues les lacunes des mesures législatives antérieures pour les Canadiens.

De concert avec de nombreuses autres associations qui ont communiqué avec vous ou le feront, l’ICBA cherche des solutions pratiques aux problèmes que pose le projet de loi C-69. Nous souhaitons d’ailleurs nous associer aux mémoires de l’Association canadienne de pipelines d’énergie et de l’Association canadienne des producteurs pétroliers.

Dans notre mémoire, nous décrivons sept lacunes fondamentales du projet de loi C-69. Je n’entrerai pas dans les détails de chacune pour des raisons de temps, mais je vais vous décrire les trois qui sont, pour ainsi dire, les plus fondamentales.

La première touche les facteurs évalués. Le projet de loi C-69 ne mentionne pas explicitement les effets économiques d’un projet comme considération expresse. Les considérations économiques devraient être ajoutées aux articles 22 et 63 du projet de loi en définissant le terme « durabilité » de manière à inclure explicitement les considérations environnementales, sanitaires, sociales et économiques. Nous pensons en outre que l’article 22 devrait être simplifié pour réduire l’ensemble de facteurs qui doivent être pris en compte dans une évaluation d’impact.

La deuxième lacune fondamentale sur laquelle j’aimerais m’arrêter touche la participation du public et le risque de politisation du processus. L’absence d’un critère permanent dans le projet de loi C-69 ouvre le processus d’évaluation d’impact à des causes et à des préoccupations qui ne tiennent pas vraiment compte des mérites d’un projet donné. À notre avis, la participation du public devrait être limitée aux parties intéressées qui peuvent parler en connaissance de cause des mérites environnementaux, scientifiques et techniques d’un projet donné ou aux intervenants locaux qui sont directement touchés. En l’absence d’un critère permanent, le processus d’évaluation d’impact sera truffé de considérations politiques de groupes d’intérêt au lieu d’être une évaluation claire des mérites du projet et des impacts locaux.

Le troisième point concerne le pouvoir discrétionnaire du ministre. Dans l’ensemble du projet de loi C-69, il y a un certain nombre d’endroits où le ministre de l’Environnement a un pouvoir discrétionnaire sur le processus d’évaluation d’impact. Inévitablement, il se produira un exercice accru du pouvoir discrétionnaire du ministre et du Cabinet à mesure que les groupes d’intérêts mettront leurs considérations politiques, et ce, dans une large mesure, à cause de l’absence d’un critère permanent. Il est extrêmement important que la Loi sur l’évaluation d’impact limite le pouvoir discrétionnaire du ministre et du Cabinet et que le processus soit régi par un processus de réglementation quasi judiciaire, indépendant et équitable sur le plan procédural. Nous nous demandons également si le ministre de l’Environnement est l’arbitre final approprié pour l’approbation des grands projets. À cet égard, nous posons simplement la question suivante : pourquoi le ministre des Ressources naturelles ou un autre ministre responsable d’un portefeuille économique compétent ne participe-t-il pas au processus décisionnel final?

Sur ce, nous remercions le comité de nous avoir permis de témoigner aujourd’hui. Pour conclure, j’aimerais souligner que le Canada est fondamentalement une petite économie de marché ouverte et dépendante du commerce. Cela signifie que les choix de politique publique du gouvernement sont très importants. Nous exhortons le comité sénatorial à adopter la totalité des amendements proposés par l’Association canadienne des pipelines et l’Association canadienne des producteurs pétroliers afin de faire en sorte que le projet de loi soit viable. Je vais répondre à vos questions avec plaisir.

Le sénateur Neufeld : Merci, messieurs, de votre présence et de l’information que vous nous avez fournie.

Ma question s’adresse à la Chambre de commerce de la Colombie-Britannique. Je sais que vous représentez toutes les chambres de commerce de la province. Je sais également que la Colombie-Britannique vient de modifier son processus d’évaluation environnementale dans le sens du projet de loi C-69. Pensez-vous que cela va avoir l’effet d’un double coup dur en Colombie-Britannique, que la province va avoir de la difficulté à faire approuver des projets et que le Canada aura du mal à faire approuver les projets qui relèvent de lui? Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le sujet?

M. Litwin : Je vous remercie de votre question, sénateur. Si vous me le permettez, je vais laisser notre directeur de l’Élaboration des politiques, Dan Baxter, y répondre.

Dan Baxter, directeur, Élaboration des politiques et Relations gouvernementales et avec les intervenants, Chambre de commerce de la Colombie-Britannique : Pour répondre à cette question en un mot : oui. Nous avons ici un processus qui n’est ni clair ni certain, alors que les entreprises ont besoin de certitude et de prévisibilité. Un processus au niveau provincial qui vient ajouter à l’incertitude et à l’imprévisibilité a de quoi préoccuper. Nous aimerions avoir un processus qui, comme d’autres par le passé, permet des examens harmonisés qui peuvent nous éviter deux examens distincts d’un même projet. Il va sans dire qu’il est important qu’il y ait la plus grande harmonisation possible entre les deux ordres de gouvernement.

L’importance de ce facteur, sénateur, ressort des données collectives que nous avons recueillies. Un sondage mené auprès de nos membres — 36 000 entreprises réparties dans toute la Colombie-Britannique — révèle une baisse de 50 p. 100 de la confiance dans l’économie. Quand on demande aux entreprises s’il est vraiment possible de réaliser des projets dans la province ou au pays, seulement 65 p. 100 d’entre elles disent que c’est possible. Cela représente une baisse marquée par rapport à l’année précédente de la confiance pour ce qui est de la possibilité de concrétiser des projets.

Le sénateur Neufeld : C’est assez inquiétant. Tout le monde devrait s’inquiéter de cette situation. C’est un fait que nous perdons beaucoup d’investissements.

J’ai une question pour M. McEwan. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est un élément du projet de loi C-69. Qu’en pensez-vous? La notion de consentement équivaut-elle, oui ou non, à un droit de veto? Je n’ai pas réussi à obtenir de réponse des deux derniers témoins. Peut-être pourrez-vous me donner une réponse. De quoi s’agit-il à votre avis?

M. McEwan : Je vous remercie de votre question, sénateur. Vous soulevez là un élément du projet de loi qui entraîne une grande incertitude. Personne n’est contre le principe qui sous-tend cette déclaration. Le problème est l’incertitude que cette dernière ajoute en ce qui concerne les risques de litiges, en plus de l’obligation de consulter et d’accommoder très stricte déjà prévue dans la loi avec l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et des précédents comme les décisions dans les affaires Calder et Sparrow, Delgamuukw,Nation haïda ou Première Nation Tlingit de Taku River, puis, plus récemment, Nation Tsilhqot’in.

L’incertitude quant à ce que la mise en œuvre de la déclaration entraînera sur le plan pratique et le fait qu’il risque d’y avoir encore une autre vague de poursuites, voilà le point crucial.

Le sénateur Neufeld : La chambre de commerce?

M. Litwin : Je suis d’accord avec mon collègue. La possibilité d’être consulté et de consentir ne constitue pas un droit de veto. On parle de la possibilité de participer à des consultations utiles, de proposer des mesures d’atténuation et de faire des concessions lorsque c’est possible sans bloquer inutilement un projet qui est dans l’intérêt de la population des points de vue social et économique.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Neufeld : Soit dit en passant, le consentement, c’est un oui ou un non.

M. Litwin : Oui.

La sénatrice Cordy : Je vous remercie d’être parmi nous aujourd’hui. Je pense qu’il est important que les Canadiens comprennent, comme vous le démontrez par vos observations, que nous abordons ce projet de loi comme une mesure qui porte sur l’environnement, le pétrole et le gaz. Il a une grande incidence sur les entreprises et les projets de construction. Vous l’avez tous très bien expliqué.

Quand le groupe d’experts a mené des consultations dans différentes régions pendant deux ans avant la présentation du projet de loi, il est arrivé à la conclusion que les décisions devraient revenir à des ministres. Les Canadiens estiment qu’au moins il s’agit d’élus et que s’ils sont mécontents de leurs décisions, il y aura des conséquences aux élections suivantes.

Vous avez avancé l’idée que le ministre de l’Environnement ne devrait pas être seul à décider. Vous estimez que le ministre des Ressources naturelles et un ministre qui s’occupe de finances devraient aussi prendre part au processus décisionnel, ce qui est intéressant. Pourriez-vous nous expliquer votre raisonnement et nous dire pourquoi cela est important?

Certains des témoins que nous avons entendus la semaine dernière estimaient que les évaluations d’impact ne devraient pas être limitées aux points négatifs, qu’il faudrait aussi examiner les éléments positifs, comme la création d’emplois et les retombées économiques pour les collectivités. Est-ce que cela fait aussi partie des raisons pour lesquelles vous jugez que la responsabilité devrait être confiée à au moins trois ministres plutôt qu’à un seul?

