Aller au contenu
ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


HALIFAX, le mercredi 24 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui à 12 h 59 pour étudier le projet de loi.

La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour et bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

Je m’appelle Rosa Galvez et je suis une sénatrice du Québec. Je suis également la présidente de ce comité. Je vais maintenant demander aux sénateurs de se présenter à tour de rôle.

Le sénateur Mercer : Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Simons : Je suis la sénatrice Paula Simons, de l’Alberta, et je suis fière de dire que je viens du territoire visé par le Traité no 6.

Le sénateur Duffy : Mike Duffy, de l’Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Griffin : Diane Griffin, Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

La présidente : J’aimerais également profiter de l’occasion pour vous présenter les deux analystes de la Bibliothèque du Parlement, M. Jesse Good et Mme Sam Banks, ainsi que la greffière de notre comité, Mme Maxime Fortin. Je tiens également à remercier les sténographes et tout le personnel du Parlement qui rendent ces audiences possibles.

Chers collègues, nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

Cet après-midi, pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons Greg Egilsson, président de la Gulf Nova Scotia Herring Federation. Désolée, il n’est pas ici, mais il va venir. Nous accueillons également Percy Hayne, adjoint au président, et Mary Gorman, adjointe.

Nous recevons aussi, d’Ecojustice, Sarah McDonald, avocate, et James Gundvaldsen Klaassen, avocat.

Karen Hutt, présidente et chef de la direction de Nova Scotia Power; Mark Sidebottom, chef de l’exploitation, et Terry Toner, directeur, Services environnementaux.

Chaque groupe disposera de cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire, puis nous passerons à une période de questions.

Mary Gorman, adjointe, Gulf Nova Scotia Herring Foundation : Honorables sénateurs, dans les années 1990, les pêcheurs de la côte Est du Canada ont exprimé des préoccupations au sujet de l’introduction de l’explosion sismique et de l’exploration pétrolière et gazière extracôtière dans les zones de pêche les plus riches. L’industrie de la pêche du Sud de la Nouvelle-Écosse s’est organisée et a mis sur pied le Comité d’examen du Banc Georges.

À ce moment-là, le ministère des Pêches et des Océans, dans son rapport sur l’état de l’habitat, disait qu’il y avait très peu de connaissances scientifiques au sujet des effets potentiels de l’activité sismique sur les organismes marins. Dans son rapport de janvier 1999, le Comité d’examen du Banc Georges déclare :

Le problème fondamental concernait le degré de confiance que procuraient les renseignements limités disponibles sur lesquels fonder une conclusion.

Les renseignements disponibles sur les répercussions des levés sismiques sont [...] clairsemés; il existe de solides preuves que la capacité de capture du poisson peut être touchée. La prudence est de mise.

Le comité recommande que des mesures soient prises pour maintenir le moratoire relatif aux activités pétrolières sur le banc Georges.

À la fin des années 1990, l’Office Canada-Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers a émis des baux sur les rives des deux côtés de la magnifique île du Cap-Breton, ce qui a suscité une vive opposition de la part du public et a donné lieu à un examen public. L’examen public des effets de l’exploration pétrolière et gazière au large du Cap-Breton a révélé que les connaissances scientifiques n’étaient pas claires quant à savoir si l’effet des essais sismiques était plus ou moins grand dans les eaux peu profondes, et qu’il fallait un examen par des experts des renseignements scientifiques et de l’expérience qui sont à l’origine de l’incertitude qui subsiste.

En novembre 2001, le Comité permanent des pêches et des océans a déclaré qu’il partageait les préoccupations de bon nombre de ses témoins, à savoir que l’effet des essais sismiques, en particulier sur les stades larvaires et les juvéniles de nombreuses espèces, n’était pas suffisamment bien documenté pour garantir que l’exploration pétrolière et gazière ne causerait pas de dommages à des stocks importants.

En 2001, le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques a déclaré que plusieurs travaux scientifiques avaient décrit les effets néfastes des activités sismiques sur toutes les étapes de la vie des poissons.

Au cours des 20 dernières années, collectivement, les institutions ci-devant financées ou approuvées par le gouvernement ont documenté des centaines de présentations d’organisations de pêcheurs, de représentants des Premières Nations, de groupes environnementaux, de députés fédéraux et provinciaux, de conseils municipaux, de maires, de témoins experts, de biologistes, et ainsi de suite. Selon toutes les recommandations du comité ou du ministère, l’absence de données scientifiques sur les essais sismiques pose problème.

Aujourd’hui, 20 ans plus tard, nous continuons de protester contre le recours au dynamitage sismique, et les offices fédéral-provinciaux des hydrocarbures extracôtiers travaillent avec diligence, en arrondissant à la hausse les deniers publics provinciaux afin de multiplier les projets de dynamitage sismique.

En 2014-2015, l’Office Canada-Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers, en référence au levé sismique mené par BP Tangier, a déclaré que les contribuables de la Nouvelle-Écosse avaient dépensé plus de 11 millions de dollars pour aider BP à réaliser ce levé.

Le 20 juin 2018, le ministre de l’Énergie de la Nouvelle-Écosse a annoncé un autre investissement de 11,8 millions de dollars visant à créer des images sismiques afin de promouvoir l’exploitation pétrolière et gazière.

À notre connaissance, aucun projet scientifique important visant à évaluer les effets du dynamitage sismique sur le plancton, le krill, les larves, les juvéniles, les poissons, les invertébrés et leurs stades de vie n’a été commandé par notre gouvernement provincial ou fédéral.

Quelques recherches documentaires d’une valeur de 50 000 $ et une petite étude produite par des scientifiques de la Région du Golfe du MPO et intitulée « Impacts possibles de la prospection sismique sur le crabe des neiges » ne comblent pas les lacunes dans les connaissances nécessaires pour prendre des décisions éclairées et exhaustives.

Dans une étude de l’Université de Tasmanie et de l’Université Curtin, en Australie, publiée en 2017 et intitulée « Widely used marine seismic survey air gun operations negatively impact zooplankton », on trouve ce qui suit :

L’exposition expérimentale au signal des canons à air réduit l’abondance du zooplancton par rapport aux témoins [...] et a causé une augmentation de deux à trois fois du nombre de mortalités du zooplancton à l’état larvaire et adulte. Des effets ont été observés sur la plage maximale de 1,2 km échantillonnée, soit plus de deux ordres de grandeur de plus que le rayon d’impact précédemment supposé de 10 mètres. Bien qu’aucun krill adulte n’ait été observé, toutes les larves de krill ont été tuées après le passage des canons à air. Il existe un risque important et non reconnu que la technologie sismique actuelle nuise à la fonction et à la productivité des écosystèmes océaniques.

L’étude ci-devant indique également ce qui suit :

Le phytoplancton et ses brouteurs — le zooplancton — sont à la base de la productivité océanique, de sorte que les impacts importants sur les sources anthropiques planctoniques ont une énorme incidence sur la structure et la santé de l’écosystème océanique. En outre, une composante importante des communautés zooplanctoniques comprend les stades larvaires de nombreuses espèces soumises à une pêche commerciale. Les populations de poissons, de prédateurs de niveau trophique supérieur et de mammifères marins ne peuvent pas survivre sans une productivité planctonique viable.

De plus, on trouve dans un article intitulé « How Much Do Oceans Add to World’s Oxygen? » ce qui suit :

La majeure partie de l’oxygène de la Terre provient de minuscules plantes océaniques, appelées phytoplancton, qui vivent près de la surface de l’eau et dérivent avec les courants.

Comme toutes les plantes, elles font de la photosynthèse, c’est-à-dire qu’elles utilisent la lumière du soleil et le dioxyde de carbone pour produire des aliments. L’oxygène est un sous-produit de la photosynthèse.

Les scientifiques s’entendent pour dire qu’il y a de l’oxygène provenant des plantes océaniques dans chacune de nos respirations.

Les industries du pétrole et du gaz soutiennent que chaque dynamitage sismique n’a d’impact que sur une distance de 10 mètres autour du souffle des canons à air, créant ainsi une zone touchée d’une largeur de 20 mètres. Ces explosions créent une superficie touchée de 314 mètres carrés par coup de canon à air. Cette affirmation est appuyée par les offices des hydrocarbures extracôtiers du Canada.

Selon cette étude australienne toutefois, le rayon de 1,2 kilomètre autour de l’explosion d’un canon à air aurait plutôt une largeur de 2,4 kilomètres, soit 2 400 mètres, au lieu de 314. C’est donc 120 fois plus, pour une superficie touchée de 4 532 904 mètres carrés, soit 4,5 kilomètres carrés, par explosion de canons à air. C’est 14 407 fois plus que le rayon de 10 mètres officiellement établi.

Les calculs ci-devant sont fondés sur le levé sismique bidimensionnel d’un navire, tandis que les levés sismiques plus récents sont des levés tridimensionnels auxquels participent jusqu’à quatre navires, chacun dynamitant au moyen de son propre réseau de canons à air, naviguant parallèlement à 1,2 kilomètre l’un de l’autre et enregistrant les échos de dynamitage les uns des autres. Le rayon d’action touché des canons à air de quatre navires d’exploration sismique qui se déplacent parallèlement à 1,2 kilomètre l’un de l’autre couvre une largeur de 3,6 kilomètres, à laquelle il faut ajouter un rayon de 1,2 kilomètre des canons à air sismiques sur la trajectoire extérieure des navires, soit 2,4 kilomètres de plus, ce qui donne une zone totale affectée de 6 kilomètres toutes les 10 secondes, quand chaque navire fait retentir en alternance ses canons à air. En l’espace de 40 secondes, cette méthode de prospection sismique en 3D crée donc une zone touchée de plus de 11 kilomètres carrés.

À partir du moment où un navire d’exploration sismique dynamite toutes les 10 secondes à une distance approchant 1,2 kilomètre à l’avant jusqu’à ce que le ou les navires franchissent 1,2 kilomètre...

La présidente : Madame Gorman, je suis désolée, mais vous devez commencer à conclure.

Mme Gorman : Cette méthode de prospection sismique en 3D crée une superficie touchée de plus de 11 kilomètres carrés.

Toutes les formes de vie seront soumises à 88 explosions simultanées de 24 à 36 réseaux de canons à air. Tous les canons sont synchronisés pour expulser de l’air exactement au même moment. Les navires d’exploration sismique continuent de dynamiter ainsi pendant des semaines et des mois, couvrant par le fait même des milliers de kilomètres carrés.

Les sociétés d’études sismiques vous diront comment leurs navires avancent progressivement afin de permettre aux poissons de s’échapper de leur zone touchée de 10 mètres. Le problème, c’est que les formes de vie comme le plancton, le krill, les larves, les juvéniles et les petits poissons n’ont pas la capacité de se déplacer en dehors d’une zone touchée de 10 mètres, et encore moins en dehors d’une zone de 12 mètres.

Il y a tellement d’autres facteurs à considérer ici. Nous ne pouvons même pas commencer à tous les couvrir.

La présidente : Nous avons une copie de votre exposé?

Mme Gorman : Oui, vous en avez une copie.

La présidente : Nous avons besoin de temps pour vous poser des questions. Merci beaucoup.

Sarah McDonald, avocate, Ecojustice : Bon après-midi, honorables sénateurs. Merci d’avoir invité mon collègue James et moi-même à discuter avec vous aujourd’hui du projet de loi C-69. Je suis sûre que vous connaissez déjà Ecojustice grâce à notre collègue Josh Ginsberg, qui a témoigné devant vous à Ottawa.

Comme James et moi l’avons mentionné dans notre mémoire, Ecojustice vient d’ouvrir son premier bureau dans le Canada atlantique l’an dernier. Nous sommes heureux d’avoir l’occasion de discuter de questions liées au projet de loi C-69 qui auront une incidence sur les collectivités et l’environnement du Canada atlantique.

Nous reconnaissons, bien sûr, que le projet de loi C-69 n’est pas parfait. Toutefois, le projet de loi a été conçu par suite de vastes consultations, il a été fondé sur de vastes connaissances spécialisées, et il a donné lieu à un processus fédéral d’évaluation d’impact équilibré, moderne et sérieux.