M. McEwan : Oui, sénatrice Cordy, c’est exact. Il s’agit de veiller à mettre en pratique le principe que le gouvernement fédéral a évoqué à de nombreuses reprises relativement à bon nombre de ses mesures législatives, à savoir que l’environnement et l’économie vont de pair. S’ils vont de pair, logiquement à mon avis, il s’ensuit qu’au niveau ministériel, les décisions finales liées aux grands projets devraient être prises par le ministre de l’Environnement et un ministre ayant un portefeuille économique.

La sénatrice Cordy : Avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Litwin : Le fait que ces autres ministres participent également au processus décisionnel permettrait d’assurer qu’on tient compte des avantages économiques pour la population canadienne en général et les communautés autochtones en particulier. Un grand nombre des communautés situées sur le trajet de ces projets comptent énormément sur la réalisation des projets et les possibilités qui en découleraient pour elles. Il est essentiel que l’aspect économique soit pris en compte. Comme l’a souligné notre collègue, si l’environnement et l’économie vont bel et bien de pair, ce serait une négligence de ne pas confier les décisions aux ministres compétents.

La sénatrice Cordy : M. McEwan, vous avez dit que vous êtes d’accord avec l’Association canadienne des producteurs pétroliers sur les amendements qu’elle propose. Nous avons une copie de ces amendements. Avez-vous remis ou pourriez-vous remettre à la greffière une copie des amendements que vous nous avez présentés aujourd’hui?

M. McEwan : Ils figurent dans notre mémoire.

La sénatrice Cordy : Très bien. Merci beaucoup.

La sénatrice Simons : M. Litwin, dans les amendements que vous avez proposés, je pense qu’il y en a cinq qui touchaient des questions déjà abordées par d’autres groupes. Il y en a un qui a particulièrement retenu mon attention — parce que je ne pense pas qu’il ait été proposé jusqu’ici —, à savoir l’idée d’un filet de sécurité fédéral ou d’une compensation.

Je me demande comment vous envisagez le fonctionnement d’un tel mécanisme, car je pense que celui-ci pourrait entraîner des poursuites et coûter très cher aux contribuables canadiens. Comment fait-on pour déterminer à qui revient la faute quand un projet n’est pas approuvé? Comment ce programme d’indemnisation fonctionnerait-il selon vous?

M. Litwin : Je vais peut-être faire équipe avec mon collègue Dan Baxter pour répondre à cette question. Notre mémoire renferme un peu plus de détails. De plus, comme je l’ai mentionné, notre recommandation est en harmonie avec celle de la Chambre de commerce du Canada.

Le projet d’expansion de Kinder Morgan, maintenant le projet d’expansion Trans Mountain, en serait l’exemple le plus récent. Un promoteur qui voulait investir des milliards de dollars au Canada a été puni en raison d’un processus réglementaire qui n’était absolument pas clair. Il n’était pour rien dans l’issue du processus. Il n’a pas pu faire approuver son projet à cause de l’absence d’un processus clair.

Ce qui, à notre avis, serait équitable et contribuerait à accroître la confiance des investisseurs envers le Canada est un mécanisme selon lequel le gouvernement fédéral assume une certaine responsabilité lorsqu’un projet n’aboutit pas alors que le promoteur a fait tout ce qu’on lui avait demandé de faire.

La sénatrice Simons : La compensation serait-elle fondée sur les coûts irrécupérables ou sur les profits futurs potentiels? La première ministre Notley a dit aujourd’hui qu’elle est tout à fait convaincue que le projet TMX sera approuvé le mois prochain, ce qui pourrait être une semaine trop tard pour elle. Pouvez-vous bien me dire comment vous feriez le calcul? Utiliserait-on les sommes engagées par le promoteur dans le cadre de sa demande ou les pertes éventuelles?

M. Litwin : Pour ces détails, je vais m’en remettre à Dan Baxter.

M. Baxter : Il s’agit d’une excellente question, monsieur le sénateur. Ce sont des points qui doivent encore être étoffés et discutés un peu plus en détail.

Un autre point un peu plus pertinent est le projet d’oléoduc Northern Gateway d’Enbridge, qui a fait l’objet d’un jugement selon lequel le processus de consultation de l’entreprise était inadéquat, mais pour des raisons indépendantes de sa volonté. La chambre de commerce de la Colombie-Britannique a toujours affirmé clairement que l’obligation de consulter est une obligation de la Couronne. C’est une obligation que les entreprises remplissent avec plaisir, mais il faut des lignes directrices claires.

Si je devais vous donner une courte définition en réponse à votre question, elle porterait davantage sur le fait que le projet a un certain nombre de coûts irrécupérables. Nous pourrions toujours parler du plafonnement des coûts afin qu’ils ne deviennent pas un problème grave. Si une entreprise prend une longueur d’avance et essaie de mener des consultations qui s’avèrent inadéquates pour des raisons indépendantes de sa volonté, il doit y avoir un mécanisme en place et une certaine reconnaissance de la situation. Cela créerait un partenariat entre le gouvernement fédéral et les entreprises. Ils seraient personnellement engagés. Il arrive parfois que le gouvernement fédéral se soustraie, pour une raison quelconque, à sa responsabilité de consulter et la refile aux entreprises. Cependant, les entreprises ne possèdent simplement pas les outils nécessaires pour mener des consultations conformément aux normes établies dans la jurisprudence.

Le sénateur Woo : Je vous remercie, surtout de la très grande concision et clarté de vos commentaires sur le projet de loi C-69 et des changements que vous jugez nécessaires.

Commençons par la chambre de commerce. M. McEwan aimerait peut-être aussi ajouter un mot à ce sujet. Plus tôt, mon collègue a parlé du pouvoir discrétionnaire des ministres. Son intervention portait sur la détermination du ministre approprié pour prendre la décision. Vous n’avez pas remis en question le critère de l’intérêt public, ce que je pensais que vous feriez peut-être. Au lieu de cela, vous avez accepté, possiblement à contrecœur, le critère d’intérêt public, mais vous vouliez qu’il soit appliqué par un différent groupe de décideurs.

Cependant, le critère de l’intérêt public est très vaste, de même que la définition de l’intérêt public. Qu’on le veuille ou non, le cadre organisationnel du projet de loi est la durabilité. Il s’agit d’un cadre à trois volets : l’économie, comme c’est précisé dans le projet de loi, l’environnement et d’autres effets sociaux et sanitaires.

Étant donné que nous travaillons dans un cadre de durabilité, qui comporte les trois éléments — c’est-à-dire l’économie, l’environnement et d’autres facteurs sanitaires, sociaux et économiques —, voudriez-vous inclure d’autres ministres comme le ministre de la Santé, le ministre des Affaires autochtones et une foule d’autres ministres dont les portefeuilles touchent non seulement les aspects fondamentaux du projet de loi, mais aussi les éléments très précis visés à l’article 63 sur l’intérêt public?

M. Baxter : De toute évidence, un projet de loi peut avoir de nombreuses répercussions sur la collectivité. Vous pourriez donc accroître le nombre de ministres concernés de multiples façons. Dans le contexte du milieu des affaires, le point essentiel est que nous voulons un processus simplifié et nous voulons faire en sorte que tous les points de vue sont entendus. Il ne faut pas oublier que le ministre de l’Environnement a une tâche très précise : celle de protéger l’environnement. Il s’agit de sa responsabilité fondamentale.

C’est comme confectionner un gâteau. La première chose qui vient à l’esprit n’est pas nécessairement d’ajouter l’ingrédient économique une fois que la cuisson est terminée. Si l’unique objectif du projet de loi est la durabilité, vous ne pouvez pas inclure cet ingrédient après coup. À tout le moins, cela s’applique aux projets d’exploitation des ressources. Il est tout à fait logique que le ministre des Ressources naturelles doive participer à la conversation. Nous reconnaissons le fait que de multiples ministres pourraient participer, dont le ministre du Développement économique, le ministre des Finances et divers ministres ayant des portefeuilles économiques.

Nous ne disons pas d’inclure tous les ministres puisque nous aurions alors trop de chefs dans la cuisine. Nous voulons essayer de garder le processus axé un peu sur l’économie et l’environnement, c’est-à-dire les deux volets entre lesquels il existe une tension naturelle, pour utiliser la perspective de collaboration étroite de notre collègue.

Le sénateur Woo : Je vois ce que vous voulez dire au sujet de la hausse de l’importance accordée à l’économie. Je pense que des mesures pourraient être prises pour renforcer l’importance accordée aux répercussions économiques.

Passons maintenant à M. McEwan. Vous avez fait valoir que les éléments énoncés dans l’article 22 étaient, je dirais, peut-être trop nombreux ou trop étendus. Je pense que vous avez indiqué qu’ils devraient être réduits. Quels éléments supprimeriez-vous de la liste de 20 éléments énumérés dans l’article 22?

M. McEwan : Lorsque vous examinez des projets énergétiques particulièrement linéaires, de même que d’autres projets, il y a des éléments à prendre en compte comme l’interaction du genre et de l’identité et ainsi de suite.

Le sénateur Woo : Oui, les facteurs identitaires.

M. McEwan : Il s’agit évidemment d’une politique publique légitime. Je me demande simplement si les éléments devraient être inclus dans la portée du projet de loi. De plus, les effets en aval et en amont des projets énergétiques et des changements climatiques font partie des éléments énumérés dans le projet de loi. Si ces effets ont déjà été pris en compte en amont, pourquoi faut-il de nouveau les prendre en considération dans le cadre d’une demande de projet entièrement linéaire?

Le sénateur Woo : Puis-je obtenir des précisions? Dites-vous que ces effets devraient être retirés des éléments visés à l’article 22 ou que leur portée devrait varier en fonction des besoins précis d’un projet? Le degré auquel ces éléments s’appliqueraient dépendrait du projet individuel et varierait selon les lignes directrices adaptées du processus de planification précoce. Il y a deux options très différentes que nous pouvons adopter.

M. McEwan : Oui et les deux offrent des avantages. Je suppose, monsieur le sénateur, que ma position à ce sujet est que le nombre d’éléments devrait être réduit. Cette activité économique a des répercussions sur nos membres et c’est pour cette raison que nous sommes ici aujourd’hui. Ils sont incapables de faire approuver des projets. Plus d’éléments sont intégrés dans le projet de loi, plus l’incertitude associée au processus d’approbation sera grande. C’est préoccupant.

Si nos préoccupations à l’égard du projet de loi pouvaient se résumer à un mot, ce serait « incertitude », c’est-à-dire l’incertitude qui entoure un vaste éventail de préceptes qui sont intégrés dans le projet de loi.

Le sénateur Woo : Merci.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vais poser ma question en français. Elle porte sur les critères prévus à l’article 22. Je comprends que vous voulez que la notion économique soit plus claire, particulièrement en ce qui concerne la question de la durabilité au paragraphe h). Ne croyez-vous pas qu’on devrait tenir compte des éléments économiques dans les autres critères? Au paragraphe 22(1)a), on dit : « […] les changements causés à l’environnement ou aux conditions sociales, sanitaires ou économiques […] » doivent être tenus en compte » et au paragraphe d), on dit : « les raisons d’être et la nécessité du projet; ». Évidemment, un projet minier ou un projet d’énergie aura des impacts économiques qui devront être examinés. N’est-ce pas un aspect qu’on devrait tenir compte malgré votre suggestion de faire un ajout au paragraphe h)? S’il n’y a pas d’amendement, je ne voudrais pas que les agences comprennent que l’on ne doit pas tenir compte des aspects économiques. Parce que, selon moi, c’est déjà là. D’après ce que je comprends, vous voulez ajouter une couche supplémentaire par rapport à l’aspect économique. Je ne sais pas si je suis assez clair. Je répéterai ma question au besoin.

La présidente : À qui s’adresse votre question, sénateur Carignan?

Le sénateur Carignan : À M. Tim McEwan.

[Traduction]

La présidente : Avez-vous une réponse?

M. McEwan : Oui, je pense comprendre la question. Dans le cadre de notre discussion, nous tentons d’obtenir des précisions quant au rapport direct de l’économie, sous toutes ses formes, avec le projet de loi. En raison des nombreux éléments socioéconomiques qui ont été inclus dans l’article 22, nous nous retrouvons en eaux troubles proverbiales. Essentiellement, nous doublons la mise sur le précepte que l’économie doit vraiment être intégrée dans le projet de loi.

[Français]

Le sénateur Carignan : Est-ce que je peux aussi avoir plus de précisions? Quelles sont les conséquences de cette incertitude? Parce qu’on dit qu’on veut plus de certitude. Pour un entrepreneur, l’incertitude a un impact sur sa décision d’embarquer ou de ne pas embarquer dans un projet. Il y a aussi un effet sur les sources de financement, sur les fonds de financement, sur les banquiers qui décideront ou non d’aller de l’avant. Vous pouvez être un entrepreneur convaincu. Vous souhaitez aller de l’avant, mais si le banquier trouve qu’il y a trop d’incertitudes et ne vous donne pas les ressources nécessaires, vous ne pourrez pas exécuter votre projet. Pouvez-vous donner des précisions sur les conséquences néfastes, pour un entrepreneur, de cette incertitude-là, notamment par rapport aux sources de financement?

[Traduction]

M. McEwan : Je crois comprendre la question.

Au cours des dernières années, il a été très difficile pour le Canada d’acheminer ses ressources aux marchés, surtout ses ressources pétrolières. Pour la période de 2005 à 2015, 226,8 milliards de dollars ont été investis dans le secteur des sables bitumineux. C’est l’investissement que nous avons obtenu, mais nous éprouvons de la difficulté à faire construire les infrastructures linéaires.

Quand on examine le projet de loi et certains de ses préceptes, on peut voir plus d’incertitude qui entraînera le retardement ou le report de projets, ce qui aura un effet en cascade dans notre domaine et réduira l’activité économique et la création d’emplois pour nos entrepreneurs qui dépendent de projets catalyseurs de croissance pour gagner leur vie. J’espère que cela répond adéquatement à la question.

Le sénateur Patterson : L’inquiétude de la chambre de commerce concernant le fait que le Canada a la réputation de ne pas approuver les projets a fait une forte impression sur moi. Vous avez des préoccupations importantes au sujet du manque de reconnaissance explicite des effets économiques, des échappatoires dans l’échéancier, du critère de participation grand ouverte, du vaste pouvoir discrétionnaire du ministre, de l’absence d’une liste de projets et du manque général de certitude. Vous affirmez dans votre présentation que le projet de loi, dans sa forme non modifiée, aura des effets en cascade très négatifs sur vos membres. Il s’agit d’un constat très alarmant que vous dressez.

Vous avez aussi parlé de travailler avec d’autres intervenants sur des modifications. J’espère que le comité essaiera de régler les six ou sept questions que vous avez soulevées, mais que devrions-nous faire avec le projet de loi s’il n’est pas modifié comme vous l’avez indiqué? Est-ce bien le moment d’apporter des changements dans un climat très négatif pour l’industrie de l’énergie au Canada?

M. Litwin : Mon collègue Dan Baxter a parlé de deux points de données dans notre prospectus collectif de l’année dernière. Je vais parler d’un autre point ou en réitérer un qui se démarque pour nous. Seulement 65 p. 100 des entreprises de la Colombie-Britannique croient que la province est un endroit sûr où investir pour les entreprises comparativement à 83 p. 100 l’année précédente. Il s’agit d’une baisse de presque 20 points en une seule année.

Nous fondons beaucoup d’espoir sur l’adoption d’un bon projet de loi. Comme notre collègue l’a fait remarquer, les recommandations et les modifications présentées doivent être considérées dans leur ensemble, c’est-à-dire collectivement. Nous ne pouvons pas simplement choisir certaines d’entre elles. Si toutes les modifications ne sont pas adoptées d’un seul coup et nous nous retrouvons avec un projet de loi que nous estimons très déficient, il risque d’y avoir d’horribles répercussions pour l’économie de la Colombie-Britannique et celle du Canada.

Sans vouloir être très cliché, une rare occasion de bien faire les choses s’offre actuellement à nous. Il est certain que d’importantes améliorations doivent être faites, surtout à l’égard des échéanciers pour ces projets. Comme M. McEwan l’a souligné, de moins en moins de fonds internationaux sont investis au Canada et même les fonds canadiens ne sont pas investis au pays, mais ailleurs.

Les conséquences sont considérables si nous ne faisons pas bien les choses. Comme je l’ai dit, je ferais valoir au comité sénatorial que les points que nous avons soulevés doivent être considérés comme formant un tout.

Le sénateur Patterson : Qu’arrivera-t-il dans le cas contraire?

M. Litwin : Dans le cas contraire, nous aurons manqué une rare occasion. Le Canada a une abondance de ressources. Comme nous l’avons indiqué dans notre présentation, si nous ne pouvons pas exploiter ces ressources et les acheminer aux marchés internationaux, nous perdons une occasion extraordinaire. À l’heure actuelle, les gouvernements provinciaux et territoriaux du Canada investissent massivement dans les infrastructures sociales. Nous devons être en mesure de payer certains de ces investissements sociaux progressistes. Les modifications demandées représentent l’un des moyens que nous pouvons le faire. C’est l’une des choses à risque.

Mon collègue, M. McEwan, souhaite peut-être ajouter quelques mots sur ce sujet.