Fondamentalement, le projet de loi C-69 favorise le passage d’un système axé uniquement sur l’évitement ou la réduction des effets négatifs importants sur l’environnement à un système plus global de planification des meilleures façons d’utiliser nos terres et nos ressources publiques. La santé et la viabilité de nos collectivités exigent que nous fassions ce changement.

Le Conseil des premiers ministres de l’Atlantique et d’autres ont toutefois proposé des amendements qui mineraient l’efficacité de ce projet de loi. Ses trois modifications les plus préoccupantes sont, premièrement, l’exclusion des projets et des activités de courte durée, comme les puits d’exploration extracôtiers créés dans le cadre du processus d’évaluation; deuxièmement, réduire la portée de la participation du public; et troisièmement, exiger une collaboration accrue entre l’organisme responsable des évaluations d’impact et les organismes de réglementation du cycle de vie dans les évaluations des projets réglementés par ces organismes.

Comme vous le savez, la liste des projets doit être élaborée dans un règlement pris en vertu de la loi. Il est crucial de ne pas exclure prématurément certains projets sans d’abord passer par une période de consultation complète sur l’ensemble de la liste des projets. La question de l’ajout des puits d’exploration extracôtiers à la liste a déjà été débattue et tranchée. En fait, c’est le gouvernement Harper qui a décidé en 2013 de les ajouter à l’actuelle liste des projets, lorsqu’il a déterminé que certains types de grands projets susceptibles d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants dans des domaines de compétence fédérale, comme les puits d’exploration extracôtiers, n’étaient pas sur la liste. Des incidents récents, comme le déversement de boue de forage par l’installation de forage West Aquarius de BP l’été dernier, continuent de préoccuper grandement le public au sujet de ces projets.

Des modifications visant à restreindre la portée de la participation du public sont inutiles et mineraient la confiance du public dans le processus d’évaluation d’impact. La participation du public en vertu du projet de loi C-69 n’a pas été élargie par rapport à ce qui existe en vertu de la LCEE de 2012, à l’exception du critère du test de représentativité, qui n’a été appliqué qu’aux audiences sur des projets réglementés par l’ONE. En vertu du projet de loi C-69, l’organisme responsable des évaluations d’impact et les commissions auront accès à une gamme d’outils de mobilisation du public, y compris des audiences en personne, des journées portes ouvertes, des consultations en ligne, et ainsi de suite. La participation devra également respecter les délais prescrits par la loi. Ce sont là des méthodes éprouvées et réelles de gestion de la participation du public qui apporteront beaucoup de certitude aux promoteurs et aux investisseurs. La participation du public est également essentielle au maintien de la confiance du public dans le processus d’évaluation d’impact.

Enfin, les premiers ministres ont demandé des amendements exigeant une collaboration accrue entre l’organisme responsable des évaluations d’impact et les organismes de réglementation du cycle de vie, comme les offices des hydrocarbures extracôtiers. En fait, le projet de loi C-69 exige déjà un haut niveau de collaboration entre l’organisme qui effectue l’évaluation d’impact et l’organisme de réglementation du cycle de vie. Toute exigence de collaboration supplémentaire minerait l’indépendance et la reddition de comptes qui doivent être associées au processus d’évaluation d’impact.

Comme vous l’avez entendu ce matin, de nombreux groupes des provinces de l’Atlantique sont particulièrement préoccupés par les amendements des dispositions du projet de loi C-69 visant les offices des hydrocarbures extracôtiers. Nous souscrivons entièrement aux opinions exprimées par l’East Coast Environmental Law Association, l’Ecology Action Centre et d’autres au sujet de ces dispositions.

Le projet de loi C-69 doit être modifié pour faire en sorte que les membres des offices des hydrocarbures extracôtiers ne siègent pas aux commissions d’examen des projets extracôtiers de l’Atlantique. Autrement, la relation étroite entre les offices des hydrocarbures extracôtiers et l’organisme responsable des évaluations d’impact minera l’indépendance et la crédibilité du processus d’évaluation d’impact.

Nous sommes impatients de répondre à vos questions et d’expliquer plus en détail nos commentaires. Merci.

Karen Hutt, présidente et chef de la direction, Nova Scotia Power Inc. : Bon après-midi, honorables sénateurs. Je suis heureuse d’être ici avec mes collègues cet après-midi. Je m’appelle Karen Hutt et je suis présidente et chef de la direction de Nova Scotia Power.

Nova Scotia Power est un service public réglementé qui fournit 95 p. 100 de la production, du transport et de la distribution d’électricité dans la province de la Nouvelle-Écosse.

Nous sommes également un chef de file canadien en matière de réduction des émissions de carbone. Nova Scotia Power a déjà dépassé la cible de réduction d’ici 2030 de 30 p. 100 des émissions de carbone de la COP 21 par rapport aux niveaux de 2005, et nous sommes en voie de doubler ce pourcentage d’ici 2030. Au cours de la dernière décennie, nous avons obtenu des résultats grâce à des efforts ciblés visant à réduire notre dépendance à l’égard des combustibles fossiles qui, à une certaine époque, constituaient la grande majorité de la production en Nouvelle-Écosse. À l’avenir, nous mettrons tout autant l’accent sur la mise en œuvre de notre stratégie d’abandon du charbon.

Au-delà de la Nouvelle-Écosse, nous savons que la seule façon pour le Canada d’atteindre ses objectifs de réduction des émissions de carbone consiste à procéder à une électrification à grande échelle. L’un des facteurs clés de l’électrification est de veiller à mettre une infrastructure en place partout au pays pour optimiser les ressources hydroélectriques et les autres ressources de production d’énergie renouvelable à grande échelle, ainsi que l’infrastructure de transport nécessaire pour fournir de l’énergie aux collectivités partout au pays.

Pour mettre en œuvre de grands projets comme ceux-là toutefois, nous avons besoin de grands volumes de capitaux d’investissement, et ces investisseurs ont besoin de clarté et de certitude pour mener à bien ces projets. Nous craignons que le projet de loi C-69, dans sa forme actuelle, ajoute de l’incertitude, des risques et des coûts aux projets d’infrastructure et de ressources naturelles, à un moment où il est essentiel que nous nous concentrions collectivement sur les moyens qui aideront le Canada à devenir plus concurrentiel sur l’échiquier de l’économie mondiale.

Une réglementation solide et une économie concurrentielle peuvent aller de pair. Une réglementation solide peut apporter clarté, certitude et rapidité et ainsi favoriser l’investissement dans les infrastructures qui permettra de bâtir une économie concurrentielle.

J’ai eu l’honneur de participer à l’une des tables sectorielles de stratégies économiques dirigées par Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Le gouvernement du Canada a réuni des chefs de file de l’industrie pour examiner notre compétitivité à l’échelle mondiale. Notre table s’est penchée précisément sur les mêmes questions que nous abordons ici aujourd’hui, et je vous invite à lire notre rapport intitulé « Ressources de l’avenir ». On y souligne que le Canada dispose d’une abondance de ressources naturelles et d’un potentiel de croissance exceptionnel, mais que les investissements dans les infrastructures, la mise en valeur des ressources et l’expansion des marchés sont entravés par une réglementation lourde et désuète.

Nova Scotia Power appuie entièrement l’intention déclarée du gouvernement du Canada dans le projet de loi C-69. Le gouvernement a entrepris d’améliorer le système de réglementation afin de protéger l’environnement, de respecter les droits des Autochtones et de rendre le secteur des ressources naturelles et de l’énergie plus concurrentiel. Nous accueillerions favorablement ces améliorations. Ce que nous vous demandons, c’est de vous assurer que le projet de loi C-69 respecte l’intention déclarée.

Un large éventail d’intervenants comme l’Association canadienne de l’électricité, les entreprises de services publics, les sociétés énergétiques et les gouvernements provinciaux ont présenté des mémoires détaillés sur la façon dont le projet de loi C-69, dans sa forme actuelle, entraînera des retards dans la réglementation, créera de l’incertitude chez les investisseurs et nuira à la croissance.

Pour la Nouvelle-Écosse et les autres provinces, la voie vers un avenir à faibles émissions de carbone ne peut se concrétiser que par les types de projets que le projet de loi C-69 pourrait faciliter.

Le travail annoncé le 1er mars dernier par les gouvernements du Canada et des provinces de l’Atlantique dans le cadre de la Stratégie de croissance pour l’Atlantique représente un exemple parfait de la raison pour laquelle les Canadiens ont besoin de ce projet de loi pour favoriser l’innovation et créer la certitude nécessaire pour mener des projets de grande envergure qui, franchement, prennent des années à mener à bien.

La Stratégie de croissance pour l’Atlantique est le fruit d’une collaboration entre les gouvernements fédéral et provincial et, avec les services publics de l’Atlantique, elle met l’accent sur la nécessité de produire et de transporter plus d’énergie propre dans la région tout en veillant à ce que l’électricité demeure à la fois fiable et abordable pour les entreprises et les ménages du Canada atlantique.

Les gouvernements se sont réunis et ont convenu d’établir une feuille de route de l’énergie propre au Canada atlantique, qui décrira comment les administrations pourront construire ensemble un réseau d’énergie propre dans toute la région en dressant un plan qui procurera des avantages économiques et environnementaux à la grandeur du système-cœur.

Lorsqu’on réfléchit aux aspects économiques et matériels de la décarbonisation de l’économie, il est essentiel de pouvoir transporter l’énergie produite à même nos ressources là où elle apporte le plus de valeur à nos clients et aux Canadiens. Cela renforce notre sécurité énergétique et cela rend l’énergie plus abordable. Cela aide à bâtir l’économie et cela concerne directement la compétitivité dans nos villes, dans nos provinces et territoires et dans notre pays.

Bien amendé pour répondre à son objet, le projet de loi C-69 protégera l’environnement, respectera les droits des Autochtones et veillera à ce que les grands projets avancent dans les meilleurs délais, de sorte que nous pourrons renforcer l’économie dans chaque province et territoire tout en atteignant nos objectifs nationaux de réduction du carbone.

Je vous remercie encore une fois de cette invitation à témoigner devant vous aujourd’hui. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup.

Nous allons commencer par le sénateur MacDonald, qui est vice-président du comité.

Le sénateur MacDonald : Je remercie les témoins de leur présence. Ma première question s’adresse à Mme Hutt, que je suis heureux de revoir.

Vous parlez des efforts que vous avez faits pour réduire votre empreinte carbone, et c’est louable. Vous avez fait un excellent travail chez Nova Scotia Power.

Mais une chose que vous avez chez Nova Scotia Power, contrairement à d’autres entreprises ou aux consommateurs, c’est le luxe de vous adresser à la commission d’examen des services publics chaque année pour lui montrer combien coûte votre électricité, et vous obtenez toujours un rendement garanti sur votre investissement. Toutes les autres entreprises n’ont pas cette option.

Quelle différence cela ferait-il pour la capacité de Nova Scotia Power de desservir la population de la Nouvelle-Écosse? J’en viens maintenant au gaz naturel. Nous savons ce qui se passe ici en hiver. Nous importons notre gaz des États-Unis. Il monte en flèche et il coûte une fortune. L’industrie du gaz naturel extracôtier est en train de fermer ses portes. Je suppose que vous préféreriez avoir du gaz canadien en Nouvelle-Écosse, je suis sûr que ce serait moins cher. Quelle incidence ce projet de loi aurait-il sur la capacité du secteur gazier de la Nouvelle-Écosse de vous fournir cette ressource à l’avenir? Parce que la plupart des gens pensent que nous en avons besoin ici.

Mme Hutt : Merci, monsieur le sénateur.

Tout d’abord, oui, vous avez raison. Nous sommes un service public réglementé et, comme tel, nous devons rendre des comptes à la Commission des services publics et d’examen, et nous avons l’obligation de fournir le service à tous les clients de la province. Dans cette structure réglementée, nous sommes tenus absolument de démontrer que tout ce que nous faisons sert l’intérêt de nos clients, et nous travaillons très, très fort pour y parvenir. Dans toutes les décisions que nous prenons pour diriger l’entreprise, il y a le souci constant de fournir une énergie abordable aux Néo-Écossais.

Il ne fait aucun doute que le gaz naturel est un enjeu clé pour nous. Nous sommes déçus de voir qu’il n’y a plus de prospection menée de façon constructive, sensible aux commentaires des intervenants, un aspect essentiel à mon avis.