M. McEwan : J’aimerais ajouter un mot. C’est comme si nous avancions à tâtons. Nous essayons de trouver des solutions à des problèmes qui traînent depuis des années. Le secteur énergétique est la poule aux œufs d’or du Canada. C’est son principal atout. Sur le plan législatif, il faut faire les choses comme il se doit afin que les investisseurs — qui proviennent pour la plupart de l’extérieur du pays, que ce soit des États-Unis ou d’ailleurs — ne nagent pas dans l’incertitude.

Un jour, le réseau de transport des hydrocarbures sera tellement engorgé que nous n’aurons d’autre choix que de bâtir de nouvelles infrastructures pour acheminer les ressources jusqu’aux côtes. La situation est extrêmement difficile depuis quelques années. L’association a beau chercher divers moyens de stimuler la croissance, il ne s’agit pas d’une fin en soi. C’est à la population, aux Canadiens qu’il faut penser.

Je sais que je prêche pour ma paroisse, mais le Sénat a aujourd’hui l’occasion de prendre les choses en main en s’inspirant des deux principales associations du secteur énergétique, c’est-à-dire l’Association canadienne de pipelines d’énergie et l’Association canadienne des producteurs pétroliers. Je vous implore donc de saisir l’occasion qui s’offre à vous et de prendre le temps de bien faire les choses.

La sénatrice Duncan : Ma question porte sur l’économie et sur le ministre du Développement économique.

Croyez-vous, comme vous l’affirmiez tout à l’heure, que l’on puisse assister à la politisation du processus? Comme s’il fallait choisir entre l’environnement et l’économie au lieu de se demander si tel ou tel projet répond ou non aux besoins des Canadiens. Vaudrait-il mieux faire en sorte que la consultation soit inscrite dans le projet de loi et que le processus s’intéresse ensuite aux aspects environnementaux et économiques?

En fait, j’aimerais en venir au processus découlant de la Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon. Comme son nom le dit, il s’agit d’une évaluation environnementale et socioéconomique qui relève d’une loi fédérale. Cette loi commence toutefois à dater, puisqu’elle a été adoptée en 2005. À l’époque, les gens ont jeté les hauts cris, affirmant qu’il n’y aurait plus jamais un seul projet minier au Yukon. Or, en 2018, 73 p. 100 des projets ont été évalués et approuvés en moins de 78 jours.

Tout bien considéré, au point de vue générationnel, comme vous le dites vous-mêmes, devrions-nous adopter le projet de loi C-69 coûte que coûte afin que le processus puisse s’enclencher? Selon ce que vous dites, les trois amendements que vous proposez devraient arriver tout en haut de la liste de priorité. Je me trompe?

M. McEwan : À qui s’adresse votre question?

La sénatrice Duncan : À tous les trois.

M. Litwin : Quand vous dites que l’on devrait tenir compte des retombées économiques de tous les projets, j’estime surtout qu’il faut tenir compte des retombées nettes. C’est ce qui se fait ailleurs dans le G7.

Notre mémoire ne traite pas directement des aspects socioéconomiques. Il s’intéresse surtout à l’économie. Nous maintenons que les considérations d’ordre économique doivent entrer en ligne de compte dès qu’une décision doit être prise concernant un projet x. Reste à savoir si cette décision doit relever exclusivement du ministre de l’Environnement. En soi, il y a quelque chose d’illogique là-dedans, puisqu’on parle ici de développement économique. En tenant uniquement compte des conséquences négatives d’un projet sans en évaluer aussi les retombées positives, c’est comme si on n’écoutait qu’une seule des deux personnes prenant part à une conversation capitale.

Nous continuons de penser que les aspects économiques doivent être pris en compte.

M. McEwan : Je suis d’accord avec M. Litwin : les décisions doivent mieux tenir compte des retombées économiques des projets.

Plus tôt ce matin, Mme Krause est venue vous parler des difficultés que les personnes et les groupes défendant des intérêts d’ordre économique ont à se faire entendre parce que les fonds disponibles vont majoritairement aux autres groupes d’intérêts et que les lignes directrices sur le droit de participation ont disparu. Si ce contrepoids n’entre pas en jeu à la fin du processus, que ce même processus est ouvert à n’importe qui et que les lignes directrices sur le droit de participation n’existent plus, je crains que les politiques soient pour ainsi dire dictées par les groupes d’intérêts. Comme l’ont clairement fait ressortir les témoignages de ce matin, les voix économiques ont du mal à se faire entendre alors que, depuis un certain temps, les empêcheurs de tourner en rond ont tout l’argent qu’ils veulent.

La présidente : Il reste du temps pour une dernière question, sénateur MacDonald.

Le sénateur MacDonald : Je crois que je vais la poser à l’Independent Contractors and Businesses Association.

Vous disiez tout à l’heure que le projet de loi C-69 reprend certains éléments du processus actuel d’évaluation environnementale, lequel, selon vous, est déjà problématique. Pourriez-vous nous dire de quels problèmes vous voulez parler exactement et pourquoi le projet de loi C-69 ne les règle pas?

M. McEwan : Nous avons fait la liste de ce que nous considérons être les sept principaux problèmes dans notre exposé. Même s’il part sans doute d’une bonne intention, le projet de loi C-69 politisera le processus. Je sais, pour m’être occupé de dossiers de ce type à l’époque où j’étais dans la haute fonction publique britanno-colombienne, que l’évaluation des projets de grande envergure doit être guidée par un principe directeur et reposer sur un processus réglementaire juste et indépendant.

Je crois que c’est ce que le projet de loi cherche à faire, mais en supprimant les lignes directrices sur le droit de participation et en ouvrant le processus à tout le monde au lieu de le limiter aux scientifiques, aux spécialistes techniques, aux environnementalistes et aux gens du coin, il s’éparpille. Si je devais nommer un seul problème, je crois que ce serait celui-là, mais il y en a d’autres.

Le sénateur MacDonald : Je suis curieux de savoir ce qu’en pensent vos membres. Que leur dites-vous au sujet de la compétitivité du Canada?

M. McEwan : Ils sont très inquiets. Notre association est formée d’entrepreneurs en construction dont le gagne-pain est directement lié, comme je le disais, aux retombées économiques des grands projets, ceux qui servent de catalyseur et favorisent la croissance. Ils commencent à se demander si le projet Trans Mountain sera un jour approuvé, et cela les inquiète. Essentiellement, ce qui cloche avec le processus réglementaire actuel, c’est que le gouvernement s’est senti obligé d’acheter un pipeline économiquement viable simplement parce qu’il a été incapable d’en approuver rapidement l’expansion.

Nous commençons à considérer qu’il s’agit d’une occasion manquée, surtout quand on pense aux retombées pour les Britanno-Colombiens, les Albertains et les Saskatchewanais. Notre association compte aussi des membres en Alberta, et ils sont plus inquiets chaque jour.

La présidente : Merci beaucoup.

Nous accueillons maintenant le quatrième groupe de témoins : Mme Jackie Lerner, qui témoignera à titre personnel, ainsi que le directeur des affaires réglementaires de la nation Gitxaala, James Herbert.

James Herbert, directeur des affaires réglementaires, nation Gitxaala, à titre personnel : Je travaille pour la nation Gitxaala, qui est située sur la côte Nord, autour de Prince Rupert, et dont le territoire s’étend du sud du chenal Douglas, à la pointe de la forêt pluviale de Grand Ours, jusqu’ au bout de l’île Digby, dans le havre de Prince Rupert.

J’ai pour mandat de conseiller les dirigeants de la nation, dont le chef élu, le conseil de bande et les chefs héréditaires, sur tout ce qui touche les politiques et la réglementation. La nation Gitxaala estime important que je m’adresse aujourd’hui à vous parce que j’ai l’expérience du processus d’évaluation tel que le prévoit la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012. C’est moi qui ai mené les consultations sur le projet de loi C-69 au nom de la nation Gitxaala. Ses dirigeants auraient aimé comparaître eux-mêmes, mais ils estiment que leur point de vue sera mieux défendu par quelqu’un qui connaît les aspects techniques du processus et qui le connaît de l’intérieur.

Depuis 12 ans, je m’occupe autant de la collecte de données sur les grands processus d’évaluation fédéraux que de la production de ces mêmes données pour les sociétés pétrolières et gazières et de leur examen au nom des Premières Nations. Ces dernières estiment que mon expérience est importante, et c’est pourquoi elles m’ont demandé de m’adresser à vous aujourd’hui.

La nation Gitxaala compte environ 2 000 membres, pour la plupart à Prince Rupert et dans le village de Lach Klan, à un peu plus d’une heure de bateau au sud de Prince Rupert. Comme je viens de le dire, le territoire des Gitxaala va jusqu’au sud du chenal Douglas.

La présidente : Excusez-moi une seconde.

M. Herbert : Peut-être que je parle trop fort.

Le sénateur Neufeld : Non, je ne crois pas. C’est le système qui fonctionne mal.

La présidente : Pardonnez-moi. Vous pouvez continuer.

M. Herbert : Avec un territoire aussi vaste, la nation Gitxaala a connu son lot d’évaluations environnementales. À un certain moment, sept usines de gaz naturel liquéfié étaient à une étape ou une autre du processus d’évaluation. Nous comptons aussi quatre pipelines transportant du gaz naturel liquéfié, sans parler du projet Northern Gateway, d’Enbridge, et des processus liés à l’article 67, qui relèvent également de la Loi sur l’évaluation environnementale de 2012.

Personnellement, je n’ai jamais travaillé pour une nation ou un conseil de bande ayant autant d’expérience. Je sers pas moins de 47 chefs héréditaires — bon, ce chiffre peut changer au gré des circonstances, mais disons 47. Je n’ai jamais rencontré un groupe connaissant aussi bien les évaluations environnementales.

La nation Gitxaala s’intéresse au projet de loi C-69 et prend part aux processus connexes depuis le début, c’est-à-dire depuis que la commission d’examen de l’Office national de l’énergie est venue à Prince Rupert. Nous nous sommes fait entendre. Je ne suis pas ici pour proposer de nouveaux amendements, mais pour dire qu’en général, la nation Gitxaala appuie le projet de loi. Ses dirigeants m’ont demandé de parler de trois projets en particulier. Après avoir écouté ce qui s’est dit ce matin, j’estime que ces trois projets peuvent être considérés comme très représentatifs, et voici pourquoi. Premièrement, certaines questions se posent concernant le chevauchement des territoires. Qui est en charge, dans un tel cas? Certaines questions se posent aussi concernant la portée des projets. Que se passe-t-il quand la portée d’un projet est mal définie, c’est-à-dire quand une évaluation est annoncée et que les préoccupations des Premières Nations sont ignorées?

J’aimerais que vous réfléchissiez à ces trois éléments. Le projet Northern Gateway, d’Enbridge, n’a jamais tenu compte des préoccupations que la nation Gitxaala a exprimées dès le départ. Ce projet a finalement été contesté, avec succès, et Enbridge a dû recommencer depuis le début, ce qu’elle a refusé de faire.

Il a fallu beaucoup de temps avant que le projet Pacific NorthWest LNG, que vous devez tous connaître, n’accède aux demandes de la nation Gitxaala. Or, quand ce fut fait, la nation a tout de suite donné son aval. Le problème, c’est qu’il a fallu tellement de temps avant d’en arriver là que le processus a pris deux fois plus de temps que prévu et qu’il n’y avait toujours pas de DIF.

Le troisième projet est celui de LNG Canada à Kitimat, dont la majorité des lignes de navigation traversent le territoire de la nation Gitxaala. D’entrée de jeu, il est clairement ressorti que LNG Canada souhaitait collaborer avec les Gitxaala et répondre le mieux possible et de manière transparente à leurs préoccupations. Les Gitxaala ont fini par donner leur consentement, à la fin du processus, ce qui a contribué au DIF. La nation Gitxaala est particulièrement fière du fait que la seule des sept usines de gaz naturel liquéfié qui a finalement vu le jour est celle qui a choisi de collaborer avec elle.

À notre avis, le caractère ambigu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 a nui à ces projets. Selon nous, la loi d’origine ne guide pas bien les promoteurs et ne leur indique pas ce qu’ils doivent faire pour que leurs projets soient approuvés. Nous estimons au contraire que le projet de loi C-69 se rapproche de cet objectif. Il n’est pas encore parfait, mais du point de vue réglementaire, il est nettement mieux, et la nation Gitxaala accepterait volontiers de participer au processus qui en découlera. En fait, le projet de loi C-69 permet de mieux savoir ce qui s’en vient, et c’est le message qu’on m’a demandé de transmettre aujourd’hui.

Jackie Lerner, à titre personnel : J’aimerais souligner que nous sommes sur le territoire traditionnel non cédé des Premières Nations de Musqueam, Tsleil-Waututh et Squamish.

Je suis très reconnaissante et un peu étonnée d’avoir l’occasion de vous adresser la parole ce matin. Je suis experte-conseil d’Environmental Resources Management Canada, ou ERM Canada. Je travaille dans la consultation en matière d’environnement depuis 1997 et j’effectue principalement des évaluations d’impacts environnementaux pour des clients du secteur minier en Colombie-Britannique. J’ai aussi effectué un doctorat sur les évaluations d’impacts.

Je ne témoigne pas au nom d’une université ou d’ERM Canada. Les commentaires que je vais faire sont les miens et sont fondés sur des travaux de recherche universitaire et des années d’expérience dans le domaine. Mes recherches portent sur une méthodologie visant à évaluer les effets cumulatifs. Je ne soutiens pas que la loi doit être modifiée afin de prescrire des détails méthodologiques. D’après ce que je comprends, les lignes directrices et le règlement qui accompagnent la loi sont en cours d’élaboration. C’est sans doute là que devraient être traités les points que je vais soulever.

Mon témoignage aujourd’hui porte sur la partie du projet de loi C-69 qui traite de la Loi sur l’évaluation d’impact et, plus précisément, une partie de cette loi qui est demeurée pratiquement inchangée depuis la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 1992 et la disposition sur les effets cumulatifs dont il est question à l’article 22. D’après l’article 22, les effets cumulatifs que la réalisation d’un projet combinée à l’existence d’autres activités physiques qui ont été ou seront menées est susceptible de causer à l’environnement font partie des 20 facteurs dont l’agence doit tenir compte dans une évaluation d’impact.

La dernière partie de cette disposition, qui exige que l’on tienne compte d’activités qui auront lieu dans le futur, a toujours été un défi de taille. Une évaluation d’impact à l’échelle d’un projet est déjà un exercice de nature prédictive. Évaluer les conséquences que pourrait avoir sur le plan biophysique et humain un projet qui n’existe pas, afin de prédire les projets d’exploitation futurs autour du projet proposé, complique encore plus une analyse qui est foncièrement complexe. Peut-être, est-ce pour cette raison que cet élément du futur est pratiquement toujours exclu des évaluations d’impact.

Avant d’aborder ce avec quoi on remplit habituellement cet espace, je vais expliquer pourquoi on tient compte des futurs projets d’exploitation dans les évaluations d’impact. L’évaluation d’impact peut nous aider à raffiner la conception d’un projet pour répondre aux préoccupations d’une collectivité, des autorités de réglementation ou des experts, mais son but ultime est la prise d’une décision qui prend en considération à la fois les bienfaits du projet — bienfaits économiques en général — et ses conséquences. Afin d’offrir aux décideurs une évaluation exacte des compromis qui accompagnent le projet, il faut considérer celui-ci dans le monde réel, c’est-à-dire dans un contexte où ses impacts se confronteront sans doute à ceux d’autres activités humaines et de vecteurs naturels.

Le monde réel n’est pas un contexte statique. Les activités humaines qui ont lieu sur le même site que le projet vont probablement changer et peut-être même se multiplier avec le temps. Certaines de ces futures activités pourraient faire l’objet du même processus d’évaluation, mais beaucoup d’entre elles ne le feront pas. Au fur et à mesure que les activités d’exploitation se répandront, la capacité des milieux naturels et humains d’absorber les impacts combinés de ces activités pourrait s’épuiser.

La loi indique simplement qu’il faut tenir compte des activités qui auront lieu. Selon la politique opérationnelle actuelle de l’agence, les évaluations d’impact devraient représenter le scénario futur le plus probable, en incluant des projets qui sont certains ou raisonnablement prévisibles. Le critère actuel pour désigner les projets de ces deux catégories est très lié à l’obtention de permis. Les projets certains ont déjà reçu un permis ou sont à mi-chemin du processus d’obtention d’un permis, tandis que les projets raisonnablement prévisibles ont entamé le processus de demande de permis.

En pratique, cela fait qu’on manque de vision dans les considérations concernant les évaluations des effets cumulatifs futurs. En général, les seuls projets futurs dont on tient compte dans une mesure substantielle sont ceux qui auront lieu dans une période de deux à cinq ans, c’est-à-dire des projets qui sont déjà à un stade avancé du processus d’obtention de permis. Dans bien des cas, et particulièrement dans les régions riches en ressources, cette pratique sous-estime toujours le nombre de projets d’exploitation qui auront probablement lieu.

Dans le cadre de mon doctorat, j’ai étudié les tendances historiques qui se dessinent pour divers types de projets en Colombie-Britannique. Pour chaque type de projets, le nombre moyen de projets qui ont été construits est égal ou supérieur aux prédictions des évaluations d’impact dans les cinq années qui suivent la certification du projet initial. L’écart est parfois petit et parfois assez considérable. Il est possible de faire mieux.