Vous avez aussi raison de dire que, bien des fois, notre matière première a été importée des États-Unis au Canada. Depuis peu, nous envisageons de faire venir du gaz de l’Alberta jusqu’en Nouvelle-Écosse.

Il est crucial pour nous que les Canadiens réfléchissent aux moyens d’aménager des corridors d’énergie est-ouest afin que nous puissions tous tirer profit de nos ressources, dans la mesure où nous pouvons offrir aussi un accès nord-sud. Je pense que cela vaut la peine. Cela crée plus de choix pour les clients, ce qui est toujours une bonne chose. Mais fondamentalement, c’est l’axe est-ouest qui fait défaut aujourd’hui. Plus d’infrastructures est-ouest pour transporter l’énergie à travers le pays, plus de capacité est-ouest pour amener le gaz de l’Alberta et de l’Ouest vers notre région, voilà selon nous le point primordial à considérer pour l’avenir. Nous espérons trouver un moyen d’y parvenir parce que nous savons que nous pourrons alors mieux servir nos clients.

Le sénateur MacDonald : Je vais parler du transport de l’énergie, en particulier de l’énergie électrique.

Hier après-midi, alors que je revenais d’Europe, j’ai rencontré l’ancien premier ministre du Québec, M. Couillard, à l’aéroport de Montréal, et nous avons eu une très belle conversation. Je lui ai parlé d’un corridor national de l’énergie, non seulement pour les pipelines, mais aussi pour acheminer l’électricité.

Bien sûr, il y a des inconvénients à transporter l’électricité, en raison de la perte de puissance. Est-ce que c’est gérable? Y a-t-il moyen de transporter notre électricité à travers le pays sans aller jusqu’au point où il ne serait plus viable de le faire?

Mme Hutt : Absolument, c’est possible. C’est un des domaines... J’ai parlé de la Stratégie de croissance pour l’Atlantique, et nous avons réfléchi à ce que cela représenterait pour nos objectifs de réduction des émissions de carbone à l’avenir.

Chose certaine, en Nouvelle-Écosse, nous sommes engagés dans une voie qui, avec le temps, nous permettra de diminuer de 1 200 ou 1 300 mégawatts la quantité d’électricité produite à partir de combustibles fossiles. Nous envisageons donc très sérieusement de construire d’autres infrastructures.

Il ne fait aucun doute que le Québec devrait jouer un rôle important pour répondre aux besoins de nos clients à l’avenir. Nous sommes très heureux d’être reliés maintenant à la province de Terre-Neuve grâce au Maritime Link, qui sera un atout majeur. Mais franchement, ce n’est pas suffisant. Nous avons besoin de plus. Lorsque nous réfléchissons à nos solutions à long terme, nous pensons au Québec et au rôle qu’il peut jouer avec les vastes ressources hydroélectriques qui peuvent, je crois, être mises au service des Canadiens au lieu d’être exportées en grande partie aux États-Unis, comme on le voit aujourd’hui.

La présidente : J’aimerais savoir une chose. Nous sommes ici dans une ville côtière, vous avez du pétrole dans l’océan et vous avez de l’hydroélectricité. Comment se fait-il qu’il n’y ait pas d’éolien, de solaire, de marémoteur ou d’hydraulique? Nous avons entendu parler plus tôt d’un grand projet qui n’a jamais été approuvé, financé par le fonds de pension norvégien.

Mme Hutt : Je ne connais pas ce projet. Mais je peux vous dire que nous produisons 600 mégawatts d’énergie éolienne en Nouvelle-Écosse. Cela fait un gros pourcentage sur une production totale d’environ 2 400 mégawatts. En fait, nous sommes premiers au pays pour ce qui est du pourcentage d’énergie éolienne.

Nous avons une formidable ressource éolienne en Nouvelle-Écosse. Une des raisons pour lesquelles nous ne l’exploitons pas en mer, par exemple, c’est que nous n’en avons pas besoin. Nous en avons amplement sur la terre ferme, alors c’est celle-là que nous voulons exploiter.

Mais ce qu’il nous faut prévoir aussi, c’est la capacité importante qui va avec, parce que, comme on sait, le vent est une source d’énergie. Quand il souffle, nous en profitons, mais quand il ne souffle pas, nous devons compenser par autre chose. Donc nous continuons, de manière très stratégique, de puiser dans notre parc de ressources fossiles au fil du temps, parce que nous devons être en mesure de répondre aux besoins énergétiques des Néo-Écossais. D’ici à ce que nous puissions mettre au point de nouvelles technologies comme le stockage de batteries, nous aurons besoin de ces ressources pour répondre à la demande.

Le sénateur Woo : J’ai une question pour Mme Hutt et une pour Mme McDonald.

Madame Hutt, je crois que vous nous avez mis en garde contre le fait que le projet de loi n’apporterait pas plus de clarté, de prévisibilité et de certitude. Vous nous avez encouragés à veiller à ce qu’il le fasse. Mais je ne vous ai pas entendue parler des aspects précis du projet de loi qui vous préoccupent. Pourriez-vous nous les indiquer?

Mme Hutt : Merci. Puis je demanderai à mon collègue à ma gauche de compléter ma réponse.

Si quelqu’un est intéressé à investir dans un projet de grande envergure, il veut à coup sûr connaître les échéanciers de progression des travaux de manière à pouvoir rendre aux investisseurs ce qu’il leur promet, donc il lui faut de la certitude quant aux échéanciers. Selon le libellé actuel du projet de loi, il existe un certain nombre de cas où le ministre ou le gouvernement peuvent retarder les travaux sans qu’on sache avec certitude quand ils reprendront. Il est très difficile d’intéresser un investisseur dans ces circonstances.

L’autre aspect, pour nous en tout cas, c’est la transparence quant à la façon d’ajouter des projets à la liste. Dans la mesure où un besoin de la plus haute importance exige que le ministre ou le gouvernement intervienne pour modifier cette liste, nous pourrions vivre avec cela. Mais ce qui nous préoccupe dans le libellé actuel, c’est surtout le pouvoir unilatéral du ministre d’ajouter des projets. Nous ne pensons pas que cela soit conforme au genre de transparence que les Canadiens attendent de ce processus.

Terry Toner, directeur, Services environnementaux, Nova Scotia Power Inc. : Il y a eu deux documents de travail, l’un portant sur la liste des projets et l’autre sur les échéanciers et les critères pour arrêter les échéanciers. Ce que nous voulons voir, je pense, c’est que les choses évoluent vers une plus grande clarté, au-delà de l’étape élémentaire du document de travail. Donc, comme disait Mme Hutt, un changement ne pourrait pas être apporté tant et aussi longtemps qu’on n’en aurait pas précisé les vraies raisons. Cela nous donne plus de certitude.

Le sénateur Woo : C’est très utile.

Madame McDonald, il existe aujourd’hui des positions diamétralement opposées sur les attributions de l’Office des hydrocarbures extracôtiers. Vous en voulez moins; d’autres en veulent plus.

Lorsque je me suis informé auprès du ministre de l’Énergie et des Mines à propos du principe de séparation des fonctions d’évaluation des projets et des fonctions de réglementation, la réponse que nous avons reçue, c’est que la structure de l’Office est telle qu’elle dresse un mur entre les aspects liés à la santé et à la sécurité et les aspects promotionnels ou les aspects dits commerciaux du pétrole extracôtier. L’argument étant que c’est le gouvernement et le ministère qui font la promotion et que l’Office n’en fait pas du tout, l’Office s’en tient aux aspects de santé et sécurité et probablement aussi d’environnement. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?

Mme McDonald : Bien sûr. Il est peut-être vrai que le gouvernement fait la plus grande partie de la promotion, mais il reste que la loi établissant les offices des hydrocarbures extracôtiers stipule que ces derniers doivent prendre part à la promotion de l’industrie elle-même, entre autres objectifs de la loi. Cela fait partie de leur mandat tel qu’énoncé dans leur site web.

Il y a de nombreuses autres raisons pour lesquelles je dirais qu’ils ne devraient pas participer pleinement aux évaluations d’impact des projets extracôtiers.

Nous savons que le groupe d’experts a signalé dans son rapport que ces organismes, les offices extracôtiers et autres chargés de réglementer le cycle de vie, n’ont pas le savoir-faire qu’il faut pour mener à bien une évaluation d’impact. Ils n’ont pas les compétences nécessaires pour faire le genre de planification globale à long terme qui s’impose et que vise justement, je pense, la Loi sur l’évaluation d’impact. Leur savoir-faire, c’est la réglementation technique de l’industrie.

Il y a aussi le fait fondamental que les offices des hydrocarbures extracôtiers n’ont plus la confiance du public. Mes amis vous ont dit ce matin — et d’autres aussi, j’en suis sûre — que le public ne fait pas confiance aux offices quand il se fait dire que ces projets qui vont de l’avant sont vraiment dans l’intérêt public. Je dirais donc que c’est une raison très importante pour les tenir à l’écart des évaluations d’impact et les confiner à leur rôle de réglementation.

La sénatrice Simons : J’aimerais d’abord revenir à la question de la présidente.

Madame Hutt, cela fait longtemps que je trouve étrange que nous n’ayons pas de projets d’énergie marémotrice dans ce pays, avec des océans sur trois côtés. Est-ce une question de dépenses? de préoccupations environnementales? Ou est-ce que vous ne pouvez pas en faire un projet viable parce que vous n’avez pas les lignes d’interconnexion et la capacité de transport pour distribuer l’électricité là où elle doit aller?

Mme Hutt : Je pense que la bonne réponse est une combinaison de ces facteurs. Mais à la base, c’est encore une technologie naissante. Nous en sommes encore à comprendre à quoi ressemble sa viabilité commerciale, comment elle doit se présenter et comment elle doit fonctionner.

Nous nous sommes engagés là-dedans comme une société de portefeuille. Nous avons pris une position propre à faciliter l’avènement et l’entrée en activité d’une industrie capable de le faire, et nous continuerons dans cette voie. Mais à notre avis, nous avons encore à faire une percée technologique.

En attendant, cela coûte extrêmement cher. Nous devons songer à la manière de financer cela, et c’est une question qui intéresse les pouvoirs publics. Mais dans l’état actuel des choses, on a beau récupérer un certain pourcentage grâce au prix de l’électricité, c’est de l’énergie très chère à produire. Et quand on pense plus généralement à la question de l’abordabilité, il est important à notre avis que les pouvoirs publics regardent les deux côtés de la médaille lorsqu’ils veulent élaborer des politiques à ce sujet.

La sénatrice Simons : Je suis tout à fait d’accord. On ne peut pas rendre le réseau plus vert si on est incapable de s’y brancher. Je viens de l’Alberta, où il est difficile de s’affranchir du charbon et du carbone.

Madame Gorman, un professeur spécialiste des baleines est venu nous parler plus tôt des effets des chocs sismiques sur les grandes créatures marines. Vous avez parlé avec beaucoup d’éloquence des effets sur les petites créatures marines. Ma question est la suivante : voudriez-vous que la prospection sismique figure sur la liste des projets, ou pensez-vous qu’elle pourrait faire l’objet d’évaluations régionales ou plus stratégiques? S’il y a tant de navires différents qui font de l’exploration sismique, au lieu de soumettre chacun à un régime de réglementation, pourrait-on avoir quelque chose qui les englobe tous et gérer le problème de cette façon?

Percy Hayne, adjoint au président, Gulf Nova Scotia Herring Federation : Je vous renvoie à un autre paragraphe de ce document : un porte-parole de l’Office dit qu’on ne prévoit aucunement de s’écarter du cours actuel des choses. Il n’existe aucune preuve scientifique concluante qui pourrait infléchir la politique d’autorisation de l’activité sismique.

Leslie Rideout a dit dans un courriel que si les preuves scientifiques étaient régulièrement justifiées, s’il y avait des changements à l’avenir, ce serait la responsabilité du gouvernement. Le rôle de l’Office est d’élaborer des règlements et de fournir des conseils, puis nous assurons la surveillance réglementaire de l’activité industrielle pertinente. Ce n’est qu’un exemple. Ils fonctionnent tous de la même façon.