Je n’ai pas le temps ce matin d’expliquer la méthodologie que j’ai élaborée dans le cadre de mes travaux de recherche, mais je dirai brièvement qu’il est possible d’établir un modèle des tendances historiques régionales produisant des scénarios sur les activités d’exploitation futures, lesquels sont beaucoup plus près de l’avenir probable que ce que permettent d’accomplir les pratiques actuelles. Cette analyse ne vise pas à prédire un avenir certain. Elle contribue plutôt à atténuer les conséquences liées à l’incertitude et à mieux prédire les probabilités des effets cumulatifs sous diverses conditions futures.

Selon l’article 6 du projet de loi C-69, la Loi sur l’évaluation d’impact vise, notamment, à faire en sorte que le gouvernement du Canada, le ministre, l’agence et les autorités fédérales appliquent le principe de précaution dans l’application de la loi. Le principe de précaution est reconnu dans les politiques du Canada et d’ailleurs comme un principe important pour toute décision prise en contexte d’incertitude. Ce principe amène les décideurs à éviter les risques dès qu’il y a un danger de dommages graves ou irréversibles.

Je soutiens que la pratique actuelle en matière d’évaluation des effets cumulatifs est axée sur l’évitement d’un faux positif. Parce que nous ne savons pas avec certitude quels projets auront lieu dans le futur, nous présumons à tort qu’il y en aura très peu. Je soutiens aussi qu’il faut se soucier davantage d’éviter un faux négatif et adopter le principe de précaution en incluant des scénarios d’activités d’exploitation futures dans les évaluations des effets cumulatifs.

La présidente : Merci beaucoup pour ces déclarations préliminaires. Nous passons maintenant aux questions.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie tous les deux de votre présence et particulièrement Madame Lerner, qui est ici à titre personnel pour présenter son propre point de vue et ses processus. Je vous en suis reconnaissant.

Ma question porte sur les effets cumulatifs. Peut-être saurez-vous m’éclairer. Les effets cumulatifs en foresterie sont relativement faciles à détecter parce qu’on peut voir les arbres. On sait où ils ont été récoltés. C’est un peu plus difficile en ce qui concerne le pétrole et le gaz, du moins je le crois. On constate aisément les effets à Fort MacMurray. C’est une autre histoire. Lorsque l’industrie se met à forer des puits un peu partout, elle obtient des informations très confidentielles sur ce qui se trouve sous la surface. Comment s’y prend-on pour évaluer les effets cumulatifs liés au forage de 10 puits? Il est possible qu’on ne trouve rien et qu’on quitte les lieux, mais comment s’y prend-on pour évaluer les effets cumulatifs dans un tel cas?

Tant que les exploitants miniers ne cassent pas la pierre, qu’ils ne creusent pas à divers endroits dans les montagnes ou ailleurs, on ne sait pas. Il est possible qu’on trouve un site riche en ressources minières tout près d’une grande mine. Comment anticipez-vous ce genre de choses?

Mme Lerner : Je veux m’assurer de bien comprendre la question. Vous demandez comment nous évaluons les effets cumulatifs des activités d’exploration.

Le sénateur Neufeld : Oui, je ne veux pas prendre trop de temps, parce que je n’en ai pas beaucoup. Si une entreprise creuse de nombreux puits et conclut qu’il n’y a rien, sur quoi l’évaluation des effets cumulatifs porte-t-elle au juste? Comment déterminer ces effets? En foresterie, c’est facile.

Mme Lerner : Oui.

Le sénateur Neufeld : Je peux me rendre sur place et voir les arbres. Je ne peux pas voir dans le sol.

Mme Lerner : De toute façon, en général, on exige une évaluation d’impact à part entière seulement lorsqu’un projet est proposé. En fait, beaucoup d’activités d’exploration ne font pas l’objet d’une évaluation d’impact. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

Le sénateur Neufeld : Non. Je vais passer à autre chose.

Monsieur Herbert, j’ai posé la question à diverses Premières Nations. Il est possible que vous ne puissiez pas y répondre. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones fait partie du projet de loi, qui prévoit l’obtention du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Quelle est votre définition du consentement ou celle du groupe que vous représentez?

M. Herbert : La dernière partie de votre question est importante. La nation pour laquelle je travaille définit le consentement par un oui ou un non. J’ajoute cependant que la nation souhaite arriver à un oui.

Le sénateur Neufeld : Certainement, pour tout le monde.

M. Herbert : Pour ma nation en particulier.

Le sénateur Neufeld : Oui.

M. Herbert : Puisqu’on prévoit le consentement, cela établit clairement les exigences qui sont déjà en place pour les promoteurs. Lorsque des promoteurs travaillent avec nous pour obtenir notre consentement, ils ont obtenu des approbations. Ceux qui n’ont pas cherché à obtenir notre consentement ont obtenu des approbations, mais de toute façon, leur projet a été bloqué légalement par notre nation. Ma nation dirait que le consentement est déjà exigé. Cela nous prend donc — ainsi qu’à toutes les autres parties — beaucoup plus de temps.

La sénatrice Cordy : Monsieur Herbert, vous avez parlé du chevauchement des compétences territoriales. D’abord, je dois dire que je ne suis pas trop certaine de ce que cela signifie; parlez-vous du chevauchement entre les nations autochtones, ou bien entre les compétences provinciales, territoriales et fédérale? Pourriez-vous nous l’expliquer? Vous en avez parlé brièvement dans votre exposé. Que voulez-vous dire exactement et quelles sont vos préoccupations?

M. Herbert : Je parle des deux. Étant donné que la nation est très centrée sur les ressources marines, nous sommes souvent au confluent des compétences provinciales et fédérale qui se recoupent. Nous sommes actuellement engagés dans un processus d’évaluation provinciale exhaustive d’un projet qui sera mis sur pied exclusivement sur des terres fédérales et qui n’a pas déclenché d’évaluation fédérale. Nous sommes dans une situation vraiment très compliquée où nous effectuons une évaluation intensive et approfondie d’un projet sur lequel l’organisme de réglementation n’a aucune compétence réelle. Je dirais que c’est parce que la réglementation est très déficiente, à cause de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012. C’est ce que je pense.

L’autre aspect est que nous partageons avec d’autres nations beaucoup de territoires qui se chevauchent. On a des projets qui sont approuvés et d’autres qui ne le sont pas, ou du moins qui sont annulés en raison de complications liées au chevauchement des territoires.

La sénatrice Cordy : La loi est claire. Des préoccupations ont été soulevées. Le gouvernement fédéral ne s’immiscera pas dans le champ de compétence provinciale. Il se limitera au champ de compétence fédérale. En fait, l’exemple que vous avez donné montre bien que cette séparation n’est pas clairement définie.

Qu’arrive-t-il en pareil cas? Le problème est sur des terres fédérales, mais il touche la compétence provinciale. Est-ce que vous travaillez tous ensemble?

M. Herbert : Nous travaillons à la fois avec les autorités provinciales et fédérales, dans ce cas en particulier. Le problème est lié à l’article 67 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012. Lorsqu’on combine cela avec le règlement de cette loi concernant les projets désignés, il y a beaucoup de flou quant à ce qui n’est pas un projet désigné. Le problème est que nous avons demandé à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale de désigner le projet parce que nous savions que le processus serait compliqué, mais le ministère a refusé de clarifier les choses.

Nous sommes beaucoup plus à l’aise de travailler avec un processus d’évaluation qu’avec la manière vague, mal définie et étrange dont on fait appliquer l’article 67, avec cinq organismes de réglementation autour de la table, dont aucun n’a une idée claire de son pouvoir. Cela rend le processus très compliqué. Je dirais que ce processus est un obstacle sérieux à la certitude associée aux projets, encore plus que l’est le chevauchement des territoires.

La sénatrice Cordy : Madame Lerner, merci beaucoup d’être parmi nous et d’avoir parlé des effets cumulatifs. Vous nous avez donné des exemples de ce qui vous préoccupe. Dans l’article sur les effets cumulatifs, le terme « futures » est problématique, selon vous. Est-ce que le libellé du projet de loi devrait être modifié?

Mme Lerner : J’y ai déjà réfléchi. Actuellement, vous demandez l’impossible, car personne ne sait ce que l’avenir nous réserve. Je n’ai pas de libellé à proposer. Je pense que cela pourrait faire partie des lignes directrices qu’on élaborera plus tard. Le libellé pourrait être élargi pour parler d’un développement futur basé sur les propositions actuelles concernant les autorisations ou sur les tendances historiques de développement, mais c’est une tâche impossible, à l’heure actuelle.

Le sénateur Woo : Je pourrais peut-être donner suite au dernier point. On nous a déjà conseillé de remplacer le libellé par « probables ». Il semble que ce libellé soit employé depuis 30 ans dans les évaluations environnementales aux États-Unis, dans l’étude des effets cumulatifs. Si vous avez d’autres choses à dire à cet égard, nous serions ravis de vous entendre.

D’après ce que vous dites dans votre mémoire, même si vous trouvez très problématique le terme « activités [...] futures », vous estimez que le projet de loi, vu la présence du principe de précaution à l’article 6, permet déjà de bien évaluer les effets cumulatifs. J’aimerais vous demander des précisions. Si le principe de précaution est pris au sérieux, comme il est mentionné dans le projet de loi, et si l’agence effectue des évaluations régionales stratégiques en examinant les effets cumulatifs dans une région en particulier où l’on fait beaucoup de forage en appliquant le principe de précaution, êtes-vous d’avis que cela permettra d’envisager la probabilité d’activités futures sur ces terres?

Mme Lerner : Si l’on applique le principe de précaution lorsqu’on examine les éléments énoncés dans cette partie de l’article 22, cela nécessitera une approche élargie. Je suis d’accord que ce serait plus approprié dans le cadre d’une évaluation environnementale régionale stratégique.

Nous n’en avons pas beaucoup. La majorité des évaluations des effets cumulatifs sont effectuées lorsqu’un projet est présenté. J’aimerais les voir à cette étape, où la plupart de nos évaluations des effets cumulatifs sont effectuées, mais je pense qu’il serait idéal de les inclure dans un cadre plus stratégique.

Le sénateur Woo : Pour être doublement sûrs, peut-être devrions-nous modifier le libellé, en plus d’appliquer le principe de précaution aux évaluations régionales et stratégiques.

Je pourrais peut-être poser la question à M. Herbert. Je ne sais pas si vous étiez présent pour le groupe de témoins précédent, mais on a discuté de la substitution. Cela comporte deux volets. Le premier concerne la définition de la compétence autochtone. Approuveriez-vous ou votre conseil approuverait-il l’élargissement de la définition pour permettre essentiellement l’auto-identification des corps dirigeants autochtones?

J’ai aussi une question connexe : que vous soyez d’accord ou non, est-ce que vous appuieriez une exigence plus stricte et mieux définie pour la substitution par les corps dirigeants des Premières Nations chaque fois qu’ils en font la demande, au lieu de laisser cela à la discrétion du ministre, en fonction de consultations publiques, et ainsi de suite?

M. Herbert : Nous serions sans doute d’accord, mais je n’ai pas vérifié auprès des dirigeants de la nation précisément au sujet du libellé de l’amendement.

Le sénateur Woo : Très bien.

M. Herbert : À ma connaissance, il y aurait probablement un appui universel parmi les dirigeants de la nation pour la substitution par une instance des Premières Nations.

Le sénateur Woo : Voulez-vous dire qu’ils appuieraient une définition élargie?

M. Herbert : Ils appuieraient une définition élargie, oui.

Le sénateur Woo : Cela admettrait l’autorité des chefs héréditaires.

M. Herbert : Oui, à 100 p. 100. Nous chercherions activement à conclure des protocoles d’entente avec le gouvernement fédéral pour mieux définir ce que cela veut dire. Ce serait le choix d’une nation. C’est ce que nous faisons avec le gouvernement de la Colombie-Britannique, à l’heure actuelle. Je peux dire de façon générale que les Premières Nations y seraient probablement favorables.

Quelle était votre deuxième question?

Le sénateur Woo : Je voulais savoir si vous demanderiez que la substitution soit obligatoire chaque fois qu’un corps dirigeant des Premières Nations le demanderait.

M. Herbert : Oui.

Le sénateur Woo : Vous seriez favorable à cela?

M. Herbert : Oh, oui. Je n’ai même pas besoin de les consulter sur cette question. Je peux vous dire qu’ils y seraient favorables.

La sénatrice Simons : Le sénateur Woo a posé une excellente question, celle que je voulais poser. Je vais donc poursuivre dans le même sens. De quelles ressources votre Première Nation aurait-elle besoin pour effectuer une évaluation d’impact comparable à une évaluation fédérale? Si vous voulez faire la substitution, il faudra que ce soit une évaluation équivalente.

Une Première Nation n’a pas les mêmes ressources que la Couronne. De quel soutien auriez-vous besoin pour que ce soit possible?

M. Herbert : Si nous demandions une substitution menée par une Première Nation?

La sénatrice Simons : Oui. C’était la proposition du Conseil des leaders des Premières Nations. Je viens de l’Alberta, alors j’ai l’habitude des gens visés par un traité.

Pour une nation ou un territoire qui voudrait exercer sa compétence afin d’effectuer sa propre évaluation d’impact, ce serait une tâche énorme. La Couronne a des moyens beaucoup plus substantiels que les petites communautés autochtones. Comment l’évaluation serait-elle possible sans être soutenue financièrement par un autre ordre de gouvernement?

M. Herbert : Il faudrait qu’il y ait un financement des capacités. Si l’on veut ajouter la substitution, il devra y avoir un soutien de la part des gouvernements. La nation que je représente peut puiser dans une longue histoire, beaucoup d’expérience et une grande capacité à cet égard. Nous avons notre propre capital de risque. Nous avons notre propre conseil des leaders, qui connaît bien ce genre de choses. Nous avons la capacité de saisir la balle et de foncer.

En ce qui concerne en particulier la nation Gitxaala, j’imagine qu’effectuer une évaluation ne serait pas plus coûteux que le processus qui est déjà en place pour examiner les évaluations environnementales. Je m’assois et je les lis. Je participe aux réunions des groupes de travail. Je participe déjà à tout ce que font les organismes de réglementation fédéraux ou provinciaux. Nous effectuons le recouvrement des coûts auprès du promoteur et des organismes de réglementation.

Je crois que ces mêmes tâches s’appliqueraient. Je ne crois pas que ce serait très différent du processus que nous suivons déjà.

La sénatrice Simons : J’ai une question complémentaire. Nous sommes quelques-uns à siéger à ce comité et aussi au comité des transports, qui étudie le projet de loi C-48. La semaine prochaine, un certain nombre d’entre nous seront à Prince Rupert pour en parler.

Si le projet de loi C-69 était efficace et prévoyait des évaluations d’impact rigoureuses pour les pipelines et les nouveaux ports, aurions-nous besoin du projet de loi C-48? Le projet de loi C-69 répondrait-il aux préoccupations en permettant à une nation comme la vôtre de prendre elle-même une telle décision?

M. Herbert : C’est une bonne question. Je crois comprendre que l’interdiction des pétroliers sur la côte nord serait plutôt un exercice de planification. On reconnaît que c’est quelque chose que la grande majorité des gens de la région — et la grande majorité des Canadiens — veulent protéger. Il serait plus juste de dire que, si on avait fait les choses correctement, on aurait procédé à une évaluation régionale stratégique pour voir s’il y avait ou non une certaine tolérance au risque à l’égard du transport du pétrole sur la côte nord. Si cette évaluation avait conclu qu’il n’y en avait pas, alors on aurait pu adopter une mesure législative. Comme ce processus n’existait pas, c’est le projet de loi qui est venu en premier.

Le sénateur Patterson : Ma question porte sur la référence à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans le projet de loi, dont vous avez parlé, monsieur Herbert. Nous avons demandé si le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause signifiait un veto. Si je comprends bien, un des témoins de ce matin et vous avez répondu par la négative; ce n’est pas une question de consentement, mais plutôt de meilleur processus. Selon vous, le projet de loi C-69 nous engage dans une meilleure voie; il permet, comme vous l’avez mentionné, de mieux savoir ce qui s’en vient.

Vous avez dit que le projet Pacific NorthWest n’avait pas très bien commencé, mais qu’il avait fini par obtenir un consentement. Le projet de LNG Canada, lui, a connu un très bon départ et a obtenu un consentement. Quant au projet Northern Gateway, il a très mal commencé et n’a pas obtenu de consentement.

Selon ces critères, qui déterminerait s’il s’agit d’un processus efficace et respectueux ou d’un processus déficient?

M. Herbert : Lorsqu’il est question de consentement, le mot « veto » est souvent lancé à tort et à travers. Cela ne s’applique pas au gouvernement fédéral ou provincial. Il est question d’ajouter un troisième niveau d’approbation. Ce n’est pas un droit de veto. On ajoute un niveau distinct d’autorisation réglementaire.

La nation Gitxaala a toujours été claire : les promoteurs qui veulent s’installer sur le territoire doivent respecter les lois des Gitxaala et le rôle de ceux-ci à titre de décideurs. Ils doivent démontrer, conformément aux lois des Gitxaala, qu’ils redonnent plus qu’ils ne prennent. C’est une définition simple de la durabilité qui fait partie intégrante des lois traditionnelles des Gitxaala. J’ajouterais que cela vaut aussi pour les retombées sociales et économiques. Notre nation n’est pas contre le développement et les emplois, mais nous voulons trouver le juste équilibre.