Dans notre déclaration, il y a un autre paragraphe où il est question de la méthode qu’ils utilisent. L’Office des hydrocarbures extracôtiers demande à la compagnie de prospection sismique si le rapport de l’Australie est acceptable. La compagnie répond : « Oh, ça va, et nous allons continuer comme d’habitude. » Pour nous, cela démontre vraiment qu’il y a un problème avec les offices et leur fonctionnement. Où sont toutes les données scientifiques du Canada qui nous indiquent que tout va bien? Il n’y en a pas pour le Canada. Mais nos organismes de réglementation se contentent de dire : « D’accord, allez-y. » C’est tout le problème.

J’espère sincèrement que le projet de loi C-69 apportera des changements à cet égard. Nous ne pouvons pas nous asseoir et passer en revue chaque ligne parce que je ne suis pas avocat et que je n’ai pas le temps de le faire. Mais je vous dis du fond de mon cœur de pêcheur qu’il faut des changements à cet organisme de réglementation qui émane de l’Office des hydrocarbures extracôtiers.

Mme Gorman : Madame la sénatrice, je vous remercie beaucoup de votre question. Très simplement, depuis 30 ans que je me consacre bénévolement à la protection du golfe du Saint-Laurent, je peux vous dire qu’on ne devrait pas y autoriser le dynamitage sismique.

Je sais que l’argent fait bouger les choses. Je sais que vous êtes tous ici pour discuter d’affaires importantes et des moyens de faire rouler nos économies. Mais soyons clairs : les niveaux de plancton dans le golfe du Saint-Laurent ont diminué de 50 p. 100. On dit que la morue disparaîtra d’ici moins de 20 ans. L’achigan est en grave déclin. Les stocks de hareng sont si bas que les pêcheurs ne pensent pas qu’ils vont pêcher cette année. Il n’y a rien à pêcher. Il y a une crise grave qui se produit dans le golfe du Saint-Laurent, un des plans d’eau qui se désoxygènent le plus rapidement sur la planète. C’est la science qui le dit, ce n’est pas moi.

Nous avons besoin de vrais leaders qui sont prêts à prendre des décisions difficiles pour garder nos enfants et leurs enfants en vie. Et je veux dire : en vie sur cette terre, parce que c’est là que nous en sommes aujourd’hui.

Il m’est très difficile de participer aux audiences des comités du Sénat ou de la Chambre des communes comme si de rien n’était. Bien franchement, je le fais plus rarement parce qu’il y a une véritable déconnexion avec la réalité. Vous devez aller sur le terrain avec ceux d’entre nous qui se battent vraiment et découvrir à quel point la situation est grave — elle est tragique. Sur Twitter, on ne rediffuse pas les meilleurs scientifiques du monde. Personne ne s’intéresse à la vérité. C’est de la science, et nous devons commencer à nous en occuper ou...

La sénatrice Simons : Merci. Je suis heureuse que vous ayez fait une exception et que vous soyez venu témoigner devant nous aujourd’hui.

Mme Gorman : Merci, sénatrice Simons.

La présidente : Oui, merci.

Je veux simplement souligner que la première personne à dire que le golfe du Saint-Laurent s’acidifiait est un professeur de l’Université de Rimouski. C’est un très bon collègue.

Sénateur Carignan.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse aux gens de Nova Scotia Power. En Nouvelle-Écosse, on produit toujours de l’électricité avec du charbon, à hauteur de 53 ou 54 p. 100, je crois, malgré les efforts visant à optimiser l’utilisation de l’énergie renouvelable, qui est tout de même importante depuis les dernières années.

Je pense que l’une des solutions serait d’importer de l’hydroélectricité. D’ailleurs, je crois que c’est l’un des éléments de l’entente sur les câbles de transport d’électricité qui a été négociée avec Terre-Neuve. Que ce soit au moyen de câbles ou d’autres infrastructures de transport de lignes hydroélectriques, croyez-vous qu’on devrait examiner la possibilité de prévoir un corridor énergétique pour les lignes de transmission ou pour les gazoducs, afin de créer un seul endroit sur le territoire où il y aurait une empreinte? Ainsi, la majorité des infrastructures de transport d’énergie, qu’elles soient en direction nord-sud ou est-ouest, seraient concentrées dans ce corridor.

[Traduction]

Mme Hutt : Tout d’abord, je m’excuse; je ne peux pas vous répondre en français.

Tout à fait. C’est exactement ce que nous avons commencé à faire dans le cadre de la Stratégie de croissance pour l’Atlantique, c’est-à-dire examiner à quoi devraient ressembler les grands corridors.

Je ne peux pas parler pour les autres régions du pays, mais je peux certainement vous donner la perspective du Canada atlantique. Nous avons tous planifié en fonction des besoins de nos propres provinces. Nous n’avons jamais pris du recul et nous n’avons jamais soulevé de questions relatives à la construction holistique d’un système et d’un réseau : comment cela serait-il fait différemment et quelle serait l’approche adoptée? C’est exactement notre perspective quant à ce travail. Impossible de parachever ce projet sans la participation de Terre-Neuve et du Québec, parce que nous avons besoin de ces corridors. Un examen du potentiel qui s’y trouve confirme que la participation de ces deux provinces est nécessaire.

De façon plus générale, du point de vue des pipelines, il ne fait aucun doute que les Néo-Écossais pourraient profiter du gaz naturel de l’Alberta. Cela ne fait aucun doute. Il n’y a pas de solution facile aujourd’hui. En fait, la seule façon d’acheminer le gaz de l’Alberta à la Nouvelle-Écosse est de passer d’abord par les États-Unis, puis de revenir par la suite. C’est une voie ridicule. Si nous cherchions des façons de simplifier les choses et de construire des corridors qui permettraient le transport des ressources, nous pourrions mieux utiliser nos propres ressources naturelles et offrir une option moins coûteuse aux clients.

Le sénateur Mercer : Merci à tous d’être ici.

Madame Hutt, je suis un de vos clients. Comme vous pouvez le constater, à titre de sénateur, je gagne un très bon salaire, alors je peux me permettre d’acquitter la facture que vous m’envoyez tous les deux mois. Mais j’ai du mal à comprendre comment une famille néo-écossaise ordinaire et travailleuse peut payer ses factures d’électricité. Nos factures d’électricité sont les plus élevées au pays. C’est donc une grande préoccupation pour tous les Néo-Écossais. Même ceux d’entre nous qui peuvent acquitter la facture ne sont pas contents. Et la plupart des changements ont pour résultat des augmentations du coût.

Quoi qu’il en soit, vous avez parlé de deux ou trois choses sur lesquelles j’aimerais m’attarder. Vous avez parlé d’un réseau d’énergie propre, ainsi que des corridors énergétiques est-ouest et de la Stratégie de croissance pour l’Atlantique. Il y a deux ou trois choses que j’aimerais que vous ajoutiez à ces discussions, soit les emplois qui pourraient être créés, la sécurité de l’approvisionnement à l’avenir et le potentiel de croissance.

La question de l’énergie marémotrice intéresse tous les Canadiens de l’Atlantique, en particulier les Néo-Écossais, qui en débattent constamment. Je vous serai reconnaissant de nous donner une mise à jour et de nous dire quand nous aurons la technologie nécessaire. Je vis à East Hants, où l’on trouve les marées les plus hautes au monde, et ce potentiel se manifeste chaque jour. La marée entre et sort, entre et sort, et nous n’en profitons pas, faute de technologie.

Mme Hutt : Merci, sénateur.

Tout d’abord, j’aimerais simplement souligner qu’il nous incombe, à titre d’entreprise d’électricité réglementée, d’adopter et d’appliquer les politiques que le gouvernement met en place pour nous. Conformément à la politique fédérale sur la décarbonisation et à la politique provinciale sur l’énergie renouvelable, nous devons nous assurer de mettre en pratique ces mesures. Cela a eu un coût. Nous le comprenons. Nous avons investi près de 5 milliards de dollars pour nous conformer aux règlements fédéraux et provinciaux.

J’ajouterais également que la Nova Scotia Power, en tant qu’entité, n’a pas augmenté ses tarifs non reliés aux carburants depuis 2014. Seuls les taux reliés aux carburants ont changé en raison des politiques que nous avons la responsabilité d’appliquer. Pour ce qui est des tarifs non reliés au carburant, nous nous soucions de l’abordabilité au même titre que les clients. Nous travaillons très fort pour contrôler les coûts.

J’aimerais pouvoir vous dire que nous étions là pour assurer la viabilité commerciale de l’énergie marémotrice; ce n’est tout simplement pas le cas. Nous espérons qu’il s’agit d’un domaine où une bonne politique continuera d’attirer ceux qui apportent de nouvelles technologies, qui veulent pouvoir en faire l’essai et, éventuellement, trouver quelque chose qui puisse coexister avec l’environnement d’une façon qui réponde aux intervenants qui jouent un rôle crucial dans ce domaine, mais qui tire également parti d’une ressource naturelle dont la prévisibilité est incroyable, comme vous l’avez souligné. Nous n’en sommes pas encore là.

Sur le plan des services publics, notre travail consiste à trouver les solutions les moins coûteuses pour les clients. À l’heure actuelle, l’énergie marémotrice n’est pas dans cette catégorie. Lorsque nous transférons le coût de la recherche et du développement aux clients, ce qui est essentiellement le cas, cela devient très coûteux. C’est une préoccupation que nous continuons de soulever. Nous devons trouver une façon de faire progresser la technologie. Additionner ce coût aux tarifs d’électricité est une façon. Nous aimerions aussi envisager d’autres moyens.

Le sénateur Massicotte : J’ai noté votre intérêt pour une ligne d’électricité pancanadienne et votre intérêt pour Hydro-Québec. Je vais m’assurer de transmettre cette information au premier ministre. Je vais aussi mentionner à quel point vous êtes flexibles et disposés à payer le prix nécessaire. Nous lui ferons part de ce commentaire. Compte tenu de votre expérience relative à Terre-Neuve, vous êtes un peu habitués à cela, je suppose.

Permettez-moi de m’adresser à Mme McDonald. J’ai lu une bonne partie de votre document, et je vous félicite de la qualité de votre contribution et ainsi de suite, surtout compte tenu de votre formation juridique, parce que ce sont toutes des lois, après tout. J’ignore si vous êtes au courant, mais l’Association du Barreau canadien a présenté un mémoire sur les projets de loi de la Chambre des communes et a proposé des amendements importants. L’Association du Barreau est également revenue nous voir — il s’agit d’un document public — et elle a formulé d’autres commentaires sur le projet de loi tel qu’il est actuellement proposé. Êtes-vous au courant de ces amendements et croyez-vous vraiment qu’ils sont nécessaires?

Mme McDonald : J’ai lu les documents de l’Association du Barreau canadien, mais je ne me souviens pas exactement de ce qu’on proposait. Si vous pouviez me le rappeler, ce serait...

Le sénateur Massicotte : Ils étaient très orientés vers la communauté autochtone et la façon dont nous devons la renforcer. Mais ça va. Merci beaucoup.

Le sénateur Patterson : J’aimerais poser une question à Mme Gorman. Essentiellement, vous dites qu’il n’y a pas de données scientifiques ou qu’elles sont inadéquates quant à l’impact des essais sismiques. Cependant, vous avez des opinions très tranchées selon lesquelles les essais sismiques sont nuisibles et votre mémoire parle d’un crime contre l’humanité et la vie sur terre. Vous avez cité une étude australienne, mais je crois vous avoir entendu dire que nous n’avons pas vraiment la réponse et que nous devons étudier la question davantage. Est-ce exact?

Mme Gorman : Ce que nous essayons de dire, sénateur, c’est qu’il y a beaucoup de données scientifiques internationales.

Par exemple, dans notre document, et j’espère que vous prendrez tous le temps de lire — c’est fastidieux, mais M. Hayne a passé quatre mois à le rédiger à titre de bénévole, alors j’espère que vous pourrez tous prendre une demi-heure ou 20 minutes pour le lire. Il y a beaucoup de données scientifiques.

Voici le problème. À titre d’exemple, il y a 20 ans, lors de notre lutte contre les concessions pétrolières et gazières au large du Cap-Breton, l’industrie pétrolière nous a dit sans équivoque que les activités sismiques étaient inoffensives. Le président de la compagnie Corridor Resources m’a regardée dans les yeux et m’a garanti que la prospection sismique qu’on entendait faire ne serait aucunement nuisible.

Aujourd’hui, 20 ans plus tard, nous avons une spécialiste internationale des impacts du dynamitage sismique sur la vie marine, Mme Lindy Weilgart, de l’Université Dalhousie, qui voyage partout dans le monde et qui est au courant de toutes les données scientifiques. Il y a suffisamment de données scientifiques pour savoir que nous ne devrions pas aller de l’avant.

En 2016, 28 experts en baleines noires ont déclaré que l’utilisation généralisée du dynamitage sismique dans les océans de la planète causerait la disparition de cette espèce. Comme nous l’avons vu dans le golfe du Saint-Laurent, on a imputé la mort de ces baleines noires à l’industrie de la pêche et aux collisions avec des navires. En fait, c’était peut-être la cause réelle de leur mort, mais ces baleines n’étaient probablement pas dans un bon état d’esprit lorsqu’elles ont commis des maladresses. Les scientifiques ont parlé de collisions avec des baleines maladroites.

Donc, pour revenir à votre question, il existe beaucoup de données scientifiques, mais elles sont complètement ignorées; c’est ce que nous voulions dire. Le gouvernement canadien et les directeurs qu’il nomme aux offices des hydrocarbures extracôtiers ne tiennent absolument pas compte de cette situation. Pourtant, ils refusent de faire de la recherche scientifique canadienne sur le dynamitage sismique.

Je peux également vous dire, et c’est un fait — si vous croyez que ces offices ne sont pas biaisés — que l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers a autorisé un dynamitage sismique en octobre 2010 pendant que les baleines bleues en voie de disparition traversaient le secteur. Ils en ont été informés avant de prendre leur décision. Nous les avons suppliés, et les experts des baleines leur ont écrit; ils l’ont fait quand même.

Voilà le genre d’atrocités et de crimes qui se produisent dans nos océans.

Le sénateur Patterson : Merci. Vous utilisez un langage fort, et je le respecte, et je vous remercie pour le mémoire que j’ai lu et que j’apprécie.

Nous avons reçu ce matin une dame de la Fondation Sierra Club, et elle nous a dit que l’impact se fait sentir jusqu’au milieu de l’Atlantique, ce que vous avez répété cet après-midi. C’est ce que disait la citation qu’elle a invoquée. Pourtant, vous nous dites qu’il ne s’agit pas de 314 mètres carrés, comme l’affirme l’Office des hydrocarbures extracôtiers, mais plutôt de 2 400 mètres carrés ou de 10 kilomètres carrés. Où a-t-on déniché cette idée du milieu de l’Atlantique? Il me semble que cela dépasse largement les 10 kilomètres carrés.

Mme Gorman : Il ne s’agit pas de 10 kilomètres carrés, comme nous l’avons souligné. La citation invoquée ce matin par la Fondation Sierra Club vient directement de Mme Linda Weilgart. Il existe des données scientifiques pour le prouver. Le dynamitage sismique au large des côtes de la Nouvelle-Écosse produisait le bruit de fond le plus fort en Angleterre. Les données scientifiques le confirment. C’est un fait. Cela veut-il dire que les espèces en Angleterre subissent les mêmes effets que celles qui sont abattues avec des fusils au large de la Nouvelle-Écosse?

Ce que nous essayons de dire, c’est que lorsque vous êtes en présence d’une telle multitude, et il peut en parler mieux que moi, vous tuez tout le plancton, tous les nouveau-nés. Vous tuez les espèces marines de demain, c’est ce que vous faites.

Et c’est ce que nous avons allégué, sénateur. Nous l’alléguions il y a 20 ans, alors que les données scientifiques n’étaient pas à jour. Le gouvernement a mis fin à la pêche à la morue; par la suite, lorsqu’il ne pouvait plus imputer cette fermeture aux pêcheurs, la morue n’est jamais revenue. Au début de 2000, quand nous sommes intervenus dans le cadre de l’examen public au Cap-Breton, nous avions souligné que la morue risquait de s’écarter de ses routes migratoires et de frayer dans des zones qui n’étaient pas sécuritaires pour la maturation des œufs.

Il se passe des choses complexes dans nos océans. Et parce qu’aucun d’entre nous ne peut observer ces phénomènes, nous présumons que rien ne s’y passe. Mais il existe une abondance de vie que l’espèce humaine est en train de détruire lentement mais sûrement.

La présidente : Madame Gorman, je crois que vous avez mentionné que les données scientifiques existent. Je pense que nous vous saurions gré de nous faire parvenir certains des articles scientifiques que vous mentionnez.

Mme Gorman : Absolument. Je peux communiquer avec Mme Weilgart, et elle vous enverra les données scientifiques.

La présidente : Et envoyez-les au greffier du comité.

La sénatrice McCallum : Merci à tous de vos exposés.

Je voulais parler du sujet que M. Hayne et Mme Gorman ont soulevé parce que l’environnement me tient aussi beaucoup à cœur. Ce projet de loi a suscité beaucoup de controverses au sein de l’industrie, sous prétexte qu’il peut ralentir le processus. Je ne crois pas que ce soit une mauvaise chose, car nous devons examiner les impacts sur l’environnement.

Les gens ne cessent de parler des connaissances scientifiques, et plus j’en entends parler, moins je crois qu’elles existent pour assurer une certaine protection. Il faut des connaissances scientifiques à tous les égards pour comprendre les liens entre le large des côtes, les pêcheurs et l’écosystème océanique, qui est l’environnement. Mais il ne semble pas y en avoir. Toutefois, on donne à un groupe le pouvoir et l’autorité de détruire la vie qui nous fournit tant d’oxygène. Beaucoup d’expertise et d’argent sont consacrés à la technologie, et je songe au forage, mais peu de ressources sont affectées à la restauration et au traitement des déchets toxiques.

Vous avez dit à un moment donné qu’il fallait que la Loi sur les pêches et la protection de l’habitat marin aient préséance sur l’exploitation pétrolière et gazière extracôtière et sur toutes les autres formes d’exploitation industrielle. Pouvez-vous préciser un peu votre pensée?

Mme Gorman : Je suis sûr que Mme Hutt serait d’accord avec moi pour dire que sans ressources, il n’y a pas de développement de quoi que ce soit, et on en arrive à ce point dans l’histoire.

J’aimerais revenir sur ce que vous avez dit quant à la frustration que ressent l’industrie, lorsqu’on lui demande de ralentir. Puis-je rappeler à tous les sénateurs ici présents que, dès 1990, la Convention des Nations Unies sur la biodiversité a déclaré qu’il fallait adopter une approche écosystémique et préventive à toute forme de développement industriel. La raison en est qu’il est si facile de semer la confusion. Essentiellement, l’approche préventive prévoit simplement qu’on ne va pas de l’avant en l’absence de données scientifiques absolument définitives. C’est l’approche préventive. On la retrouve dans notre Loi sur les océans et dans notre Loi sur l’environnement. À ma connaissance, je peux vous dire qu’elle n’a jamais été appliquée.

Nous voulons tous des entreprises exemplaires qui agissent de façon responsable. Mais elles s’en sont tirées à bon compte pendant 20 ans au Canada, et il est temps qu’elles fassent leur part. Il est plus que temps, et c’est là le problème. Il se pourrait que cela soit plus difficile pour elles parce qu’on a laissé déraper les choses. Mais si nous ne protégeons pas les écosystèmes qui permettent la vie sur terre, nous n’avons rien. On ne peut pas mitiger la mort. On ne peut pas mitiger la mort. La mort est finale.

M. Hayne : Lorsqu’on a parlé des 1 200 mètres il y a un instant, c’était dans le cadre d’une étude; ce chiffre est tiré de l’étude. Et l’autre déclaration est venue de Linda Weilgart au sujet des essais qui ont un impact jusqu’au milieu de l’océan.

Le sénateur Duffy : Madame Hutt, vous avez parlé du besoin de corridors énergétiques au Canada. L’une des choses que ce projet de loi tente de faire, c’est de désencombrer, de simplifier le processus d’approbation, et cetera, et de le rendre encore plus transparent.

Mais quand on regarde la situation dans son ensemble, compte tenu du potentiel hydroélectrique, d’une ressource propre québécoise et des besoins que nous avons dans le Canada atlantique, êtes-vous en train de dire que le gouvernement fédéral doit intervenir et utiliser son pouvoir déclaratoire pour affirmer qu’il est dans l’intérêt national que le Québec permette à l’électricité de Terre-Neuve de traverser son territoire vers le Canada atlantique de la même façon que nous aurions peut-être un corridor qui permettrait à un pipeline de l’Ouest canadien de transporter du gaz naturel propre vers la Nouvelle-Écosse, où il remplacerait le charbon qu’on a déjà mentionné? Alors, est-ce au gouvernement fédéral d’assumer ce rôle de leadership? Est-ce bien ce que vous nous dites?

Mme Hutt : Merci. Je pense que nous dirions que les gouvernements fédéral et provinciaux ont un rôle à jouer ensemble. À l’heure actuelle, cela se fait essentiellement par l’entremise des gouvernements provinciaux au moyen de leurs propres structures de réglementation. Je pense que c’est l’une des questions difficiles qui se posent lorsqu’on pense à la superposition et au chevauchement de règlements qui peuvent en découler. Nous devons trouver une façon de régler cette question interprovinciale qui nous permettra d’examiner les corridors est-ouest de façon plus générale, peut-être à l’échelle nationale, voire régionale. Nous avons besoin d’aide à cet égard parce que les règlements qui sont en place aujourd’hui sont insuffisants. Donc, oui, je pense que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer à cet égard.

La présidente : Merci beaucoup de votre témoignage. Merci, chers collègues, de vos questions.

Pour le dernier groupe de témoins ici, dans la ville ensoleillée de Halifax, nous accueillons Peter Byron Rogers, fonctionnaire à la retraite, Chapitre de la rive sud, Campagne de protection des zones extracôtières de la Nouvelle-Écosse; et Colin Sproul, président de la Bay of Fundy Inshore Fishermen’s Association.

Peter Byron Rogers, fonctionnaire à la retraite, Chapitre de la rive sud, Campagne de protection des zones extracôtières de la Nouvelle-Écosse : Mesdames et messieurs, je vous remercie de me donner l’occasion de commenter ce projet de loi tellement important.

Je suis ici au nom d’un groupe de défense bénévole qui se préoccupe de l’exploitation extracôtière. Nous nous appelons la Campagne pour la protection des zones extracôtières de la Nouvelle-Écosse, ou CPONS. Nous sommes un projet du Chapitre de la rive sud du Conseil des Canadiens, mais je ne parle pas au nom de l’organisation nationale du Conseil des Canadiens.

Nous ne prétendons pas être des experts techniques. Nous sommes des citoyens inquiets qui ont suivi l’évolution de la situation, recueilli des renseignements sur le site web des offices extracôtiers, d’évaluations des risques publiées et de rapports de presse sur les activités d’exploration pétrolière et gazière ici et à l’étranger. Nous avons fait part de nos préoccupations à divers conseils municipaux de la rive sud, tenu des assemblées publiques, préparé des documents de travail, rencontré des fonctionnaires et ajouté notre voix à celle de la Offshore Alliance formée avec d’autres groupes représentant les pêches et les groupes environnementaux qui partagent nos préoccupations.

À bien des égards, le projet de loi C-69, Loi sur l’évaluation environnementale et les modifications qu’il propose d’y apporter, constitue une nette amélioration sur le plan de la surveillance et de la reddition de comptes, surtout en ce qui a trait à la participation plus réelle des Premières Nations. Nous félicitons les deux ordres de gouvernement pour ces nombreux changements positifs et nous espérons qu’ils demeureront en place à l’issue de ce second examen objectif, aussi impopulaires puissent-ils paraître à l’industrie pétrolière et à ses lobbyistes.