L’objectif est d’établir une relation à long terme avec la nation comme s’il s’agissait d’un organisme de réglementation gouvernemental. Si les promoteurs acceptent dès le début de suivre un processus de concert avec nous, s’ils atteignent les cibles prévues dans le cadre du processus, s’ils établissent les seuils avec nous et s’ils peuvent prouver qu’ils n’auront pas d’effets environnementaux importants ou qu’ils vont redonner plus qu’ils ne vont prendre, alors ils obtiendront l’approbation. Au bout du compte, cela ne repose pas vraiment sur notre envie d’accepter ou non les projets.

L’idée, c’est d’avoir un processus. Il revient à la nation et au promoteur de s’entendre sur le résultat souhaité. Il faut voir les nations comme s’il s’agissait d’organismes de réglementation et non comme les détentrices d’un droit de veto.

Le sénateur Patterson : Vous avez dit qu’un processus à long terme doit être établi et qu’il faut que tout cela se fasse dans la bonne foi et le respect. Finalement, qui détermine si c’est bel et bien le cas?

M. Herbert : Dans notre nation, ce sont les chefs héréditaires qui prendraient cette décision. Notre assemblée des chefs héréditaires est très solide et est régie par une constitution coutumière. Il ne faut pas oublier que le processus est approuvé à de nombreuses dates. Les chefs héréditaires étudient le dossier et déterminent quels seront les seuils et les autres éléments requis pour que le projet soit approuvé par la nation, comme le projet de LNG Canada. De la même façon qu’ils ont obtenu l’approbation des autorités provinciales et fédérales, les promoteurs de LNG Canada ont demandé notre approbation et ils ont satisfait aux critères établis.

Au bout du compte, c’est le chef et le conseil, sur l’avis de l’assemblée des chefs héréditaires, qui décideraient, mais c’est propre à notre nation. C’est ainsi que le processus est censé fonctionner. Je compare souvent notre assemblée des chefs héréditaires à un sénat.

La présidente : La sénatrice Duncan et le sénateur MacDonald poseront les deux dernières questions.

La sénatrice Duncan : Ma question s’adresse à Mme Lerner. Vos recherches ont porté sur les évaluations d’impact, si j’ai bien compris. J’aimerais que vous nous parliez des critères relatifs aux évaluations d’impact. Vous avez peut-être examiné des lois dans lesquelles les critères étaient clairement établis, et d’autres dans lesquelles ils ne l’étaient pas. Peut-être que le seul critère est la « durabilité » en général. Pouvez-vous nous parler des critères? Qu’est-ce que l’établissement de critères précis dans la loi donne par rapport à l’inverse?

Mme Lerner : Voulez-vous parler des critères qui déterminent la conclusion de l’évaluation d’impact, donc, ce qui détermine si un effet est important ou non selon le régime actuel?

La sénatrice Duncan : Oui.

Mme Lerner : Pour bien des gens, l’effet d’inclure les critères dans la loi est difficile à quantifier. C’est assez opaque. Habituellement, dans une évaluation d’impact — au Canada, du moins —, on décrit et on caractérise les effets d’un projet à l’aide d’un certain nombre de qualificatifs. Puis, l’évaluateur se fonde sur ces qualificatifs pour arriver à une conclusion sur le caractère important des effets. Parfois, dans de très rares cas, il y a un seuil, une directive ou un chiffre quelconque qui indique ce qui constitue un effet « important ». Mais la plupart du temps, il n’y a rien de tout cela. Pour conclure que les effets sont importants, il faut se fier à son jugement professionnel.

Cette situation a entraîné des désaccords et de la confusion à propos des conclusions des évaluations d’impact, car le processus suivi par l’évaluateur pour tirer ses conclusions à partir des données observées et déterminer si l’impact est important ou non est passablement opaque.

Une des façons d’éviter cette confusion serait de suivre un processus totalement transparent dans lequel les critères seraient bien définis et d’expliquer très clairement comment ces critères ont été choisis. Mener des consultations à propos des critères pourrait aussi être une bonne idée.

La sénatrice Duncan : Proposez-vous que les critères soient inscrits dans les règlements ou dans la loi elle-même?

Mme Lerner : Je pense que ce serait très difficile, puisque les critères dépendent du contexte propre à chaque projet.

Le sénateur MacDonald : Je vais poser mes questions sur les effets cumulatifs à Mme Lerner. Premièrement, d’après votre expérience, à quel point l’évaluation des effets cumulatifs est-elle complexe, en théorie et en pratique? Deuxièmement, croyez-vous qu’il est approprié d’évaluer les effets cumulatifs pour tous les projets, ou qu’il serait plus efficace de tenir compte des effets cumulatifs dans le cadre d’évaluations régionales ou stratégiques?

Mme Lerner : Pour répondre à votre deuxième question, je dirais que les évaluations régionales ou stratégiques sont bien plus efficaces. Il est très difficile pour un promoteur d’évaluer les effets cumulatifs un projet à la fois, mais il n’existe pas vraiment de cadre permettant une évaluation plus large.

Je reviens à la première question. Il est si complexe d’évaluer les effets cumulatifs que les gens le font de manière très sommaire et imprécise. Les difficultés sont grandes. Souvent, c’est la disponibilité des données qui pose problème. Dans la pratique, les évaluations des effets cumulatifs ne sont pas bien réalisées du tout. On va beaucoup moins en profondeur que dans le cadre d’une évaluation d’impact propre à un projet.

Le sénateur MacDonald : Si les évaluations sont si imprécises et difficiles à réaliser, comment pouvons-nous avoir confiance dans le produit final? Comment déterminer si une évaluation est utile?

Mme Lerner : Pour ce faire, il faudrait notamment procéder à davantage de vérifications postérieures aux évaluations et comparer les prévisions contenues dans les évaluations d’impact et les résultats. C’est une pratique en vigueur à certains endroits, mais je ne crois pas que ce soit fait systématiquement. Un tel processus itératif de comparaison des prévisions et des résultats pourrait nous permettre de tirer d’excellentes conclusions.

La présidente : Sénateur Patterson, je pense que vous voulez poser une question complémentaire. Nous avons encore quelques minutes.

Le sénateur Patterson : Oui, merci. Je voulais m’assurer de bien saisir les propos de M. Herbert au sujet de l’importance d’un processus de consultation fructueux. Je comprends tout à fait, et nous souhaiterions que tout se passe bien chaque fois, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Ce ne fut pas le cas du projet Northern Gateway, comme vous l’avez dit, peut-être à cause de l’attitude du promoteur.

Il y a des gens qui affirment que consentement ne veut pas nécessairement dire droit de veto. La notion de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause crée un processus qui, nous avons bon espoir et nous en sommes mêmes persuadés, fonctionnera. S’il ne fonctionne pas ou s’il n’est pas avantageux pour tout le monde, alors les chefs des Premières Nations avec lesquels vous travaillez jugeront que le processus est un échec et que le projet ne devrait donc pas se concrétiser.

J’ai une dernière question complémentaire. Si seules les approches avantageuses pour tous sont acceptables, alors c’est le processus qui sert de veto. Je me trompe?

M. Herbert : Je ne suis pas certain de comprendre, mais voyons voir.

L’idée, c’est que le processus est censé être conçu pour permettre la réalisation de bons projets. Si le processus favorise la transparence et repose sur une bonne compréhension de ce que les trois gouvernements considèrent comme un bon projet, alors il devient un moyen d’obtenir une approbation.

Les processus avec droit de veto m’apparaissent problématiques, car on présume que tous les projets devraient aller de l’avant et que le droit de veto consiste à s’y opposer. Il convient plutôt de se poser les questions suivantes : « Lequel de ces projets devrait se réaliser? Lequel est le meilleur? Lequel offre le plus de retombées tout en ayant le moins de répercussions environnementales? Lequel est le plus adapté à la conjoncture du marché? »

Il faudra bien encore 20 ou 25 ans avant que les évaluations environnementales soient aussi rigoureuses que le souhaiteraient certaines personnes, y compris moi-même. Au lieu que les projets soient choisis en fonction du premier qui franchit le fil d’arrivée, il faudrait les examiner ensemble. Par exemple, s’il existe cinq installations de gaz naturel liquéfié dans un marché donné, on pourrait décider d’accorder trois permis dans les cinq prochaines années. Que le meilleur gagne. Les projets rivaliseraient ensemble. Ce genre de processus fait ressortir le meilleur. C’est là toute la raison d’être d’une évaluation d’impact. On est censé examiner tant les effets sociaux que les retombées économiques. On veut que les bons projets se réalisent et que les mauvais projets soient abandonnés.

Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais j’ai du mal à accepter l’idée que tous les projets doivent aller de l’avant à moins qu’on les stoppe.

La présidente : Je vous remercie de vos déclarations et de vos réponses.

(La séance est levée.)

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