À notre avis, un office de réglementation des hydrocarbures extracôtiers qui se consacre à la gestion de projets pétroliers et gaziers ne peut évaluer de façon crédible les répercussions environnementales et socioéconomiques des projets. Conformément à son mandat, son tout premier souci ce sont les éventuelles retombées positives pour l’économie pétrolière et gazière, tandis que l’évaluation des répercussions, à notre avis, devrait englober toute la gamme des risques, ne serait-ce que par mesure de précaution, ainsi qu’un examen approfondi des solutions de rechange, des intérêts des autres intervenants touchés et des occasions d’affaires manquées. En règle générale, il nous semble que l’office des hydrocarbures extracôtiers a des relations trop étroites avec les promoteurs de projets et que sa culture opérationnelle est fortement influencée par les intérêts de l’industrie des combustibles fossiles. Quoi qu’il en soit, il est clair que ces offices ont un rôle technique important à jouer en fournissant une expertise spécifique pertinente au processus d’évaluation d’impact, à la réglementation de l’industrie et à toutes les consultations connexes.

En même temps, si l’on examine l’article 22 du projet de loi, qui décrit les éléments à prendre en considération dans les évaluations d’impact et les examens, il est difficile d’imaginer un processus crédible géré ou fortement influencé par les offices des hydrocarbures extracôtiers qui tiendrait pleinement compte de tous ces éléments, que ce soit individuellement ou de façon cumulative, comme l’exigent ces dispositions.

Notre point de vue est conforme aux recommandations du groupe d’experts de 2017 appelé Building Common Ground, à savoir qu’une autorité qui n’a pas à s’acquitter simultanément de fonctions de réglementation est mieux placée pour rendre des comptes à tous les intérêts que les entités consacrées à un seul secteur ou une industrie, qui suivent leurs propres pratiques.

Les mesures d’atténuation des risques liés au pétrole extracôtier sont souvent mentionnées dans les rapports de l’OCNEHE. Toutefois, l’atténuation des répercussions des sondages sismiques ou d’importants déversements et éruptions d’hydrocarbures en milieu marin font toujours l’objet de recherches. La capacité de nettoyer efficacement les déversements majeurs ou les éruptions profondes dans l’environnement océanique n’a été démontrée nulle part. Il n’y a pas de réponse efficace et éprouvée aux déversements dans nos eaux extracôtières, comme l’ont montré récemment les énormes difficultés qu’il y a eues à retracer, sans parler de nettoyer, le déversement du SeaRose au large de Terre-Neuve-et-Labrador.

Il reste encore beaucoup de recherches à faire pour comprendre le milieu marin extracôtier. Je crois que d’autres intervenants l’ont déjà dit aujourd’hui. Les collectivités ne devraient pas se contenter des assurances anodines que l’office des hydrocarbures extracôtiers a tendance à leur offrir quand il se donne la peine de leur rendre visite.

En ce qui concerne les aspects socioéconomiques de l’évaluation des répercussions, on peut se demander si un office extracôtier est l’entité appropriée pour mener ou orienter le genre de recherche régionale de grande envergure qui serait de mise pour bien contextualiser les efforts en matière de pétrole extracôtier. Du moment qu’il s’agit d’autorités fédérales, les offices extracôtiers devraient selon nous avoir pour fonction de fournir des renseignements spécialisés sur le processus de réglementation qui relève de leur compétence en ce qui concerne les projets. Il nous semble que les collectivités et autres principaux intervenants du secteur des combustibles non fossiles qui dépendent des ressources renouvelables du plateau néo-écossais n’ont pas intérêt à conférer aux offices une autorité conjointe ou une plus grande influence sur les évaluations d’impact ou les commissions d’examen au-delà de leur rôle consultatif technique actuel.

L’évaluation d’impact doit, avant tout, être considérée crédible. Il s’agit d’une question structurelle, qui n’a pas nécessairement quelque chose à voir avec le fait qu’on en veuille personnellement à un membre du conseil ou à l’attitude du personnel. La crédibilité exige un degré d’indépendance par rapport aux promoteurs de l’industrie, ce qui n’est tout simplement pas possible compte tenu de la composition et de l’historique des offices extracôtiers. Ils ont des mandats contradictoires au départ, soit la réglementation à la fois que la promotion de l’exploitation des ressources extracôtières, ainsi qu’une relation beaucoup trop étroite avec les entités réglementées. Ces facteurs réduisent leur impartialité et leur indépendance, ou c’est du moins l’impression que l’on en tire.

En somme, bien que les changements proposés à l’évaluation d’impact dans le projet de loi C-69 ont tendance à limiter l’influence excessive des promoteurs de l’industrie sur les organismes de réglementation ailleurs au Canada, on dirait, inexplicablement, que c’est tout le contraire au Canada atlantique, où ils risquent d’accroître cette influence.

Mesdames et messieurs, nous croyons que la voie à suivre en matière d’évaluation d’impact consiste à favoriser la participation des collectivités touchées et de celles qui dépendent des ressources renouvelables de l’océan en leur permettant de se prononcer plus directement au sujet des risques qu’elles sont prêtes à tolérer. C’est ce que le gouvernement fédéral actuel a promis lors de la dernière campagne électorale, à savoir que les collectivités touchées devaient avoir la prérogative de signifier leur approbation sociale. Dans cette optique, nous avons exigé que le projet de loi C-69 soit modifié de façon à ce que les offices des hydrocarbures extracôtiers ne jouent aucun rôle dans l’évaluation des répercussions à part leur rôle consultatif technique actuel.

Quelle que soit la décision législative finale, en notre qualité de groupe de défense, nous demandons un moratoire sur toute nouvelle exploitation pétrolière et gazière en haute mer qui puisse comporter des dangers. Compte tenu des lacunes dans la façon dont les risques et les répercussions sont évalués à l’heure actuelle, nous aimerions également qu’il y ait une enquête publique ici, en Nouvelle-Écosse, pour réévaluer l’exploitation pétrolière extracôtière et son exploitation dans son ensemble. Merci.

Colin Sproul, président, Bay of Fundy Inshore Fishermen’s Association : Bonjour, mesdames et messieurs. Merci beaucoup de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui. Les membres de la Bay of Fundy Inshore Fishermen’s Association sont heureux d’avoir l’occasion d’exprimer leurs préoccupations au sujet du projet de loi C-69.

L’association représente près de 200 entreprises familiales de pêcheurs le long de la côte de Fundy en Nouvelle-Écosse. Depuis 30 ans, nous préconisons des pratiques durables et une gestion communautaire de la pêche. Nous avons joué un rôle de premier plan dans la coexistence pacifique entre les pêcheurs non autochtones et ceux des Premières Nations, et nous avons une longue histoire de coopération avec les gouvernements et les organismes de réglementation à tous les niveaux, ce qui nous a valu notre réputation d’allié précieux en ce qui a trait aux enjeux maritimes.

Il va sans dire que nos membres sont fiers de leur héritage de pêcheurs progressistes qui adoptent une façon différente de faire les choses. Nous sommes tous résolus à préserver notre mode de vie pour les générations futures de Néo-Écossais.

Je suis venu ici aujourd’hui pour défendre un mode de vie vraiment durable, vieux de 400 ans. L’an dernier, l’industrie de la pêche a exporté des fruits de mer de la Nouvelle-Écosse pour une valeur dépassant les 2 milliards de dollars. Nous ne sommes pas une industrie artisanale pittoresque. La pêche est la puissance économique de la province. Elle emploie 26 000 personnes directement et 26 000 indirectement, ce qui fait de notre industrie le plus important employeur à l’extérieur du secteur public en Nouvelle-Écosse aujourd’hui.

Mais ces chiffres ne disent pas tout. Ce qu’il est important de comprendre, c’est comment ces 2 milliards sont versés à certaines de nos collectivités les plus isolées. C’est vraiment le moteur de l’économie de la Nouvelle-Écosse, le seul rempart entre la prospérité dont jouissent actuellement de nombreuses collectivités côtières ici et le déclin économique très prononcé qui se manifeste ailleurs dans les régions rurales du Canada atlantique.

Or, ce n’est pas par hasard que notre industrie de la pêche est arrivée là où elle est. C’est grâce au travail acharné, au respect de l’environnement et à l’application du principe de précaution dans la gestion des pêches. Nous nous sommes occupés de notre pêche côtière, et maintenant, elle s’occupe de nous.

Toute cette prospérité est cependant menacée. L’été dernier, le plateau néo-écossais a été envahi par des machines susceptibles de changer le cours de l’avenir de cette province à tout jamais. Il suffirait d’une défaillance mécanique ou d’une erreur humaine quelconque. Les industries émergentes et les mégaprojets comme le forage en eau très profonde et l’exploitation illimitée de l’énergie marémotrice peuvent affecter l’existence même de l’océan et des pêcheurs. Les risques sont réels. Notre mode de vie peut toucher à sa fin.

Nous avons tous vu les conséquences dans le golfe du Mexique et le passage Minas lorsque les choses tournent mal. L’industrie de la pêche et les eaux du Canada doivent bénéficier d’une protection adéquate et d’une évaluation indépendante de ces risques.

Bien que le projet de loi C-69 vise à rétablir la transparence et la crédibilité du processus d’évaluation d’impact du Canada, il ne permettra pas, dans sa forme actuelle, d’atteindre cet objectif dans les eaux canadiennes. Les pêcheurs et les collectivités côtières du Canada atlantique ne sauraient appuyer ce projet de loi tant que l’on ne supprimera pas les dispositions visant à transférer le pouvoir d’effectuer des études d’impact aux offices de réglementation des ressources extracôtières.

Ces offices ont déjà vécu des situations de conflits d’intérêts en raison de leur double fonction à titre d’organisme de réglementation et de promoteur d’une industrie. Ils se composent entièrement d’initiés de l’industrie qui, tout en possédant l’expertise nécessaire pour promouvoir l’exploitation des ressources extracôtières, n’ont pas la capacité d’évaluer toutes les conséquences de leurs actions, surtout sur le plan socioéconomique et pour les industries comme la pêche, que les offices méconnaissent totalement. Les pêcheurs et, en définitive, les Canadiens, ne feront pas confiance à un nouveau processus d’évaluation de nos océans si le pouvoir est conféré aux promoteurs de l’industrie.

La science extracôtière ne sera jamais aussi claire que celle qui s’occupe de la terre ferme. Les eaux du Canada sont un milieu extrêmement dynamique et l’océan ne finira jamais de nous livrer tous ses secrets. Ce manque de certitude scientifique et l’interdépendance absolue des écosystèmes marins exigent que l’on fasse preuve de prudence à l’heure de mettre en valeur les ressources extracôtières et que l’évaluation des impacts se fasse avec précaution.

Il est important de noter qu’aujourd’hui, nous avons vu deux représentants bien connus, l’un du milieu de la conservation, Mark Butler, l’autre du secteur de la transformation des pêches en Nouvelle-Écosse, Nathan Blades, se joindre à moi pour défendre notre industrie. Je représente le secteur de la pêche. Nous avons passé des décennies à nous quereller sur des questions liées à la pêche en Nouvelle-Écosse, mais nous avons trouvé un terrain d’entente sur cette question. C’est un point tournant en matière de protection des océans en Nouvelle-Écosse et il s’agit de le reconnaître, sans oublier que c’est en désespoir de cause que nos trois groupes ont décidé de rallier leurs efforts.

La santé de nos pêches et de nos côtes ne se limite pas à l’argent. Peu importe notre façon de penser dans cette province, nous nous identifions tous à l’eau qui nous entoure et aux familles de pêcheurs qui ont fondé tant de nos villes. Si on est Néo-Écossais, on appartient à la mer.

L’exécutif et les membres de la Bay of Fundy Inshore Fishermen’s Association demandent respectueusement que le projet de loi C-69 soit modifié de manière à retirer aux offices des hydrocarbures extracôtiers toute fonction liée au processus d’évaluation d’impact autre qu’un rôle consultatif, afin que nous puissions appuyer pleinement ce projet de loi.

Mesdames et messieurs, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous. Je suis prêt à répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Simons : Je remercie les deux témoins de leurs exposés particulièrement véhéments de cet après-midi.

Monsieur Rogers, notre comité cherche entre autres à déterminer ce qu’il faut faire au sujet d’un critère de test de représentativité, c’est-à-dire décider qui devrait être autorisé à témoigner et à faire part de ses préoccupations à un comité consultatif sur l’impact. Il y a une fourchette. On pourrait soit opter pour un critère qui réduirait vraiment le nombre de personnes qui peuvent prendre la parole et participer aux contentieux sans s’écarter du sujet, soit accepter le libellé actuel du projet de loi C-69, selon lequel il n’y a essentiellement aucune limite. L’ennui, c’est que l’on verra des intérêts et groupes de pression externes venir étouffer la voix des personnes le plus directement touchées, la voix de la collectivité immédiate qui a la prérogative d’accorder son approbation sociale, comme vous l’avez dit dans votre exposé. Comment pourrions-nous, d’une part, ne pas limiter les voix qui ont le droit d’être entendues et, d’autre part, veiller à ce que celles des personnes les plus touchées ne soient pas étouffées?

M. Rogers : Je n’ai rien d’un expert-conseil en gestion, et je ne suis pas sûr d’avoir la réponse, mais je sais que nous avons parlé aux conseils municipaux représentant les collectivités de la rive sud et qu’ils ont écrit pour demander des renseignements, des moratoires ou d’autres mesures encore. Pas entièrement à notre demande, mais parce qu’ils sont inquiets. Je pense donc que les collectivités, au niveau des conseils, des maires, des préfets, auraient quelque chose à dire à ce sujet.

Je ne sais comment on peut consulter le grand public sans s’attendre à tout un éventail de points de vue, parfois pas tout à fait pertinents, voire bizarres à l’occasion. C’est simplement un risque qu’il faut prendre. Je ne vois pas de risque de contentieux, et je n’ai pas très bien compris ce que vous avez dit à ce sujet, mais je pense que cela devrait être le plus ouvert possible. Il est certain que les autres industries qui dépendent de l’environnement océanique autour de nous auraient une représentativité de premier plan, tout comme les collectivités constituées en conseils.

La sénatrice Simons : Vous ne craignez pas que les voix locales soient étouffées?

M. Rogers : Je suppose que pour moi, voix locale s’entend de celle des collectivités et des industries touchées. Il y a probablement beaucoup d’autres ONG et d’autres intérêts qui voudraient se prononcer, et quiconque a pris la peine de s’organiser pour faire entendre sa voix devrait très certainement avoir son mot à dire.

Le sénateur C. Deacon : Monsieur Sproul, comme vous l’avez souligné, vos arguments ont été assez récurrents aujourd’hui, et il faut dire qu’ils sont diamétralement opposés à ceux du ministre et du sous-ministre — je ne sais pas si vous étiez là lorsqu’ils ont témoigné — peut-être parce qu’il s’agit d’une loi fédérale alors que la province estime que la question est déjà tout à fait réglée.

Je ne suis pas officiellement membre de ce comité; je ne fais qu’assister à la réunion. Je me demande simplement si vous avez envisagé d’autres moyens de répondre à votre préoccupation très légitime selon laquelle l’océan est un endroit où vous extrayez des ressources, ce qui est très important pour notre économie et, comme vous l’avez souligné à juste titre, fait rayonner sa richesse dans toutes les collectivités de la province. Il n’est pas centré sur un seul secteur, ce qui est très puissant économiquement parlant, puisque les bienfaits sont répartis.

Y a-t-il d’autres moyens que vous ayez envisagés pour répondre à vos préoccupations, en ce qui concerne les modifications possibles à la loi, qui pourraient aider le comité à trouver une solution satisfaisante?

M. Sproul : Permettez-moi d’abord de préciser que, de façon générale, l’association et l’exécutif sont très favorables au projet de loi C-69 et à son esprit, mais ces dispositions qui permettent d’accroître les pouvoirs des offices extracôtiers sont une pilule empoisonnée que nous n’avalerons sous aucun prétexte.

Quant à vos commentaires de tout à l’heure, je pense que je dois faire un suivi à ce sujet. J’ai été extrêmement surpris ce matin d’entendre le ministre parler au nom des pêcheurs et aussi d’entendre le directeur de l’Offshore Energy Research Association raconter la même chose et parler au nom des pêcheurs. Je suis élu par mes pairs après avoir lutté pendant des années pour eux dans les tranchées afin de représenter leur point de vue auprès des gouvernements provincial et fédéral. Il me semble qu’il n’est pas tout à fait approprié que le ministre ou le directeur parle en notre nom.

En tant que représentant des pêches, je peux vous dire que nous n’avons aucunement été consultés par l’Office Canada-Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers et que nous ne sommes absolument pas d’accord avec le ministère de l’Énergie et des Mines au sujet de nombreux projets en Nouvelle-Écosse. On ne nous consulte à aucun niveau.

Cela m’amène à la réponse à des questions qui m’ont été posées à maintes reprises aujourd’hui. Pourquoi le projet d’énergie éolienne de Béothuk ne s’est-il pas concrétisé? Pourquoi le projet du passage Minas a-t-il échoué? Pourquoi s’oppose-t-on aussi ardemment au forage sur le plateau néo-écossais?

L’élément clé pour le pêcheur que je suis, c’est qu’il n’y a eu aucune consultation significative auprès des pêcheurs au début de ces processus. La vérité au sujet de l’énergie éolienne de Béothuk, c’est que le projet a été planifié à partir de Terre-Neuve et de la Hollande en utilisant les données VMS, c’est-à-dire les données du système de surveillance des navires. C’était prévu pour la concession de homard de l’île Seal. C’est la partie du fond marin où la pêche est la plus intense, toutes les eaux canadiennes confondues, mais comme les homardiers ne sont pas tenus de transporter des balises de repérage par satellite, les planificateurs hollandais ont eu l’impression que personne ne pêchait dans le coin. Cela semble presque trop simple et ridicule pour être vrai, mais c’est précisément là qu’ont abouti ces milliards de dollars d’investissement. Il y a d’autres endroits appropriés pour les projets énergétiques extracôtiers où le projet aurait pu prendre forme si on s’était seulement donné la peine de consulter les pêcheurs au départ.

Le sénateur C. Deacon : C’est l’absence d’une place autour de la table, je crois, qui s’est fait entendre très clairement. Comme j’ai passé ma vie dans le monde des affaires, je sais que c’est le meilleur moyen de s’attirer des problèmes, car celui qui n’est pas conscient de ce qui se passe ne peut pas savoir qu’il y a un problème et régler la question. Il n’y a donc qu’une seule solution, de votre point de vue, pour que ce soit bien clair, soit un amendement au projet de loi C-69, pour tenir compte de la préoccupation dont vous faites état?

M. Sproul : Oui. Nous demandons que les dispositions visant à accroître la responsabilité des offices extracôtiers dans les évaluations d’impact soient retirées du projet de loi, de sorte que nous pourrons l’appuyer.

La présidente : Puis-je continuer sur le même sujet? Ma question ne concerne pas directement le projet de loi C-69, mais je veux comprendre l’histoire derrière. Comme vous l’avez dit, vous pêchez là depuis 400 ans, donc vous étiez là avant que n’arrivent cette plateforme, ce forage, l’industrie pétrolière. Un témoin nous a dit que votre territoire de pêche est délimité, alors que les gens qui font du forage peuvent aller n’importe où. Quand et comment cela est-il arrivé, que vous ayez perdu vos droits et qu’ils aient acquis de nombreux droits?

M. Sproul : Je peux vous donner l’excellent exemple récent du processus d’évaluation environnementale effectué en lien avec le site d’essai de l’énergie marémotrice dans le passage Minas ici en Nouvelle-Écosse.

Les pêcheurs n’ont pas été consultés de manière sérieuse sur le projet. Je suis le président de la Bay of Fundy Inshore Fishermen’s Association. Le Fundy Ocean Research Centre for Energy, la Cape Sharp Tidal Venture et Emera ne nous ont jamais approchés avant que nous ne marquions notre opposition.

Le processus d’évaluation environnementale n’a même pas permis de graver quoi que ce soit dans le marbre, donc toutes les conditions et conditions préalables fixées à cette occasion sont des pratiques exemplaires ou appliquées dans la mesure du possible; ce qui s’est passé, c’est qu’à trois endroits du certificat d’autorisation, on exige que ces sociétés n’exercent pas leurs activités dans notre district de pêche du homard durant la saison de pêche au homard, pourtant toutes les activités pratiquées dans le passage Minas ont eu lieu pendant la saison de pêche en question. Des membres de notre association ont perdu des milliers de dollars d’équipement. En théorie, il ne s’agit pas d’une violation de l’accord puisque ce dernier n’est pas du tout contraignant, mais le résultat, c’est qu’ils n’y sont plus et les entreprises qui ont commis la faute ont déclaré faillite et mes membres doivent payer la note.

Donc, oui, en effet, nos droits acquis sont constamment bafoués par les industries émergentes. Il importe de noter que, nommément, l’Office Canada-Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers devrait défendre les intérêts des Néo-Écossais : il ne s’appelle pas l’office du lobby pétrolier et gazier, et pourtant ce sont les seuls intérêts de ce lobby qui y sont servis. Qui est mandataire des Premières Nations au sein de l’office? Qui représente l’industrie de la pêche au sein de l’office? Qui vient du milieu de la protection de l’environnement? Personne, et c’est ce qui explique que nos droits ne soient pas défendus à la table à laquelle nous ne siégeons même pas.

Le sénateur Massicotte : Ce matin, nous avons eu droit à un bilan qui montre à quel point nous sommes en mauvaise posture. La morue est en recul : elle n’est jamais revenue à son seuil d’avant. Pourriez-vous nous donner un résumé? Est-ce désastreux? Gérons-nous bien les océans? Quelles leçons pouvons-nous en tirer?

M. Sproul : Je peux vous dire qu’ici, en Nouvelle-Écosse, l’année dernière et l’année d’avant et l’année avant celle-là, le secteur a apporté plus de valeur économique, plus de valeur d’exportation qu’à n’importe quel moment au plus fort du boom du poisson de fond dans les années 1980. C’est vraiment une réussite : le homard, le crabe, la crevette, le pétoncle. Nous redonnons énormément à la Nouvelle-Écosse, et c’est grâce à une saine gestion.

Le sénateur Massicotte : Il n’y a donc pas de surpêche? Il n’y a aucune crainte que, dans 20 ans, nous nous demandions quelles fautes nous avons commises?

M. Sproul : La façon dont la pêche est pratiquée à l’heure actuelle dans la plupart des secteurs est très différente de ce qu’elle était dans les années 1970 et 1980. Je représente les pêcheurs de homard et les pêcheurs avec ligne et hameçon, et le taux de prises accessoires est extrêmement faible et les répercussions de nos activités sur les écosystèmes le sont également. La preuve en est que la valeur de nos permis a augmenté dans le district où je représente des pêcheurs, passant de 75 000 $ en 1995 à 3 millions de dollars aujourd’hui.

Le sénateur Massicotte : Merci.

Le sénateur Woo : Merci à vous deux pour vos exposés très succincts.

J’essaie de trouver une solution à ce qui, à mon avis, est incontestablement au cœur de nos discussions, c’est-à-dire le rôle du OCNEHE. Vous savez déjà que nous avons entendu des points de vue diamétralement opposés de la part de différents témoins.

Vous savez, bien sûr, que ce qui est envisagé dans le projet de loi, c’est simplement d’y avoir deux membres sur cinq, donc une minorité. Peut-être que vous pourriez nous dire pourquoi ce serait un problème, étant donné que les représentants des autres secteurs de la société pourraient primer.

Par ailleurs, le point le plus préoccupant, c’est que la discussion se tient dans le contexte d’un accord fédéral-provincial, et une bonne partie des pressions que nous subissons sont en quelque sorte des pressions intergouvernementales. Votre province soutient qu’elle devrait avoir une compétence exclusive, des droits exclusifs en matière d’examen des projets, et Terre-Neuve dit la même chose. Dans un certain sens, c’est à elles plutôt qu’à nous que vous devriez l’expliquer, si vous voyez ce que je veux dire. Il ne s’agit pas d’un jeu politique, mais donnez-nous une idée de la façon de désamorcer ce problème épineux, car nous désirons vraiment trouver des solutions.

Le projet de loi semble viser un équilibre très délicat entre, d’une part, l’indépendance de l’office et, d’autre part, cette structure fédérale-provinciale. Ce n’est pas écrit dans le projet de loi, mais une solution évidente serait d’associer les pêcheurs et autres groupes concernés aux offices des hydrocarbures extracôtiers, mais ce n’est pas notre projet de loi. C’est le problème de quelqu’un d’autre. Vous pouvez néanmoins exercer des pressions en ce sens. Il y a peut-être aussi d’autres solutions.

M. Sproul : Je pense qu’il est important de souligner tout d’abord que la Nouvelle-Écosse outrepasse ses prérogatives dans les domaines de l’exploitation extracôtière, de l’énergie marémotrice et de l’aquaculture, et, en fin de compte, du pétrole et du gaz. Nous avons tous entendu le ministre de l’Énergie intervenir aujourd’hui et plaider pour que l’aquaculture soit totalement exemptée du processus d’évaluation environnementale en Nouvelle-Écosse, et nous constatons également que le gouvernement fédéral exerce peu ou pas de pouvoirs dans le processus d’évaluation environnementale du développement de l’énergie marémotrice. Ces deux secteurs ont des activités extracôtières. Sur le plan constitutionnel, le gouvernement fédéral est responsable de la réglementation des activités extracôtières, et la Nouvelle-Écosse a excédé ses pouvoirs dans les domaines de l’énergie marémotrice et, certainement, de l’aquaculture. Je pense que la demande du ministre d’exempter l’aquaculture, laquelle peut avoir d’énormes répercussions sur l’industrie de la pêche et sur l’écologie marine, en est la preuve.

La deuxième partie de votre question portait sur la présence de deux membres à l’office. À première vue, cela semble approprié, mais quand on considère la composition de l’office et que ce dernier n’est pas représentatif de la population de la Nouvelle-Écosse, ni des acteurs actuels dans le secteur extracôtier, c’est là que le problème se pose pour moi. Si au moins l’un d’entre eux était un pêcheur...

Le sénateur MacDonald : Je vous remercie tous les deux de votre témoignage.

Monsieur Sproul, votre témoignage m’intéresse. Je viens d’un village de pêcheurs. En fait, toute la province forme une communauté de pêcheurs. Je suis un peu perplexe devant votre position concernant l’Office des hydrocarbures extracôtiers, la Bay of Fundy Inshore Fishermen’s Association. Il y a un moratoire sur le banc Georges. Je suis curieux de savoir comment l’Office des hydrocarbures extracôtiers influence directement l’industrie de la pêche dans la baie de Fundy. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

M. Sproul : Merci, c’est une excellente question et on me la pose très souvent. C’est à cause de l’incroyable débit des marées de la baie de Fundy et du courant du Labrador. Les sites à louer qui sont proposés et ceux qui ont été forés l’été dernier sont directement dans le courant du Labrador. De là, il se dirige vers le banc Georges, où il croise l’énorme courant de marée de la baie de Fundy. Deux jours après un déversement de pétrole sur la plate-forme Néo-Écossaise, nous verrions du pétrole en surface dans la baie de Fundy en raison des marées. On me pose souvent cette question, à savoir pourquoi je préconise quelque chose sur la côte sud de la Nouvelle-Écosse, et la réponse, c’est que l’arrivée de pétrole à la surface de l’eau dans les estuaires à marée de la baie de Fundy serait la pire catastrophe possible pour ma collectivité.

Le sénateur MacDonald : Jusqu’à maintenant, la plupart des activités de forage au large de la plate-forme Néo-Écossaise ont été liées au gaz. Il n’y a pas eu beaucoup de succès en ce qui concerne le pétrole et la découverte de pétrole.

Par ailleurs — le sénateur Paul Massicotte l’a mentionné —, vous avez parlé de l’industrie du homard et du crabe. Nous savons à quel point elle a connu un essor. Vous avez parlé de l’industrie de la morue. Je connais toutes sortes de pêcheurs de homard et de crabe, et ils ne veulent pas que la morue revienne parce qu’elle mange du petit homard et du petit crabe. L’une des raisons qu’on donne pour expliquer un tel débarquement du homard en Nouvelle-Écosse, c’est que les stocks de morue sont en baisse et que cela a permis l’essor des industries du crabe et du homard. À ce sujet, quelle est la position de la Bay of Fundy Inshore Fishermen’s Association?

M. Sproul : Je pense qu’attaquer une industrie pour en défendre une autre n’est pas vraiment une bonne excuse.

Le sénateur MacDonald : C’est ce que nous faisons aussi avec l’industrie pétrolière. À Terre-Neuve, dans la mer du Nord, partout dans le monde, il y a d’énormes régions de pêche où se font des forages, et ils réussissent à extraire du pétrole et du gaz et à avoir une industrie de la pêche florissante.

M. Sproul : Je dois vous dire que j’espérais vraiment qu’on m’interroge sur la comparaison qui est faite entre les pays scandinaves et la Nouvelle-Écosse, car on s’en sert très souvent pour défendre l’industrie pétrolière.

Vous devez comprendre le processus d’évaluation environnementale au Canada et le processus de demande et d’autorisation en Norvège ainsi que les différences entre les deux. En Norvège, si Statoil décide qu’elle veut faire de l’exploration, il y a une enquête publique; des fonds en fiducie provenant des redevances versées sont mis, à parts égales, à la disposition des promoteurs et des intervenants. Tous les Norvégiens ont accès à cet argent, ce qui leur permet de faire appel à des chercheurs indépendants pour trouver les arguments qui sauront convaincre les organismes de réglementation de la Norvège et de se doter des plus récentes données objectives disponibles.

Il y a également des mesures de sécurité raisonnables qui sont prévues. Ainsi, lorsqu’ils forent un puits à proximité d’une frayère importante, comme le banc Georges, ils doivent avoir un bloc d’obturation de puits sur place et forer un puits de décompression concomitant. Ces mesures ont été prises sur les Grands Bancs, mais non en Nouvelle-Écosse l’été dernier.

Je pense qu’il convient également de souligner l’ironie du fait que Statoil doit venir en Nouvelle-Écosse l’été prochain pour effectuer des forages exploratoires et des travaux de prospection géosismique, mais qu’elle n’apportera pas son bloc d’obturation. Est-ce la faute des dirigeants de Statoil dont le travail est de générer de l’argent pour ses investisseurs et pour les citoyens norvégiens? Non, c’est la faute de l’Office Canada-Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers, qui n’a pas pris la décision responsable de faire venir l’équipement de sécurité ici.

Le sénateur MacDonald : Je pense que c’est légitime. Votre argument n’est pas forcément que nous ne pouvons pas avoir un développement simultané des deux; c’est simplement qu’il n’y a pas suffisamment de consultations avec certains intervenants, n’est-ce pas?

M. Sproul : Pour que les choses soient bien claires, le printemps dernier, j’ai pris la parole à quelques endroits en Nouvelle-Écosse et j’ai parlé des menaces de l’industrie pétrolière. Une personne qui a témoigné ici aujourd’hui m’a pris à partie en me posant la question suivante : « Je veux que vous me disiez devant témoins si l’industrie de la pêche et l’industrie pétrolière et gazière peuvent coexister sur la plate-forme Néo-Écossaise. » J’ai longuement réfléchi et j’ai répondu que ce n’est pas aux pêcheurs de leur rendre des comptes, mais que c’est à eux de nous répondre. Constamment, en Alaska, dans le golfe du Mexique, en Angola, l’industrie pétrolière prouve qu’elle n’est pas prête à coexister avec les pêcheurs.

La Nouvelle-Écosse n’est qu’à un accident de devenir le golfe du Prince William. Pourquoi savez-vous où se trouve le golfe du Prince William? C’est parce qu’il sera toujours synonyme d’eau contaminée et de la catastrophe de l’Exxon Valdez. Voilà pourquoi les risques sont si grands ici. Nous ne pourrions jamais nous en remettre, même si la situation de l’environnement s’arrangeait.

La sénatrice Simons : Monsieur Sproul, l’aquaculture est un nouveau domaine pour moi. Ce n’est pas un sujet dont on a parlé avant aujourd’hui, dans le contexte du projet de loi C-69. Je me demandais si vous pouviez me dire, de votre point de vue de pêcheur, quels risques l’aquaculture fait peser sur les poissons sauvages et les pêches côtières.

M. Sproul : L’aquaculture fait courir un certain nombre de risques aux espèces exploitées commercialement et aussi aux espèces protégées, tel le saumon atlantique.

Tout d’abord, je pense qu’il est important de comprendre la différence entre l’industrie de la pêche et sa valeur et l’industrie de l’aquaculture et sa valeur en Nouvelle-Écosse.

La grande majorité de l’aquaculture en Nouvelle-Écosse, soit environ 93 p. 100, est exercée par une seule personne, laquelle n’est pas Néo-Écossaise. Mon industrie emploie 52 000 personnes et offre beaucoup plus de valeur.

Les risques sont l’utilisation illégale de pesticides pour tuer le pou du poisson sur le saumon, ce qui tue aussi les larves de homard. L’entreprise Cooke Aquaculture a été poursuivie et reconnue coupable de l’avoir fait à plusieurs reprises dans le Canada atlantique. Il y a des risques énormes liés à la fuite de saumons d’élevage qui se croisent ensuite avec des saumons sauvages de l’Atlantique, ce qui nuit à la génétique et propage aux populations sauvages des maladies développées à l’intérieur des cages.

Et puis il y a l’accès à la mer, le fait que les pêcheurs, surtout les pêcheurs côtiers de homard, soient exclus des zones où se déroulent les activités de pisciculture du saumon en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Simons : Quand on parle d’aquaculture ici, on pense au saumon atlantique d’élevage. J’étais à Prince Rupert la semaine dernière pour diverses audiences du Sénat et il a été question des efforts déployés là-bas pour lancer la culture du pétoncle par ensemencement. Je ne sais pas si c’est chapeauté par l’aquaculture ou si ce serait simplement une façon de favoriser une chose naturelle.

M. Sproul : Permettez-moi d’être clair. L’aquaculture n’est pas toujours mauvaise. Il y a des exploitants aquacoles responsables en Nouvelle-Écosse, surtout dans l’élevage de moules et d’huîtres. En fait, leurs activités nettoient les rivières dans lesquelles ils opèrent. Par contre, la culture du pétoncle a été essayée mais a échoué ici, en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice McCallum : Ce fut un honneur de vous rencontrer tous les deux.

Monsieur Sproul, c’est la première fois que j’entends un homme non-Autochtone expliquer le lien vital avec l’eau, d’abord, mais aussi avec la terre. Je comprends cela et le lien étroit que vous avez, alors vous faites davantage d’efforts pour protéger et soutenir cette vie, vous comprenez et pratiquez la durabilité et vous vous opposez à un groupe qui ne respecte pas ou ne comprend pas la durabilité et qui a un titre incontestable sur vos terres.

Je voulais vous demander si vous recevez des prestations ou des redevances de l’industrie.

M. Sproul : Non, pas du tout. Je pense qu’il importe à ce moment-ci de souligner que rien ne prévoit l’indemnisation des pêcheurs dans aucune de ces circonstances. Le milliard de dollars mentionné par le ministre Mombourquette ne nous permettrait même pas de passer les six premiers mois de cette année en termes de valeur de nos pêches.

Je vous remercie de reconnaître le lien de mes pêcheurs avec la mer. Ma famille travaille dans l’industrie de la pêche dans un petit port isolé de Delaps Cove depuis les années 1840. Ma famille compte six générations, et j’ai mon fils et cinq neveux que j’ai l’intention de voir suivre mes traces.

S’il y a une dernière chose que je peux dire, c’est que la raison pour laquelle notre pêche est encore saine, c’est parce que nous suivons un ensemble de règles strictes. Tout ce que nous prenons, toutes nos répercussions sur la mer, sont étroitement surveillés et contrôlés pour assurer notre durabilité. Nous demandons seulement à une autre industrie qui a l’intention de partager la mer avec nous de respecter les mêmes règles. Dans le cas contraire, il y aura des conséquences indésirables. Des personnes comme moi ne pourraient plus prôner une politique de pêche progressiste auprès de ses membres. Voici le genre de choses que j’entends : « Pourquoi devrais-je renoncer à la pêche dans le bassin Roseway si British Petroleum va forer à proximité pour extraire du pétrole? » C’est là l’héritage de deux ensembles de règles.

La présidente : Merci beaucoup.

Chers collègues, cela met fin à notre voyage à Halifax.

(La séance est levée.)

Haut de page